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Des manifestations du pluralisme juridique en France

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-01067065

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Submitted on 22 Sep 2014

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To cite this version:

Sabine Lavorel. Des manifestations du pluralisme juridique en France : L’émergence d’un droit français des minorités nationales. Droit. Université Pierre Mendès-France - Grenoble II, 2007. Français.

�NNT : 2007GRE21027�. �tel-01067065�

(2)

Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Droit public

D ES MANIFESTATIONS

DU PLURALISME JURIDIQUE EN F RANCE

L’ ÉMERGENCE D UN DROIT FRANÇAIS DES MINORITÉS NATIONALES

par

Sabine LAVOREL

Thèse soutenue publiquement le 10 décembre 2007 Jury de soutenance

Monsieur Joël-Pascal BIAYS †, Professeur à l’Université Grenoble II Directeur de recherche

Monsieur Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Professeur à l’Université Bordeaux IV Rapporteur

Monsieur Alexandre VIALA, Professeur à l’Université Montpellier I Rapporteur

Monsieur Jean-Marie PONTIER, Professeur à l’Université Paris I Monsieur Marcel-René TERCINET, Professeur à l’Université Grenoble II

Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Grenoble

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Thèse pour l’obtention du grade de Docteur en Droit public

D ES MANIFESTATIONS

DU PLURALISME JURIDIQUE EN F RANCE

L’ ÉMERGENCE D UN DROIT FRANÇAIS DES MINORITÉS NATIONALES

par

Sabine LAVOREL

Thèse soutenue publiquement le 10 décembre 2007 Jury de soutenance

Monsieur Joël-Pascal BIAYS †, Professeur à l’Université Grenoble II Directeur de recherche

Monsieur Ferdinand MÉLIN-SOUCRAMANIEN, Professeur à l’Université Bordeaux IV Rapporteur

Monsieur Alexandre VIALA, Professeur à l’Université Montpellier I Rapporteur

Monsieur Jean-Marie PONTIER, Professeur à l’Université Paris I Monsieur Marcel-René TERCINET, Professeur à l’Université Grenoble II

Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Grenoble

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REMERCIEMENTS

L’exercice des remerciements est sans doute l’un des plus délicats qui soient. Il paraît inévitablement convenu à celles et ceux qui le lisent mais n’en demeure pas moins essentiel, en ce qu’il témoigne d’une dette dont il est souvent difficile de pleinement s’acquitter.

Il est d’usage, à cet égard, de remercier en premier lieu le directeur de thèse pour son soutien, ses conseils et son rôle conducteur. C’est avec une vive émotion que je réserve ici cette première place à Monsieur le Professeur Joël-Pascal Biays, qui a suivi et encadré le cheminement de ma réflexion pendant six ans, avec le dynamisme et l’implication qui lui étaient si caractéristiques. Sa disparition prématurée laisse cette thèse orpheline ; il est certain qu’elle aurait eu une autre couleur s’il n’en avait été le directeur.

Je tiens ensuite à remercier Monsieur le Professeur Pierre Noreau pour m’avoir accueillie au sein du Centre de Recherche en Droit Public (CRDP) de l’Université de Montréal entre janvier et avril 2004. L’hospitalité de son équipe de recherche et la disponibilité dont il a lui-même fait preuve ont pleinement contribué à l’intérêt de mon séjour au Québec, qui n’aurait au reste pas été possible sans le financement du Ministère délégué à la Recherche et aux Nouvelles technologies.

J’adresse également mes remerciements les plus vifs à Madame la Professeure Andrée Lajoie et à Monsieur le Professeur Jean Leclair de l’Université de Montréal, pour leurs éclairages sur le pluralisme juridique au Canada et leurs observations sur ce qui n’était alors qu’une ébauche.

S’il est une dette dont je ne pourrai sans doute jamais me libérer, c’est celle qui me lie à Elisabeth et à Hafida. Qu’elles reçoivent ici ma plus profonde reconnaissance, Elisabeth pour avoir initié ce travail, Hafida pour avoir permis son aboutissement.

Merci également à Christelle et à Sébastien pour leur soutien constant au cours de ces longs mois de rédaction, ainsi qu’à Aude, Cédric, Emilie, Ludovic et Orianne pour le temps et l’attention qu’ils ont consacrés à la relecture de ce manuscrit.

A mes parents enfin, et à Jean-Christophe sans qui, à plus d’un titre,

cette thèse n’existerait pas.

(7)
(8)

A Jean-Christophe

(9)
(10)

La Faculté n’entend donner aucune appro-

bation ni improbation aux opinions émises

dans cette thèse. Ces opinions doivent être

considérées comme propres à leur auteur.

(11)
(12)

AC ADRAF AFDI AG AIJC AJDA al.

Ann.

APD art.

Bull.

CA CAA Cass.

CC CCC CE CEDH CESDH

civ.

cf.

CGCT CG3P chron.

CIJ CNRS Coll.

com.

COM Concl.

cons.

CPJI crim.

CURAPP

dir.

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(13)

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LOOM LPA n°

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Union Européenne

(15)
(16)

pages

INTRODUCTION

...

1

P

REMIERE PARTIE

- L

E PLURALISME DES SOURCES DE DROIT ...

53

Titre I - La reconnaissance d’ordres juridiques minoritaires extra-étatiques

...

58

Chapitre 1 - L’existence empirique d’ordres juridiques minoritaires extra-étatiques

...

62

Chapitre 2 - La positivité octroyée des ordres juridiques minoritaires extra-étatiques

...

104

Titre II - L’établissement d’ordres juridiques minoritaires infra-étatiques

...

161

Chapitre 1 - L’autonomisation institutionnelle de collectivités juridiques minoritaires infra-étatiques

...

167

Chapitre 2 - L’autonomisation normative de collectivités juridiques minoritaires infra-étatiques

...

232

D

EUXIEME PARTIE

- L

E PLURALISME DU CONTENU DU DROIT ...

281

Titre I - La différenciation du droit de l’Etat

...

287

Chapitre 1 - La personnalisation juridique de groupes minoritaires

...

291

Chapitre 2 - L’attribution ponctuelle de droits identitaires

...

345

Titre II - L’hétérogénéisation du droit dans l’Etat

...

403

Chapitre 1 - L’hétérogénéisation effective du droit positif

...

405

Chapitre 2 - L’hétérogénéisation encadrée du droit positif

...

488

CONCLUSION

...

571

ANNEXES

...

589

BIBLIOGRAPHIE

...

601

INDEX ALPHABÉTIQUE

...

643

TABLE DE JURISPRUDENCE

...

647

TABLE DES MATIERES

...

665

(17)
(18)

INTRODUCTI ON

(19)
(20)

En 1980, devant le Sénat qui discute de l’adoption de la loi autorisant la ratification par la France du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Ministre des Affaires étrangères affirme sans ambages que « l’article 27 [de ce Pacte]

ne s’applique qu’aux Etats où il existe des minorités. Or, tel n’est pas le cas de la France puisque les principes fondamentaux de notre droit public […] interdisent les distinctions entre citoyens en fonction de leur origine, de leur race, de leur religion »

1

. Cette position, constamment réitérée par les différents gouvernements français, quelle que soit leur orientation politique, est sans ambiguïté. Elle récuse l’existence, sur le territoire national, de groupes susceptibles de se prévaloir de la qualification de minorités. Dans ce cadre, l’étude du droit des minorités nationales en France paraît sans objet.

Les faits, pourtant, témoignent d’une réalité socioculturelle bien différente.

L’observation de la population française révèle en effet l’existence de cultures locales et de diversités régionales. La population nationale n’est pas ce bloc monolithique que semble désigner le Conseil constitutionnel lorsqu’il consacre l’unicité du peuple français

2

. Elle rassemble au contraire divers groupes qui se sont dénommés ou révélés de facto comme des minorités nationales

3

, qu’il s’agisse de minorités métropolitaines (Alsaciens-Mosellans, Basques, Bretons, Catalans, Flamands, Corses, Occitans

4

) ou

1 JORF Débats Sénat, 17 juin 1980, p. 2765. L’article 27 du Pacte prévoit en effet que « dans les États où il existe des minorités ethniques, religieuses ou linguistiques, les personnes appartenant à ces minorités ne peuvent être privées du droit d’avoir, en commun avec les autres membres de leur groupe, leur propre vie culturelle, de professer et de pratiquer leur propre religion, ou d’employer leur propre langue ».

2 Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, le Conseil constitutionnel indique en effet que « la Constitution ne connaît qu’un seul peuple ; et ce peuple est composé de citoyens, c’est-à-dire d’individus indifférenciés » (Rec., p. 40). Voir PIERRÉ-CAPS (Stéphane), « Le Conseil constitutionnel, gardien de l’identité française », Revue des sciences administratives de la Méditerranée orientale, n° 31, 1990, pp. 141-151.

3 Le dénombrement des minorités s’avère difficile, dans la mesure où le recensement de la population française au regard de critères d’origine, de race ou de religion est contraire à l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958. Ainsi, les opérations de recensement réalisées en 2004 en Nouvelle- Calédonie n’ont comporté aucune question relative à l’appartenance ethnique, contrairement aux précédents recensements qui rendaient compte de la composition ethnique de la population calédonienne. Ce débat s’est trouvé récemment ravivé par plusieurs propositions tendant à l’instauration d’un « comptage ethnique » destiné à « mesurer la diversité des origines » dans les administrations et les entreprises (en ce sens, voir le rapport de FAUROUX (Roger), La lutte contre les discriminations ethniques dans le domaine de l’emploi, Paris, Ministère de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement, 2005, pp. 20-24). Ces initiatives n’ont jusqu’ici pas eu de suite (MONTVALON (Jean-Baptiste de), VAN EECKHOUT (Laetitia), « La France résiste au comptage ethnique », Le Monde, 2 juillet 2006). Par suite, les chiffres fournis ici ne constituent que des évaluations non officielles.

4 Les minorités métropolitaines présentent un caractère essentiellement linguistique, ce qui permet d’en donner une évaluation quantitative fondée sur le nombre de locuteurs. Ainsi, en adoptant le critère de la langue parlée, on peut dénombrer près d’un million d’Alsaciens, 600 000 Bretons, plus de 200 000

(21)

ultra-marines (Amérindiens et Noirs-réfugiés de Guyane

1

, Créoles des Antilles et de la Réunion

2

, Kanaks

3

, Polynésiens

4

, Wallisiens

5

, Mahorais

6

). Dès lors, la conception unitaire de l’Etat et du peuple français se heurte à la volonté de ces groupes de « construire, de composer et de recomposer leur identité, selon leur propre système de normalisation et de signes d’appartenance, sans entrave émanant de l’ordre juridique étatique »

7

.

Les manifestations identitaires de ces différentes minorités nationales de fait sont extrêmement disparates : leur nature et leur ampleur varient en fonction des prétentions affichées par chaque groupe. Si certaines minorités présentent uniquement des revendications d’ordre socio-économique, d’autres pourront avoir des exigences politiques, voire territoriales. Pour autant, tous ces groupes minoritaires n’en gardent pas moins un objectif commun : la transposition de leurs revendications en termes juridiques. Cette « mobilisation politique du droit »

8

par les minorités nationales peut

Catalans, 200 000 Basques, 180 000 Corses et 80 000 Flamands (évaluations du Ministère de la Culture). En outre, un peu plus de 500 000 personnes parlent l’occitan (BISTOLFI (Robert), « Enjeux occitans face à la décentralisation », Confluences Méditerranée, n° 49, printemps 2004, p. 176).

1 Sur les 157 000 habitants de Guyane, on dénombre environ 5 000 Amérindiens répartis en six ethnies et 4 000 Noirs-réfugiés (ou Noirs-marrons) descendants des anciens esclaves noirs, répartis en quatre ethnies. Ces différentes communautés ont conservé leurs coutumes et leurs structures sociales, qui fondent un fort sentiment d’appartenance ethnique. Voir ARNOUX (Irma), « Les Amérindiens dans le département de la Guyane : problèmes juridiques et politiques », RDP, 1996, p. 1616.

2 Les minorités créoles sont des minorités linguistiques dont la langue s’est formée aux XVIe et XVIIe siècles par mixage entre le français et les langues des esclaves noirs importés dans les colonies. On dénombre aujourd’hui près de 380 000 locuteurs en Martinique, 425 000 en Guadeloupe et 600 000 à la Réunion, mais également quelques milliers en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Les langues créoles présentent peu de similitudes entre elles, dans la mesure où les esclaves des différentes colonies étaient d’origines diverses. Voir CHAUDENSON (Robert), « Les langues créoles », La Recherche, n° 248, 1992, pp. 1248-1252.

3 Selon le recensement de septembre 2004, plus de 230 000 personnes résident en Nouvelle-Calédonie ; 27 756 personnes relèvent du statut coutumier (décret n° 2005-807 du 18 juillet 2005, JORF, 20 juillet 2005, p. 11800). Le recensement précédent, réalisé en avril 1996, indiquait que 44 % de la population néo-calédonienne, qui comptait alors près de 197 000 habitants, était d’origine mélanésienne (décret n° 96-1084 du 11 décembre 1996, JORF, 13 décembre 1996, p. 18268).

4 Le recensement de 2002 a dénombré plus de 245 000 habitants en Polynésie française (décret n° 2003-725 du 1er août 2003, JORF, 5 août 2003, p. 13 481) ; plus de 80 % de cette population est d’origine polynésienne (GARDE (François), « Les autochtones et la République », RFDA, 1999, p. 2)

5 La population de Wallis et Futuna s’est établie à près de 15 000 habitants au recensement de juillet 2003 (décret n° 2004-316 du 29 mars 2004, JORF, 31 mars 2004, p. 6208). Plus de 85 % des habitants sont natifs du territoire et 10 % natifs de Nouvelle-Calédonie (statistiques du Ministère de l’outre-mer).

6 Le dernier recensement de juillet 2002 révèle une population totale à Mayotte d’un peu plus de 160 000 habitants (décret n° 2003-32 du 9 janvier 2003, JORF, 12 janvier 2003, p. 696), dont près de 60 % de Mahorais. Cette population mahoraise connaît une spécificité religieuse (95 % des Mahorais sont musulmans) doublée d’une spécificité linguistique (la proportion de Mahorais parlant français est estimée, au plus, à 25 %). Voir BONNELLE (François) dir., Réflexions sur l’avenir institutionnel de Mayotte, Rapport au Secrétaire d’Etat à l’Outre-mer, Paris, La Documentation française, Coll. des rapports officiels, 1998, p. 15.

7 OTIS (Ghislain), « La tolérance comme fondement et limite de droits identitaires autochtones », in DUMOUCHEL (Paul), MELKEVIK (Bjarne) dir., Tolérance, pluralisme et histoire, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 98.

8 Selon Pierre Noreau et Elisabeth Vallet, la « mobilisation politique du droit » par les minorités revêt trois aspects : la reconnaissance de droits, l’exercice de droits et le respect des droits (NOREAU (Pierre), VALLET (Elisabeth), « Le droit comme ressource des minorités nationales : un modèle de

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alors se traduire par une exigence de non-discrimination, par la réclamation de droits différenciés, voire par la prétention à l’autonomie normative – dans tous les cas, par l’aspiration à bénéficier de règles spécifiques dont la coexistence avec les règles de droit commun est constitutive d’un phénomène de pluralisme juridique.

Confronté à ces revendications juridiques, l’Etat a dû entreprendre une difficile conciliation entre le respect des différences et la protection des droits fondamentaux, entre la reconnaissance de droits singuliers et l’application du principe d’égalité, entre la consécration d’un droit à l’identité et la sauvegarde de l’unité nationale. Cette évolution s’est traduite par l’élaboration progressive d’un « droit de la différence »

1

aux contours d’autant plus incertains que le discours officiel des autorités publiques à l’égard des minorités ne s’est pas modifié. Ce refus affiché de reconnaître l’existence de minorités nationales en France ne cache toutefois pas « les ambivalences d’un système juridique interne qui aménage subrepticement des recompositions afin d’adapter les règles de droit aux situations géographiques, culturelles et communautaires particulières »

2

. L’adoption d’un statut octroyant une autonomie politique sans précédent à la Nouvelle-Calédonie en 1998, la révision du statut de Mayotte en 2001, l’accentuation de la différenciation statutaire de la Corse en 2002, la révision constitutionnelle renforçant la décentralisation en 2003 ou la réforme du statut d’autonomie de la Polynésie française en 2004 ne sont que des exemples récents de ce mouvement continu vers un pluralisme juridique qui n’est lui-même que la traduction du pluralisme socioculturel de la population française. Face à la multiplication des réformes, il est temps de s’interroger sur la portée que ces dernières peuvent avoir sur la structure, le contenu et les fondements du droit public français.

Ce mouvement – ébauché mais encore fragile – de redéfinition des rapports entre l’Etat et les minorités nationales présente en effet deux enjeux autour desquels se joue l’avenir de la République « indivisible, laïque, démocratique et sociale »

3

. Il s’agit, dans un premier temps, de reconnaître l’existence de collectivités minoritaires sans remettre en cause l’unité de l’État, par l’affirmation d’un droit au pluralisme (I). Cette institutionnalisation des diversités socioculturelles pourra alors se traduire, dans un second temps, par une évolution de la régulation juridique désormais fondée sur le pluralisme du droit (II).

mobilisation politique du droit », in NOREAU (Pierre), WOEHRLING (José) dir., Appartenances, institutions et citoyenneté, Montréal, Wilson et Lafleur, 2005, pp. 55-77).

1 Le Professeur Koubi définit le droit de la différence comme « une forme de gestion des relations entre l’individu, le groupe et l’Etat, [qui] découle du pouvoir dont dispose le législateur de nuancer les applications du principe d’égalité, la différence de situation emportant la différence de traitement » (KOUBI (Geneviève), « Droit et minorité dans la République française », in FENET (Alain), KOUBI (Geneviève), SCHULTE-TENCKHOFF (Isabelle), Le droit et les minorités, Bruxelles, Bruylant, 2ème éd., 2001, pp. 296-297).

2 KOUBI (Geneviève), op. cit., p. 354.

3 Aux termes de l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958.

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I. L

E DROIT AU PLURALISME

C’est à partir des années 1970 qu’émerge en France un courant identitaire au niveau local, qui prend la forme d’un régionalisme dont l’objectif, pour les collectivités concernées, est « d’assurer et de préserver les spécificités caractéristiques du territoire sur lequel elles sont établies »

1

. Se constituent alors un certain nombre de mouvements visant à réhabiliter les langues et cultures minoritaires et à affirmer l’existence d’identités régionales

2

; ces revendications trouvent un écho particulier en outre-mer, notamment dans les Antilles où différents courants fondés sur la

« créolité » apparaissent. La multiplication de ces mouvements identitaires se traduit alors par une prise de conscience de la diversité culturelle de la société nationale : l’unité proclamée du peuple français est ébranlée par le constat inévitable de l’existence de cultures minoritaires refusant leur assimilation à la culture dominante

3

.

Ces prétentions identitaires ne relèvent pas, à l’évidence, du domaine du droit.

Toutefois, dans la mesure où l’identité est présentée par les groupes minoritaires

« comme une valeur à protéger ou comme une conquête à assurer »

4

, leurs revendications appellent une réponse de l’Etat et finissent, dans certains cas, par avoir une traduction juridique. Cette juridicisation demeure toutefois incertaine : bien que le respect du pluralisme soit consacré comme l’une des caractéristiques des sociétés ouvertes

5

et l’une des conditions de la démocratie

6

, la reconnaissance des diversités

1 WEBERT (Francine), Unité de l’Etat et diversité régionale en droit constitutionnel français, thèse de doctorat, Université Nancy II, 1997, p. 104.

2 Ces initiatives, qui s’accentuent avec le mouvement de décentralisation de 1982-1983 et l’affirmation d’une Europe des régions, concordent parfois avec des mouvements nationalistes ou autonomistes.

Néanmoins, de manière générale, les régionalistes ne revendiquent pas une part de souveraineté mais souhaitent une prise en considération juridique de leurs spécificités culturelles. A cet égard, voir GUILLOREL (Hervé), « Mouvements régionalistes », in SIRINELLI (Jean-François) dir., Dictionnaire historique de la vie politique française au XXè siècle, Paris, PUF, 2ème éd., 2003, pp. 835-839. Pour un panorama des mouvements régionalistes, autonomistes et indépendantistes en France, voir CHARTIER (Erwan), LARVOR (Ronan), La France éclatée, Régionalisme, autonomisme, indépendantisme, Spézet, Coop Breizh, 2004, 348 p.

3 La notion de culture est particulièrement difficile à définir en raison de sa subjectivité (en ce sens, voir PONTIER (Jean-Marie), RICCI (Jean-Claude), BOURDON (Jacques), Droit de la culture, Paris, Dalloz, 2ème éd., 1996, pp. 5-7). Une acception large peut être retenue ici, à l’instar de celle avancée par la Déclaration de Mexico sur les politiques culturelles, adoptée par l’UNESCO en 1982 : « la culture peut aujourd’hui être considérée comme l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle englobe, outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits fondamentaux de l’être humain, les systèmes de valeur, les traditions et les croyances ».

4 PONTIER (Jean-Marie), « Les données juridiques de l’identité culturelle », RDP, 2000, p. 1277.

5 Les sociétés ouvertes, que le philosophe autrichien Karl Popper oppose aux sociétés closes ou tribales, supposent l’existence d’un débat public fondé sur la libre expression des diverses opinions, qui implique elle-même la protection des libertés d’association, de réunion ou encore de la presse (POPPER (Karl), La société ouverte et ses ennemis, tome 2, Paris, Seuil, 1979, p. 149). Voir également RESZLER (André), Le pluralisme. Aspects théoriques et historiques des sociétés ouvertes, Genève, Georg Eshel Editeur, 1990, pp. 51-65.

6 L’expression est empruntée au juge constitutionnel français (CC, décisions n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Rec., p. 141 ; et n° 89-283 DC du 11 janvier 1990, Rec., p. 141) mais le lien insécable

(24)

ethniques, linguistiques, religieuses ou culturelles rencontre une réelle résistance de la part des autorités nationales. Le développement d’identités culturelles spécifiques heurte en effet les structures étatiques peu favorables à l’expression de cultures locales, dans la mesure où ces cultures induisent une différenciation territoriale, voire ethnique, qui va à l’encontre de l’unité du territoire et de la population nationale. Il met en jeu deux logiques apparemment contradictoires : celle des minorités qui revendiquent la reconnaissance et la protection de leurs particularismes et celle de l’Etat qui recherche l’adhésion à un modèle culturel national

1

.

Ainsi, la diffusion des revendications de groupes minoritaires dans le cadre de l’Etat unitaire français soulève deux questions indissociables. La première, centrée sur la diversité de ces groupes et de leurs aspirations, est relative à l’expression multiforme des minorités nationales (A). La seconde porte en revanche sur les réponses ambiguës de l’État face à ces revendications identitaires et concerne la reconnaissance équivoque des minorités nationales (B).

A. L’expression multiforme des minorités nationales

En dépit du développement des mouvements minoritaires, il n’existe actuellement aucune définition universelle de la notion de minorité

2

. Plusieurs tentatives ont été faites en ce sens dans le cadre des Nations Unies

3

mais aucune d’entre elles n’a trouvé de traduction juridique positive. De nombreuses conventions et résolutions internationales désignent le phénomène minoritaire sans le qualifier, contournant ainsi l’impossibilité de réunir l’accord des États sur une définition opératoire. La Déclaration internationale des droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques, adoptée par l’Assemblée

entre démocratie et pluralisme a également été rappelé à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (voir notamment CEDH, 30 janvier 1998, Parti communiste unifié de Turquie et alii c. Turquie, Rec., I, § 43, commenté in SUDRE (Frédéric) et al., Les grands arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, 4ème éd., 2007, pp. 58-71 ; CEDH, 17 juillet 2001, Association Ekin c. France, AJDA, 2002, p. 52, note F. Julien-Laferrière).

1 En France, l’unité de l’Etat est fondée autour d’une culture nationale homogène, ce qui distingue le modèle français d’autres modèles, à l’exemple de l’Espagne, construits autour d’une pluralité de cultures.

2 Le constat en est fait par tous les auteurs ayant étudié la question des minorités, notamment FENET (Alain), KOUBI (Geneviève), SCHULTE-TENCKHOFF (Isabelle), Le droit et les minorités, Bruxelles, Bruylant, 2ème éd., 2001, p. 17 ; ROULAND (Norbert), PIERRE-CAPS (Stéphane), POUMAREDE (Jacques), Droit des minorités et des peuples autochtones, Paris, PUF, Coll. Droit fondamental, 1996, pp. 218-219 ; RIGAUX (François), « Mission impossible : la définition de la minorité », RTDH, n° 30, avril-juin 1997, pp. 155-175.

3 Voir notamment le mémorandum du Secrétaire général de l’ONU du 27 décembre 1949 intitulé

« Définition et classification des minorités » (Doc. E/CN.4/sub.2/85), le rapport de Francesco Capotorti de 1977 (Doc. E/CN.4/sub.2/384/Rev.1), le rapport de Jules Deschênes de 1985 (Doc. E/CN.4/sub.2/1985/31) et le rapport d’Asbjorn Eide de 1992 (Doc. E/CN.4/sub.2/1993/34).

(25)

Générale de l’ONU le 18 décembre 1992

1

, ne propose elle-même aucune définition, ni aucun mode de détermination de l’appartenance à une minorité. Cette lacune des textes internationaux est souvent justifiée par « l’impossibilité de s’entendre sur les expressions à utiliser et les catégories de groupes à inclure dans la notion »

2

: l’hétérogénéité des phénomènes minoritaires excuserait l’inaptitude des États et des organisations internationales à donner une formulation juridique générale et abstraite de la notion de minorité

3

. Bien que nombre d’auteurs s’accordent pour affirmer que cette explication s’apparente plus à un prétexte qu’à une réelle justification

4

, force est néanmoins de constater que les minorités nationales, y compris dans le cas français, présentent des spécificités diverses (1) et des revendications graduelles (2).

1. Des spécificités diverses

Cette « mission impossible »

5

que constitue la définition d’une minorité s’avère pourtant nécessaire au regard des enjeux que présente une définition ayant force de droit, en termes de reconnaissance et de protection des collectivités minoritaires. La qualification juridique des minorités permettrait en effet de les distinguer nettement d’autres phénomènes communautaires – tels que les regroupements de populations immigrées ou réfugiées – qui n’ont pas les mêmes objectifs

6

. La détermination

1 AG Rés. 47/135, reproduite in RGDIP, 1993, pp. 500-502.

2 BOKATOLA (Isse Omanga), « La déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appartenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques », RGDIP, 1993, p. 749.

3 Le mémorandum du Secrétaire général des Nations Unies du 27 décembre 1949 explique ainsi la difficulté à donner une définition précise de la notion de minorité par le fait que celle-ci englobe des éléments trop nombreux et trop volatils pour être généralisables (Doc. E/CN.4/sub.2/85, p. 10).

L’argument est repris par la doctrine, qui affirme que « l’infinie variété des situations minoritaires apparaît comme un défi à toute systématisation théorique » (SOULIER (Gérard), « Droit des minorités et pluralisme juridique », Droit et Société, n° 27, 1994, p. 626)

4 « De fait, si un consensus n’a pu se réaliser en droit positif sur une définition univoque, cela tient plus au refus de certains États de reconnaître en soi ce qu’ils considèrent comme des nations à part entière […], que d’une réelle divergence quant à la signification du phénomène minoritaire » (ROULAND (Norbert), PIERRE-CAPS (Stéphane), POUMAREDE (Jacques), op. cit., p. 238). Les États craignent en effet qu’une définition juridique ne favorise l’institutionnalisation de minorités qui remettraient en cause la stabilité politique nationale en revendiquant notamment l’application, à leur encontre, de règles dérogatoires au droit commun. Voir KOUBI (Geneviève), « L’ “entre-deux” des Droits de l’Homme et des droits des minorités : “un concept d’appartenance” ? », RTDH, n° 18, avril-juin 1994, p. 180.

5 RIGAUX (François), « Mission impossible : la définition de la minorité », RTDH, n° 30, avril-juin 1997, pp. 155-175.

6 La question des minorités immigrées pourrait faire l’objet d’une étude approfondie sous l’angle du pluralisme juridique, qui constituerait à l’évidence un complément intéressant à la recherche menée ici.

Une telle étude s’avèrerait toutefois fort délicate eu égard aux enjeux politiques et à l’acuité du débat public que suscite la question de l’immigration. Elle aboutirait d’ailleurs à des conclusions pour le moins différentes, tant il est vrai que les différences ne sont pas appréhendées à égalité par la population française : « si l’opinion publique savait – mais elle l’ignore – que le droit musulman peut à Mayotte régir des citoyens français, elle s’en soucierait beaucoup moins que de l’éventuelle application du même droit en métropole » (ROULAND (Norbert), « Les statuts personnels et les droits coutumiers dans le droit constitutionnel français », in LE POURHIET (Anne-Marie) dir., Droit constitutionnel local, Paris / Aix-en-Provence, Economica / PUAM, 1999, pp. 164-166).

(26)

précise de la notion de minorité permettrait par ailleurs de rendre les mécanismes de protection existants véritablement effectifs en identifiant clairement les titulaires des droits reconnus aux minorités, voire d’instituer de nouveaux régimes juridiques de protection mieux adaptés aux conditions de vie des minorités considérées

1

.

La définition doctrinale la plus complète a été proposée par le Professeur Capotorti, rapporteur spécial pour les questions minoritaires au sein de la Sous- Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités, rattachée à la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies. Aux termes de l’étude présentée en 1977, une minorité est un « groupe numériquement inférieur au reste de la population d’un État, en position non dominante, dont les membres – ressortissants de l’État – possèdent du point de vue ethnique, religieux ou linguistique, des caractéristiques qui diffèrent de celles du reste de la population et manifestent même de façon implicite un sentiment de solidarité, à l’effet de préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue »

2

. La première observation sur cette définition est qu’elle envisage la minorité comme un « groupe ». L’utilisation de ce terme pourtant neutre a été critiquée : certains préfèreraient recourir à la notion de « communauté »

3

, qui insiste davantage sur la solidarité animant toute minorité

4

. Si la jurisprudence internationale semble conforter cette position par l’emploi des termes « communauté » et « minorité nationale » comme synonymes

5

, cette querelle sémantique paraît inutile sur le plan juridique. En effet, si l’emploi des termes

« groupe », « communauté » ou encore « collectivité », n’est pas neutre sur le plan politique puisqu’ils reflètent différents degrés d’institutionnalisation, il n’emporte en revanche aucune conséquence juridique puisqu’aucun droit spécifique n’est lié au

« groupe », pas plus qu’à la « communauté » ou qu’à la « collectivité ». Dès lors, ces différents termes peuvent être utilisés comme synonymes.

1 Sous réserve que « si une définition abstraite de la notion de minorité peut être d’une grande utilité, il ne faut pas la considérer comme un préalable à l’établissement d’une protection des minorités » (BOKATOLA (Isse Omanga), « La déclaration des Nations Unies sur les droits des personnes appar- tenant à des minorités nationales ou ethniques, religieuses et linguistiques », RGDIP, 1993, p. 749).

2 CAPOTORTI (Francesco), Etude des droits des personnes appartenant aux minorités ethniques, religieuses et linguistiques, New York, Nations Unies, 24 juin 1977, p. 102 (E/CN.4/sub.2/384/Rev.1).

3 En ce sens, voir BEN ACHOUR (Yadh), « Souveraineté étatique et protection internationale des minorités », RCADI, n° 245, 1994, p. 343.

4 Une communauté peut être définie comme un « groupe social dont les membres vivent ensemble, ou ont des biens, des intérêts communs » (Le Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, v° Communauté). Sur les différents sens du concept de communauté, voir COTTERRELL (Roger), « A Legal Concept of Community », Revue Canadienne Droit et Société, Vol. 12, n° 2, 1997, pp. 75-92.

5 Voir l’avis consultatif de la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI) du 31 juillet 1930 relatif aux communautés gréco-bulgares : « Le critérium de la notion de communauté […] est l’existence d’une collectivité de personnes vivant dans un pays ou une localité donnés, ayant une race, une religion, une langue et des traditions qui leur sont propres, et unies par l’identité de cette race, de cette religion, de cette langue et de ces traditions dans un sentiment de solidarité, à l’effet de conserver leurs traditions, de maintenir leur culte, d’assurer l’instruction et l’éducation de leurs enfants conformément au génie de leur race et de s’assister mutuellement » (CPJI, AC, Série B, n° 17, p. 21). Si cette définition s’applique formellement à la « communauté », la similitude avec la définition doctrinale de la

« minorité » est notable.

(27)

Au-delà de la notion de groupe, la définition présentée par Francesco Capotorti combine des éléments objectifs – l’infériorité numérique, la position non dominante, le rattachement à un État et la spécificité fondée sur des caractéristiques ethniques, religieuses, linguistiques ou culturelles – et des éléments subjectifs – le sentiment de solidarité des membres du groupe et la volonté de préserver l’identité minoritaire. Ces éléments cumulatifs, désormais adoptés par la grande majorité de la doctrine, appellent quelques remarques. Les deux premiers critères mentionnés dans la définition introduisent une perspective dépréciative inhérente au terme même de minorité : quantitativement, une minorité constitue une collectivité numériquement moins étendue que la collectivité de référence, généralement la communauté nationale ; qualitativement, l’appartenance à une minorité s’accompagne souvent d’un statut économique, social ou politique défavorisé

1

. Ces critères peuvent toutefois être dissociés : un groupe majoritaire en termes numériques mais soumis à la domination d’un autre groupe pourra, du fait de cette soumission et du statut défavorisé qui en découle, être considéré comme minoritaire

2

. Le déterminant quantitatif n’est donc pas absolu : plus que d’une situation d’infériorité numérique, « la notion de minorité se déduit de la situation de soumission ou d’infériorité dans laquelle se trouvent certains groupes sociaux, communautés ou collectivités, en face des pouvoirs publics dans tout État »

3

.

Apparaît ainsi le troisième élément de définition d’une minorité : le rapport à l’État. En effet, la position non dominante d’un groupe minoritaire ne s’évalue pas uniquement en termes sociaux mais présente un aspect politique, dans la mesure où

« les minorités ne peuvent être situées que dans le cadre d’un État donné. Quand bien même elles seraient pensées sous la forme de groupes sociaux particuliers, plus ou moins homogènes, la prise en considération des différences, souvent d’ordre culturel, relève d’actions positives (ou négatives) des pouvoirs publics, donc nécessairement de l’État »

4

. Dès lors, les membres d’un groupe minoritaire doivent être ressortissants de l’État où ils vivent

5

; cette condition, qui peut paraître contestable

6

, permet de

1 Pour insister sur la position ou le statut défavorisé d’un groupe, qu’il soit numériquement minoritaire ou non, certains auteurs utilisent le néologisme de « groupe minorisé ». En ce sens, voir LAJOIE (Andrée), Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, pp. 25-26.

2 A ce titre, la population noire d’Afrique du Sud durant l’apartheid constituait la majorité numérique de la population sud-africaine mais se trouvait en situation de minorité du fait de la domination politique qu’elle subissait. Des situations similaires ont pu être observées également au Proche-Orient dans le dernier quart du XXe siècle (voir BIAYS (Joël-Pascal), La protection des minorités dans les pays arabes du Proche-Orient, Mémoire non publié, Université de Nice, Institut du Droit de la Paix et du Développement, 1979, p. 8).

3 KOUBI (Geneviève), SCHULTE-TENCKHOFF (Isabelle), « Peuple autochtone et minorité dans les discours juridiques : imbrications et dissociations », RIEJ, n° 45, 2000, p. 6.

4 Ibid.

5 Ainsi, la jurisprudence internationale impose traditionnellement que les membres d’une minorité aient la nationalité de l’Etat sur le territoire duquel ils sont établis (CPJI, AC, 15 septembre 1923, Acquisition de la nationalité polonaise, Série B, n° 7, pp. 16-17).

6 Le Professeur Koubi indique, à juste titre, que toute étude sur le concept de minorité ne devrait pas susciter d’interrogation sur la nationalité, dans la mesure où une telle étude concerne « les groupes de

(28)

distinguer leur situation de celle de personnes appartenant à des groupes sans allégeance politique avec l’État concerné, tels que les réfugiés, les apatrides, les bénéficiaires d’asile politique ou les étrangers séjournant sur le territoire de l’État.

Enfin, le dernier critère objectif d’appartenance à une minorité repose sur la possession de caractéristiques ethniques, religieuses, linguistiques ou culturelles

1

. Ces caractéristiques identitaires sont de nature collective : il ne s’agit pas de traits purement individuels mais de spécificités communes, qui fondent l’identité du groupe et différencient ses membres des autres membres de la communauté nationale

2

. Ainsi, l’identité minoritaire ne se définit que par référence à des spécificités, qu’elles soient de nature culturelle, religieuse, linguistique ou ethnique

3

: comme l’indique le Professeur Koubi, « les minorités sont captées dans le discours du droit par le mécanisme différentiel des épithètes […]. Il n’existe pas de minorités sans épithète : les minorités sont culturelles, historiques, linguistiques, religieuses – quand elle ne sont pas dites ethniques […] en référence justement à l’une de ces qualités »

4

. Cette singularisation des populations minoritaires s’oppose, à l’évidence, aux thèses libérales qui privilégient la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux, et réfutent toute discrimination des individus fondée sur des appartenances réelles ou supposées

5

. Elle permet cependant de désigner précisément les collectivités bénéficiant, le cas échéant, d’une protection juridique internationale ou constitutionnelle ; cette identification paraît nécessaire dans la mesure où « il est difficile mais possible de protéger des minorités clairement identifiées, il est impossible de garantir juridiquement la protection de toute minorité quelconque »

6

.

populations distincts présentant des traditions ou caractéristiques culturelles, sans que soient remises en cause la nationalité et la citoyenneté de ces groupes comme des individus qui les composent » (KOUBI (Geneviève), « L’“entre-deux” des Droits de l’Homme et des droits des minorités : “un concept d’appartenance” ? », RTDH, n° 18, avril-juin 1994, pp. 181-182). Dans cette perspective, la référence à la nationalité comme critère d’appartenance à une minorité ne semble devoir concerner que les minorités qualifiées de nationales.

1 La référence à des critères ethniques, culturels, religieux ou linguistiques contribue à distinguer les minorités structurelles dont il est question ici, de deux autres phénomènes minoritaires : d’une part les

« minorités politiques », qui prennent généralement le titre d’« opposition » et peuvent espérer, dans un système démocratique représentatif, exercer le pouvoir après de nouvelles élections, d’autre part les

« minorités sociales » qui, selon la terminologie utilisée par le Professeur Lajoie, regroupent indistinctement les communautés homosexuelles et les femmes (LAJOIE (Andrée), Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, p. 33 et s).

2 RIGAUX (François), « Mission impossible : la définition de la minorité », RTDH, n° 30, 1997, p. 156.

3 Le terme « ethnique » semble pouvoir désigner l’ensemble des autres caractéristiques auxquelles il est ici fait référence. En effet, selon le doyen Ben Achour, « tous les facteurs spécifiques d’identification des minorités – la langue, la race, la religion, [la culture] – peuvent se ramener à l’ethnicité […].

“Minorité ethnique” constitue, par conséquent, l’expression la plus large du fait minoritaire » (BEN ACHOUR (Yadh), « Souveraineté étatique et protection internationale des minorités », RCADI, n° 245, 1994, p. 348).

4 KOUBI (Geneviève), « L’ “entre-deux” des Droits de l’Homme et des droits des minorités : “un concept d’appartenance” ? », RTDH, n° 18, avril-juin 1994, p. 186.

5 HAARSCHER (Guy), « Les droits collectifs contre les droits de l’homme », RTDH, 1990, pp. 231-234.

6 RIGAUX (François), op. cit., p. 172 (les italiques figurent dans le texte original).

(29)

Il n’en demeure pas moins que ces qualifications fondées sur la culture, la religion, la langue ou même l’ethnie, paraissent quelque peu artificielles dans la mesure où elles créent des classifications arbitraires des minorités. Force est en effet de constater qu’en dépit de leur utilité théorique, ces « critères de distinction sont approximatifs, et s’interpénètrent en général »

1

. L’épithète qui semble, dès lors, le plus adéquat pour regrouper les multiples traits constitutifs des collectivités minoritaires est celui de

« national ». L’article 1

er

de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, adoptée le 10 novembre 1994 par le Conseil de l’Europe, définit une minorité nationale comme « un groupe de personnes dans un État qui a) résident sur le territoire de cet État et en sont citoyens ; b) entretiennent des liens solides et durables avec cet État ; c) présentent des caractéristiques ethniques, culturelles, religieuses ou linguistiques spécifiques ; d) sont suffisamment représentatives, tout en étant moins nombreuses que le reste de la population de cet État ou d’une région de cet État ; e) sont animées de la volonté de préserver ensemble ce qui fait leur identité commune, notamment leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue »

2

. Cette définition, qui se présente comme la première véritable définition conventionnelle de la notion de minorité, ne s’écarte pas fondamentalement de la définition doctrinale du Professeur Capotorti ; elle en précise toutefois certains éléments. La Convention-cadre pose ainsi comme critère d’appartenance à une minorité nationale les conditions cumulatives de résidence et de citoyenneté – là où la définition de l’ONU se limitait à la seule condition de nationalité. Ce renforcement des critères vise sans conteste à affermir le lien d’allégeance des minorités à l’État, justifiant ainsi l’ajout du qualificatif « national »

3

. En effet, alors que la nationalité se limite à établir un lien juridique entre l’État et l’individu, la citoyenneté emporte un certain nombre de droits (politiques, civils, sociaux, droit à être protégé) et d’obligations (obéissance aux lois, assujettissement à l’impôt, service national le cas échéant)

4

qui s’appliquent donc

1 BEN ACHOUR (Yadh), « Souveraineté étatique et protection internationale des minorités », RCADI, n° 245, 1994, p. 348.

2 La Convention-cadre est reproduite in RGDIP, 1995, pp. 229-236. Sur cette convention, voir notamment TAVERNIER (Paul), « A propos de la convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales », RGDIP, 1995, pp. 385-402 ; KLEBES (Heinrich), « La convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales deux ans après son ouverture à la signature des Etats », RTDH, n° 30, avril-juin 1997, pp. 205-227.

3 L’utilisation de l’adjectif « national » est sémantiquement contestable dans la mesure où, en toute logique, les « minorités nationales » devraient regrouper des individus jouissant de la nationalité de l’Etat concerné, tandis que celles composées d’individus résidents et citoyens de l’Etat devraient être qualifiées de « minorités résidentes » ou « minorités citoyennes ». Cette imprécision sémantique a donné lieu à des interprétations doctrinales divergentes quant à la signification du terme « national ».

Pour Bruno De Witte, une minorité est nationale lorsqu’elle aspire à la formation d’un Etat-nation (DE WITTE (Bruno), « Minorités nationales : reconnaissance et protection », Pouvoirs, n° 57, 1991, p. 113).

Pour Yadh Ben Achour, en revanche, « le caractère national ne provient pas de la tendance de telle ou telle minorité à vouloir être une nation, mais du fait que, par sa dimension et ses spécificités, telle minorité a une importance nationale, mérite une prise en charge particulière » (BEN ACHOUR (Yadh), op. cit., p. 346).

4 CAPORAL (Stéphane), « Citoyenneté et nationalité en droit public interne », in KOUBI (Geneviève) dir., De la citoyenneté, Actes du colloque de Nantes, 3-5 novembre 1993, Paris, Litec, 1995, pp. 59-68.

(30)

aussi aux personnes appartenant à des minorités nationales

1

. En outre, la condition de résidence permet de territorialiser les collectivités minoritaires et, par suite, de renforcer encore le lien avec l’État dont le territoire est l’un des éléments constitutifs

2

. Enfin, l’exigence de « liens solides et durables » entre la minorité et l’État concerné pose une condition d’effectivité et de durée des relations qui ancre le groupe minoritaire dans le cadre national, contrairement à des populations immigrées ou réfugiées. Ainsi, la définition de la Convention-cadre du Conseil de l’Europe paraît opératoire, dans la mesure où elle est assez large pour englober l’ensemble des phénomènes minoritaires, tout en étant assez restrictive pour écarter les phénomènes connexes.

La question reste toutefois posée pour le cas particulier des populations autochtones

3

, que le rapport présenté aux Nations Unies en 1986 par José Martinez- Cobo définit comme les communautés qui, « liées par une continuité historique avec les sociétés antérieures à l’invasion et avec les sociétés précoloniales qui se sont développées sur leurs territoires, se jugent distinctes des autres éléments des sociétés qui dominent à présent sur leurs territoires et parties de ces territoires. Ce sont à présent des éléments non dominants de la société et elles sont déterminées à conserver, développer et transmettre aux générations futures les territoires de leurs ancêtres et leur identité ethnique qui constituent la base de la continuité de leur existence en tant que peuple, conformément à leurs propres modèles culturels, à leurs institutions sociales et à leurs systèmes juridiques »

4

. Le recours à cette définition conduit à identifier de facto cinq communautés autochtones parmi les différentes populations minoritaires françaises : les Amérindiens de Guyane, les Kanaks, les Mahorais, les Polynésiens et les Wallisiens-Futuniens, chacune de ces communautés étant elle-même composée de plusieurs groupes ou ethnies.

1 FENET (Alain), « Citoyenneté et minorités », in KOUBI (Geneviève) dir., op. cit., pp. 79-82.

2 Cette condition de résidence est contestée par certains auteurs pour qui « la cohérence de la minorité ne présume pas le rassemblement de ses membres dans un même espace géographique, conditionnée qu’elle est par l’instauration de réseaux intellectuels assurant la préservation des modèles sociaux et des modes de transmission des valeurs agrégatives » (KOUBI (Geneviève), SCHULTE-TENCKHOFF (Isabelle), « Peuple autochtone et minorité dans les discours juridiques : imbrications et dissociations », RIEJ, n° 45, 2000, p. 7).

3 Le terme autochtone, d’étymologie grecque, se rapporte à tout individu ou tout groupe « qui est issu du sol même où il habite, qui est censé n’y être pas venu par immigration » (Petit Robert). Il est utilisé indistinctement avec deux termes d’origine latine, aborigène et indigène – bien que le premier paraisse spécialement usité pour désigner les peuples occupant l’Australie avant l’arrivée des colons, tandis que le second semble s’appliquer essentiellement aux populations d’outre-mer.

4 MARTINEZ-COBO (José), Etude du problème de la discrimination à l’encontre des populations autochtones, Vol. 5, New York, Nations Unies, 1987, § 379, p. 31 (Doc. E/CN.4/sub.2/1986/7/Rev.4).

La définition proposée dans le rapport Martinez-Cobo fait figure de référence et semble même avoir acquis valeur coutumière. La Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), adoptée en 1989 et relative aux peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants, avance une définition plus concise : certains peuples « sont considérés comme indigènes du fait qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’Etat et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles » (art. 1er, al. 1er, § b).

(31)

La situation de soumission et la revendication identitaire constituent des caractéristiques communes aux populations autochtones et aux minorités nationales, qui incitent une partie de la doctrine à intégrer la question autochtone dans la problématique minoritaire

1

. Cependant, les peuples aborigènes réfutent eux-mêmes cette confusion, en insistant sur le caractère spécifique de leur relation avec le territoire ancestral, leur antériorité par rapport aux sociétés devenues dominantes par effet de la colonisation, et leur nature de peuple qui leur donnerait accès au droit à l’autodétermination

2

. Les Professeurs Koubi et Schulte-Tenkhoff confirment cette position en affirmant que l’utilisation du terme minorité « ne peut, en aucun cas, permettre l’appréhension des systèmes sociaux et juridiques des peuples autochtones »

3

; l’assimilation des deux notions serait, selon elles, délibérément entretenue par les autorités étatiques et les organisations internationales, afin de gommer les spécificités propres aux Autochtones et de freiner leurs revendications indépendantistes en contrariant la mise en œuvre du droit à la libre disposition attaché traditionnellement à la notion de peuple

4

. En effet, le peuple est un concept porteur d’une vocation à constituer un État

5

, contrairement à la minorité qui ne se voit reconnaître aucun droit à l’autodétermination

6

. Ainsi, « user du terme de minorité [pour désigner les groupes autochtones] confirme le rejet d’une dénomination de ces groupes en tant que “peuples”. Se révèlent la méfiance, la crainte, l’inquiétude des organisations internationales ou européennes et des gouvernements à l’égard des formes, des modalités, des processus d’institutionnalisation ou de structuration politique des collectivités intra-étatiques »

7

.

1 Le Comité des droits de l’homme, institué par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, a considéré, dans l’affaire Sandra Lovelace c. Canada jugée le 30 juillet 1981, que la notion de minorité au sens de l’article 27 du Pacte englobait les populations autochtones (Communication n° 24/1977).

2 Cette position a été confirmée lors de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme, tenue à Vienne en juin 1993 (Doc. A/Conf.157/7, 14 juin 1993, p. 6).

3 KOUBI (Geneviève), SCHULTE-TENCKHOFF (Isabelle), « Peuple autochtone et minorité dans les discours juridiques : imbrications et dissociations », RIEJ, n° 45, 2000, p. 7.

4 KOUBI (Geneviève), SCHULTE-TENCKHOFF (Isabelle), op. cit., pp. 4-7.

5 Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, consacré explicitement par la Charte des Nations Unies (art. 1er § 2), peut se manifester par « la création d’un Etat nouveau indépendant, la libre association ou intégration avec un Etat indépendant ou l’acquisition de tout autre statut politique librement décidé par un peuple » (AG, Rés. 1514 (XV), 14 décembre 1960). En pratique, le bénéfice de ce droit à l’autodétermination a été limité aux peuples revendiquant leur indépendance et soumis à une domination coloniale, à une occupation étrangère ou à un régime raciste. Il est à noter que dans ce cadre, le Comité de décolonisation de l’ONU est toujours saisi du cas de la Nouvelle-Calédonie. Voir notamment GUILHAUDIS (Jean-François), Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, Grenoble, PUG, 1976, pp. 44-67.

6 Il est toutefois à noter que certains auteurs revendiquent la reconnaissance, pour toute minorité présentant les caractéristiques d’une nation, du bénéfice du droit des peuples à disposer d’eux- mêmes (en ce sens, voir ERMACORA (Felix), « The Protection of Minorities Before the United Nations », RCADI, n° 182, 1983, p. 327).

7 KOUBI (Geneviève), SCHULTE-TENCKHOFF (Isabelle), « Peuple autochtone et minorité dans les discours juridiques : imbrications et dissociations », RIEJ, n° 45, 2000, p. 6.

(32)

Sans remettre en cause la pertinence de ces arguments, il faut toutefois remarquer que la question autochtone, comme la question minoritaire, relève précisément de la problématique générale de la reconnaissance juridique et politique de collectivités intra-étatiques. Cette similarité des enjeux justifie, dans une certaine mesure, l’assimilation doctrinale opérée entre populations autochtones et minoritaires, quelle que soit la diversité de leurs caractéristiques et de leurs modes d’identification. Cette association des deux concepts trouve une seconde justification si l’on considère le caractère relatif et évolutif de la notion de minorité. Prenant l’exemple des Catalans en Espagne, le Professeur Rigaux montre ainsi qu’à l’époque du centralisme instauré par le régime franquiste, les Catalans étaient considérés comme une minorité à l’intérieur de l’État national. En revanche, sous le régime actuel d’autonomie de la Catalogne, les Catalans se perçoivent non plus comme une minorité mais comme un peuple distinct des autres composantes du peuple espagnol : « le statut de minorité a été perçu par les Catalans comme le signe d’une phase intermédiaire pour l’acquisition des attributs d’un peuple »

1

. Dès lors, une étude portant sur l’expression juridique des groupes infra-nationaux, sans considération particulière pour leurs traits distinctifs, ne peut légitimement séparer le sort des peuples autochtones de celui des minorités nationales.

Leurs revendications respectives se caractérisent du reste bien plus par une différence de degré que par une différence de nature

2

.

2. Des revendications graduelles

Les études d’anthropologie juridique montrent que les revendications des collectivités minoritaires et autochtones se polarisent essentiellement autour de la protection de l’identité collective d’un côté, et de la reconnaissance d’une certaine autonomie politique et territoriale de l’autre

3

.

La défense de l’identité du groupe se traduit par la volonté farouche de préserver la langue, la culture, la religion ou les pratiques spirituelles communes, mais aussi le droit du groupe – entendu comme l’ensemble des usages, coutumes et normes de conduite propres à la minorité. Les anthropologues ont en effet observé que les individus appartenant à une minorité obéissaient dans leur vie quotidienne à des normes spécifiques à leur groupe, engendrées en marge du droit étatique par le groupe minoritaire lui-même. Le droit international a confirmé cette observation, concernant

1 RIGAUX (François), « Mission impossible : la définition de la minorité », RTDH, n° 30, avril-juin 1997, p. 163.

2 Un rapport présenté à la Sous-Commission de la promotion et de la protection des Droits de l’homme de l’ONU en 2000 affirme ainsi que « les distinctions entre peuples autochtones et minorités sont maintenant davantage des questions de degrés » (DAES (Erica-Irène), EIDE (Asbjørn), Le lien et la distinction entre les droits des personnes appartenant à des minorités et ceux des peuples autochtones, Document des Nations Unies, E/CN.4/Sub.2/2000/10, 10 juillet 2000, p. 10).

3 Le constat en est fait par le Professeur Lajoie au terme de plusieurs études consacrées à l’intégration des valeurs de certaines minorités du Canada dans le droit de l’État. LAJOIE (Andrée), Quand les minorités font la loi, Paris, PUF, 2002, pp. 45-60.

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