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L’émancipation de 1848, perception et activité de la corporation des notaires

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HAL Id: hal-03243339

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Submitted on 31 May 2021

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Albert Jauze

To cite this version:

Albert Jauze. L’émancipation de 1848, perception et activité de la corporation des notaires. Revue

Historique de l’océan Indien, Association historique internationale de l’océan Indien, 2012, L’esclavage

à Bourbon – Nouvelles approches (2011), pp.281-287. �hal-03243339�

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L’émancipation de 1848, perception et activité de la corporation des notaires

Albert Jauze La Réunion CRESOI – EA 12 Deux pistes de travail concurrentes et convergentes irriguent cet exposé. La corporation des notaires de La Réunion n’avait pas à s’exprimer en tant que corps constitué sur la problématique de l’émancipation des esclaves. Les avis exprimés individuellement par certains de ses membres reflètent probablement l’opinion de l’ensemble du corps, et il peut être d’autant plus intéressant de les étudier qu’ils représentent la perception d’une partie de la classe possédante de la colonie. Ce qui nous est donné de connaître de leur position par rapport à la manumission générale est exprimé dans des correspondances officielles postérieures à l’événement, et elles concernent toujours leur activité professionnelle. Aussi, il est très séduisant d’analyser l’impact éventuel de cet événement politique sur leur volume d’activités ou les produits de leurs offices. Au-delà des actes ressortissant aux domaines du droit de la famille (contrats de mariage, inventaires, donations…), ceux relevant de l’économie (ventes, échanges, baux, conventions, encans…), et du crédit (obligations, quittances, constitutions de rentes, dépôts de fonds…) forment la masse essentielle des transactions faites par les officiers publics. La question de fond reste alors de savoir si la perspective et les conséquences de l’abolition se sont doublées d’une contraction de la masse des actes notariés. Ce changement dans la société s’est-il aussi accompagné d’une crainte perceptible au niveau des actes relevant de la juridiction volontaire ?

Le notaire Barret, nommé à Saint-Louis en 1838, donne une première perception de l’abolition. Il adresse au procureur général près la cour d’appel de La Réunion, le 11 février 1853, un très long mémoire pour repousser la création d’une charge à Saint-Leu

856

. Amené à évoquer la population de cette commune, il s’exprime ainsi : elle « est la même, numériquement parlant (quatre mille et quelques cents âmes au plus). Il n’y a plus qu’une différence avec le passé : c’est que la fortune s’est trouvée diminuée d’environ 3 000 esclaves, et que ces 3 000 esclaves enlevés à la culture sont devenus 3 000 citoyens dont peu, dont trop peu malheureusement pour le bon ordre, travaillent et s’achètent un petit carré de terre pour y établir une petite paillote. Quant à l’ancienne population libre, elle est restée au nombre de 1 000 à 1 100 ». Il est vrai que l’émancipation, qui s’était accomplie sans heurt localement, avait été habilement préparée par Sarda- Garriga. Afin de répondre à des nécessités d’ordre moral, humanitaire et économique, il avait adopté le 24 octobre 1848 un décret rendant le travail       

856 Arch. Dép. La Réunion, 122 W 521.

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obligatoire pour les affranchis. Mais dans la pratique, beaucoup ne respectèrent pas leurs engagements

857

. Barret traduit devant cet état de fait autant l’opinion du possédant que celle du professionnel, en même temps qu’il paraît regretter les effets de l’évolution de la condition juridique de cette partie de la population.

Au lendemain de l’émancipation, le procureur général Massot fait valoir que la création d’un commissaire-priseur est inopportune, notamment parce que la libération a enlevé aux notaires le principal et le plus important aliment des ventes mobilières, celles des esclaves. Il marque textuellement que « le droit d’opérer ces ventes n’en était pas moins précieux et que certaines études en tiraient une notable partie de leurs revenus ; que l’état général des affaires, en frappant d’une réduction considérable les produits des offices de notaires, donnait lieu de craindre que, longtemps encore, les revenus des charges ne fussent pas en rapport avec les dépenses qu’elles imposent aux titulaires ».

Rappelant ce rapport, en 1853, la Chambre des notaires, rejetant toujours l’idée de l’institution d’un commissaire-priseur, précise qu’à cet égard, « la population si mouvante des colonies » ne semble pas devoir être prise en considération. « Aujourd’hui surtout que la transformation sociale opérée en 1848 a rendu capables de contracter ces masses auxquelles l’ancien régime colonial dénuait toute espèce de droits civils, ce serait étrangement errer que de prendre leur importance numérique pour un des éléments de la fixation dont il s’agit. Ces nouveaux citoyens, en effet, n’ont eu jusqu’ici aucune part sensible aux transactions qui réclament le ministère notarial.

Pour la plupart attachés, en quelque sorte, encore à la glèbe, engagés en grand nombre aussi pour les travaux de la domesticité ou bien adonnés dans une non moindre proportion au commerce des objets de consommation, leurs infimes intérêts se règlent de gré à gré, sans intermédiaire, instantanément, et sans qu’il soit nécessaire d’en constater par écrit l’éphémère existence ni d’en conserver une trace durable ».

Cela montre, objectivement, que pour la corporation, le sujet est apprécié non pas en termes de considérations politiques ou de doctrines philosophiques, mais est mesuré à l’aune des conséquences très pragmatiques. Le fait concret, pour elle, est que l’abolition de l’esclavage ne se traduit par aucune augmentation du niveau des activités, que, dans l’immédiat, l’ouverture de la capacité civile à la portion majoritaire de la population, n’entraîne pas d’accroissement de ses affaires.

De fait, on peut dire que d’une manière générale, l’activité notariale constitue, en quelque sorte, le réceptacle de la demande conjoncturelle de la clientèle. Les volumes d’activités et les respirations propres à chaque étude sont enserrés dans un ensemble complexe. Il peut y avoir une éventuelle préférence ou spécialisation des officiers pour le droit familial ou des affaires, des situations de concurrence. Le volume de l’activité notariale tient       

857 Cf. Fuma (S.), L’abolition de l’esclavage à La Réunion. Histoire de l'insertion des 62000 affranchis de 1848 dans la société Réunionnaise, Saint-André́, G.R.A.H. TER, 1998, p. 36 sq.

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aussi de la santé du titulaire, de ses occupations personnelles, de sa réputation, de sa personnalité, du nombre de clercs employés… Les ventes à l’encan, variables d’une année à l’autre, le volume des droits provenant des expéditions d’actes, notamment des anciens, influencent le niveau de l’activité de telle ou telle étude. De même, l’implantation plus ou moins durable du notaire ou de sa famille, l’assise locale que peuvent conférer des fonctions électives ou administratives, la respectabilité, les réseaux de connaissances… le tout exerce une influence diffuse mais certaine.

En tenant compte de ces observations, nous essayons de mesurer de manière tangible l’influence de l’abolition sur l’activité de certaines études.

Afin d’échapper aux contingences induites par les petits volumes, d’essayer d’éliminer les accidents provoqués par des instrumentations trop courtes, nous avons choisi parmi trois grosses résidences, Saint-Denis, Saint-Pierre et Saint-Paul, les offices les plus importants en termes de durée et de quantité d’actes transigés.

Nous n’avons guère pu trouver l’évolution des produits que pour deux notaires, Louis Arthur Chassériau à Saint-Denis

858

, et K/Anval Aimé à Saint-Paul

859

.

Evolutions des produits nets et du nombre d'actes de l''étude de Louis Arthur Chassériau

0,00 10 000,00 20 000,00 30 000,00 40 000,00 50 000,00 60 000,00 70 000,00 80 000,00 90 000,00

1838 1839 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856 1857 1858 1859 1860 Années

Produits (en F)

0 50 100 150 200 250 300 350 400

Nombre d'actes

      

858 État des produits de l’étude dressé le 11 mars 1861, dossier de Moïse Jean Baptiste Gustave Vinson, successeur de Chassériau, Arch. Dép. La Réunion, 122 W 548.

859 Dossier de Charles Joseph Adamolle, successeur de K/Anval Aimé, traité de cession d’office, 1er décembre 1849, Arch. Dép. La Réunion, 122 W 596.

(5)

Années Nombre d’actes Produits nets (en F)

1838 251 40 849,90 1850 228 15 803,20

1839 280 54 466,60 1851 279 18 147,38

1840 232 30 802,65 1852 267 25 386,61

1841 306 45 013,45 1853 243 28 790,94

1842 302 63 171,16 1854 218 33 236,68

1843 306 53 297,94 1855 251 50 157,79

1844 345 79 595,12 1856 220 27 707,21

1845 317 66 768,42 1857 253 39 690,77

1846 321 54 662,58 1858 238 38 624,18

1847 195 38 448,62 1859 259 25 744,87

1848 144 25 860,94 1860 234 63 170,60

1849 121 13 543,75 TOTAL 5 810 932 941,36

Tableau des données brutes

Sur ces 23 années, le niveau d’activité de l’étude est en général élevé et soutenu. Les courbes du nombre des actes et des revenus sont grosso modo parallèles. Elles sont certes agitées de soubresauts parfois accentués dans le détail. Il y a par exemple creusement en 1840, 1854, 1856… Mais on constate une profonde dépression dans la tranche 1847-1849. Le talweg est atteint en 1849, avec seulement 121 actes. Pendant ces deux décennies, le nombre moyen d’actes authentifiés par Chassériau est de 253. 1847, 1848 et 1849 représentent respectivement 1,3, 1,8 et 2 fois moins que la moyenne. La moyenne des revenus nets de l’étude est de 40 563 F. Nous en sommes loin pendant cette phase, les revenus de 1848 sont environ 1,6 fois plus bas, ceux de 1849, 3 fois. La reprise qui s’opère ensuite reste fragile. Si la remontée est nette à partir de 1850, le flot n’atteint plus les sommets antérieurement constatés.

Evolution des honoraires et du nombre d'actes de l'étude de Keranval Aimé

22804,96

18791

32013,67

12097

7500

166 164

189

126

96

0 5000 10000 15000 20000 25000 30000 35000

1845 1846 1847 1848 1849

Années

Produits (en F)

0 20 40 60 80 100 120 140 160 180 200

Nombre d'actes

(6)

L’office de K/Anval Aimé à Saint-Paul réalise un revenu annuel moyen de 18 641 F. Après le sommet de 1847, il y a une profonde chute en 1848 et 1849. La dégringolade sera définitive, il clôt son exercice en 1850.

Noms Lieux Nombre d’actes

Produits totaux (en F)

Moyenne annuelle Keranval Saint-Paul 741 93 206,6 18 641,32

Pour les autres études, nous n’avons que le nombre brut d’actes passés par années.

Evolution du nombre de minutes passées par Desrieux

423

304

263 320

260 248

236

178 147 153

174 186

162 165 163 178

210 215 191

367 340

301

0 50 100 150 200 250 300 350 400 450

1830 1831 1832 1833 1834 1835 1836 1837 1838 1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 Années

Nombres absolus

L’étude de Desrieux à Saint-Denis transige une moyenne de 235

actes par an. Les années de l’abolition ne sont pas les plus faibles, elles se

caractérisent par une déprime tout juste sensible.

(7)

Evolution du nombre d'actes passés par Dubois

88

189 190 180 199 221 381

436

339 392

464

334 485

810

568 509

409 402 368

421 517

446 471 571

513

298

0 100 200 300 400 500 600 700 800 900

1836 1837 1838 1839 1840 1841 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856 1857 1858 1859 1860 1861 1862 1863 Années

Nombres absolus

L’office de Dubois à Saint-Denis conclut une moyenne de 396 actes annuels. Le mouvement est original, car 1848 se démarque par une nette croissance, à laquelle succédé un effondrement en 1849 (- 130 actes), puis un vigoureux sursaut sur deux ans.

Evolution du nombre d'actes passés par Lecoq

64 119

202

216 218 260

183 206

188 226

250 231

180

105 107 129

108

0 50 100 150 200 250 300

1840 1841 1842 1843 1844 1845 1846 1847 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856 Années

Nombres abslous

À Saint-Pierre, si on exclut la première année (où il a débuté), Lecoq

réalise une moyenne de 183 actes par an. Après une forte augmentation

jusqu’en 1845, on constate un certain essoufflement dans la tranche 1846-

1848, à quoi succède une reprise certaine de 1849 à 1851, puis une chute

prononcée.

(8)

Evolution du nombre d'actes passés par Delanux Léo

72

98 93

109 143

125

94 90

221

192 214

248 234

246

188

0 50 100 150 200 250 300

1841 1842 1843 1844 1845 1846 1848 1849 1850 1851 1852 1853 1854 1855 1856 Années

Nombres abslous

À Saint-Paul, Léo Delanux confectionne, abstraction faite des deux années extrêmes, 162 actes annuels. L’allure ascendante est cassée par un creusement très net de 1846 à 1849. La remontée de 1850 est telle que le nombre d’actes vaut environ deux fois et demi celui de 1849.

À Saint-Denis, Azéma conclut 314 actes en 1847, 233 en 1848, 337 actes en 1849. (- 81). 1849 : 337 (+ 104). 1850 : 414 (+ 77). En 1847 et encore plus en 1848, le nombre des contrats est bien en-deçà de la moyenne de ses actes mesurée sur dix ans (360 par an entre 1842 et 1851). La reprise est considérable et assurée. Il aurait totalisé 31 % de son activité sur les seules années 1849- 1851.

Aussi, en dépit des dissemblances de détail, d’une manière générale,

l’année 1848 ou les années voisines se marquent par un abaissement plus ou

moins prononcé de l’activité, davantage amorti, parfois, à Saint-Denis,

probablement en raison du plus grand nombre d’officiers et d’affaires,

davantage ressenti dans les autres résidences. Ces statistiques tendraient à

prouver que les actes transigés volontairement par la population pendant les

années de l’abolition, agissant à la manière d’un baromètre, ont traduit une

contraction de l’activité et une certaine crispation. En particulier, les ventes

de la main d’œuvre servile constituaient un des aspects du travail des notaires

(et notamment l’un des plus lucratifs). Les conséquences pouvaient donc

s’avérer patentes. Il en existe aussi une autre, relatée par Barret dans son

mémoire adressée au procureur général. Il représente en effet « qu’en 1850 et

1851 et même en 1852 il a été fait plus d’actes que dans les autres années »,

car « les droits à l’indemnité ont amené beaucoup de transactions dans tout le

pays ». Cependant, « les rentes provenant de l’indemnité ayant passé des

mains des indemnitaires imaginaires, dans celles des spéculateurs et

capitalistes les affaires commencent partout à reprendre leur cours ordinaire

et le nombre d’actes diminue tous les jours davantage ».

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