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Article pp.37-49 du Vol.6 n°1 (2014)

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doi:10.3166/R2IE.6.37-49 © 2014 Lavoisier SAS. Tous droits réservés

La gouvernance bancaire dans la lutte contre le blanchiment de capitaux

➤ Par Philippe Tauzin

Président du Centre de recherche et d’étude des assurances et financements internationaux phtauzin@noos.fr

Résumé

La menace du blanchiment est réelle et significative. Au centre de la lutte anti-blanchi- ment se trouvent les banques. Celles-ci, comme la plupart des autres professions concer- nées, sont des commerçants : elles doivent donc inscrire leur action à la fois dans le cadre réglementaire de la lutte contre le blanchiment et dans le cadre commercial. C’est cette dualité qui nous conduit à nous interroger sur les pratiques de gouvernance bancaire dans l’application des dispositifs anti-blanchiment. S’il lui est surtout fait une obligation de moyens et de diligence, elle se trouve contrainte par deux obligations de natures très différentes, entre une présomption de bonne foi et une présomption de mauvaise foi, dont les contours sont imprécis. Nous postulons que, s’il y a une mission de police et si on veut qu’elle ne soit pas trop ingérable pour le banquier, il faut aussi donner aux banques des moyens de police. © 2014 Lavoisier SAS. All rights reserved

Mots clés : Intelligence économique, criminalité, banque, blanchiment.

Abstract

The banking governance in the anti-money laundering policy. The threat of the mo- ney-laundering is real and significant. In the center of the anti-money laundering policy are banks. These, as most of the other concerned occupations, are storekeepers: they, thus, have to register their action at the same time in the regulatory framework of the anti-money laundering law and in the sales executive. It is this duality which drives us to wonder about the practices of banking governance in the application of devices of anti-laundering. If it is especially made for the bank a best effort undertaking and of diligence, it is forced by two obligations of very different natures, between an honest assumption and an assumption in bad faith, outlines of which are indistinct. We postulate that, if there is a mission of police and if we want that the bank is not too uncontrolled for the banker, it is also necessary to give to the banks of some means of police. © 2014 Lavoisier SAS. All rights reserved

Keywords: Business intelligence, crime, bank, money-laudering.

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Introduction

Dans un discours prononcé en 1989, le directeur général du FMI, Michel Camdessus, estimait que le blanchiment de fonds représentait entre 5 et 10 % de la production mon- diale. Aujourd’hui, sur cette base, le blanchiment pourrait être estimé entre 3 000 et 6 000 milliards de dollars. Hypothétiquement, pour la France, 5 % représenteraient aujourd’hui une centaine de milliards d’euros. Il nous est impossible de valider une telle estimation, ne serait-ce que parce qu’il faudrait définir précisément le champ des délits et crimes couverts.

Nous laisserons cette question aux criminologues. Il est néanmoins clair que la menace du blanchiment est réelle et significative.

Au centre du dispositif français, nous trouvons le Ministère des finances, de l’économie et de l’industrie avec sa cellule spécialisée, Tracfin, qui a connu un fort développement depuis sa création en 19901. Pourtant, Tracfin n’a guère de capacités en tant que telle : l’essentiel de son activité repose sur l’obligation faite à certaines professions de déclarer spontanément et rapidement, sous peine de sanctions, des soupçons d’activités illégales commises par leurs clients. Autrement dit, le cœur de métier de Tracfin est l’exploitation de renseignements fournis par des tiers qui sont loin d’être des professionnels du renseignement et du crime.

Dans les professions assujetties, la place du secteur financier et, plus particulièrement, des banques est largement prépondérante. Nous centrerons notre propos sur ces banques.

Les banques, comme la plupart des autres professions concernées, sont des commerçants : elles doivent donc inscrire leur action à la fois dans le cadre réglementaire (et la lutte contre le blanchiment n’est qu’une infime fraction de leurs obligations réglementaires) et dans le cadre commercial. C’est ce qui nous amène à nous poser quelques questions pratiques de gouvernance bancaire dans l’application des dispositifs anti-blanchiment.

Il serait faux de croire que les banques sont indifférentes à l’origine des dépôts qu’elles détiennent ou aux fins des opérations qu’elles financent, même si les pratiques varient beaucoup d’un pays à l’autre, voire d’une banque à l’autre. Comme ils ont organisé leurs activités physiques, les criminels ont su organiser leurs activités financières et possèdent même des intérêts importants dans les structures financières de certains pays. Nous parlerons ici des banques respectables. Si le terme est sans doute imprécis pour le grand public, il ne l’est pas pour un professionnel qui connaît son marché. Cette respectabilité est un élément essentiel de la relation avec la clientèle et avec la société : par-dessus tout, la banque tient à sa réputation car c’est elle qui protège son activité, tant du côté des clients que de celui des régulateurs. Sur le principe, le banquier n’a aucune réticence à être l’auxiliaire de la police financière et de la justice, de la même manière, d’ailleurs, qu’il est déjà très largement l’auxiliaire des services fiscaux. Néanmoins, le banquier doit aussi protéger, au-delà du secret professionnel, la notoriété de ses clients et le respect de leur vie financière privée.

Ce qu’on demande aux banquiers, c’est de dénoncer leurs clients, qu’ils soient régu- liers ou occasionnels. Une déclaration de soupçons est un acte grave dont il faut peser les conséquences : il peut vicier profondément la relation commerciale, voire la détruire. La pratique de la dénonciation est très variable d’un pays à l’autre, d’une culture à l’autre.

1 Sous le nom de Cellule nationale de renseignement financier. Depuis 2006, Tracfin est un service à compétence nationale.

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Aux États-Unis, elle est pratiquement une obligation civique2 ; en France, elle est très mal considérée et, si elle est rendue obligatoire par la réglementation, elle ne doit pas pour autant être pratiquée sans l’obligation morale du bénéfice du doute sérieux. À titre d’exemple, lors de son congrès de 2009, l’ordre des experts-comptables a cité, pour la Grande-Bretagne, le nombre de 213 202 déclarations, soit 3 559 par million d’habitants3, ce qui représente pratiquement dix fois plus que la France de 2010. Londres est pourtant souvent considérée comme un paradis fiscal international.

Certes, le banquier doit se protéger contre l’entrée chez lui d’individus ou d’activités douteux, ne serait-ce que parce que, bien souvent, il est aussi la cible du crime. Il a un intérêt certain à participer à l’effort collectif, qu’on pourrait qualifier de partenariat public privé dans la lutte contre les crimes et délits. Il ne faut d’ailleurs pas croire que les banques ont attendu la mise en place d’un dispositif public pour faire attention. Dans les banques britanniques, il existait, bien avant la mise en place des textes officiels, des dispositifs internes visant à repérer et à éliminer les opérations entachées de soupçons. Il était par exemple totalement interdit d’accepter d’importants dépôts en espèces d’origine imprécise, et toute transaction significativement « anormale » devait être examinée. Ces informations étaient transmises à un bureau central des fraudes, qui diffusait les informations en tant que de besoin, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la banque.

Ce partenariat est néanmoins tout relatif car, en pratique, il n’engage qu’une respon- sabilité, celle du banquier, la puissance publique n’ayant aucune obligation à l’égard du client et peu d’obligations à l’égard du banquier. Celui-ci doit se contenter de ses propres informations et de ce qu’on doit bien appeler, en termes policiers, son flair. La question est donc d’évaluer si le dispositif Tracfin respecte, pour la banque, un certain équilibre entre ses obligations envers l’administration et ses obligations envers les clients qui lui ont fait confiance.

1. La banque au centre du dispositif de renseignement sur les activités financières illégales

Entre 2000 et 2011, les déclarations de soupçon adressées à Tracfin ont été multipliées par près de dix, passant de 2 529 à 24 0904. Les progressions ont été importantes : +19 % en 2009, + 11 % en 2010 et +25 % en 2011. Notons toutefois que ces chiffres couvrent l’ensemble des déclarations et que leur périmètre n’est pas constant, certaines professions et certaines activités ayant été progressivement ajoutées. Les professions financières repré- sentent une proportion stable, de l’ordre de 95 % de l’ensemble. Les banques représentent environ 75 % du total, suivies par les changeurs manuels avec environ 15 % et les compa- gnies d’assurances, avec 4 %5.

2 C’est la pratique du whistleblowing (coup de sifflet).

3 L’année de référence n’est pas citée ; on peut penser qu’il s’agit de 2008.

4 Tracfin a d’autres sources, telles que les demandes directes des administrations ou celles de ses homo- logues étrangers (en nombre assez faible). Nous ne les traitons pas ici puisqu’elles ne concernent pas directement la clientèle des banques.

5 Chiffre qui n’a rien d’étonnant puisque les assureurs ne reçoivent pas de dépôts.

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À ce stade, il ne s’agit que de soupçons, fondés sur un ratissage large, qui vont être analysés par les services de Tracfin. La présomption sérieuse ne doit pas porter sur ces déclarations mais sur le nombre de dossiers transmis à la justice qui reposent sur des investigations profes- sionnelles et étayées. En 20086, 359 dossiers ont été transmis, en 2009, 384 et, en 2010, 4047. Ces chiffres sont importants mais on voit que le pourcentage des affaires supposément sérieuses dépasse à peine 2 %8 des déclarations de soupçons. En raison de la croissance de l’activité, on peut estimer intuitivement que le taux de matérialisation des soupçons est un peu plus élevé mais il reste probablement inférieur à 3 %. La justice doit ensuite confirmer la matérialité du délit ou du crime : c’est une question que nous ne traiterons pas, d’abord parce que les délais de jugement rendent l’analyse difficile (même pour Tracfin), ensuite parce que la transmission au juge montre que le soupçon était justifié.

Ce sont donc environ 98 % des soupçons qui ne donnent lieu à aucune suite : en pra- tique, on dénonce 98 % d’innocents. Pour l’État, c’est sans grande importance. On ne sait d’ailleurs pas très bien ce que l’administration fait des déclarations classées : on imagine sans peine qu’elles vont alimenter une base de données, être échangées avec d’autres ser- vices, nationaux ou étrangers, et que les protections sur les bases de données, du type de celles qu’offre la CNIL, ne doivent pas être d’une grande efficacité. L’histoire montre qu’il est très difficile de sortir d’un fichier de police administrative. En outre, si, pour quelque raison que ce soit, un nom venait à apparaître plusieurs fois, il est probable qu’il attirerait une attention particulière sans que la matérialité des faits n’ait été prouvée. Le client risque bien d’être rentré dans la boucle infernale de la suspicion.

De l’autre côté, les personnes concernées ignorent la déclaration de soupçon, puisque la banque n’a pas le droit d’en faire état sous peine de sanctions. Les clients n’ont donc aucun moyen de défense durant la phase administrative. Du point de vue de l’administra- tion, c’est le moyen de préserver l’anonymat du déclarant. À notre avis, il est néanmoins légitime de se poser des questions sur une telle pratique : elle est compréhensible quand il s’agit de lutter, par des moyens d’exception, contre des menaces très sérieuses, telles que le terrorisme ; elle l’est moins quand il s’agit de crimes et délits plus « ordinaires ». On ne peut néanmoins exclure que le client ait des doutes sur l’origine des questions qui, tôt ou tard, lui seront posées ou qu’il constate des anomalies dans la bonne exécution de ses opérations. Qu’il soit innocent ou suspect, la relation de confiance avec la banque risque d’être sérieusement compromise et, quand on sait le temps qu’il faut pour la construire, on ne peut que s’inquiéter pour l’avenir de la relation commerciale. Un banquier n’est ni un médecin, ni un avocat, ni un prêtre, mais il a une obligation de secret et de loyauté qui ne doit être levée que pour des causes sérieuses.

Nous nous trouvons donc sur un terrain très sensible et ceci d’autant plus que les banques ont naturellement tendance à se protéger de sanctions sévères en déclarant plutôt plus que moins : c’est une explication possible de l’envolée des chiffres de déclarations et de la sta- bilité des chiffres de transmission à la justice. Rappelons-nous le mal et le malaise qu’ont provoqués ce qu’on a appelé les affaires du Sentier en France où une fraude issue d’une

6 Cette année représente un creux : les deux années précédentes se situent légèrement au-dessus des chiffres de 2009 et 2010.

7 Il faudrait évidemment tenir compte des délais d’examen des dossiers par Tracfin pour rattacher les chiffres de déclaration à ceux de transmission sur une année donnée. Ces données ne semblent pas être publiques.

8 Il semble même être légèrement inférieur pour les banques.

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petite agence de quartier a entraîné le président de la banque incriminée devant les tribunaux.

Cette peur de ne pas déclarer assez existe réellement, elle se traduit par une pratique de surprotection qui n’est pas forcément positive. Elle pose la question du seuil de soupçon.

2. L’hétérogénéité des fraudes financières

Nous devons aussi nous interroger sur l’étendue des incriminations possibles : Tracfin les catégorise en vingt-trois catégories d’infractions principales9. C’est en gros tout le code pénal qui y figure et ceci relève d’une culture et d’une pratique qui ne sont pas celles du banquier. La plupart de ces incriminations ne sont pas directement financières, le blanchiment ne constituant que le miroir du délit ou du crime principal. Certains cas ne posent guère de problème au banquier mais d’autres sont beaucoup plus délicats. Peut-on, par exemple, imaginer qu’un banquier dénonce un client sur la base de fausses déclarations de maladie, de fraude à l’assurance-chômage, ou encore de fraude fiscale10 ? Même les services publics spécialisés le font avec la plus grande prudence.

D’autre part, la notion de crime ou de délit n’est pas universelle. Personne ne conteste la criminalité du trafic de stupéfiants ou d’êtres humains, par exemple. D’autres crimes ont une valeur qu’on peut qualifier de plus relative, par exemple l’abus de biens sociaux, la corruption ou la fraude fiscale, dans le sens où leur signification est beaucoup plus liée à la législation locale. Pour certains pays, la souplesse bancaire et fiscale est un commerce et le droit des sociétés un concept encore assez flou, surtout en matière pénale. Pour d’autres, la corruption est certes condamnable mais personne ne prendrait le risque de la condamner tant elle est inscrite dans la vie publique et sociale. Pour que le système de lutte soit efficace, il faudrait que les normes anti-criminelles soient identiques partout et que les procédures soient effecti- vement appliquées partout. Sans faire preuve de cynisme, on peut dire qu’on en est très loin.

On peut même se poser d’autres questions, de nature plus politique. Quand on regarde la liste des pays de la Coalition des bonnes volontés qu’avait organisée l’administration du Président Bush, il y a, sur les 49 noms, quelques-uns dont on peut vraiment se demander ce qu’ils pouvaient apporter sur le plan diplomatique ou militaire. En revanche, on savait très bien que certains coalisés appartenaient à la liste des pays non-coopératifs de la Financial Action Task Force de l’OCDE. On peut se demander si, dans le souci d’étoffer la liste des

« bonnes volontés », quelques pays n’ont pas eu droit à un certain oubli, certainement tem- poraire, de leurs pratiques financières, parfaitement connues et parfaitement répréhensibles.

On retrouve ici une des idées de la lutte anti-pollution : Not in My Backyard (pas dans ma cour). Les intérêts des pays propres et des pays plus perméables sont parfois trop liés et systémiques pour qu’on puisse avancer uniformément et rapidement à l’échelle mondiale.

9 Blanchiment de tous crimes et délits, travail dissimulé ou illégal, abus de bien social, abus de confiance, escroquerie, abus de faiblesse, exercice illégal de la profession de banquier, infraction à la législation sur les stupéfiants, corruption, escroquerie en bande organisée, vol et recel, détournement de fonds publics, financement du terrorisme, banqueroute, infraction douanière et contrefaçon, fraude fiscale, proxénétisme, association de malfaiteurs, infraction à la législation sur les étrangers, délit d’initié et délit boursier, organisation de jeux de hasard illicites.

10 Cinq cas de fraude fiscale ont été transmis à la justice en 2010, ce qui tendrait à montrer que Tracfin n’est peut-être pas le dispositif le plus efficace dans ce domaine.

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Il y a donc un vrai problème de définition du crime à l’échelle internationale et de mise en œuvre de sa répression. Le problème est que les capitaux circulent, d’autant plus facilement qu’ils sont importants, alors que les banques, d’un pays à l’autre, ne sont pas en situation de concurrence : elles n’ont à gérer ni les mêmes règles ni les mêmes contextes. Rappelons aussi que la vitesse de transmission de ces capitaux est de l’ordre de quelques secondes à quelques minutes. En 2009, SWIFT11 a traité près de 3,8 milliards de messages, soit environ 15 millions par jour (la moitié concerne des opérations de paiement). En France, en 2010, 17 milliards d’opérations de paiement12 ont été effectuées par les banques pour leurs clients particuliers et entreprises, soit près de 50 millions par jour. Aucun système humain ne peut contrôler une par une toutes ces opérations et la fixation de seuils n’aboutit qu’à inciter les blanchisseurs à fractionner leurs opérations.

Il y a, d’autre part, une certaine inclination des autorités et de l’opinion à scruter le secteur bancaire et, plus généralement, les activités financières comme les complices potentiels du crime, ou du moins les receleurs. Prendre les banques comme boucs émissaires de toutes sortes de problèmes est devenu un lieu commun de la pensée politique et journalistique. Un système financier efficace est et doit être une infrastructure économique ouverte. Il y passe des opéra- tions illégales parce que les opérations illégales, techniquement parlant, ne sont pas différentes des opérations légales. Peut-on imaginer un instant qu’on condamne une société d’autoroute parce qu’un conducteur y a commis un excès de vitesse ou la poste parce qu’elle a transporté un colis piégé ou la compagnie du téléphone parce qu’elle a permis à des terroristes d’échanger des informations ? La banque, pour sa part, est obligée de faire attention à ce qui passe par elle.

En réalité, les organismes financiers ne sont pas les seuls visés par les textes mais la pratique montre bien qu’ils sont la source principale de Tracfin. C’est d’ailleurs sans doute une des raisons pour lesquelles les criminels tendent de plus en plus à éviter le secteur bancaire et reviennent aux bonnes vieilles pratiques du billet et de son utilisation directe dans l’achat de biens ou de services. Ceci justifie l’extension du nombre de professions assujetties mais les supports de blanchiment ne manquent pas. Il y a certainement autant d’argent douteux dans l’immobilier et d’ailleurs les déclarations de soupçons des notaires progressent : mais peut-on croire que les transactions immobilières parisiennes ou sur la Côte d’Azur, en provenance de ressortissants d’Europe de l’Est et d’ailleurs, avec ou sans prête-nom, sont réellement transparentes13. Quant aux avocats, dont on comprend les réticences, ils n’ont fait que deux déclarations en France pour 2009 et aucune en 201014. Enfin, de nombreux secteurs où l’argent liquide circule facilement et abondamment sont ignorés par la législation : un restaurateur ou un hôtelier de luxe ne posent pas de questions à leurs clients. Certains vendeurs de voitures haut de gamme verraient sans doute leurs ventes baisser très sérieusement s’ils devaient enquêter un peu sur leurs clients. Certains marchands d’art et antiquaires qui, même s’ils sont visés par les textes, ne semblent pas faire preuve d’une grande curiosité15. Il serait pourtant faux de ne viser ici que les cas les plus

11 Le principal système international de transactions entre banques.

12 Hors paiements en espèces et retraits par carte, d’après les statistiques de la Banque de France.

13 Les professionnels de l’immobilier ont effectué 14 déclarations en 2010 (33 en 2009).

14 Au 1er janvier 2012, il y avait 9 200 notaires en France, traitant un volume de transactions de 600 Mds d’euros : ils ont fait 674 déclarations de soupçons en 2010. Au 1er janvier 2010, il y avait 52 000 avocats.

15 Les marchands de bien précieux, les commissaires-priseurs et les sociétés de vente ont effectué 10 déclarations en 2010 (17 en 2009).

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élevés : le micro-blanchiment, pour des sommes très modestes, peut représenter des volumes totaux très élevés et très difficiles à repérer si les transactions sont modestes et régulières.

Enfin, il faut comprendre que les banques participent au système de paiement de manière très inégale suivant les pays : dans certains, la monnaie fiduciaire est peu utilisée, ce qui facilite le contrôle, dans d’autres elle constitue au contraire un moyen très utilisé. Ainsi, en 2010, en France, les paiements faisant intervenir les banques16 sont au nombre de 263 par an et par habitant17. En Italie, ce chiffre tombe à 66 et, en Grèce, à 16, presque au niveau de la Roumanie (14) et de la Bulgarie (10). Clairement, ceci signifie que l’efficacité du contrôle par les banques dépend des pratiques de paiement : les banques ne peuvent voir que ce qui passe par elles.

3. La fragmentation des activités criminelles et délictueuses

Le crime18 est un marché fragmenté, qui va du petit trafic de quartier à de vastes opéra- tions très structurées. La responsabilité du banquier s’applique à tous les cas.

Commençons par le plus simple, la petite criminalité plus ou moins organisée ou plus ou moins désorganisée. Quand un client se présente avec de l’argent, surtout avec le projet d’ouvrir un compte, il n’est pas difficile de se poser des questions. La valise de billets est toujours suspecte, elle est toujours rejetée : la seule difficulté est d’obtenir des informations car ces cas sont rapides et le criminel supposé n’insiste pas, il va tenter sa chance ailleurs.

Il est rare qu’on puisse obtenir son nom, sauf s’il est déjà client.

La question est plus compliquée avec des clients déjà connus qui exercent une activité apparemment normale et essaient progressivement d’introduire des sommes à blanchir sous divers motifs, généralement à partir d’autres comptes dans d’autres banques, ou commettent des infractions dans le cadre de leur activité à titre accessoire plutôt que principal. On entend toutes sortes d’histoires depuis les gains de jeu, les cadeaux, les héritages, la vente d’un bien ou une activité miraculeuse. Rappelons que le terme blanchiment n’est pas bien choisi pour traduire laundering qui signifie, en fait, blanchissage. Le terme serait né aux États-Unis, à l’époque de la prohibition, parce que les criminels prétendaient tirer leurs revenus de blanchisseries, où les paiements se faisaient en espèces. La surveillance passe par un peu de curiosité et ce sont des cas relativement faciles à traiter. De toute façon, une grande partie de ces activités évite soigneusement les banques et reste dans la logique du billet. Les banques ont maintenant des outils pour mieux cerner leurs clients19, ou du moins les aider à prouver leur diligence vis-à-vis des autorités.

Un cas plus compliqué est celui du terrorisme, dont la définition reste d’ailleurs passa- blement floue. Il n’est pas très différent du cas précédent. Il existe un terrorisme interna- tional fortement structuré mais, le plus souvent, c’est une activité fortement décentralisée, fonctionnant autour de très petits groupes avec des montants unitaires (et globaux aussi) très modestes, de l’ordre de quelques milliers de dollars. Repérer de tels montants dans

16 Essentiellement : débits et crédits directs, chèques et cartes.

17 Ce qui situe la France largement au-dessus de la moyenne européenne de 182 (173 en zone euro).

18 Par souci de simplicité, nous incluons la délinquance dans le terme crime. Les catégories de Tracfin couvrent des incriminations criminelles et délictuelles.

19 Il s’agit des programmes KYC, Know Your Customer.

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la masse des paiements est extrêmement difficile 20 : les « clients » prennent le temps de préparer les opérations des mois ou des années à l’avance, en organisant des couvertures crédibles, en introduisant de petites sommes dans le circuit. C’est un monde de « taupes ».

En fait, d’un point de vue bancaire, le terrorisme ressemble beaucoup à ce qui relève de la vie courante, des transactions familiales et du petit commerce. Il y a alors un risque sérieux, comme pour la drogue, d’utiliser des critères subjectifs comme le faciès, la nationalité ou la religion supposée21. Il est évident qu’une banque doit être extrêmement prudente dans l’utilisation de tels critères qui pourrait, à juste titre, lui être aussi reprochée.

Viennent ensuite les transactions plus ou moins commerciales qui font intervenir des sociétés, et, souvent, des opérations internationales de toutes sortes comme des paiements commerciaux à l’importation comme à l’exportation, ou des opérations financières. On sait, par exemple, que certaines prestations sont fictives ou fortement surfacturées, et aussi que les IDE entre certains pays comportent une proportion importante de blanchiment22. En réalité, toute transaction peut techniquement comporter une part de délit ou de crime, et le faire d’autant plus facilement que le champ des incriminations possibles est extrêmement vaste. Il est aussi extrêmement flou. Une optimisation fiscale est-elle une fraude fiscale ? Où situer l’abus de droit ? Comment repérer une commission dans un règlement et, si elle est repérée, comment distinguer une rémunération normale, par exemple commerciale, d’une commission occulte ? Dans de tels cas, la banque est très démunie : dénoncer une opération, voire la bloquer, peut avoir des conséquences bien plus que commerciales et le faire en l’absence de preuve tangible est pratiquement impensable. Les juges eux-mêmes mettent souvent des années à démêler l’écheveau, quand ils y parviennent.

Ces opérations sont extrêmement difficiles à évaluer correctement sans que leur recherche tourne à la paranoïa. Le banquier devrait être un spécialiste de toutes sortes de transactions et de pratiques commerciales, tant domestiques qu’internationales. Il devrait connaître le client, les clients de ses clients, les pays plus ou moins risqués, la nature des contrats, leur justification économique et peut-être même le juste prix des choses. Il y a vraiment de quoi faire, surtout quand il s’agit de comprendre avec peu d’informations et que les transactions doivent être effectuées immédiatement.

Il y a enfin la grande criminalité. Elle nous semble largement hors de portée du dispositif tant elle peut être complexe et organisée. Elle utilise d’ailleurs peu les systèmes financiers classiques et respectables où elle se sait surveillée. Nous pensons que la seule façon de s’en protéger est de ne pas la laisser entrer dans le circuit bancaire, mais encore faut-il qu’elle soit identifiée, ce qui est pratiquement impossible pour la banque si elle n’est pas sérieusement épaulée par les autorités publiques. Ajoutons que la banque doit aussi veiller à la sécurité de ses personnels et de ses biens et que la possibilité d’une vengeance, même si elle ne peut être exclue dans des cas moins graves, représente ici une réelle menace.

Dans tous ces cas, il faut rappeler que chaque banque est en partie tributaire des autres banques : si un criminel s’introduit dans une banque, il lui est ensuite beaucoup

20 Les transmissions de Tracfin à la justice pour financement du terrorisme ou trafic d’armes se sont élevées à 7 en 2010.

21 Certains pays acceptent officiellement l’utilisation administrative de telles données.

22 D’après le Service Fédéral de la Statistique de Russie, le premier pays investisseur est Chypre avec 28,1 % du total. Parmi les neuf premiers investisseurs, on trouve également le Luxembourg, les Bahamas et les Îles Vierges Britanniques : à eux quatre, ces pays représentent 45 % du total.

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plus facile d’accéder aux autres. C’est particulièrement vrai pour les opérations inter- nationales. Les banques entretiennent entre elles des relations de comptes23 qui sont très actives. Le choix des partenaires peut s’avérer difficile dans certains pays. Dans certains pays, compte tenu du climat général des affaires, tout partenaire est potentiellement dangereux, mais il faut pourtant bien travailler avec ces pays, dont beaucoup sont loin d’être marginaux dans les affaires. Les banques doivent veiller à l’intégrité de leurs relations internationales sous peine de se retrouver impliquées dans des transactions douteuses dont elles ignorent tout.

4. Réglementation et interprétation

Comme dans beaucoup de domaines, l’inflation réglementaire sévit. Pour 2010, Tracfin indique neuf textes essentiels (trois lois et six décrets) et les périmètres n’arrêtent pas d’évoluer.

En outre, une nouvelle pratique se développe : celle des prescriptions, sortes de guide de bonnes pratiques, élégamment qualifiées de soft law par Tracfin24. Le rapport 2010 de Tracfin les décrit ainsi : « Parallèlement aux règles impératives édictées par le Code monétaire et financier et dans une approche pragmatique, émergent des normes interprétatives du dispositif de lutte anti-blanchiment et de financement du terrorisme, constituant une forme de soft law ». Ces guides servent évidemment à unifier les bonnes pratiques mais aussi, peut-on penser, à créer une certaine pression sur les déclarants, voire sur les juges. S’agissant de crimes et de délits, et donc de questions liées aux libertés fondamentales, nous nous interrogeons sur de telles approches qui ne sauraient remplacer le droit positif issu de la législation et de la jurisprudence.

Quoi qu’il en soit, le système anti-blanchiment repose sur une construction juridique extrême- ment lourde et complexe, laissant une large place à l’appréciation administrative et peu de place à la défense. Comme on a vu se créer un concept d’autonomie du droit fiscal, il semble qu’on voit naître une autonomie du droit anti-blanchiment : c’est un nouvel élément d’incertitude qui vient s’ajouter à l’immense masse de connaissances techniques nécessaires aux banques pour participer efficacement à la lutte. La contrainte économique ne doit pas être négligée : cette lutte peut mobi- liser des ressources considérables qui finiront par être payées par les clients et les actionnaires.

Enfin, il y a une question fondamentale : qu’est-ce qu’un soupçon ? À notre connaissance, il n’existe pas de définition stricte et les professionnels déclarants disposent d’un large pouvoir d’appréciation. Quelle que soit la précision, l’idée même de soupçon exclut la certitude et la preuve. Elle est donc fondée sur un faisceau d’indices plus ou moins objectifs. Le soupçon sera toujours fonction du climat de la relation, suivant qu’il sera confiant ou méfiant, ainsi que d’une connaissance et d’une expérience à la fois collectives et individuelles. En outre, ce soupçon doit exclure tout critère de stéréotypisation moralement inacceptable. Il ne s’agit plus ici de banque mais presque de psychologie, voire de philosophie. On peut utilement y réfléchir mais il faut aussi faire partager une pratique à l’ensemble des personnels et respecter

23 On parle de banques correspondantes.

24 Il s’agit, d’après Tracfin, de normes interprétatives. La soft law (terme employé par Tracfin, sans doute faute de mieux et au mépris de la Loi Toubon) se traduit parfois par Droit mou ou Flexible droit, termes qui, outre leur indicible laideur, nous paraissent être plus des oxymores que des concepts juridiques.

Il est évidemment au-delà de notre propos de discuter de la valeur juridique de tels textes (le Conseil d’État s’en est ému dans son rapport annuel pour 2006).

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le principe commercial. Les progrès ne peuvent être que lents. C’est d’ailleurs une des justifi- cations de la sphère publique qui, elle, peut prendre son temps pour établir la vérité des faits.

La méthodologie, si tant est qu’on puisse en définir une globalement, passe d’abord par la compréhension de la transaction. La première question est de se demander si la transaction est normale : qu’est-ce que la normalité ? Chaque transaction a des règles normales : si elle est trop simple ou trop compliquée par rapport à une pratique normale, si elle fait interve- nir des contreparties inhabituelles, par exemple des banques de pays non indispensables ou suspects, alors le soupçon est justifié. Il est difficile de systématiser car les montages ont tendance à se complexifier, ne serait-ce que la multiplication des intervenants dans le monde industriel et commercial. Par exemple, il est normal qu’une opération commerciale bénéficie d’une garantie de paiement mais il est anormal qu’on en trouve deux ou trois : en général, c’est une augmentation du coût et pas une réduction du risque, c’est donc anormal.

Une fois cette analyse effectuée, il faut en principe obtenir les explications nécessaires.

Toutefois, le pouvoir du client vis-à-vis de la banque et la menace d’une clôture de compte ou de réduction d’activité sont de puissants facteurs d’inhibition.

5. L’attaque de la banque

Certaines opérations ont les banques pour cibles : il s’agit d’escroqueries plus que de blan- chiment. Leur variété est infinie et leur complexité très inégale, même si, dans la plupart des cas, ces opérations ne sont pas très sophistiquées. Ce sont souvent des opérations internationales, par exemple sur des matières premières ou des actifs financiers (parfois inattendus : il y a eu de nombreuses tentatives de fraude sur des emprunts russes), avec ou sans pays exotiques. Un exemple assez répandu est celui où le voleur a besoin de deux banques de bonne réputation, en plus d’intermédiaires financiers généralement obscurs, pour organiser une prétendue tran- saction internationale. Il va essayer d’obtenir un paiement par l’une d’elles sur la base d’une garantie donnée par l’autre en utilisant plusieurs sociétés et des contrats commerciaux fictifs, tout en promettant une rémunération alléchante. Sur une opération fictive de 100 millions de dollars US, on demandera à la banque de faire une avance de fonds de 10 % pour déclencher la transaction. Bien évidemment, une fois cette avance faite, les voleurs disparaîtront.

Ce ne sont pas des cas difficiles à évaluer. Il y a néanmoins quelques précautions élémentaires à prendre. Le plus souvent, il s’agit de clients « occasionnels » qui viennent proposer une affaire ponctuelle. Leur discours, quoiqu’assez cohérent en apparence, est peu professionnel : manque total de notoriété, structures commerciales et financières com- pliquées et redondantes, utilisation de termes peu répandus dans les usages normaux. Ces escrocs savent que leurs chances sont faibles, du moins avec les établissements sérieux, mais il faut se méfier des détails : que viennent-ils chercher en fait ?

Une rencontre commence toujours par un échange de cartes de visite. On ne doit donner sa carte qu’à quelqu’un dont on connaît l’origine, qui a été introduit. Donner sa carte sans précaution est une erreur et il est toujours possible de trouver un prétexte pour ne pas le faire.

Ces escrocs utilisent des noms : plus leur liste est longue, plus ils pourront impressionner d’autres interlocuteurs. On les reconnaît d’ailleurs souvent au fait qu’en cinq minutes, ils citent une bonne dizaine de personnes, dont deux ou trois ministres avec l’idée que le banquier n’aura jamais l’audace de vérifier.

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Faut-il les éliminer immédiatement ? Ce serait une autre erreur car c’est l’occasion d’obtenir des renseignements, de lire les documents de travail, et, si possible, de faire des photocopies pour l’étude du dossier. Les faire parler permettra de faire un rapport détaillé pour prévenir collègues, confrères et autorités.

À la fin, ou peu après, ils demanderont un courrier de confirmation. Troisième erreur car ils obtiendraient exactement ce qu’ils cherchent : un papier à en-tête et une signature.

Avec une carte de visite, une lettre et un scanner à cinquante euros, ces individus peuvent devenir sérieusement dangereux. Il ne faut pas leur donner les outils dont ils ont besoin.

Est-ce une discussion sans risques ? Oui et non : quand il s’agit de pure délinquance finan- cière, les escrocs n’insistent pas, quand il s’agit de grande criminalité, il vaut mieux éviter tout contact et laisser la police faire son travail.

La grande délinquance financière, en principe, rentre aussi dans le champ des textes anti-blanchiment. Les autorités souhaiteraient que les banques soient aussi capables de déceler des crimes sur des transactions très complexes, sur des sociétés, ou encore des fraudes fiscales massives comme celle sur la TVA en matière de droits à polluer en Europe.

Ces opérations sont conçues par des personnes connaissant parfaitement le système et ses limites, bénéficiant souvent d’une forte réputation et d’un réseau considérable de complicités plus ou moins actives, y compris, parfois, au niveau politique. Il faudrait des semaines pour en comprendre tous les éléments et ce ne serait sans doute pas suffisant.

Malheureusement, la banque est ici extrêmement tenue par l’opinion du monde des affaires. En 2001, jusque dans les derniers mois, se poser des questions sur Enron relevait de l’ignorance et de l’incompétence. Dans ce cas, il n’y a qu’un conseil à donner et il n’est pas très satisfaisant, c’est celui de Warren Buffet. Si on comprend la transaction et qu’on en accepte les risques, on peut la faire. Si on ne la comprend pas, il ne faut pas la faire. On se remet beaucoup plus vite de la perte d’une affaire que de la participation à une escroquerie, qu’elle vise la banque elle-même ou des tiers.

Conclusion

De ces quelques exemples, nous voulons surtout retenir la diversité des situations et l’incertitude juridique et technique dans laquelle la banque se trouve. S’il lui est surtout fait une obligation de moyens et de diligence, elle se trouve contrainte par deux obligations de natures très différentes, entre une présomption de bonne foi et une présomption de mauvaise foi, dont les contours sont imprécis. Elle n’est jamais à l’abri d’une incrimination directe que la police et le juge, parfois, peuvent instrumentaliser.

Si l’on regarde l’étendue du crime, les résultats de la lutte anti-blanchiment peuvent paraître plutôt modestes25. Nous estimons que la principale raison est que la lutte anti-blan- chiment est surtout adaptée à la micro-criminalité (nous parlons ici en termes de volumes et non de gravité). La macro-criminalité est une activité très organisée, parfois même très

25 Tracfin publie un rapport très détaillé mais présente plus les statistiques d’activité que les résultats réels des investigations menées, ce qui est normal puisque c’est une unité d’investigation et non de décision. Il est donc difficile de se faire une idée précise de l’efficacité du dispositif. Sur les dossiers transmis à la justice en 2010, 65 % représentent un montant inférieur à 500 000 euros et 2 % seulement un montant supérieur à 10 millions. Le montant global n’est pas communiqué.

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institutionnalisée, qui échappe à ce type de surveillance : elle sait se dissimuler, acheter des protections et se redéployer très rapidement en cas de menaces. Cette macro-criminalité utilise des moyens professionnels, juridiques et financiers, et parfois aussi la violence com- merciale et physique. Ses apparences sont plutôt respectables26. On ne la découvre vraiment que quand elle s’autodétruit dans des guerres de gangs ou des escroqueries retentissantes, comme l’affaire Madoff. Faut-il pour autant considérer la lutte anti-blanchiment comme inutile ? À notre avis, non car elle impose une discipline et une déontologie qui concourent à la généralisation, lente mais réelle, de bonnes pratiques. On ne peut simplement que regretter que cette lutte soit surtout efficace contre le petit crime.

Nous pensons pourtant que le crime n’est pas fondamentalement un problème de banque, tout comme, pour reprendre une analogie routière, les accidents ne sont pas d’abord un problème de routes. C’est un problème de société et les banques vivent dans une certaine société. Dans une société propre, les banques sont propres, dans une société sale, les banques sont sales simplement parce qu’elles stockent l’argent de cette société. Le légis- lateur, comme l’exécutif, doivent d’abord se poser des questions en termes de régulation nationale et d’efficacité des services publics, en particulier ceux de la justice, de la police et de la finance. Lutter contre le crime est d’abord une affaire de police.

Il ne faut pas trop espérer d’une inversion des rôles : les missions de police doivent rester des missions de police. Le dispositif anti-criminalité des banques permet un ratissage large mais d’une portée assez limitée. Il n’est pas dépourvu de risques pour les personnels et les biens. La banque ne fait que refléter une partie du monde réel mais, dans la grande majorité des cas, le crime primaire n’est pas bancaire. On va sans doute plus loin en allant du crime vers sa trace financière que l’inverse. Néanmoins, un mérite important de la procédure est qu’elle peut décourager les blanchisseurs et que les banques peuvent y trouver un intérêt réel dans la protection de leur image. Les banques participent sans états d’âme au dispositif mais il faut bien comprendre et accepter les limites intrinsèques de leur action.

Il est sans doute justifié, sur le principe, de demander aux banques d’être des auxi- liaires de police et de renforcer, année après année, le dispositif. Le banquier participe même si ce n’est pas sa culture. Mais, s’il y a une mission de police et si on veut qu’elle ne soit pas trop ingérable pour le banquier, il faut aussi donner aux banques des moyens de police. Les policiers ont accès à toutes sortes de données et les banquiers à aucune.

Il est par exemple impossible pour un banquier de consulter un casier judiciaire : c’est pourtant une information policière de base. Autrement dit, la seule façon de savoir est de dénoncer, le plus souvent sur la base de présomptions. Il nous semble que cette situation pourrait être améliorée si l’on dotait les banques de vrais moyens de police, c’est-à-dire d’un accès à l’information policière et judiciaire. Ceci pourrait être fait en autorisant les banques à employer des officiers de police judiciaire en leur sein, avec toutes les garanties internes et externes nécessaires de sécurisation et d’emploi déontologique des informations. Un officier de police judiciaire, avec l’indépendance nécessaire, pourrait très bien servir de filtre entre la banque et la cellule anti-blanchiment afin que seuls les cas présentant une réelle présomption soient transmis aux autorités. Cette simple mesure

26 Dans le Parrain de Francis Ford Coppola, Michael Corleone explique à son épouse Kay que « Dans cinq ans, les affaires de la famille seront devenues totalement légales ».

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serait de nature à conforter les banques dans leurs efforts et à leur donner le sentiment de participer beaucoup plus activement et efficacement à la lutte contre le crime tout en protégeant leurs clients.

Bibliographie

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