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La disparition de systèmes coutumiers entiers ramène au phénomène de « cycle » des systèmes juridiques décrit par le Professeur Hart, pour qui tout système juridique,

à l’instar de tout corps vivant, passe du stade de la conception à celui de sa naissance

puis à celui de l’acquisition de son autonomie, pour ensuite commencer à péricliter et

enfin totalement disparaître

7

. De fait, les anciens systèmes coutumiers semblent avoir

atteint ce dernier stade en France métropolitaine : aujourd’hui demeurent encore

quelques usages locaux résiduels, dont le respect est effectivement observé mais qui

s’avèrent trop épars pour constituer de véritables systèmes juridiques. Le Professeur

Deumier indique à cet égard que « les particularismes régionaux se sont atténués au

point que le renvoi aux [coutumes] locales n’est plus invoqué qu’en matière de

1

Si les coutumes forales sont officiellement abolies en France en 1789 et en Espagne en 1876, la disposition additionnelle n° 1 de la Constitution espagnole de 1978 mentionne qu’elle « protège et respecte les droits historiques des territoires forals » (ampara y respecta los derechos històricos de los territorios forales), ce que le Parti Nationaliste Basque interprète comme la reconnaissance d’un statut extra-constitutionnel.

2 Voir FILHOL (René), « La rédaction des coutumes en France aux XVe et XVIe siècles », in GILISSEN (John) dir., La rédaction des coutumes dans le passé et dans le présent, Bruxelles, Ed. de l’Université libre de Bruxelles, 1962, pp. 63-86.

3

FILHOL (René), op. cit., pp. 66-67.

4 Voir notamment GAUDEMET (Jean), Les naissances du droit, Paris, Montchrestien, Coll. Domat Droit privé, 3ème éd., 2001, pp. 45-46.

5

SUEUR (Philippe), Histoire du droit public français, XVe-XVIIIe siècle, tome 2, Paris, PUF, Coll. Thémis, 1989, p. 29.

6 Ainsi, l’article 7 de la loi du 30 ventôse an XII créant le code civil dispose qu’« A compter du jour où ces lois sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements, cessent d’avoir force de loi générale ou particulière dans les matières qui sont l’objet desdites lois composant le présent code ». En limitant l’abrogation aux seules coutumes intervenant dans les matières régies par le code, la loi laisse toutefois subsister les coutumes supplétives.

7 HART (Herbert Lionel Adolphus), Le concept de droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1976, p. 109.

distances de plantations ou de courses de taureaux »

1

, ou encore en matière agricole

2

.

Ainsi, si les groupes revendiquant l’appellation de minorités nationales en France

métropolitaine peuvent être considérés comme disposant d’une capacité potentielle de

production de règles de droit coutumier, ils appliquent des ordres juridiques désormais

très partiels et incomplets. Il reste toujours possible que de nouvelles coutumes

puissent, à l’avenir, compléter ces ordres juridiques aujourd’hui tronqués, dans la

mesure où la capacité de production juridique des groupes minoritaires de métropole

n’a pas disparu. Cette éventualité paraît toutefois plus qu’improbable du fait de

l’omniprésence, voire de l’omnipotence du droit étatique. Les lacunes et les

insuffisances de la loi, qui pouvaient auparavant justifier le recours à des coutumes

destinées à pourvoir à un besoin de droit, sont aujourd’hui trop rares pour

qu’émergent, de ce fait, de nouveaux usages supplétifs. Les populations minoritaires

ultra-marines, en revanche, paraissent pouvoir se targuer de constituer de véritables

collectivités juridiques, du fait de la préservation avérée de leur droit traditionnel.

B. Des ordres juridiques traditionnels préservés en outre-mer

Le droit traditionnel ultra-marin n’a pas été à l’abri de la phagocytose réalisée par

le droit étatique. Dans ces territoires, la conjugaison de la centralisation juridique et de

la politique assimilationniste de l’Etat a provoqué la disparition de nombreuses

coutumes et la désagrégation des structures communautaires autochtones. Toutefois,

la domination du droit de l’Etat est loin d’avoir atteint la même intensité qu’en

métropole : en dépit des efforts de « francisation » menés par la République

3

, le droit

traditionnel est resté particulièrement vivace à Mayotte

4

, en Guyane

5

, à Wallis et

1 DEUMIER (Pascale), Le droit spontané, Paris, Economica, Coll. Recherches Juridiques, 2002, p. 338. L’auteur montre en revanche la survivance de nombreux usages professionnels, dont elle donne de multiples exemples (op. cit., pp. 339-340). Ces développements sont particulièrement intéressants en ce qu’ils montrent la persistance de communautés juridiques non-étatiques (en l’occurrence professionnelles) en France, mais s’éloignent de la question des communautés juridiques culturelles dont ils ne font que confirmer, par comparaison, le caractère moribond.

2 L’adoption du Code rural en 1924 a constitué une première étape de codification des nombreux usages ruraux en vigueur jusqu’alors. Le Code rural, comme le Code civil, renvoie toutefois à différents usages locaux qui peuvent parfois varier fortement d’une région à l’autre. De ce fait, les usages locaux conservent une véritable effectivité dans le droit rural actuel. A cet égard, voir POUMAREDE (Jacques), « Les usages locaux dans le droit rural contemporain », in ASSIER-ANDRIEU (Louis) dir.,

Une France coutumière. Enquête sur les usage locaux et leur codification (XIXe - XXe siècles), Paris, Ed. du CNRS, 1990, pp. 69-78.

3 Voir VIMON (Jack), « Assimilation et dédoublement des ordres normatifs » : le cas des Amérindiens de Guyane française », in CONSTANT (Fred), DANIEL (Justin) dir., 1946-1996 : Cinquante ans de départementalisation outre-mer, Paris, l’Harmattan, 1997, pp. 433-449.

4 Sur les coutumes mahoraises, voir notamment SCHULTZ (Patrick), « Le statut personnel à Mayotte »,

Droit et Cultures, n° 1, 1999, pp. 95-114.

5 Voir notamment les contributions figurant in DECKKER (Paul de) dir., Coutume autochtone et évolution du droit dans le Pacifique Sud, Actes du colloque du 12 juillet 1994, Paris, L’Harmattan, 1995, 303 p. ; MARTRES (Jean-Pascal), LARRIEU (Jacques) dir., Coutumes et droit en Guyane, Actes du colloque de Cayenne (25-27 juin 1992), Paris, Economica, 1993, 217 p.

Futuna

1

, en Nouvelle-Calédonie

2

, comme en Polynésie française où l’acculturation a

pourtant été plus poussée – ou mieux réussie

3

… L’éloignement géographique des

collectivités ultra-marines et leur résistance à l’intrusion du droit colonial ont ainsi

permis aux populations autochtones de préserver d’importants éléments de leurs

systèmes juridiques, coutumiers ou délibérés. Que l’Etat reconnaisse ou non ces

particularismes juridiques n’a eu à cet égard que peu d’influence : l’absence de

consécration officielle des coutumes en Polynésie et en Guyane

4

, pas plus que le

refus, toujours en Guyane, de reconnaître les décisions des autorités amérindiennes ou

noires-réfugiées n’ont empêché leur observation effective par les populations

minoritaires

5

. Ainsi, les Polynésiens comme les Amérindiens continuent à vivre – au

moins en partie – sous l’empire de systèmes juridiques autochtones officieux mais

authentiques. La situation de pluralisme juridique extra-étatique est dès lors avérée.

Il paraît utile de préciser ici que la diversité ethnique des populations d’outre-mer

engendre des dissemblances notables entre leurs systèmes juridiques. Cette variété

juridique concerne le droit traditionnel délibéré tout autant que les coutumes, que la

doctrine a trop souvent la tentation de désigner de manière indifférenciée et

uniformisante comme la coutume autochtone. Il n’y a pas une culture autochtone,

mais bien des cultures autochtones qui varient en fonction des groupes. De ce fait, il

s’avère impossible de recenser la totalité des coutumes autochtones en vigueur,

comme il paraît difficile de suggérer que certaines d’entre elles seraient

représentatives de l’ensemble des cultures autochtones françaises

6

.Cet universalisme

est d’autant plus improbable qu’il n’y a pas, ou rarement, de contiguïté géographique

entre les populations autochtones concernées

7

. Peut-être pourrait-on trouver des

1 TROUILHET-TAMOLE (Antonia), SIMETE (Emeli), « Les règles coutumières à Wallis et Futuna », in DECKKER (Paul de) dir., Coutume autochtone et évolution du droit dans le Pacifique Sud, Actes du colloque du 12 juillet 1994, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 137.

2

En Nouvelle-Calédonie, l’instauration dès 1897 de réserves a joué un rôle conservatoire des coutumes autochtones. Sur la coutume mélanésienne, voir NICOLAU (Gilda), « Le droit très privé des peuples autochtones en Nouvelle-Calédonie », Droit et cultures, n° 1, 1999, pp. 53-70 ; ORFILA (Gérard), « Réflexions sur la coutume mélanésienne », RJPIC, Vol. 43, n° 2, 1989, pp. 129-141.

3

Sur les anciennes coutumes polynésiennes, voir SAURA (Bruno), « Les règles coutumières en Polynésie française », in DECKKER (Paul de) dir., op. cit., pp. 95-132.

4 Les habitants de ces territoires ne disposent pas de statut civil particulier, contrairement aux autres populations autochtones qui peuvent en bénéficier aux termes de l’article 75 de la Constitution (voir

infra, pp. 107ss). En Polynésie, le traité d’annexion du 29 juin 1880 qui érige les îles australes, Marquises, Tuamotu, des Gambier et de la Société en « établissements français de l’Océanie », prévoyait pourtant expressément la préservation des coutumes polynésiennes.

5

Il est bien clair, à cet égard, que les qualifications opérées par le droit étatique ne s’imposent pas au chercheur, dans la mesure où elles sont motivées par des raisons politiques et non par des considérations scientifiques.

6 Les coutumes sur un même territoire peuvent elles-mêmes être diverses entre les clans ou tribus, comme en Guyane où les communautés amérindiennes côtoient les communautés noirs-marrons. Bien que les Kanaks soient également divisés en clans, on note une plus grande homogénéité des coutumes mélanésiennes en Nouvelle-Calédonie.

7 Il est significatif de constater avec le Professeur Rouland qu’« en raison des contingences historiques et des distances géographiques, les solidarités éprouvées par les Autochtones [de France] sont d’ordre régional mais ne s’inscrivent pas globalement dans le cadre de l’Etat français ». De fait, si une

similitudes entre les coutumes mahoraises et celles des populations autochtones