FACULTÉ
DEMÉDECINE
ET DE PHARMACIE DE BORDEAUXANNÉE 1896-1897 Ko t8
RESPONSABILITÉ
ET
JUSTICE MILITAIRE
THÈSE POUR LE DOCTORAT EN MÉDECINE
présentée et soutenuepubliquementle 20 Novembre 1896
PAR
Emile-Louis F El 3rl X S
Né à Brest (Finistère), le 15 Juin 1874.
Elève du Service de Santé de la Marine
Examinateurs de la Thèse:<
MM. PITRES professeur P MORACIIE professeur....\ MESNARD agrégé
f
/ap.AUCHÉ agrégé )
Le Candidat répondra aux questions qui lui seront faites sur les diverses parties de renseignement médical.
BORDEAUX
IMPRIMERIE DU MIDI — PAUL G A S SIG N 0 L 91 — RUE PORTE- DIJEAUX — 91
1896
Faculté de Médecine et de Pharmacie de Bordeaux
M. PITRES Doyen.
PROFESSEURS MM. M1GE.
AZAM Professeurs honoraires.
Clinique interne
MM. MM.
PICOT. Physiologie JOLYET.
PITRES. Hygiène LAYET.
DEMONS. Médecine légale MORACHE.
LANEiiONGUE. Physique BERGONIÉ.
DUPUY. Chimie BLAREZ.
Histoire naturelle ... GU1LLAUD.
VERGELY. Pharmacie FIGUIER.
ARNOZAN. Matière médicale.... de NAB1AS.
MASSE. Médecine expérimen¬
tale FERRÉ.
MOUSSOUS. Clinique ophtalmolo¬
gique BADAL.
COYNE. Clinique des maladies BOUCHARD. chirurgicales des en¬
fants PIÉCHAUD.
VIAULT. Clinique gynécologique BOURSIER.
Clinique externe...
Pathologie interne...
Pathologie et théra¬
peutique générales.
Thérapeutique Médecineopératoire.
Clinique d'accouche¬
ments
Anatomie pathologi¬
que Anatomie
Anatomie générale et histologie
AGRÉGÉS EN EXERCICE :
section de médecine(Pathologie interneetMédecine légale.)
MM. MESNARD. | MM.
SABRAZÈS.
CASSAET. | Le DANTEC.
AUCHÉ. |
section dechirurgie et accouchements
(MM. YILLAR. | Accouchements
iMM. RIVIÈRE.
Pathologie externe BINAUD. |
Accoucnements.... CHAMBRELENT
f BRAQUEHAYE |section des sciencesanatomiquesetphysiologiques
JMM. PRINCETEAU |
Physiologie MM. PACHON.
'I CANNIEU. | Histoire naturelle BEILLE.
section dessciences physiques
Physique MM.
SIGALAS. | Pharmacie M. BARTHE.
Chimie etToxicologie
DENIGÈS. j
COURS COMPLÉMENTAIRES :
Clinique interne desenfants MM. MOUSSOUS.
Anatomie..
Clinique desmaladies cutanées etsyphilitiques.
Clinique des maladies des voies urinaires
Maladies dularynx, des oreilles etdunez Maladiesmentales
Pathologie externe Accouchements Chimie
Le Secrétaire de la Faculté:
DUBREUILH.
POUSSON.
MOURE.
RÉGIS.
DENUCÉ.
RIVIÈRE.
DENIGÈS
LEMAI RE.
Pardélibération du 5 août1879, la Facultéaarrêté que les opinions émisesdans les Thesesqui lui sontprésentéesdoivent être considérées commepropres à leursauteurs, et qu'elle n'entend leurdonner ni approbation niimprobation.
:
A LA MÉMOIRE VÉNÉRÉE DE MON PÈRE
R
f
A MA MÈRE
A MA SŒUR
, «
A MES PARENTS
A MES AMIS
A vies intimes Amis
EUGÈNE AQ UA RONE OCTAVE GUIOL
MÉDECIN DES COLONIES MÉDECIN DES COLONIES
JEANMAILLE
ÉLÈVE DE SANTÉDUSERVICE DE LA MARINE
A MONSIEUR LE DOCTEUR
GUYOT
MÉDECIN PRINCIPAL DE LAMARINE EN RETRAITE
CHEVALIER DE LA LÉGION D*HONNEUR
ANCIEN PROFESSEUR DECHIRURGIE DARMÉE A
L'ÉCOLE
DEMÉDECINE
NAVALE DE BREST
Mon premierMaître.
A MONSIEUR AUGUSTE GOURGUECHON
PROFESSEURDE LITTÉRATUREETD'HISTOIRE A LÉCOLE NAVALE Hommage dema faible reconnaissance
A MONSIEUR LE DOCTEUR, GUILLARMOU
MÉDECIN DEPREMIÈRE CLASSE DE LAMARINE CHEVALIER DE LA LÉGION D'HONNEUR
Témoignage degratitudepourl'intérêt qu'il nous a toujourstémoigné.
A MONSIEUR LE DOCTEUR YERG OS
MÉDECINDE PREMIÈRE CLASSE DE LA MARINE
PROFESSEURD'ANATOMIE A L'ÉCOLEDE MÉDECINE NAVALE DE BREST CHEVALIER DE LA LÉGIOND'HONNEUR
A MES MAITRES
DE L'ÉCOLEDE MÉDECINENAVALE DEBREST
A mon Président de Thèse
MONSIEUR LE DOCTEUR PITRES
DOYEN DE LA FACULTÉDE MÉDECINE DE BORDEAUX PROFESSEURDECLINIQUEMÉDICALE
CHEVALIER DELALÉGION D'HONNEUR
MEMBRE CORRESPONDANT DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE
MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ DE BIOLOGIE
Irxtr»odi\jLotio n.
Lanouveauté du sujetque nous avons
choisi
pour notre tra¬vail inaugural etle titre un peu
prétentieux
peut-être que cesujet nous impose feront sans doute que plusieurs commence¬
ront avec
prévention
la lecture de cette œuvre, surtout s'ilscroient déjà la jeunesse un peu
révolutionnaire.
Nous avonsl'espoir que ceux
qui auront le
couragede lire
enentier
cetteétude modifieront leur opinion
préconçue.
La jeunesse n'estpas du tout révolutionnaire, mais elle défend avec conviction les idées qu'ellecroit justes. Cette conviction
nousl'avons
eue, etnous comptons, pourcette raison même, que nos juges accueil¬
leront avecindulgence cette
étude
d'une question si importante, entreprise parunjeune initié à la science médico-légale.
.Qu'onnevienne pasnous reprocher de vouloir, en réclamant
l'intervention constante du médecin en justice militaire, et en demandant à des hommes, non pas à des justiciers, un peu d'in¬
dulgence pour
des fautes excusables,
arracher des coupables à lajustice! Loin denous cette intention !Trop
respectueux dela disciplineutile,
en notrequalité
de militaire, notre buta été de mettre d'accord la justice et la discipline, de rechercher les conditions danslesquelles elles peuvents'exercerenfaveur l'une del'autre, en punissant ceuxqui consciemment se mettent hors la loi, mais en ne torturant pas les inconscients et en excusant les excusables.Nos idées ne nous sont pas d'ailleurs toutes personnelles, il
nous faut le reconnaître. M. le docteur
Régis,
au Congrès desAliénistes de France à Bordeaux, en 1895, attirait l'attention sur
l'importance
de l'expertise mentale dans l'armée: «J'appelle,
dit-il, l'attention du
Congrès
surl'importance de la communica¬
tion de M. le médecin enchef Cliallan de Belval. La
question de l'épilepsie
dansl'armée est
eneffet
unequestion de premier
ordre etje
regrette
queM. Parant n'en ait
pasfait l'objet d'un
chapitreou tout au
moins d'un paragraphe de
sonremarquable
rapport. Non pas que
l'épilepsie soit différente dans l'armée,
mais elle yoffre, au
point de
vuemédico-légal,
uncaractère
par¬ticulier et du plus haut
intérêt.
Je saisis cette occasion pour exprimer un
regret
:c'est
quel'expertise médico-légale
nesoit
pasréellement organisée devant
les tribunaux militaires, comme elle l'est devant les
tribunaux
civils etqu'on n'y
fasse
pasappel dans les
casnécessaires, à des
expertsspéciaux, dans l'intérêt même de la justice et de la
vérité.
Lorsqu'il s'agit d'un inculpé, peut-être irresponsable, il
doit y avoir partout
place
pourla science
comme pourla
défense.
Delà, estnée sur les conseils du
maître, dont
nous avons suivi assidûment lessavantes leçons surles maladies mentales, l'idéepremière de
notrethèse, l'étude de l'importance de l'exper¬
tise mentale en justice militaire.
Puis M. le docteur Gorre, dans les instructives conversations que nous eûmes avec
lui,
nousfaisant
penserqu'en dehors des
morbides certains individus, les passionnels, sans être irrespon¬
sables n'avaient souvent qu'une responsabilité atténuée et devraient bénéficier d'uneindulgence que la loi ne leur accorde pas, nous avons résolu d'étendre notre sujet et, voici comment
nousl'avons divisé.
Dans un premier chapitre nous faisons une étude des mor¬
bides et despassionnels dans l'armée.
Nous examinons ensuitece que le Gode militaire accorde à
ceux qui nous intéressent.
Nous
consignons
plusieurs observations, mettant en évidence lesconséquences
de lalégislation
actuelle.Enfin dans les quatrième et cinquième chapitres nous discu¬
tons les réformes que nous proposons.
Puis nousformulons nos conclusions.
Nous n'avons la
prétention de convertir
personneà
nosidées,
quoique nous soyonsconvaincu de leur justesse, et cependant
nous serions bien heureux d'apprendre un
jour
que,grâce à
l'initiative de
quelque puissant lecteur de hasard de cette
œuvre, modestementégarée, la loi protège plus efficacement les irres¬
ponsables, et qu'elle
amoins de sévérité
pour ceuxqui sont
dignes
de quelques égards.
Etmaintenantqu'il nous
soit permis d'adresser
entoute sincé¬
rité à M. le docteur Régis,nos plus
vifs remerciements,
non seu¬lement pour ses
conseils
ausujet de
cetravail, mais aussi
pourson enseignement,
dont il
nous aété donné de profiter, et
pour l'accueilsympathique
que nous avonstoujours
reçuauprès de
lui.
Qu'il nous soit
également permis de dire ici, publiquement,
toute notre admiration pour
M.
ledocteur Corre, admiration
pour sa
science à la lecture de
ses ouvrageset
pour soncaractère quand il
nous aété donné de le connaître. Merci à lui de
ses conseils et des bonnes idées qu'il nous asuggérées.
Remercions encore notreparent et
ami,M.
ledocteur Laurent,
qui s'estvivement intéressé à notre travail, ainsi
quetous
ceux qui ont misà notre disposition leurs documents et leurs
con¬naissances.
Enfin ceserait, croyons-nous,
faire
preuved'ingratitude
que de ne pasrappeler notre stage bien court chez M. le professeur
Piéchaud, dontnous avons eu la bienveillance et
la sympathie,
et cirez M. le
professeur agrégé Moussous, dont
nous avons puapprécier les sentiments si affectueux
pour sesélèves.
QueM. le professeur
Pitres, dont .les remarquables leçons cli¬
niques ont
largement contribué à notre instruction médicale,
daigneaccepter
nosbien sincères remerciements
pourle grand
honneur qu'il nous
fait
enacceptant la présidence de notre
thèse.
CHAPITRE PREMIER
Le délit militaire. — Les
irresponsables
:morbides et dégénérés.—Responsabilité atténuée des passionnels.
Dans ces dernièresannées, à la suite de l'importante
étude
deM. Tissié sur lesaliénés voyageurs, qui date
de 1887, de
nom¬breux travaux, dans le butd'arracher à lajustice
militaire
non des déserteurs mais des malades, ont réclamé avec insistancel'intervention
légale du médecin militaire
parqui
ces casde
désertion automatique doivent être parfaitement connus.
C'é¬
taient là des faits nouveaux qu'il fallait mettre en
lumière.
« Tous ces faits, dit le docteur Le Dantec, doivent être bien
connus du médecinmilitaire, car si, à un momentdonné, soit à
la suite de traumatisme, soit
spontanément,
on constate chezun sujet l'explosion de
phénomènes bizarres, il faut
se garderdécrier immédiatement à la simulation et de faire subir aux malheureux des traitements, que l'ignorance où l'on était
autrefois de toutes ces questions de pathologie nerveuse per¬
mettait d'excuser. Le cas d'automatisme comitial que nous relatons aurait été sûrement diagnostiqué : bordée de troisjours
et le traitement aurait consisté en vingt jours de prison. Ce
sontlà des
procédés d'antan qui
nesont plus
permisde
nosjours. Notre
rôle, notre devoir
estde protéger les malheureux
qu'unediathèse peut du jour
aulendemain livrer
auxmains de
fer de Injustice. »
Etbien, il n'y apas que ces déserteurs pour qui le traitement
_ 12 —
de leur état mental consiste en quelques
jours, quelques mois
de prison ou en
d'autres peines plus
graves,et
nousdésirons
étendrebeaucoup plus
loin le champ de l'intervention médico- légale obligatoire.
Ladésertion est une forme, la plus
fréquente
sansdoute (la
plupart de nosobservations appartiennent à des déserteurs),
mais n'estqu'une
forme de l'insubordination et à l'insubordina¬
tion n'est pas
limité le terrain de la justice militaire. Ces tribu¬
naux, en effet, en
qualité de juridictions répressives, jugent tous
les délits : délits communs
punis
parle Gode pénal, délits mili¬
taires,délits
spéciaux appartenant à
uncode spécial. Le crime,
délit militaire, c'est ladésertion, l'insoumission aux appels,
l'in¬
subordination à tous les
degrés (depuis
lerefus d'obéissance
à la voie de fait envers un
supérieur), la
nonexécution d'une
consigne,l'abandon d'un poste et la trahison. Le crime délit
commun comprend vols,
abus de confiance, faux, viols, attentats
à la
pudeur,
coupset blessures, homicide involontaire,
assas¬sinat. Or l'attentat de cause vulgaire,
l'attentat de moralité
banale occupe,
dans les statistiques militaires,
unebien faible
part,relativement à l'attentat spécial. D'après les statistiques
établies par le docteur
Corre
pourl'année 1885-86,
nousavons un manquement militaire sur
180 hommes, tandis
quenous netrouvons plus qu'un
manquement
auGode pénal
sur 248 hommes. Quelle différence entre ces chiffres ! différence beaucoup plus sensiblesi
l'onremarquel'augmentation d'année
enannée du nombre des délits militaires, et, au contraire, la diminution du nombre des délits communs dans l'armée
(1/135
en1865-66
—1/248
en1885-86),
et,différence
encore plus choquante, si l'on examine l'année judiciaire civile, qui voits'accroître toujours le nombre des
délinquants.
Nous devonsenconclure évidemment que la discipline mili¬
taire réfréné les instincts antisociaux, qu'elle moralise ; mais qu'en
dépit
de la sévérité de son codespécial, elle
n'arrivepas
à maîtriser
larésistance
à uneobligation spéciale, résis¬
tance qui se manifestepar la
désertion,
le refusd'obéissance
et la rébellion parvoies de fait enversunsupérieur.
Il ne nous appartient pas
de rechercher ici les
causesde progression du délit militaire
; nous nousbornons à cette
cons¬tatation :
malgré
toutesles duretés de la loi, il
y ades réfrac-
taires. Parmi ceux-ci il y asans
doute des vicieux,
ceux querien
ne saurait soumettre, qui se
refusent à obéir à
uncode quel
qu'il soit, etdont
nous ne nous occuperons pas,laissant
auxcriminologistes
lesoin d'intervenir
enleur faveur; mais il
existe aussi des
irresponsables,
car, comme nousallons le voir,
l'armée estriche en tares morbides et en
dégénérescence
;enfin
beaucoup sontdes passionnels, qui ont droit à beaucoup d'in¬
dulgence, car c'est
là peut-être qu'une loi moins impitoyable
empêcherait la
récidive.
Nous voulons étudier ici les morbides, les
dégénérés et les
passionnels.LES MORBIDES
On
pourrait croire
quele service militaire,
parla sélection
établie au moment de l'incorporation et
plus tard même dans
les rangs de
l'armée,
nesoumet
pasà
saloi spéciale les indivi¬
dus inaptes, par
leur tare cérébrale, à s'adapter à l'obligation
qu'il
impose. Il n'en est
pastout à fait ainsi
:« L'armée écarte d'elle certaines infirmités, mais non pas toutes les
dégénérescences, ni même toutes les morbidités
susceptibles d'exercer
uneaction perturbatrice sur le cer¬
veau. Tout ce qui
possède
unmodus conventionnel de
con¬formation extérieure est admis dans
les
rangs ; ongarde
ceux
qui lui répondent,
endépit de la découverte ultérieure de
petites
anomalies très caractéristiques mais qui n'apportent
aucun obstacle à l'exercice du
fantassin, de l'artilleur, du
cava¬lier et l'on se montre d'autant plus
facile
quela profession
n'exigeni grande intelligence, ni grande sensitivitô, aucontrairel
Cependant
quede tares somatiques et de tares héréditaires les
médecins découvrent dans les
hôpitaux militaires,
quede
pau¬vres diables ils sont
obligés de réformer après
coup pourim¬
bécillité et idiotie,
épilepsie larvée
ouconvulsive. L'hystérie
— u —
felle-même est aujourd'hui observée dans les casernes
(4)
». La pathologiecérébrale
sera donc au completdans
les casernessinous ajoutons le délire fébrile aigu des maladies infectieuses et certains états mentaux des colonies mal connus.
Paralytiques généraux.
— Les paralytiquesgénéraux
n'a¬bondent pas dans le milieu militaire, bien que l'absinthisme et la syphilis ysoient en honneur, mais la courte duréedu service
ne permet pas à la paralysie
générale
deparaître; aussi est-elle seulement leprivilège
dequelques
sous-officiers (surtout dans la marine où ils se cantonnent volontiers dans leurposition) et,
d'ailleurs au point devue purement du délit militaire, lapara¬
lysie
générale
nejouerait pas le rôle important qu'elle a dans les actes civils.Délirants
chroniques.
— Eux non plus ne sont pas nom¬breux, le délirene se manifestantpas
généralement
avant la tren¬tième année,
époque
à laquelle l'homme est rentré dans lavie civile. Parmi lesrengagés,
il peut en exister quelques-uns. —Une denos observations est celle d'un délirant
chronique
ayant des hallucinations auditives -mais ils sont heureusement rares,car combiende crimes ne commettraient-ils pas dans un milieu où ils trouveraient tant de bonnes raisons pour se croire persé¬
cutés.
Épileptiques
:Il peut sembler étonnant que nous affirmions
l'épilepsie
très fréquente dans l'armée et non pas seulement
l'épilep¬
sie larvée (là rien que de très
naturel)-,
maisl'épilepsie
con- vulsive. D'ailleurs, ils sont nombreux lesépileptiques
quiignorent
leur tare, etbeaucoup
de ceux qui la connaissentne s'en vantent pas pouréviter la réforme. Une foisau
régiment,
la crise, qui peut du reste se produire à des intervalles assez
éloignés
et souvent lanuit, passeinaperçue,
ou, si des voisins de chambrée entendent unronflement anormal, ils s'enpréoccupent
peu. Certes, les
épileptiques
sont réformés à mesure qu'ils sont p) Corre, Aperçugénéralsur la criminalité militaire euFrance.reconnus, mais aubout de combien de temps les reconnaît-on?
Dans les nombreuses feuilles d'observation que nous avons con¬
sultées à
l'hôpital
maritime à Brest(salle
des maladies nerveu¬seset mentales), nous avons pu constater que pas un mois ne se passe sans que quelque
épileptique
paraisse, mais au bout d'une période de servicevariant dans des limites trèslarges.
Aune revue d'infanterie de marine à Brestnous avonsvu pendant
le défiléun soldat atteint d'une
attaque d'épilepsie.
Tant qu'à
l'epilepsie
larvée, la plupart de ceux qui en sontfrappés
font leur service comme s'ils n'avaient aucune tare.Quelle estl'influence du métier militairesur
l'épilepsie?
Elle ne semble pasl'aggraver beaucoup
et cependant lesvexations et les émotions ne peuvent-elles pas provoquer lafréquence
des atta¬ques et contribuer à l'éclosion du délire
impulsif.
Les
Hystériques
:En
hystériques,
la corporation militaire est riche, plus riche qu'on nel'a pensélongtemps;
ils n'en sont exclus que quand de grandes attaques les font connaître. Nous pouvons affirmer que dans les troupes de la marine à Brest(et
nous 11e parlons pas de l'infanterie de marine dont le recrutement est loin d'êtrehomogène),
recrutées parrégion
pour ainsi dire, leshystériques
ne manquentpas. Il suffit à Brest, au 2e
dépôt,
deles chercher pour les découvrir, "presquetous héréditairesd'alcooliques.
Sur le délire infectieux, nous croyons inutile
d'insister;
il n'offre dans le milieu militaire rien de bien particulier, maisnous dirons un mot de certains états mentaux mal définis,
observés aux colonies. Ily a, nous dit M. le docteurGorre, aux
colonies, des états délirants bizarres, comme par exemple une sorte de délire lucide qui précède
fréquemment
l'anémie céré¬brale, délire méritant une étude approfondie car il peut donner lieu à des erreurs regrettables.
Voici un exemple de ces manifestations délirantes : un des malades que
soignait
M. le docteur Côrre, enCochinchine,
alors que son affectionn'était
pas encore bien précisée enlevaun jourau docteur et à l'officier avec lequel il
causait leurs mouchoirs
de poche. Ce
n'était
pasdu tout
unvol,
car surl'observation qui
lui fut faite, lesujet
répondit
: «Vous êtes bien
sansgêne;
vous volez à un pauvremalade
sesmouchoirs de poche et
vousne voulez pasqu'il les
reprenne ».Quelque temps après, il faisait
de l'anémiecérébrale.
Nous regrettons de ne
pouvoir fournir
surdes faits intéres¬
sants, et que nous ne
connaissons
pasdu tout personnellement
d'ailleurs, des renseignement
plus étendus. Ils mériteraient de
faire l'objet d'une
étude longue et difficile, basée
surde
nom¬breuxcas personnels. Nous nous
contentons de signaler ici
cesétats mentaux des colonies, qui
pourraient à
euxseuls, parait-il,
fournir les matériaux d'un long
travail médico-légal.
LESDÉGÉNÉRÉS. LES ALCOOLIQUES. LES MORPHINOMANES
Dans ce paragraphe, avec
les dégénérés,
nousétudions les
alcooliques etles morphinomanes,
parce que cesderniers étant,
la
plupart du temps, héréditaires d'une atrophie du
sensmoral,
ils sontunis entre eux par ce
lien de parenté qui fait bénéficier
lesalcooliques et
morphinomanes,
gensdignes de
peud'intérêt,
d'une excuse
partielle.
Les
dégénérés sont légion dans la troupe et
pour cause :il
n'ya aucune
raison
pourqu'ils soient écartés
aumoment de la
sélection rapide
du conseil de révision. Qu'exige-t-on
eneffet
de l'individu destinéà devenir
troupier
oumatelot? Une force physique suffisante
pourremplir les obligations du service;
l'intelligence,
elle,
sonappoint est si
peunécessaire
pourfaire
d'un
pékin
unsimple soldat,
queseuls les idiots et les imbéciles
sont exclus del'armée
(et
encorebeaucoup d'imbéciles prennent
placedans
sesrangs). D'ailleurs, il n'y
pas queles individus d'in¬
telligence
médiocre qui soient des dégénérés
;ceux-là forment le
basdel'échelle de
dégénérescence. Combien plus nombreux sont
les
dégénérés supérieurs (déséquilibrés), qui peuvent jouir d'apti¬
tudes remarquables
mais spécialisées, et les faibles d'esprit?
— 17 —
Ceux-ci peuvent même exercer surceux-là leur
influence
et lesdéterminer à des actes de rébellion. Nous connaissons unfait de
cegenre, qu'ilnoussoit permis de le rapporter:au2me de marine,
àBrest, un
dégénéré supérieur
avait commeamis quatre autresdégénérés
et exerçait sur eux une influence considérable; il éla¬bora un beau
jour
un projet dedésertion
en masse dont il fit part aux autres qu'il décida à le suivre. Ceprojet
connu parunami qui intervint pour s'y opposer ne fut pas mis en exécu¬
tion. 11 eût été intéressant de connaître quelle partde responsa¬
bilité eût étéattribuée à chacun. C'est une question que nous n'essaierons pas de résoudre.
Les obsessions inoffensives sont, nous le savons, le plus sou¬
vent le fait des
dégénérés,
mais ils nesontpas exempts d'impul¬sions; avec la plus grande
facilité,
pour le motif le plus futile,ilsdélirent, surtout quand des habitudes alcooliques abaissent
encore la puissance de leur volonté déjà bien faible et leur niveau intellectuel. Les pyromanes, les kleptomanes et les im¬
pulsifs
au suicide, ne sontpasdéjà
gens si rares, mais le plussouvent ils tombent dans la manie,
lalypémanie
etl'idée
deper¬sécution.... étatque le militarisme fait naître quand il n'estque latent ou qu'il aggrave rapidement. « En
présence
de l'aggra¬vation presque subite au
régiment
d'un état resté pour ainsi dire latent pendant plusieurs années, on est en droit de se demander si la vie militaire ne prend pas une part active à cette évolution rapide. Nos maladesarrivent sous les drapeaux avec une nature paresseuse, portée à tous les écarts, ne se pliant à rien. Aussitôt, etaprès une transition de quelques heures seule¬ment, ils rentrent dans la vie commune,
réglée,
sobre, où l'em¬ploi de tous les instants estfixé d'avance, ils ytrouvent la disci¬
pline
dominant
tout etsi
peu faite pour eux. Dès le premier jour, lesoccupations de
toutes les heures seront une cause d'ex¬citation, d'autant plus qu'ils ne comprennent pas l'importance
de leur nouveau méfier, ouJa noble
résignation
avec laquelle il faut se soumettre à ses exigences. Gomment vont-ilsréagir
? Ilestpermis de le
prévoir
apriori,
d'après cequi aété
dit et en nous rappelant ladivision anatomo-pathologique
que nous avonsdonnée.
Ferris 2
— 18 —
Nous y trouvons les spinaux à réflexe
simple médullairè
d'autantplus vif qu'il est soustrait à l'influence cérébrale, leurs actes sont purement
automatiques;
les cérébrauxpostérieurs
à réflexe cortical
supérieur, éprouvant
des sensations mais n'ayant pas de mobile raisonné et dont les actes sont instinctifs etirrésistibles;
les cérébrauxantérieurs à réflexe cortical anté¬rieur, dont les
impulsions
et les obsessions sont conscientes mais instinctives ; chez euxaprès
délibération mentale, l'acte peut ou non seproduire;
enfin les cérébraux à réflexe purementpsychique
dont les obsessions, les idées fixes instinctives ne se transforment pas en actes.Chacun
répondra
donc auximpressions
perçues par des mani¬festations en rapportavec son
développement
cérébral et de là les actes instinctifs, les obsessions et lesimpulsions
des malades que nous avonsétudiés.... sur lesdégénérés
les punitions seront plus inutiles quejamais et leur attitude est toujours au môme titre un mauvais exemplepour l'armée.... Enfin ils(les dégéné¬
rés)
sedistinguent
surtoutpar desstigmates
physiques auxquelsle médecinne se
trompera
pas. Seulementcelui-cin'est pas assez souventappelé
à intervenir. Les supercheries, les ruses, les cas de mauvaise volonté quele commandement rencontre souvent le portent à « faire des exemples » dans l'intérêt de ladiscipline',
de l'instruction etde la bonne tenue des
troupes...
D'autre part, l'étude des
dégénérés
est touterécente,
si onexcepte les travaux de Morel; la question de responsabilité dans lesdivers états d'aliénation mentale est obscure. Aussi le méde¬
cinne sortirait pas de son rôle en faisant une fois deplus bénéfi¬
cier l'armée de ses connaissances
spéciales.
Il le pourrait en attirant l'attention sur lacatégorie d'irresponsables
que nousétudions,
en faisant ressortir leurirresponsabilité
et consécuti¬vement la nécessité d'une intervention plus large de sapart
(1).
»Que dire de l'alcoolisme dans l'armée '? Il en a déjà été trop
dit etnouspourrionsencore
trop
en dire. Témoindepuis
de lon-(i) La.ga.usse, LesDégénérés psychiques au point de vue du Service mili¬
taire(thèsede Bordeaux, 1893).
— 10 —
gués années à Brest, ville essentiellement militaire, des distrac¬
tions auxquelles se livrentnos
troupiers
etnos marins lesjoursde liberté, nous en avons vutrop souvent les
déplorables
résul¬tats devant le conseil deguerre. Onnous
objectera
sans doute quel'exemple
des Bretons n'est pas suivi partout. Sans dis¬cuter la valeur de cette opinion nous affirmerons que l'alcoo¬
lisme chronique, grâce surtoutau
règne
del'absinthe,
existe partout. Dans nos colonies il en est de môme : « L'alcoolisme est une plaie dans nosgarnisonsd'Afrique
où l'absinthe coule à flot; il est en train de le devenir aussi dans nos possessions d'outre-mer où le tafia remplacel'absinthe. Il est plus à redou¬ter pour nos soldats que le
voisinage
et lafréquentation
forcée des transportésdont lacontagion
est pourtant si pernicieuse : la preuve c'est que les troupes de nos coloniespénitentiaires (Guyane, Nouvelle-Calédonie)
où les hommes, mieux surveillés,trouvent moins d'occasion de s'enivrer, fournissent moins de
prévenus
que les troupes de nos coloniespénitentiaires (Antil¬
les, Réunion,
Cochinchine)
où les hommes rencontrent plus de facilité pour la consommation des liqueursalcooliques (rhum
et tafia, eau-de-vie de riz,etc...);
dans les premières les troupesde la marine ont, année moyenne,85
prévenus
et dans les secon¬des 45
([).
»« L'alcoolismedans l'armée, comme dans la population civile,
est l'un des
principaux
facteursde l'attentat. Les manquements les plusgraves, les crimes et les délits de toutes sortes sont tropfréquemment
commissous l'influence de l'ivresseaccidentelle,
quelquefois doublée d'uneprédisposition
latente héréditaire oubien sous l'influence de la réduction
psychique
déterminée par une intoxication chronique(*) ».'
Nous ne nous sentons pas le couraged'entreprendre
la défense de ceux qui se rendent cou¬pables de quelque crime dans un accès d'alcoolisme aigu, et cependanton ne saurait nier que si l'homme est responsable de l'état dans lequel il se
trouvait,
il ne doit pasêtre rendu respon¬sable des actes qu'il a alors commis. C'est un état où la volonté
(•) Corre, Aperçu généralsurla criminalitémilitaireen France.
20 —
estaffaiblie et la consciencerétrécie que celui de l'homme
ivre
; il délire parce qu'ilest intoxiqué,
et ausortir de là il n'a
con¬servé aucun souvenir dece qui s'est
passé. Mais
pour cequi est
des alcooliques
chroniques
on nepeut hésiter
;quelle
quesoit la
cause de l'aliénation, l'aliéné est un malade. Aussi « un alcoo¬
lique avéré doit être
écarté
del'armée
comme unindigne et
un irresponsable et comme undanger
pourtous
; on nepeut lui
confier ni une mission ni un poste ; on ne peut le
mettre
en faction ni en grand' garde, car il peut tout commettre,il est
irresponsable(2).
»Enfin les morphinomanes sontrares en France à
l'armée, très
nombreux dans nos colonies d'Asie; ce sont pour la plupart cles
héréditaires ; c'est, nous le
répétons,
l'excuse à laquelle ils ont droit.Tel est le bilan de la morbidité cérébrale dans nos armées.
Encore une fois lapathologie
cérébrale
y est à peuprès
com¬plète. Que de sujets dont le
médecin
militaire a le devoir de sauvegarder l'existence en les mettant à l'abri des sévéritésd'une loi à laquelle il leur estimpossible de se soumettre.
LES PASSIONNELS
Sous le nom d'insoumis passionnels nous
désignerons
unecatégorie
d'individus coupables dedélits
exclusivement mili¬taires
(désertion,
refusd'obéissance,
voies de fait envers unsupérieur"),
pouvantinvoquer
comme excuse de leur faute la révolte contre uneobligation
odieuse et qu'il serait injuste de confondre, comme on le faitgénéralement, avec les réfractairesau service, bien qu'ils étonnent par certaines particularités quand ils ont à comparaître pour la première fois devant les tribunaux militaires.
Très souventengagés volontaires, d'uneintelligence vive mais difficile à fixer; prompts à s'enthousiasmer pour de grandes
(*) Morache, Hygiène militaire.
- 21 -
idées, c'est avec
l'espérance
d'un avenirglorieux
qu'ils ont devancél'appel, impatients
de devenir militaires;aussileurcorps
de prédilection est l'infanterie de marine; ils ne pensent en l'ait de vie militaire qu'aux expéditions lointaines avec des actions d'éclat à accomplir et un bout de ruban ou de galon à gagner.
Voilà ce qu'ils sont en arrivant au corps : des hommes d'une moralité excellente
(casier
judiciaireblanc\
enthousiastes, trop enthousiastes du militarisme qui loin de réserver ses faveurs àces ardents, doit leur être funeste. Dans lespremiers temps, leur
zèle ne se laisse pas ébranler parles dures
obligations
et, des premières désillusions, ils ont raison en pensant qu'il faut être soldat avant de devenirgénéral. Intelligents,
d'une excellente conduite, d'une bonne volonté remarquable,les bonnes notes ne leur manquent pas et lepremier grade est franchi dans le temps minimum.Là semble être l'écueil; leur nouvelle situation ne leur offre (lue de nouveaux déboires, et la chute est d'autant plus rapide que leurs longs effortsles ont
épuisés. Quelques
punitions plusou moinsméritéesles entraînent à des fautes
légères
et, leur zèle loin d'être stimulé par les moyens en usage dans l'armée, ils sedécouragent
complètement; bienheureuxceuxqui dès lorsachè¬vent péniblement leur temps sans grave accident.
D'autres, dès les premierstemps se révoltent aux premières bourrades un peu
injustes.
Il n'est pasbesoin d'avoir véculong¬
tempsen milieu militaire ou d'être assidu aux séancesdes tribu¬
naux d'exception pour connaître cette odyssée de nombreux
engagés
volontaires. Aussi le président du Conseil de guerrefrappé
de cette chute sans transition desmeilleures notes à unemauvaise conduitene manque-t-il jamais de fairepart à l'accusé de sasurprise, entermes sévèresmais mérités auxyeux de celui qui ne comprend pas que le militarisme a briséet va briser
davantage
un organisme supérieurement apte au militarisme....Le conseil, quelle que soit l'excuse, quelle que puisse être son
indulgence,
est forcéde condamner.Nous avonsvusortir de prison ou revenir des travauxpublics quelques-uns de ces malheureux, enayant fini tantbienque mal
22
rivej le militarisme. Mais
beaucoup
y restent pourrécidive in¬
tentionnelle,
préférant
vieillir sousle soleild'Afrique
quede
devenir citoyens libres dans d'aussi mauvaises
conditions
etquelques-uns sont débarrassés,
dans undernier acte de révolte,
d'une vie trop
pénible.
Si les passionnels au contraire ont
la
chancede partir
assez tôt auxcolonies, ils peuvent montrer toutes leursqualités.
Ladiscipline, ici, n'est plus la même; l'intimité est plus grande
entre
supérieurs
etinférieurs
qui ontbesoin depouvoir
compterles uns sur les autres; et, alors, capables d'un
dévoùment
sans limites pourcertains de
leurschefs, ils forment
en campagneune troupe
d'élite
avec laquelle on peut tout risquer. Et bien,n'est-ce pas là le seul
but
dumilitarisme?
D'ailleurs, dans l'in¬fanterie de marine, beaucoup d'officiers
(et nombreuxparmi
eux sont lespassionnels), précisément grâce à
cettevie
communeavecle soldat inconnue des officiers des autres corps de
troupes,
ont pour ces « têtes
brûlées
» unegrande estime,
sachant cequ'on peut attendre d'elles. Il
faut donc
reconnaître que, sur cesgens-là, la dure
discipline
militairevoulant
unifier tout et ré¬duire les intelligences bonnes ou mauvaises à une obéissance passive,
mais
troprésignée, produit des résultats désastreux.
Elle
prive l'armée de serviteurs excellents et
marquesouvent dusceau de la criminalité des hommes que l'honnêteté civile aurait laissés sans taches.
Cequi domineen
général
chez(le
passionnel, c'est un grand esprit de justice. Voilà la vraie cause de la révolte. Ils croient dans leur enthousiasme, que larègle unifiante
les mettraàl'abrid'injustices;
ils connaissent trop tard la réalité.Toutes les duresobligations,
ils lesacceptent;mais
accepteront-ilsaussi les bour¬rades imméritées? C'est qu' « ilne vous suffit pas d'imposerune
règle
établie jadis pour descatégories
inférieures indistincte¬mentà des citoyens de toutes cultures, de ramener le savant, l'artiste, le religieux, l'ouvrier, le paysan de
vingt
et un ans à quarante-cinqans sous la même loi rigoureuse etrétrécissante;
de soumettre, sans palliatif, des
citoyens
enlevés dujour
au lendemain à la vie civile et à la famille, à
l'omnipo¬
tente autorité de professionnels, sans
égards
pour les dé-- 23 —
lauts d'assuetude au milieu
régimentaire.
Vousexigez
encore de cespékins
le sacrifice de tout amour-propre devant l'injure sanglante, l'impassibilité devant lesbourrades,
même l'obéis¬sanceau commandement d'actes qu'ilssont physiquement inca¬
pables
d'exécuter...
Et si le supérieur est la cause de catastro¬phes, d'accidents, de réactions
désespérées,
vousméprisez
à cepoint l'opinion
indignée
que vous assurezl'impunité
à un cri¬minel parce que ce criminel a le droit d'être tel au nom d'un code particulier effaçant tous les autres ! C'est de la
discipline
nécessaire, exclamez-vous, c'est ainsi qu'on obtient des armées fortes et invincibles... Je prétends le contraire. C'est de l'indisci¬pline latente que vous disséminez dans les rangs de l'armée nationale. Vous préparez, parles rancunes et les
dégoûts
encoredissimulés,les désobéissances futures et la dislocation finale»
(*).
Sans
épouser
la violenteindignation
deces lignes, il faut recon¬naître qu'elles contiennent une grande part de vérité. Aunom de lahiérarchie les
supérieurs
se confèrent souvent sur les infé¬rieurs des droitstrop illicites; au nom de la hiérarchielesergent
brutalse permet d'insulterle soldat. L'homme résiste d'abord
au
premier
mouvementd'indignation,
sentimentcomplexe
de colèreetd'impuissance
surtout contre de pareilsprocédés,
mais comment se maîtrisertoujours
aumilieu de tant d'avanies ? Et bien « la disciplineutile doit avoirses limites et dans tous lescas comporter dansses applications la sanctionrigoureuse d'une
responsabilité
effective àchaque degré
de la hiérarchie(2).
»« On étonnerait
beaucoup
certains des grands chefs en leur annonçant que le dernier des hommes, fût-ce le dernier des for¬çats, détientencore une part
imprescriptible
de dignitéhumaine même d'humanitétranscendante et que le meilleur moyen de ladévelopper
enlui, c'est de la lui reconnaître... Aux blancs de laMartinique,
parlez del'émancipation
desnègres
mais ne pariez pasàunFrançais del'«âme»desessubalternes. Que ferait-ildonc?ilsourirai
t(3)».
Noussommesheureux dereconnaître pourtantqu'il (û Corre, Militarisme.(-) Corre, Militarisme.
(3) Jean Aicard, Le Pavé d'Amour.
n'en
estpasainsi danstoutmilieumilitaire.
«Dans la marine, l'offi¬
cier aimelematelotparce
qu'il le connaît à fond, et le matelot aime
l'officierparce
qu'il n'ignore
pasqu'il
auratoujours
sonappui et
qu'entreeuxil
yauratoujours partage des misères et des dangers;
l'unaconfiancedans l'autre. Grâce à cette
réceptivité
lamarine
forme un tout d'une
homogénéité remarquable,
oùl'on
nedé¬
couvre quelques
dissonances qu'en certaines petites catégories précisément trop imbues de vanités et de prétentions
peujus¬
tifiées
(*).
»Quelquefois les victimes d'attentats passionnels
comprenant qu'enpareilles circonstances la justice
e sinjuste, refusent de
livrer les coupables. Nous
connaissons trois faits
de ce genre dont deuxappartiennent à la marine. Un jour, le
docteur G...,alorsjeune
médecin de
l'e classechargé à
l'hôpital maritime de Brest, du service des détenus del'Hercule (bâtiment des
disci¬plinaires
de la marine) fut,
sansraison,
enpleine
salle,insulté grossièrement et menacé d'un
coupde
couteau par un hommede vingt-deux
à vingt-trois
ansqui avait déjà accumulé
sur sa tête pour faitsd'indiscipline
unnombre considérable
de puni¬tions. Il ajoutaque ce qu'on lui ferait ensuite lui serait bien
égal,
que ceserait tant mieux si
onle tuait; il aimait
mieux en finir. Comprenantà
qui il avaitaffaire,
lemédecin
secharga
demâterson personnage sans avoir recours à la justice militaire.
11 le fit enfermer dans un cabinet où le lendemain,
pénétrant
seul, il lemit au défi de lever la main sur lui et laissant de côté les menaces il lui fit comprendre tout cequ'avait
d'odieuxsa conduite aupoint de vue purement humain. « Ce fut, depuis cejour, nousdit le docteur G..., un repentant sincère et même un auxiliaire utilecar il se multipliaitpour nous rendre à la sœur et à moi tous les services imaginables. Celui-là était un simple passionnel. Qui oseradire que le conseil de guerre eût dû con¬
naître son cas, et, en supposant qu'il eût été
jugé,
qui eût oséapplaudir à
une condamnation mêmeaux travaux forcés ! » C'est là le cas fréquent où l'individu pour se débarrasser du milita-(i) Corre, Militarisme.