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Article pp.105-120 du Vol.3 n°1 (2011)

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doi:10.3166/r2ie.3.105-120 © 2011 Lavoisier SAS. Tous droits réservés

Intelligence juridique et réputation de l’entreprise

Par Didier Danet

École Spéciale Militaire de Saint-Cyr IODE (UMR CNRS 6262 — Université Rennes 1)

Résumé

La réputation d’une entreprise procède de l’agrégation des perceptions ressenties par l’en- semble des parties prenantes, internes et externes, de l’entreprise. Dès lors, l’intelligence juridique invite à envisager l’espace judiciaire comme l’un des espaces possibles où se construisent les perceptions individuelles et sur lequel l’entreprise est susceptible d’inter- venir soit pour y faire trancher des litiges à son avantage (vision tactique) soit pour faire jouer le Droit comme une dimension pleine et entière de la stratégie globale de l’entreprise (vision stratégique). Trois types de stratégies judiciaires sont alors mises en évidence à pro- pos de la gestion de la réputation. © 2011 Lavoisier SAS. All rights reserved

Mots clés : société du jugement. Intelligence juridique. Réputation. Stratégie judiciaire.

Abstract

Legal intelligence and corporate reputation Therefore, the information re- mains the key to its success. The aggregation of stakeholders perceptions gives rise to image and reputation of companies which are key valuable assets in contemporary competition. Managers have to pay attention to places where perceptions are emer- ging and extending. In this article, we consider litigation as a communication process and tackle legal strategies which can be used to protect or enhance companies image and reputation. © 2011 Lavoisier SAS. All rights reserved

Keywords: Image of company, reputation, competitive intelligence, legal strategies and tactics, lawsuit, courts.

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Introduction

Autant sinon plus que le prix ou les caractéristiques objectives de l’offre, la réputation d’une entreprise est aujourd’hui l’avantage qui lui permet souvent de l’emporter sur ses concurrentes. C’est sa réputation qui lui permet d’attirer la clientèle, les compétences ou l’épargne (Boistel, 2008), qui stimule sa performance financière (Roberts et Dowling, 2002) et favorise son implantation durable dans des réseaux d’affaires porteurs (Studnicki- Gizbert, 2003, Molho et Curto, 2003). La construction et la préservation d’une réputation avantageuse sont ou devraient être un objet central des stratégies entrepreneuriales dans les économies marchandes contemporaines.

Le propos de cet article est d’analyser la question de la réputation et des stratégies visant à la construire ou à la préserver sous l’angle de l’intelligence juridique du Manoir de Juaye, 2000. Pourquoi la réputation est-elle un facteur essentiel de compétitivité dans les économies contemporaines ? En quoi se distingue-t-elle de notions voisines comme l’identité ou l’image de l’entreprise ? Comment se construit-elle dans les différents espaces où se confrontent les perceptions individuelles et collectives de l’entreprise ? En quoi le Droit peut-il être un levier pour la démarche stratégique de l’entreprise soucieuse de sa réputation ? À quelles conditions l’action judiciaire est-elle pertinente en matière de réputation ?

Pour mener cette démarche d’intelligence juridique, il conviendra dans un premier temps de s’interroger sur les raisons pour lesquelles la réputation est devenue un actif essentiel de la compétitivité des entreprises et de définir dans quelle mesure l’instance judiciaire, compte tenu de ses caractères propres, participe de l’espace global du débat public où s’expriment les perceptions qui font la réputation des entreprises. Dans un deuxième temps, l’attention sera portée sur les différentes stratégies mises en œuvre par les entreprises qui considèrent que l’action judiciaire peut utilement servir leur stratégie en matière de réputation.

1. Place de l’espace judiciaire dans la gestion de la réputation

Si chacun s’accorde à reconnaître que les économies contemporaines sont sorties de l’ère dite « industrielle », il est plus délicat de leur donner un qualificatif faisant consensus : économie post-industrielle, de l’information, de la connaissance… chacune de ces expressions couramment employées traduit une facette particulière d’un monde qui s’est fortement complexifié. Nicole d’Almeida propose pour sa part d’approcher cette complexité au travers du concept de « société du jugement » (d’Almeida, 2007).

Complémentaire plus que concurrente de celles évoquées précédemment, la notion de « société du jugement » présente l’intérêt pour le raisonnement qui suit de réaliser l’imbrication des questions relatives à la nature de la réputation (actif concurrentiel), à son mode de production (le débat dans l’espace public) et à sa protection (le débat dans l’espace judiciaire).

1.1. Société du jugement et production de la réputation

Selon l’analyse de Nicole d’Almeida, nos sociétés se caractérisent par la montée du jugement, défini comme une pratique délibérée d’évaluation normative qui résulte des

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relations inter-individuelles les plus variées. La reconnaissance de ces formes multiples d’exercice du jugement s’oppose ainsi à la vision généralement répandue d’une opinion publique passive, submergée d’informations et soumise à la « fabrique de l’opinion » (Blondiaux, 1998).

De fait, chacun peut constater l’extension de la « capacité discussionnelle » qui, dans les sociétés contemporaines, se traduit par le foisonnement d’opinions auxquelles les techniques de l’information et de la communication donnent un écho toujours plus grand.

Le nombre d’acteurs qui prennent part aux débats publics s’est sensiblement renforcé avec, en particulier, l’émergence de ce qu’il est convenu d’appeler les « nouveaux contes- taires » de l’entreprise : organisations alter-mondialistes, de défense de l’environnement ou des droits de l’homme… (Fougier, 2004 ; François et Huyghe, 2009) Qu’ils soient anciens ou nouveaux, tous ces acteurs contribuent à la formation du jugement global par leurs échanges dans les différents espaces où le débat est susceptible de se construire : interventions spectaculaires dans l’espace public1, prise de parole dans les médias2, enga- gement dans le champ politique3, actions judiciaires. La multiplication des acteurs et des espaces ainsi que la diversification des formes du débat font que la montée du jugement est à la fois un bienfait en ce qu’il témoigne de la vitalité du processus démocratique et, à l’inverse, une source de difficulté pour la prise de parole des acteurs et la production d’un jugement global agrégeant les équilibres parfois contradictoires qui s’établissent dans les différents espaces.

Les entreprises sont concernées au premier chef par l’avènement de la « société du jugement ».

Elles le sont de manière triviale dans la mesure où les questions économiques sont l’un des thèmes dominants des débats actuels. On songe en particulier au déferlement d’actions, de publications, d’initiatives politiques ou d’actions judiciaires sur des sujets comme la responsabilité environnementale des entreprises, la gestion des consé- quences sociales de la mondialisation ou la régulation des mouvements de capitaux et des systèmes économiques. L’activisme et le professionnalisme dont font preuve les

« nouveaux contestataires » dans la gestion des différents espaces doit conduire les entreprises à s’y impliquer et à en assimiler les ressorts afin de faire entendre en tous lieux une parole audible.

Plus fondamentalement, les entreprises sont concernées par la montée de la « capa- cité discussionnelle » dans la mesure où celle-ci conditionne directement et de manière décisive la création et la défense de l’un de leurs actifs immatériels les plus précieux : la réputation. La réputation d’une entreprise peut, en effet, se définir comme le pro-

1 Voir par exemple l’action publicitaire de Nissan qui promeut son dernier modèle sportif, Nissan 370Z, en achetant un exemplaire des véhicules concurrents (Porsche, Audi, BMW) qu’elle affuble de slogans « humo- ristiques » (« J’aimerais rouler aussi vite qu’une Nissan 370Z », «Je suis plus chère, moins rapide et moins puissante qu’une Nissan 370Z ») et qu’elle met en évidence dans des endroits ou à des moments soigneuse- ment choisis pour s’assurer la plus forte visibilité médiatique. (Sweney, 2010) Cette action à laquelle la presse a donné un écho certain a suscité une vive réaction de Porsche qui a menacé Nissan d’actions judiciaires.

2 Voir par exemple le flot de conférences et communiqués de presse échangés par Appel et ses principaux concurrents à propos de la fameuse antenne de l’iPhone4. Par exemple (Poncet, 2010 ; Le Bourlout, 2010)

3 Voir par exemple la participation active d’une association comme France Nature Environnement aux proces- sus politiques (négociation avec les responsables politiques, participation à l’élaboration des textes de loi…)

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duit relativement stable résultant des perceptions agrégées de l’ensemble des parties prenantes, perceptions elles-mêmes formées à partir des actions passées et anticipées de l’entreprise. (Fombrun et Van Riel, 1997 ; Barnett et alii, 2006 ; Tench & Yeomans, 2009 ; Walker, 2010 Au cœur même des phénomènes de réputation se trouve par consé- quent la production d’un jugement collectif fondé sur la perception conjuguée des acteurs internes (dirigeants, salariés…) et externes (clients, prescripteurs d’opinion, juges…), lesquels se déterminent en fonction d’échelles de valeur qui leur sont propres et qui impliquent toutes une évaluation de l’entreprise par rapport à un standard de comportement. Contrairement à l’identité que l’entreprise se forge et qui ne dépend que d’elle (Balmer & Gray, 1999 ; Albert et Whetten, 2004) ou à son image qui résulte de l’opinion que les autres ont d’elle (Dutton et Dukerich, 1991 ; Greyser, 1999), sa réputation est le fruit d’une confrontation de perceptions, d’un débat qui se construit dans les différents espaces et qui obéit à différentes règles du jeu.

Face à ce débat dont l’enjeu est essentiel, l’entreprise doit se garder de deux attitudes extrêmes. Elle ne peut rester indifférente à tout ou partie des espaces où se noue le débat car sa réputation procède de l’ensemble des perceptions et non pas seulement de certaines d’entre elles ; ce serait là refuser de s’engager dans une ou plusieurs formes de débat qui se dérouleront alors sans elle. Elle ne peut, à l’inverse, espérer réduire la diversité des opinions et des perceptions aux seules perceptions favorables à son égard ; ce serait méconnaître l’altérité des parties prenantes et le droit qui est le leur de se forger leur jugement propre.

L’entreprise soucieuse de sa réputation doit donc agir sur l’ensemble des espaces où son activité fait l’objet de perceptions qui, agrégées, produiront un jugement global valant réputation.

1.2. Singularité et place de l’espace judiciaire

Quelle place l’entreprise doit-elle alors réserver à l’espace judiciaire dans la démarche stratégique visant à construire et défendre sa réputation ?

L’espace judiciaire se distingue des autres par un ensemble de règles substantielles et procédurales qui lui sont propres (Danet, 1990). L’instance judiciaire ouvre un débat devant un organe que les parties ne choisissent pas4, qui est d’origine légale et est tenu de suivre une procédure garantissant notamment le respect de la contradiction et des droits de la défense, qui dit le Droit en fonction de règles préalablement déterminées et tranche un litige par une décision assortie d’une force particulière5.

En tant que tel, l’espace judiciaire est un espace particulier qui n’obéit pas à la même logique et ne suit pas les mêmes règles que les autres espaces du débat public. Cela ne signifie nullement qu’il en est isolé. Au contraire, les acteurs majeurs de la société

4 On réservera en particulier le cas de l’arbitrage dans lequel l’instance se déroule devant un juge choisi par les parties.

5 Les traits particuliers de l’espace judiciaire peuvent être rapprochés des critères utilisés pour définir la notion de juridiction. On trouvera en particulier dans la jurisprudence communautaire plus de quarante décisions qui définissent ces critères. Voir en particulier les décisions Vaassen-Göbbels, aff. 61/65, Rec. 1966, p. 377, Borker, aff. 138/80, Rec. 1980, p. 1975 (force obligatoire des décisions), Aff. 14/86, Pretore de Salo, Rec., 1987, p.

2545 (indépendance des juges), Viktoria Films A/S, Aff.134-97, Rev. Tr. Dr.eur. 1998, p.631 note F Alquié

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du jugement ne conçoivent l’instance judiciaire qu’en articulation avec les espaces médiatiques ou politiques6.

L’intervention de l’entreprise dans l’espace judiciaire doit donc s’envisager sous deux logiques complémentaires.

D’une part, elle doit être analysée pour elle-même, c’est-à-dire pour la capacité du Juge à dire le Droit dans une situation conflictuelle et à imposer sa solution à tous, si besoin est par le recours à la force publique. Dans l’espace judiciaire, le litige peut être tranché de manière définitive à l’avantage de l’une ou l’autre des parties. Pour cela, l’entreprise doit raisonner à l’intérieur de la logique propre du Droit et recourir aux spécialistes capables de construire son dossier et de mener l’instance jusqu’à son terme en obtenant une décision favorable à ses intérêts. Il s’agit là de tactique judiciaire dans laquelle excellent un certain nombre d’avocats et de conseils à qui le chef d’entreprise est appelé à s’en remettre.

D’autre part, l’intervention dans l’espace judiciaire doit être envisagée pour la contri- bution qu’elle peut apporter à la gestion de la réputation sur les autres terrains de l’espace public. Il s’agit alors d’intégrer l’instance judiciaire et la décision attendue dans une vision globale du débat et de la construction des perceptions. Rien n’est plus fréquent que d’avoir juridiquement raison tout en ayant médiatiquement ou politiquement tort. Si l’entreprise n’y prend pas garde, le succès judiciaire peut n’être qu’une victoire tactique débouchant sur un échec stratégique.

Dans une perspective globale de gestion de sa réputation, l’entreprise doit être capable de distinguer les différents espaces du débat public et de les gérer individuellement selon leurs règles propres tout en gardant à l’esprit que c’est l’agrégation de l’ensemble des perceptions qui se manifestent sur les différents espaces qui, in fine, fera les bonnes et les mauvaises réputations. Cela ne signifie pas que la tactique judiciaire est dénuée d’importance mais qu’elle doit elle-même s’inscrire dans une perspective plus large, stratégique, dans laquelle il serait possible de voir une expression de l’intelligence juridique.

Il convient de ne pas se méprendre sur les enseignements qui se dégagent de cette première partie. L’avènement de la société du jugement ne met pas « hors jeu » un espace judiciaire qui serait totalement déstabilisé par les évolutions sociales et culturelles ou par les bouleversements de la technique. Elle ne crée aucun « vide juridique » où l’absence de règles autoriserait toutes les licences. En introduisant un facteur de dynamisme des équi- libres traditionnels, l’augmentation de la « capacité discussionnelle » renforce le champ des

6 On en trouve une parfaite expression sur le site d’un acteur majeur des questions environnementales, l’association France Nature Environnement. « FNE a donc axé ses activités en matière juridique autour de deux angles principaux :

1- En amont : le lobbying au sens strict. Il s’agit de faire évoluer les textes de lois applicables pour pallier des insuffisances ou lacunes identifiées. Cette action juridique peut être menée soit au niveau législatif (projets ou propositions de lois votées par les parlementaires) soit au niveau réglementaire (décrets et arrêtés ministériels) ; sans oublier l’Union européenne qui devient incontournable en la matière.

2- En aval : le contentieux. La voie contentieuse est empruntée quand il est trop tard : une décision administrative a été prise sur des bases illégales (juge administratif), une faute ou une infraction a été commise (juge judiciaire).

Ces deux approches sont complémentaires. En effet, améliorer le cadre juridique n’a aucun intérêt s’il n’est pas mis en œuvre, et le contentieux permet de le faire appliquer quand nécessaire. À l’inverse, les actions devant les tribunaux permettent de montrer les limites du droit applicable, de formuler des propositions d’amendements pertinentes avec un argumentaire solide. » France Nature Environnement, 2010

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possibles stratégiques sans réduire l’emprise des règles normatives. L’espace judiciaire n’est donc pas affaibli par la société du jugement. Au contraire, il constitue désormais un lieu privilégié de stratégies entrepreneuriales renouvelées et enrichies (Couret et de Sentenac, 1990 ; Come et Rouet, 1997 ; Collard, 2005, Champaud et Danet, 2006, Masson, 2010, Masson et Shariff, 2010).

2. Réputation et stratégies judiciaires

L’existence d’une pluralité d’espaces publics dotés de règles propres et d’une dynamique particulière mais néanmoins fortement articulés entre eux ouvre aux entreprises soucieuses de leur réputation des perspectives stratégiques renouvelées. S’agissant de l’espace judi- ciaire, l’action des entreprises peut avoir pour objet d’interdire le débat public, de le réguler ou de le provoquer.

2.1. Les stratégies d’interdiction

La liberté de s’exprimer et de débattre est un principe vital de toute société démocra- tique. Il est donc logique d’en trouver l’expression dans le domaine particulier de la vie économique où le Droit garantit à toutes les parties prenantes la possibilité d’analyser, de commenter et de critiquer les activités d’une entreprise, voire d’appeler au boycott de ses produits. Certes, la liberté n’est pas la licence et le législateur aussi bien que le juge fixent des limites au jeu de la critique ou de la dénonciation. Pour autant, l’esprit général du Droit positif en la matière consiste à favoriser le bon déroulement du débat et la possibilité ainsi offerte à tout un chacun de se forger une opinion éclairée à partir d’arguments soumis à l’examen et à la discussion.

C’est ainsi que, sous les auspices de l’information, de la santé et de la sécurité, les organisations de défense de tout poil et les gazettes sont libres de mener toute campagne dite « d’information » qui leur sied sous la seule réserve que celle-ci soit « sérieuse et objective »7, les deux qualificatifs étant laissés à l’appréciation du pouvoir souverain des juges du fond. Il semble tout à fait significatif à cet égard de constater la place prise par les essais comparatifs qui étaient traditionnellement le cheval de bataille des organisations de consommateurs et qui se sont multipliés de manière exponentielle au point d’être désor- mais le fait d’organismes divers dont la compétence et la rigueur ne paraissent pas données d’emblée mais qui y trouvent un stimulateur de vente inaltérable8. Or, l’élaboration des tests en question ne fait l’objet d’aucune réglementation. Certes, une norme particulière définit les principes directeurs d’un essai comparatif et prévoit notamment l’indépendance des organismes responsables des essais, les modalités du choix des produits comparés ou la communication préalable des résultats aux entreprises concernées pour leur permettre d’apporter toute observation utile9. Mais, cette norme n’est pas d’application contraignante.

7 Cass. civ. 3 fév. 1972, Dalloz, 1972 p. 365,. Dans le même esprit, rejet de l’action engagée par Yves Rocher contre l’INC à propos d’un essai comparatif défavorable à la société ; Trib. com. Paris (15e ch.), 24 juin 2005 : SA Laboratoires de biologie végétale Yves Rocher c. INC, Gaz. Palais 13 janvier n°13, p. 23

8 C’est ainsi que les hebdomadaires réalisent leurs meilleurs chiffres de vente lorsqu’ils mettent à la une le classement des hôpitaux, des lycées ou des écoles de commerce et d’ingénieurs.

9 Il s’agit de la norme NF X 50-005

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L’auteur d’un test comparatif n’a donc pas l’obligation de se conformer à une méthodolo- gie standardisée avant de pouvoir introduire dans le débat un élément de discussion pour lequel le public manifeste une appétence toujours plus grande. La liberté ainsi reconnue à l’expression des parties prenantes s’étend jusqu’à la possibilité d’appeler à boycotter un produit ou une entreprise, voire un type de produit ou une catégorie d’entreprises. Dans un certain nombre d’hypothèses, l’appel ne vise pas tant l’entreprise concernée que les pouvoirs publics qui sont indirectement invités à se saisir du dossier et à modifier l’état du Droit en vigueur.

Le principe de liberté étant ainsi vérifié pour ce qui est de l’initiative du débat, il trouve un complément naturel dans le fait que le Droit positif encourage l’entreprise visée à y participer en multipliant à son intention les actions dont l’objet est de répondre aux argu- ments qui ont été déployés à son sujet. C’est ainsi qu’un droit de réponse est prévu à propos d’informations parues dans la presse écrite (Loi du 29 juillet 1881, art.13) ou audio-visuelle (Loi n° 82-652 du 29 juillet 1982, art) ainsi que dans le secteur en développement des ser- vices de communication au public en ligne (Loi n°2004-575 du 21 juin 2004, art. 6-IV). On notera d’ailleurs que les trois régimes ne sont pas strictement identiques (Auvret, 2001) et que, paradoxalement, le média dont la diffusion est la plus massive (l’audio-visuel) est en même temps celui pour lequel le droit de réponse est le plus restreint.10

Dans ces conditions, les stratégies d’interdiction qu’une entreprise peut envisager pour prévenir les atteintes à sa réputation rencontrent l’hostilité du Droit positif. Elles n’en existent pas moins mais avec des chances de succès que l’on pourrait qualifier de marginales. L’analyse du contentieux montre que les stratégies d’interdiction se fondent sur deux voies principales.

La première est celle de l’action en référé. En matière de communication par voie de presse, le référé peut tendre à l’interdiction ou à la modification d’une publication. S’il s’agit de communication audio-visuelle, le but sera d’interdire la diffusion de l’émission. Comme toute action en référé, celui qui la met en oeuvre doit démontrer l’urgence et l’absence de contestation sur le fond. Or, les juges considèrent le plus souvent que la diffusion d’un discours critique à l’égard d’une entreprise ou de ses activités ne justifie pas une procédure d’urgence11 et, refusant ainsi toute mesure préventive, renvoient de ce fait l’entreprise à des actions réparatrices qui n’interviennent qu’a posteriori.

La seconde voie explorée part de l’idée que l’extrême réticence des juges face à une stratégie d’interdiction qui leur apparaît, à tort ou à raison, constitutive d’une atteinte à la liberté d’opinion ne saurait être combattue utilement qu’en mettant dans la balance de Thémis un argument dont le poids s’en approche suffisamment à défaut de l’égaler parfaitement.

Certaines entreprises pensent trouver cet argument en opposant à la liberté d’opinion le droit de propriété et, singulièrement, le droit de propriété intellectuelle.

Le dépôt d’une marque confère à son titulaire un droit exclusif protégé contre l’imitation par l’action en contrefaçon, laquelle comporte notamment une possibilité d’interdiction provisoire des produits contrefaits. En s’appuyant sur la force du droit de propriété qui

10 Pour un exemple d’application restrictive, voir : CA Paris 16 nov. 1995 Air France, Dalloz 1996, p. 429.

La cour refuse aux syndicats d’Air France mis en cause par la direction de l’entreprise dans un message publicitaire le droit de réponse qu’ils demandaient. Solution confirmée par Cass. Civ.2°, 11 juin 1998, Dalloz 1998, p. 184

11 CA Paris, 20 déc. 1974 Dalloz 197s5, p. 312 ; TGI Paris 7 oct. 1983, Gaz. Pal. 1984, p.413)

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leur est ainsi conféré, certains titulaires de marque pensent pouvoir interdire l’information, la critique ou, a fortiori, le boycott en empêchant d’autres parties prenantes d’utiliser la marque ou sa représentation (Geiger, 2007).

Lorsque le titulaire d’une marque utilise le droit qui lui est conféré pour protéger sa réputation de l’atteinte qui lui est apportée par des comportements qui ne contribuent pas directement au débat démocratique par la production d’arguments rationnels, il obtient assez largement satisfaction. Les stratégies d’interdiction viennent régulièrement à bout de productions dites « artistiques » dans lesquelles l’entreprise considère que son image ou sa réputation sont galvaudées. Le juge donne raison à LVMH lorsque l’entreprise demande l’interdiction d’un clip de la chanteuse Britney Spears dans lequel la toile « Cherry Blossom » figure de manière fugace mais parfaitement reconnaissable au motif que « l’image de luxe [que LVMH] promeut… apparaît éloignée de l’image portée par Britney Spears » (Roquilly, 2007). LVMH ayant, par exemple, pour égéries rémunérées l’actrice Sharon Stone ou la chanteuse Madonna, le jugement de la cour d’appel de Paris revient à reconnaître à l’entre- prise un pouvoir discrétionnaire d’appréciation de ce qui correspond ou non à son image du luxe et à donner à ce pouvoir une force contraignante par la validation judiciaire des stratégies d’interdiction que son titulaire est susceptible de mettre en oeuvre12.

Mais, lorsque la liberté de débattre est véritablement en cause, toute la question est de savoir si la force du droit de propriété, droit constitutionnellement reconnu et défini comme

« le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue » (C.Civ. Art. 544), est suffisante pour empêcher une partie prenante non autorisée à produire un discours cri- tique mentionnant explicitement le nom, les marques ou les activités de l’entreprise (Par exemple : Neyret, 2008).

Certaines juridictions du fond, le tribunal de grande instance de Paris notamment, ne se montrent pas insensibles à l’argumentation ainsi développée. Dans une décision ren- due au début des années 2000, le TGI de Paris avait abondé dans le sens des stratégies d’interdiction au motif que « l’appropriation de la marque, opérée dans le cadre d’une présentation utilisant des polices de caractère de grande dimension et en couleur, ne par- ticipait pas exclusivement de la nécessité de communiquer les opinions de l’association et ses objectifs »13. De manière encore plus nette, les magistrats parisiens condamnaient le Réseau Voltaire pour avoir incorporé la marque « Danone » dans le nom du site visant à dénoncer les licenciements opérés au sein des usines Lu. « En imitant sur le site Internet qui a été accessible par les adresses « jeboycottedanone.com » et « jeboycottedanone.net » les marques semi-figuratives Danone…, Olivier Malnuit d’une part, le « Réseau Voltaire pour la Liberté d’expression » d’autre part ont commis des actes de contrefaçon desdites marques dont la Société Compagnie Gervais Danone est propriétaire »14.

Mais, cette position favorable des premiers juges est censurée par la cour d’appel de Paris. Comme le souligne une commentatrice éminente (Durrande, 2003), la cour d’appel a rattaché le contentieux au principe général de la liberté d’expression et a relativisé la portée

12 Les grandes marques du luxe obtiennent de longue date des décisions leur permettant de protéger leur réputation contre des pratiques qui tendent à les galvauder. Voir par exemple la condamnation de La Redoute qui avait fait de foulards Hermès, Cartier et autres les lots d’une tombola. CA Versailles, 19 nov. 1998, Sté La Redoute c/ Sté Cartier (Schmidt-Szalewski, 2009)

13 TGI Paris 8 juillet 2002 n° 02-569355, ord. réf., Sté Esso c/ Association Greenpeace France, RJDA 2003, n°203

14 TGI Paris 4 juillet 2001 n°01-06682 Sté Compagnie Gervais Danone et a. c/ O. Malnuit et a.,

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du droit de propriété, suivant en cela la directive européenne n° 89-104 du 21 décembre 1988 dont l’article 5 prévoit à propos du droit des titulaires de marques que son exercice « doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte, ou risque de porter atteinte, aux fonctions de la marque et notamment à sa fonction essentielle qui est de garantir au consommateur la provenance du produit »15. La propriété n’est plus ce droit absolu défini par le Code civil mais une prérogative assujettie à une finalité concurrentielle et susceptible d’être mise en balance avec un autre principe fondamental, celui de la liberté d’expression (Gridel, 2005). Ceci conduit la Cour d’appel de Paris à considérer que si le tiers ne diffuse aucun produit et n’est donc pas un concurrent, il ne contrefait pas la marque qu’il cite. Les associations visées par la stratégie d’interdiction « avaient, en créant les sites litigieux, inscrit leur action dans le cadre d’un strict exercice de leur liberté d’expression et dans le respect des droits des sociétés intimées dont les produits n’étaient pas dénigrés et…, d’autre part, aucun risque de confusion n’était susceptible de naître dans l’esprit des usagers »16. Il s’ensuit que la stratégie d’interdiction de Danone se heurte au principe à valeur constitutionnelle de liberté d’expression et s’incline devant lui17, fragilisant la stratégie d’interdiction des entreprises18. (Schahl et Besson, 2004)

En dépit de la diversité des actions engagées dans le cadre des stratégies d’interdiction du débat, celles-ci apparaissent largement vouées à l’inefficacité. La vie démocratique suppose le débat et la possibilité pour chacun de se forger sa propre opinion. C’est pourquoi, plutôt que de poursuivre des formes d’interdiction pure et simple, les entreprises s’efforcent le plus souvent d’en réguler le développement.

2.2. Les stratégies de régulation

Alors qu’il est manifestement réticent à interdire le débat public, le Droit se montre en revanche attentif à ce que les échanges soient le fait d’acteurs conscients et responsables et que le jugement que chacun se forgera soit réellement éclairé. Juridiquement, cette volonté de garantir le caractère objectif et sérieux du débat public passe par le truchement de la responsabilisation des parties prenantes. Le foisonnement des dispositifs allant dans ce sens n’est donc pas pour surprendre.

Dans certains cas, l’atteinte à la réputation peut faire l’objet d’un traitement pénal.

L’hypothèse la plus importante est celle de la diffamation, infraction prévue par l’article 29 de la loi de 1881. Délit de presse, la diffamation présente des caractéristiques qui en limitent la portée pratique. Elle ne peut en particulier être intentée qu’en cas d’imputation de faits précis et

15 CJCE 12 nov. 2002, Arsenal, Dalloz 2003, Jur., p. 755, note P de Candé ; RJDA 2003, n°2 p. 204, note J. Passa

16 CA Paris 30 avril 2003 n° 01-14371 et 01-17502, 4e ch. À, Malnuit c/ Sté Cie Gervais Danone,

17 Dans les espèces Esso et Areva, la Cour de Cassation confirme l’équilibre général dégagé par la Cour d’appel de Paris. Cass. Civ.1° 8 avr. 2008, Areva (1° espèce) Esso (2° espèce), Dalloz 2008, AJ, 1274, obs.

J. Daleau, Petites Affiches, 23 mars 2009, n° 58, p. 5 note Daverat. La solution est partagée à propos d’association de lutte contre le tabac par : Cass.Civ.2°, 19 oct. 2006, Camel, Bull. Actu. Lefebvre, 2007, n° 1, 8. Les juridictions françaises se rangent ici aux positions plus favorables à la liberté d’expression défendues notamment par la Cour européenne des droits de l’homme (Voir par exemple CEDH 27 mai 2004, n° 57829/00, Vides Aizsardzibas Klubs c/ Lettonie qui mentionne explicitement le rôle de « chiens de garde » de la démocratie joué par les associations.

18 Dans l’affaire Esso c/ Greenpeace, voir CA 26 février 2003, Gaz. Palais 19 juillet 2003, n° 200 ? Note D Brunet-Stocket

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susceptibles d’être débattus à une entreprise précisément identifiée et non pas en cas de simple mise en cause de ses produits19 ou de l’ensemble de la profession20. Le délai de prescription est particulièrement court : trois mois. Enfin, l’entreprise visée ne peut choisir le terrain de la responsabilité civile ordinaire (C.Civ. Art. 1382) en présence d’une diffamation commise par voie de presse21. En dépit de ces traits particuliers, l’action en diffamation présente certains avantages pour l’entreprise visée. Elle met notamment à la charge de l’auteur des assertions de nature à porter atteinte à la réputation de l’entreprise l’obligation de faire la preuve de sa bonne foi ou la vérité des faits rapportés. Dans les deux cas, la tâche est difficile. La jurispru- dence sanctionne ainsi le journal télévisé qui présente comme une « escroquerie au séjour linguistique » les mésaventures d’un groupe d’adolescents aux États-Unis22, les émissions de télévision faisant apparaître la marque d’une entreprise pour illustrer un reportage sur les

« arnaques au régime »23 ou l’éditeur qui laisse paraître un ouvrage dans lequel une banque est présentée comme un maillon important du financement des réseaux terroristes24. La pos- sibilité pour les personnes visées de déclencher une action en diffamation est généralement considérée comme de nature à introduire une certaine responsabilité et une certaine discipline dans l’espace médiatique. C’est du moins de cette manière et même s’il le déplore, que le journaliste David Servenay commente la décision récente par laquelle la XVII° chambre du tribunal correctionnel de Paris condamne France Inter dont un reportage est considéré comme diffamatoire à l’encontre de Vincent Bolloré (Servenay, 2010).

En dehors de l’action pénale, les stratégies de régulation des débats dont procède la réputa- tion d’une entreprise passent par la mise en jeu de la responsabilité civile des parties prenantes.

C’est alors le régime traditionnel de l’article 1382 du Code Civil qui est actionné. Le but poursuivi est d’obtenir de la part de l’auteur des critiques fautives le versement de dommages et intérêts afin de réparer le préjudice subi. Les exemples d’application sont innombrables, qu’il s’agisse d’acteurs du marché ou de parties prenantes extérieures au marché.

Parmi les acteurs du marché, les mauvaises langues semblent pulluler si l’on se fie à l’ancienneté et au débit constamment renouvelé du flux contentieux en matière de déni- grement commercial25. Plus intéressante au plan des stratégies judiciaires est l’extension récente du domaine du contentieux telle qu’elle est illustrée par le procès opposant LVMH à Morgan Stanley. En novembre 2002, l’entreprise de luxe dont on connaît le goût pour les stratégies judiciaires (Roquilly, 2007) avait assigné Morgan Stanley devant le tribunal de commerce de Paris, donnant pour la première fois au juge la possibilité de s’intéresser aux conflits d’intérêts entre les agences de notation, les banques d’affaires et leurs clients. Pour LVMH, il s’agissait de faire reconnaître et sanctionner le comportement de Morgan Stanley,

19 Cass. Civ.1° 5 déc. 2006, RJDA avril 2007, n° 422 ; Cass. Civ.2° 5 juillet 2000, RJDA fév. 2001, n° 239

20 Cass. crim. 16 sept. 2003 n° 02-85.113, Bull. crim. n° 161. Mais, la critique peut alors faire l’objet d’une action sur le terrain du dénigrement commercial. CA Paris 9 décembre 1992, FNAIM c/ SA Éditions Neressis : D. 1994 som. p. 223 note Y. Serra

21 La jurisprudence de la Cour de Cassation (Cass., ass. plén., 12 juill. 2000, Rev. Trim. Dr. Civ. 2000, p. 842 obs.

P. Jourdain) sur ce point est vivement critiquée par la doctrine (Notamment : (Hassler 2006 ; Viney 2006).

22 Cass. Civ. 2°, 20 avril 2000, n° 98-14.549 Sté TF1 c/ Sté Nacel, Bull. Civ. n° 65, p. 44

23 CA Paris 30 avril 2003 n° 01-14371 et 01-17502, 4e ch. À, Malnuit c/ Sté Cie Gervais Danone,

24 Cass.Civ. 1°, 3 mai 2005, Sté Dar Al Maal Islam Trust et DMI Administrative Serices c/ Olivier Orban et autres, Bull 2007, 1, n° 167

25 Voir l’abondante jurisprudence recensée par les auteurs du Mémento Concurrence et consommation, 2010, Francis Lefebvre, n°7800 et sts.

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agence de notation, qu’elle accusait d’avoir nui à sa réputation en biaisant volontairement ses analyses financières et stratégiques pour faire échec à la prise de contrôle tentée par LVMH sur l’entreprise italienne Gucci dont Morgan Stanley, banque d’affaires, était le principal conseil. Les décisions rendues successivement par le tribunal de commerce puis par la Cour d’appel de Paris témoignent de la capacité du judiciaire à réguler les compor- tements sur les autres espaces de débat. En effet, contrairement à la pratique habituelle qui consiste à n’accorder que des réparations pécuniaires modestes en cas d’atteinte à l’image ou à la réputation d’une entreprise, les premiers juges se montrent audacieux en fixant les dommages et intérêts provisionnels à environ trente millions d’euros 26. La Cour d’appel, tout en confirmant l’essentiel du premier jugement, nommera un expert pour déterminer le montant définitif du préjudice27. Celui-ci ne sera pour autant jamais établi devant le juge dans la mesure où les deux parties trouveront un terrain d’entente et mettront un terme à leur action judiciaire28. On peut cependant imaginer que les décisions obtenues par LVMH n’ont pas été sans peser dans la négociation et que la stratégie de LVMH, si elle ne s’est pas traduite par une victoire définitive devant le juge, n’en a pas moins été déterminante dans les rapports particuliers qu’elle entretient avec Morgan Stanley aussi bien que dans l’espace médiatique où l’affaire a été abondamment reprise et commentée.

En ce qui concerne les débats impliquant les acteurs hors marché, la mise en cause de leur responsabilité civile est également fréquente. On signalera ainsi qu’a été condamnée la présentatrice d’une émission de télévision qui dénigrait un bain moussant sans faire état de références garantissant le sérieux de la critique29. Les acteurs collectifs que sont les asso- ciations sont également visés régulièrement par des actions civiles. Ainsi, une organisation de consommateur est-elle condamnée lorsqu’elle publie un essai comparatif erroné et tarde à publier un rectificatif30 ou qu’elle s’affranchit allègrement du principe d’objectivité de l’information31. Si elle permet ainsi de lutter contre les excès d’une critique imprudente, l’action des entreprises est toutefois régulièrement écartée lorsqu’elle vise des attaques qui peuvent se revendiquer de l’humour et de la caricature32. Encore faut-il que le caractère humoristique soit reconnu par le juge du fond et que le message ne soit pas jugé outrancier33.

26 T.Com. Paris, 30 janv. 2004, Rev. Sociétés 2004, p. 297, note SIMON ; D.2004, Som., p. 1800, note Y REINHARD ; Bull. Joly Soc. 2004, p. 388 note D SCHMIDT ; RTDCom. 2004, p. 337 Note N RONTCHEVSKI

27 CA Paris, 30 juin 2006, Chemla D et Grillet F, LVMH/Morgan Stanley : un arrêt remarquable, Option Finance, n° 897, 11 sept. 2005, p. 29 ; Bull. Joly Soc., 2006, p. 1453, note Schmidt

28 Communiqué publié sur le site de Morgan Stanley le 15 février 2007. Étonnamment, la fin de ce conflit judiciaire pour le moins acharné ne fait l’objet d’aucune mention sur le site de LVMH. http://www. mor- ganstanley.com/about/press/articles/4408.html

29 CA Paris 15-10-1980 : D. 1981 IR p. 56. IL en va de même d’une société d’édition qui critiquait trop légèrement la qualité des pneus vendus par un distributeur : Versailles 28 juin 1993, SARL Gauth pneus c/ Sté Publi Inter : RJDA 1993, 12, n° 1109

30 (CA Paris 16-4-1976 : Gaz. Pal. 1976.1 p. 418

31 TGI Paris 19-11-1980 : D. 1981 p. 436 note B. Bouloc

32 Voir les arrêts classiques dans l’affaire opposant les Guignols de l’info à Citroën à propos de la carica- ture récurrente du président de l’entreprise, Jacques Calvet. Cass. ass. plén. 12 juillet 2000 n° 99-19.004 (n° 454 P), Sté Automobiles Citroën c/ Sté Canal Plus ; Cass. ass. plén. 12 juillet 2000 n° 99-19.005 (n° 455 P), Sté Automobiles Peugeot c/ Sté Canal Plus : RJDA 2001, 3 n° 387

33 Voir l’exemple d’Orangina qui promeut une version « light » de sa boisson par un message présentant le sucre sous la forme d’un personnage ridicule et dévalorisant ainsi l’image de ce produit. Cass.Com. 30 janv. 2007, Sté Orangina c. Le CEDUS, RJDA 2007, 05 n°576

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Après avoir longtemps été cantonnée dans un registre mineur de la stratégie, du fait notamment du sort incertain des actions, de la longueur des procédures ou du caractère géné- ralement peu dissuasif des sanctions prononcées, la mise en cause de la responsabilité civile tend à devenir un levier essentiel des stratégies de régulation de l’ensemble des espaces de débat. Dans certains pays, comme le Canada par exemple, le changement de comportement des acteurs est tel que le législateur s’est préoccupé des abus susceptibles de se produire par la mise en oeuvre de « poursuites baillons » c’est-à-dire d’actions mettant en cause la responsabilité d’acteurs à seule fin de faire taire les critiques dont ils sont porteurs par la menace de dommages et intérêts à caractère punitif. Le Droit positif français ne connaît pas de dispositif particulier en la matière même s’il est toujours possible à un tribunal de sanctionner l’auteur de poursuites abusives.

2.3. Les stratégies de provocation

À l’inverse des stratégies d’interdiction ou de régulation qui visent à agir dans l’espace judiciaire pour modifier les limites et la configuration des espaces médiatique ou specta- culaire, les stratégies de provocation utilisent l’instance judiciaire comme un levier pour créer et nourrir le débat dans les deux autres espaces. Les juges et le procès sont ainsi instrumentalisés pour donner naissance à un débat public qui sera repris et amplifié dans l’espace médiatique et dont l’initiateur attend une retombée favorable en termes de réputation.

Le mécanisme de ces stratégies de provocation est d’une grande simplicité même s’il est difficile à enrayer pour ceux qui en sont les victimes (Danet, 2010). Dans l’exemple récent du comparateur de prix lancé par les hypermarchés Leclerc34, la provocation consiste à enfreindre délibérément les règles de la publicité comparative de sorte que les concurrents visés se trouvent pris dans un dilemme difficile à résoudre35. S’ils ne réagissent pas, ils semblent admettre le bien-fondé de la campagne menée par l’auteur du comparateur dont l’ambition est de rétablir sa réputation d’enseigne moins chère, réputation dont les enquêtes d’opinion montraient qu’elle avait tendance à perdre de sa force traditionnelle (Collard, 2007). Ne rien faire, c’est donc favoriser la réussite d’une campagne de communication agressive dans un domaine essentiel pour la réputation d’une enseigne de la grande dis- tribution. Sûre de son bon droit et du caractère manifestement illicite du comparateur mis en place par Leclerc, la concurrence peut avoir la tentation d’engager une action judiciaire visant à faire cesser la campagne en cours et à obtenir réparation du préjudice causé. Pour le juriste spécialiste de droit de la concurrence, le succès semble acquis d’avance. Carrefour s’engage dans cette voie et attaque très rapidement. Elle obtient satisfaction en référé (Sur les

34 En mai 2006, Leclerc met en ligne un logiciel permettant de comparer le prix de 3500 produits vendus dans son enseigne et chez ses principaux concurrents. Leclerc étant responsable de la construction de l’indicateur, il n’est pas totalement inattendu de voir que le comparateur lui donne invariablement la place d’enseigne la moins chère (Collard, 2007, Collard et Danet, 2009). Ce type de comparateur est d’ailleurs suffisamment en contradiction avec les règles de la publicité comparative qu’elle fait l’objet d’enquêtes et de condamnations régulières. (Manara, 2007)

35 Ne sera pas envisagée ici la riposte consistant pour les concurrents à se placer eux-aussi en infraction par rapport à la loi. C’est ainsi qu’en matière de comparaisons de caddies, Leader Price réplique à Leclerc en lançant une campagne publicitaire analogue. Or, en Droit français, à la différence du Droit commu- nautaire, la pratique est systématiquement condamnée. Voir par exemple : Cass. Crim. 4 mars 2008, Rev.

Sc. Crim. 2009, p. 106, note C Ambroise-Castérot.

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décisions rendues dans l’affaire du comparateur, voir par exemple Debet, 2007 ; Grynbaum, 2007 ; Hugon et Bedoiseau, 2007). Le juge souligne que « la comparaison d’un nombre limité de produits, de surcroît non identifiés, choisis en fonction de ses seuls critères par la société coopérative GALEC, par rapport à l’offre totale ne saurait être présentée comme objective et pertinente »36. En conséquence, la fermeture du site est prononcée de même que l’attribution de dommages et intérêts au demandeur et la publication de la décision dans des quotidiens nationaux. Mais, cette défaite judiciaire importe peu à Leclerc qui a atteint le but recherché par la stratégie de provocation : pousser son concurrent à engager une action sur le terrain judiciaire et en pour se présenter comme la victime du système des grands distributeurs, le « petit épicier de Landerneau » que l’on veut bâillonner pour l’empêcher de dire la vérité des prix, celui qui n’hésitera pas à encourir les foudres de la Justice pour relancer le comparateur sous une autre forme. De fait, à l’automne 2006, une nouvelle version du comparateur est mise en ligne. Elle est immédiatement contestée par le même concurrent et pour les mêmes motifs. Mais, entre-temps, le cadre juridique s’est assoupli et la campagne de communication a produit des effets, ce qui conduira les juges de la cour d’appel de Paris à débouter Carrefour. Le jugement est une divine surprise pour Leclerc qui ne manque pas d’en tirer tout le parti sur le terrain médiatique et spectaculaire. Aux articles retraçant la bataille du comparateur s’ajoutent des campagnes publicitaires qui le glorifient et le présentent comme la preuve définitive de ce que Leclerc est bien l’enseigne la moins chère. Christophe Collard montre avec bonheur la cohérence et l’efficacité de la stratégie de provocation visant à restaurer une réputation naguère compromise. (Collard, 2007)

La simplicité apparente des stratégies de provocation ne doit pas donner l’illusion que leurs auteurs en sortent automatiquement vainqueurs. Il y faut un sens certain de la stratégie, des vertus exceptionnelles de propagandiste, un bataillon d’avocats astucieux et le soutien d’un conseil d’administration capable de comprendre que la défaite judiciaire est le prix à payer sur le plan tactique pour atteindre l’objectif stratégique qui est le renforcement de la réputation… Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, la stratégie de provocation échoue à créer et nourrir le débat sur les terrains du médiatique et du spectaculaire. Pire encore, elle créer des divisions au sein de l’entreprise et peut conduire à la déstabilisation de ses dirigeants37.

Conclusion

Dans la société du jugement où se déploient actuellement les activités économiques, la réputation est un actif trop important pour ne pas faire l’objet d’une stratégie délibérée qui vise à agir sur les perceptions de toutes les parties prenantes de sorte que le produit de leur agrégation, la réputation, soit favorable à l’entreprise. Cette stratégie est nécessairement globale et l’espace judiciaire en est l’une des dimensions principales.

Parce que l’espace judiciaire est tout à la fois singulier du fait des caractéristiques qui sont les siennes et indissociable des autres espaces où se construit le débat public, l’inter- vention de l’entreprise doit se situer à un double niveau. Au plan de la tactique judiciaire,

36 TC Paris 7 juin 2006, Gaz. Pal. . 2006, n° 291, pp.34-35, note C Avignon

37 Le cas de l’AFER illustre l’échec d’une stratégie de provocation également fondée sur la mise en place d’un comparateur en ligne. (Danet, 2010)

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elle doit être conçue de sorte à obtenir la décision attendue en tirant le meilleur parti des règles substantielles et procédurales, ce qui suppose une approche essentiellement techni- cienne de l’instance judiciaire. Au plan stratégique, l’intervention sur le terrain judiciaire doit être évaluée au regard de sa capacité à favoriser les perceptions positives dans les autres espaces du débat public. Ce résultat peut être obtenu de manière directe lorsque le succès judiciaire apparaît légitime et produit, per se, une impression positive sur les acteurs du débat qui n’étaient pas partie à l’instance et pour qui elle intervient comme un élément parmi d’autres de leur environnement. Il peut l’être de manière indirecte lorsque l’action sur le terrain judiciaire conditionne la forme ou les termes du débat dans les autres espaces du débat, empêchant ainsi des perceptions négatives de s’y développer ou favorisant au contraire l’expression de perceptions favorables à la réputation de l’entreprise.

Si l’on considère que l’intelligence économique postule qu’il n’est pas de stratégie d’entreprise pleine et entière qui n’intègre pas la dimension juridique, elle trouve dans la gestion de la réputation un terrain d’application privilégié et donne aux juristes une possi- bilité qui leur est trop rarement offerte, celle de participer dès l’origine à la conception et à la mise en œuvre de la stratégie entrepreneuriale.

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