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Résumé et commentaire de l'ACEDH Dammann c. Suisse

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Résumé et commentaire de l'ACEDH Dammann c. Suisse

GRODECKI, Stéphane, CHATTON, Gregor Tobias

GRODECKI, Stéphane, CHATTON, Gregor Tobias. Résumé et commentaire de l'ACEDH Dammann c. Suisse. Pratique juridique actuelle , 2006, vol. 6, p. 745-749

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:46701

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En t sc h e idun gen/ Jur isprudence

AJP/PJA 6/2006

(3) Art. 10 CEDH, art. 24 et 320 CP; condamnation d'un journaliste pour instigation à violation d'un secret de fonction; violation de la liberté d'expression.

Cour européenne des droits de l'Homme, 4'"" section, 25.04.2006, Affaire Dammann c. Suisse (Requête no 77551/01). A noter que la Confédération suisse dispose théoriquement du droit de demander le renvoi de cette affai- re devant la Grande Chambre de la Cour si cette dernière considère qu'il s'agit d'un cas exceptionnel, soit une ques- tion grave relative à l'interprétation de la Convention ou une question grave de caractère général (art. 43 CEDH).

Résumé des faits:

Le 1" septembre 1997, la poste de Fraumünster (ZH) fut l'objet d'un cambriolage au cours duquel 53 millions de francs suisses furent dérobés. L'événement a donné lieu à une intense couverture médiatique. Viktor Ferdinand Dam- mann, chroniqueur judiciaire pour le quotidien Blick, a mené une enquête sur ce cambriolage.

Le l 0 septembre 1997, il a ainsi appelé le parquet du canton de Zurich. En possession d'une liste de noms et d'éléments correspondant à certaines personnes qui avaient été arrêtées les jours précédents en rapport avec la cambrio- lage de la poste de Fraumünster, il demanda à l'assistante

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administrative de rechercher dans les données du parquet si les personnes en question avaient fait l'objet de con- damnations antérieures, notamment pour des infractions à la législation sur les stupéfiants. Celle-ci acquiesça.

Cette liste de noms fut transmise par télécopieur à l'assis- tante qui consulta le système informatisé de gestion des affaires du département cantonal de la justice et nota, en face de chacun des noms, les infmmations demandées. Elle renvoya dans la matinée la liste annotée au journaliste. Vik- tor Ferdinand Dammann ne publia pas ces informations.

Le 22 avril 1998, l'assistante administrative fut condam- née pour violation du secret de fonction (art. 320 al. 1 CP, qui prévoit que celui qui aura révélé un secret à lui confié en sa qualité de membre d'une autorité ou de fonctionnaire, ou dont il avait eu connaissance à raison de sa charge ou de son emploi, sera puni de l'emprisonnement ou de l'amen- de).

Le journaliste fut, quant à lui, inculpé d'instigation à vio- lation du secret de fonction (art. 24 al. 1 et 320 al. l CP).

Acquitté en première instance, il fut condamné le 7 septem- bre 1999 en seconde instance à une amende de CHF 500.-. La Cour de cassation cantonale, puis le Tribunal fédéral (ATF 127 IV 122) rejetèrent son recours.

Viktor Ferdinand Dammann a saisi la Cour européenne des droits de l'Homme qui a constaté une violation de la liberté d'expression (art. 10 CEDH). ·

Extrait des considérants:

Selon l'article 10§1 CEDH, toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informa- tions ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'auto- rités publiques et sans considération de frontière(§ 27).

Pour la Cour, il apparaît clairement que la condamnation du requérant est une "ingérence" dans l'exercice de sa liber- té d'expression. Pareille immixtion enfreint l'article 10, sauf si elle remplit les exigences du paragraphe 2. Il faut donc déterminer si l'ingérence était "prévue par la loi", inspirée par un ou des buts légitimes au regard de ce paragraphe et

"nécessaire dans une société démocratique" pour les attein- dre(§ 28-29).

J. "Prévue par la loi"

La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle l'expression "prévue par la loi" impose non seulement que la mesure incriminée ait une base en droit interne, mais vise aussi la qualité de la loi en cause: celle-ci doit être accessible au justiciable et prévisible dans ses effets (§

30-32).

En l'espèce, l'accessibilité des dispositions du Code pénal (art. 24 et 320 CP) n'a pas été mise en cause(§ 34-34).

Quant à la prévisibilité de la mesure litigieuse, la Cour n'est pas convaincue que l'interprétation du droit pertinent à laquelle se sont livrées les juridictions internes pour con- damner le requérant ne constitue pas une extension du domaine d'application du Code pénal, que l'on ne pouvait pas raisonnablement prévoir dans les circonstances de l'espèce. Toutefois, étant donné que la mesure litigieuse s'avère incompatible avec l'article 10 de la Convention pour

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d'autres motifs, elle ne se sent pas tenue de répondre défi- nitivement à la question de savoir si la prévisibilité de la condamnation du requérant était suffisante(§ 35).

2. Buts légitimes

Selon le Gouvernement, la condamnation du requérant visait à empêcher la divulgation d'informations confiden- tielles et à préserver la réputation et les droils d'autrui. Le requérant le conteste (§ 36-37). La Cour ne s'estime pas obligée de répondre définitivement à la question de savoir si la condamnation pour violation du secret de fonction (art.

320 CP) avait aussi pour but de protéger la réputation et les droits d'autrui, dans la mesure où elle juge valable l'autre but foumi par le Gouvernement, à savoir la prévention de la "divulgation d'informations confidentielles", prévue explicitement par le paragraphe 2 de l'article 10 (§ 38).

3. "Nécessaire dans une société démocratique"

Le requérant soutient que le Tribunal fédéral, par une inter- prétation trop extensive du Code pénal suisse, a enfreint sa liberté d'expression. Une telle approche équivaut à déchar- ger le fonctionnaire de sa responsabilité et méconnaît le fait qu'une bonne partie du métier de journaliste consiste à obtenir de tiers, notamment de représentants de l'Etat, des renseignements sur des sujets d'intérêt public (§ 39-43).

Pour le Gouvernement, la protection des données rela- tives aux antécédents judiciaires des personnes soupçon- nées, notamment à la lumière du droit à un procès équitable et de la présomption d'innocence, l'emportait sur un éven- tuel intérêt du public à obtenir ces informations, ce d'autant plus qu'elles n'avaient eu qu'un lien ténu avec le cambrio- lage de la poste centrale de Zurich (§ 44-48).

Selon la Cour, la question majeure à trancher est celle de savoir si l'ingérence était "nécessaire dans une société démocratique". Les principes fondamentaux concernant cette question sont bien établis dans la jurisprudence de la Cour et ont été résumés comme suit:

"i. La liberté d'expression constitue l'un des fondements

essentiels d'une société démocratique, l'une des conditions primordiales de son progrès et de l'épanouissement de cha- cun. Sous réserve du paragraphe 2 de l'article 10, elle vaut non seulement pour les 'informations' ou 'idées' accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indif- férentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent: ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de 'société démocratique'. Telle que la consacre l'article J 0, elle est asso1tie d'exceptions qui ( ... ) appellent toutefois une inter- prétation étroite, et le besoin de la restreindre doit se trouver établi de manière convaincante( ... ).

ii. L'adjectif 'nécessaire', au sens de l'article IO § 2, impli- que un 'besoin social impérieux'. Les Etats contractants jouissent d'une ceitaine marge d'appréciation pour juger de l'existence d'un tel besoin, mais elle se double d'un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l'appliquent, même quand elles émanent d'une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en

dernier lieu sur le point de savoir si une 'restriction' se con- cilie avec la liberté d'expression que protège l'article 1 O.

iii. La Cour n'a point: pour tâche, lorsqu'elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes com- pétentes, mais de vérifier sous l'angle de l'article 10 les dé- cisions qu'elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d'appréciation. Il ne s'ensuit pas qu'elle doive se borner à rechercher si l'Etat défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable: il lui faut considérer l'ingérence litigieuse à la lumière de l'ensemble de l'affaire pour déterminer si elle était 'proportionnée au but légitime poursuivi' et si les motifs invoqués par les autorités natio- nales pour la justifier apparaissent 'pertinents et suffisants' ( ... )Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l'article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faiLo:.; pertinents ( ... )".

Les juridictions suisses ont condamné le requérant pour instigation à violation du secret de fonction pour le fait d'avoir demandé, par téléphone, à l'assistante administrative du parquet du canton de Zurich si les personnes soupçon- nées d'avoir patticipé à un cambriolage spectaculaire et très médiatisé d'une filiale de la poste à Zurich, quelques jours auparavant, avaient déjà fait l'objet de condamnations. Ces ü1formations n'ont toutefois été ni publiées, ni employées à d'autres fins (§ 50).

La Cour rappelle que les restrictions à la liberté de la presse visant la phase préalable à la publication tombent dans le champ de son contrôle et qu'elles présentent même des grands dangers qui appellent de la part de la Cour l'exa- men le plus scrupuleux(§ 51-52).

Si les données relatives aux antécédents judiciaires des personnes soupçonnées sont a priori dignes de protection, il ressort notamment de l'arrêt du Tribunal fédéral que ces infonnations auraient pu être obtenues par d'autres moyens, en particulier par la consultation des recueils de jurispru- dence ou des archives de presse, même si de telles recher- ches auraient été plus onéreuses. Il n'apparaît donc pas que les motifs invoqués par les autorités internes pour justifier l'amende infligée au requérant fussent effectivement "perti- nents et suffisants", dans la mesure où l'on n'était en l'oc- currence pas véritablement en présence d'"informations confidentielles" au sens de l'article 10 § 2 de la Convention (§ 53).

La Cour souligne également qu'il n'appartenait pas à la partie défenderesse de se substituer au requérant sur la question de savoir s'il existait un intérêt général à la publi- cation des informations litigieuses(§ 54).

Selon les juridictions internes, le requérant aurait dû savoir, en tant que chroniqueur expé1imenté, que les infor- mations sur les personnes impliquées dans une procédure pénale en cours étaient confidentielles. La Cour n'est pas convaincue par cette argumentation. Elle estime au contraire qu'il appartient aux Etats d'organiser Jeurs services et de fonner leurs agents de sorte qu'aucun renseignement ne soit divulgué concernant des données considérées comme confidentieUes. Ainsi, le gouvernement défendeur assume,

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en l'espèce, une part imp01iante de la responsabilité pour l'indiscrétion commise par l'assistante du parquet du canton de Zurich. De surcroît, il n'apparaît pas que le requérant ait recouru à la ruse ou la menace ou qu'il ait autrement exercé des pressions afin d'obtenir les renseignements voulus (§ 55).

Enfin, la Cour rappelle que la nature et la lourdeur des sanctions infligées sont des éléments à prendre en consi- dération lorsqu'il s'agit de mesurer la proportionnalité de l'ingérence. Si la sanction de CHF 500.~ est d'une sévérité relativement faible, la condamnation n'en a pas moins cons- titué une "espèce de censure" tendant à inciter le requérant à ne pas se livrer à des activités de recherche, inhérentes à son métier, en vue de préparer et étayer un article de presse sur un sujet d'actualité. Sanctionnant ainsi un comportement intervenu à un stade préalable à la publication, pareille con- damnation risque de dissuader les journalistes de contribuer à la discussion publique des questions qui intéressent la vie de la collectivité. Par là même, elle est de nature à entraver la presse dans l'accomplissement de sa tâche d'information et de contrôle(§ 56-57).

Compte tenu de ce qui précède, la condamnation du journaliste ne représentait pas un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite du but légitime visé, compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse. Partant, il y a eu violation de l'article 10 de la Convention (§ 58).

4. Dommar;e et frais et dépens

La Cour estime qu'en l'espèce, le constat de violation suffit à réparer Je préjudice moral subi par le requérant(§ 60-63).

Elle accorde une somme de CHF 5000.- au requérant pour les procédures devant la Cour. Elle refuse en revanche d'ac- corder le remboursement des frais et dépens qui ont été engagés devant les juridictions nationales au motif qu'ils ont été acquittés par l'employeur du requérant ( §

64-69).

Commentaire:

I. L'arrêt Dammann de la Cour européenne des droits de l'Homme sonne, pour la grande majorité des cas, le glas de toute condamnation pénale pour instigation à violation du secret de fonction. En effet, tôt ou tard tout journaliste sera, dans le cadre de ses recherches, appelé à recourir aux ser- vices de l'Etat en vue d'obtenir des informations circonstan- ciées sur une affaire ou pour en vérifier l'exactitude. Or, s'il devait craindre une condamnation pour instigation à vio- lation du secret de fonction à chaque fois qu'il recevrait des infonnations de la part de l'administration, cela aurait pour conséquence de le dissuader à se livrer à des activités de recherches et d'enquête, inhérentes à son métier, en vue de préparer et d'étayer un article de presse sur un sujet d'actua- lité(§ 57; voir aussi: STÉPHANE WERLY, La protection du secret rédactionnel, thèse, Genève, Zurich, Bâle 2005, p. 273).

Cela explique d'ailleurs pour quelle raison la Cour, après avoir - pour la première fois - expressément inclu la phase préparatoire ou préalable à la publication dans son champ de contrôle, attache tant d'importance à la liberté de la recherche journalistique. Non seulement, son inhibition par

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le biais de sanctions pénales ou d'autres sanctions aurait- elle pour conséquence de freiner toute activité d'enquête indispensable au rôle de "chien de garde" joué par la presse en rapport avec l'Etat de droit et la démocratie (Goodwin c. Royaume-Uni, § 39, Rec. 1996-11; voir aussi: FRANZ RIKUN, Schweizerisches Presserecht, Berne 1996, p. 32);

mais de tels obstacles présentent également de grands dan- gers en aval, en ce qu'ils risquent tant d'appauvrir la quan- tité et la qualité ou pertinence des recherches effectuées que de décourager les journalistes à publier leurs résultats.

Par conséquent, la Cour exerce l'examen le plus scrupuleux quant à la proportionnalité de telles mesures potentielle- ment dissuasives(§ 52; voir aussi: Sunday Times no 2 c.

Royaume-Uni,§ 51. Série A 217).

2. Outre cet argument du ''chilling effect" (par référence à la jurisprudence de la Cour suprême des Etats-Unis, voir par exemple l'arrêt Reno, Attorney General of the United States et al. v. American Civil Liherties Union et al., no 96-511, du 26 juin 1997), il est important de noter que la Cour n'admet pas que l'Etat puisse s'ériger en juge de ce qui est digne ou indigne de faire l'objet de recherches et d'être publié. Que le requérant se soit, en fin de compte, résolu à ne pas publier les informations obtenues ne change strictement rien à l'intérêt représenté par celles-ci(§ 54). 3. Par ailleurs, la Cour relève qu'il appartient en premier chef à l'Etat d'organiser ses services et de former ses agents de sorte qu'aucun renseignement concernant des données considérées comme confidentielles ne soit divulgué (§ 55).

11 appartient ainsi à l'Etat d'instruire ses fonctionnaires sur les éléments qui doivent demeurer secrets el ceux qui peu- vent être communiqués aux particuliers. Ce n'est pas au citoyen de s'interroger préalablement sur le caractère confi- dentiel ou non d'une information demandée, quand bien même il en aurait la capacité de par son expérience profes- sionnelle (§ 55).

4. Tout au plus, la Cour laisse-t-elle entendre qu'une con- damnation pour instigation à violation du secret de fonction pourrait être envisageable si un journaliste faisait usage de la ruse ou de la menace ou qu'il exerçait d'autres formes de pression afin d'obtenir les renseignements voulus (§ 55).

Or, en l'occurrence, le Tribunal fédéral avait, dans l'optique de déterminer si M. Dammann avait "décidé" (art. 24 al. 1 CP) l'assistante administrative à violer le secret de fonction, dû admettre que cette dernière s'était déclarée prête à l'aider sans qu'il ne ffü besoin de dissiper d'éventuelles craintes ou de la convaincre. Les juges de Mon-Repos étaient cependant parvenus au constat que l'existence d'un lien de causalité entre la demande du journaliste et la communi- cation des informations litigieuses suffisait pour que l'insti- gation par dol éventuel soit réalisée (ATF 127 IV 122, consid. 2).

5. Mis à part, in casu, le caractère également informatif des articles de presse litigieux, lesquels souhaitaient rendre compte de la tonalité et du style de négociation des auto- rités suisses, l'exagération, voire même la provocation, sont également protégées par l'article 10 CEDH (Da/ban c. Rou-

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manie [GC], § 49, Rec. 1999-VI). Une dose d'exagération ou une certaine polémique sont d'autant plus admissibles lorsqu'on sait que, comme en l'espèce, les faits se trouvant à la base de l'arrêt de la Cour concernaient des infractions contre l'autorité publique (Titre quinzième du CP). et non pas des infractions contre l'honneur (Titre troisième du CP) (§ 55 s). Au titre des responsabilités et des devoirs qui incombent à la profession de journaliste, la protection de l'Etat et de ses secrets appelle, en principe, une moindre retenue que, par exemple, la protection de la personnalité des particuliers (Bergem· Tidende et al. c. Norvège,§ 53, Rec. 2000-IV; Bladet Trams() et Stensaas c. Norvège [GC],

§ 65, Rec. 1999-Ill; voir aussi: Erdoglu et Ince c. Turquie [GC], § 50, Rec. 1999-IV; ATF 131 IV 160

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214 s).

6. Un autre point mérite d'être rappelé par rapport à l'ins- tigation à violation d'un secret de fonction, à savoir celui de l'interprétation que le Tribunal fédéral en a donné dans cette affaire. De jurisprudence constante, la loi à la base d'une restriction aux libertés doit être accessible au justi- ciable et, surtout, prévisible dans ses effets (Maestri c. Ita- lie,§ 30-42, Rec. 2004-1; Kopp c. Suisse,§ 62-75, Rec.

1998-11). Or, la Cour relève qu'elle n'est pas "convaincue"

par l'interprétation du droit pertinent à laquelle se sont livrées les juridictions nationales pour condamner le re- quérant. En effet, il n'est pas certain que l'on pouvait raison- nablement prévoir, dans les circonstances de l'espèce, la condamnation pour instigation à violation du secret de fonction(§ 32). Peu s'en est fallu que la Cour constate, qui plus est dans le domaine pénal, une violation pour défaut d'une base légale prévisible.

7. A notre sens, la contrariété d'une condamnation pour instigation à violation du secret de fonction à l'article 10 CEDH doit être constatée non seulement à l'égard des journalistes, mais également vis-à-vis de toute personne - physique ou morale - qui s'adresse à l'administration aux fins d'obtenir des informations. D'une part, la liberté d'ex- pression comprend, pour toute personne, la liberté de rece- voir des informations (art. 10 § 1 CEDH; Open Door et Dublin Weil Woman c. Irlande, § 72-75, Série A 246-A;

Oberschlick c. Autriche, § 58, Série A 204). D'autre part, il n'existe aucun motif objectif justifiant une quelconque distinction entre le droit d'un journaliste et d'un particulier dans ce domaine. Ceci est d'autant plus vrai que la res- ponsabilité principale, sinon essentielle, pour l'absence de divulgation relative à des données confidentielles appartient à l'Etat et que ce dernier serait mal venu de faire assumer le fardeau aux récipiendaires des informations transmises.

8. Autant l'inflation des secrets favorise les indiscrétions, autant la transparence permet de rétablir un équilibre rai- sonnable entre ce qui mérite d'être protégé et ce qui peut entrer dans le domaine public (HANSJôRG STADLER, Indis- kretionen im Bund, RSJB 2000 p. 112 ss). L'arrêt Dam- mann acquiert ainsi une pertinence particulière à l'heure où l'administration abandonne progressivement le principe général du secret pour s'ouvrir à la transparence. Nous en

voulons pour preuve, notamment, l'entrée en vigueur annoncée pour le l" juillet 2006 de la loi fédérale sur le principe de la transparence dans l'administration du 17 dé- cembre 2004 (FF 2004 6807), qui dispose, à son article 6, alinéa 1, que toute personne a le droit de consulter des documents officiels et d'obtenir des renseignements sur leur contenu de la part des autorités. Ce principe a, au demeu- rant, déjà été concrétisé dans plusieurs cantons (canton de Berne: ai1. 17, al. 3 de la Constitution du canton de Berne du 6juin 1993 [RS/BE 101.1]; canton de Genève: art. 24, al. 1 de la loi sur l'information du public et l'accès aux documents du 5 octobre 2001 [RS/GE A 2 08]; canton de Soleure: art. 11, al. 3 de la Constitution du canton de So- leure du 8 juin 1986 [RS/SO 111.1]; canton de Vaud: art. 8, al. 1 de la loi sur l'information du 24 septembre 2002 [RSND 170.21]; canton du Jura: art. 4, al. 2 de la loi sur l'information et l'accès aux documents officiels du 4 décem- bre 2002 [RS/JU 170.801]). Dans une administration qui se targue de transparence et d'ouverture, il est inconcevable qu'un administré se voie condamné pénalement pour avoir osé lui demander des informations.

9. Dans la procédure nationale, le Tribunal fédéral avait mis en avant le "droit à l'oubli" afin de tenir compte de l'intérêt à la protection des données des tiers affectés par une procédure pénale (ATF 127 IV 122, consid. 3.b/bb). Selon les juges fédéraux, les informations qui concernent des condamnations pénales sont, dans un premier temps, publiques en raison du principe de la publicité des débats.

Elles peuvent cependant se muer en un véritable secret avec l'écoulement du temps.

La Cour a admis que l'intérêt au secret des antécédents judiciaires était a priori digne de protection. En revanche, elle a considéré qu'ici, on ne se trouvait pas en présence d'informations confidentielles au sens propre du terme. Ce dans la mesure où celles-ci pouvaient être obtenues par la consultation des recueils de jurisprudence ou des archives de presse relatifs aux condamnations pénales(§ 53). Cela ne signifie toutefois pas que ces informations à caractère sensible soient exemptes de toute protection. Les intéressés disposent en effet d'actions civiles afin de protéger leur droit (art. 28 ss CC) et d'éviter que leur passé pénal ne resurgisse sans motif valable plusieurs années après: la voie pénale devrait, par contre, constituer l'ultima ratio quant aux moyens de défense utilisés. Cet état de fait peut égale- ment tomber sous le coup de l'article 8 CEDH qui protége la vie privée et familiale. A ce titre, il siéra de tenir compte des intérêts en présence. On rappellera que les critères d'éva- luation dépendent notamment du statut de la personne en cause. La divulgation de telles informations peut ainsi se justifier pour un homme politique, mais non pour un simple particulier (Schwabe c. Autriche, § 32, Série A 242-B).

10. Finalement, une remarque s'impose au sujet du rem- boursement des frais et dépens qui sont engagés par devant les juridictions - nationales comme internationales - au regard des spécificités des affaires de presse. Fréquemment, et opportunément, ces frais sont couverts par l'employeur du journaliste. Or, la Cour, en s'appuyant sur les principes

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généraux développés en matière de frais et dépens, lesquels prévoient un rembomsement uniquement lorsque se trou- vent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raison- nable de leur taux (Bottazzi c. Italie [GC], § 30, Rec. 1999- V), aboutit à un résultat qui laisse songeur. Etant donné qu'en l'espèce, les frais ont été déboursés par l'employeur, la Cour refuse d'en allouer le remboursement au requérant.

Ce dernier s'était pourtant engagé envers son employeur à lui verser l'intégralité des frais et dépens en cas de consta- tation de violation (§ 68).

Une telle approche risque, d'une part, d'inciter les jour- nalistes à signer des reconnaissances de dette uniquement dans le but d'obtenir le remboursement par l'Etat des frais engagés, ce qui revient en quelque sort à contourner les principes posés par la Cour. D'autre part, il convient de sou- ligner l'effet dissuasif qu'une telle jurisprudence est sus- ceptible d'exercer sur la volonté des maisons d'édition de financer les procès intentés contre leurs collaborateurs.

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pourrait être souhaitable que la Cour tienne davantage compte des réalités économiques prévalant dans le domaine de la presse et qu'elle admette la requête des journalistes portant sur les frais et dépens.

11. En définitive, l'arrêt Dammann constitue un rappel bienvenu sur le caractère fondamental de la protection ac- cordée aux journalistes par la liberté d'expression (art. 10 CEDH). L'on peut tout au plus regretter que la Suisse, pays démocratique au cœur de l'Europe, soit (trop) régulièrement condamnée pour violation de cette liberté fondamentale (cf. MrcHEL HarrnLIER/HANSPETER MocK/MICHEL PuÉcHA- VY, La Suisse devant la Cour européenne des droits de l'homme, Brnxelles 2005, p. 175 ss).

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