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Dominique Pépin : témoignage

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Academic year: 2021

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Submitted on 6 Jun 2020

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To cite this version:

Dominique Pepin. Dominique Pépin : témoignage. Archorales : les métiers de la recherche, té- moignages, 13, Editions INRA, 159 p., 2008, Archorales, 978-2-7380-1258-6. �hal-02824266�

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Comment s’explique l’existence d’un élevage de lièvres à l’INRA ?

L’INRA avait reçu une demande de l’Office National de la Chasse : il s’agissait de promouvoir l’élevage d’animaux gibiers dans le but de les lâcher dans la nature pour faire du repeu- plement. Charles Thibault, qui avait vu en moi un naturaliste, m’a proposé de travailler sur les lièvres et j’ai donc effectué un stage chez madame Lise Martinet au laboratoire de physio- logie animale. Cela s’est fait également en liaison avec le labo- ratoire des petits vertébrés qui s’intéressait aux dégâts causés aux cultures par les corvidés et les rongeurs. C’était directe- ment appliqué à l’agriculture.

À l’époque, j’ai connu des débats au laboratoire portant sur le fait de faire passer “cynégétique” après “faune sauvage”. On argumentait sur le fait que pour chasser, il fallait d’abord dis- poser d’animaux sauvages. Notre position était de dire : “On veut bien travailler sur les animaux sauvages mais pas unique- ment sur leur production en captivité. On veut aussi s’intéres- ser au fonctionnement des populations naturelles pour amé- liorer leurs modalités de gestion plutôt que de recourir de façon systématique à des opérations de repeuplement”.

Vous aviez donc des demandes très précises de la part des chasseurs ?

Oui, par l’intermédiaire de l’Office National de la Chasse, pour améliorer la production en élevage d’animaux adaptés au lâcher. À l’époque, il y avait aussi des personnes de l’INRA qui travaillaient sur les faisans d’élevage à Nouzilly, près de Tours, sur des aspects génétiques, en particulier pour sélectionner des faisans “actifs” devant le fusil des chasseurs.

Pouvez-vous préciser votre date d’entrée à l’INRA ?

Je suis entré à l’INRA après une maîtrise de physiologie animale.

J’ai fait mon DEA de biologie de la reproduction en 1971, sur le sujet : “mise au point de techniques permettant l’étude de la dynamique des populations de lièvres dans un biotope naturel ou artificiel”. J’ai continué ma formation, sur le même sujet, par un doctorat de 3èmecycle en 1973 et tout cela à Paris VI.

Où étiez-vous hébergé à l’INRA ?

J’ai tout d’abord été hébergé au laboratoire de physiologie animale puis des petits vertébrés, au Centre National de Recherches Zootechniques (CNRZ). C’est ainsi que Jouy-en- Josas était dénommé à l’époque. J’étais voisin des physiologis- tes spécialistes des poissons, avec lesquels nous étions regrou- pés pour constituer un département commun.

Quelles étaient les raisons d’associer

dans un même département des études sur la faune sauvage et des études sur les poissons et les milieux aquatiques ? On peut considérer que les poissons sont aussi des espèces sauvages à gérer au même titre que le gibier terrestre. Pour la partie hydrobiologie, il y avait un regroupement de l’ensemble des études qui se faisaient sur le poisson, c’est-à-dire la physiologie de la reproduction et de la nutrition, la génétique, et l’écologie des populations ; pour la faune sauvage, les étu- des ne concernaient que l’écologie des populations.

L’originalité résidait donc dans le fait que, pour la partie aqua- tique, toutes les disciplines scientifiques étaient regroupées dans un seul département.

Dominique Pépin

Je suis né le 28 juillet 1946 à Ligny-en-Barrois, dans la Meuse. Mes origines se situent donc en Lorraine où mon père était garde forestier. Par la suite, mes parents se sont installés à Saint-Germain-en-Laye, en région parisienne, pour que je puisse continuer mes études. J’ai obtenu un baccalauréat en Sciences naturelles, puis je suis allé à l’université de Paris VI.

J’ai acquis une formation de physiologiste animal. J’ai eu comme professeur Charles Thibault, scientifique notoire de l’INRA.

C’est grâce à lui que je me suis orienté ensuite vers l’étude des animaux sauvages : j’ai fait mon stage de DEA à Jouy-en-Josas où il y avait un élevage de lièvres dirigé par Lise Martinet.

143 Capture de lièvres dans le Loiret, en vue d'opérations de repeuplement.

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Peut-on poursuivre sur votre début de parcours à l’INRA ? J’ai intégré le laboratoire des petits vertébrés, dirigé par Jacques Giban. Ce laboratoire disposait d’un soutien financier très régulier de la part de l’Office National de la Chasse et il y avait même à l’époque une mise à disposition de deux à qua- tre techniciens. L’accord prévoyait la fourniture de comptes rendus annuels de nos travaux et d’articles scientifiques pour le Bulletin édité par l’Office National de la Chasse. Mes pre- miers écrits sont donc parus dans ce périodique qui n’était pas une revue scientifique reconnue, mais davantage un bulletin technique.

Quel a été votre premier contact avec des collègues étrangers ?

Au tout début de mon recrutement à l’INRA, j’ai pu bénéficier d’un accord de coopération entre l’INRA et le ministère polo- nais des Forêts. J’ai fait une mission en Pologne en février 1972, parce que les Polonais travaillaient beaucoup sur l’éco-

logie des animaux sauvages. J’ai notamment été accueilli au centre de recherches de Czempin, près de Poznan, dirigé par le professeur Pielowski qui s’intéressait à la gestion du lièvre. À cette occasion, j’ai visité l’Institut de recherches sur les Mammifères de Bialowieza où j’ai pu voir des bisons en liber- té, en limite de la frontière russe.

Combien de temps a duré cette mission ?

Elle a duré un mois : c’était la première fois que je rencontrais un chercheur à l’étranger. J’ai été accueilli dans sa famille et j’ai pu voir son implication au niveau des recherches de terrain. À l’époque, les études portant sur le lièvre étaient surtout polo- naises.

Avez-vous acquis des connaissances significatives ? Essentiellement des techniques. À l’époque, on utilisait des moyens de comptage, d’analyse de tableaux de chasse... Il s’a- gissait d’analyses très naturalistes, assez originales et qui n’existaient pas en France.

Par rapport à ce premier sujet qui vous a été confié autour du lièvre en France, qu’est-ce que l’INRA étudiait d’autre sur cette espèce ?

Il était surtout question d’améliorer l’élevage du lièvre en cap- tivité parce qu’il y avait des problèmes de fertilité des hases. Il s’agissait en particulier d’augmenter la production afin de four- nir des animaux adaptés au lâcher pour satisfaire la demande des chasseurs, sans se préoccuper des problèmes de gestion des populations naturelles. Lorsque j’ai commencé à travailler, j’ai orienté mes recherches sur une chose tout à fait incongrue à l’époque : connaître l’âge d’un lièvre abattu à la chasse. Les responsables de l’Office National de la Chasse n’étant pas inté-

Interview de gardes de chasse en région parisienne, près de Provins.

Bison.Dictionnaire universel d’Histoire naturelle. Dirigé par Charles d’Orbigny.

Atlas 1. Deuxième édition. Zoologie.

Paris Abel, Pilon et Cie Editeurs. 1850.

Mammifères. pl. 14.

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ressés par les analyses démographiques se demandaient à quoi pouvait bien servir le recueil d’informations de ce type : c’était dans le but de connaître la structure d’âge des populations, pour savoir si les adultes se reproduisaient bien et si les jeunes produits survivaient jusqu’à la chasse.

Comment procédiez-vous pour travailler sur ces problèmes d’âge ?

Les lièvres étaient élevés en couple dans des box, et nous sui- vions la mise bas des femelles. Les animaux étant marqués, on disposait d’individus d’âge parfaitement connu. J’ai travaillé en particulier sur le poids du cristallin. La particularité de cet orga- ne réside dans son poids qui augmente au fur et à mesure de la vie des mammifères. Ce type de mesure est aussi utilisé chez l’homme pour estimer l’âge d’un individu décédé. J’ai égale- ment étudié l’ossification des os. Dès le Moyen Âge, les gens savaient déjà qu’il existe des protubérances chez les jeunes au niveau du cartilage de conjugaison et que cette partie est plane chez les adultes. J’ai exploré aussi les critères de denti- tion de lait chez les levrauts... J’ai pu conduire ces observations grâce aux animaux d’élevage. Les critères ainsi établis ont été appliqués aux animaux tirés à la chasse pour essayer de con- naître la structure de leur population.

Quels ont été les résultats pour les animaux tirés à la chasse ?

De mon point de vue, la chose la plus intéressante a été de comparer la structure de populations de lièvres présents sur des territoires agricoles différents, et en particulier d’observer l’influence des travaux agricoles sur la mortalité des jeunes. Par exemple, j’ai pu constater que dans des secteurs où il y avait des luzernes, les animaux nés au début de l’année survivaient facilement. Mais que dès que les travaux de récolte de la luzer- ne commençaient, on retrouvait peu de jeunes nés au moment des coupes. Au contraire, s’il y avait des labours de printemps, on dénombrait moins de jeunes nés à cette époque-là par rap- port à des secteurs où les travaux agricoles étaient décalés.

En pratiquant une ouverture de la chasse retardée, on pouvait en particulier récupérer les levrauts nés en fin de saison de reproduction. Par contre en chassant trop tôt, on prélevait des hases gestantes et on ne profitait pas de toute la production potentielle. Cela nous a amenés à faire des recommandations sur les dates d’ouverture de la chasse.

Les chasseurs ont-ils intégré

un certain nombre de modifications préconisées ?

Oui. Les fédérations ont petit à petit engagé des techniciens et ce type de résultats a été diffusé largement dans la presse cynégétique. Par exemple, le fait de récupérer les cristallins et de les peser, est une pratique assez courante maintenant. Cela n’existait absolument pas à l’époque. Ce sont des exemples de valorisation de la recherche.

Quel statut vous a proposé l’INRA lors de votre recrutement en 1973 ?

En 1973, j’étais agent contractuel scientifique. Le laboratoire des petits vertébrés a pris le nom de faune sauvage en 1975.

J’ai été nommé assistant titulaire en 1976, et à cette époque j’ai collaboré avec Marcel Birkan, spécialiste de la perdrix grise, sur les mêmes terrains d’étude. Nous avons mis au point des méthodes de recensement au printemps : il s’agissait de dénombrer les animaux en fonction du type de milieu étudié.

Où se situaient les zones sur lesquelles vous travailliez ? Nos travaux portaient sur une zone à côté de Provins, en Seine- et-Marne. Par la suite, nous sommes partis prospecter dans les grandes plaines céréalières de l’Aisne. Ceci, toujours dans le cadre de ce partenariat avec l’Office National de la Chasse.

Pouvez-vous nous dire comment cela se passait

lorsqu’un ingénieur ou un chercheur de l’INRA se retrouvait sur le terrain, en dehors des périodes de chasse ? Aviez-vous des autorisations ?

Oui. Ce qui m’intéressait à ce moment-là, c’était de connaître le nombre de levrauts mis bas par les hases au cours de l’an- née. Il fallait pouvoir tirer des animaux pendant toute l’année et on avait besoin des autorisations du ministère de l’Environnement pour faire ces prélèvements. Mon parcours de physiologiste de la reproduction m’a beaucoup aidé : du fait de ma collaboration avec madame Martinet, j’avais des outils qui me permettaient d’avancer assez finement sur l’estimation de la production des jeunes.

Là, sur le terrain, vous tiriez vous-même les animaux ou bien les techniciens se chargeaient-ils de ces tâches ? Les techniciens s’en chargeaient. Au laboratoire, aucun des chercheurs n’était chasseur. Par contre, il arrivait assez fré- quemment que les techniciens ou les ingénieurs soient chas- seurs. En général, les techniciens ne chassaient jamais là où nous travaillions. On a toujours voulu distinguer le travail de l’activité cynégétique. Dans certains cas, cela peut poser des problèmes de relations et de confiance.

Ensuite ?

J’ai évoqué mes recherches avec mon collègue sur les perdrix grises. Ensuite, le laboratoire s’est intéressé aussi à la perdrix rouge ; un chercheur a été recruté mais il est resté peu de temps. C’est ce qui explique que l’on m’ait demandé alors de m’investir aussi sur la perdrix rouge. Cela supposait de partir dans le sud de la France. En fait, il y a eu la volonté de François Spitz, nouveau directeur du laboratoire de la faune sauvage, de décentraliser vers le sud de la France pour aller étudier des espèces comme le sanglier et, dans mon cas, la perdrix rouge.

Cet oiseau est surtout implanté dans la moitié sud du pays (on trouve également de la perdrix grise dans les Pyrénées). C’est la raison pour laquelle nous nous sommes déplacés à Toulouse en 1978.

Vos programmes de recherche ont-ils évolué à la suite de votre nouvelle affectation ?

Lors de notre décentralisation à Toulouse, nous nous sommes orientés davantage vers l’éco-éthologie, c’est-à-dire l’étude du

comportement des animaux dans la nature. Cela se faisait en 145

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particulier sur le lièvre. Si dans le nord de la France, il y avait des densités très élevées, dans le sud, les densités étaient très faibles. J’ai été amené à travailler pendant quelques années sur le lâcher d’animaux issus d’élevage ou d’individus sauva- ges capturés et déplacés de quelques kilomètres. Nous avons utilisé des colliers émetteurs pour étudier leur déplacement et leur comportement.

Comment s’explique le fait qu’il y ait moins de lièvres dans le sud que dans le nord ?

D’abord, je pense que c’est lié au biotope du lièvre : cette espèce a davantage de possibilités de se développer dans le nord de la France de façon naturelle. Il faut dire aussi que la pression de la chasse dans le sud de la France est en règle générale plus élevée. Dans le nord de la France, et dans le Bassin parisien notamment, on opérait quelquefois dans des chasses communales mais surtout dans des chasses privées. Et les méthodes de chasse ne sont pas équivalentes. Dans les sec- teurs privés, les chasseurs s’invitent les uns les autres et orga- nisent des sortes de chaudrons, c’est-à-dire des cercles. Ils encerclent plusieurs parcelles agricoles et se dirigent vers le centre. Tout animal qui est levé est tiré mais, par contre, les chasseurs ne passent en général qu’une fois dans le secteur.

Cela veut dire que, si lors de ces opérations un animal n’est pas

levé, il ne sera jamais tiré et il ne sera jamais plus dérangé.

Donc la pression de chasse est concentrée dans le temps et surtout, elle n’est pas continuelle comme dans les chasses communales, où circulent des chasseurs avec ou sans chiens qui dérangent le gibier, du 15 septembre jusqu’à la fin de la saison de chasse.

Cela génère du stress pour les animaux et puis c’est une méthode de gestion qui est beaucoup plus anarchique et plus difficile à contrôler. En particulier dans les chasses privées, si le propriétaire du terrain considère que telle année il n’y a pas suffisamment de gibier, la perdrix par exemple, il ne chasse pas.

Dans les faits, ces aspects sociaux ne sont pas négligeables.

Quelle latitude aviez-vous pour mettre

en place les protocoles d’étude ? Les conceviez-vous?

Pour la perdrix rouge, comme pour le lièvre, les objectifs étaient toujours de parvenir à mettre au point des méthodes de ges- tion. L’essentiel était de connaître le stock reproducteur au printemps comme pour toutes les espèces. J’ai commencé à capturer des perdrix dans des cages. On leur mettait des marques et on essayait de les dénombrer. J’ai eu quelques sou- cis parce que je me suis aperçu que dans un terrain privé, au bout de trois ans, le propriétaire lâchait des perdrix d’élevage non marquées sans me le dire. La mise au point de méthodes de comptage est une chose difficile, et on essayait de mettre au point des méthodes originales. En particulier pour la perdrix rouge, nous avons essayé de dénombrer les oiseaux en fonc- tion de leur activité vocale.

Lorsque vous avez innové sur les critères que vous venez d’évoquer, avez-vous été contesté ? Avez-vous eu du mal à imposer votre point de vue ?

En général, toutes les méthodes que nous avons proposées ont été plutôt bien acceptées. La diffusion des résultats pra- tiques se faisait toujours à l’occasion de congrès qui étaient orientés sur la gestion de la faune sauvage. L’article le plus cité parmi ceux que j’ai publiés porte sur le comptage des perdrix rouges et a été présenté lors d’un congrès. Donc la diffusion est un peu fonction de ce que les gestionnaires attendent et elle se fait assez naturellement. C’est repris ensuite par les techniciens des fédérations de chasse.

D’où venaient les financements nécessaires au développement de ce type de recherche ?

Il s’agissait toujours de financements de l’Office National de la Chasse sous forme de contrats. À la suite de ma décentralisa- tion à Toulouse, j’ai été seul à poursuivre des recherches à la fois sur la perdrix rouge et le lièvre, avec l’appui d’un techni- cien. Les forces n’étaient pas suffisantes. Au début des années 1980, Jacques Lecomte, chef de département, m’a demandé de rejoindre l’équipe “Sanglier” pour être plus nombreux à tra- vailler sur le même modèle biologique.

Avez-vous accepté volontiers cette proposition ?

Oui, il fallait répondre à des demandes assez précises. Le san- glier, en particulier dans le sud de la France, est une espèce emblématique, responsable de dégâts aux cultures et qui pose

Perdrix rouge.

Photo :©INRA - Gilles Cattiau

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donc des problèmes environnementaux. C’est une espèce très discrète, très farouche et les demandes de mise au point d’ou- tils de gestion pour ce type d’espèce sont très nombreuses.

En avez-vous développé beaucoup ?

Quand j’ai intégré cette équipe, j’ai collaboré avec Robert Mauget, chercheur CNRS à Chizé. Nous avons étudié la physio- logie de la reproduction des laies, en nous intéressant à l’in- fluence de leur alimentation (le rôle des glandées en particu- lier). Pour savoir à quel moment les jeunes femelles devenaient matures, nous avons conduit des expérimentations en éleva- ge : on leur a donné des régimes alimentaires différents pour voir si cela avait une incidence sur l’époque à laquelle elles atteignaient la puberté. Lors de glandées exceptionnelles cer- taines années, on sait qu’il y aura davantage de jeunes femel- les qui arrivent à maturité, qui vont pouvoir se reproduire. Et les femelles adultes vont produire davantage parce qu’il y aura plus d’énergie disponible à investir dans la reproduction. Ce type de travaux en élevage permet de connaître plus finement les mécanismes de la production de jeunes, en particulier.

Avez-vous étudié l’impact de ces apports alimentaires, pendant la période hivernale, sur la santé des animaux, sur leur prolificité, sur leur comportement social... ? C’était l’Office National de la Chasse qui s’occupait de ces aspects très appliqués. Ils ont surtout essayé de maintenir les sangliers en forêt, en procédant à de l’agrainage (distribution de grains). Il ne s’agit pas d’augmenter la production mais

d’essayer de cantonner les animaux dans des secteurs où ils ne commettraient pas de dégâts aux cultures. Dans le cas particu- lier du sanglier, c’est vrai que les chiffres des indemnisations sont très élevés et que, pour l’Office National de la Chasse, il est important de pouvoir diminuer les dégâts occasionnés aux cultures.

Arrive-t-on à chiffrer le bilan des dégâts par rapport à la production agricole ?

Par rapport à la production agricole, c’est très faible, moins de 1%. Le problème réside dans la localisation des dégâts : quand ils se produisent chez un agriculteur, pour lui ce n’est pas 1%, mais c’est 20 ou 30%. C’est donc un problème d’échelle. Au niveau local, cela peut être très dommageable mais l’est moins au niveau national. L’apport du sanglier, au niveau de l’écono- mie générale, et aussi de la sociologie, est nettement plus important que les dégâts qu’il occasionne à l’agriculture.

Qu’entendez-vous par “apport de la sociologie” ?

Nous n’avons pas travaillé sur les aspects sociologiques. Mais pour reprendre le cas du sanglier, on sait qu’il y a des commu- nes dans l’Hérault, par exemple, où au moment de la chasse le boucher ne passe plus dans les villages. Il ne vend plus de vian- de. Il y a aussi des aspects un peu plus subtils. Le gibier peut être aussi une monnaie d’échange. Quand on offre un cuissot de sanglier à un maire ou à un avocat... on tisse des liens non

marchands qui sont importants dans le tissu social. 147

Capture de lièvres au Faget (Haute Garonne), avec la participation d’Albert Roustan.

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Rappelez-nous la genèse de l’Institut de Recherches sur les Grands Mammifères

Quand en 1983, nous nous sommes regroupés sur le modèle sanglier, la Direction générale de l’INRA nous a également inci- tés à travailler en relation avec le CNRS, avec l’université Paul Sabatier de Toulouse et avec l’Office National de la Chasse.

Cette ré-orientation des travaux du laboratoire a abouti à la création en 1986 de l’Institut de Recherche sur les Grands Mammifères, dirigé par Raymond Campan, professeur à l’uni- versité Paul Sabatier ; cet institut a constitué un regroupement scientifique entre les équipes de l’INRA et de l’université.

En 1983, l’équipe de Raymond Campan s’intéressait à la socialisation chez les ongulés sauvages. En commençant à faire des travaux en collaboration, nous sommes parvenus à la conclusion qu’il valait mieux créer une structure commune

qui regrouperait les étudiants de ce professeur et l’équipe INRA. Le professeur Campan a apporté ses connaissances dans le domaine de la socialisation chez les ongulés sauvages, alors que l’INRA maîtrisait davantage les problèmes de biolo- gie des populations.

Dans cet institut, il était ainsi possible de conduire une recher- che beaucoup plus fondamentale sur le comportement des animaux.

Pourquoi avez-vous choisi l’étude des ongulés ?

Les ongulés sont des espèces ayant une longue espérance de vie, et qui posent des problèmes de suivi. On peut capturer un animal, le marquer, le relâcher, mais le ré-observer reste très difficile. Cela nécessite aussi des études à long terme pour

Photo :©INRA - Gilles Cattiau

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avoir des données biologiques intéressantes. D’où le besoin de regrouper des compétences différentes et de s’appuyer sur des équipes plus conséquentes.

Par rapport à votre profil d’embauche à l’INRA, vous étiez, dirons-nous, un homme de terrain

et à partir de 1986, on vous demande de faire des choses plus fondamentales. Comment l’avez-vous vécu ?

Jusqu’en 1986, ce qui me motivait vraiment c’était que mes travaux débouchent sur des retombées applicables pour le monde de la chasse. À partir de 1986, il s’agissait plutôt de comprendre comment les populations s’organisaient au niveau social et spatial. Donc, les questions étaient d’ordre général sans forcément déboucher sur des applications direc- tes. C’est vrai que cela a été une période de remise à niveau.

Ce n’était pas la même bibliographie, pas les mêmes théma- tiques de recherche. Ce n’était pas non plus les mêmes écoles de pensée et cela a été bénéfique dans le sens où cela m’a enrichi.

Quand vous dites que ce n’était pas les mêmes écoles de pensée, pourriez-vous expliciter un peu ?

Les étudiants de l’équipe de Raymond Campan s’intéressaient surtout à l’ontogenèse du comportement des animaux, pour savoir comment les jeunes s’intégraient progressivement à l’environnement social dans lequel ils évoluaient, en mettant en avant les processus d’auto-organisation. Cela demandait des suivis individuels fins pour analyser et interpréter les sour- ces de variation observées dans les comportements, pour com- prendre comment les individus suivis procédaient lors du par- tage des ressources, ou comment ils s’organisaient en groupes ou en unités de populations. Auparavant, on travaillait de façon indirecte, par exemple en captant les signaux d’émet- teurs radio ou en évaluant les effectifs. Par la suite, grâce à cette nouvelle approche, le but visé était au contraire d’essayer de comprendre comment la population s’organisait vraiment au niveau social et spatial, en prenant en compte les interac- tions entre les animaux. C’était très nouveau.

Pour ces nouveaux protocoles, alliez-vous sur le terrain assez souvent ?

J’ai commencé personnellement à travailler sur l’isard dans la réserve nationale d’Orlu, près de Foix, en Ariège. Cela reposait aussi sur une collaboration avec l’Office National de la Chasse qui gérait la réserve. Pierre Menaut, technicien et directeur de la réserve, avait mis au point des méthodes de capture et mar- qué les animaux avec des plaques colorées, de manière à pou- voir les reconnaître individuellement. Notre travail consistait à repérer les animaux marqués, à identifier les types de groupes dans lesquels ils évoluaient, à reconnaître les compagnons qu’ils fréquentaient pour comprendre le fonctionnement des groupes et évaluer la flexibilité au niveau de l’organisation sociale. C’est vrai que ce type de travaux était pour moi très nouveau mais en même temps très stimulant pour aller plus profondément dans la compréhension du fonctionnement des populations. C’est à partir de ce moment-là que j’ai animé un

programme de recherche sur l’isard. J’ai pu constituer une équipe autonome, avec des étudiants et des stagiaires de diverses origines. Nous travaillions tous ensemble dans cette réserve, chacun développant une thématique de recherche particulière. J’ai accueilli en particulier Cécile Richard, étudian- te en thèse qui s’intéressait à l’organisation sociale des isards.

Maintenant Cécile est ingénieur d’étude à l’Office National de la Chasse et s’intéresse aux problèmes de gestion de la faune sauvage en Guyane.

Donc vous avez été amené à encadrer des thésards.

Était-ce dans le cadre d’une UMR ?

Oui, à travers ce regroupement scientifique, j’ai encadré des thésards. D’abord sur l’isard, puis sur le cerf. J’ai obtenu un contrat du ministère de l’Environnement pour évaluer l’influen- ce des touristes sur l’isard, sur le problème du dérangement des animaux. Nous avons fait quelques expérimentations sur le terrain consistant à approcher les animaux et à suivre leurs réactions pour voir quand et comment on les dérangeait.

Comme retombées appliquées, cela a permis de démontrer le rôle bénéfique du balisage des sentiers, afin que les randon- neurs ne s’égaient pas partout dans la réserve. En effet, tant qu’ils restent sur ces sentiers, le comportement des randon- neurs est prévisible pour les isards.

149 Études sur l’organisation sociale des isards : marquage.

Participation à un congrés international des biologistes de la faune sauvage, avec madame Martinet au premier plan.

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J’ai parlé des élèves qui ont participé à ce genre de travaux.

Nous avons encadré de nombreux étudiants de DEA de l’uni- versité Paul Sabatier de Toulouse, mais aussi de l’université de Tours. Par la suite, nous avons accueilli des étudiants de l’Éco- le Nationale des Sciences Agronomiques de Montpellier et des Écoles Nationales d’Ingénieurs des Travaux Agricoles. Il y a eu évidemment participation de jeunes qui préparaient des Brevets de Techniciens Agricoles ou des Brevets de Techniciens Supérieurs en gestion de la faune.

Cela veut-il dire que cette unité de recherche de Toulouse a une certaine notoriété ? Êtes-vous les seuls ?

Non, nous ne sommes pas les seuls. On a parlé tout à l’heure de Chizé, dans les Deux-Sèvres où le CNRS étudie le chevreuil.

Également, le CNRS à Lyon, avec Jean-Michel Gaillard, travaille sur les problèmes de démographie des ongulés sauvages.

Donc nous nous sommes partagé la tâche entre le CNRS et l’INRA, le CNRS étant davantage le spécialiste des aspects de démographie et notre laboratoire étant plus orienté sur des aspects organisation sociale, comportement... Cela veut dire que sur le plan de la biologie des populations, nous avons abandonné la partie démographie, puisqu’elle était prise en charge par le CNRS. C’est donc en fonction des spécialisations des chercheurs que s’est fait le partage des tâches.

Pouvez-vous nous rappeler à quelle époque ont commencé vos travaux sur l’isard ?

J’ai commencé à travailler sur l’isard en 1986. Au laboratoire, on s’occupait à l’époque du sanglier, du mouflon et du che- vreuil. À la suite de la constitution d’une équipe pluridiscipli- naire, quelques chercheurs de Jouy-en-Josas ont été décentra- lisés à Toulouse, plus particulièrement les personnes qui tra- vaillaient sur le chevreuil : il s’agit de Jean-Paul Vincent puis d’Éric Bideau venus rejoindre notre structure.

Dans votre domaine de recherche,

la biologie moléculaire s’est-elle beaucoup développée ? Elle se développe de plus en plus actuellement, en particulier sur les aspects de structuration génétique des populations. On peut donner l’exemple de travaux qui se font actuellement sur le chevreuil dans le canton d’Aurignac, à 60 kilomètres de Toulouse. Ce sont des travaux à grande échelle, et on arrive de cette façon à individualiser des noyaux de populations diffé- rents. En particulier de part et d’autre de l’autoroute ou du canal du Midi, il existe des différences au niveau génétique que l’on met en évidence quand on procède à ce type d’ana- lyses qui sont faites à partir de prélèvements de peau sur des animaux capturés mais surtout sur des animaux récupérés dans les communes lors des tableaux de chasse.

Avez-vous travaillé avec Michel Thériez sur l’élevage des cervidés ?

En même temps que les travaux conduits en nature, nous avions aussi le souci de travailler en conditions contrôlées. Pour moi, c’était important de procéder ainsi. C’est ce qui m’a amené à collaborer avec des chercheurs de Theix, du départe- ment Élevage et Nutrition des Animaux, sur le domaine expé-

rimental de Redon, où étaient élevés des cerfs. J’ai directement collaboré avec Alain Brelurut et en relation avec Marcel Verdier, le responsable de l’élevage. Nous nous intéressions beaucoup à la communication entre les animaux. Nous avons étudié le brame des mâles pendant la nuit dans le cadre de la thèse de Daniel Reby. Cet étudiant a édité un disque sur la vocalisation des cervidés avec son collègue Bruno Cargnelutti. David est maintenant professeur à Cambridge, en Angleterre, et il s’est spécialisé sur le brame chez les cervidés.

Parmi les collaborations que j’ai pu développer dans les recher- ches sur le cerf, il y a également des travaux qui ont été réali- sés, par exemple, en relation avec le CEMAGREF de Nogent- sur-Vernisson, sur les problèmes de dégâts forestiers. En effet, le CEMAGREF développe des études sur des aspects plus appliqués mais cet organisme est également intéressé par des travaux fondamentaux sur le suivi des dégâts.

Avez-vous travaillé pendant longtemps sur ces thématiques ? Disons que ces activités ont duré jusqu’en 2005. Dernièrement, nous avons davantage procédé au suivi d’animaux équipés de balises GPS pour connaître leurs déplacements. Ces suivis ont d’abord eu lieu dans le parc national des Cévennes. Il s’agissait de suivis indirects avec des balises pour comprendre comment les cerfs se déplacent, et comment ils utilisent le milieu. Cela nous permet de connaître l’espace où ils s’alimentent ainsi que les lieux refuges utilisés pour se reposer pendant la journée.

Ces travaux ont été également réalisés en relation avec le CEMAGREF sur des aspects appliqués, par exemple sur la façon de gérer le sous-bois en forêt pour qu’il bénéficie aux cerfs.

Pouvez-vous nous dire comment vous avez intégré les outils de gestion du spatial, comme les SIG (Systèmes d’Information Géographique) ?

Je n’ai pas trop travaillé sur le SIG, mais le spatial en rapport à la gestion m’intéresse. Quand nous avons étudié l’organisation sociale des isards marqués, nous avons constaté qu’ils se par- tageaient des flancs de montagne et ne se mélangeaient pas.

Cela veut dire que les populations sont organisées en noyaux distincts. Parmi les retombées appliquées de ce type de tra- vaux, il s’agit de convaincre les chasseurs que la gestion doit se faire en relation avec l’organisation sociale des animaux.

Est-ce que cette organisation sociale génère des phénomènes de consanguinité ?

Je n’irai pas jusqu’à parler de phénomènes de consanguinité.

Il y a quand même des passages d’individus, en particulier des mâles, d’un secteur à l’autre. Je rappelle que les animaux ne sont pas distribués de façon aléatoire sur le terrain. Dans les groupes, ils s’organisent entre eux en sous-populations et cela est important au niveau de la gestion.

Avant de passer à des questions plus générales,

on pourrait aborder des aspects un peu plus administratifs.

Pouvez-vous nous parler de votre déroulement de carrière, des différents concours que vous avez passés ?

Peu après notre décentralisation à Toulouse, j’ai été nommé chargé de recherche en 1979. Ensuite, j’ai été inscrit sur la liste

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d’aptitude 1èreclasse en 1982. Finalement j’ai été nommé directeur de recherche de seconde classe en 1992.

Avez-vous envisagé une promotion en DR 1 ? Avez-vous présenté des dossiers ?

J’ai déposé un dossier en 2005, et je pense en déposer un der- nier juste avant de partir à la retraite. Il faut préciser que lorsque j’ai commencé à prendre la direction du laboratoire en 1997, j’ai pris aussi des responsabilités au niveau du départe- ment Hydrobiologie et Faune sauvage. À partir de ce moment-

là, ma production scientifique a nettement baissé puisque j’étais bien occupé à faire d’autres choses. C’était un autre métier.

Vous a-t-on reproché cette baisse de production scientifique ? Cela a été l’argument décisif retenu par la commission de pré- sélection pour ne pas classer mon dossier parmi les meilleurs.

Bien entendu, je n’ai jamais demandé ni à mes collègues, ni à mes étudiants en thèse, de m’associer à leurs publications pen- dant que j’étais directeur.

Vocalisations de Cerf élaphe (sonogrammes)

Délégation française à un congrès international consacré aux lagomorphes (en 1979, à Guelph au Canada).

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Que pensez-vous de l’évaluation scientifique faite à partir des indices de publication?

Je pense que l’évaluation scientifique est assez bien conduite à l’INRA, en particulier grâce aux commissions scientifiques spécialisées. J’ai eu l’opportunité d’y siéger et je pense que ces instances sont particulièrement utiles aux jeunes chercheurs afin de vérifier qu’ils s’intègrent bien dans les laboratoires et qu’ils développent des thématiques correctes. D’autre part, ces instances peuvent aussi mettre en évidence des problèmes de carrière de certains chercheurs. Je pense que, dans ces situa- tions, les commissions font un bon travail. Le fait que ces com- missions soient composées pour moitié de personnalités exté- rieures permet aussi d’avoir un regard extérieur très important.

Cela permet d’éviter les phénomènes, dont on parlait tout à l’heure, de consanguinité

Pour les membres des commissions, je pense qu’il est aussi très enrichissant de savoir ce que font les collègues d’autres disci- plines ou de disciplines voisines. De mon point de vue, être membre des commissions scientifiques est l’une des tâches administratives les plus intéressantes que l’on nous propose d’accomplir à l’INRA.

Cela veut dire qu’il y en a d’autres qui sont moins intéressantes ?

Je veux dire que le fait de passer du statut de chercheur au sta- tut de directeur d’unité devant faire face aux problèmes admi- nistratifs, de gestion de personnel, d’animation d’équipes... ce n’est pas toujours facile parce que le métier d’un scientifique n’est pas forcément de diriger un laboratoire.

Revenons sur votre point de vue :

“l’évaluation scientifique est assez bien conduite à l’INRA”.

Pouvez-vous nous en dire plus ?

J’ai eu la chance d’appartenir au département Hydrobiologie et Faune sauvage avant que ces évaluations ne soient insti- tuées à l’INRA. Bernard Chevassus avait commencé à faire cette évaluation à l’intérieur de son propre département. Puis ensuite, cela a été étendu à l’ensemble des départements. Ce genre d’évaluation constitue un outil stratégique qui me paraît nécessaire pour l’INRA. Pour nos responsables scientifiques, il faut bien qu’il y ait une évaluation de ce type-là.

N’arrive-t-il pas parfois que les évaluateurs et les évalués se connaissent bien ?

C’est sûr que cela peut arriver. Même quand on évalue un laboratoire, en général on demande au directeur de proposer le nom de personnes qui ont des domaines de compétence voisins des thématiques de recherche qui font l’objet de l’éva- luation. Je pense qu’il faut voir les évaluations à différents niveaux. Il y a des évaluations individuelles et cela est l’objet des commissions scientifiques spécialisées. Ces évaluations tiennent compte de l’organisation à l’intérieur du laboratoire, par exemple l’intégration de jeunes chercheurs dans les équi- pes ; savoir aussi s’il y a plusieurs équipes, s’il y existe des rela- tions entre elles. Ensuite, dans le cas d’évaluations un peu plus générales, du type “que fait tel laboratoire de l’INRA par rap- port à tel autre qui est dans le même département”, ou par rapport à ceux qui appartiennent à d’autres départements ? À mon avis, ces évaluations un peu globales sont nécessaires afin de mieux répartir les efforts de recherche autour d’un pro- gramme fédérateur. Cela concerne l’INRA, mais on retrouve cette stratégie également au CNRS, au CEMAGREF et au

Photo des membres du laboratoire des petits vertébrés à Jouy-en-Josas, prise à l’occasion du départ en retraite de son directeur, monsieur Jacques Giban.

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CIRAD. Je pense qu’il est nécessaire de se positionner par rap- port au monde scientifique dans son ensemble, que ce soit en France ou au niveau international.

Quel regard portez-vous sur les concours à l’INRA et comment, selon vous,

pourrait-on améliorer les modalités des concours ? Il faut savoir que pour des profils spécifiques, l’INRA, à travers certains sujets de thèse, forme des jeunes dans des domaines où l’on n’arrive pas à trouver de candidats formés par l’univer- sité. Lors des recrutements par concours, ces candidats ont un avantage sur les autres. L’INRA a donc tendance à s’engager vis-à-vis de ceux-ci, qui paraissent être en situation privilégiée par rapport à d’autres candidatures de qualité, voire meilleu- res. Elles apporteraient aussi des choses intéressantes et pas forcément dans le domaine strict recherché.

Par rapport aux autres concours, la définition des profils de recrutement se discute en conseil scientifique des départe- ments. Cela dépend un peu du rapport de force entre les per- sonnes en présence. Citons le cas particulier du département Hydrobiologie et Faune sauvage, qui a été dirigé par un géné- ticien, Bernard Chevassus, et ensuite par un physiologiste, Bernard Jalabert : pendant assez longtemps des déséquilibres au niveau recrutement se sont produits. En particulier la partie

“écologie” a nettement moins recruté que la partie “physiolo- gie”. Il faut aussi préciser que le département était rattaché au secteur Productions animales. Cela veut dire concrètement que les responsables hiérarchiques chargés de juger de l’intérêt des profils de recrutement étaient par nature amenés à privilégier les aspects élevage/production plutôt que les aspects écologie.

Cela dépend un peu de l’organisation en interne de l’INRA.

Vous avez été directeur d’unité.

Pouvez-vous nous parler de cette expérience, nous dire ce qu’elle vous a apporté,

peut-être les difficultés auxquelles vous avez été confronté, notamment en matière de gestion de personnel... ?

J’ai été nommé directeur adjoint de l’unité à partir d’octobre 1991 et directeur en 1997. Cette unité était composée de deux équipes de recherche, l’une qui s’intéresse à l’étude du comportement, avec pour cadre théorique une approche struc- turaliste, et l’autre, à l’étude de la biologie des populations, avec pour cadre théorique une approche fonctionnaliste. Les cadres théoriques étant différents, nous avons rencontré des problèmes d’harmonisation au niveau des problématiques scientifiques de l’unité dans son ensemble qui n’étaient pas toujours faciles à intégrer. Au début de mes responsabilités de DU, j’ai dû gérer des conflits interpersonnels et cela a été assez difficile. C’est vrai que cela était un peu désagréable, et ce d’autant plus que je ne pouvais pas déléguer une partie des tâches de direction. Il faut assister à la fois au conseil scienti- fique, au conseil de gestion, faire le travail de directeur. C’est vrai que c’est quelquefois difficile.

Parleriez-vous de souffrance pendant cette période ? En tout cas de remise en cause, ou du fait de ne pas être consi- déré pour le travail fourni. J’ai même été accusé d’être le repré-

sentant de l’administration, de la hiérarchie. C’était donc des choses un peu désagréables. Je pense que ce n’est pas systé- matique mais je me souviens de quelques conflits.

La formation des DU au management

a-t-elle permis de mieux maîtriser certaines situations ? Il me paraît très important d’avoir un minimum de formation pour le management. De mon point de vue, c’est même indispensable. On ne passe pas comme cela d’un travail de recherche avec animation d’une équipe à une animation d’un laboratoire entier.

Avez-vous eu à défendre, au niveau du centre,

les spécificités de votre unité par rapport à l’émergence de grands secteurs prioritaires autour de la génomique ? L‘écologie n’était pas, à l’époque, une priorité pour l’INRA et nous avons eu du mal à acquérir une unité expérimentale pour effectuer des suivis et des observations de chevreuils in situ.

L’acquisition de l’enclos de Gardouch a été une réponse en- courageante à nos attentes, ceci grâce au soutien financier de la région Midi-Pyrénées.

Plus récemment, le président du centre, Hervé Ossard, m’a pro- posé d’animer un secteur «environnement/territoire». J’ai testé un peu ma hiérarchie sur ce point précis et pu constater qu’il n’y avait pas de volonté politique du département et de la direction scientifique pour favoriser ce type d’animation. Sans incitations claires à développer tel ou tel secteur, je pense qu’il est inutile de perdre son temps. Il faut être très pragmatique et ne pas ramer à contre-courant.

Cela a-t-il changé récemment avec un affichage fort des trois identifiants de l’INRA : agriculture, alimentation, environnement ?

En même temps que ces identifiants ont changé, il y a eu une évolution dans l’organisation des départements. Le départe- ment Hydrobiologie et Faune sauvage n’existe plus et nous avons intégré le département Écologie des Forêts, des Prairies et des Milieux aquatiques. Cela a changé parce que l’on se retrouve entre écologistes, les autres composantes, physiologie et génétique ayant été intégrées dans d’autres départements disciplinaires. Donc il n’y a plus ce rapport de force que l’on évoquait tout à l’heure entre écologistes et physiologistes.

Cette évolution a correspondu à un enjeu pour l’INRA, du moins pour sa direction. Je ne regrette pas d’avoir passé du temps en Hydrobiologie et Faune sauvage : j’ai une formation en physiologie animale et, tout en étant écologiste, je pouvais comprendre ce que faisaient mes collègues en physiologie des poissons. Cela dépend un peu du parcours individuel. Il faut dire que tout le monde n’a pas bien vécu cette évolution, en particulier la composante aquatique qui perdait en lisibilité.

Cela a fait l’objet de débats. À la fin de ces discussions, nous sommes parvenus à un consensus, l’ensemble du département ayant envie d’intégrer la partie écologie. Les physiologistes pouvaient parfaitement positionner leurs recherches en insis- tant sur le côté environnemental de leurs travaux, et se justi-

fier socialement sur les problèmes de pollution. Finalement, je 153

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pense que le fait que le département ait été absorbé dans dif- férentes entités n’a pas été aussi dramatique que cela.

Revenons à votre statut de directeur d’unité.

Vous avez parlé tout à l’heure de la gestion des personnels scientifiques, de la gestion de situations conflictuelles De mon point de vue, ce n’est pas cela le plus passionnant. J’ai été responsable pendant six ans du laboratoire. J’étais aussi membre de la cellule de direction du département Hydro- biologie et Faune sauvage ; j’étais plus particulièrement inté- ressé par le développement des recherches en cours dans l’en- semble des laboratoires de ce département, et par son anima- tion scientifique. Il s’agit là d’une autre partie du métier inté- ressante, qui est justement de ne plus seulement rester dans son propre domaine de recherche personnel mais de voir ce qui se fait ailleurs.

Il faut préciser que j’ai toujours été membre du conseil scienti- fique du département et que j’ai toujours été curieux de com- prendre l’ensemble des recherches développées en son sein.

Donc, quand on m’a proposé d’intégrer la cellule d’animation du département, cela ne m’a pas posé de problème particulier.

Existait-il des collaborations entre écologistes et physiologistes pour la partie hydrobiologie ?

Peu,tout simplement parce que les problématiques n’étaient pas du tout les mêmes. Dans la partie écologie, il s’agissait plu- tôt de résoudre des problèmes liés à la gestion de plans d’eau, ou de populations piscicoles, alors que dans la partie physiolo- gie, il s’agissait de comprendre des mécanismes fondamen- taux. Ce n’est pas le même monde : les chercheurs ne lisent pas et ne publient pas dans les mêmes revues et ne sont pas évalués sur les mêmes concepts.

Vous venez de nous dire que vous vous étiez beaucoup investi dans cette cellule au niveau du département et que vous y aviez pris du plaisir

Avec la création d’une cellule d’animation au niveau du dépar- tement, il y a eu intégration à la fois d’écologistes et de physio- logistes. Le fait d’avoir un fonctionnement collégial a permis d’avoir une vision un peu plus élargie et moins orientée du développement du département et, en particulier, a permis aux écologistes de pouvoir recruter davantage que durant la pério- de précédente.

Les chercheurs sont-ils beaucoup sur le terrain avec leurs techniciens ?

Je pense qu’il y a une différence avec la partie physiologie. Je ne veux pas dire que les physiologistes font peu de laboratoi- re mais j’estime que le soutien technique était moins impor- tant dans la partie écologique. Les chercheurs écologistes vont sur le terrain, secondés par des techniciens tout cela au béné- fice du recueil de données. Nous avons eu tout de même la possibilité de recruter davantage de techniciens dans ce sec- teur ces dernières années : la situation s’est donc un peu amé- liorée. Cela a un peu soulagé le travail purement scientifique

des chercheurs, leur permettant de suivre la bibliographie et de savoir ce que font leurs collègues... avec un peu plus de retour vers le véritable métier de chercheur. Effectivement, par le passé, ils passaient beaucoup de temps sur le terrain, au détri- ment du maniement des concepts de leur discipline d’origine.

Cela veut-il dire que vous aviez besoin de recruter des techniciens de qualité pour du travail sur le terrain ? À l’INRA, la tendance, en général, a longtemps consisté à recruter des personnels dans des catégories trop basses.

Quand on demande un travail de terrain à des écologistes, il faut que les personnes soient autonomes, bien formées, avec un certain niveau de technicité. En général, si l’on recrute au niveau adjoint technique, eh bien à mon avis, ce n’est pas un niveau permettant de laisser ces personnels se débrouiller seuls sur le terrain.

Cela veut-il dire que, lorsque vous avez un poste de technicien qui vous est affecté,

vous recrutez un candidat ayant un bac+3 ?

Je ne pense pas que l’on recrute beaucoup au-dessus du niveau mais nous avons des exigences comme je viens de le dire. En fait, le problème réside dans la non ouverture du poste souhaité.

À mon sens, le fait de recruter un AJT ou un adjoint et de le for- mer, constitue une perte de temps. Durant mon mandat de DU de six ans, j’ai pu recruter cinq agents ITA et cinq scientifiques.

Donc je considère que j’ai contribué au développement du laboratoire. C’est vrai que pendant ce temps-là je n’ai pas publié beaucoup puisque j’étais occupé à faire d’autres choses.

À un moment donné vous avez parlé du professeur Charles Thibault. Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les personnes rencontrées au cours de votre carrière qui vous ont marqué, qui vous ont servi de modèle

Je pense que Charles Thibault fait partie des personnalités marquantes. Quand j’ai intégré le laboratoire de physiologie animale où j’ai été accueilli par Lise Martinet, directrice de recherche, j’étais jeune étudiant. Grâce à Lise je pense avoir acquis de bonnes connaissances en physiologie de la repro- duction sur le lièvre, mais surtout de bonnes pratiques de labo- ratoire.

Bien qu’universitaire, je n’étais pas très bon en anglais. La plu- part des travaux qui sont publiés le sont en anglais. Au début de ma carrière, j’ai donc consacré beaucoup de temps à faire de la bibliographie, en anglais et en français, sans trop de répit.

Pour cette période, je me souviens d’une anecdote : au moment de Noël, je suis allé voir Charles Thibault pour lui demander l’autorisation de prendre exceptionnellement trois jours de congés pour aller dans ma famille pour les vacances de Noël. Sa réponse a été :“Cela dépend comment vous consi- dérez la recherche”. Au début, je n’avais pas très bien compris pourquoi il me disait cela... C’est vrai que Charles Thibault n’était pas un chercheur anodin : il possédait les clés de tous les laboratoires, il venait travailler le samedi et le dimanche, et certainement même le jour de Noël.

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Charles Thibault figure parmi mes maîtres. Il était responsable de la formation au niveau doctorat de biologie de la reproduc- tion et de la physiologie animale et c’est grâce à lui que je me suis intéressé à ce type de travaux. Il m’a orienté vers les aspects écologiques et a été le déclencheur de mon parcours à l’INRA. J’aurais aimé faire de la physiologie mais finalement je pense que mon itinéraire professionnel a été suffisamment diversifié pour qu’à la fin de ma carrière je considère avoir eu le privilège de toucher à beaucoup de disciplines. Cela s’est accompagné parfois de remises en cause, et après tout, ce n’est pas plus mal que d’avoir eu une trajectoire linéaire.

Vous parlez de remise en cause.

Pouvez-vous évoquer ce qui a caractérisé votre façon de travailler ? Si vous deviez recommencer

aujourd’hui à l’INRA, vous y prendriez-vous autrement ? Je ne sais pas. Ce sont les circonstances, en fait, qui font que l’on vous confie des sujets de recherche qui sont plus ou moins appliqués. Au début de ma carrière, il fallait répondre à des demandes très précises. Ensuite, grâce à des évolutions et à des demandes de la direction de l’INRA, il y a eu des ré-orientations mais elles étaient justifiées. Peut-être aurais-je pu continuer

dans la même voie mais, finalement, le fait de changer d’orien- tation est enrichissant. J’aurais pu travailler aussi sur d’autres espèces, étudier d’autres modèles biologiques. Tout ce que j’ai fait, je l’ai toujours fait avec enthousiasme et avec bonheur.

Que dites-vous maintenant aux jeunes chercheurs qui arrivent avec un mastère ou une thèse ?

Leur donnez-vous des conseils en termes de perspectives de travail de recherche ?

Nous avons accueilli au laboratoire beaucoup d’étudiants qui avaient des statuts un peu hybrides. Quand je dis hybrides, cela veut dire qu’ils n’avaient pas forcément des financements assurés et donc il y a toujours eu de petits arrangements, avec des petits boulots. Maintenant, pour entrer dans la carrière scientifique, il faut démarrer avec un statut, en ayant une bour- se, en ayant quelque chose de stable pour pouvoir se consa- crer entièrement à ce que l’on fait. La pression est rude et je pense qu’il ne faut pas démarrer avec des handicaps. Aujour- d’hui, les jeunes chercheurs ou les jeunes thésards sont beau- coup plus sous pression : ils doivent publier leurs travaux dans des revues scientifiques de bon niveau. En fait, la plupart des

thèses actuelles sont liées à des dossiers de publications. 155

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Quand on confie un sujet de recherche, il faut s’assurer qu’il puisse à la fois être traité dans un temps raisonnable et don- ner lieu à une valorisation suffisante en terme de publication, pour que l’étudiant ait des chances d’intégrer le milieu de la recherche. C’est une grosse responsabilité qui incombe au directeur de thèse.

Les modalités de publications ont beaucoup changé. À l’épo- que de mon recrutement à l’INRA, il existait souvent des monographies très importantes basées sur plusieurs années d’étude et, quand on lisait des publications, il s’agissait de tra- vaux vraiment complets sur tout un domaine. Maintenant les publications sont quand même très pointues. Je pense qu’il faudrait trouver un modus vivendi entre ces deux extrêmes.

Pour la littérature scientifique, c’est vrai que l’on est inondé d’articles et de revues de plus en plus spécialisées. Recruter sur le nombre de publications, ce n’est pas forcément le seul critè- re. Je pense qu’il faudrait aussi regarder le contenu des articles de façon un peu plus approfondie.

Comment cela se passe lorsqu’une personne préfère travailler sur écran, alors que vous avez une part de travail sur le terrain non négligeable avec un travail de nuit, du week-end, par n’importe quel temps ?

On a besoin quand même de données de base pour pouvoir faire ensuite de la modélisation. Le travail de terrain demande beaucoup de préparation, de la technicité, et aussi des outils, comme les SIG évoqués précédemment. La solution est d’ex- pliquer qu’effectivement il faut équilibrer les choses, c’est-à- dire que, après avoir défini sa problématique de recherche et recueilli les données pendant un tiers du temps, il faut les ana- lyser pendant un deuxième tiers et consacrer le reste du temps à la rédaction. Les jeunes qui viennent se former chez nous auraient davantage tendance à favoriser le travail de terrain.

Les spécialistes de la faune sauvage de l’INRA ont-ils été sollicités à un moment donné pour travailler sur la question de la ré-introduction du loup

et de l’ours sur certains territoires ?

Directement, nous nous sommes posé la question de savoir si nous allions travailler sur ce type d’espèces. En fait, en y réflé- chissant, nous avons considéré ne pas avoir les moyens humains, mais également techniques et financiers, pour se lan- cer dans ce type de recherche. Je dirais que ce sont des travaux qui concernent des espèces problématiques et qui obligent à prendre en compte des aspects de relations sociologiques.

On peut même dire qu’il y a des aspects assez politiques, est-ce un handicap ?

Deux tiers du travail sur ces espèces particulières concernent effectivement les problèmes de relations avec les diverses per- sonnes concernées par leur gestion, la partie biologique se réduisant finalement à une peau de chagrin tant que les aut- res aspects ne sont pas résolus. Je verrais plus des sociologues de l’INRA travailler sur ce type de questions, plutôt que des biologistes.

Actuellement, quelles sont les principales questions posées à la recherche par les acteurs de la société impliqués dans le domaine de la faune sauvage ?

Parmi les questions d’actualité, il y a la mise au point de fais- ceaux d’indicateurs. On ne s’intéresse plus à un seul indica- teur, comme la densité des animaux par exemple. On s’inté- resse davantage aux relations entre les animaux et la flore.

C’est plutôt une utilisation conjointe d’indicateurs biolo- giques à la fois animaux et végétaux, pour essayer de trouver des méthodes de gestion basées sur l’évolution de tendances démographiques, plutôt que d’avoir des données précises au niveau structure ou autres. Je pense que cela s’oriente vers ce type de problématique.

Par rapport à d’autres questions qui risquent d’émerger, ou dont on entend parler incidemment, je citerais les problèmes de zoonoses et de maladies émergentes en relation avec la faune. Je pense qu’il y a là des aspects épidémiologiques im- portants que l’on ne soupçonne pas. Par exemple, on parle du rôle des oiseaux qui migrent dans le développement de mala- dies...

Mais à l’INRA, d’autres secteurs scientifiques, le département Santé animale entre autres, assurent une veille sur ces ma- ladies émergentes comme la grippe aviaire, le Chikungunya...

Comment voyez-vous l’évolution dans les années à venir du secteur de la recherche auquel vous appartenez ? Quelles sont les thématiques qui seront le plus développées et quelles sont celles qui vous semblent devoir

être privilégiées ?

Actuellement, avec les techniques du suivi par balise GPS, il y a de plus en plus de possibilités d’avoir des données indivi- duelles sur le long terme. Donc on revient à l’étude du com- portement des animaux et sur la façon dont les individus contribuent au fonctionnement des populations. Je pense que nous en sommes juste aux prémices du développement d’ou- tils tels que les modèles individus centrés. Ces modèles tien- nent compte de règles de décision au niveau individuel qui ser- vent de base à la modélisation pour savoir comment s’organi- sent les populations dans leur ensemble. Ils servent aussi à étudier l’impact de la pression anthropique -impact humain-, par exemple. Cela risque de se développer dans un avenir assez proche, pour la gestion de la faune au sens large. Je pense que l’on en viendra aussi à prendre en compte tous les aspects socio-économiques dont on a parlé, y compris l’écono- mie non marchande.

Parmi les interlocuteurs avec lesquels vous avez été amené à travailler il y a les chasseurs. Pouvez-vous nous parler des relations des scientifiques avec ce groupe

de pression qui exprime souvent auprès des pouvoirs publics des demandes très fortes quant aux modalités de pratique de ce loisir ?

On l’a un peu évoqué en disant qu’il ne faut pas mélanger l’ac- tivité de recherche avec l’activité de chasse. C’est important parce que je pense que cela évite d’avoir des attitudes ou des positions ambiguës, sachant qu’il est préférable de ne pas être juge et partie de certaines situations. Nos relations avec les

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chasseurs ont toujours été très cordiales et amicales, mais il faut qu’elles restent à ce niveau-là pour pouvoir être non influença- bles. En particulier, il convient de garder une attitude suffisam- ment objective dans ce que l’on écrit, ou dans ce que l’on dit, pour que cette attitude ne puisse pas être remise en cause.

J’ajouterais qu’il y a différents types de chasseurs, et cela a une incidence sur la gestion des populations que nous étudions. Il y a les chasseurs “privilégiés” qui sont propriétaires de vastes terrains privés et donc qui peuvent organiser la chasse avec des modalités qui leur sont propres. L’autre grande catégorie concerne les chasseurs en général qui exercent leur loisir sur des chasses communales. J’ai parlé tout à l’heure du fait de ne passer qu’une seule fois sur un terrain de chasse et de tirer l’ensemble des animaux qui sont levés et puis de ne plus y revenir. Cela, on ne peut pas le faire au niveau communal.

Avec le type de travaux que l’on entreprend et grâce au relais des techniciens des fédérations de chasseurs, les applications pratiques qui en découlent commencent à être bien diffusées.

Finalement, les chasseurs s’organisent mieux et la chasse devient de moins en moins anarchique. Il faut également sou- ligner que la chasse est une activité de loisir qui concerne aujourd’hui de moins en moins de personnes.

Sociologiquement, le monde de la chasse est très composite, tel type de chasse étant pratiqué plutôt par telle catégorie sociale

C’est vrai. À côté de la chasse individuelle, à l’approche ou à l’affût, il y a la chasse en équipes comme la battue aux san- gliers, ou les équipages de chasse à courre dans le cas du cerf.

Au laboratoire, nous ne nous sommes jamais intéressés à la chasse au gibier d’eau. La chasse en montagne, ce n’est pas tout à fait la même chose non plus. Il existe des travaux sur la sociologie de la chasse qui sont tout à fait intéressants.

Revenons à vos travaux sur les populations d’isards.

Au cours des dernières décennies, comment ont évolué, aussi bien quantitativement que qualitativement, les populations de chamois et d’isards et quels sont les principaux axes des politiques mises en œuvre pour assurer la conservation et la gestion de ces populations ?

Pour les chamois, les isards et les autres ongulés tels que che- vreuils ou cerfs, l’évolution en général a été très positive.

Actuellement, ces populations se développent sans problème.

Cela est dû à l’introduction de plans de chasse. Des plans de 157

Grand cerf à 12 cors.

Photo :©INRA - René Canta

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chasse ont été imposés aux chasseurs pour respecter des quo- tas de prélèvement, pas toujours forcément décidés en fonc- tion d’unités géographiques pertinentes. Le fait de réduire la pression de chasse, et d’organiser en parallèle des opérations de contrôle de l’évolution des populations, a eu pour consé- quences de diminuer le nombre d’animaux abattus. Donc en disposant en fin de chasse d’un reliquat suffisant d’animaux reproducteurs, cela permet aux populations de se développer.

Dans le cas particulier du sanglier pour lequel il n’y a pas de quotas imposés, c’est dû au fait qu’il y a eu abandon de cer- taines parties du territoire qui sont devenues des friches et qui ont continué à produire des ressources non exploitées, comme par exemple les châtaigneraies dans le sud de la France. Grâce à la présence de ces réserves énergétiques importantes, les populations de sangliers se sont développées naturellement. Il y a aussi le fait qu’il y a moins de dérangements actuellement par l’agriculture ou par les travaux forestiers. Donc on assiste à des changements de la structuration des paysages et de l’or- ganisation de la production agricole, qui font que les animaux sont plus tranquilles et se développent plus facilement.

Ces aspects politiques et ces plans de chasse ont dû donner lieu à des débats importants entre tous les acteurs concer- nés, chasseurs, agriculteurs, responsables de l’environne- ment. Les scientifiques ont-ils été associés à ces débats ? Oui. Nous y avons été associés, en particulier, au niveau des conseils départementaux de la chasse. Je pense que les problè- mes de gestion en général sont liés à la question du multi- usage. Dans le cas des ongulés, on parle beaucoup de dégâts, notamment des dégâts agricoles. Mais il y a également les dégâts forestiers dûs aux cerfs ou aux chevreuils. L’attitude vis- à-vis du gibier dépend en fait du statut des personnes concer- nées. Pour un forestier, jusqu’à une époque pas si lointaine que cela, plus on réduisait le cheptel de cervidés, plus la forêt était susceptible de bien se développer, avec moins de dégrada- tions. L’agriculteur non chasseur est favorable aux battues de sangliers pour empêcher ces derniers de s’attaquer aux cultu- res. Pour le berger, la présence trop abondante d’isards dans les pâturages des estives est préjudiciable à l’alimentation des moutons ou des vaches. C’est toujours en fonction de la posi- tion socio-économique des personnes impliquées, et en fonc- tion d’un équilibre à trouver. Je pense que finalement, il n’y a pas tant de conflits d’usage que cela, et ceci grâce aux possi- bilités de confrontation des points de vue lors de réunions où sont définis les quotas de chasse. Quand il y persiste des pro- blèmes de conflits importants, cela peut aller jusqu’à des pro- cès mais c’est assez exceptionnel.

Au cours de votre carrière,

avez-vous eu à jouer le rôle d’expert ?

À titre d’expert, j’ai été invité dès le début de ma carrière à tra- vailler en Sardaigne. C’était en 1977. Un étudiant sarde était venu comme stagiaire à notre laboratoire. Par la suite, cet étu- diant a été recruté dans son pays d’origine pour s’occuper de l’organisation de la chasse. Il m’a demandé alors de venir en mission pour l’aider à mettre en place un organisme qui s’oc- cuperait de la gestion de la faune insulaire. Cela s’est fait dans le cadre de l’établissement d’une loi sur la chasse. Ce fut une

expérience assez originale parce que, pour une fois, la biologie intervenait avant la loi. En effet, à partir des données bibliogra- phiques disponibles sur la biologie des espèces concernées, le but était de voir ce qui pouvait être pris en compte dans l’éta- blissement de la loi sur la chasse en Sardaigne. C’était très intéressant et cela m’a vraiment passionné. À la suite de cette mission, cette loi qui prévoyait la création d’un tel organisme de gestion sur les bases que nous avions envisagées a été votée et demeure encore en vigueur aujourd’hui.

Quels sont aujourd’hui les sujets sur lesquels l’INRA devrait porter ses efforts de recherche ?

De mon point de vue, l’INRA en tant qu’organisme public devrait s’intéresser davantage à des recherches qui n’ont pas forcément de retombées financières immédiates. Je pense en particulier aux aspects environnementaux, et aux aspects éthiques, comme l’introduction des OGM ou la fabrication d’animaux plus ou moins manipulés : il devrait y avoir beau- coup plus d’incitations de recherche, et donc de financements, sur des aspects qui ne sont pas immédiatement liés aux retom- bées économiques.

Grâce à Bruxelles, je note que l’on se préoccupe de plus en plus du bien-être des animaux domestiques, au travers de directives sur les conditions d’élevage à respecter. À côté du développement de travaux répondant aux demandes des consommateurs, j’observe avec plaisir que l’on commence enfin à se pencher sur le ressenti des éleveurs qui sont enga- gés, bien malgré eux, dans des processus de production de plus en plus intensifs et déshumanisés. À mon avis, il est indispensable que les champs de recherche de l’INRA se situent aussi ailleurs que sur le plan strictement économique.

Estimez-vous que la recherche INRA

est fondamentalement académique et publique ?

Je suis attaché à cet organisme qui a su développer en paral- lèle des recherches dans la sphère du fondamental et des tra- vaux plus appliqués pour répondre à la demande sociale. Dans la société actuelle, nous avons notre place, capables d’intégrer cette demande sociale, car nous sommes aussi en prise direc- te avec les gestionnaires et au contact des utilisateurs de la recherche, et en situation de maîtriser les concepts de connais- sance fondamentale. Les travaux de recherches conduits à l’université ou au CNRS me semblent souvent plus théoriques.

Que souhaiteriez-vous ajouter pour conclure votre témoignage ?

Pour rebondir par rapport au dernier point évoqué, je pense que ma trajectoire de départ à l’INRA a été orientée par des demandes très appliquées. Au milieu de ma carrière, j’ai eu ensuite la chance de pouvoir travailler sur des aspects plus fon- damentaux, non immédiatement appliqués. Puis, j’ai eu à cœur de participer à des tâches plus collectives. Loin d’être un handicap, je considère que cette évolution m’a permis de m’enrichir et d’acquérir un certain recul. Il faut aussi qu’un organisme comme l’INRA puisse permettre ce type de parcours professionnel. C’est ainsi que je conçois le métier de scienti- fique qui permet en définitive, au sens large, de mieux com- prendre l’organisation du vivant.

Iongulés cervidés isard per- drix grise perdrix rouge faisan

lièvre sanglier chasse comporte- ment éthologie écologie faune sauvage physiologie animale captu- re population animale environne- ment méthodes de comptage

I Charles Thibault Lise Martinet

Jacques Giban Raymond Campan

IJouy-en-Josas Pologne Toulouse

Cévennes

IOffice National de la Chasse CEMA- GREF CNRS université Paul Sabatier (Toulouse)

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