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Guerre et littérature de jeunesse française (1870-1919). De la voix officielle à la matérialisation littéraire et iconographique Tome 1

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iconographique Tome 1

Laurence Olivier-Messonnier

To cite this version:

Laurence Olivier-Messonnier. Guerre et littérature de jeunesse française (1870-1919). De la voix officielle à la matérialisation littéraire et iconographique Tome 1. Littératures. Université Blaise Pascal - Clermont-Ferrand II, 2008. Français. �NNT : 2008CLF20003�. �tel-00681071�

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UNIVERSITE BLAISE PASCAL – CLERMONT II U.F.R. LETTRES, LANGUES ET SCIENCES HUMAINES

Doctorat Littérature française

Laurence OLIVIER-MESSONNIER

GUERRE ET LITTERATURE DE JEUNESSE FRANÇAISE (1870-1919)

De la voix officielle à la matérialisation littéraire et iconographique

Tome I

Thèse dirigée par M. Robert PICKERING

Soutenue publiquement le vendredi 27 juin 2008

Jury :

- M. Christian CHELEBOURG (Maître de Conférences Habilité, Université de la Réunion – rapporteur)

- M. Jean-Pierre DUBOST (Professeur, Université Blaise Pascal) - M. Francis MARCOIN (Professeur, Université d’Artois – rapporteur)

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tous ceux sans qui cette entreprise n’aurait pu aboutir : Monsieur Robert Pickering, mon directeur de thèse, qui a convaincu Messieurs Christian Chelebourg et Francis Marcoin, spécialistes de la littérature de jeunesse, de s’intéresser à mon travail. Ma gratitude va également aux conservateurs des fonds précieux découverts à la Bibliothèque de l’Heure Joyeuse, à la Bibliothèque de la Joie par les Livres, à la Bibliothèque nationale de France, aux bibliothécaires du fonds patrimonial de la Bibliothèque de Moulins et de la Bibliothèque de Montluçon. Merci aux collectionneurs spécialistes de la Grande Guerre, aux directeurs d’établissements scolaires et aux généreux prêteurs bibliophiles, qui ont fourni un substrat indispensable à ce document. Enfin ma reconnaissance va aux miens, à mon fils et à mon époux qui m’ont insufflé l’énergie nécessaire pour dépasser les doutes inhérents à toute recherche.

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INTRODUCTION

«Maxima debetur puero reverentia »1 I

L’homme qui germe au cœur de l’enfant est façonné et sculpté à la gouge de ses lectures. « Essaierez-vous de corriger l’automne ? Si vous voulez des fleurs plus belles, agissez sur le printemps. »2 La métaphore de Paul Hazard justifie le respect dû à l’enfant par le truchement des livres qui lui sont offerts et conditionnent sa maturité. Le renouvellement des ouvrages qui lui sont destinés, est subordonné à l’inculcation culturelle et idéologique désirée par les penseurs ou les pédagogues. Le 19e siècle a particulièrement œuvré à la reconnaissance de l’enfant tant sur le plan littéraire que pédagogique. L’enfant héros, né de l’introspection romantique, acquiert un statut qui s’affirme au cours du siècle à une cadence rapide : à partir de 1870, presque chaque année voit surgir une publication dont il est le sujet. L’action en faveur de l’enfance date essentiellement de la seconde moitié du 19e siècle grâce aux étapes décisives des sciences de l’éducation. La petite enfance est l’objet de toutes les attentions dès le début du siècle avec la création des « salles d’asile » en 1828, imitées des « Infant Schools » anglaises. La ligne de pensée de Madame Pape-Carpantier est suivie par Jules Ferry, dont le ministère libéral et « laïcisateur » va favoriser l’intégration des enfants d’âge préscolaire.

Un immense champ s’ouvre donc à ceux qui détiennent entre leurs mains la formation des esprits juvéniles : les éducateurs de la nation et les concepteurs de livres pour enfants. Cette donnée, essentielle au développement intellectuel et moral des plus jeunes, est prise en compte par les officiers de l’Instruction publique et les auteurs de jeunesse, qui ont saisi l’aubaine de la scolarisation massive et de l’alphabétisation instaurées par la Troisième République. Le 19e siècle n’a pourtant pas été le premier à s’intéresser au bonheur de l’enfance : le Moyen Age célèbre le culte de l’enfant à travers des chansons de geste dont il est le héros ou bien à travers l’exaltation de la Vierge et de l’Enfant des vitraux des cathédrales. L’art chrétien glorifie l’enfant dont seule, l’Eglise pourvoit à l’instruction. L’humanisme de la Renaissance le met à l’honneur grâce à Rabelais et sa proposition d’une éducation idéale dans l’abbaye de Thélème. Le 17e siècle oppose deux conceptions de l’éducation de l’enfant : la sévérité à son encontre et les sévices corporels préconisés émanent

1 « Le plus grand respect est dû à l’enfant » : le précepte antique est rappelé par Victor Toursch dans sa thèse,

L’enfant français à la fin du 19e siècle d’après ses principaux romanciers. Paris, Les Presses Modernes, 1939.

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d’une vision biblique de l’homme coupable, qui a transmis ses fautes à ses descendants. Fénelon conseille au contraire la douceur et le dialogue. Le 18e siècle et la Révolution bouleversent l’ordre social et contribuent au développement d’une pensée individualiste, avec Rousseau qui conseille l’amour de l’enfant tel qu’il est. De ces transformations, la littérature du 19e siècle se fait l’écho. Toutefois, si des pédagogues comme Ferdinand Buisson ou André Lichtenberger posent la question des méthodes pédagogiques et de la psychologie enfantine, il faut attendre la thèse de Marie-Thérèse Latzarus, La Littérature enfantine dans la seconde

moitié du 19e siècle3, pour obtenir un regard distancié sur une littérature qui n’est plus jugée

comme secondaire ou inférieure.

Consacrer une thèse à la littérature de jeunesse est une entreprise paradoxale qui requiert un jugement adulte sur des productions destinées à la fraîcheur des esprits juvéniles. Ce travail s’inscrit à la fois dans une démarche analytique générale de la production livresque enfantine et de ses satellites parascolaires, et dans un parcours professionnel personnel, consacré depuis plus de vingt-cinq ans à l’enseignement de la littérature aux plus jeunes. En effet, après avoir côtoyé, éveillé, guidé des élèves de deux à vingt ans, nous avons désiré étudier ce qui leur était proposé, il y a maintenant cent ans, dans un cadre scolaire mais aussi dans leur vie quotidienne en dehors des murs de l’école. Pourquoi ce choix ? Nous aurions pu nous intéresser à la littérature de jeunesse contemporaine, mais cette dernière est encore peu diffusée auprès des lycéens. Nous avons préféré la distanciation nécessaire à la réflexion sur un domaine encore mal défini, méconnu mais existant de longue date. L’immersion dans les méandres de l’histoire nationale et l’étude conjointe de la littérature qui en émane, sont de puissants révélateurs des mentalités adultes et juvéniles.

Le travail sur la production livresque à destination des enfants en temps de guerre se situe au confluent des axes sociologique, politique, pédagogique et littéraire. Le livre pour enfants, qu’il soit scolaire ou non, est le réceptacle émotif et éthique des idées sources jaillies en amont, de la société qui les essaime. Son impact sensitif sur le lecteur est bien compris par les auteurs et les éditeurs, a fortiori dans une période troublée par les guerres. Avant 1870, la sériation opérée répond à la visée éducative ou récréative. Cette dichotomie se rattache à l’antagonisme entre l’art et la morale, mis au jour par Flaubert et Baudelaire qui revendiquent la liberté pour l’ « artiste ». Cependant, il est difficile sous le Second Empire, de résister aux sirènes mercantiles des commandes éditoriales. La conception moderne de l’art opposé à tout didactisme n’est guère viable dans le domaine de la littérature enfantine.

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Les robinsonnades font florès, les romans idéalistes, réalistes ou misérabilistes sont accompagnés du roman national initié par Erckmann-Chatrian. La Comtesse de Ségur, Zénaïde Fleuriot, Jules Verne, Hector Malot font des émules parmi les auteurs patriotiques de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle. Paul d’Ivoi, le Capitaine Danrit en sont les épigones. La narration prime au milieu des genres hétérogènes répertoriés. Elle peut faire vibrer grâce aux trépidations aventurières des conquérants dans un univers changeant, elle peut rassurer par l’installation de personnages sages et conventionnels dans un milieu immobile et confortable. Les chansons conservent un air romantique par l’enfance qu’elles invoquent. Elles constituent un filon prospère agrémenté par les images de Boutet de Monvel. La poésie enfantine issue du modèle hugolien fleurit la plume de Ratisbonne, de Laprade ou de Coppée, très prodigues en temps de guerre. Bien que le magazine ne soit pas un genre littéraire, il témoigne d’une dynamique à l’intention des enfants : elle adapte les genres traditionnels à son destinataire par la métamorphose du roman en roman-feuilleton, la transformation des contes en historiettes, la transfiguration du théâtre en saynètes, la réécriture d’apologues inspirés des fabulistes antiques ou classiques.

Les rubriques inhérentes au journal témoignent du désir d’instruire en divertissant, de lier l’utile à l’agréable. Cette nouvelle presse à destination des enfants soulève un problème moral et littéraire pour les spécialistes de la littérature et les parents. A la question éthique posée par des textes jugés parfois inconvenants, s’ajoute la remise en cause de leur valeur littéraire. Les productions sont dépourvues de haute tenue littéraire et ne satisfont pas aux exigences intellectuelles et émotives des enfants, dit-on. Entre les plaisirs faciles et les plaisirs délicats, le choix est difficile pendant les cinquante années qui séparent la défaite de Sedan du Traité de Versailles. Soucieux de marquer l’empreinte de l’histoire nationale prestigieuse, les auteurs et les illustrateurs pour enfants ont parfois dû brider leur imagination ou bien l’adapter aux circonstances, pour satisfaire l’entreprise d’acculturation des esprits juvéniles.

Les élèves d’aujourd’hui sont curieux de savoir ce qui était proposé à leurs pairs d’antan. Ils expriment leur étonnement quant à la facture des textes qui leur étaient soumis, et surtout quant à l’axiologie qu’ils véhiculaient. La subordination aux instructions officielles s’impose à eux. C’est d’ailleurs celles de 2001 qui ont permis de les initier aux travaux personnels encadrés et de leur rappeler les bases d’une éducation civique, juridique et sociale concomitamment à l’enseignement du français. La technique d’autonomie préconisée est un outil performant d’analyse des phénomènes sociologiques et littéraires d’une période historique déterminée : 1870-1919. La sélection de ces cinquante années d’histoire littéraire

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est liée à l’étude d’ouvrages recommandés aux lycéens et puisés aux sources mêlées du décadentisme, du réalisme, du naturalisme et du surréalisme.

Les lectures de Huysmans, de Daudet, de Zola, de Maupassant, d’Apollinaire, de Cendrars, pour ne citer que les auteurs les plus commentés, contribuent à l’éveil d’une curiosité sans cesse sollicitée par des questionnements d’ordre historique, éthique et politique. Comment expliquer Boule de Suif sans évoquer l’occupation prussienne née de la défaite de Sedan ? Comment analyser La Débâcle sans mentionner la chute du Second Empire et la trahison de Bazaine ? Comment comprendre « La fantaisie et l’histoire » des Contes du lundi, sans connaître les implications du Traité de Francfort et l’annexion de l’Alsace-Lorraine par l’Allemagne ? Comment sensibiliser aux Poèmes à Lou sans se référer à la Grande Guerre et aux fulgurances poétiques qu’elle a engendrées ? Comment apprécier la prose ardente et sincère de La main coupée sans connaître l’horrible boucherie de 1914-1918 ?

L’étude de mouvements littéraires est consubstantielle à la connaissance de l’histoire et des facteurs politiques et sociaux qui les ont générés. Les perspectives d’étude proposées par les instructions officielles de 2001 et de 2006 recommandent une analyse argumentative, rhétorique, générique, génétique et culturelle des productions livresques du 16e au 20e siècles. Le choix d’ouvrages s’échelonnant sur cinquante années de vie littéraire française, encadrée par deux guerres, s’avère fructueux tant sur le plan pédagogique que didactique. L’intérêt accordé à des événements politiques qui ont marqué la France, l’Europe, le monde, sélectionne des œuvres en phase avec l’actualité, et capables d’émouvoir un siècle plus tard.

Découvrir ce qui conditionne l’apprentissage de l’instruction civique et morale des enfants, de 1870 à 1919, permet de mesurer l’évolution des techniques pédagogiques à l’aune des réactions des élèves actuels. La conscience d’une inféodation des ouvrages offerts à la lecture scolaire, quel que soit le siècle envisagé, décille les yeux sur la corrélation entre la voix officielle et sa matérialisation littéraire et iconographique. L’élève est sollicité dans sa réflexion sur une littérature née d’un phénomène politique. Le recul qui lui est demandé, l’oblige à se départir de préjugés tenaces à l’encontre de textes considérés comme inabordables. Pour les aborder, il faut tenir compte du passé et du présent, de « tout le passé, car la langue, la littérature et la culture ne prennent sens que dans leur perspective historique. »4

Ainsi, l’étude de livres extrascolaires et de manuels destinés à des enfants de cinq à treize ans s’adjoint naturellement à celle des textes de littérature française de la période

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envisagée. Les débats marquants de l’histoire culturelle ne peuvent être éludés, dans une perspective épistémologique. Comprendre l’art de démontrer, de convaincre et de persuader, passe par un travail sur l’argumentation et notamment l’introduction à la « littérature d’idées ». L’analyse rhétorique de discours épidictiques suppose la comparaison entre des textes littéraires et non littéraires. Le statut de la vérité visée est subordonné à la position de l’énonciateur dans son discours. La démonstration de la nécessité du triple théorème de l’instruction gratuite, laïque et obligatoire, a pour méthode la logique, et pour moyen le calcul. La cohérence du raisonnement aboutit à l’affirmation d’une vérité générale. Cette optique d’analyse des formes de l’argumentation relève du délicat raisonnement distancié et de l’usage circonstancié du langage, tendu entre la sécurité rationnelle et objective de la preuve, et le risque de manipulation trompeuse et subjective. Soumettre à l’appréciation des élèves une démonstration, une harangue, un discours prônant la laïcité comme celui de Jaurès, ou l’effort de guerre comme ceux de Poincaré, de ses ministres pendant la Grande Guerre, invite à réfléchir sur les enjeux des décisions étatiques.

On peut argumenter de différentes manières : l’injonction, les arguments qui relèvent de « l’ultima ratio regis » constituent la forme la plus radicale des discours. Convaincre et persuader sont les deux axes de l’argumentation qui peuvent se mêler. Il n’est de meilleure illustration à cet égard, que les textes phares proposés aux élèves de la fin du 19e siècle et du début du 20e siècle à propos de la guerre franco-prussienne et de la Grande Guerre. Les scansions majeures de l’histoire littéraire ne peuvent s’appréhender que par les effets produits et la relation avec les registres et les genres. Les poètes occupent une place de choix dans cette perspective idéologique couvrant cinquante années de littérature de jeunesse, de 1870 à 1919 : Hugo, Maeterlinck et Déroulède côtoient Goethe et Rilke.

Cette approche de la « littérature d’idées » perdure du 19e au 21e siècles. Elle se fonde sur des textes littéraires sans pour autant exclure d’autres modèles. La réflexion sur les moyens et les finalités de l’argumentation introduit les élèves à la connaissance d’auteurs dont l’œuvre relève pour l’essentiel de la littérature dite « d’idées ». Cette propédeutique à la réflexion philosophique ancrée dans la littérature, permet de spécifier ce domaine en français par rapport aux sujets traités en éducation civique. Curieusement, les propos que nous tenons, semblent les échos lointains de ceux qui armoriaient les préfaces des manuels de lecture courante de G. Bruno ou de Jean Aicard5 au 19e et au 20e siècles. A un degré moindre en matière de patriotisme et de « morale en action », les problématiques envisagées demeurent :

5 G. BRUNO, Le Tour de la France par deux enfants. Paris, Belin, 1877.

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littérature et altérité, littérature et éducation, littérature et politique, littérature et guerre, sont au cœur des instructions officielles de 2001 tout comme elles l’étaient en 1881-1882, et dans les programmes de 1870 à 1919. « Le lien avec l’éducation civique, juridique et sociale est manifeste. »6

Le regard porté sur l’autre et la réflexion sur la colonisation sont déjà le fer de lance de Jules Ferry en 1882. L’incitation à réfléchir à l’histoire des débats sur l’éducation du 16e au 20e siècle, résonne comme un écho de la célébration des bienfaits de l’école républicaine mise à l’honneur par G. Bruno ou Antoine Chalamet7 au 19e siècle. L’invitation à analyser les textes portant sur le débat démocratique, sur sa critique ou sur ses objets, à partir d’ouvrages de Hugo, de Zola ou de Jaurès trouve naturellement son prolongement dans l’examen des « Livres Rose de la Guerre » de Larousse ou de la presse enfantine de 1914 à 1918. Le regard de l’adolescent du 21e siècle sur ce qui était donné à lire aux enfants d’autrefois, révèle les failles d’un système pédagogique directif et propagandiste ainsi que la force persuasive née de l’image et du texte. L’exhortation à l’étude de textes romanesques, de pamphlets, de documents visuels et cinématographiques du 19e et du 20e siècles, s’inscrit dans la droite lignée des explications de textes demandées dans les manuels de Jean Aicard en 1915, des sujets d’invention requis dans le livre d’Antoine Chalamet dans les années 1890, ou bien des informations fournies aux héros du Tour de l’Europe pendant la Guerre de G. Bruno8 en 1916.

Les affiches de Poulbot, les lettres autographes, les caricatures de Hansi, les poèmes cocardiers de Déroulède n’ont plus le même impact aujourd’hui et suscitent une interprétation distanciée. Ils ont perdu leur visée d’embrigadement mais n’en demeurent pas moins de précieux atouts pédagogiques pour mesurer les progrès du libre-arbitre accordé à l’enfant en un siècle. Les débats provoqués mènent sur les sentiers de l’analyse axiologique. L’intégration de documents historiques et pédagogiques comme ceux de Philippe Ariès, d’Emile Durkheim ou de Jules Ferry9 apportent une vision externe et critique souvent absente des textes littéraires. L’utilisation de textes juridiques sur la loi Falloux de 1850, de propositions pédagogiques émanant de Ferdinand Buisson, d’Ernest Lavisse ou d’André Lichtenberger, confèrent à cette entreprise une richesse inédite. Le travail effectué sur les

6 Français, classes de seconde et de première, op. cit., p.42.

7 Antoine CHALAMET, Jean Felber. Paris, Alcide Picard et Kaan, s.d. 8 G. BRUNO, Le Tour de l’Europe pendant la Guerre. Paris, Belin, 1916.

9 Français, classes de seconde et de première, op. cit., p.43. Les trois références suivantes apparaissent :

Philippe ARIES, L’Enfant et la Vie familiale sous l’Ancien Régime. Emile DURKHEIM, L’Education morale.

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représentations littéraires et iconographiques de la Grande Guerre en travaux personnels encadrés, l’analyse de la presse enfantine de 1914 à 1918 dans le cadre de l’instruction civique, des thèmes de la défense et de la patrie, ouvrent d’innombrables perspectives de recherches. De cette expérience pédagogique est né le désir d’examiner les rapports entre la voix officielle et la littérature de jeunesse entre 1870 et 1919.

II

Cette période encadrée par deux conflits est propice à l’analyse des liens entre guerre et littérature enfantine. La coexistence entre les guerres et la littérature de jeunesse française entre 1870 et 1919 soulève le problème du rapport aux recommandations institutionnelles : de la voix officielle à la matérialisation littéraire et iconographique, la transmission des décisions suit différents chemins. Comment la voix officielle se communique-t-elle à la littérature de jeunesse ? Quel impact a-t-elle sur les productions enfantines ? Quels moyens littéraires et iconographiques sont mis en place pour la restituer ? A ces questions de translation informative et idéologique s’ajoute le problème du contexte historique. En effet, il faut s’interroger sur les répercussions de la défaite de 1870 sur les discours officiels et donc sur les livres destinés aux plus jeunes. L’influence de la Grande Guerre est-elle de même nature ? L’interrogation porte aussi sur la poétique10. Ces phénomènes affectent-ils la liberté créatrice des auteurs de jeunesse ? Trouve-t-on, pendant ces cinquante années, uniquement des ouvrages s’inscrivant dans la ligne de pensée édictée ou bien en existe-t-il de subversifs ou de critiques ? Le cœur de la problématique réside dans la question de l’obédience ou de la déviance par rapport aux consignes gouvernementales, d’une littérature scolaire et extrascolaire.

De la défaite de Sedan au Traité de Versailles, l’insinuation des consignes institutionnelles au sein des œuvres pour enfants varie. De nombreux facteurs expliquent ces fluctuations. Trois paramètres déterminent la recherche d’informations nécessaires à l’élaboration d’une thèse : la voix officielle, la littérature de jeunesse, le public sont des entités à cerner. La définition préliminaire du champ d’investigation évite toute dispersion dans une jungle littéraire et administrative. La voix officielle dont nous avons retenu les échos est celle du Ministère de l’Instruction publique de 1870 à 1919, du Journal Officiel et des

10 Le mot « poétique » est à prendre au sens où l’entend Bachelard dans La poétique de la rêverie : une

dynamique de création, un état d’âme naissante qui émane de la rêverie, une puissance psychique de poétisation. Source : Gaston BACHELARD, La poétique de la rêverie. Paris, PUF, 1974, pp.14-15.

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recueils de lois, décrets et règlements concomitants. Elle est aussi proférée par les instances militaires en temps de guerre ou peut même émaner de l’étranger, de l’Allemagne ou des Alliés, en particulier pendant la Première Guerre Mondiale.

L’expression « littérature de jeunesse » est elle-même complexe, déviée en « littérature pour enfants » ou « littérature enfantine ». Sa définition est ardue tant pour ce qui est du fait littéraire que de son destinataire. Le souci de légitimer un objet d’étude longtemps négligé par l’historiographie et la recherche universitaire, se heurte à une nébuleuse sémantique et une production hybride écartelée entre art et pédagogie. La littérature, dans son acception générique d’œuvres écrites et portant la marque de préoccupations esthétiques, est à envisager sous l’angle de l’adaptation à un public enfantin. Elle doit aussi être soumise au crible de la qualité de l’écriture. Le critère de la valeur littéraire d’une production écrite tient à la renommée de son auteur et à la clarté de son style. La multiplicité et l’hétérogénéité des publications enfantines de 1870 à 1919, compliquent la recherche d’ouvrages ciblés sur la patrie et la guerre. Le fonds patrimonial constitué par les fables de La Fontaine, les poésies de Victor Hugo, les contes de Perrault relayés par les traductions de Grimm ou d’Andersen, demeure la pierre angulaire de la littérature enfantine.

Mais les progrès de la scolarisation et de l’alphabétisation au 19e siècle engendrent un désir de lire. Corrélativement se développent le secteur éditorial et une « littérature industrielle »11 plus soucieuse de l’attrait du public que de la qualité des écrits publiés. La période étudiée offre un large choix de livres rendus accessibles par la modernisation des techniques d’impression et d’illustration. Pour les Républicains des années 1880, le livre est un marchepied du savoir et le moteur de l’ascension sociale. Tout concourt à sa sacralisation : le développement des bibliothèques scolaires institué par l’arrêté du 1er juin 1862, l’extension des bibliothèques publiques, des librairies, la distribution de livres de prix, les initiatives en faveur de la lecture populaire, contribuent à l’ancrage de la foi en un idéal civique et laïque qui enracine les valeurs républicaines dès l’enfance.

La suprématie morale du livre sur ses concurrents est reconnue mais n’entame pas le développement d’une littérature parallèle sous estimée par les puristes. La vague des illustrés au début du 20e siècle inverse les enjeux, compte tenu de leur prix modique et de leur accessibilité à un large public. Les éditeurs multiplient les formules pour fidéliser une

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nouvelle clientèle. L’on assiste à une socialisation du lectorat juvénile parallèlement à celle déclenchée par les mouvements de jeunesse comme le scoutisme12.

Cerner le public enfantin tient de la gageure car l’âge n’est pas le seul critère sélectif. Le statut social et le sexe déterminent aussi des catégories de lecteurs. Le terme d’adolescent, apparu tardivement, témoigne d’une enfance en devenir. De l’enfant privé de parole – au sens étymologique d’« infans » – au jeune homme au seuil de l’âge adulte, le lectorat est composite. Enfance et jeunesse se rejoignent dans la lecture d’œuvres écrites à leur intention afin de préparer à la maturité adulte.

La sériation sexuée complique la définition du lectorat et n’a pas disparu après l’instauration de la mixité dans les années 1970 ; elle dépasse le cadre de la littérature enfantine. Aux soucis d’âge et de sexe, s’ajoute celui des bienséances inhérentes à une période donnée : il faut offrir des formes littéraires politiquement et esthétiquement correctes. Cette difficulté est amplifiée par le fréquent recours à l’image. La composante iconographique participe de l’acculturation civique, patriotique, puis guerrière. Elle est un indéniable atout pour conquérir un public en quête d’aventures.

Les institutions de la Troisième République sont à l’origine d’un projet de développement de l’imagerie scolaire dans les années 1880. Le concours des éditeurs et des artistes favorise cette expansion. Mais l’absence de réflexion thématique et critique sur les fondements conceptuels et narratifs de l’image, conduit à une confusion des valeurs esthétiques, morales et intellectuelles : le « beau », le « bon » et la « clarté » amènent à lier des objectifs pédagogiques, économiques, sociaux et politiques. Il faut prendre en compte ce qui est érigé en critères absolus de « l’art pour l’enfant », à savoir les codes du goût de l’époque. L’objectif idéologique prévaut et imprime sa marque esthétique à l’image. Cette dernière est conçue pour frapper, transmettre des connaissances et surtout des valeurs. De fait, « elle convoque l’exercice intellectuel du regard plus que la contemplation esthétique, la

12 Le scoutisme né sous Lord Baden Powell prend son ancrage dans la nécessité d’ « éclaireurs » pour l’armée

britannique pendant la guerre des Boers (en Afrique du Sud de 1899 à 1902). Son origine est donc militaire. Par la suite, le mouvement a pris d’autres orientations – éducatives (surtout pour le développement du sens pratique), corporatiste, compétitive (mais dans une conception « esprit de corps », donc collective) – et a pour devise « Be prepared », « soyez préparé ». Il existe une tension au sein du mouvement, entre l’aspect individualiste et la préparation collective : d’un côté il s’agit d’une préparation de soi, d’un « dressage de soi » ; de l’autre, il faut comprendre le sens collectif de l’œuvre, une éthique subjuguant les droits de l’individu à des valeurs transcendantes. La charnière entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle est la scène d’une sorte

d’affirmation de l’individu et aussi du bien de la collectivité, parfois vécue de manière conflictuelle. La coïncidence des Nourritures terrestres de Gide (1897) et de la naissance du scoutisme va dans le sens de cette émancipation de l’individu, dans laquelle beaucoup voit pourtant un risque.

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lecture de l’idée plus que la jouissance de l’image. »13 Le degré herméneutique de l’image varie selon l’acuité du regard porté. La myopie inhérente à la prime jeunesse évolue en une acuité plus fine à l’adolescence. L’image et le texte conjuguent divers modes de lectures et s’adressent à des publics aux capacités réflexives différentes.

III

C’est pourquoi nous nous attacherons à analyser une production livresque selon l’âge du destinataire en respectant un triple classement : seront observés les livres destinés à la petite enfance (de deux à cinq ans) via les abécédaires, les manuels et les histoires extrascolaires à l’intention des enfants (de six à douze ans), les magazines, les périodiques, les romans pour les adolescents (de treize à seize ans). La catégorisation selon les âges du lectorat est la plus pertinente car elle permet une étude transversale des productions consacrées à chaque étape de l’enfance et une comparaison rhétorique et idéologique.

A cette chronologie se superpose une double contrainte historique et axiologique : notre analyse de la déviance ou de l’adhésion aux décisions officielles subordonne nos recherches aux textes décrétés en amont par la voix ministérielle, rectorale et professorale. Elle implique la stricte observation de ces décisions à travers les manuels utilisés alors dans les trois niveaux de l’école : cours élémentaire, cours moyen, cours supérieur. La pyramide hiérarchique de l’institution scolaire implique logiquement l’application des principes dans les écoles censées délivrer le catéchisme républicain mis en place par Jules Ferry. Les conditions de production livresque s’améliorant, l’étude perd son sens si l’on ne mentionne pas une littérature connexe qui pourrait se dédouaner des diktats officiels par son caractère extrascolaire. Nos recherches se sont axées sur des livres aux titres révélateurs de l’emprise patriotique ou guerrière, au contenu textuel et iconographique marqué par les circonstances politiques. Notre attention s’est portée sur des collections, des affiches, des textes issus de la tendance propagandiste des années de guerre.

La recherche de documents et d’ouvrages originaux étaye notre développement. La consultation effective des œuvres mentionnées est la condition sine qua non d’une étude dédouanée des critiques et des poncifs. Nos objectifs majeurs consistent à proposer une interprétation personnelle des lectures effectuées et à établir un lien transversal entre deux

13 Annie RENONCIAT, L’image pour enfant : pratiques, normes, discours (France et pays francophones, XVIe-

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périodes constituées par l’entre-deux guerres de 1870-1914 et la Grande Guerre. Cette entreprise a été réalisée au prix de nombreuses investigations auprès des fonds bibliothécaires précieux, des bouquinistes, des écoles primaires du canton de Montluçon. La tâche s’est révélée plus simple pour les livres post bellum que pour les ouvrages de la Première Guerre Mondiale. En effet la rareté des spécimens, gardés dans les réserves de la Bibliothèque Nationale de France ou de la Bibliothèque de l’Heure Joyeuse à Paris, a rendu délicate leur consultation. La fragilité du papier, la nécessité de conserver les couleurs originales des dessins, excluent toute photocopie ou toute photographie. Seule, la mémoire iconographique et textuelle peut pallier ces interdictions légitimes. Nous avons également travaillé à partir d’un fonds livresque personnel constitué au fil des visites chez les bouquinistes spécialisés et des demandes aux collectionneurs. La plupart des manuels scolaires afférant à la période 1914-1918 ont disparu des écoles primaires, détruits au cours des rénovations ou dispersés sur le marché de la brocante. Seuls, les bibliophiles amoureux de beaux livres ont gardé de précieux ouvrages rendus inaccessibles par leur coût exorbitant. Le livre de l’historien Stéphane Audoin-Rouzeau, La guerre des enfants14, est un précieux guide pour orienter des

recherches qui ont abouti grâce à la richesse du fonds patrimonial de la Bibliothèque de Moulins.

Après la constitution d’un important corpus de livres pour enfants, il faut remonter aux sources officielles. La tâche est rendue difficile par la distance temporelle qui nous sépare des années 1914-1918. La consultation des archives municipales de Montluçon, départementales de Moulins doit être complétée par la lecture du Bulletin des Lois de la République Française et du Bulletin Administratif du Ministère de l’Instruction Publique détenus par la Bibliothèque du Patrimoine de Clermont-Ferrand. Cet ensemble de textes est un socle d’étude indispensable à la cohérence de notre démonstration. La thèse ne peut s’appuyer que sur des documents tangibles et révélateurs des mentalités contemporaines de la Grande Guerre notamment.

L’Institut National de la Recherche Pédagogique de Lyon nous divulgue les exemplaires originaux du Manuel Général de l’Instruction Primaire afférant aux années 1914-1919. Cette littérature parascolaire offre une matrice d’observation riche et indispensable à la compréhension de l’obédience de l’école aux décisions ministérielles pendant le premier conflit mondial. Outil de travail référent, le Manuel est la bible pédagogique des instituteurs auxquels il délivre les recommandations des officiers de

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l’Instruction publique, mais aussi des progressions et des exercices exemplaires. Les feuillets ont subi la dégradation du temps et leur lecture est laborieuse. La conservation de traces est problématique. Loin de nous rebuter, les nombreux écueils rencontrés auprès des maisons d’édition refusant l’accès à leurs archives, ou bien des bibliothécaires soucieux de préserver leurs biens précieux, ont attisé notre curiosité et renforcé notre détermination à poursuivre notre quête.

Le caractère inédit de cette recherche à la fois littéraire, historique et sociologique, a pour corollaire une masse considérable d’informations collectées au gré des rencontres et des lectures d’ouvrages généraux et spécialisés sur la littérature de jeunesse et l’histoire de France de 1870 à 1919. Une sélection des ouvrages enfantins, des informations officielles, des fascicules pédagogiques et parascolaires s’impose afin d’éviter un émiettement des données. Toutefois la consultation de plus de cent cinquante livres pour enfants, de milliers de pages officielles et pédagogiques, d’une cinquantaine d’ouvrages généraux ne peut se solder que par un exposé substantiel : le fruit de quatre années de recherches pointilleuses est énorme, mais il est à la mesure des efforts entrepris pour qu’il arrive à maturation. La richesse de la matière première implique une exploitation détaillée qui fournit un aliment roboratif à la thèse. Il est indispensable de lui donner des formes et des couleurs : le texte sans l’iconographie est nu et perd de son sens, ce qui justifie la présence de commentaires illustrés. Il en va de même pour l’analyse : la dimension axiologique des ouvrages étudiés est inséparable de l’imagerie, en plein essor au début du 20e siècle.

IV

Résoudre la problématique de l’adhésion ou de la distance des textes enfantins par rapport à la voix officielle pendant cinquante ans, requiert une rigueur de recherche et de raisonnement pour éviter toute dispersion. Les termes mêmes de notre thèse impliquent l’analyse du lien entretenu entre l’univers imaginaire présenté et le fond idéologique de l’époque : il s’agit de savoir si le livre pour enfants n’est qu’un simple reflet « servile », patriotique, édifiant, ou s’il offre des indices de la liberté de l’imagination et de la créativité, quand bien même celles-ci restent étroitement encadrées par les directives institutionnelles. Le repérage d’une déviation par rapport à une orthodoxie de traitement officiellement promulguée, suppose une observation du fonctionnement des textes, en termes d’économie narrative et des composantes du canevas romanesque. Il est impossible de faire abstraction de

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l’histoire puisque les événements de 1870-1871 et la Grande Guerre encadrent notre étude et délimitent temporellement notre champ d’investigations.

Les remarques induites par les observations relèvent aussi bien d’une approche historique que d’une approche axiologique, corrélant les Instructions officielles, la propagande et la censure. Il ne faut pas négliger l’effet pervers, biaisé, des différentes recommandations gouvernementales et leur impact sur la production littéraire : il existe probablement une littérature fallacieuse ou idyllique d’embrigadement des enfants. Quoiqu’il en soit, les codes, qu’ils soient « proscriptifs » ou « prescriptifs », engagent une retombée de haute importance, à même d’être exploitée par rapport à un foisonnant corpus. Il s’agit de débusquer les paliers de l’aliénation poétique, du degré de simple adhésion au « bourrage de crâne » issu de la propagande, mais aussi l’existence d’une interrogation, éventuellement d’une critique subversive vis-à-vis des Instructions officielles. La liberté doit être envisagée en termes de teneur des publications, de leur contenu, mais aussi en termes d’iconographie compte tenu de l’efflorescence imagière dans cette charnière séculaire.

L’impact de la guerre franco-prussienne sur la production littéraire enfantine et officielle nous a enjoint de baliser une première étape qui définit les facteurs de transmission civique et patriotique au sein de la littérature scolaire et extrascolaire. L’étude chronologique est légitimée par la succession d’événements guerriers et politiques au cours des trente dernières années du 19e siècle. Les répercussions de la défaite de 1870 et du Traité de Francfort invitent à repérer les traces de l’histoire politique et sociale dans les ouvrages dédiés à la jeunesse. De l’Institution des enfants d’Erasme (1529) au Magasin des enfants de Madame Leprince de Beaumont (1789), la littérature a évolué vers l’alliance du plaisir et de l’instruction. Devenue littérature exemplaire sous la plume des pédagogues de la fin du 19e siècle, elle se fait l’écho des objectifs civiques de Jules Ferry. Le rappel des circonstances historiques est nécessaire à la compréhension de la mobilisation des esprits juvéniles.

Les remaniements scolaires initiés par Jules Ferry, trouvent des échos dans les manuels. C’est pourquoi le volet institutionnel doit impérativement précéder l’analyse des livres scolaires qui s’en font le relais. La voix officielle résonne au-delà de la sphère scolaire. L’occupation gagne les esprits par l’épanouissement civique à tendance cocardière.

Les abécédaires d’orientation militaires, les romans nationaux font la part belle à la France, à son armée et aux chères provinces usurpées. Daudet exprime son amertume tandis qu’une veine nationaliste et antigermanique irrigue les romans d’aventures d’Arnould Galopin, de Paul d’Ivoi et du Capitaine Danrit. L’Alsace-Lorraine occupe une place cruciale

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et transforme l’exaltation cocardière en nationalisme revanchard. Les albums édités par la librairie Berger-Levrault, les beaux livres illustrés par Guy Arnoux, rivalisent de patriotisme avec Maroussia de P.-J. Stahl, la poésie de Déroulède et la contre-propagande antigermanique de Hansi.

Les deux tendances idéologiques de la fin du 19e siècle sont exposées dans les ouvrages phares d’Antoine Chalamet et de G. Bruno largement diffusés dans les écoles primaires française : l’exaltation patriotique revancharde à la Gambetta fait face à la tradition humanitaire républicaine et humaniste.

Toutefois, si l’on peut parler d’inculcation civique et patriotique pendant les quarante-quatre années qui séparent le Traité de Francfort du début de la Première Guerre Mondiale, c’est un embrigadement intellectuel qu’il faut évoquer dès août 1914. La mobilisation générale des esprits enfantins qui succède à celle des hommes partis pour le front, ne peut s’expliquer sans un recours à la voix officielle qui a présidé à la naissance d’une école en temps de guerre.

Aussi un deuxième volet, consacré à l’inventaire et à l’analyse des sources institutionnelles, éclairera-t-il sur le dispositif pédagogique mis en place dans les écoles primaires pendant la Grande Guerre. Le recensement des recommandations officielles respecte la pyramide institutionnelle : le Bulletin des Lois de la République Française correspondant aux années 1914-1918 impose les directives qui vont corseter l’éducation des enfants.

Le Bulletin Administratif du Ministère de l’Instruction Publique afférant aux mêmes années offre des sources d’informations précieuses concernant l’application des lois et décrets à l’instruction publique élémentaire.

Les répercussions idéologiques se mesurent à l’aune des propos revanchards ou patriotiques tenus dans le Manuel Général de l’Instruction primaire, référent didactique et pédagogique des instituteurs. La neutralité de ce dernier constatée après 1870 s’estompe au moment de la Grande Guerre. Alors qu’il érigeait l’école française gratuite, laïque et obligatoire en modèle de victoire démocratique, indépendamment des bruits de bottes jugés nuisibles, il affiche une franche partialité pendant le premier conflit mondial. Il reprend à son compte le diptyque du souvenir et de la revanche. L’école n’est plus le lieu clos et sécurisant abolissant le monde extérieur, elle devient un espace de réflexion sur la vie politique, locale et quotidienne.

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La prolixité des revues pédagogiques mensuelles révèle l’acculturation guerrière entreprise. Les rapports de conférences et les échanges entre les représentants de l’Etat dévoilent l’interaction de l’enfance et de la guerre. L’écriture conjointe d’un fascicule explicatif par un militaire, le Général Pétain, un professeur, Ernest Lavisse, et un homme d’Etat, Antoine Ribot, Président du Conseil, éclaire violemment sur les causes de la guerre et insiste lourdement sur la responsabilité de l’ « Allemagne prussifiée »15. Les échos retentissent jusque dans les communiqués aux institutrices et aux instituteurs dans les revues syndicales. Cette tendance mérite d’être examinée dans les livres destinés aux enfants afin de voir quelles formes elle revêt.

La dimension idéologique de ces recommandations officielles exige une section de traitement volumineuse et indépendante, compte tenu de la mine d’informations qu’elles recèlent. Sans elle, les considérations ultérieures ne peuvent avoir de vrai fondement. Là se trouvent les linéaments génétiques d’une littérature enfantine orientée tant au sein de l’école que dans les publications extrascolaires.

Cette translation axiologique n’est possible que par le truchement des Inspecteurs, des enseignants devenus écrivains pour l’occasion. Elle est également relayée par des auteurs et des illustrateurs professionnels qui usent d’un registre déconcertant : l’humour. La troisième phase de l’étude constitue une étape essentielle à la démonstration des implications idéologiques nées des discours officiels.

La mise en parallèle des textes de français, d’histoire et d’instruction civique avec le contenu des ouvrages de prix ou des livres extrascolaires vantés alors, avère la transposition de la guerre au niveau de l’enfant sous des formes variées. La diversité générique des œuvres consultées témoigne de la formidable exaltation qui s’empare des concepteurs et des destinataires.

Les histoires allégoriques, les documents didactiques, les romans exemplaires concurrencent les témoignages autobiographiques, les abécédaires militaires, les contes oniriques. L’iconographie imprime continûment la marque belliqueuse de l’esprit contemporain et frappe par la vérité et la sensibilité du trait. Les registres imagiers sont aussi divers que ceux des textes. Ils soumettent tous au regard, l’héroïsme, le martyre ou la conscience de l’enfance en guerre.

15 Pourquoi nous nous battons, par le Général PETAIN, Ernest LAVISSE, A. RIBOT. Paris-Nancy, Librairie

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La solennité des hagiographies militaires propose un contrepoint sérieux à l’humour corrosif des caricaturistes qui recourent volontiers à la stylisation des formes et du réel. L’interprétation herméneutique de l’image ouvre de nouvelles perspectives de critique et de lutte antigermaniques, en mettant en scène des animaux ou bien en mettant à l’affiche des gamins de Paris. La vie littéraire et picturale regorge d’exemples destinés à redresser les esprits contre la fatalité par le rire. Il faut en repérer les éclats subversifs capables de se détacher d’une gangue propagandiste.

L’analyse détaillée des grandes lignes empruntées par la production littéraire à destination des enfants constitue une preuve essentielle de l’immixtion de la guerre dans les textes et les dessins, et devra en déterminer les manifestations. Il est nécessaire de la décliner en paragraphes, logiquement et successivement dédiés aux écrivains enseignants, aux auteurs et illustrateurs professionnels et aux humoristes. La présentation devra suivre l’âge des destinataires, de l’ « infans » à l’adolescent, et la capacité à fournir aux lecteurs des modèles de héros charismatiques en fonction de l’esthétique de la réception. Toutefois, notre objectif étant d’ordre axiologique, les considérations ressortissant à des pourcentages de lecteurs ou de publication sont exclues. Un recentrage permanent sur l’observation de la déviance ou de l’adhésion littéraire à la voix officielle est primordial.

L’ambivalence de certaines publications est telle qu’elle empêche la simplicité d’un classement binaire, séparant les œuvres assujetties aux instructions officiellement promulguées, des ouvrages offrant des échappées ou des écarts. Il est plus judicieux d’illustrer cette difficulté à discerner la propagande réelle de la propagande de couverture, par la présentation de deux types de publications fortement répandues : la presse enfantine et une collection réputée patriotique.

Le quatrième palier de la démonstration s’inscrit dans la droite lignée de l’humour en temps de guerre, puisqu’il consiste à examiner ce qui est dessiné, écrit, composé pour l’enfant par une littérature dite « populaire ». Le champ d’investigation étant extrêmement vaste, nous nous attarderons sur des ouvrages réellement possédés et dont la consultation est ainsi facilitée. L’observation thématique s’accompagnera de l’analyse de l’historicité littéraire des volumes de Bécassine, des Pieds Nickelés et des feuillets de Fillette parus entre 1913 et 1919. Alors que nous avions à disposition l’intégralité des publications des deux premières séries, eu égard à leur célébrité, il nous a été impossible de retrouver les numéros de Fillette antérieurs à 1915 et postérieurs au 16 février 1919. La rareté du magazine et la dégradation du

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papier par le temps ont empêché la poursuite des recherches ante et post bellum. Cependant, cette carence n’a pas nui à l’étude globale des feuillets de 1915 à 1918.

Bécassine et Les Pieds Nickelés sont au centre d’une rivalité éditoriale et rappellent la

polémique autour d’une littérature imagée. En dépit de leurs destinataires différents par le statut social, ces deux bandes dessinées appartiennent à une catégorie d’ouvrages ambigus : notre objectif est de ne plus les envisager comme des œuvres de propagande pure et dure, mais d’en distinguer ce qui fait leur suc littéraire, leur attrait iconographique, leur verve fallacieuse. Loin d’être des magazines dévolus au « bourrage de crâne », ils apparaissent comme des fascicules prudemment subversifs. Leur originalité tient à la quintessence de l’humour qu’il renferme et à la richesse de leurs sources littéraires.

Le comique de bon aloi de Bécassine impose une étude indépendante et importante, qui retrace la genèse de l’œuvre, le portrait et la métamorphose de l’héroïne. Les dessins offrent une large palette interprétative et révèlent, à l’instar du texte, la part prise par Caumery et Pinchon dans la guerre. Le discernement des indices propagandistes s’accompagnera inévitablement du repérage des divergences d’opinion par rapport à la voix officielle dans le domaine stratégique de la guerre.

La gouaille et le dessin criard de Forton obligent à une longue étude des ressorts du comique et de l’herméneutique de l’image. Le côté excessif et expéditif longtemps reproché à l’auteur attise notre curiosité : nous démontrerons que la richesse de la production de Forton pendant cinq années, tient à la caricature et à l’argot des Pieds Nickelés qui recèlent des trésors d’ingéniosité iconographique et expressive.

La tenue du magazine Fillette emprunte au souci de délicatesse intrinsèque des productions féminines, mais déroge à la règle de bienséance par des histoires imagées caricaturales. Les publicités ont valeur d’indices quant au degré d’assujettissement du journal aux consignes édictées. Lili, l’héroïne phare de Fillette, a droit une étude spécifique, afin de la mettre en regard des protagonistes précédents : son personnage doit permettre de déceler des indices propagandistes inédits mais aussi des poncifs.

Le degré d’adhésion croissant observé à travers cette trilogie médiatique faite de contrastes, trouve son apogée dans une collection qui exacerbe le patriotisme dès les premiers mois du conflit : « Les Livres Roses de la Guerre » de Larousse.

L’ultime partie qui leur est consacrée, découle organiquement de ce qui précède, tant il est vrai qu’elle met en exergue les moyens mis en œuvre par une série spécialement conçue dans une optique cocardière de défense de la patrie. La périodicité des « Livres Roses »

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fidélise le lectorat. Ces fascicules se dotent d’exigences génériques en diversifiant les modalités des récits. Leur modestie littéraire et iconographique ne leur enlève pas le souffle héroïque exhalé à chacune de leurs pages. Cette dernière phase de notre étude est légitimée par la caractéristique de distribution propre aux livrets : largement diffusés dans les écoles, ils sont également proposés sous forme d’abonnement aux enfants. La jonction qu’ils opèrent entre le milieu scolaire et familial se fait sur le mode belliqueux et patriotique. Leur omniprésence dans la vie des jeunes lecteurs est un facteur supplémentaire de diffusion propagandiste et de sollicitation à l’effort de guerre.

Leur étude narratologique, rhétorique et iconographique devra dévoiler les arcanes d’une idéologie patriobelliciste. L’analyse du paradigme patriotique s’accompagnera d’une considération d’ordre chronologique afin d’infirmer la thèse de l’apparition d’une démobilisation intellectuelle aux tendances pacifistes. L’historicité et le recul offerts par une collection s’échelonnant sur cinq années de 1914 à 1919, déterminent une axiologie qui ne tolère aucune défaillance face aux épreuves endurées. S’interroger sur la viabilité des représentations littéraires et iconographiques de la guerre sur une longue durée, induit une recherche des facteurs de renouvellement, des ressorts dramatiques et poétiques qui évitent toute lassitude.

La liste substantielle des titres, des auteurs et des illustrateurs offre des preuves d’implication patriotique. La narratologie, l’héroïsme, la résurrection de mythes, la description des ruines et les publicités sont autant d’éléments qui apportent de l’eau au moulin de la propagande. Toutefois, nous avons à cœur de défendre la valeur littéraire et imagière de ces fascicules souvent décriés par les puristes, et pourtant porteurs de nouveautés en matière de séduction enfantine par le livre. Les constantes dégagées nécessitent un cadrage cohérent qui aboutit à un raisonnement tempéré sur ce que des historiens considèrent comme une littérature de « bourrage de crâne », dénuée de toute valeur artistique et destinée à fomenter une croisade des enfants.

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PREMIÈRE PARTIE

1870-1914, D’UNE GUERRE À L’AUTRE : DE

L’ÉPANOUISSEMENT CIVIQUE À L’EXALTATION

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PREMIÈRE PARTIE

1870-1914, D’UNE GUERRE À L’AUTRE : DE L’ÉPANOUISSEMENT

CIVIQUE À L’EXALTATION COCARDIÈRE

Antoine Prost, historien de l’éducation, dans son ouvrage intitulé L’enseignement en

France de 1800 à 19671, veut contribuer au réveil d’une pensée pédagogique indigente

comparée à la floraison littéraire du 19e siècle. Ses remarques quant à la production livresque scolaire nous ont été très utiles bien que nous n’ayons pas de visées pédagogiques. En effet, notre objectif est transversal puisque nous nous sommes engagés à étudier quelles sont les corrélations entre les Instructions Officielles issues de la mise en place de la Troisième République née de la défaite de 1870, et la littérature scolaire et extrascolaire. Nous voulons repérer les traces d’une idéologie prégnante et patriotique dans l’enseignement dispensé par les manuels scolaires entre 1871 et 1914 - période plus limitée dans le temps que celle envisagée par Antoine Prost - et dans les livres pour enfants. Pour cela nous avons analysé si les ouvrages qui leur sont destinés, de la section enfantine au certificat d’études, laissent à l’imagination sa liberté de créer, ou bien s’ils se contentent d’un simple respect des consignes, ou encore s’ils interrogent vis-à-vis des Instructions Officielles. Notre problématique consiste à nous interroger sur la manière dont s’établit le lien entre la guerre de 1870, l’institution scolaire et la littérature de jeunesse scolaire et extrascolaire. L’intérêt de cette recherche réside dans la nouveauté de l’axe transversal envisagé : la problématique axiologique est subordonnée à l’histoire littéraire et politique.

Evaluer les degrés ou les écarts d’adhésion – ce qui est plus rare – suppose de survoler l’histoire institutionnelle de ces quarante-quatre années sans négliger les aspects politiques, l’évolution du système éducatif. Pour préciser le champ d’influence réel de ce dernier, il faut aussi se placer du côté de la réception de l’ouvrage et de ceux qui l’ont conditionnée : l’organisation et l’idéologie enseignante ont commandé les rapports entre la société et l’institution scolaire. Notre but n’est pas une étude historique et pédagogique exhaustive, mais une analyse des indices cocardiers d’une part, subversifs de l’autre, via des éléments rhétoriques, iconographiques et axiologiques.

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Nous avons dû limiter notre champ d’investigation, compte tenu des difficultés matérielles à trouver les ouvrages originaux de l’époque, condition sine qua non de réalisation de notre entreprise. Une consultation effective des livres mentionnés sous-tend notre étude afin d’en garantir l’originalité. Nous avons également dû élaguer dans cette forêt livresque en portant notre attention sur les manuels de français, d’histoire, d’éducation civique et morale, piliers de l’éducation dont nous disposions. Un lecteur curieux de l’histoire de l’enseignement et des manuels scolaires trouvera des ouvrages plus substantiels pour l’éclairer.

Cependant nous sommes conscients de l’impossibilité d’isoler l’institution scolaire de la société qui l’engendre, donc du contexte politique, religieux, économique et culturel dans lequel elle naît et se développe. C’est bien ce que Durkheim2 relève au début du 20e siècle :

« Lorsqu’on étudie historiquement la manière dont se sont formés et développés les systèmes d’éducation, on s’aperçoit qu’ils dépendent de la religion, de l’organisation politique, du degré de développement des sciences, de l’état de l’industrie, etc. Si on les détache de toutes les causes historiques, ils deviennent incompréhensibles. »

Les institutions scolaires sont des institutions sociales. Aussi est-il indispensable de rappeler l’orientation décisive prise lors de la décennie 1880-1890. La défaite de 1870 a des répercussions indiscutables sur les mentalités de la fin du siècle et sur la prise en compte de l’enfant, donc des livres qui lui sont destinés.

Un nouveau héros est né au 19e siècle : l’enfant. Son importance s’affirme au fur et à mesure que le siècle progresse. La science, la philosophie sociale, la pédagogie – réformant ses méthodes – se sont penchées vers lui avec un intérêt renouvelé. En effet chaque grand bouleversement politique et économique a ouvert des voies inédites en matière de littérature de jeunesse, entraînant les jeunes lecteurs dans les rêves, l’imagination. Il est pratiquement impossible d’écrire pour la jeunesse sans écrire sur elle, car ceux qui écrivent « pour » les enfants écrivent « sur » les enfants afin de faciliter l’identification du jeune lecteur au héros. La littérature de jeunesse soulève le paradoxe d’une entreprise consistant à écrire avec une maturité d’adulte tout en conservant la fraîcheur de l’enfance. C’est ainsi que les images d’Epinal et les abécédaires imprimés par Pellerin ont familiarisé les jeunes lecteurs avec la société du Second Empire. Des œuvres destinées à un public adulte ont été adoptées par l’enfance comme les Fables de La Fontaine, les Contes de Perrault, les mythiques Robinson ou Gulliver. Mais l’idée de se servir de la matière imprimée pour amuser les enfants est récente : au milieu du 19e siècle, les œuvres de jeunesse publiées sont d’abord instructives, la visée récréative n’est que secondaire.

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Les bouleversements sociaux du 18e siècle contribuent à l’expression de l’individualisme, à l’origine de l’ascension de l’enfant dans la société : Rousseau œuvre notamment à l’éclosion du thème juvénile en préconisant l’amour de l’enfant tel qu’il est, l’exaltation de la nature sous toutes ses formes et une éducation fondée sur le désir et les aptitudes de l’enfant. Les peintres comme Greuze, Chardin, Vigée-Lebrun, le mettent à l’honneur en le rapprochant de sa mère. La littérature se fait l’écho de cette transformation sociale et les autobiographies de Rousseau et de Chateaubriand participent à la conquête de ce nouveau thème littéraire qu’est l’enfance.

D’ailleurs la petite enfance attire l’attention dès le début du 19e siècle avec la création d’écoles maternelles en France en 1826. Les « salles d’asile » se multiplient jusqu’à leur reconnaissance officielle en 1881 sous le nom d’ « écoles maternelles »3. Le 19e siècle prend à cœur la tâche de charité envers l’enfance et la littérature elle-même s’inscrit dans ce projet. En prolongeant les tentatives de Berquin et de Bouilly au siècle précédent, des écrivains oeuvrent pour l’enfant, soucieux de l’instruire et de le distraire. Les ouvrages de Jules Verne symbolisent la science mise à la portée de l’enfant. D’autres romans suscitent sa sensibilité : Hector Malot fait côtoyer l’enfance malheureuse et crée une littérature misérabiliste dont les héros enfantins attirent la commisération et la sympathie de leurs pairs. Charles Nodier avec ses Contes, Victor Hugo avec Les Misérables les influencent.

La Comtesse de Ségur connaît un prodigieux succès car elle crée des types vivants, caricaturaux, édifiants sans être insipides. Elle produit une littérature morale jamais ennuyeuse. Sa comédie humaine enfantine contient en germe de futurs adultes. Hachette attire aussi des artistes de renom comme le chanoine Schmid, Zénaïde Fleuriot. L’intérêt porté à l’enfant est né de l’intérêt porté à l’individu. Le romantisme a contribué à l’introduction du thème de l’enfant dans la littérature. Pierre Loti, Alphonse Daudet, en dépit des écoles littéraires, se sont penchés sur lui avec bienveillance et ont vu en lui une naïveté proche de la pureté reconnue aux « sauvages » par les philosophes du 18e siècle. Cependant ont-ils remarqué qu’il était malléable ? L’éclosion de la littérature réaliste a également favorisé la naissance du roman de l’enfance. George Sand a aussi participé à la germination du genre. Cosette, Gavroche, la petite Fadette ont été retenus par les mémoires. Un tel sujet est une mine littéraire dont la richesse n’est plus à démontrer depuis les publications de Jules Vallès,

3 En 1845, Mme Pape-Carpantier publie ses Conseils pour la Direction des salles d’asile. En 1848, un projet de

loi tend à faire des « salles d’asile » à la fois des écoles maternelles et établissements de charité, des établissements d’instruction publique sous le nom d’ « écoles maternelles ». Il faut attendre un décret officiel de

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Anatole France, Pierre Loti ou Jules Renard4. Cette floraison de la littérature de l’enfance témoigne de l’intérêt croissant accordé par les écrivains à l’enfant à partir de 1870 jusqu’à 1900. Il n’est pas étonnant de voir se développer les journaux, les théâtres, les concerts pour enfants. L’opinion publique enfantine incite aux publications massives et au recours à l’imagerie dont on découvre la séduction et les atouts pédagogiques.

Une césure sépare les œuvres ludiques des ouvrages instructifs qui sont l’apanage de l’école. Aussi, après avoir rappelé les aspects institutionnels et pédagogiques d’une école davantage tournée vers la psychologie de l’enfant, nous examinerons les manuels scolaires, véritables relais des institutions, qui nous parlent à travers leur rhétorique et la manière dont ils présentent les disciplines des sciences humaines. Enfin nous verrons quels échos la guerre franco-prussienne a eus dans la littérature enfantine jusqu’en 1914, notamment dans les abécédaires, les albums et les contes de Daudet. Notre démarche s’appuie sur une chronologie linéaire des événements mais traite de leur impact sur la production scolaire et extrascolaire sur le plan générique et thématique.

4 Jules Vallès, L’Enfant, 1879 – Anatole France, Le livre de mon Ami, 1885 ; Pierre Nozière, 1899 – Pierre Loti,

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CHAPITRE I

INSCRIPTION DU THÈME DE LA GUERRE DE 1870 DANS LA LITTÉRATURE DE JEUNESSE ENTRE 1870 ET 1914

La défaite de Sedan altère gravement le prestige de l’Université et les troubles générés divisent profondément le corps enseignant. Une double nécessité s’impose : tout d’abord une rénovation pédagogique est indispensable, mais elle est étroitement liée à l’union des maîtres. Afin de favoriser la régénération morale et intellectuelle du pays, le ministre Jules Simon5 fait appel à la collaboration des enseignants et sollicite leur participation au choix des manuels scolaires. S’affiche d’emblée un vecteur de transmission idéologique auprès des enfants par le truchement de la mentalité enseignante révélée par la sélection livresque. Leurs décisions conditionnent forcément la pensée juvénile. Le thème belliciste et revanchard s’inscrit-il dans les lectures proposées aux élèves ? Un rapide historique de cette mise en place libérale permet de mieux comprendre comment l’on s’est acheminé vers la liberté en matière de sélection livresque de 1875 à 1939.

1 LA DÉCENNIE SCOLAIRE DE LA TROISIÈME RÉPUBLIQUE (1880-1890) OU L’ORIENTATION DÉCISIVE

Quatre étapes jalonnent cette période transitoire et soulignent les hésitations ministérielles quand il s’agit de guider l’enfant. Tout d’abord la circulaire du 27 septembre 18726 accorde une certaine autonomie aux enseignants avec le choix de leurs instruments de travail. Toutefois un bémol réajuste cette pseudo-liberté : l’arrêté du 22 juillet 18736 promulgué par le ministre Batbie, successeur de Jules Simon, introduit l’examen des livres scolaires par une commission contre la libre admission des ouvrages. Le retour au système d’autorisation préalable provoque un tollé d’indignation dans les milieux éditoriaux qui jusque là, jouissaient d’une assez grande latitude en matière d’initiatives et rivalisaient. Ce phénomène favorise le développement de la librairie classique. Le troisième palier dans le contrôle des manuels est franchi avec le rapport du 19 janvier 1874 présenté par Monsieur de Montesquiou qui préconise « l’exclusion des livres dangereux »6. Enfin lors de la séance du 24 janvier 1874, est adopté un système intermédiaire proposant l’examen puis l’exclusion des livres jugés mauvais. La tâche s’avère impossible pour la commission des onze sages désignés le 10 juin 18756 : elle a reçu sept mille six cent quarante-neuf ouvrages et n’en a examiné que

5 Annexe 1 : liste des ministres de l’Instruction Publique de 1870 à 1919. 6

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