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Quand la biopolitique change les politiques : survie au cancer et réforme du système de santé en Angleterre
François Briatte
To cite this version:
François Briatte. Quand la biopolitique change les politiques : survie au cancer et réforme du système
de santé en Angleterre. Congrès de l’Association Française de Science Politique (AFSP), Aug 2011,
Strasbourg, France. �hal-00675783�
Quand la biopolitique change les politiques :
survie au cancer et r ´ eforme du syst ` eme de sant ´ e en Angleterre
Franc ¸ois Briatte
Institut d’ Etudes Politiques de Grenoble ´ f.briatte@ed.ac.uk
11e Congr` es de l’Association Franc ¸aise de Science Politique Strasbourg, 31 aoˆ ut–2 septembre 2011
R´ esum´ e
Les processus de quantification, par lesquels l’ ´ Etat construit des populations lisibles afin d’asseoir sa domination, donnent ´ egalement ` a voir l’effet contraignant des sta- tistiques sur les d´ ecideurs publics eux-mˆ emes, lorsqu’ils se trouvent soumis au pou- voir disciplinaire de la mesure de leur performance. Cette proposition est articul´ ee aux th´ eories sociologiques traitant de la quantification. Elle est support´ ee empiriquement par l’analyse d’une r´ eforme du syst` eme de sant´ e survenue en Angleterre au tournant des ann´ ees 1999–2000. Cette r´ eforme permet d’observer l’influence sur les d´ ecideurs publics de l’´ etude ´ epid´ emiologique EUROCARE, qui classe plusieurs pays europ´ eens ` a partir de leurs taux de survie au cancer. L’examen de cette r´ eforme et de ses d´ eterminants permet ´ egalement de cerner le rˆ ole jou´ e par les acteurs internationaux et transnatio- naux, comme l’OCDE et certaines communaut´ es ´ epist´ emiques, dans la circulation de ces donn´ ees. Elle permet enfin de v´ erifier l’application de la notion de discipline ` a la quantification de la performance des gouvernements et ` a ses effets sur l’action publique.
Mots-cl´ es Lutte contre le cancer ; syst` emes de sant´ e ; quantification ; discipline ; clas- sements.
Remerciements
Introduction
Une fraction non n´ egligeable de la mat´ erialit´ e de l’action publique contemporaine se situe d´ esormais dans la quantification de la performance des gouvernements, et plu- sieurs agendas de recherche convergent vers la mesure du changement induit par ces processus de quantification sur la conduite des politiques publiques. Pierre Lascoumes et Louis Simard attribuent par exemple un “effet cognitif direct” ` a l’instrumentation de l’action publique lorsque celle-ci “impose des d´ efinitions conventionnelles de faits sociaux en fournissant une grille de cat´ egorisation”, ` a l’image des indicateurs socio-
´ economiques ou environnementaux r´ eguli` erement ´ evoqu´ es pour ´ evaluer l’action de l’ Etat ´ (Lascoumes et Simard, 2011, p. 19–20). Pour Albert Ogien, la mise en place de ces indi- cateurs quantifi´ es participe ` a ce titre ` a un projet plus vaste consistant ` a imposer un “re- gistre de performance” ` a l’action publique en r´ egime d´ emocratique, “en assujettissant le plus ´ etroitement possible la d´ ecision ` a une information statistique produite ` a partir de donn´ ees int´ egr´ ees et qui, parce qu’elles sont homog´ en´ eis´ ees et stock´ ees dans des bases rendues compatibles, peuvent ˆ etre trait´ ees de fac ¸on particuli` ere selon les requˆ etes et les circonstances, sans limite dans le temps” (Ogien, 2010, p. 36).
Dans ce contexte, une premi` ere question de recherche peut consister ` a identifier les effets proprement politiques des dispositifs (ou technologies) de gouvernement fond´ es sur la quantification de la performance. Si une ´ etude r´ ecente d’Anthony Bertelli et Pe- ter John a ainsi mis en ´ evidence les effets distributifs li´ es ` a l’existence d’un syst` eme de notation de la performance des autorit´ es locales britanniques par une agence centrale ind´ ependante, syst` eme qu’ils qualifient de “m´ ecanisme de discipline politique” (Bertelli et John, 2010, p. 546), la conversion de ces effets en b´ en´ efices ´ electoraux reste incertaine.
Cet exemple doit attirer l’attention sur les diff´ erentes m´ etriques au cœur des processus de quantification : la performance de l’action publique fait notamment l’objet de notes (ratings), de classements (rankings), d’objectifs ` a atteindre (targets) et de crit` eres ` a valider (benchmarks), sans que l’on puisse raisonnablement postuler la production d’effets in- diff´ erenci´ es pour l’ensemble de ces dispositifs. De la mˆ eme mani` ere, l’hypoth` ese selon laquelle chaque dispositif est susceptible d’entra ˆı ner des formes vari´ ees de r´ esistance et d’opposition, allant du refus cat´ egorique au d´ etournement, para ˆıt d’embl´ ee plus plau- sible que l’hypoth` ese inverse.
L’ensemble de ces questions se retrouve dans le projet avanc´ e par Wendy Espeland et Mitchell Stevens d’´ etablir une th´ eorie sociologique de la quantification attentive aux diff´ erentes propri´ et´ es sociales des chiffres (Espeland et Stevens, 2009). 1 A l’image des ` diff´ erents courants disciplinaires qui se sont pench´ es sur la quantification, de l’histoire sociale de la statistique ` a l’analyse des politiques publiques en passant par la sociologie
´ economique, sa d´ emarche est tr` es fortement marqu´ ee par l’h´ eritage intellectuel de Mi- chel Foucault. On retrouve par exemple une th` ese foucaldienne classique dans l’usage que l’auteur r´ eserve ` a la notion de “discipline” pour d´ ecrire une r´ eaction possible ` a la quantification : lorsqu’ils se trouvent confront´ es ` a un dispositif de normalisation statis- tique de leur performance, les acteurs se savent ´ egalement soumis ` a un dispositif de
1. Ces propri´ et´ es ne concernent pas que les chiffres : elles s’appliquent ` a toutes les techniques de mise
en lisibilit´ e des populations, et notamment ` a la visualisation cartographique (Scott, 1998) ; cf. ´ egalement
Saetnan, Lomell et Hammer (2011).
normalisation morale qui r´ ecompense les performances sup´ erieures et, surtout, sanc- tionne les performances inf´ erieures (Espeland et Stevens, 2009, p. 416). En cela, l’´ etude des dispositifs de gouvernement construits autour des processus de quantification pro- longe le programme de recherche ´ elabor´ e par Michel Foucault autour de la notion de
“gouvernementalit´ e” (Lascoumes, 2004), en donnant ` a voir comment s’exerce le pou- voir et se construisent les rapports de force dans le cadre de la rationalit´ e statistique.
A ce stade de la r´ ` eflexion, une seconde question de recherche ´ emerge de la litt´ erature scientifique consacr´ ee ` a l’enrˆ olement des processus de quantification dans le gouverne- ment de l’activit´ e politique et ´ economique. En effet, dans quelles circonstances est-il raisonnable d’attribuer un effet causal propre aux instruments statistiques mesurant la performance des gouvernements, et dans quelle mesure peut-on qualifier cet effet de
“disciplinaire” ? Dans son analyse des programmes gouvernementaux mis en place aux
´ Etats-Unis dans le cadre du “New Deal”, Emmanuel Didier ´ ecarte prudemment cette possibilit´ e (Didier, 2007b), et rel` eve de la mˆ eme mani` ere que la notion de “performa- tivit´ e” n’est pas plus apte ` a d´ esigner ces mˆ emes effets (Didier, 2007a). Du point de vue du raisonnement causal et conceptuel devant s’appliquer aux processus de quan- tification, cette double ambiguit´ e subsiste en l’absence d’une th´ eorie plus avanc´ ee des effets de contrainte imputables aux instruments d’action publique. Dans le cas des dis- positifs statistiques destin´ es ` a la mesure de la performance gouvernementale, que l’on retrouve ` a tous les niveaux de gouvernement et dans virtuellement tous les secteurs d’action publique, une th´ eorisation plus avanc´ ee des effets politiques de la quantifica- tion pr´ esenterait un avantage suppl´ ementaire, qui ´ etablirait dans quelle mesure la pro- lif´ eration d’indicateurs produits par des organisations internationales se traduit par un contrˆ ole croissant de ces derni` eres sur les organisations ´ etatiques (Davis et al., 2012).
L’objectif de ce texte est de contribuer ` a l’effort de recherche r´ esum´ e ci-dessus ` a par- tir d’une ´ etude de la r´ eforme du syst` eme de sant´ e en Angleterre au tournant des ann´ ees 2000. L’analyse d’entretiens, de rapports officiels et d’articles tir´ es de la presse g´ en´ erale et sp´ ecialis´ ee fait en effet clairement appara ˆıtre la quantification parmi les d´ eterminants de cette r´ eforme, qui s’inscrit dans le processus de r´ eforme quasi-permanent du Natio- nal Health Service (NHS) en Grande-Bretagne, et qui structura durablement le volume des d´ epenses de sant´ e britanniques au cours de la d´ ecennie 1999-2009 (King’s Fund, 2009). 2 Cette p´ eriode co ¨ıncide avec la mise en place d’un programme national de lutte contre le cancer en Angleterre, le NHS Cancer Plan, dont la gen` ese recoupe celle de la r´ eforme ´ etudi´ ee ici, et sur lequel porte la recherche doctorale de l’auteur. 3
L’essentiel de la r´ eforme ´ etudi´ ee est r´ esum´ e en section 1 ; trois observations princi-
pales se d´ egagent ensuite de son analyse. En premier lieu, les classements comparatifs
en mati` ere de survie au cancer par rapport au reste des d´ emocraties europ´ eennes. Cette entreprise a ensuite eu pour effet d’entra ˆı ner deux r´ eactions, respectivement li´ ees au re- jet et ` a l’acceptation de la contrainte ´ epist´ emique constitu´ ee par la position d´ efavorable des pays britanniques dans ces classements. Un dernier effet li´ e ` a l’emprise de la quan- tification sur l’action publique se manifeste enfin dans la d´ ecision du gouvernement n´ eo-travailliste de Tony Blair (d´ ecision par ailleurs tr` es directement attribuable ` a ce der- nier) d’´ elever les d´ epenses de sant´ e de l’Angleterre au niveau de la “moyenne de l’Union europ´ eenne”. Ces trois observations, expos´ ees en section 2, mettent en sc` ene plusieurs acteurs et institutions li´ es ` a l’instrumentation statistique de l’ ´ Etat et ` a la quantification de ses performances ; leur interaction au cours des ann´ ees 1999–2000 laisse entrevoir deux formes, ordinale et normale, d’appr´ eciation statistique de la performance publique, lesquelles ont particip´ e ` a discipliner l’action des ´ elites dirigeantes britanniques.
1 La “Grande Transformation” n ´ eo-travailliste du syst ` eme de sant ´ e
La victoire ´ electorale du New Labour dirig´ e par Tony Blair en mai 1997 a entra ˆı n´ e l’´ ecriture d’une nouvelle page de la r´ eforme quasi-permanente du syst` eme de sant´ e britannique, qui peut sch´ ematiquement se r´ esumer en deux dimensions. La premi` ere concerne l’application au NHS de la “r´ evolution bureaucratique” britannique, fond´ ee sur l’introduction d’instruments d’action publique n´ eo-manag´ eriaux dans le fonction- nement conventionnel des administrations publiques (Faucher-King et Le Gal` es, 2010) : dans la continuit´ e des principes pos´ es par les gouvernements conservateurs pr´ ec´ edents, les gouvernements n´ eo-travaillistes de Tony Blair et Gordon Brown ont multipli´ e les ini- tiatives destin´ ees ` a “r´ eguler” le syst` eme de sant´ e sans provoquer d’intervention gouver- nementale (Kober-Smith, 2010).
La seconde dimension, plus ´ evidente lors de la pr´ esence d’Alan Milburn au Secr´ etariat d’ ´ Etat ` a la Sant´ e que sous les ministres suivants, a n´ eanmoins consist´ e ` a rompre avec l’h´ eritage conservateur du point de vue budg´ etaire : d` es 1998, la promesse ´ electorale du New Labour de maintenir les niveaux de d´ epense publique des administrations pr´ ec´ edentes ne s’appliquait plus au syst` eme de sant´ e. L’´ evolution des d´ epenses de sant´ e britanniques sur la d´ ecennie 1997-2010, r´ esum´ ee en Figure 1, semble au contraire indiquer une sortie du NHS de l’aust´ erit´ e fiscale sous les gouvernements successifs de Tony Blair et Gordon Brown : de 1997 ` a 2009, la part du financement du NHS dans le produit int´ erieur brut (PIB) britannique a connu une augmentation d’environ 3 points de PIB, plus de deux fois sup´ erieure aux augmentations des gouvernements conservateurs pr´ ec´ edents. 4
1.1 La d ´ ecision de Tony Blair du 16 janvier 2000
Le point de d´ epart symbolique de cette augmentation r´ eside dans une d´ ecision de Tony Blair, rendue publique le dimanche 16 janvier 2000 lors de son passage dans l’´ emission t´ el´ evis´ ee Breakfast with Frost : sans concertation pr´ ealable avec son ministre
4. Les d´ epenses priv´ ees de sant´ e, comparativement marginales au Royaume-Uni par rapport ` a la ma-
jorit´ e des pays europ´ eens, sont incluses dans l’int´ egralit´ e des calculs.
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Figure 1 – ´ Evolution des d´ epenses totales de sant´ e au Royaume-Uni et dans la moyenne
non pond´ er´ ee des autres Etats-membres de l’Union europ´ ´ eenne en 2000 (UE-15), en %
du PIB. Les aires bleues et rouges d´ esignent respectivement les p´ eriodes de gouverne-
ment conservateur et travailliste. Source : donn´ ees OCDE Sant´ e 2011.
des finances, Gordon Brown, et ` a la surprise totale de presque tous ses conseillers, le Premier ministre annonce en direct que le budget du NHS sera augment´ e de mani` ere ` a rejoindre “la moyenne de l’Union europ´ eenne”. 5 Cette annonce fera par la suite l’objet d’une double rationalisation post hoc : tout d’abord dans le NHS Plan, pr´ epar´ e par Alan Milburn dans les premiers mois de sa succession ` a Frank Dobson au Secr´ etariat d’ Etat ´
` a la Sant´ e et publi´ e en juillet 2000, puis lors de la publication du “rapport Wanless”
au cours des deux ann´ ees suivantes, lequel consacra l’objectif d’investissement ` a long terme dans le syst` eme de sant´ e britannique (Klein, 2010, p. 204). 6
L’application de cette d´ ecision dans les ann´ ees suivantes a tr` es profond´ ement marqu´ e la r´ eforme du syst` eme de sant´ e britannique sous les mandats n´ eo-travaillistes : l’ensemble des initiatives ult´ erieures, mˆ eme lorsqu’elles ont consist´ e ` a optimiser la consommation de soins en restreignant l’acc` es ` a certains traitements ou services de soins, a b´ en´ efici´ e d’un budget beaucoup plus important que sous les mandats conservateurs. C’est d’ailleurs sur la base de cette d´ ecision que l’historiographie du NHS a r´ etrospectivement ent´ erin´ e l’id´ ee de la “Troisi` eme Voie” avanc´ ee par Tony Blair pour qualifier les r´ eformes du New Labour : le prolongement des logiques n´ eo-manag´ eriales conservatrices apr` es 1997 n’a naturellement ´ echapp´ e ` a aucun observateur, mais comme le remarque l’auteur d’une histoire officielle du NHS, “il est improbable que les Conservateurs auraient accept´ e la moyenne europ´ eenne comme niveau de d´ epenses ` a atteindre, ou qu’ils auraient com- mand´ e un rapport comme le rapport Wanless, fixant des engagements de d´ epense ` a long terme” (Webster, 2002, p. 251). A diff´ ` erents titres, la d´ ecision de Tony Blair fait donc historiquement figure de “Grande Transformation” dans le long fleuve des r´ eformes du syst` eme de sant´ e britannique (Klein, 2010, p. 204), un autre expert allant jusqu’` a la qua- lifier de “d´ eclaration sur le financement de la sant´ e la plus courageuse jamais prononc´ ee par un Premier ministre au cours des cinquante-deux ans d’histoire du NHS”. 7
Dans quelle mesure les d´ epenses de sant´ e britanniques se sont-elles conform´ ees
` a l’ambition affich´ ee par Tony Blair de leur faire rejoindre “la moyenne europ´ eenne” ? Une premi` ere mani` ere de r´ epondre ` a cette question consiste ` a observer, de mani` ere descriptive, l’´ evolution du ratio entre les deux niveaux de d´ epense, r´ esum´ ee en Figure 2.
L’´ evolution de ce ratio confirme une forme de “rattrapage” de l’Union europ´ eenne par le Royaume-Uni au cours des mandats n´ eo-travaillistes : en 2006, le ratio retrouve ainsi un niveau sup´ erieur ` a 0.9, jamais atteint au cours des trois d´ ecennies pr´ ec´ edentes.
Cette d´ ecision et ses suites ont d’ailleurs b´ en´ efici´ e du soutien appuy´ e des think tanks britanniques sp´ ecialis´ es dans le secteur de la sant´ e : d` es mars 2000, une analyse de l’Office of Health Economics (OHE) rappelait les limites des comparaisons internatio- nales et la difficult´ e de l’objectif ` a atteindre, tout en cautionnant l’objectif “raisonnable”
constitu´ e par la moyenne europ´ eenne (Towse et Sussex, 2000). De la mˆ eme mani` ere, un rapport r´ ecent du King’s Fund, publi´ e avant l’´ election g´ en´ erale de mai 2009, f´ elicitait les
5. “Blair promises to raise spending on NHS to European average”, British Medical Journal, 22 janvier 2000.
6. Chaque rapport servit une fin diff´ erente : alors que le NHS Plan, d’origine minist´ erielle, fit office de feuille de route ` a l’ex´ ecution des r´ eformes suivantes, le “rapport Wanless” leur conf´ era une l´ egitimit´ e suppl´ ementaire, dans la mesure o` u, pour la premi` ere fois, un rapport ind´ ependant sur le syst` eme de sant´ e britannique fut confi´ e (par l’administration budg´ etaire) ` a un expert issu des milieux d’affaires (Webster, 2002, p. 233–234).
7. “Blair will have difficulty in matching European spending”, British Medical Journal, 22 janvier 2000.
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1960 1970 1980 1990 2000 2010
EU−14 EU−15
Con Lab
Figure 2 – Ratio des d´ epenses totales de sant´ e du Royaume-Uni par rapport ` a la moyenne
non pond´ er´ ee des autres Etats-membres de l’UE-15, en % du PIB. La courbe gris´ ´ ee
visualise la contribution britannique du Royaume-Uni ` a la moyenne europ´ eenne en
l’int´ egrant au calcul. Les aires bleues et rouges d´ esignent respectivement les p´ eriodes
de gouvernement conservateur et travailliste. Source : donn´ ees OCDE Sant´ e 2011.
gouvernements n´ eo-travaillistes pr´ ec´ edents de s’ˆ etre conform´ es aux objectifs de d´ epense du rapport Wanless (King’s Fund, 2009). Les mesures en termes r´ eels ou ` a parit´ e de pou- voir d’achat n’invalident pas non plus le bilan du New Labour en mati` ere de d´ epenses de sant´ e : la p´ eriode r´ ecente correspond effectivement ` a une augmentation de ces d´ epenses vers un niveau plus proche de la moyenne europ´ eenne que sous les gouvernements pr´ ec´ edents.
Une deuxi` eme mani` ere de v´ erifier cette observation consiste ` a mod´ eliser l’´ evolution des d´ epenses de sant´ e britanniques sous la forme d’un ph´ enom` ene autocorr´ el´ e, c’est-` a- dire principalement guid´ e par une forme de croissance organique ; cette mod´ elisation permet de se concentrer sur le taux d’augmentation des d´ epenses de sant´ e au cours du temps, et de rep´ erer les p´ eriodes d’augmentation statistiquement significatives dans un intervalle de confiance donn´ e. La Figure 3, qui r´ esume les r´ esultats d’un mod` ele additif g´ en´ eralis´ e sur les ann´ ees 1960-2009, permet d’´ etablir que les ann´ ees 1997-2009 sont incluses dans les p´ eriodes d’augmentation statistiquement significatives des d´ epenses de sant´ e britanniques, avec un intervalle de confiance de 99%. 8
1.2 Les d ´ eterminants de la d ´ ecision
Une fois ses effets observ´ es, la d´ ecision prise par Tony Blair en janvier 2000 de- mande ` a ˆ etre expliqu´ ee plus en d´ etail. Une partie de cette explication vient de facteurs endog` enes ` a l’action publique : les tr` es nombreux instruments d’action publique intro- duits par les gouvernements n´ eo-travaillistes pour mesurer leur propre performance ont en effet offert aux m´ edias britanniques autant de mani` eres de critiquer la performance de l’action gouvernementale, notamment en termes d’in´ egalit´ es socio-g´ eographiques. 9 A la fin de l’ann´ ` ee 1999, les objectifs de performance d´ efinis un an plus tˆ ot et publi´ es la mˆ eme ann´ ee (Klein, 2010, p. 203) donnaient ainsi toutes les raisons n´ ecessaires aux m´ edias britanniques pour titrer, comme le faisait la BBC, sur la “crise du NHS” (Dean, 2008, p. 13).
Ce facteur prit une importance particuli` ere en janvier 2000, lorsque les listes d’attente du syst` eme de sant´ e s’allong` erent dangereusement suite ` a l’´ epid´ emie de grippe hiver- nale qui saturait les services de soins hospitaliers. 10 La combinaison de ces caract´ eristiques du syst` eme de sant´ e britannique, accentu´ ee par l’agressivit´ e de la couverture m´ ediatique nationale face ` a ses dysfonctionnements, fournit une premi` ere cl´ e d’interpr´ etation ` a la d´ ecision de Tony Blair, celui-ci cherchant ` a ´ eviter le blˆ ame li´ e au d´ efaut de performance qu’accusait le NHS dans l’opinion publique ` a cette p´ eriode (Klein, 2010, p. 202–204).
8. Les fichiers de r´ eplication du mod` ele sont disponibles aupr` es de l’auteur. Cette mod´ elisation per- met d’identifier plusieurs autres p´ eriodes d’augmentation statistiquement significatives dans les d´ ecennies 1970-1980 et 1990-2000 : la seule p´ eriode de stagnation d´ etectable ` a un intervalle de confiance de 95%
se situe ainsi au milieu des ann´ ees 1980, au cœur de la p´ eriode de gouvernement de Margaret Thatcher.
L’augmentation des d´ epenses sous les mandats n´ eo-travaillistes est toutefois statistiquement plus robuste et surtout substantiellement plus importante que toutes les augmentations pr´ ec´ edentes.
9. Pour un aperc ¸u, cf. Faucher-King et Le Gal` es (2010). Comme l’ont fait remarquer diff´ erents obser- vateurs ` a cet ´ egard, il est r´ etrospectivement plutˆ ot paradoxal qu’un gouvernement ait investi autant de ressources dans la mise en place de dispositifs ayant contribu´ e ` a discr´ editer ses propres initiatives sans g´ en´ erer de gain ´ electoral significatif (Hood et Dixon, 2010).
10. “Urgent cancer operations delayed by epidemic”, The Independent, 12 janvier 2000.
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