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Dans un premier interrogatoire, le 5 mars, l'accusé répondit à la question : Quelles sont les raisons qui vous ont poussé à cette tentative

d'assassinat?Aucune;j'ai tiré surle capitaine, je l'ai manqué, tant mieuxpour lui.

D'ailleurs le témoignage de

tous ceux

qui

avaient

connuBordelais vint confirmer qu'il n'avait aucunehaine contre le ca¬

pitaine, qu'il n'avait

jamais proféré de

menaces à son

égard;

au

con-Ferris 3

traire,il disaitque son capitaine étaitun charmantgarçon et qu'il était heureux à sa nouvelle compagnie, depuis qu'il avait été cassé de caporal.

D'ailleurs, il eût été facile au coupabled'invoquer de sa partune ma¬

ladresse au lieu de s'accuser ouvertement, personne n'ayant vu son

acte.

Lecapitaine, dans son rapport, concluait du reste que rien dans les antécédents11e pouvait faire prévoir un pareil attentatet que cette con¬

duite avait puêtre dictée par un mouvement de folie.

Ce ne fut que dans un second

interrogatoire,

le 14 mars, que l'accusé invoquacomme motif desonattentat le fait suivant :

S'étant fait porter maladele 27 février auréveil,il ne fut pas inscrit par le caporal, sans doutepar inattention et se présenta à la contre-visite le soir avantla marche. Cette contre-visite ne fut pas passée et il futpunicomme s'il avait étéreconnunon malade.

Il demanda alors poliment à son capitaine l'autorisation de réclamer et, le 28 au matin, il adressait àson colonelune réclamationtrès conve¬

nable quele coloneltransmitau lieutenant-colonel. Malheureusementle

caporal coupable de l'omission répondit que Bordelais ne s'était pas fait porter malade. Ilremonta dans sachambre, irrité contre tous, depuis

lecaporal qui avait refusé de dire la véritéjusqu'au colonel qui allait

luiinfligerune nouvellepunition. Il était en train de nettoyer son fusil quand le capitaine entra dans la chambrée. Il chargea son fusil à balle etse demandasur qui il devaittirer, lecapitaine oului-même; c'est ce

qui donna à celui-làle temps de traverser la chambrée.

Dansune lettre adressée à sondéfenseur, qu'il prie d'ailleurs de ne pasledéfendreen ce sens,ne voulantpasêtre traité de menteur, il dit qu'il avait parfaitementvu la mire de son fusil à gaucheet quele capi¬

taine étantsansdéfense il n'avait pas voulu letuer

(il

est eneffet impos¬

sible qu'à cinqousix pas,

c'est-à-dire,

presqueà boutportant, un soldat habitué autir depuisprès de deux anspuisse manquerson

but)

il n'a

pas voulu commettre un crimelâche, mais il a commis une tentative pourlaquelle il veut être puni et regrette de voir changer son cas en voies de fait, ce qui pourrait le faire condamnerà la prison et non à la peine de mort.

Malgrétout ce que l'enquête révèle

d'illogique

dans cette action,

malgré les antécédents maladifs de Bordelais qui était presque constam¬

ment malade

peine vingtjours de service consécutif sur trois mois,

d'aprèsson

capitaine),

d'uncaractèretrès triste, comme le témoignent les lettres desa famille, beaucoup plus affecté depuis quelque temps

parce quil n'avait pupartirau Sénégal,sa destination, à cause de son état maladif, l'instruction ne fit pas faired'examenmental etle commis¬

saire du gouvernement conclut dansson réquisitoire,rien à l'instruction

navantfaitprévoir qu'il n'ait pas agi dans toute la plénitude de ses

lacultés,à la condamnationpourvoies de faitenvers un supérieur com¬

misesavecpréméditation.

Cequi aurait dû être évident pour tous ne pouvait échapper au défenseur qui plaida l'irresponsabilité, s"appuyant sur les faits sui¬

vants :

L'attitude de l'inculpé après son action, s'accusant ouvertement:

« C'estmoi. mon capitaine J'ai tiré parce que cela m'a plu», alors qu'il eût étéfacile àuncriminel vulgaire do prétexter une maladresse puisquepersonnene l'avait vu tirer.

2° Sapremière déclaration qu'il n'avait aucune raison de commettre cet acte et saseconde déclaration qu'il avait tiré sur son capitaine pour tirersur quelqu'un, n'osant tirer surlui-même.

3° Les témoignages prouvant qu'il n'avait aucune haine contre son

capitaine.

L'opinion d'unepersonnetrès autorisée noncitée à l'audience.

Il suppliaiten conséquence le conseil de déférer l'accusé à un examen

médical. Unrefusdédaigneux lui fut opposéetl'accusé,reconnucoupable

de voies de fait, aveccirconstances aggravantes fut condamné à mort.

Lesjuges refusèrenten outre designerun recours en grâce.

Il s'agissait néanmoins desauver la vie dece malheureux.

Ledocteur Corredont lacompétenceencriminologieest indiscutableavait étudié attentivement l'affaire : son opinion qu'il ne pouvait émettre, n'ayant pas été consulté, était qu'on avait affaire à un neurasthénique.

Spontanément il écrività Me Dubois et lui transmit une lettre mé¬

dico-légale protestant contrele refusd'examen mentalet concluant àla neurasthénie de l'accusé ayant droit à une irresponsabilité au moins partielle, en se basant surtout sur l'idéeindirecte de suicide(il voulait

setuer; n'osant le faire et pour se débarrasser de l'existence, il a tiré

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sur soncapitaine, il eût tiré sur n'importe

qui).

Cette

lettre

médico-légale fut transmiseà la présidence et, grâce àcette admirable initia¬

tive, lapeine de mortfutcommués-en celle de quinze années de déten¬

tion.

Enfin,au mois d'avril 1893, Bordelais fut libéré conditionnellement

auboutde cinq ans de détentionà causede sa bonne conduite.

Nous ferons remarquer que cette tentative d'assassinat n'a pas été

commise dans un accès de neurasthénie aiguë qu'aurait déterminé la punition qui menaçait l'accusé. Ce dernier était neurasthénique depuis longtemps; il était, si nous pouvons ainsi dire, neurasthénique de tem¬

pérament, ce que M. Janet appellerait de la psjchasthénie.

Certes, il est bien rare de voir refuser aussi brutalement un examen mental et cependant en voilà deux exemples graves de

conséquences.

De tels magistrats se font sans doute de Injus¬

tice une idée bien étroite pour se prononcer aussi à la

légère

sur une question bien embarrassante souvent pour les hommes les mieux

expérimentés.

On veut troubler la conscience des

jurés,

disent-ils; ne la troublent-ils pas, eux, en affirmant des erreurs. On dirait vrai¬

ment qu'une condamnation leur est une bonne aubaine, que tout

inculpé

est une

proie

qu'ils craignent de voir leur

échapper.

Que font-ils de leur conscience et de leur honneur au nom des¬

quels seulement la loi leurreconnaît le droit de porter un juge¬

mentsur leurs semblables.

En

présence

des faits que nous venons de citer, il nous est permis de

déplorer

que rien

n'oblige

le magistrat, en aucune

circonstance, à avoir recours au

témoignage scientifique

du