R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
P IERRE M ASSÉ
Les investissements électriques
Revue de statistique appliquée, tome 1, n
o3-4 (1953), p. 119-129
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LES INVESTISSEMENTS ÉLECTRIQUES
par
Pierre MASSÉ
Directeur Général Adjoint de l’Electricité de France
Les «
Aperçus économiques
surl’Efficience,
leRisque
et l’Investisse- ment »,publiés
dans la dernière livraison de cetteRevue,
nous ont donné l’occa- sion deprésenter
Monsieur MASSE à nos lecteurs.L’article
qui
va suivre constitue le secondexposé
de Monsiezir MASSE à notrestage d’Ingénieurs.
C’estl’application
au choix des investissementsélectriques
des théorieséconomiques exposées précédemment.
En une trentaine d’années, les
problèmes électriques
sontprogressivement passés
duplan
local au
plan
national. C’est leprogrès technique, symbolisé parl’interconnexion, quiaété
le moteurde cette évolution. Si les accidents de l’histoire n’ont pas été
étrangers
à la création de l’Electricité de France, la nationalisation est avant tout la consécration d’une activité au service et à l’échelle de la Nation.Cette mise en commun d’un immense
potentiel
a rendu lesproblèmes économiques plus
im-portants
en mêmetemps
queplus
difficiles. Une décisionunique remplace
unepluralité
de choix,et il n’est
plus permis
decompter
sur cette sorte de vérité moyennequi
sedégage
de la diversité desopinions.
En cetteconjoncture,
grosse derisques,
mais aussi de chances, il y a un intérêtmajeur
àassocier les ressources neuves de
l’analyse économique
aux vertuséprouvées
del’expérience
etde l’intuition. Je vais essayer de résumer ici les efforts
accomplis depuis quelques
années dans ce sens.*
* *
GÉNÉRANTES.
L’objet
d’uneEntreprise
nationale comme l’Electricité de France est de rendre à la collec- tivité les servicesqu’elle
en attend, et de les rendre au moindre coût par une combinaisonappropriée
de ses diverses
techniques.
En termes
précis,
ils’agit
de minimiser le coût,probable,
actualisé etcorrigé,
au sens dupremier exposé, lorsqu’on
se donne(en probabilité) l’objectif
et leprix
des facteurs, ainsi quel’équa-
tion de
garantie qui remplace
icil’équation
deproduction.
*
* *
L’analyse qui
va suivreportera spécialement
sur lespoints
suivants :1. -
L’objectif
est laproduction
d’une «montagne
decharge »,
c’est-à-dire d’un ensemble deproduits
liés. Onpeut cependant
se ramener, enpremière approximation,
à un seulproduit
dontla demande est une variable aléatoire.
2. - L’intervention du
risque
modifie la nature de la fonction deproduction.
Lestechniques
aléatoires comme
l’hydroélectricité
nepermettent
en effet d’atteindre unobjectif
donnéqu’en
pro-babilité,
etl’équation
deproduction
doit êtreremplacée
par uneéquation
degarantie.
Ilfaut,
en outre, tenir
compte
dans lagarantie
du caractère aléatoire de la demande.3. - A cause de l’intervention du
temps
et durisque,
les coûts sont échelonnés et ils sont aléatoires.L’expression
à minimiser est de la nature d’un coûtprobable,
actualisé parl’emploi
d’un taux d’intérêt et
corrigé
d’unchargement
de sécurité.4. - La recherche de
l’optimum
repose sur laproposition
suivante : Estavantageuse
touteopération marginale qui,
àégalité
degarantie,
procure unenrichissement,
c’est-à-dire un abaisse- ment du coûtprobable
actualisé etcorrigé.
5. - La
proposition précédente permet
de tendre par tâtonnements vers un programmeoptimum.
Les tâtonnementspeuvent
êtreabrégés
par une méthodeapparentée
à latechnique
améri-caine du « linear
programming
».6. - Une autre
position
duproblème
consisterait à sedonner,
non laquantité
àproduire,
mais le
prix
duproduit,
et àprocéder
par voie de maximation duprofit (probable,
actualisé etcorrigé).
Enfin,
il est essentiel de noter quel’optimum
obtenu ci-dessus est unoptimum
local définis- sant lesquantités
de facteurs à mettre en 0153uvre dansl’hypothèse
d’une constellation donnée àpriori
de
prix
etd’objectifs.
Pour passer àl’optimum général,
il faut unajustement
multilatéral danslequel prix
etquantités
se déterminent mutuellement. Cetajustement peut
s’effectuer par le marchéou par une coordination centrale, ainsi
qu’un
articleprécédent
l’aindiqué.
1. - L’OBJECTIF.
Le kWh est une unité
énergétique,
ce n’est pas une unitééconomique.
Le kWh d’heurespleines
d’hiver est un tout autre bien que le kWhd’heures
creuses d’été. Leproduitque
vend l’Electricité de France est en réalité une «montagne
decharge »,
c’est-à-dire une fonction, et,qui plus
est, une fonction aléatoire.
On revient
cependant
enpratique
à la considération desimples
variables en admettant que . la demande est suffisamment caractérisée parquelques paramètres,
parexemple :
-
l’énergie
totaleannuelle,
c’est-à-dire le volume de lamontagne
decharge ;
- la
puissance
depointe
dujour
leplus chargé,
c’est-à-dire l’altitude duplus
hautpic ;
-
l’énergie
d’heurespleines
d’hiver,qu’on peut
sereprésenter
grosso modo comme le volume desparties
lesplus
élevées de lamontagne.
Pour nous rendre
compte
du rôle de cesparamètres,
considérons d’abord unsystème
pure- mentthermique.
Songoulot d’étranglement
sera lapuissance
d’extrêmepointe
de Décembre : si lesystème
passe ce cap, il sera surabondant à toute autreépoque,
mêmecompte
tenu des machines à l’entretien durant l’été.On
conçoit qu’il
soit rationnel de chercher à réduirel’équipement thermique
en introduisant dans lesystème
des usines d’éclusée pure comme Génissiat ouChastang, qui peuvent,
en accumulant leurs débits dans un bassinjournalier, produire
en toute circonstance leurpleine puissance pendant
une demi-heure par
jour.
Mais si l’on vatrop
loin dans cette voie, lapuissance
d’éclusée sera insuffi-samment étoffée
d’énergie
en hiver sec et un nouveaugoulot apparaîtra,
celui des heurespleines
de
jour.
Pour le
débrider,
il faudra des usinesayant
suffisamment de réserves derrière elles pour fonc- tionner douze ouquatorze
heures parjour
mêmependant
unepériode
degrande
sécheresse, c’est- à-dire des usines à réservoir saisonnier comme Bort ouTignes.
Mais si on lesdévelopppe
àl’excès,
on finira par être
gêné pendant l’été,
où l’on aura à assurer simultanément leremplissage
des réser-voirs et l’entretien
thermique.
Le
système français
actuel n’est pas loin d’êtreisocritique
aux troispoints
de vueindiqués
plus
haut.Nous avons
cependant
choisi pourparamètre critique l’énergie
d’heurespleines
d’hiver.Ce choix
s’explique
par des raisonshistoriques
car, il y aquelques
années, tel était bien legoulot d’étranglement
dusystème français.
Le Plan Monnet aprévu
pour le débrider unvigoureux
effortd’équipement
deréservoirs,
dontTignes,
Bort, LePouget, Capdelong,
etc... attestentaujourd’hui l’accomplissement.
Bien que, du fait de cet effort, d’autresgoulots
tendent àapparaître,
nous conser- vons enpremière approximation
la mêmeposition
parce que lapénurie
depuissance peut
être levée à relativement boncompte
par dessuréquipements
d’usines existantes ou l’installation de groupesthermiques
depointe
et lapénurie d’énergie
annuelle par desimportations
d’été en prove-nance de pays voisins à
prépondérance thermique.
Dans cette
optique,
la demandepeut
être caractérisée par une seule variable :l’énergie
d’heures
pleines
d’hiver.*
* *
L’objectif
étant ainsi défini en nature, nous avons àl’apprécier
enquantité.
Dans un
premier
stade, on constate, à l’examen dupassé,
que la demandeobéit,
à peuprès
dans tous les pays du
monde,
à la loi dite du doublement en dix ans,qui correspond
à un accrois-sement de
7,2 %
par an en moyenne, etqui
estreprésentée
par une droite sur undiagramme
à échellelogarithmique.
Dans un second stade
d’analyse,
on est amené à reconnaîtrequ’il s’agit
là d’une loi statis-tique, susceptible
d’écarts momentanés : la demande future est une demande aléatoire. Unprocédé simple,
dû à M. AILLERET,permet
d’estimer l’ordre degrandeur
de ladispersion.
On vérifiesur un
diagramme
à échellelogarithmique
que la droite du doublement en dix anscorrespond
auquartile supérieur : l’objectif
du doublement a 25 chances sur 100 d’êtredépassé,
contre 75 de n’être pas atteint.On
peut enfin,
dans un troisième stade, essayer depréciser
la corrélationqui
existe évidem-ment entre les variations de la demande
d’énergie électrique
et celles de l’activité industrielle. On constate alors que l’accroissement annuel sedécompose
en deux termes :- un accroissement
intrinsèque
d’environ 5%
par an dû aux inventions nouvelles et aux effets desubstitution,
eux-mêmes suscités par la baisse duprix
du kWh en valeur réelle et par la commodité et la maniabilité del’énergie électrique ;
- une variation
dépendant
de laconjoncture,
etreprésentant
environ 50%
de la variation del’indice de l’activité industrielle.
Il n’est pas sans intérêt de constater que, dans leurs études sur le
développement
des marchés àlong
terme, lesexperts
de la Haute Autorité deLuxembourg
sont arrivés à des loisanalogues
pour les demandes de charbon et d’acier
(1).
Pour le
charbon,
parexemple,
la variation annuelle de la demande sedécompose
en deuxtermes :
- une réduction
intrinsèque
de0,6 %
due aux effets de substitution et traduisant lapréférence
croissante des consommateurs pour
l’électricité,
le gaz et les carburants ;- une variation
dépendant
de laconjoncture
etreprésentant
70%
de la variation de l’indice del’activité industrielle.
Les indications
précédentes
ont, àpremière
vue,quelque
chose desurprenant
pour un écono- miste : c’estque la supputation
de la demande ne tient pascompte
duprix
duproduit.
Mais iln’y
a làqu’une
apparence. La loi du doublement et lesanalyses plus
finesqui
lacomplètent reposent
surun
postulat
caché : c’est que les mêmes facteursqui
ontjoué
dans lepassé
continueront àjouer
dans l’avenir et que, notamment, leprix du
kWh continuera à baisser en valeur réellegrâce
auprogrès technique
et à l’accroissement des densités de consommation(2).
Cepostulat peut
être admis audépart
avec une certaine confiance : il n’en devra pas moins être vérifié à l’arrivée.(1) Exposé sur la situation de la Communauté, 10 Janvier 1953, Ve Partie, Chap. premier, p. 117.
(2) Voir « Economie et Droit de l’Electricité » de JEANNENEY et COLLIARD, Planche XXXVIII, p. 119.
2. -
L’ÉQUATION
DE GARANTIE.En économie aléatoire, on n’est
jamais
certain depouvoir,
au moyen d’une dotation déter- minée en facteurs u, v, w,fabriquer
unequantité
déterminée deproduit
y. En fait, laproduction
estune aléatoire Y
(u,
v,w)
et le seul butqu’on puisse
se proposer est d’atteindre le niveau y sanstrop d’imperfection.
La manière laplus simple déprimer
cetobjectif
est des’imposer
la condition(1) Pr
{Y (u, v, w)-y0 } = 03B5
03B5 étant la
possibilité
d’échec tolérée(et
soncomplément
oi à l’unité laprobabilité
deréussite,
ou
garantie,
que l’ons’assigne).
Cette manière de limiterl’imperfection
n’est pasimpérative.
On pour- rait, au lieu de laprobabilité
d’échec E, se donnerl’espérance mathématique (ou
valeurprobable)~
de la défaillance
Y - y (pour
Yy).
Le choix de ecorrespond
au cas où on s’attache avant tout aufait de la défaillance
(la
coupure decourant),
celuide d
au cas où l’on s’attacherait avant tout àl’importance
de celle-ci(l’énergie manquante). Quelle
que soit d’ailleurs laposition prise,
onobtient,
enexplicitant
la conditionprécédente,
uneéquation
entre les dotations en facteurs u, v, w,la
production assignée
y et leparamètre d’imperfection, -
ici eF
( u, v,w,e)=
yLa fonction F
peut
être considérée comme une fonction deproduction généralisée.
On ne
peut
pascependant
lui reconnaître la mêmeimportance qu’à
la fonction deproduction classique
f(u,
v,w).
S’il suffit, en effet,d’égaler
celle-ci à la demande pour obtenir la liaison entre dotations en facteursqui
conditionne la minimation du coût, dans le casprésent,
au contraire, la demande est inévitablement une aléatoire X, parcequ’un
délai souventlong sépare
la décisiond’investir de la mise en service de l’investissement
(1)
et que l’écoulement dutemps
estinséparable
de
l’apparition
durisque. L’objectif
que nous devons réaliser sanstrop d’imperfection
est dedesservir la demande telle
qu’elle
seprésentera.
Nous pouvons encore nous donner la valeur duparamètre d’imperfection.
Mais nous ne pouvonsplus, parmi
les valeurs de la demandesuscepti-
tibles de seprésenter,
nous attacher à une seule à l’exclusion de toutes les autres.Bref, la condition à
remplir prend
ici la forme(2) Pr f Y (u, v, w)-X0)=03B5
Cette
équation
que nousappellerons équation
degarantie exprime l’équilibre,
enproba- bilité,
de l’offre et de la demande. C’est enl’explicitant
que nous obtiendrons la liaison entre dotationsen facteurs
qui
conditionne la minimation du coût.Dans notre
problème, l’équation (2)
combine l’aléa deconjoncture
et l’aléad’hydraulicité (2).
Cette combinaison, dont
j’ai
montréplus
haut le caractère inévitable, met enjeu
deuxrisques
denature différente. L’aléa
hydraulicité
se rattache en effet à laconception
«fréquentiste
» de la pro-babilité, et l’aléa de
conjoncture
à laconception
« intuitionniste ». Cette seconde notion estparfois
contestée
(à
tort, à monsens),
mais il est inutile d’entrer ici dans la controverse. Aregarder
les chosesde
plus près,
la différences’estompe.
Il serait, en effet, hardi deprétendre
que,lorsque
nouséquipons
une chute en haute
montagne,
nousdisposons
d’un matérielstatistique
suffisant pour nouspermettre
de considérer nos
appréciations
deprobabilités
comme des limites defréquences.
Inversement,nos estimations de la demande future à
quelques
années de distance sont loin de relever de la pure intuition.Observons, pour terminer, que dans le
problème qui
nous occupe, l’offred’énergie
d’heurespleines
d’hiver Y(u,
v,w)
nedépend
pas seulement des dotations en facteurs et des fluctuations aléatoires del’hydraulicité,
mais aussi de laconsigne d’exploitation assignée
aux réservoirsjournaliers
et saisonniers en vue dereporter l’énergie
de la nuit sur lejour
et de l’été sur l’hiver.Un
problème préalable
consiste à définir laconsigne optimum.
Je mentionnerai seulement iciqu’il
a été résolu
(3).
(1) C’est là une des raisons pour lesquelles il y a un intérêt majeur à réduire au minimum les délais de cons-
truction (l’autre raison étant le poids des intérêts intercalaires).
(2) Je ne fais pas intervenir dans le calcul l’aléa politique et social - par exemple celui de guerre - qui grève d’ailleurs inégalement production hydraulique et production thermique. Je le néglige à ce stade de l’analyse
parce que je ne dispose pas de formule susceptible de l’exprimer. Mais sa prise en considération peut entraîner une retouche aux conclusions du calcul. Un risque vague ne doit pas être confondu avec un risque faible.
(3) P. MASSE : Les Réserves et la Régulation de l’Avenir, 1946 (Hermann, Paris).
G. MORLAT : Sur la consigne d’exploitation optimum des réservoirs saisonniers, la Houille Blanche, Juillet- Août 1951.
Le
premier exemple
de surface degarantie
a été fourni par M. HALPHEN(1.),
avec des idéeslégèrement
différentes de cellesqui
sontaujourd’hui
les nôtres, les réservoirs étantexploités
« ensécurité » et les trois
paramètres d’équipement
étant laproductibilité
du semestre d’hiver pour lethermique,
lapuissance
normaledisponible
et le taux des réserves pourl’hydraulique.
*
3. - LA STRUCTURE DES COUTS.
L’estimation des coûts doit tenir
compte
à la fois du facteurtemps
et du facteurrisque.
Le facteur
temps.
Chaque
élément de coût doit être ramené en valeur actuelle ouplus
brièvementactualisé,
par
application
d’un tauxd’intérêt(en
théorie le tauxd’équilibre
du marché descapitaux) (2).
Ilétait
d’usage,
dans lepassé,
de raisonner sur des coûts annuels, et non sur des coûts actualisés. Mais le raisonnement par annuités n’est décisif que dans une économie stationnaire, où les coûts restent les mêmes d’une année à l’autre. Or, nous vivons dans une économieprogressive,
fortement béné-ficiaire,
àlong
terme, des effets duprogrès technique.
D’où lasupériorité
de la méthode d’actuali- sation encapital
mise aupoint
par M. GIGUET(3).
Le
progrès technique
se manifesteplus particulièrement
dans le domainethermique.
Alors,en effet, que le rendement des usines
hydrauliques approche depuis
un certaintemps
de salimite,
le rendement des usines
thermiques
s’estbeaucoup
accru, etparaît susceptible
de s’accroître encore, du fait de l’élévation destempératures permise
par leprogrès
de lamétallurgie.
Il en résulte que la consommationspécifique
des centralesthermiques
est d’autantplus
faiblequ’elles
sont de construc-tion
plus
récente. Les centrales lesplus
modernes consomment actuellement 2.900cal/k Wh
contre6.000 à 8.000
cal /kWh
pour IES centrales lesplus
anciennes. On estime que l’abaissement se pour- suivrajusqu’à
une limite de l’ordre de 2.200 à 2.400cal/kWh.
Ainsi, du fait de la construction denouveaux
équipements
et du déclassementprogressif
des centrales vétustes, le rendement de notreappareil
deproduction thermique
tend à s’améliorer d’année en année. En outre, à mesurequ’on s’approche
de la limite duprogrès,
l’éventail des consommationsspécifiques de
combustible tend àse refermer.
Les rendements
techniques
ne seront pas les seuls à évoluer au cours dutemps :
lesprix
des facteurs, enpremier
lieu celui du charbon, évolueront aussi. Il faut choisir pour eux uneligne
d’avenir.
Dans ce choix, nous devons écarter ce que
j’appellerai
lesophisme
de l’inflation. Si nousexaminons les
comptes
d’un des derniers exercices de l’Electricité de France, nous constatons que leprix
de revient del’énergie hydraulique
est àpeine
le tiers duprix
de revient del’énergie thermique.
C’est que les
charges
financières des usines sont restées constantesdepuis l’époque
de leur construc-tion, tandis que le
prix
du charbon ne cessait de s’élever par suite de ladégradation
continue de lamonnaie. D’où, à la limite, l’idée
parfois exprimée
ou sous-entendue, que «l’hydraulique
ne coûterien » à cause des effets inflationnistes. Mais ces effets inflationnistes dont il faut bien
espérer
que nous purgerons unjour
notre économie, ont pour caractère essentiel que lesprofits
des débiteurs sont exactementcompensés
par lespertes
des créanciers. Or, si uneentreprise privée peut,
à larigueur,
ne s’intéresser
qu.’à
l’une des faces duproblème, -
aurisque
de tuer lapoule
aux 0153ufs d’or - unService National n’a pas le droit de considérer comme une « bonne affaire » une
opération
dont iltire bénéfice, mais
qui
lèse sesprêteurs.
Nos calculs doivent donc être établis en monnaie
saine,
c’est-à-dire enprix
stables.Mais ce
postulat
de stabilité du niveaugénéral
desprix
doit êtreappliqué
avecquelques précautions.
Tout d’abord, ilexige évidemment,
souspeine
d’incohérence,qu’on
ait extourné du taux d’intérêt laprime d’assurance
contre la dévaluationplus
ou moins consciemmentexigée
par lesprêteurs.
(1) E. HALPHEN : Un exemple d’application des méthodes statistiques : Le problème du plan de développe-
ment de la production d’énargie électrique (Annuaire Hydrologique de la France, 1945).
(2) Il peut y avoir plusieurs taux d’équilibre selon la durée des prêts.
(3) R. GIGUET : Les programmes d’équipement électrique considérés du point de vue de l’économie appliquée.
Economie Appliquée 1951, N" 1.
Il
n’implique
pas nécessairement d’autrepart,
la stabilité de tous lesprix.
Enparticulier,
leprix
du charbon aura saligne
d’avenir proprequi
pourra être en hausse ou en baisse. Les perspec- tives à moyen termeparaissent
à cetégard
assez favorables à cause de l’institution du marché com- mun et de l’effort de mécanisationpoursuivi
par les Houillères. Along
terme, en revanche, les influ-ences sociales comme la désaffectation du métier de mineur
paraissent
devoirjouer
fortement ensens inverse.
*
* *
Le facteur
risque.
L’analyse
durisque
en économie remonte à Daniel Bernoulli et à sa réfutation de la théorie dugain probable (1730).
Elle a étémarquée
ces dernières années par desdéveloppements
intéres-sants, mais encore
sujets
à controverse, dontj’ai
dit un mot dans lepremier exposé.
Je nem’y
attar-derai pas car, dans le cas
qui
nous occupe, toutes les théories conduisentpratiquement
à introduiredans le calcul
l’espérance mathématique
ou valeurprobable
des coûtséventuels, corrigée
enprincipe
d’un
chargement
de sécurité.Je
passerai rapidement
sur les coûtsd’exploitation qui
se renouvellent d’année en année,et pour
lesquels,
la loi desgrands
nombresjouant,
il estd’usage
de s’en tenir aux valeursprobables.
Par contre, le coût
d’équipement
étantsupporté
unefoiset une seule, il est derègle
demajorer
sa valeur
probable
d’unchargement
de sécuritéauquel
lespraticiens
des travauxpublics
ont donnéle nom de « somme à valoir ». Le
pourcentage
duchargement peut
d’ailleurs être réduitlorsqu’on entreprend
simultanémentplusieurs équipements
à cause de lacompensation partielle
desrisques qu’il
est alorspermis d’escompter.
Quels
sont cesrisques ?
Le coût
d’équipement
d’une chute d’eau et, dans une moindre mesure, d’une centralethermique,
est fonction des difficultés du terrain. Et par terrain, il faut entendre non seulement le
relief,
mais la structure, non seulement la surfacetopographique,
mais les accidents du sous-sol, dont aucune formulegéométrique
nepeut
exactement rendrecompte.
Onpeut
dire, en schématisant, que lors-qu’on
passe du rocher franc au terrain délitéexigeant
desboisages,
le coût deperforation
est multi-plié
par 2 ; il l’est par 3lorsque
seproduisent
des venues d’eauimportantes,
par 8 ou 10lorsqu’il
faut travailler au bouclier. Dans le tunnel
d’lsère-Arc,
parexemple,
on a dû, par endroits, «épingler»
le rocher pour
l’empêcher
d’éclater sous lapression
de lamontagne,
et dans une zone franchement mauvaise il a fallu abandonner laperforation
àpleine
section pour revenir à la méthodeplus
lenteet
plus
coûteuse de lagalerie
de base.De même, l’exécution d’un
barrage dépend
moins du contourapparent
du verrou que des accidents rencontrés enprofondeur. L’expérience apprend qu’on
nemultiplie jamais trop
lessondages préalables.
Mais on nepeut
pour autant exclurecomplètement
lerisque
de failles ou de zones debroyage, qui obligent
degrands ingénieurs
comme MM.CAQUOT
et COYNE à mettre enjeu
toute leur virtuosité. On vient, engénéral,
à bout des difficultéstechniques,
mais enpayant
leprix.
’ Il faut
parfois,
en outre,ajouter
aux inconnues du terrain le caractère inédit de latechnique
d’exécution. Il faut tenir
compte également
de l’incertitude des programmes financiersqui
ne per- mettent pastoujours
d’assurer la continuité de l’investissement et la réutilisation rationnelle deséquipes
et du matériel de chantier.Enfin,
il estparfois difficile,
dans un vieux pays comme lenôtre,
où toute évolution se heurte au
respect
- onpourrait
presque dire, à lareligion
- des droitsacquis,
de savoir exactement à l’avance où mènera la
compensation
desdommages
causés aux tiers.Aussi,
pour établir un devis, ne suffit-il pas de la science d’un calculateur : il faut l’art d’unexpert.
4. - LA SUBSTITUTION MARGINALE A
ÉGALITÉ
DE GARANTIE.Le
problème posé
à l’Electricité de France consiste à choisir son programmed’équipement
de manière à obtenir sur la surface
de garantie
lepoint
de moindre coûtprobable
actualiséet
corrigé.
Pour le résoudre, on
part
d’un programme initial arbitraire, mais raisonnable(satisfaisant
en
particulier
à la condition degarantie),
et on cherche à l’améliorer par des substitutionsmarginales
à
égalité
degarantie.
Estavantageuse,
et doit par suite être effectuée à la marge du programme,toute substitution
procurant
àégalité
degarantie
un enrichissement, c’est-à-dire un abaissement du coûtprobable
actualisé etcorrigé.
Le
thermique joue
dans lescomparaisons
un rôleparticulier,
car il est peudépendant
des sitesnaturels et entraîne ainsi - dans une situation donnée du marché des biens
d’équipement -
uncoût d’investissement à peu
près
fixe par kilowatt installé. A la limite, onpeut
concevoir unthermique
idéal de coût d’investissement absolument fixe
qui
sert de référence aux substitutionsmarginales.
Soit donc un
système
deproduction (S) englobant
les usines existantes etprojetées. Appelons :
X la demande d’heures
pleines
d’hiver ;Y l’offre d’heures
pleines
d’hivercorrespondant
ausystème
S ;03B1 la
garantie correspondante ;
03B8 la durée des heures
pleines
d’hiver ;Z l’offre d’heures
pleines
d’hiver d’une usinehydraulique supplémentaire ;
g la
puissance
de l’usinethermique équivalente
engarantie.
On a pour le
système (S),
par définition deLa substitution
marginale
de Z à 9 àégalité
degarantie
est définie par la conditionLa substitution
marginale, lorsque
Z et g sontpetits
parrapport
à Y, revient à combiner l’additionmarginale
de Z et l’additionmarginale
de gchangée
designe.
Nous avons ainsi à calculer les coûts
probables
actualisés etcorrigés qui prennent
naissance lors de l’addition ausystème (S)
d’une usine différentielle,hydraulique
outhermique.
La structure de ces coûts
comporte :
a)
unedépense
decapital ;
.b)
une annuité constantereprésentant
les fraisd’exploitation,
d’entretien et de renouvelle- ment des ouvrages,supposés perpétués
indéfiniment ;c)
une annuité variable designe opposé, représentant
une économie de charbon.La décroissance du troisième élément est la marque de l’économie
progressive
au sein delaquelle
nous vivons. Il est toutefois essentiel de noter que cette décroissance a une allure tout à fait différente selon que l’usineajoutée
à la marge dusystème
esthydraulique
outhermique.
Si, par
exemple,
on investit 1 franc deplus
dansl’équipement thermique,
on obtient la pre- mière année une économie substantielle de charbon, parce que lesupplément
depuissance
thermi- que moderne ainsi obtenu se substitue à unepuissance thermique
vétusté ; mais cette économie dimi-nue au cours du
temps
parce quel’appareil
deproduction thermique
s’améliore de toutefaçon
d’année en année. L’économie
qu’elle
procure est ainsipurement
transitoire. Elle estfigurée
sur lediagramme
ci-contre, extrait d’une étude récente danslaquelle
le raisonnementqui précède
estdéveloppé
etprécisé (2).
En toute
rigueur,
on devrait tenircompte
du faitqu’au
bout de trente ansl’équipement
ther-mique correspondant
au francsupplémentaire
investi seraremplacé grâce
au fonds de renouvelle- ment constitué à l’aide de l’annuitéb/.
On aura ainsi une nouvelle courbe d’économie décroissanteanalogue
à lapremière,
maisd’amplitude plus
réduite et décalée de trente ans vers l’avenir. Sonpoids
dans les actualisations étant secondaire, nous le
négligerons
ici.Un investissement de 1 franc de
plus
dansl’équipement hydraulique permet
de réaliser une économie transitoireanalogue.
Mais il reste à son crédit une économiepermanente, correspondant
aux 2.400
cal jkWh
considérés comme la limite de l’abaissement des consommationsspécifiques.
Le
jour
où cette limite sera atteinte, le franc investiprécédemment
dans unéquipement hydraulique
continuera à
rapporter
une rente de charbon. D’où la courbe Bfigurée
sur lediagramme.
(1) Cette relation est équivalente à l’équation (2) du paragraphe 2°, dont elle se déduit en remplaçant simul- tanément ~ par > et E par oc. Dans la conception de l’objectif certain, on aurait la même relation, en remplaçant
l’aléatoire X par la quantité certaine x (et éventuellement, la probabilité oc par une autre
probabilité 03B2
).(2) R. GASPARD et P. MASSE : Le choix des investissements énergétiques et la production d’électricité en
France. Revue Française de l’Energie. Octobre 1952.
Les deux courbes A et B
représentant
des économies de charbon par franc investi, ellesdépen-
dent des coûts
d’équipement
admis. Pourséparer
les élémentsphysiques
des élémentsfinanciers,
nous donnons
ci-après
les formulesapprochées exprimant
l’économie enKg
de charbon par kWthermique
et par kWhhydraulique :
Il faut observer Ici que le
premier
terme de eh,qui représente
l’économie transitoire,dépend
du
régime hydrologique
de la chute et de lacapacité
d’accumulation de son réservoir ; le coeffi- cient0,30 correspond
à une chute fictivereprésentant
la moyenne des chutesfrançaises
réelles(pour
une usine de
lac,
l’économie transitoire de lapremière
année estapproximativement égale
à l’éco-nomie
permanente
pour une usine au fil del’eau,
elle est de l’ordre de 80%).
L’actualisation des économies de charbon au taux d’intérêt continu r. donne
Le graphique montre la décroissance rapide de l’économie de charbon due à l’addition de un franc dans l’investissement thermique (courbe A) et la décroissance lente de l’économie de charbon due à l’addition de un franc
dans l’investissement hydraulique (courbe B).
Formule
approchée
de l’enrichissement.Soient
W le
productible
annuelprobable
de l’usinehydraulique
de durée de vie m;g la
puissance thermique équivalente
engarantie
de durée de vie n ;p le
prix d’équipement
du kWthermique ;
q le
prix
d’achat duKg
de charbon ;r le taux de
l’intérêt ;
a l’annuité constante
d’exploitation
et d’entretien de l’usinehydraulique ;
b id. pour l’usine
thermique (combustible
noncompris) ; Uh
l’enrichissement dû à l’addition de l’usinehydraulique ;
Ut
l’enrichissement dû à l’addition de l’usinethermique équivalente
engarantie ;
03C9 l’enrichissement dû à la substitution
(enrichissements probables,
actualisés etcorrigés).
On a les formules
Dans les formules
précédentes,
a est, au niveau actuel desprix,
de l’ordre de 0,16 W et b est de l’ordre de 0,02 p. Ces formulessupposent, rappelons-le,
que c’estl’énergie
d’heurespleines
d’hiverqui
commande la substitutionmarginale
àégalité
degarantie.
Pour tenircompte
des autresaspects critiques
dusystème,
onpeut ajouter
à l’enrichissement des termescorrectifs,
notamment en cequi
concerne la
puissance
depointe
dujour
leplus chargé.
Les formules
font,
en outre, abstraction duproblème
assezcomplexe
del’imputation
descharges
de
transport.
Elles sont valables en touterigueur
pour unsystème
danslequel l’hydraulique
et lethermique
seplacent
chacun dans sa zone d’influencenaturelle,
lethermique
dans la zone Nord(environ
60%)
etl’hydraulique
dans la zone Sud(environ
40%).
S’il n’en était pas ainsi, une correc- tion detransport
devrait êtreapportée
aux formules.Autres
problèmes.
Le
problème qui
vient d’être traité est celui du choix entreopérations
nouvelles destinées à desservir une demande enexpansion :
ils’agit
alors d’investissements deproduction.
Mais on
peut
aussi bien concevoir que la substitutionmarginale
s’effectue entre un investisse- ment nouveau et un investissement ancienqu’on
désire déclasser avant terme parcequ’il
estgrevé
de lourdes
charges d’exploitation :
ils’agit
alors d’investissements deproductivité.
Enfin,
dans bien des cas, laquestion
est moins de savoir si on fera telleopération
au lieude telle
autre
que de décider si on lafera avant telle autre. Leproblème
dumétropolitain,
à supposerqu’il
ait été conçu en termes rationnels, n’a pas été de choisir une fois pour toutes entre laligne
1et la
ligne
2, mais de fixer l’ordre depriorité
de leur construction. Leproblème
de l’électricité n’a pas été de choisir une fois pour toutes entre lebarrage
deTignes
et la centralethermique
deCreil,
mais de savoir par
quelle opération
on commencerait, etc... L’instrumentd’analyse
àemployer
estalors la
permutation marginale
dans letemps.
Ilprésente
d’ailleurs unavantage qu’il
fautsouligner.
Lorsqu’on opère,
eneffet,
par voie de substitutionmarginale
instantanée, on compare deux décisionsqui
sont et resterontdivergentes,
et dont il faut ainsi chiffrer lesconséquences jusqu’à
l’avenirle
plus éloigné.
Au contraire, dans lapermutation marginale
dans letemps,
les deux décisions à mettre en balance ne diffèrent quependant
une durée dequelques
années. On n’a pas besoin, pour lesdépartager,
de faire deshypothèses
sur l’avenir lointain.Les formules de l’enrichissement
peuvent
être utilisées de diverses manières. Onpeut
notam-ment :
a)
calculer 03C9 connaissant r et D(ainsi,
bien entendu, que p etq),
c’est-à-dire voir dansquelle
mesure la substitution