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Quand la biopolitique change les politiques : survie au cancer et réforme du système de santé en Angleterre

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Quand la biopolitique change les politiques : survie au cancer et réforme du système de santé en Angleterre

François Briatte

To cite this version:

François Briatte. Quand la biopolitique change les politiques : survie au cancer et réforme du système

de santé en Angleterre. Congrès de l’Association Française de Science Politique (AFSP), Aug 2011,

Strasbourg, France. �hal-00675783�

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Quand la biopolitique change les politiques :

survie au cancer et r ´ eforme du syst ` eme de sant ´ e en Angleterre

Franc ¸ois Briatte

Institut d’ Etudes Politiques de Grenoble ´ f.briatte@ed.ac.uk

11e Congr` es de l’Association Franc ¸aise de Science Politique Strasbourg, 31 aoˆ ut–2 septembre 2011

esum´ e

Les processus de quantification, par lesquels l’ ´ Etat construit des populations lisibles afin d’asseoir sa domination, donnent ´ egalement ` a voir l’effet contraignant des sta- tistiques sur les d´ ecideurs publics eux-mˆ emes, lorsqu’ils se trouvent soumis au pou- voir disciplinaire de la mesure de leur performance. Cette proposition est articul´ ee aux th´ eories sociologiques traitant de la quantification. Elle est support´ ee empiriquement par l’analyse d’une r´ eforme du syst` eme de sant´ e survenue en Angleterre au tournant des ann´ ees 1999–2000. Cette r´ eforme permet d’observer l’influence sur les d´ ecideurs publics de l’´ etude ´ epid´ emiologique EUROCARE, qui classe plusieurs pays europ´ eens ` a partir de leurs taux de survie au cancer. L’examen de cette r´ eforme et de ses d´ eterminants permet ´ egalement de cerner le rˆ ole jou´ e par les acteurs internationaux et transnatio- naux, comme l’OCDE et certaines communaut´ es ´ epist´ emiques, dans la circulation de ces donn´ ees. Elle permet enfin de v´ erifier l’application de la notion de discipline ` a la quantification de la performance des gouvernements et ` a ses effets sur l’action publique.

Mots-cl´ es Lutte contre le cancer ; syst` emes de sant´ e ; quantification ; discipline ; clas- sements.

Remerciements

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Introduction

Une fraction non n´ egligeable de la mat´ erialit´ e de l’action publique contemporaine se situe d´ esormais dans la quantification de la performance des gouvernements, et plu- sieurs agendas de recherche convergent vers la mesure du changement induit par ces processus de quantification sur la conduite des politiques publiques. Pierre Lascoumes et Louis Simard attribuent par exemple un “effet cognitif direct” ` a l’instrumentation de l’action publique lorsque celle-ci “impose des d´ efinitions conventionnelles de faits sociaux en fournissant une grille de cat´ egorisation”, ` a l’image des indicateurs socio-

´ economiques ou environnementaux r´ eguli` erement ´ evoqu´ es pour ´ evaluer l’action de l’ Etat ´ (Lascoumes et Simard, 2011, p. 19–20). Pour Albert Ogien, la mise en place de ces indi- cateurs quantifi´ es participe ` a ce titre ` a un projet plus vaste consistant ` a imposer un “re- gistre de performance” ` a l’action publique en r´ egime d´ emocratique, “en assujettissant le plus ´ etroitement possible la d´ ecision ` a une information statistique produite ` a partir de donn´ ees int´ egr´ ees et qui, parce qu’elles sont homog´ en´ eis´ ees et stock´ ees dans des bases rendues compatibles, peuvent ˆ etre trait´ ees de fac ¸on particuli` ere selon les requˆ etes et les circonstances, sans limite dans le temps” (Ogien, 2010, p. 36).

Dans ce contexte, une premi` ere question de recherche peut consister ` a identifier les effets proprement politiques des dispositifs (ou technologies) de gouvernement fond´ es sur la quantification de la performance. Si une ´ etude r´ ecente d’Anthony Bertelli et Pe- ter John a ainsi mis en ´ evidence les effets distributifs li´ es ` a l’existence d’un syst` eme de notation de la performance des autorit´ es locales britanniques par une agence centrale ind´ ependante, syst` eme qu’ils qualifient de “m´ ecanisme de discipline politique” (Bertelli et John, 2010, p. 546), la conversion de ces effets en b´ en´ efices ´ electoraux reste incertaine.

Cet exemple doit attirer l’attention sur les diff´ erentes m´ etriques au cœur des processus de quantification : la performance de l’action publique fait notamment l’objet de notes (ratings), de classements (rankings), d’objectifs ` a atteindre (targets) et de crit` eres ` a valider (benchmarks), sans que l’on puisse raisonnablement postuler la production d’effets in- diff´ erenci´ es pour l’ensemble de ces dispositifs. De la mˆ eme mani` ere, l’hypoth` ese selon laquelle chaque dispositif est susceptible d’entra ˆı ner des formes vari´ ees de r´ esistance et d’opposition, allant du refus cat´ egorique au d´ etournement, para ˆıt d’embl´ ee plus plau- sible que l’hypoth` ese inverse.

L’ensemble de ces questions se retrouve dans le projet avanc´ e par Wendy Espeland et Mitchell Stevens d’´ etablir une th´ eorie sociologique de la quantification attentive aux diff´ erentes propri´ et´ es sociales des chiffres (Espeland et Stevens, 2009). 1 A l’image des ` diff´ erents courants disciplinaires qui se sont pench´ es sur la quantification, de l’histoire sociale de la statistique ` a l’analyse des politiques publiques en passant par la sociologie

´ economique, sa d´ emarche est tr` es fortement marqu´ ee par l’h´ eritage intellectuel de Mi- chel Foucault. On retrouve par exemple une th` ese foucaldienne classique dans l’usage que l’auteur r´ eserve ` a la notion de “discipline” pour d´ ecrire une r´ eaction possible ` a la quantification : lorsqu’ils se trouvent confront´ es ` a un dispositif de normalisation statis- tique de leur performance, les acteurs se savent ´ egalement soumis ` a un dispositif de

1. Ces propri´ et´ es ne concernent pas que les chiffres : elles s’appliquent ` a toutes les techniques de mise

en lisibilit´ e des populations, et notamment ` a la visualisation cartographique (Scott, 1998) ; cf. ´ egalement

Saetnan, Lomell et Hammer (2011).

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normalisation morale qui r´ ecompense les performances sup´ erieures et, surtout, sanc- tionne les performances inf´ erieures (Espeland et Stevens, 2009, p. 416). En cela, l’´ etude des dispositifs de gouvernement construits autour des processus de quantification pro- longe le programme de recherche ´ elabor´ e par Michel Foucault autour de la notion de

“gouvernementalit´ e” (Lascoumes, 2004), en donnant ` a voir comment s’exerce le pou- voir et se construisent les rapports de force dans le cadre de la rationalit´ e statistique.

A ce stade de la r´ ` eflexion, une seconde question de recherche ´ emerge de la litt´ erature scientifique consacr´ ee ` a l’enrˆ olement des processus de quantification dans le gouverne- ment de l’activit´ e politique et ´ economique. En effet, dans quelles circonstances est-il raisonnable d’attribuer un effet causal propre aux instruments statistiques mesurant la performance des gouvernements, et dans quelle mesure peut-on qualifier cet effet de

“disciplinaire” ? Dans son analyse des programmes gouvernementaux mis en place aux

´ Etats-Unis dans le cadre du “New Deal”, Emmanuel Didier ´ ecarte prudemment cette possibilit´ e (Didier, 2007b), et rel` eve de la mˆ eme mani` ere que la notion de “performa- tivit´ e” n’est pas plus apte ` a d´ esigner ces mˆ emes effets (Didier, 2007a). Du point de vue du raisonnement causal et conceptuel devant s’appliquer aux processus de quan- tification, cette double ambiguit´ e subsiste en l’absence d’une th´ eorie plus avanc´ ee des effets de contrainte imputables aux instruments d’action publique. Dans le cas des dis- positifs statistiques destin´ es ` a la mesure de la performance gouvernementale, que l’on retrouve ` a tous les niveaux de gouvernement et dans virtuellement tous les secteurs d’action publique, une th´ eorisation plus avanc´ ee des effets politiques de la quantifica- tion pr´ esenterait un avantage suppl´ ementaire, qui ´ etablirait dans quelle mesure la pro- lif´ eration d’indicateurs produits par des organisations internationales se traduit par un contrˆ ole croissant de ces derni` eres sur les organisations ´ etatiques (Davis et al., 2012).

L’objectif de ce texte est de contribuer ` a l’effort de recherche r´ esum´ e ci-dessus ` a par- tir d’une ´ etude de la r´ eforme du syst` eme de sant´ e en Angleterre au tournant des ann´ ees 2000. L’analyse d’entretiens, de rapports officiels et d’articles tir´ es de la presse g´ en´ erale et sp´ ecialis´ ee fait en effet clairement appara ˆıtre la quantification parmi les d´ eterminants de cette r´ eforme, qui s’inscrit dans le processus de r´ eforme quasi-permanent du Natio- nal Health Service (NHS) en Grande-Bretagne, et qui structura durablement le volume des d´ epenses de sant´ e britanniques au cours de la d´ ecennie 1999-2009 (King’s Fund, 2009). 2 Cette p´ eriode co ¨ıncide avec la mise en place d’un programme national de lutte contre le cancer en Angleterre, le NHS Cancer Plan, dont la gen` ese recoupe celle de la r´ eforme ´ etudi´ ee ici, et sur lequel porte la recherche doctorale de l’auteur. 3

L’essentiel de la r´ eforme ´ etudi´ ee est r´ esum´ e en section 1 ; trois observations princi-

pales se d´ egagent ensuite de son analyse. En premier lieu, les classements comparatifs

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en mati` ere de survie au cancer par rapport au reste des d´ emocraties europ´ eennes. Cette entreprise a ensuite eu pour effet d’entra ˆı ner deux r´ eactions, respectivement li´ ees au re- jet et ` a l’acceptation de la contrainte ´ epist´ emique constitu´ ee par la position d´ efavorable des pays britanniques dans ces classements. Un dernier effet li´ e ` a l’emprise de la quan- tification sur l’action publique se manifeste enfin dans la d´ ecision du gouvernement n´ eo-travailliste de Tony Blair (d´ ecision par ailleurs tr` es directement attribuable ` a ce der- nier) d’´ elever les d´ epenses de sant´ e de l’Angleterre au niveau de la “moyenne de l’Union europ´ eenne”. Ces trois observations, expos´ ees en section 2, mettent en sc` ene plusieurs acteurs et institutions li´ es ` a l’instrumentation statistique de l’ ´ Etat et ` a la quantification de ses performances ; leur interaction au cours des ann´ ees 1999–2000 laisse entrevoir deux formes, ordinale et normale, d’appr´ eciation statistique de la performance publique, lesquelles ont particip´ e ` a discipliner l’action des ´ elites dirigeantes britanniques.

1 La “Grande Transformation” n ´ eo-travailliste du syst ` eme de sant ´ e

La victoire ´ electorale du New Labour dirig´ e par Tony Blair en mai 1997 a entra ˆı n´ e l’´ ecriture d’une nouvelle page de la r´ eforme quasi-permanente du syst` eme de sant´ e britannique, qui peut sch´ ematiquement se r´ esumer en deux dimensions. La premi` ere concerne l’application au NHS de la “r´ evolution bureaucratique” britannique, fond´ ee sur l’introduction d’instruments d’action publique n´ eo-manag´ eriaux dans le fonction- nement conventionnel des administrations publiques (Faucher-King et Le Gal` es, 2010) : dans la continuit´ e des principes pos´ es par les gouvernements conservateurs pr´ ec´ edents, les gouvernements n´ eo-travaillistes de Tony Blair et Gordon Brown ont multipli´ e les ini- tiatives destin´ ees ` a “r´ eguler” le syst` eme de sant´ e sans provoquer d’intervention gouver- nementale (Kober-Smith, 2010).

La seconde dimension, plus ´ evidente lors de la pr´ esence d’Alan Milburn au Secr´ etariat d’ ´ Etat ` a la Sant´ e que sous les ministres suivants, a n´ eanmoins consist´ e ` a rompre avec l’h´ eritage conservateur du point de vue budg´ etaire : d` es 1998, la promesse ´ electorale du New Labour de maintenir les niveaux de d´ epense publique des administrations pr´ ec´ edentes ne s’appliquait plus au syst` eme de sant´ e. L’´ evolution des d´ epenses de sant´ e britanniques sur la d´ ecennie 1997-2010, r´ esum´ ee en Figure 1, semble au contraire indiquer une sortie du NHS de l’aust´ erit´ e fiscale sous les gouvernements successifs de Tony Blair et Gordon Brown : de 1997 ` a 2009, la part du financement du NHS dans le produit int´ erieur brut (PIB) britannique a connu une augmentation d’environ 3 points de PIB, plus de deux fois sup´ erieure aux augmentations des gouvernements conservateurs pr´ ec´ edents. 4

1.1 La d ´ ecision de Tony Blair du 16 janvier 2000

Le point de d´ epart symbolique de cette augmentation r´ eside dans une d´ ecision de Tony Blair, rendue publique le dimanche 16 janvier 2000 lors de son passage dans l’´ emission t´ el´ evis´ ee Breakfast with Frost : sans concertation pr´ ealable avec son ministre

4. Les d´ epenses priv´ ees de sant´ e, comparativement marginales au Royaume-Uni par rapport ` a la ma-

jorit´ e des pays europ´ eens, sont incluses dans l’int´ egralit´ e des calculs.

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4 5 6 7 8 9 10

1960 1970 1980 1990 2000 2010

EU UK

Con Lab

Figure 1 – ´ Evolution des d´ epenses totales de sant´ e au Royaume-Uni et dans la moyenne

non pond´ er´ ee des autres Etats-membres de l’Union europ´ ´ eenne en 2000 (UE-15), en %

du PIB. Les aires bleues et rouges d´ esignent respectivement les p´ eriodes de gouverne-

ment conservateur et travailliste. Source : donn´ ees OCDE Sant´ e 2011.

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des finances, Gordon Brown, et ` a la surprise totale de presque tous ses conseillers, le Premier ministre annonce en direct que le budget du NHS sera augment´ e de mani` ere ` a rejoindre “la moyenne de l’Union europ´ eenne”. 5 Cette annonce fera par la suite l’objet d’une double rationalisation post hoc : tout d’abord dans le NHS Plan, pr´ epar´ e par Alan Milburn dans les premiers mois de sa succession ` a Frank Dobson au Secr´ etariat d’ Etat ´

` a la Sant´ e et publi´ e en juillet 2000, puis lors de la publication du “rapport Wanless”

au cours des deux ann´ ees suivantes, lequel consacra l’objectif d’investissement ` a long terme dans le syst` eme de sant´ e britannique (Klein, 2010, p. 204). 6

L’application de cette d´ ecision dans les ann´ ees suivantes a tr` es profond´ ement marqu´ e la r´ eforme du syst` eme de sant´ e britannique sous les mandats n´ eo-travaillistes : l’ensemble des initiatives ult´ erieures, mˆ eme lorsqu’elles ont consist´ e ` a optimiser la consommation de soins en restreignant l’acc` es ` a certains traitements ou services de soins, a b´ en´ efici´ e d’un budget beaucoup plus important que sous les mandats conservateurs. C’est d’ailleurs sur la base de cette d´ ecision que l’historiographie du NHS a r´ etrospectivement ent´ erin´ e l’id´ ee de la “Troisi` eme Voie” avanc´ ee par Tony Blair pour qualifier les r´ eformes du New Labour : le prolongement des logiques n´ eo-manag´ eriales conservatrices apr` es 1997 n’a naturellement ´ echapp´ e ` a aucun observateur, mais comme le remarque l’auteur d’une histoire officielle du NHS, “il est improbable que les Conservateurs auraient accept´ e la moyenne europ´ eenne comme niveau de d´ epenses ` a atteindre, ou qu’ils auraient com- mand´ e un rapport comme le rapport Wanless, fixant des engagements de d´ epense ` a long terme” (Webster, 2002, p. 251). A diff´ ` erents titres, la d´ ecision de Tony Blair fait donc historiquement figure de “Grande Transformation” dans le long fleuve des r´ eformes du syst` eme de sant´ e britannique (Klein, 2010, p. 204), un autre expert allant jusqu’` a la qua- lifier de “d´ eclaration sur le financement de la sant´ e la plus courageuse jamais prononc´ ee par un Premier ministre au cours des cinquante-deux ans d’histoire du NHS”. 7

Dans quelle mesure les d´ epenses de sant´ e britanniques se sont-elles conform´ ees

` a l’ambition affich´ ee par Tony Blair de leur faire rejoindre “la moyenne europ´ eenne” ? Une premi` ere mani` ere de r´ epondre ` a cette question consiste ` a observer, de mani` ere descriptive, l’´ evolution du ratio entre les deux niveaux de d´ epense, r´ esum´ ee en Figure 2.

L’´ evolution de ce ratio confirme une forme de “rattrapage” de l’Union europ´ eenne par le Royaume-Uni au cours des mandats n´ eo-travaillistes : en 2006, le ratio retrouve ainsi un niveau sup´ erieur ` a 0.9, jamais atteint au cours des trois d´ ecennies pr´ ec´ edentes.

Cette d´ ecision et ses suites ont d’ailleurs b´ en´ efici´ e du soutien appuy´ e des think tanks britanniques sp´ ecialis´ es dans le secteur de la sant´ e : d` es mars 2000, une analyse de l’Office of Health Economics (OHE) rappelait les limites des comparaisons internatio- nales et la difficult´ e de l’objectif ` a atteindre, tout en cautionnant l’objectif “raisonnable”

constitu´ e par la moyenne europ´ eenne (Towse et Sussex, 2000). De la mˆ eme mani` ere, un rapport r´ ecent du King’s Fund, publi´ e avant l’´ election g´ en´ erale de mai 2009, f´ elicitait les

5. “Blair promises to raise spending on NHS to European average”, British Medical Journal, 22 janvier 2000.

6. Chaque rapport servit une fin diff´ erente : alors que le NHS Plan, d’origine minist´ erielle, fit office de feuille de route ` a l’ex´ ecution des r´ eformes suivantes, le “rapport Wanless” leur conf´ era une l´ egitimit´ e suppl´ ementaire, dans la mesure o` u, pour la premi` ere fois, un rapport ind´ ependant sur le syst` eme de sant´ e britannique fut confi´ e (par l’administration budg´ etaire) ` a un expert issu des milieux d’affaires (Webster, 2002, p. 233–234).

7. “Blair will have difficulty in matching European spending”, British Medical Journal, 22 janvier 2000.

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0.8 0.9 1.0 1.1

1960 1970 1980 1990 2000 2010

EU−14 EU−15

Con Lab

Figure 2 – Ratio des d´ epenses totales de sant´ e du Royaume-Uni par rapport ` a la moyenne

non pond´ er´ ee des autres Etats-membres de l’UE-15, en % du PIB. La courbe gris´ ´ ee

visualise la contribution britannique du Royaume-Uni ` a la moyenne europ´ eenne en

l’int´ egrant au calcul. Les aires bleues et rouges d´ esignent respectivement les p´ eriodes

de gouvernement conservateur et travailliste. Source : donn´ ees OCDE Sant´ e 2011.

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gouvernements n´ eo-travaillistes pr´ ec´ edents de s’ˆ etre conform´ es aux objectifs de d´ epense du rapport Wanless (King’s Fund, 2009). Les mesures en termes r´ eels ou ` a parit´ e de pou- voir d’achat n’invalident pas non plus le bilan du New Labour en mati` ere de d´ epenses de sant´ e : la p´ eriode r´ ecente correspond effectivement ` a une augmentation de ces d´ epenses vers un niveau plus proche de la moyenne europ´ eenne que sous les gouvernements pr´ ec´ edents.

Une deuxi` eme mani` ere de v´ erifier cette observation consiste ` a mod´ eliser l’´ evolution des d´ epenses de sant´ e britanniques sous la forme d’un ph´ enom` ene autocorr´ el´ e, c’est-` a- dire principalement guid´ e par une forme de croissance organique ; cette mod´ elisation permet de se concentrer sur le taux d’augmentation des d´ epenses de sant´ e au cours du temps, et de rep´ erer les p´ eriodes d’augmentation statistiquement significatives dans un intervalle de confiance donn´ e. La Figure 3, qui r´ esume les r´ esultats d’un mod` ele additif g´ en´ eralis´ e sur les ann´ ees 1960-2009, permet d’´ etablir que les ann´ ees 1997-2009 sont incluses dans les p´ eriodes d’augmentation statistiquement significatives des d´ epenses de sant´ e britanniques, avec un intervalle de confiance de 99%. 8

1.2 Les d ´ eterminants de la d ´ ecision

Une fois ses effets observ´ es, la d´ ecision prise par Tony Blair en janvier 2000 de- mande ` a ˆ etre expliqu´ ee plus en d´ etail. Une partie de cette explication vient de facteurs endog` enes ` a l’action publique : les tr` es nombreux instruments d’action publique intro- duits par les gouvernements n´ eo-travaillistes pour mesurer leur propre performance ont en effet offert aux m´ edias britanniques autant de mani` eres de critiquer la performance de l’action gouvernementale, notamment en termes d’in´ egalit´ es socio-g´ eographiques. 9 A la fin de l’ann´ ` ee 1999, les objectifs de performance d´ efinis un an plus tˆ ot et publi´ es la mˆ eme ann´ ee (Klein, 2010, p. 203) donnaient ainsi toutes les raisons n´ ecessaires aux m´ edias britanniques pour titrer, comme le faisait la BBC, sur la “crise du NHS” (Dean, 2008, p. 13).

Ce facteur prit une importance particuli` ere en janvier 2000, lorsque les listes d’attente du syst` eme de sant´ e s’allong` erent dangereusement suite ` a l’´ epid´ emie de grippe hiver- nale qui saturait les services de soins hospitaliers. 10 La combinaison de ces caract´ eristiques du syst` eme de sant´ e britannique, accentu´ ee par l’agressivit´ e de la couverture m´ ediatique nationale face ` a ses dysfonctionnements, fournit une premi` ere cl´ e d’interpr´ etation ` a la d´ ecision de Tony Blair, celui-ci cherchant ` a ´ eviter le blˆ ame li´ e au d´ efaut de performance qu’accusait le NHS dans l’opinion publique ` a cette p´ eriode (Klein, 2010, p. 202–204).

8. Les fichiers de r´ eplication du mod` ele sont disponibles aupr` es de l’auteur. Cette mod´ elisation per- met d’identifier plusieurs autres p´ eriodes d’augmentation statistiquement significatives dans les d´ ecennies 1970-1980 et 1990-2000 : la seule p´ eriode de stagnation d´ etectable ` a un intervalle de confiance de 95%

se situe ainsi au milieu des ann´ ees 1980, au cœur de la p´ eriode de gouvernement de Margaret Thatcher.

L’augmentation des d´ epenses sous les mandats n´ eo-travaillistes est toutefois statistiquement plus robuste et surtout substantiellement plus importante que toutes les augmentations pr´ ec´ edentes.

9. Pour un aperc ¸u, cf. Faucher-King et Le Gal` es (2010). Comme l’ont fait remarquer diff´ erents obser- vateurs ` a cet ´ egard, il est r´ etrospectivement plutˆ ot paradoxal qu’un gouvernement ait investi autant de ressources dans la mise en place de dispositifs ayant contribu´ e ` a discr´ editer ses propres initiatives sans g´ en´ erer de gain ´ electoral significatif (Hood et Dixon, 2010).

10. “Urgent cancer operations delayed by epidemic”, The Independent, 12 janvier 2000.

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1960 1970 1980 1990 2000 2010

Fitted

Increase

Actual

Con Lab

Figure 3 – Mod` ele additif g´ en´ eralis´ e des d´ epenses totales de sant´ e au Royaume-Uni de

1960 ` a 2009, en % du PIB. La courbe gris´ ee est une approximation de la tendance

suivie par la s´ erie temporelle ` a partir d’un mod` ele autor´ egressif de forme AR(2) ; les

segments rouges correspondent aux p´ eriode d’augmentation significatives ` a 99%, cal-

cul´ es ` a partir des d´ eriv´ es du mod` ele. Les aires bleues et rouges d´ esignent respectivement

les p´ eriodes de gouvernement conservateur et travailliste. Source : calculs personnels,

donn´ ees OCDE Sant´ e 2011.

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Quatre ans plus tˆ ot, la campagne ´ electorale du New Labour, qui se proposait de “sauver le NHS”, avait largement exploit´ e la perception commun´ ement admise que le syst` eme de sant´ e britannique, “pr´ ec´ edemment source de fiert´ e, s’´ etait profond´ ement d´ et´ erior´ e au fil des ann´ ees de sous-investissement impos´ ees par les Conservateurs, au point de devenir l’un des pires en Europe de l’Ouest” (Faucher-King et Le Gal` es, 2010, p. 53, ita- liques personnelles). Au tournant des ann´ ees 1999-2000, alors que “l’inondation de statistiques continuait ` a publiciser les d´ efauts de performance du NHS” (Klein, 2010, p. 206), les critiques accusant le gouvernement de Tony Blair de prolonger cette situation se r´ epandirent ` a des niveaux particuli` erement ´ elev´ es d’autorit´ e bureaucratique et poli- tique, jusqu’` a la veille de son intervention t´ el´ evis´ ee (Klein, 2010, p. 205). Ces critiques sur la situation fiscale du NHS, qui recoupaient en tous points le cadre mental construit dans l’espace m´ ediatique et le d´ esaveu du NHS dans les enquˆ etes d’opinion, ont pro- fond´ ement affect´ e les ´ elites minist´ erielles concern´ ees, participant ` a la construction la- tente du probl` eme public justifiant sa modernisation ` a partir de sa r´ eforme budg´ etaire. 11 Un deuxi` eme facteur explicatif tient plus particuli` erement au rˆ ole jou´ e par l’´ evocation du cancer dans la crise m´ ediatique ouverte au sujet du NHS : au cours des ann´ ees 1999-2000, la magnitude ´ epid´ emiologique et la dimension dramatique associ´ ees ` a la pathologie canc´ ereuse contribu` erent ` a affaiblir le capital r´ eputationnel de l’institution plus qu’aucune autre. Les restrictions sur les traitements anticanc´ ereux ont fourni, au cours de cette p´ eriode et des suivantes, un support privil´ egi´ e au discours m´ ediatique sur le sous-financement du NHS, lui-mˆ eme en large partie fond´ e sur le discours public des sp´ ecialistes m´ edicaux concern´ es. 12 La couverture m´ ediatique nationale, d´ ej` a exten- sive sur les in´ egalit´ es socio-g´ eographiques face au cancer 13 , a fr´ equemment ´ evoqu´ e la distribution in´ egalitaire de ces traitements sous la forme d’une “lotterie postale” (Bun- gay, 2005), aux antipodes des principes fondateurs du syst` eme de sant´ e britannique.

De la mˆ eme mani` ere, le cancer fut amplement mobilis´ e dans l’illustration du d´ efaut suppl´ ementaire de performance du NHS, symbolis´ e dans sa repr´ esentation m´ ediatique par l’allongement des listes d’attente. En 1999, le d´ efaut de disponibilit´ e des services de soins fut d’abord accus´ e par une ´ etude m´ edicale de causer la mort de certains patients canc´ ereux en retardant la d´ etection de leur pathologie 14 ; l’ann´ ee suivante, cette possi- bilit´ e fut illustr´ ee par la mort d’une patiente atteinte d’un cancer, Mavis Skeet, suite au d´ ecalage ` a r´ ep´ etition de son traitement pendant l’´ epid´ emie de grippe hivernale 15 .

Cette articulation des th` emes de la sous-performance et du sous-financement du NHS avec la pathologie canc´ ereuse prit une dimension exceptionnelle dans l’espace m´ ediatique et politique avec la diffusion d’un classement ´ epid´ emiologique de 17 pays europ´ eens ` a partir des taux de survie de leurs populations aux cancers les plus com- muns. D` es f´ evrier 1999, les r´ esultats du classement, ´ evoqu´ es lors de l’International Congress on Anti-Cancer Treatment tenu ` a Paris, furent associ´ es par diff´ erentes autorit´ es

11. “How Blair came late to reform of the NHS”, The Times, 24 mars 2000.

12. “Our cancer disgrace. Top specialists confess : We have to lie to patients,” Daily Mail, 9 novembre 1999.

13. “Cancer survival linked to wealth,” The Guardian, 23 avril 1999 ; “Poor have less chance of beating cancer,” The Times, 23 avril 1999 ; “Britain fails in war on disease,” The Guardian, 17 octobre 1999.

14. “Delays that kill victims of breast cancer,” The Guardian, 2 avril 1999.

15. “Cancer patient dies after four surgery delays,” The Guardian, 2 juin 2000. Selon l’un de ses proches

conseillers, le parcours de Mavis Skeet – tr` es m´ ediatis´ e au cours de l’hiver 1999-2000 – a jou´ e un rˆ ole

critique dans la d´ ecision de Tony Blair (Timmins, 2008, p. 105).

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scientifiques et m´ edicales ` a un d´ efaut de financement dans plusieurs pays europ´ eens, limitant la formation des sp´ ecialistes et la disponibilit´ e des traitements ; cette annonce, qui r´ esonait parfaitement avec le cadre mental ´ elabor´ e dans l’espace m´ ediatique britan- nique, fut imm´ ediatement relay´ ee sous la forme d’une critique acerbe du NHS, dont les performances furent qualifi´ ees de d´ esastreuses, en particulier au vu des performances accomplies par le reste des pays europ´ eens inclus dans le classement. 16

La diffusion des r´ esultats de ce classement s’´ etendit sur toute l’ann´ ee 1999, par le biais d’´ echanges crois´ es entre les espaces m´ ediatique et m´ edical qui r´ edig` erent conjoin- tement le r´ ecit causal associant le sous-financement du NHS et le d´ efaut de perfor- mance en mati` ere de survie au cancer au Royaume-Uni. 17 La crise m´ ediatique prit aussi la forme d’un lobbying m´ edical plus classique : en mai 1999, la Campaign for Effective and Rational Treatment, lanc´ ee par un groupe de canc´ erologues pour exiger une augmentation des d´ epenses de sant´ e afin de rendre disponibles certains traite- ments anticanc´ ereux, rec ¸ut imm´ ediatement le soutien du groupe parlementaire bipar- tisan consacr´ e au cancer. 18

En d´ efinitive, les d´ eterminants de la “Grande Transformation” du NHS amorc´ ee en janvier 2000 laissent entrevoir plusieurs processus de quantification ` a l’œuvre, li´ es au niveau de d´ epense du syst` eme de sant´ e britannique ou ` a diff´ erents indicateurs de per- formance, parmi lesquels les taux comparatifs de survie au cancer ont jou´ e un rˆ ole parti- culier. La section suivante d´ ecompose deux de ces processus afin d’analyser la mani` ere dont ils sont rentr´ es en jeu dans la production de la r´ eforme ´ etudi´ ee : tout d’abord dans la construction du probl` eme public, avec l’irruption d’un classement ´ epid´ emiologique europ´ een dans les contraintes s’exerc ¸ant sur les d´ ecideurs publics, puis lors de la fixation de la “moyenne europ´ eenne” comme objectif affich´ e de l’action gouvernementale.

2 L’appr ´ eciation statistique de la performance publique

L’´ etude EUROCARE 19 , dont les r´ esultats apparaissent d` es le milieu des ann´ ees 1990 dans plusieurs revues m´ edicales sp´ ecialis´ ees, est un projet scientifique transnational visant ` a comparer les taux de survie par cancer dans un ´ echantillon de populations europ´ eennes ` a partir de donn´ ees et de m´ ethodes standardis´ ees. Son financement ini- tial a ´ et´ e assur´ e par le biais des programmes de recherche biom´ edicale de l’Union eu-

16. “Cancer cuts that kill ; Britain spends less on drugs and its patients are paying with their lives,” Daily Mail, 5 f´ evrier 1999 ; “UK lags in cancer treatment,” The Scotsman, 5 f´ evrier 1999 ; “Pattie blasts UK’s

‘appalling’ record” et “We’re worst at beating cancer,” The Sun, 5 f´ evrier 1999.

(13)

rop´ eenne (Coebergh et al., 1998), qui s’est depuis dot´ ee de ses propres indicateurs

´ epid´ emiologiques (Kilpel¨ ainen, Aromaa et ECHIM Core Group, 2008). Outre le soutien financier de l’Union europ´ eenne, tr` es active d` es ses origines dans la lutte contre le cancer (Trubek, Nance et Hervey, 2008), les r´ esultats de l’´ etude EUROCARE furent ´ egalement publi´ es sous la forme de monographies par l’International Agency for Research in Cancer (IARC), agence sp´ ecialis´ ee cr´ e´ ee en 1962 aupr` es de l’Organisation Mondiale de la Sant´ e.

Le rˆ ole de ces institutions transnationales dans la gouvernance multi-niveaux de la sant´ e publique n’est pas abord´ e dans l’analyse qui suit, mais leur influence sur les d´ ecisions des Etats ne peut pas ´ ˆ etre enti` erement ´ elud´ ee : au sein de l’Union europ´ eenne, par exemple, “la M´ ethode Ouverte de Coordination Sant´ e, comme les donn´ ees de l’OCDE, peut faire penser ` a un gaspillage de papier dans un Etat-membre tout en constituant un ´ instrument important dans un autre” (Greer, 2009, p. 164).

Le r´ eseau scientifique participant ` a l’´ etude EUROCARE pr´ esente par ailleurs toutes les caract´ eristiques d’une “communaut´ e ´ epist´ emique” (Haas, 1992), fortement dot´ ee en capital scientifique et d´ elib´ er´ ement orient´ ee vers la communication de ses r´ esultats

` a diff´ erents publics. Son audience inclut naturellement plusieurs publics sp´ ecialis´ es, situ´ es ` a diff´ erents points plus ou moins influents de l’espace m´ edical 20 , mais une partie de son attention concerne les d´ ecideurs politiques et le grand public. D` es la deuxi` eme

´ edition de l’´ etude, en 1998, ses auteurs ´ evoquent ainsi un lien potentiel entre leurs r´ esultats ´ epid´ emiologiques et certains param` etres macro´ economiques, ´ ecrivant : “il pour- rait ˆ etre int´ eressant de comparer le classement standardis´ e des estimations de taux de survie dans les 17 pays inclus dans l’´ etude avec les indicateurs ´ economiques courants du produit int´ erieur brut et des d´ epenses de sant´ e” (Berrino et al., 1998, p. 2152), et ce de mani` ere ` a “aider les autorit´ es de sant´ e ` a prendre des d´ ecisions inform´ ees concernant les investissements de ressources les plus efficaces” (Berrino et al., 1999). 21

L’ensemble de ces facteurs a contribu´ e ` a faire de l’´ etude EUROCARE une r´ ef´ erence scientifique internationalement reconnue et r´ eguli` erement cit´ ee dans les revues sp´ ecialis´ ees comme dans les m´ edias g´ en´ eralistes. En 1998, lors de la publication des r´ esultats de la deuxi` eme ´ edition de l’´ etude dans un num´ ero sp´ ecial de l’European Journal of Cancer (Berrino et al., 1998), ceux-ci sont imm´ ediatement repris par la presse britannique : les taux de survie de l’Angleterre et de l’ ´ Ecosse classent en effet le Royaume-Uni parmi les pays les moins performants sur ce crit` ere d’´ evaluation. L’acceptation de ce classement, et la r´ ef´ erence ` a la “moyenne europ´ eenne” comme objectif cens´ e normaliser cette si- tuation, donnent ` a voir deux m´ ecanismes d’appr´ eciation statistique : dans la lecture des r´ esultats de l’´ etude EUROCARE, qui se pr´ esentent sous la forme d’un classement in- ternational, puis dans l’´ etablissement de la “moyenne europ´ eenne” comme point de r´ ef´ erence normal, converti en objectif gouvernemental.

20. L’´ epid´ emiologie occupe des positions diff´ erentes dans l’espace m´ edical en fonction de sa configura- tion nationale. Son influence est particuli` erement observable au Royaume-Uni, o` u les auteurs de l’´ etude EUROCARE disposent ´ egalement d’alli´ es objectifs renomm´ es parmi leurs homologues britanniques.

21. Quelques ann´ ees plus tard, la communaut´ e ´ epist´ emique constitu´ ee autour de l’´ etude EUROCARE

renforcera ses croyances causales en r´ ealisant cette comparaison, pour en conclure que “la survie au cancer

d´ epend de l’application extensive de diagnostics et de traitements efficaces, mais notre analyse sugg` ere que

leur disponibilit´ e d´ epend de d´ eterminants macro´ economiques, incluant l’investissement dans la sant´ e et

la sant´ e publique” (Micheli et al., 2003, p. v41).

(14)

2.1 L’acceptation d’une contrainte ´ epist ´ emique : le “classement EUROCARE”

Une caract´ eristique cruciale de l’´ etude EUROCARE r´ eside dans la pr´ esentation de ses r´ esultats sous la forme d’un classement ´ etabli entre les pays dont sont issues les po- pulations ´ etudi´ ees. La Figure 4, extraite des r´ esultats de la deuxi` eme ´ edition de l’´ etude, illustre la fac ¸on dont ces classements se pr´ esentent lors de leur publication : en plus des tableaux comparatifs, chaque publication bas´ ee sur les r´ esultats de l’´ etude EUROCARE s’accompagne ´ egalement de graphiques faisant explicitement appara ˆıtre la position re- lative de chaque pays ´ etudi´ e. Ces positions ne sont pas uniquement r´ esum´ ees par leur pr´ esentation graphique : au fil des diff´ erentes ´ editions de l’´ etude EUROCARE, ses au- teurs ont ´ etabli plusieurs mani` eres de regrouper les pays entre eux. Dans la deuxi` eme

´ edition du classement EUROCARE, un coloriage des graphiques en nuances de gris a ainsi servi ` a distinguer les pays ` a “fort” et “faible” taux de survie (Gatta et al., 1998, p. 2178–2179).

D’embl´ ee, le classement EUROCARE poss` ede l’ensemble des attributs qui ouvrent la possibilit´ e pour un indicateur de devenir une “technologie de gouvernance globale”

(Davis, Kingsbury et Merry, 2011) : ` a quelques ann´ ees d’intervalle entre la p´ eriode d’observation et celle de la publication des r´ esultats, le classement ´ etablit la position relative de ses unit´ es d’analyse (des ´ Etats-nations europ´ eenns) en simplifiant une r´ ealit´ e complexe grˆ ace ` a une mesure standardis´ ee (le taux de survie relatif des populations expos´ ees ` a plusieurs cancers communs). Chaque nouvelle vague de l’´ etude renouvelle la possibi- lit´ e pour chaque unit´ e d’´ elever ou de rabaisser sa position, ` a l’int´ erieur du classement et par rapport aux vagues pr´ ec´ edentes.

L’appr´ eciation statistique que renvoie le classement de chaque unit´ e est, par d´ efinition, ordinale : alors que, pris isol´ ement, les taux de survie nationaux au cancer ne contiennent aucun jugement normatif, leur insertion dans un ordre de grandeur et leur position vis-

` a-vis des autres taux mesur´ es qui permet d’estimer la performance d’une unit´ e donn´ ee.

Cette appr´ eciation correspond au ph´ enom` ene de commensuration d´ ecrit par Wendy Es- peland et Mitchell Stevens, le classement EUROCARE fournissant ` a la fois la mesure approximative des taux de survie relatifs de chaque pays et une ´ echelle d’interpr´ etation ordinale, donn´ ee par la position relative des pays par rapport ` a la moyenne europ´ eenne et par rapport aux autres unit´ es d’analyse de l’´ echantillon ; les classements de ce type fi- gurent au premier rang des technologies pouvant servir ` a “limiter le pouvoir discr´ etionnaire et rendre les individus responsables” (Espeland et Stevens, 2009, p. 420).

L’ordinalit´ e du classement, renforc´ ee par les cat´ egorisations graphiques ´ evoqu´ ees ci-

dessus, fournit le premier m´ ecanisme d’appr´ eciation statistique ` a notre cas d’´ etude : la

(15)

Figure 4 – Taux de survie relatifs au cancer colorectal dans les pays couverts par l’´ etude

“EUROCARE II”. L’acronyme “RR” d´ esigne la mesure standardis´ ee (risk ratio) utilis´ ee

par les auteurs. Source : Gatta et al. (1998, p. 2179).

(16)

D’autres pays occidentaux, dont notamment le Danemark, 22 apparaissent dans les derniers rangs des classements “EUROCARE II” ; n´ eanmoins, seul le Royaume-Uni y appara ˆıt pour chacun des cancers les plus communs (colorectal, sein, poumon, prostate et ovarien), et dans 18 des 25 cancers couverts par l’´ etude. Enfin, l’originalit´ e du classe- ment EUROCARE empˆ echait de minimiser ses conclusions, en l’absence de donn´ ees contradictoires : un ancien conseiller de Tony Blair note ainsi que, “avant l’arriv´ ee des taux comparatifs de survie au cancer, il n’y avait pas r´ eellement de mesures internatio- nales comparables des performances de sant´ e” (Smee, 2005, p. 23). 23

C’est avec ce filtre d’interpr´ etation, qui souligne explicitement la position d´ efavorable du Royaume-Uni, que les agents sp´ ecialis´ es (experts, bureaucrates et professionnels de sant´ e) exploit` erent les r´ esultats de l’´ etude EUROCARE. Deux think tanks tr` es influents relay` erent rapidement cette lecture des classements : d` es janvier 2000, la branche “sant´ e/social”

de l’Institute of Economic Affairs publiait un rapport intitul´ e “Delay, Denial and Dilution”, qui s’appuyait pour une large partie sur les classements EUROCARE et sur une ´ etude de Karol Sikora, d´ ej` a mentionn´ e plus haut (p. 11), pour critiquer les situations de “ra- tionnement” dans le NHS. La mˆ eme ann´ ee, l’OCDE cita les classements EUROCARE dans son Country Report sur le Royaume-Uni, inversant soudainement son ´ evaluation g´ en´ erale du NHS et entachant sa relation d’“admiration mutuelle” avec les ´ elites britan- niques (Manning, 2004) : alors que ses pr´ ec´ edents rapports ´ evoquaient son efficacit´ e

´ economique “remarquable” et sa performance “moyenne”, celui-ci fut retenu pour sa mention des r´ esultats de l’´ etude EUROCARE (Smee, 2005, p. 23, 25). 24

Une s´ erie d’entretiens avec les responsables du NHS Cancer Plan, programme na- tional int´ egr´ e au NHS Plan avec d’autres programmes nationaux, indique que le classe-

ment EUROCARE fut ´ egalement mobilis´ e par les ´ elites bureaucratiques et para-bureaucratiques de la lutte contre le cancer en Angleterre. Un de ses hauts responsables se souvient par

exemple de Tony Blair lui demandant, en f´ evrier 2000, si la situation ´ etait “aussi grave que les gens le disent” ; quelques mois plus tˆ ot, le mˆ eme responsable avait organis´ e un atelier de r´ eflexion autour de l’´ etude EUROCARE, dont il avait conclu avec le reste des participants que ses r´ esultats ´ etaient fiables. Un doute aurait pu subsister ` a ce sujet, dans la mesure o` u la m´ ethodologie de l’´ etude EUROCARE provoque r´ eguli` erement de vifs ´ echanges contradictoires publi´ es dans d’importantes revues m´ edicales d´ epassant l’audience sp´ ecialis´ ee de l’´ epid´ emiologie. 25

Les controverses sur la validit´ e de l’´ etude EUROCARE n’a toutefois pas diminu´ e son influence aupr` es des pouvoirs publics : au contraire, dans le prolongement d’un

22. Les ´ elites gouvernementales du Danemark r´ eagirent ´ egalement ` a la publication du classement “EU-

ROCARE II”, en mettant en place un programme national de lutte contre le cancer en f´ evrier 2000 (Appel,

(17)

autre atelier de travail autour de la validit´ e de ses r´ esultats, elles ont r´ ecemment ren- forc´ e l’emprise des taux de survie au cancer sur la d´ ecision publique en incitant les auto- rit´ es minist´ erielles britanniques ` a lancer l’International Cancer Benchmarking Partnership (Foot et Harrison, 2011). Ce dispositif reprend les grandes lignes de l’´ etude EUROCARE en comparant les taux de survie de six pays europ´ eens ` a partir d’une grille d’indicateurs de performance encore plus pr´ ecise. 26 En cons´ equence, la mesure de la performance du syst` eme de sant´ e au moyen de la comparaison des statistiques ´ epid´ emiologiques du can- cer a eu tendance ` a s’institutionnaliser graduellement, jusqu’` a appara ˆıtre directement dans les instruments d’action publique de l’ Etat. ´

Pour d´ esigner l’effet de contrainte exerc´ e par la connaissance du classement EURO- CARE aupr` es des ´ elites britanniques, on utilisera l’expression de contrainte ´ epist´ emique, dont l’acceptation par les autorit´ es politiques est une condition pr´ ealable ` a son effet transformatif sur l’action publique. Un comportement posssible consiste en effet ` a re- jeter cette contrainte comme scientifiquement ill´ egitime, ce que certains sp´ ecialistes du milieu m´ edical ont exprim´ e au sujet de l’´ etude EUROCARE en expliquant que le syst` eme de surveillance int´ egrale de la mortalit´ e au Royaume-Uni n’´ etait pas commen- surable aux syst` emes partiels de la plupart des autres pays europ´ eens, et que ses r´ esultats ne devaient pas servir d’argument politique dans la r´ eforme du NHS (Wilkinson, 2009).

Ce comportement t´ emoigne de l’utilisation d’un “savoir local” (Scott, 1998, p. 311-sq.), ancr´ e dans les sp´ ecifit´ es du syst` eme de sant´ e britannique, dans la r´ esistance ` a l’entreprise de lisibilit´ e transnationale constitu´ ee par l’´ etude EUROCARE. 27 .

2.2 La normalisation performative d’une r ´ eforme : l’objectif de la “moyenne europ ´ eenne”

Le deuxi` eme m´ ecanisme d’appr´ eciation statistique observable dans la r´ eforme du NHS au tournant des ann´ ees 1999-2000 tient ` a l’objectif d’atteindre le niveau europ´ een moyen de d´ epenses de sant´ e. Comme l’a fait justement remarquer Rudolf Klein, l’objectif consistant ` a atteindre la moyenne europ´ eenne ´ etait “essentiellement arbitraire, pratique car suffisamment ambigu pour s’autoriser ` a ˆ etre flexible dans son interpr´ etation” (Klein, 2010, p. 205). L’expression “moyenne europ´ eenne” contient en effet deux choix impli- cites, concernant l’´ echantillon – les quinze membres de l’Union europ´ eenne en 2000 – et la mesure de la tendance centrale – la moyenne, pour laquelle existe essentiellement trois formes de calcul. En modifiant ces choix ` a la marge, un portrait diff´ erent des ac- complissements politiques de Tony Blair en mati` ere de d´ epenses de sant´ e pourrait ˆ etre bross´ e sans trahir les donn´ ees. 28

Si l’on peut raisonnablement penser que la moyenne fut choisie pour sa simplicit´ e apparente, le choix d’utiliser les autres ´ Etats-membres de l’Union europ´ eenne comme

26. Ce programme a ´ et´ e confi´ e ` a l’un des acteurs associatifs les plus influents de la communaut´ e de politiques publiques r´ eunie autour de la lutte contre le cancer en Angleterre ; cf. le site Internet de Cancer Research UK : http://info.cancerresearchuk.org/spotcancerearly/ICBP/.

27. Plus pr´ ecis´ ement, ce comportement renvoie au “travail de d´ efense” d’une institution (Maguire et Hardy, 2009) face ` a une menace touchant ses caract´ eristiques identitaires (Elsbach et Kramer, 1996).

28. Les mˆ emes donn´ ees exprim´ ees ` a parit´ e de pouvoir d’achat indiquent, par exemple, un rattrapage plus rapide du niveau moyen des d´ epenses de sant´ e dans l’UE-15, et encore plus rapide si l’´ echantillon est

´ elargi aux pays membres de l’OCDE. Les calculs correspondants sont disponibles aupr` es de l’auteur.

(18)

standard de comparaison pour le Royaume-Uni constitue un choix clairement plus strat´ egique, en particulier si l’on se r´ ef` ere aux positions favorables prises par Tony Blair au sujet de l’Union europ´ eenne lors de ses mandats. Le choix de la “moyenne” comme indicateur ` a suivre est toutefois remarquable en soi, dans la mesure o` u celle-ci exprime une injonc- tion disciplinaire forte, incitant ` a normaliser une situation ` a partir du r´ esultat agr´ eg´ e de toutes les autres : rejoindre la moyenne signifie rejoindre une forme de normalit´ e.

Comme l’a tr` es bien montr´ e Sarah Igo dans son ´ etude sur la cr´ eation de “l’Am´ ericain moyen” et de “communaut´ es typiques” par le biais des enquˆ etes statistiques aux Etats- ´ Unis, cette injonction peut se mat´ erialiser au niveau des individus et des groupes so- ciaux dans une multiplicit´ e de domaines (Igo, 2007). 29 L’action publique offre un autre support ` a cette injonction : lorsqu’une d´ ecision politique ou l’´ evaluation de sa perfor- mance se fait en rapport au “niveau moyen” exprim´ e dans un ´ echantillon de r´ ef´ erence, l’appr´ eciation de ce niveau renvoie ` a une norme performative, construite par le biais d’une simplification statistique dont le pouvoir de contrainte ne tient qu’` a son ´ evocation par des figures d’autorit´ e (d´ ecideurs, ex´ ecutants, experts).

De plus, contrairement au classement EUROCARE dont l’ordinalit´ e reste scienti- fiquement objectivable, la “moyenne europ´ eenne” est un indicateur purement artefac- tuel : aucun crit` ere objectif ne permet en effet de penser que la tendance centrale des membres de l’UE-15 n’apporte, en elle-mˆ eme, une garantie de performance publique.

De la mˆ eme mani` ere, aucun choix subs´ equent, comme celui de ramener la contribution de chaque Etat-membre ´ ` a la moyenne europ´ eenne ` a la taille de son activit´ e ´ economique, ne peut renverser l’artificialit´ e du “niveau europ´ een moyen” comme point de r´ ef´ erence, inobservable, pour la performance publique. En r´ ealit´ e, l’autorit´ e contenue dans cet in- dicateur provient enti` erement de la puissance ´ economique et politique des d´ emocraties europ´ eennes occidentales, laquelle conf` ere ` a tout indicateur d’une tendance centrale

“europ´ eenne” sa force de conviction.

Ces observations autorisent ` a qualifier la d´ ecision de Tony Blair de normalisation performative du niveau des d´ epenses de sant´ e britanniques. D’une part, la fixation de la moyenne europ´ eenne comme objectif de d´ epense pour le syst` eme de sant´ e britan- nique est un acte accompli avec la volont´ e de normaliser la situation du Royaume-Uni en prenant comme point de r´ ef´ erence une perception partag´ ee de la normalit´ e. Dans ces circonstances, la r´ eaction du pouvoir britannique au classement EUROCARE est une

‘r´ eaction disciplin´ ee’ au sens que donne Michel Foucault ` a la discipline dans Surveiller

et punir (1975), et que pr´ eservent Wendy Espeland et Mitchell Stevens dans leur th´ eorie

sociologique de la quantification (Espeland et Stevens, 2009, p. 414–416). D’autre part,

en plus de correspondre aux “actes de parole” d´ ecrits par John Austin dans sa th´ eorie

philosophique de cette notion, cette d´ ecision correspond ´ egalement ` a la d´ efinition de

(19)

3 Conclusion

Le point de d´ epart th´ eorique de cette analyse consistait ` a interroger l’expression de la discipline dans l’action publique ` a partir des processus de quantification de la per- formance des gouvernements. On pense avoir ´ etabli que l’effet du classement EURO- CARE sur la premi` ere r´ eforme n´ eo-travailliste du NHS fut ` a la fois disciplinaire et per- formatif. La production du classement ´ etait intentionnellement destin´ ee ` a conduire la conduite des gouvernements, mais ses cons´ equences furent largement contingente et impr´ evisible par ses auteurs, ce qui correspond aux relations de pouvoir telles que les d´ ecrit Michel Foucault dans le premier tome de son Histoire de la sexualit´ e (1984). En re- vanche, son effet contraignant ne s’est pas exclusivement exerc´ e de l’ Etat vers la soci´ ´ et´ e : notre ´ etude de cas dessine plutˆ ot une relation imbriqu´ ee, passant par des ´ etapes in- term´ ediaires o` u le pouvoir disciplinaire s’exprime primordialement dans l’acceptation de la contrainte ´ epist´ emique du classement par les ´ elites dirigeantes, et dans la norma- lisation performative du probl` eme public qu’il a contribu´ e ` a construire.

L’analyse fournit ´ egalement deux m´ ecanismes d’appr´ eciation statistique, exprim´ es par les agents au contact des instruments d’action publique mesurant la performance gouvernementale. L’appr´ eciation du classement EUROCARE et de la moyenne europ´ eenne renvoient respectivement ` a leur mesure de l’ordinalit´ e et de la normalit´ e dans des contextes domin´ es par la quantification de ph´ enom` enes complexes mˆ elant ´ epid´ emiologie, ´ economie et sant´ e publique ; chaque mesure a ainsi particip´ e ` a la r´ eactivit´ e des ´ elites dirigeantes, dont la ‘r´ eaction disciplin´ ee’ est une sous-cat´ egorie (Espeland et Stevens, 2009, p. 412–414).

La Figure 5 reprend chacun de ces ´ el´ ements dans un sch´ ema qui les articule en rappelant les ´ ev´ enements et d´ ecisions du cas d’´ etude sur lequel on s’est appuy´ e.

Un dernier aspect remarquable des ph´ enom` enes d´ ecrits ici tient dans leur finalit´ e.

En d´ efinitive, la discipline exprim´ ee par le gouvernement de Tony Blair, ent´ erinant le classement EUROCARE puis s’engageant ` a atteindre le niveau moyen des d´ epenses de sant´ e en Europe, sert les objectifs du biopouvoir, c’est-` a-dire du gouvernement de la vie et de la mort des populations par l’ Etat (Foucault, ´ 2004). Les sciences sur lesquelles s’appuient les auteurs de l’´ etude EUROCARE ne sont en effet pas n´ ees ` a l’ext´ erieur de la sph` ere d’influence de l’ Etat en vue de lui r´ ´ esister : au contraire, elles sont tr` es di- rectement issues de l’entreprise g´ en´ eralis´ ee de mise en lisibilit´ e des populations par l’appareil ´ etatique Scott (1998). En ce sens, les sciences de gouvernement ayant servi l’extension du contrˆ ole des autorit´ es politiques sur les soci´ et´ es qu’elles gouvernent peuvent aussi se r´ ev´ eler contraignantes pour les ´ elites dirigeantes.

Dans une certaine mesure, la biopolitique ne d´ ecrit donc pas seulement la transfor-

mation dimensionnelle du pouvoir dans le contexte moderne, de l’ext´ erieur vers l’int´ erieur

des populations et des corps : cette transformation, qui s’accompagne des nouvelles

contraintes ´ epist´ emiques produites par la quantification, affecte ´ egalement la marge de

manœuvre des d´ ecideurs publics. Cet effet-retour de la biopolitique sur les politiques

publiques est susceptible d’exister dans toutes les situations o` u, comme ce fut le cas au

Royaume-Uni, les gouvernements d´ emocratiques d´ ecident d’investir dans la quantifica-

tion de leur propre performance.

(20)

appréciation ordinale classement défavorable

acceptation de la contrainte épistémique

appréciation normale

“moyenne européenne”

normalisation performative

(opposition) réforme

décision de Tony Blair du 16 janvier 2000 réactivité

disciplin e

quantification étude EUROCARE II

rejet de sa validité et/ou de son application politique

Figure 5 – R´ esum´ e des m´ ecanismes d´ etaill´ es dans l’analyse. Les termes indiqu´ es

en marge du sch´ ema renvoient ` a ceux utilis´ es par Wendy Espeland et Mitchell Ste-

vens (2009).

(21)

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