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Dictionary / Encyclopedia Article

Reference

Spiritualité(s)

ASKANI, Hans-Christoph

ASKANI, Hans-Christoph. Spiritualité(s). In: Lemoine, L., Gaziaux, E., Müller, D. Dictionnaire encyclopédique d'éthique chrétienne . Paris : Editions du Cerf, 2013. p. 1899-1918

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30132

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(

SPIRITUAllTÉ(S)

Plus comprendre les limites ou le retard de. -M.-Cl. BLAis, La Solidarité. Histoire d'une idée, Par.is, Gallimard-NRF, coll. « Bibliothèque des idées ~,

la solidarité effective, son horizon utopique 2007.- M. BoRGErro, La Notion de fraternité en droit

ou, pire, d'entraîner à des violences injus- public français. Le passé, le présent et l'avenir de la so/i-

tifiables. Aux versets 6 et 7, il est question datité, Paris, Librairie générale de droit et de juris-

de dépouillement ·certes mais de ce qui · prudence, 1993,- H. BRUNKHoRsT, Solidarity. From

· · '' · 'h ' · · · Civic Friendship to a .Global Legal Community, Cam- aurai~. P~ s~rv!.r a tnomp er~ a assuJenu: bridge (MA) - Londres, MIT Press, coll. « Studies.

autrui. Ainsi, s Il y a conservation de ce QUI in Contemporary German Social Thought ~, 2005.

expose à autrui (les besoins, les nécessités), - M. CRaWLEY, llHomme sans. Politiques de la fini-

il y a pourtant perte de titres dont celui tude, Paris, Nouvelles Éditions Lignes, coll. <• Fins

qui s'engage est doté de par le système et de 1~ P?ilo~ophie •i, 200?·.- N. FRA~~R, A. I;IoNNE:H,

• · · • · · D · é d Redtstrzbutton or Recognmon. A Polmcal-Phtlosophtcal

les lnStltutiOX:S QUI le po~tent. ~stitu. e Exchange, Londres, Verso, 2003. - S. PAUGAM (dir.),

sa personnalité reconnaissabl.e, Il devtent Repensèr la solidarité. llapport des sciences sociales,

marginal, (( en reste )) de ce qui définit Paris, PUF, coll. G Le lien social>>, 2007.- Fr. POCHÉ,

1 'humanité reconnue. D'où la qualification Blessures intim~s, blessures sà~iales: de la plainte à la soli-

d'<< esclave>> Qui entre dans'ce mouvement darité, Paris, ~d. du Cerf, coll.<< La nuit surveillée o,

· · · , d . ' 2008. - St. STJERN0, SÇJlidarity in Europe. The History

P~~adoxalement et pote~tlellem~~t, ~~~ent of an /dea, Cambridge, Cambridge University Pn;ss,

VISible : dans sa nouvelle mamere d etre 2001. -·Ph. VAN PARIJS, Sauver la solidarité, Paris, Ed.

vivant ou dans sa mort, comme témoin du du Cerf, coll. « Humanités o, 1995 ; Refonder la soli-

lien avec ces ((restes)) d'humains invisibles darité, Paris, Éd. du Cerf, coll. (C Humanités o, 1996.

autrement. Ce qui était auparavant invi- sible et inaudible devient, sur son corps et

·ses besoins, visible. Le mouvement de perte

de visibilité rend visible Gn 19, 5 et 12, SPIRITUALITÉ(S) 31). Ce que la société cache pour ne pas

avoir'à s'en reconnaître solidaire, ce qu'elle Introduction. · encrypte comme déchets, devient visible,

reconnu comme. tel (Ga 3, 13), recon- naissance qui peur conduire à des prises de conscience et à des transformations de postu~es éthiques menant, peut-être, à des gestes sociaux et politjques. La solidarité extraordinaire en vient donc à relancer la solidarité ordinaire dans ses rapports à la justice et à la charité ..

MAxiME ALLARD.

-*Alliance. Bien commun. Commur.1autarisme.

Économie. Éthique d'État. Éthique poli- tique. Justice, Mondiillisation. Politique.

· ~econnaissance.

Bibliographie.

Chr. ARNSPERGER, Y. VAROUPAKIS, <<Toward a Theology of Solidarity », Erkennmis 59/2 (2003), p. 157-188.

La signification du mot << spiritualité >>.

(souvent employé aussi au pluriel, << spiri- tualités >>) tel qu'il est répandu aujourd'hui est récente. Si le terme a mené pendant des siècles, pour ne pas dire des milJénaires, une existence assez discrète, appartenant à la théologie (plus précisément à un certain type de théologie}, et à la lit~érature qui porte son nom, ce même renne est actuellement en vogue. Le caractère vague de son sens correspond.précisément à la ·situation qu'il exprime. Au moment où - au ·moins dans le l].'Îonde occidental - les religions établies et leurs institutions subissent un déclin remar- quable, des sortes de t:eligio~ité nù'n clai- rement circonscrites, un peu << sauvages >>, individuelles,<< à la carte>>, voient le jour et réclament une authenticité qui reposerait justement sur leur caractère personnel, la

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H coL

SPIRii'UALITÉ(S)

liberté du choix, les goûts et connaissances sélectives de chacun. La dimension spiri- tuelle se présente ainsi comme une offre qui est déjà préparée, et en même temps toujours encore prometteuse.

Cette situation doit évid,emment nous intéresser, mais ce n'est pas elle qui mérite en premier lieu l'attention. L'histoire et l'héritage de la spirimalité chrétienne1,telle qu'elle s'est développée depuis deux mille ans est plus riche et- dans toute sa diversité -moins arbitraire.

Un panorama assez détaillé de l'évolu- tioiJ. du terme << spiritualité ,> et de l'<< atti- tude )) qui lui correspond (évolution qui s'étend des Pères de l'Eglise jusqu'au XXIe s.) se trouve dans l'article << Spiritualité )) du Dictionnaire de spiritualité2Il n'y .a pas de raison de reprendre .ce survol ici. Rappel oris cependant- avant d'entrer dans la réflexion plus détaillée - que le concept même repré- sente une concentration - et une réduction -d'un champ ·langagier plus va.ste auquel appartiennent dans le monde biblique et dans le monde philosophique des termes tels que ruach (hebr.),pneuma, nous,:e,suchè (grec), anima (lat.), Geist (allem.)W:Pour ne no-T-mer pour l'instant que des·termes isolést~Concentràtion donc qui est· aussi une reduction ; mais en elle se produit et se donne en même tem:ps l'ouverture d'hari-,

1. D'autres religions connaissent des spiritualité!;

aussi, mais nous nous concentrons ici surtout sur le

christianisme. .

2. A. SoLIGNAc, art. o Spiritualité », Dictionnaire de spiritualité ascétique et mystique. Doctrine et histoire, fondé par M. Viller et al., Paris, Beauchesne, 1932 s., t. XIV, 1990, pour l'histoire du mot (é0l.1142-1150.

Voir Jo., art. o Spiritualitat », Handwii'iierbuch der Philo- sophie, t. IX, Darmstad' \Vissenschaftliche Buchgesell- . schaft, 1995, fwl;n;i'J:w.è 1415-1422. ·

3. A ce propos, les remarques iiltroductives de Hans Urs von Balthasar dans son essai Spiritualitat sont très intéressantes : voir Spiritualitiit, dans Ulrbum Caro, Einsiedeln, Johannes Verlag, 1960, p. 226-244, en particulier, p. 226.

zons inconnus. L'histoire de la<< spiritt:talité ,>

chrétienne à travers les siècles est le vécu de ces horizons.

Quelques éléments marquant le sens du mot« spirituel» («spiritualité», etc.).

-Un des textes clés, peut-être le texte clé du Nouveau Testament, est 1 Coripthiens 2, 9 - 3, 3 ; nous citons à partir du verset 12 : Pour nous, nous n'avons pas reçu l'esprit du monde, mais l'Esprit qui vient de Dieu, afin que nous connaissions les dons de la grâce de Dieu. Et nous n'en pa,rlons pas dans le. langage qu'en-seigne la sagesse humaine, mais dans celui qu'enseigne l'Esprit, exprimant' ce qui est spiri- tuel en termes spirituels. I.!homme laissé à sa seule nature n'accepte pas ce qui vient de l'Es- prit de Dieu. C'est une folie pour lui, il ne peut le comprendre, car c'est spirituellement qu'on en Juge. [ . .• ] Pour moi,jrères,Je n'ai pu vous parrer comme à des hommes spirituels mais seulement comme ·à des horrimes charnels, comme à des petits enfants en Christ. C'est du:lait que Je vous ai fait boire, non de la nourriture solide :vous ne l'auriez pas supportée. Mais vous ne la suppor- teriez pas davantage auJourd'hui, car vous êtes encpre charnels. 1 .

. A plusieurs reprises revient l'adjectif pneumatikos qui indique une réalité parti- culière venant de Dieu. En latin, ce mot grec à été traduit par le mot spiritualis, qui, 1\li, est comme le germe de toute l'évolu- tion qui suit. Pour l'histoire qui surgit ainsi, l'opposition déterminante n'est pas, aomme dans une terminologie philosophique, celle entre spiritualis et corporalis, mais celle entre spiritualis et carnalis. Une valorisation forte entre donc en jeu ; mais plus encore : une situation non seulemènt d'opposition, mais .de conflit. À quelle sphère l'homme appar.,.

tient-il : à la sphère de la chair ou à la sphère de l'esprit ? Entre les deux aucun compro- mis n'est possible : I.!homme laissé à sa seule

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nature n'acceptè pas ce qui vient de l'Esprit de Dieu (v. 14). La profondeur du conflit ou, en d'autres termes, la d~stance insurmonfable entre les deux sphères, est exprimée par le fait que, comme dan:s un cercle, ce qui est de l'esprit n'est accessible que par l'esprit (ce qui est en Dieu, personne ne le connaît, sinon l'Esprit de Dieu [1 Co 2, li]).' D'un autre côté, l'homme une fois touçhé par la dimension spirituelle ne rentrera plus jamais dans le calme de la dispositio"n naturelle de son être. L'horizon nouveau qui se dégage devant sa vie, comme p·romesse et comme _ défi, est infini.

-Nous ·avons renvoyé à l'adjectif pneu- matikos dans le texte de saint Paul. Il est en effet "intéressant de voir ql,le l'adjectif latin spiritualis (dans des formulations comme

<< vie spirituelle >>, << expériences spirituelles >>,

<<réalité~ spirituelles>> ... ) apparaît longtemps avant le substantif spiritualitas. Cela corres- pond bien à la multitude-des facettes de vie quïpeuvent être touchées par cette réalité et qui se laissent donner une orientation, une tonalité, une <<-coloration >> par elle. Avec le substantif, cependant~ entre en scène une conscience renforcée· de la particularité de la<< chose» dont.il s'agit, c'est-à-dire d'un mode de vie particulier. Celui qui, par sa foi et. par son baptême, devient chrétien, est en effet appelé à. une vie nouvelle, une vie comprise· comme une intégralité vécue sous l'impact d'un nouveau règne : selon l'Esprit (Rm 1, 4; 8, 4; Ga 4, 29). Ou, avec une autre formulation : dans l'Esprit (Mc 1, 8 et par.; 2 Co 6,.6; Ep 2, 22; 1 Tm 3,16).

Comme si la spiritualité était le lieu destiné, attribué au chr-étien pour qu'ille rempiisse.

Comment ? - ~vec rien d'autre que .sa vie entière.

- Comme la << vie entière >> consacrée à Dieu est par excellence la vie monacale, il . ri' est pas surprenant que les termes (( spiri- tuel >) (spiritualis), <c spiritualité >> (spiri- tualitas) apparaissent notamment dans la

SPIRITUALITÉ( S)

littérature monastique. << La Chronica d'Hu- gues de Flavigny rapporte qu'en l'an 1077, . l'abbé Jarenton, pour réformer l'abbaye Saint-Benigne de Dijon, va prendre huit moines de Cluny qui vivaient intensément la

"spiritualité"" des huit béatitudes1 [ ... ] • >>Le fait nous intéresse car il indique le rapport

ent~e une gestion de vie et la parole du Christ qui la touche et la détermine jusque dans les moindres détails. Rencontre entre une parole et une vie ! Une vie qui se conforme à une parole, une ·annonce, une promesse, un commandement. Attitude surprenante que de s'écarter si clairément, si décidément du mouvement· spontané de la vie << naturelle >>, qui se laisse porter de 'jour en jour par sa propre dynamique. Le terme << spiritualité >> se revêt ainsi d'une autre connotation encore : il signifie l'éloi- gnement radical de la vie << ordinaire », la réorientation de J'existence entière de celui qui est prêt à aller si loin. Mais en vue de quoi le ferait-il ? La réponse la plus sobre, la plus facile et la plus difficile en même temps est : en vue de <:;ette opposition même entre . la sphère charnelle et la sphère spirituelle, entre, comme le dit Guillaume d'Auvergne (xm• ~.), l'animalitas (ou brutalitas) et la spù:itualitcis2La contradiction entre }es d~ux

termes renvoie à une question : A. quelle dimension, à quelle vie, à qu~lle promesse une existence appartient-elle ? Va-t-elle goûter, va-t-elle vivre des << réalités divines >>

ou va-t-elle se contenter de goûter les véri- tés mondaines, humaines ? L'alternative entre les deux trouve sa compréhension la plus forte dans l'opposition entre la m_ort et la vie : << mortalitas- spiritualitas >>. C'est cette opposition qui indique le plus claire- ment l'enjeu. Avec l'horizon. de la. spiritua- lité le caractère ordinaire, évident de la vie

1. A. SouqNAc, art. <• Spirituaiité », Dictionnaire de spiritualité, col. 1144. C'est nous qui soulignons.

2. Ibid., col. 1145.

1901

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. SPIRITUALITE(S)

basc.ule ; vivre vrai, vivre vraiment, qu'est- ce que cela signifie ? Toutes les formes de vie' spirituelle ne sont rien d'autre qu'une réponse à cette question. Du coup, ·non seulement une promesse << quasi >> infinie se donne à l'homme nouveau-né, mais aussi 1,m risque jusque-là inconnu : le risque de perdre sa vie infiniment. Les grands ·spirituels et les grands théologiens1 ont toujours vu cela : la dimensiorf du péché ne disparait pas avec la vi~ spirituelle, elle entre avec elle en scène. L'affirmation de Thomas d'Aquin selon laqu~lle << les péchés de l'esprit sont plus graves que ceux d.e la chair>> (Somme théologique, Ia-IIae, Q. 73, a. 5) en est une indication repoussant tout mensonge pieuX:.

- Pourtant - avec la vie spir.ituelle, son défi, son arrivée - apparaît non seulement l'opposition eiJ.tre .ta vie ordinaire et la vie nouvelle(<< selon l'Esprit>>), mai~ cette même tension se reproduit dans l'opposition entre une vie b~sée sur une institution - l'Église - et la vie exposée à l'excès de sa propre réponse. L'Église, bien sûr, peut et doit être comprise comme le lieu de la réalisation de la spiritualité ; né:an111:oins, la question surgit si l'ex-cès de la vie suivant l'horizon infini de l'Esprit ne laisse-pas derrière lui le bien-fondé de chaque forme de vie - aussi celle de la vie ecclésiale .. D'où la situation ambiguë de la vie monacale qui, d'un côté, appartient évidemment à la mission et à.

l'institution de l'Église, et qui, d'un autre çôté, laisse derrière elle toute appartenance autre que celle de la: promesse de Dieu.

D'tin point de vue historique et théolo- gique, la Réforme du xv1•· siècl.e est une réponse à cette situation insoluble. Malgré l'interprétation' insuffisante qu'elle donne d'elle-même dans sa polémique contre le monachisme, la Réforme reprend, dans sa conception nouvelle de la foi, le déf! de la

1. Augustin, Jean Ciimaque, Benoît, Thomas d'Aquin, Luther, Pascal, Kierkegaard ...

. vie de l'ex-cès à laquelle ne. suffit aucun effort, aucune entreprise qui appartient à ce. monde. Cet~e ouverture d'horizon se·

concentre - selon cette 4léologie - dans la rencontre entre la promesse divine et la foi qui, de son côté, n'arrive à aucune fin et qui justement, de cette !manière, est proche de celui qui l'appelle infiniment.

Il est·impossible.de tracer ici une esquisse de l'histoire du mot << spiritualité >>, mê!-Jle approximative. Et ce n'est pas le but. Un moment de cette histoire assez proche de nous est cependant particulièrement intéressant : le début du xx• sjècle. C'est à ce moment que. le terme << spiritualité >>

s'établit comme terme technique. À cette·

évolution a contribué notamment la créa- tion des ouvrages consacrés explicitement à la thématique : le Manuel de spiritualité d'Auguste Saudreau (1917)2; l'histoire de La Spiritualité chrétienne de Pierre Pourrat . (premier volume, 1918) ; la Revue d'ascétique et mystique (1920), le Dictionnaz're de spiritua- lité a$cétique et mystique (1932 s.).

'La consolidation du terme << spiritualité >>

qui jusque-là, malgré ses usages multiples, fut toüjours d'une certaine mànière non évidente (comme s'il surgissait chaque fois à nouveau), la consolidation donc de ce terme en tant que terminus technicus n'est pas sans arribigu'{té. Avant l'établisse- . ment du concept, le lien avec les données

vivantes - << vie spirituelle >>, << expérience spirituelle >>, << réalités spirituelles >> - était toujours audible ; une fois le terme devenu

<< technique >>, facilement maniable, il n'est pas certain qu'il couvre encore la vivacité, la diversité, la précarité d'une attitude de vie qui sort hors du commun, et qui se laisse saisir par une revendication, un appel dépassant les coordonnées, les schémas, les évidences, les assurances de la vie dans ce

2. Voir A. SouoNAc, art. « Spiritualité o, Dictionnaire de spiritualité, col. 1149 .

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monde. D'ailleurs, s'agit-il vraiment seule- ment d'une << attitude de vie >>, et non pas de tout autre chose/de la présence d'une

·dimension, d'une spbère, d'une réalité qui dépasse toute disposition humaine pour justement la réClamer, ma."is la réclamer au-delà de ses compétences, de ses capa- cités et de ses disponibilités ? Présence de

·la réalité de la révélation divine au sein de ce monde - et qui demande une réponse humaine ? Est-ce que la technicité du terme (aussi pratique soit-il) parle encore de la rencontre entre Dieu.et le monde, entre la présence divine au sein du monde et la réponse que l'homme est appelé à donner ? Quoi qu'il en soit, la maniabilité du terme atteint un apogée, un paroxysme, avec son inflation dans la deuxième moitié du xx• siècle et notamment son usage au pluriel. << Spiritualité >>, compris comme singulier du pluriel << spiritualités >>, indique maintenant une préférence personnelle _:_.

basée sur des ·données diverses et variées : · culture, formation~ sexe, inclinations indi- viduelles et sociales ... -.par rapport à une proposition religieuse large, vaste et confuse, et qui est destinée à équilibrer une in-satis- faction fondamentale concernant la vie : la vie brute, nue, matérieHe et livrée à sa propre finitude. ·

La diversification des types de spiritua- lités n'est pas un phénomène nouveau.

Avec l'évolution des ordr.es monastiques, on distingue des << spiritualités >> bénédic- tine, dominicaine, franciscaine, ignacienne, etc. Cette diversification s'est renforcée- et répandue de manière précipitée durant les dernières décemi.ies. Il est impossible d'énumérer ces diver:ses << spiritualités >>.

Celles-ci s'appliquent à des contextes, des mouvements, des orientations et prises de conscience variés. Spiritualités bouddhistes, soufies, cathoiiques, calvinistes, New Age, .. ; spiritualité de la pauvreté (ou des pauvres), spiritualité de la libération ; spiritualité des

SPIRITUALITÉ(S)

laïcs, des femmes, des différents âges, de la modernité, de Taizé, de tel .ou tel cantique._ ..

Chaque orientation dans laquelle la vie humaine peut prendre forme (ou peut se donner une forme) se prête selon l'allure de ses << protagonistes >> à une spiritualité qui lui soit propre. Une sorte de relj!~iosité

personnelle et personnalisée (souvent liée à une vie en groupe) prend le dessus, et marque pendant un certain temps l'orien- tation d'une vie. Il serait naïf de mépriser ces nouvelle~ formes. En elles s'expriment un vrai besoin et de temps en temps- peut- -être- même un vrai désir : la recherche d'un

·sens << immatériel >> de la vie, l'ouverture à une dimension qui dépasse la platitude du quotidien avec ses petits succès et ses petites déceptions, en un mot : une tentative de se positionner par rapport à la finitude de la vie dont la conscience éclate ponctuellement même dans les vies res plus sûres d'elles.

Le soupçon qu'on pourrait avoir se laisse formuler ainsi : ces spiritualités bien adap- tées à leurs contextes, à leurs situations~ .. ne sont-elles pas trop bien adaptées aux besoins qui les produisent? Ne sont-elles pas deve- nues un ajoùt à une situation déjà existante et reposant en elle-même (en sa propre·

identité) ; ne sont-elles pas maniables, faites sur mesure, gérables ... ? En d'autres termes, sorit-elles èncore <' spiritualité >> dans le sens signifié par le caractère hors norme (toujours un peu dérangeant et surprenant) du mot : un mode de vie tout autre, une vie dans le détachement, dans l'exigence extrême, presque invivable dans sa distance à la vie naturelle· et néanmoins forme de vie -forme de vie paradoxale alors,· dé-posses- sion plutôt qu'appropriation et adaptation?

<' Spiritualité >> donc forcément au singulier ; à jamais différent de nous, autre que chaque mode de-vie ... ;<' autre>> parce que la vie ne peut plus jamais se contenter de sa propre évidence et de celle du monde, si Dieu la rencontre, s'il éntre en elle.

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(

SPIRITUALITÉ(S)

À la recherche· des ~atégories ceux qui s'y engagent. Elle est donc un défi

~umain. D'un autre côté, elle ne peut pas Non seulement les << phénomènes->> de etre seulement un ajout supplémentaire à spiritualité, dans leur diversité et leur cliver- une vie vécue comme avant, une vie vécue sification toujours croissantes, sont difficiles comme << tout le monde >> la

v~t.

Elle est plus à_

~irconscrire

(nous pensons aux << religio- que cela, elle dépasse cette circonscription s1te_s >> de toutes sortes qui voient le jour), et cette intégration bien limitées. Et elle ne mms aussUa << spiritualité >> au singulier qui les dépasse pas seulement de façon statique.

sort de ces cadres et qui doit nous intéres- Le défi de la vie selon l'Esprit une fois arrivé, ser avant tout. Le caractère spécifique et connu,~~ goûté>>, assumé: .. ne fait que s'ac-

a~tifi~iel

du mot laisse comprend:r;e qu'en '2roître au fur et à mesure qu'on s'ouvre à lui.

vente la<< chose>> dont il parle n'existe pas. A vrai dire, ce défi ou, en d'autres termes, Ou n'existe pàs de manière évidente. La cette ouverture ne connaissent pas de fin.

(< spiritualité >>, la (< vie spirituelle )) ne sont

o-q

voudrait-::elle d'ailleurs, cette vie, trouver pas -acquises coll).me les phénomènes de ce

s~ ~n,

s?n but? En Dieu peut-être. En effet;

monde. Si elles doivent exister. néanmoins mais D1eu-

est~ce

un but, une fin ? et des critères. ·

~Jles

<< existent>> à çause d'un effort

parti~u~

Revenons cependant à _la question du

h~r

ou d'une g_râce particulière. On peut le critèr:e. Nous avons vu le dilemme entre le d1re autrement : là où la spiritualité carac- normal et l'a:-normal, entre l'ordinaire et térise une vie de manière fondamentale l'extra-ordinaire. La'vie spirituelle est l'ex- . là où elle se donne comme fruit d'un élési; tra:-ordinaire au sein de l'ordimtire, l'ex-cès

infini et de la grâce divine, là où elle est au sein du quotidien : tout le défi est en effet donc présente de manière insaisissable et là :,Comment l'extra-ordinaire, comment non me:mrable, elle l'est toujours à travers

l'in~ni peuvent-~ls

:devenir une partie de un combat avec son absence. Ce combat ne . la v1e, comment peuvent-ils trouver une se

term~ne d'~illeurs

jamais. Ainsi celui qui forme,_ leur

~orme

au

~ilieu

de la diversité est attemt par la << dimension >> spirituelle _

e~

la

~tsperston

de la VIe ? Trouver pour la pose-t-il inévitablement (impitoyablement) vte qm s'ouvre à l'infini une forme! Trouver et sans cesse la question de savoir si elle est la

~or_me

d'une vie qui répond à un appel vraiment là, suffisamment là. · · qm VIent de;: plus loin que les attentes que

· Le fait que la <<spiritualité>>- et justement

no~s

A portons géjà avec nous; La réponse là où .elle est spiritualité.- est toujours à la do tt erre donnée par chaque être humain à recherche de son authenticité et de sa ·réalité, ·

~

sa >> façon. Mais là où nous réfléchissons c'est-à-dire d'une vie spirituelle encore a l'enJeu, au,paradoxe, à l'excès de cette plus vr,aie, plus conséquente, plus pïeuse, forme. (de cet excès

e~

tant que forme

e~

de se reflete dans la difficulté méthodique cette f~r~e en t.ant q~ excès), nous sommes

d~

la

r~cherche ~~un

point de repère pour

renvoy~s

a

de~

v1es 9-m se

sou~ettent

explici-

derermmer ce qm.la caractérise. Où existe- temem a un deQ qu1 ne conna1t et n'accepte t-il titi modèle, un schéma, un exemple pas des limites. Pas des limites au défi en' de la spiritualité ? Où trouvons-nous des tout cas. Ces vies sont des vies monacales. _ critères, des mesures pour·la penser? Car Nous les prenons donc comme critère, la vie ~pirituelle ne peut pas être réservée à'. comme mesure de notre tentative de rappro- quelques spécialistes (spécialistes en affaires chement - tout en sachant que dans un divines, célestes ... ), elle doit concerner tous double sens, nous ne pouvons pas nous contenter d'elles :_ a) parce qu'elles-mêmes ~e

1904

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se contentent pas (jamais) d'elles-mêmes ; b) parce qu'elles ne valent pas seulement pour elles-mêmes : n'est-ce pas en elles qu'une revendication, qu'une ouverture, une radicalisation toujours plus grande de ce qu'.est l'existence humaine (humaine et non seulement monacale) se laisse deviner?

Une caractéristique principale de la « vie spirituelle » ?

Quelle est la caractéristique principale de la vie spirituelle, si l'on prend comme orientation la forme explicite et rigoureuse qu'elle se trouve, qu'elle se donne dans la vie monacale ? On peut énumérer des éléments divt;rs qui lui << appartiennent 1> : la prière, la chasteté, la pauvreté, la communauté, la solitude aussi, la tentation, l'attente de la vie éternelle, l'amour, la paix ; le combat. Le dernier sort un peu de l'<< énumération 1> des·

autres éléments car il es·t présent partout : dans' la prière, dans la chasteté, dans la solitude, dans la tentation, dans l'amour et même cians la paix. Combat ! ·

Combat- avec quoi? Avec les puissances, les séductions du p1onde (de la<< chair 1>, du pouvoir, de l'ambition, de la supériorité, de la beauté extérieure, des distractions ... ).

Mais est-ce tm,J.t ? N'y a-t-il pas un autre combat encore ? Au sein de << tout cela ))' au fond d~ << tout cela

»

le combat ayec la fini.:

tude (avec le temps- toujours trop court, et parfois même trop long), avec la résigna~

tion, avec l'absence du sens, avec la mort, la mortalité, avec cette finitude qui touche tout : la peau, les cheveux, les décisions, · les amours (et les amants), les attentes,

"les espoirs, les angoisses. Et combat, dans

<<tout cela>>, toujours avec soi-même, comme appartenant à ce monde, à cette finitude, à ces finitudes - mais pas totalement. Ce

<< pas totalement >> est la naissance de la vie spirituelle. Un décalage, une fente, une fissure. La vie est ce qu'elle est, et en même

SPIRlTUALITÉ(S)

temps elle ne l'est pas. Il y a des techniques pour s'imaginer que la vie serait tout, serait évidente :'les distractions, les illusions, les arrangements de<< tout le monde 1>. L'idolâ- trie de la jeunesse, de la beauté, du succès ; le progrès, la croissance ; les enfants et les petits-enfants (cela va continuer;:.), l'idée que la vie éternelle équilibrera tout; l'igno- rance de la souffrance. Et les mensonges :

<< la mort fait partie de la vie ! >> ....

La

vie spirituelle (nous en parlons comme si elle existait telle quelle, mais elle n'existe pas telle quelle, déjà faite, déjà prête ; ·elle veut être vécue ... ) est au forid un renon:..

cement à ces arrangements, à tout arran- gement. Une sorte d'honnêteté, honnêteté cependant qui n'est pas seulement le fruit d'une décision, mais l'<< acquis >> de toute une vie. Car on ne choisit pas simplement entre la malhonnêteté et l'honnêteté (qui, du coup, ne choisirait pas l'honnêteté ?), comme si les deux se trouvaient devant nous

· sur un même ~iveau ; non, cette honnêteté veut être conquise dans une lutte qui dure toute une vie et qui est la hitte-dans la vie:...

avec et contre la vie et les fausses évidences dont elle est inséparable. Car la vie n'est pas évidente. La vie spirituelle est donc le . processus - à jamais inachevé -d'accepter,.

d'~ssumer, de vivre çette vie, cette vie non évidente, ·cette vie trop ~ompliquée ; cette vie que nous n'avons jamais dans sa forme

!mre. Pourquoi pas ? Parce que nous l'avons toujours dans son appartenance à nous, et nousl'avons toujours dans son temps, dans sa temporalité. C'est lui -le temps- qui e$t sa réalité et sa réalisation. Et le temps n'est jamais pur.

On a souvent rapproché la spiritualité, la vie· spirituelle, de la pureté. La vie du monde serait une vie forcément touchée par l'impu- 'reté, par le comprop1is, par les s.éductions, par les fautes ... La vie spirituelle cependant·

serait- au moins -le rapprochement de hi vie pure. Or, est-ce vrai? N'est-ce pas plutôt le

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\.

SPIRITUALITÉ(S)

contraire (ou, au moins, aussi le contraire) :. · tout, n'est pas simplement donné. D'une .Ja .(( spiritualité )) est la reconnaissance, la certaine manière, ((le monde)) n'existe pas.

reconnaissance en forme de vie du fait, du Nous sommes impliqués, empêtrés dans de choc, d~ scandale, de l'étonnement, .. que multiples contextes, contraintes, exigences~

la vie Jmmaine n'est jamais pure. Repousse- attraits, souCis, plaisirs, angoisses ... Mais ment de l'idée d'une vie pure qui, elle, serait, est-ce que tout cela forme uri ensemble, un

~ien sûr (on est vite d'accord), trop lourde, <<tout>>? Et si c'était un tout, comment un trop exigeante, mais qui existerait quelque . · àutre du tout, un au-delà du tout existerait- part, à part. Du coup, le fait que << cela >> il ? La vie spirituelle est 1~ pari qu'un autre existe ou devrait exister et que << cela >> est du <<tout>> existe; et le tout(<< le monde>>) trop exigeant (ou tout simplement. trop) pour est ainsi à la fois le résultat et le présupposé nous, nous laisse la liberté de faire avec ... , de. de cette dimension autre. Le << tout >>, en nous arranger avec les ambiguïtés, avec les tant que t.out, existe, commence à exister compromis ... Refus donc de cette idéalisa- ·dans la prise de distance par rapport à. lui.

tion qui est en même temps une résignation. Comme le tetine ho kosmos dans l'évangile Non; la vie dans sa pureté n'existe pas- et selon Jean, dans sa prétention à !;exclusivité, c'est justement cela qui veut être assume. à l'omniprésence, est à la fois l'arrière-fond, Assumé dans le tenip:>. Car le grand défi est le contraste et l'opposition au logos, à la révé- le"temps. Le temps qui est le nôtre et pas le lation, à Dieu, à \a venue Çle Dieu -.au monde.

nôtre en même temps. D'où le défiacèitrett!, · ·Le détachement du monde fait surgir le

·le dé-centrement qui est·à l'origine de toute monde comme un ensemble, comme une vie spirituelle ! totalité qui ne laisse aucune place en dehors Nous avons posé la ·question de savoir: y de lui. Mais ce détachement se détache, se a-t-il en elle, pour elle, une caractéristique libère en vue d'un tel dehors, pour le récla- fondamentale? Nous en avons mentionné mer, pour croire à lui, et pour en faire le

quelque~ .éléments. Y aurait-il un qénomi- fqndement, le style;!, la forme et le sens de nateur commun qui rassemble ~es différents toute une vie. Catégorie, du << sens >> qui subit éléments, les différentes concrétisations de donc elle-même une transformation, une la vie spirituelie (les horaires, le rythme, la rétraGtation, une révolution et urie négation:

prière, la chasteté, l'honnêteté ... ) ? Une Car n'était-elle pas liée justement au monde, réponse possible est: la vie spirituelie·est une ·à son emprise, à son attrait, à sa logique?

vie de détachement du monae. Ce détache- · La vie spirituelle serait donc inséparable ment n'est pas évident- pour beaucoup de d!un éclatement de catégories et de ·sché- raisons ; parmi elles pour une toute simple': mas. Sens, monde, tout ... Plus rien ne serait

· comment veut-on se détacher du monde ? ce qu'il était auparavant. Éclatement non N'est-il pas tout ? Le mot << monde >> n'in- dans la théorie, mais dàns.la vie, dans le clique-t-il. pas justement ce << tout >>, cette vécu de la vie. Une vie vécue en vue et au totalité: tout l'horizon, toute la perspective; sèin d'un tel éclatement. Nous-l'avons Vu : ·

toute la promesse et l'accomplissement <<le monde >> (la catégorie du monde en tant en même temps. Comment peut-on alors. que· tout, en tant que ce qui prétend être même concevoir l'idée d'un détachement, tout) surgit en même temps que la distan-

d'~ne sortie par rapport à lui ? · ciati.on par rapport à lui. Où y aurait-il

A

cette première raison s'ajoute une donc un fondement, une ·base d'une telle autre (qui semble la contredire, mais qui distanciation, d'un tet' détachement? C'es.t au fond la COI?-firme) :<<le monde>> qui est une des questions fondamentales de la vie

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spirituelle. Ou plutôt sa question fonda- mentale. La réponse est surprenante, voire choquante : elle n'a pas Ùne base préétablie en dehors d'elle·. Elle commence- d'une 'certaine manière - avec èlle~même. ·Ce qui est d'autant plus intéressant qu'elle ne s'in- téresse pas, qu'elle s'intéresse le moins du monde à elle-même.

Mor·ale et vie spirituelle.

Il n'y a cependant pas seulement d'un côté-le détachement du monde (aussi diffi- . cile soit-il de le concevoir et de le vivre),

et de l'autre côté l'appartenance à lui : les arrangements, les compromis, les séduc- tions. N'y a-t-il pas- d'une certaine mànière entre les deux - la morale, l'éthique, les vertus ... ? Au milieu du monde et <1 pour >>

le monde, un comportement qui accepte son impact, mais qui ne succombe pas à son emprise, Un <1 faire avec >> dans le meilleurs sens du terme : un comportement bon, une vie bonne.' .. Une vie au milieu du monde, mais dans une ·certaine indépendance par rapport à lui : dans la liberté, dans la respon- sabilité, dans la possibilité de faire bien. Et du coup, au sein du ·monde et de ses ambi- guïtés: des valeurs, des·critères, un comporte- ment incité ét voulu par Dieu ... Est-ce déjà la vie spirituelle ? Vue de l'extérieur, it' lui manque deux choses : d'.un 'côté toute la dimension de la prière (de la méditatiO"n, de la louange ... ) comme composante déter- minante de la vie quotidienne ; d'un autre côté un plus, un surplus. On a souvent inter- prété ce <1 surplus >> comme un degré plus haut de la morale : la chasteté, la pauvreté, l'obéissance sans'conditions ... Il me semble que c'est ul'} malentendu. L'idée d'une supériorité, d'une ·hiérarchie des formes de vie a·ppartient ·elle-même aux schémas

du <1 monde >>. La vie spirituelle cependant

ne se situe pas au-dessus d'autres formes de vie. Et si l'image -de l'échelle apparaît

SPIRITUALITÉ(S)

dans 'la littérature monacale, elle est intro- duite dans un sens subversif qui justement fait basculer le désir de supériorité quï:

semble inhérent à toute hiérarchie1Non, la vie spirituelle n'a pas sa plac\! au-dessus ...

Comment alors décrire le rapport entre une vie éthique et· une vie spirituelle ? . La vie éthique (ou morale) établit entre elle et les . défis- ou aussi les emprises ;_ qu monde une distance pour pouvoir intervenir. de faÇon indépendante pour le bien·du monde ; la vie spirituelle prend une distance encore plus radicale par rapport au monde parce qu'elle · est indissolublement impliquée en elle. Ni la forme de distance, ni Pidée du <1 monde >>

ne sont, dans les deux cas, les mêmes. Pour l'éthique, ·le monde est le champ, l'hori- zon, d'une certaine manière la (1 mati.ère l) de s·on action. Pour pouvoir agir, œuvrer, . elle a besoin d'une distance qui est possible grâce à la resp.onsabi}ité, à la bonne volonté et à des normes et valeurs qui dépassent les évidences de la vie mondaine (le succès, le plaisir, la .concurrence, le pouvoir ... ). Pour la vie spirituelle le monde est une puissance et plus on essaie de ne pas appartenir exclu- sivement à elle, plus cette puissance mol:,i- lise ses forces pour m'ontrer et démontrer qu'en dehors d'elle aucune réalité n'existe,

aucun horizon ne s'ouvre. ·

Pourquoi a,lors la <1 vie spirituelle >> serait- elle néc.essaire à côté de la vie morale ? Deux réponses se recommandent, qui d'ailleurs se complètent mutilellement : a) la 'prise du monde sur nous, le pouvoir d1,1 monde sur nos existences sont plus 'forts, plus puissants qu'une éthique philosophique et théologique ne le devine; et b) une distance par rapport à ce monde se dégage,· qui est plus -grande, plus radicale, plus ouverte

1. Voir l'échelle de « l'humilitê » dans La Règle de saint Benoît, chap. 7 ; ou « !~échelle de l'ascension divine » chez Jean Climaque.

(11)

[-(~ .-<ft CR./k q-~/-.'pVL

SPIRITUALITÉ( S)

qu'aucune morale ne l'imaginerait. La vie spirituelle est le pari de cette distance.

Une définition.

·Sur le fond de ce qui vient d'être déve- loppé, essayons de donner une définition.

D'après les réflexions précédentes, celle- ci doit prendre en considération certains enjeux et éviter certains raccourcis possibles.

Un peu schématiquement on pourrait dire

~est censée remplir au moins quatre conditions : ,

a) Elle né doit pas céder à la tentation de concevoir la spiritualité chrétienne comme un degré plus haut d'une piété générale, une sorte de perfection de la vie croyante et vertueuse du chrétien lambda : un surplus, un rajout, une couche élevée. (Ou, en d'autres termes, le domaine de quelques techniciens dans la matière.) ·

b) Elle doit garder et même formuler un lien avec ce qui caractérise le processus d'exister de chaque être humain.

c) Elle doit- malgré ce lien et à cause de ce lien- rendre compte d'une radicalisation inhérente à la vie spirituelle là où celle-ci a commencé à exercer sa puissance précaire,

son ouverture, son appel. ·

d) Elle doit être suffisamment large pour

<<englober 1> une certaine diversité de formes de spiritualité, et suffisamment étroite pour écarter (ou au moins. pour mettre en garde contre) des abus du terme qui l'adapte- raient à chaque aspiration quelque peu ambitieuse (dépassant les platitudes de la vie quotidienne). ·

Qu'est-ce donc que la <1 spiritualité 1>, si on voulait formuler son ·<1 sens 1> en une phrase ? Je propose : La spiritualité est la sortt'e de l'homme de sa propre autosuffisance.

·Comme on le voit, cette définition s'engage dans deux perspectives : 1) Elle çoncerne toute l'existence humaine, et 2) elle ouvre un horizon infini. Horizon infini

pourtant - et c'est là que <1 repose 1> le moment de radicalisation - qui dépend de l'engagement dans lequel cette spiritualité est accueillie, Elle se laisse donc accueillir, elle arrive; mais elle n'arrive pas sans l'impli- cation de celui qui est pris par elle. Notre engagement par rapport à elle est un· être- saisi, et cependant la façon et le degré de l'être-saisi dépendent (même au-delà de nos dispositions) de quelque chose comme de notre effort. <1 Effort 1> -mot presque bizarre dans ce contexte car il est là pour laisser apparaître les fissures en lui, les. rupturès, presque son effondrement face au défi de la dimension à laquelle il se voit confronté.·

<1 Effort 1> - oui et non ; engagement - oui et non ; <1 être saisi 1> - oui, mais pas seule- ment ; événement qui arrive au-delà de nos dispositions - oui et non... On voit : les catégories ne sont pas ici toutes prêtes, elles bougent, elles se mettent en question, elles se découvrent, elles deviennent presque .fluides.

Mais quel est le sens de cette définitiop ? Le sens est un départ, un départ cependant qui ne se réduit pas à un début, mals qui reste départ tout au long de sa route ; en d'autres termes qui n'aura jamais fini d;être départ ou (en d'autres termes encor~) qui.

n'aura jamais été suffisamment départ. A quoi tient cette structure particulière ? Apparem- ment au fait que le lieu d'où le départ a lieu ne laisse pas sans autre, ne laisse peut-être jamais totalement partir, sortir, éch~pper ; il retient, .il englobe, il fascine, il empêtre, il

enclôt... '

Quel est ce lieu ? D'après la définition : nous-mêmes. Plus précisément notre atti- tude par rapport à nous-mêmes. Et plus précisément encore : nous-mêmes qpi nous identifions à notre attitude par rapport à nous-mêmes. J'ai caractérisé cette attitude par le mot <1 autosuffisance 1>, contentement de nous avec nous-mêmes. Nous partons (tout le temps) de nous-mêmes et nous

(12)

(

revenops (tout le temps) à nous-mêmes.

C'est-à-dire: nous ne so'rtons pas vraiment de nous.

Si c'était une simple observation, elle serait fausse·. Car nous ne ·sommes pas vraiment contents de nous. ·Nous sommes plutôt << mécontents >> de nous. Chez nous, avec nous, auprès !fe nous nous ne sommes jamais arrivés ... Une inquiétude fondamen- tale nous pénètre. Du coup, nous partons ou voudrions partir sans cesse de nous.

Or .:._ et c'est là que la pure observation ne suffit pas - cette inquiétude, qui est à.

l'origine de chaque départ, nous enfonce encore pl:us en nous. Pu cercle que nous formoris entre nous et rious, nous n'arri- vons pas à sortir. Que pouv<;>ns-nous donc faire pour le s,upporter? Nous devons sans cesse et à. tout prix l'élargir. Autour de nous nous construisons, nou~ concevons .des cercles concentriques :· ils deviennent de plus en plus larges et ils tournent (de plus en plus) autour de nous, ils renvoient toujours à nous qui sommes leur origine.

Cercle de pouvoir, cercle d'influence, cercle de possessions, çercle de richesses, cerele d'amours ... Pour que nous puissions, dans.

leur centre, être le centre qui ne bouge pas, le et les diamètres de notre rayonnement doivent toujours s'agrandir. Élargissement et recentrement en même temps. Dans un pàragraphe précédent nous avions un mot pour cela:<< le monde>>,<< tout>>. Nous avons ici trouvé un ·autre mot : contentement de soi-même, autosuffisance, autosatisfaction.

y a-t-il quelque chose qui soit, à. ce propos, à propos de ce contentement, criti- quable ? Rien. Sauf peut-être une illusi6n, l'illusion de n,otre in-finitude, de notre

<< in-finité 1;, Sauf peut-être l'illusion d'un équilibre, équilibre entre ce qui ·est nous et ce qui n'est pas n'ous. Le cercle ! Les cercles concentriques ! Que ce soit équili- bré 1. <<Le monde 1>. <<Tout 1), <<La totale 1>.- Et la souffrance ? Et les cris ? Et l'amour ? ...

SPIRITUALITÉ(S)

Non, la vie n'est pas équilibrée. C'est là que commence la vie spirituelle, la spiri- tualité. Rupture, fissure, déséquilibre. La vie spirituelle n'est pas un:e vie aux anges, c'est une vi.e au sein des brisures, au sein des ruptures ; une vie qui admet, qui assume

· le déséquilibre qui est inséparaqle de la vie humaine. La souffrance, avons-nous dit, l'amour aussi, ou la culpabilité, le péché ...

i.e

renoncement.

Nous avons vu que face 'à l'autosuffisance à· laquelle l'être humain tend et dans laquelle il s'enferme (et non seulement face à l'auto- suffisance, mais au sein d'elle !) surgit une mise en question, surgissent des brisures, des fentes, des abîmes. En un mot : quelque chose d'irréparable, ùn déséquilibre qui ne s'intègre en :;tucun équilibre plus grand.

C'est la raison. pour laquelle les vertus, l'éthique, la morale ... ne suffisent pas. Y aurait-il cependant quelqtie autre chose. qui suffirait ? Probablement que non. Mais ce

<< non >> n'est pas la fin. Comment pourrait-il être la fin, s'il n'y

a

pas de fin ? Et cependant - sur un tout autr~ plan - il y a une fm ! La vie se termine, s.e terminera un jour ! Est-ce . que cela signifie pour autant que la question., le défi de la vie soient finis aussi ? Non ; justement la finitude de

b

vie (s.')ouvre à l'infini. À un enjeu infini. La vie spirituelle répond à cette ouverture. Comment ? Par . une attitude surprènante, une attitude qui réagit à sa manière à la séduction, à la tentation .de l'enfermement de la vie en elle- même, en sa propre finitude. Cette attitude . est le renoncem~nt.

Renoncer, << attitude 1> etrangère. Pour·

quoi 9-evrait.:on renoncer'?

On

a, bien sûr, trouvé des raisons - car on trouve toujours des raisons. On renonce à ceci pour acquérir ce1a. ·(Par exemple, on renonce au chocolat en faveur d'une certaine beauté du corps ou en faveur de la santé ... ) Renoncement

(13)

-{

[e f~ -VA.--('tv-.

f(

lDAA~

SPIRITUALITÉ(s)

bien intégré donc et bien raisonnable. Si le renoncement devient plus ràdical, il est plus difficilement intégrable. Renoncement aux séductions, aux tentations, aux dons du (< monde >>, à la ,richesse, à la propriété même, au mariage, aux enfants, aux plai- sirs de. toutes sortes, au bruit, aux paroles ...

<< Attitude >> donc difficile à intégrer et à·

argumenter.

Une explication supérficielle jusqu'à l'ex- trême serait de dire qu'il s'agit d'une sorte de masochisme. Superficielle à l'extrême parce que la s'eule catégorie qui compterait serait le plaisir - ici transformé, perverti en son con t'raire. Une explication presque aussi superficielle serait qu'il s'agit là d'une forme subtile de revenir sur soi-même. Non pas le

·plaisir direct, mais le plaisir, la fierté çl'avoir renoncé au plaisir ... Ces explications sont insipides.

Nous sommes donc-conduits, poussés à une a'\}tre compréhension. Peut-être que le renoncement a lieu en vue d'une libération, d'un retrait. Libération face aux complica- tions, séductions, dominations que la vie 'elle-même àpporte presque·(?) inévitable-

menL Ne pas succomber à l'emprise des puissances qui, abandonnées à leur propre dynamisme (ou à notre dyn!_lqlisme), deviennent de plus en plus fortes, fgfiRimt~AJ;

~. Est-ce que cela serait la << vie spiri- tuellé >> ? Un tel retrait? La thèse que j'aime- rais formuler va dans un autre sens. La vie spiritÙelle dans son sens fort est sous-esti- mée si elle est comprise comme fuite devant les complications de la vie humaine ; elle est plutôt une manière de les reconnaître, de les accepter et de les assumer. Le renonce- ment ne serait. donc pas un abri, mais une

· ouverture, 1,1ne honnêteté: Une distance par rapport au monde, oui, mais qui est en même temps sympathie. Sympatqie dans le sens profond du terme : se-laisser-impli- quer ; se-laisser-toucher ; se-laisser-ébran- ler ... , un souffrir-avec ... Souffrir-avec qui

ne serait pas possible dans l'identification sans reste avec le monde, car en elle les souf- frances, les iniquités et leurs raisons seraient

cachées sous la quotidienneté des plaisirs, des soucis, des ambitions, des compétitions.

La vie spirituelle est donc un lieu (on aurait presque envie de dite : un espace non. encore rempli) où arrivent, où peuvent arriver et doivent arriver le déséquilibre, les ruptures, · l'éclatement de l'autosuffisance du monde.

<<Arrivent et doivent arriver>> -le lieu est fait.

pour ... ! Un lieu autre.

La spiritualité : le fait, le miracle qu'il y ait (au sein du monde- car il s'agit toujours du <<.au sein de>> ... ) un lieu autre. Or ce lieu n'est pas un lieu; il est la durée~ les heures et les heures, les jours ·et les jours, les années et les années- .d'une vie; les décisions d'une vie ; le détachement d'une vie ; la consécra- tion-d'une vie ...

Il y a au moins un indice qui montre que 1a particularité de Ja vie spirituelle ne se laisse pas limiter au refuge, à la fuite, au . retrait : dans l'autocompréhension de la vie monacale la distance, la prise de distance .par rapport à la vie << naturelle >> et au << monde >>

fut toujours conçue non pas sous le signe du mépris, mais en faveur du monde. Un retour

· au monde donc, mais un retour autre. Toute fuite face au monde serait d'ailleurs en vain.

Comment pourrait-on s'enfuir du monde? Si le monde est le monde ?

Non,f~ce au pouvoir du monde, face à.sa totalité, à son emprise,

il

faut une force autre que la fuite! Il faut l'acte d'assumer pour s'en sortir. La vie spirituelle est ainsi un étrange mélange : implication et distance .en même temps. Le monde, oui ; mais - en même temps - l'autre du monde, non pas daris la fuite devant lui, mais dans sa reconnais- sance, dans son acceptation. L'h;Ypothèse que nous affirmons est que le renoncement sans utilité, sans application, le renoncement non pas en tant que moyen pour atteindre à autre chose, mais· comme formé de liberté

Î

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(

qui ne calcule pas, comme prise de distance qui ne se <( sauve >> pas, comme sympathie avec le monde - · to,ut en ne lui apparte- nant pas, est une· forme possible (peut-être la seule ?) d'une reconnaissance, qui ne devient jamais complicité .. Essayons de voir cela par rapport à trois moments de la vie monacale. Trois moments de la vie mona- cale qui reflètent des· enjeux_ de l'existence

·humaine sur terre.

Trois défis de la vie monacale, trois ' dimensions de la.« spiritualité ».

Le choix de ces trois·<( moments >> peut sembler arbitraire. Ce qui justifie en l'occur- rence ce choix est d'un côté l'orientation et la pratique de la vie monacale : une vie

·dans la. pauvreté, dans la chasteté et dans la prière ; et d'un autre côté un prdfond, un irréparable déséquilibre que le monde

·contient et cache en même temps, et que la vie monacale sè refuse à cacher de son côté.

La où <( le monde >> refoule, la vie monacale

~econna~t, assume.

La pauvreté.

Une vie dans (( la pauvreté >> est un des .vœux du moine. Acte par. excellence du détachement du monde car la richesse, les richesses engendrent le désir de richesses encore plus grandes. Or, n'y aurait-il pas un état intermédiaire: ni l'excès de la pauvr~té ni celui de .la richesse, mais des moyens pour vivre sans peur et sans désirs, dans une certaine modestie sans e}!:cès ? La vie monacale n'y croit guère. PourquÇ>i ? Parce qu'elle est trop impressionnée par le dyna- misme que la richesse -la volonté de possé- der - produit : dynamisme d;un toujours plÙs, d'une faim insatiable, et qui dans ce mouvement, dans cette emprise (cet envoû- tement) devient l'expression par excellence d'un enfermement, de l'enfermement du.

monde en lui-même- et de l'homme en

SPIRITUAliTÉ( S)

lui. Pour sortir de là~ il faut Ùn.acte presque violent de faire autrement. ·

Mais est-ce tout : cet échappement au cercle~ aux cercles ? Être pauvre pour ne pas êtrè riche et perdu dans ses richesses? Non, il y a autre chose encore - au sein du monde, au milieu de lui : le scandale de la pauvreté:;

·Le moine, comme chaque être humain, mais p'eut-être plus conscient que les autres, est confronté à ce scandale. Face à ce scan- dale plusieurs attitudes sont possibles : a) la résignation c<( c'est. comme ça ; en tout cas on n'y peut rien faire ... >>); b) le soutien ici et là (les aumônes ... ) ;'c).la révolution (l'effort radical de changer les situations

· politiques et sociales; pour qu'un jour un meilleur monde, un monde plus juste, un monde sans pauvreté apparaisse ... ). La vie monacale diffère de ces trois options.- Par quoi ?.Par la reconnaissance sans réserve.du . scandale de la pauvreté. Ni l'ignorance ou arrogance, ni la résignation, ni la consola- · ti on, ni: la transformation en action, mais la prise en compte, la reconnai~sance du scan- dale de la pauvreté. Comment ? Par le fait de le partager. Est-ce une solution (Non!

Vivre aussi en pauvreté n'~st pas une solu-

ti~m,'plutôt-dans un défi, un appel sans fin et sans retour - la reconnaissance qu'il n'y·

·!1 pas de solution. .

Le moine prend sur lui, la moniale prend sur elle.

A

première vue cela ~e change rien, Les pauvres sont.:.ils, grâce à ce partage, pour autant moins seuls ? Ce n'est même pas sûr. Mais une chose surgit peut-être: la loi du monde -la loi d'un<( toujours plus>> et d'un cercle qui se referme sur lui-même au prix de l'exclusion de ceux qui n'y entrent pas - la loi du monde, la loi mondaine, la loi de la totalité est pour un moment, à cet endroit,_à ce lieu (qui n'en est pas un, mais une vie !) rompue, brisée. Le moine {la nonne) prend sur lui... Sa vie est cette action qui est en même temps une passion : un souffrir-ave·c ...

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SPIRITUAUTÉ(S)

La chasteté. blessé (et la blessure même est le désir) ; un

Le <' monde >> n'est pas plat, lisse. Il déséquilibre et- non pas dans le sens juri- comporte des dynamismes, envoûtements, dique1 ni dans le sens de la bienveillance, dominations, tentations, abîmes. Ce qu'on qui règnent partout aujourd'hui, mais dans appelle - pour faire simple, pour faire · un sens quasi ontologique car cel~ concérne pratiqùe -la<' sexualité>> est une des réali- l'être (quoid'autre d'ailleurs?) ..:.une inéga- tés primordiales de ce côté du <' monde >>. lité. C'est presque comme si l'inégalité, la Est-il possible ·de s'çh abstenir, de garder différence entre les sexes - et l'attrait, la son in·noce·nce par rapport~ cette emprise? séduction, la· promesse, le désir qui vont

·Notre temps a promu des théories et des avec- ne seraient qu'une exemplification, attitudes extrêmement pragmatiques à ce une actualisation, une réalisation de cette

<1 sujet>>. La sexualité ferait partie de la nature inégalité au fond de l'être.

humaine, au fond elle ser:ait naturell.e ; Or, est-ce que nous ne nous perdons pas en tonalité chrétienne : Dieu aurait créé dans une. théorie sur l'éros (sur la sphère, la l'homme avec sa sexu:;tlité, il aurait voulu . ·puissance érotique- toutes des express~ ons qu'il (l'homme) et elle (la femme) la vivent.· approximatives) au sein d'une réflexion sur Pourquoi pas d'ailleurs ? ! Mais ce genre de la spirituillité ? À vrai dire, c'est inévitable.

réflexions ne touche même pas laprobléma- Sans l'éros- désir touché par l'infmi, bles- tique. Pourquoi la sexualité devrait-elle être sure d'inégalité au fond de l'être -il n'y aussi plate que les techniques que l'homme aurait ni beso.in, ni place, t1i 1< nécessité >>

a i~ventées pour croire que sa vie soit aussi .de spiritualité. Ainsi la chasteté n'est-elle lisse que les écrans devant lesquels il passe pas seulement renoncement .aux plaisirs, ses jol,lrS et nuits ? . aux bonhe11rs,

aux

accomplissements - aux Serait-il vrai qu'entre l'homme ét la soucis aussi- de la vie sexuelle (cela serait femme et l'éros ne se joue rien que ce à quoi un jeu d'enfant; d'adolescent), p1ais beau- la nature nous a destinés ? La psychana- coup plus· profondé.ment, ·beaucoup plus lyse est ambiguë à cet égard car d'un côté sêrie·usement reconnaissance du déséqui- elle a reconnu et mis en ava.nt que dan·~ libre (à jamais irréparable) au sein de l'être;

. l'existence humaine il y a des impacts qui éclatement, effondrement de la totalité et de dépassent le règne (la gestion) d'un être l'illusion qui en rêve. ~

qui se croit maîtr~ de lui-même ; d'un Cette reconnaissance est autre chose autre côté elle a promu une terminologie qu'un acte théorique ; elle est à durée de biologique et souvent mécanique qui de vie; elle.est vécue, elle est- spirituelle. En nouveau restreint et enferme des puissances d'autres termes, elle est un acte d'assu- par rapport auxquelles l'ho~me moderne mer. Mais comment peut-on assumer un a perdu toute ouverture, toute sensibilité. déséquilibre irréparable, une inégalité, une .L'éros est en effet tout autre chose qu'une in-justice (c'est là que nous avon!\ reconnu donne biologique ou une technique pour la l'origine du désir) à jamais. << irrécompen- . multiplication des plaisirs. Les anciens le sable>>. C'est,le défi de la chasteté.

prenaient pour un dieu, un dieu redoutable Non pas se retirer pour ne pas être d'ailleurs. Cela nous rappelle qu'à côté du touchés, ébranlé, atteints, mais prendre plaisir, du bonheur~ de l'extase, il y a. autre distance, renoncer parce que nous sommes chose qui est en jeu ici. Le· mot ex-stase

l'indique déjà : uri éx-cès, une faim insa,-

tiable, un désir qui est touché' par l'infini, 1. Cela arrive beaucoup plus tard, en tant que tenta- tive de compensation, de réparation. · ·

l

(16)

dedans, parce que nous en faisons partie, parce que la vie n'est pas juste, pas égale, parce que le rapport entre les êtres humains n'est pas équilibré, n'est pas arrivé à sa fin.

On a essayé d'exprimer ce défi et l'enga- gement qui y répond en des termes tout autres : celui (ou celle) qui prend sur lui la vie dans la chasteté devient, en renonçant à l'amour<< charnel 1>, libre pour un tout autre amour -l'amour de Dieu. Cette idée-risque d'être un vœu pieux·. Comme si les formes, les types d'amqur étaient interchangeables ! Non, on n'échange pas l'amour. Et néan- moins· un amour inattendu peut surgir où l'amour qui veut toujours le <c tout 1> se retire, renonce à soi-même, renonce à la beauté, renonce à l'accomplissement pour se tour- ner (peut-être même sans le:; vouloir) vers cè qui est inférie'ur, l~id, plein· de souffrance.

La nuit.

Il y a un autre déséquilibre, une autr~

différence fondamentale que nous devons

· prendre en considération : la dia-stase entre · jour et nuit. Elle est évidente et elle est, dans un sens littéral, .la chose la plus ordinaire, elle revient tous les jours. On sait d'ailleurs d'où elle vient: des mouvements de la terre par rapport au soleil. Sans cela, aucune vie n'auqlit lieu sur la terre. D'un autre côté~ la vie sm la. terre et la vie humaine en particu- lier se sont arrangées avec cette différence ; c'est comme si, elle était faite << exprès 1> :

durant la nuit on dort, durant la journée on fait ceci ou cela. La différence -la dia-stase -entre nuit et jour est ainsi intégrée dans un ensemble· plus grand : la quotidienneté de la vie. Tout ce qu'il pourrait y avoir d'étonnant, d'ébranlant e·st alors atténuê.

L'être humain a de plus inventé des moyens, des techniques pour circonscrire et endiguer une éventuelle inquiétude, un éventuel éclatement. La nuit n'est plus ce qu'elle était ; notamment sa caracté- ristique la plus forte, son point <c le plus .

SPIRITUALITÉ( S)

fort 1> - l'obscurité -, est chassé partout où l'homme s'installe : dans nos maisons, dans nos villes et villages, et même ailleurs.

Ce qu'il pourrait y avoir comme car~ctère

hostile, au moins opposé, de la nuit par rapport au jour n'est presque plus 'perce- vable. C'est comme si jour et nuit se trou- vaient sur un pied égal. L'une passe, l'autre arrive ; l'un se termin~, l'autre commence.

Et cependant : est-ce tout ?

N'y a-t-il pas des·cauchemàrs des enfants,, les insomnies des adultes, le royaume des rêves non maîtrisables, la soiitude, la dimen- . sion symbolique et la dimension réelle de l'obscur? Non, la nuit n'.est pas seulement le côté complémentaire du jour; elle esten même temps son opposé, son contraire, sa mise en question, son ébranlement, en un mot: l'autre du jour. Qu'il y ait un autre du jour, cela nous surprend, cela nous irrite, cela nous assaille. Comme si tout à coup nous n'étions plus les maîtres, mais la proie.

L'image va pe:ut-être trop loin ; l'attaque est plus subtile ; là où il y avait maîtrise, il y a son contraire. Les distinctions claires, les évidences, les arguments, lés raisons,_

les raisons d'être ne fonctionnent plus. Et même l'idée de fonctionnement se dissout.

~1 y a à sa· plae~ · aYWl s~gse, àifti~illi a iàeàti:Het. Privation, dépossession. Or déposses.sion non pas comme pure négati- vité, mais comme réalité. La nuit est là, elle vient, elle a. autant de poids que le jour, mais

· tout autrement. C'est la sphère des démons immaîtrisables, la sphère de l'irruption de la peur, la 'sphère dè l'annonce de la mort, de sa présence clandestine. La mort au milieu de la vie, la mort qui est la nôtre, et pas la nôtre en même temps.

Est-ce alors-pour rien, serait-ce alors un hasard que la vie .monacale quotidienne s'étend à la nuit et qu'elle fait tout pour s'étendre aussi loin? Cela ne va pas (il ne faut pas se tromper) sans une <c organisa- tion 1>, sans la mise en œuvre de tout un

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