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UTP MAI Le droit de retrait

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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UTP – MAI 2020

Le droit de retrait

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 1/22

Afin d'accentuer la prévention des risques professionnels, la loi n° 82-1097 du 23 décembre 1982 relative au Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) a inséré dans le Code du

travail de nouvelles dispositions autorisant les salariés, confrontés à une situation de travail particulièrement dangereuse, d'interrompre ledit travail, de leur propre initiative, pour préserver leur santé ou leur sécurité.

A noter : les ordonnances dites “Macron” (ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 “relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales”) ordonnent la mise en place du Comité Social et Économique (CSE) depuis le 1er janvier 2018, progressivement au fur et à mesure des élections professionnelles dans l'entreprise, et au plus tard le 1er janvier 2020. Le CSE remplace et fusionne les anciennes instances représentatives du personnel dont les CHSCT. Le CSE reprend les attributions anciennement dévolues au CHSCT.

L’article L. 4131-1 du Code du travail dispose que :

« Le travailleur alerte immédiatement l'employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection.

Il peut se retirer d'une telle situation.

L'employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d'une défectuosité du système de protection ».

Lorsque ses conditions sont réunies, le droit de retrait confère au salarié qui l’exerce une protection particulière prévue à l’article L. 4131-3 du Code du travail : « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux ».

Appliquées au domaine des transports publics, ces dispositions conduisent à s’interroger sur l'étendue du droit de retrait d’un ou plusieurs salariés d’une entreprise de transport urbain ou ferroviaire de voyageurs, notamment lorsqu’il est exercé par un ou plusieurs conducteurs ou contrôleur se trouvant face à un danger, tel qu’un risque d'agression.

La difficulté essentielle engendrée par la notion de « droit de retrait » réside dans son caractère subjectif.

En effet, la lettre de l'article L. 4131-1 précité, en utilisant des termes tels que « motif raisonnable de penser » et « danger grave et imminent », conduit nécessairement à interprétation.

Les contours de la notion de droit de retrait et ses modalités d'exercice apparaissent donc imprécis.

Cependant, en étudiant la définition et les conditions d'exercice du droit de retrait (I) puis les conséquences et effets de ce droit (Il), il est possible de parvenir à en dresser les limites d'exercice et à en déterminer le domaine. La procédure d’alerte sera également abordée (III).

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SOMMAIRE

I. CONDITIONS D’EXERCICE DU DROIT DE RETRAIT ... p 3 I.1 La notion de droit de retrait ... p 3

a. Un pouvoir d’initiative du salarié ... p 3 b. Un devoir d’alerte ... p 3 I.2 Les trois conditions d’exercice du droit de retrait ... p 4 a. Première condition : l’existence d’un danger ... p 4 b. Deuxième condition : le degré de gravité du danger ... p 4 c. Troisième condition : l’imminence du danger ... p 5 d. Appréciation de la situation par les juridictions ... p 6 I.3 Les limites au droit de retrait ... p 7 a. L’usage du droit de retrait de manière raisonnable ... p 7 b. Le droit de retrait est limité dans sa durée ... p 8 c. Le droit ne doit créer aucun risque pour autrui ... p 8 d. Le droit de retrait ne s’apparente pas au droit de grève ... p 8 I.4 L’exercice du droit de retrait dans le transport urbain et ferroviaire ... p 9 a. Un droit de retrait individuel pouvant être exercé collectivement ... p 9 b. Les cas d’exercice injustifié du droit de retrait dans le transport urbain et ferroviaire ... p 10 I.5 L’exercice du droit de retrait dans le contexte Covid-19 ... p 12 II. EFFETS DU DROIT DE RETRAIT ... p 14 II.1 Les effets de l’exercice légitime du droit de retrait ... p 14 a. Absence de sanction ou de retenue sur salaire ... p 14 b. Nullité du licenciement ... p 14 c. Le salarié demeure à la disposition de son employeur ... p 14 d. Bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur ... p 15 II.2 Les effets de l’exercice injustifié du droit de retrait : les sanctions applicables ... p 16 a. Retenue sur salaire ... p 16 b. Sanctions disciplinaires dans le transport urbain ... P 16 c. Sanctions disciplinaires dans le transport ferroviaire ... p 17 III. PROCÉDURE D’ALERTE ... p 18 a. Droit d’intervention du Comité Social et Economique ... p 18 b. Pouvoirs de l’inspecteur du travail ... p 19 c. Recours à un expert ... p 19

SCHEMA SYNTHETIQUE ……….……….. p 21 CE QU’IL FAUT RETENIR ... p 22

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I. CONDITIONS D’EXERCICE DU DROIT DE RETRAIT

I.1. La notion de droit de retrait a. Un pouvoir d’initiative du salarié

Dérogeant à l'obligation qui repose sur le salarié d'exécuter son contrat de travail, I'article L. 4131-1 du Code du travail confère au salarié un pouvoir d’initiative, lui permettant, dans “une situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle représente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé” :

De signaler immédiatement et par tout moyen une telle situation à son employeur ou à son représentant ;

De se retirer de cette situation.

La Cour de cassation a déjà admis que le fait de ne pas faire usage du droit de retrait ne peut constituer une faute (Cass. Soc. 9 décembre 2003, n°02-47.579). Il convient de préciser que ce droit ne peut être exercé que pendant l’exécution du contrat de travail. Autrement dit, un salarié dont le contrat de travail

est suspendu (par exemple en cas d’arrêt maladie) ne peut s’en prévaloir (Cass. soc. 9 octobre 2013, n° 12-22.288).

La Cour de cassation a pu notamment admettre un cas d’exercice « implicite » du droit de retrait d’un salarié, chauffeur-routier, licencié après avoir refusé d’effectuer un nouveau transport. Ce dernier estimait en effet que son amplitude de travail de la veille avait été trop importante pour exécuter une nouvelle mission. Ce refus, considéré comme « l’exercice, de fait, de son droit de retrait », ne constitue pas, selon

la Chambre sociale, un comportement fautif justifiant le licenciement (Cass. soc., 2 mai 2010, n° 08-45.086).

Ajoutons qu’il ne peut être reproché au salarié de ne pas s’être retiré de son poste de travail, en particulier

lorsque le danger a été préalablement porté à la connaissance de l’employeur (Cass. soc., 9 décembre 2003, n° 02-47.579).

A l’inverse, ce n’est pas parce que le salarié a demandé l’accord de l’employeur avant de quitter son poste qu’il n’a pas exercé son droit de retrait. En effet, la Cour de cassation a jugé qu’un salarié pouvait avoir « légitiment exercé son droit de retrait, peu important qu’il ait obtenu l’accord de son employeur pour quitter son poste de travail » (Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-21.272).

b. Un devoir d’alerte

Comme en dispose l’article L. 4131-1 du Code du travail, le salarié qui se retire de son poste de travail doit avoir, préalablement ou simultanément, signalé la situation dangereuse à son employeur ou son représentant ainsi que toute défectuosité qu’il aurait constatée dans les systèmes de protection.

Ce texte doit être lu comme conférant au salarié un devoir, et pas seulement un droit, de signaler le risque à son employeur et non une simple faculté.

Concernant l'information donnée par le salarié qui alerte immédiatement son employeur de la situation dangereuse et de l’éventuelle défectuosité des systèmes de protection, le Conseil d'État a rappelé à plusieurs reprises que le règlement intérieur de l'entreprise ne pouvait ni imposer au salarié d’exercer son devoir d’alerte par écrit (CE 9 octobre 1987, nos 69829 et 72220 ; CE 4 décembre 1987, n°74679), ni

imposer une déclaration écrite préalable à l’exercice de son droit de retrait (Cass. soc., 28 mai 2008, n° 07-15.744).

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En revanche, une clause qui prévoirait, postérieurement au retrait, une information sur la situation dangereuse, semble être admise, étant toutefois précisé qu'il ne s’agit pas pour le salarié de se justifier, mais de décrire la situation afin qu'il y soit remédié au mieux.

Le salarié étant soumis à ce devoir d’alerte lorsqu’il considère qu’une situation dangereuse nécessite le retrait de son poste de travail, la Cour de Cassation a précisé que l’absence de signalement, au moins oral, est fautive (Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.935).

Parallèlement au devoir d’alerte du salarié, les représentants du personnel au comité social et économique disposent d’un droit d’alerte en cas de danger grave et imminent (cf. III).

I.2 Les trois conditions d’exercice du droit de retrait

Les articles du Code du travail consacrés au droit de retrait posent les conditions nécessaires à l'exercice de ce droit. Rappelons que ces conditions demeurent des notions subjectives appréciées au cas par cas par les juridictions.

a. Première condition : l’existence d’un danger

L'origine du danger n'a pas d'importance. Il peut s'agir d'un danger émanant d'une machine, d'un processus de fabrication, d'une ambiance de travail, etc (CA Versailles 12 novembre 1996, n°852). La jurisprudence admet également de manière constante que l’origine du danger peut être inhérente au salarié, et résulter notamment de son état de santé. A titre d’exemple, il a été jugé qu’un salarié, assigné à un poste de travail ne correspondant pas aux conclusions du médecin du travail dans son avis d’inaptitude, a légitimement exercé son droit de retrait dans une situation qu’il a estimé dangereuse (Cass. soc., 20 mars 1996, n° 93-40.111). Dans une autre affaire, et constatant que la veille du jour où il avait refusé de conduire un autobus au motif que la direction du véhicule était trop dure et sa suspension trop ferme, le salarié avait été examiné par le médecin du travail à la suite d'une période d'arrêt de travail provoquée par un accident du travail et avait été déclaré apte à la conduite sous réserve que lui soit confié un véhicule à la direction souple, la Cour de cassation a jugé que le salarié avait nécessairement exercé son droit d'alerte et avait un motif raisonnable de penser que la conduite de l'autobus qui lui était confié pouvait présenter un danger grave et imminent pour sa santé (Cass. soc., 10 mai 2001, n° 00-43.437). Ainsi qu'il résulte de cette décision, la circonstance que le médecin du travail a expressément déclaré le salarié apte à son poste sous certaines réserves peut dans certains cas être de nature à fonder la croyance légitime en un danger grave et imminent de la part du salarié ne bénéficiant pas des conditions de travail auxquelles était subordonnée son aptitude.

b. Deuxième condition : le degré de gravité du danger

Cela signifie que le danger doit être distingué du risque naturel encouru. Cette condition confère au droit de retrait un caractère exceptionnel. Il ne doit être exercé que face à une menace sérieuse et très proche, et seulement quand il n’y a pas d'autres moyens d'agir pour échapper au danger. Ainsi, un travail reconnu dangereux en soi ne peut suffire à justifier un retrait. Un salarié ne peut en effet prétendre qu'un risque grave le menace, alors qu'une comparaison avec les conditions de travail habituelles démontre que le danger ne s'est pas aggravé. L'exercice de certaines activités professionnelles (pénibles ou périlleuses) peut présenter un caractère dangereux, inhérent à la fonction, qui doit être accepté par le salarié.

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En l'absence de circonstances inhabituelles, le salarié ne pourra donc légitimement exercer son droit de retrait. La Cour d’appel de Versailles a ainsi jugé que le seul fait de travailler sur un site nucléaire ne constituait pas un risque, ni un motif raisonnable de nature à permettre au salarié d’exercer légitimement son droit de retrait (CA Versailles, 26 février 1996, n° 94-22877).

A l'inverse, un veilleur de nuit signalant à son employeur que certains résidents du foyer où il travaille sont armés et qu'il est personnellement menacé par l'un d'eux en état d'ivresse peut exercer son droit de retrait (CA Paris, 27 mars 1987, n° 85-33604).

c. Troisième condition : l’imminence du danger

Le danger grave doit également consister en une menace sérieuse susceptible de se concrétiser brusquement, dans un délai rapproché, et sans qu'il y ait d'autre moyen d'agir pour y échapper que de se retirer. En revanche, la crainte d'une agression future ne suffit pas à elle seule à justifier le droit de retrait. Ainsi, dans un arrêt rendu le 8 novembre 1995, la Cour d'Appel d'Aix en Provence (CA Aix-en- Provence, 8 novembre 1995, n° 92/6287), a jugé que l'exercice du droit de retrait par un convoyeur de fonds qui s'était retiré dans la crainte d'une agression future et ce, dix jours après que des collègues aient été victimes d'une attaque ayant entraîné la mort de l'un d'eux, était injustifié.

La Cour a en effet jugé, d'une part, que la crainte d'une agression constituait un risque inhérent à la fonction de convoyeur de fonds, d'autre part, qu'aucun manquement de l'employeur à son obligation de sécurité n'était apparu en l'espèce (dans cette affaire, I'employeur avait équipé le personnel et les véhicules conformément à la règlementation en vigueur). La Cour a également précisé qu'aucun danger imminent pour la vie ou la santé du salarié ne risquait d'intervenir avec certitude, en précisant qu'hormis le risque impondérable de récidive, aucun élément n'était avancé pour démontrer qu'une nouvelle agression aurait pu raisonnablement survenir et mettre en danger la vie ou compromettre la santé du convoyeur de fonds ou de ses collègues.

En conséquence, il apparaît que si certaines activités professionnelles présentent des risques plus élevés que la moyenne des activités, elles ne permettent un retrait légitime du salarié qu'à condition que le danger soit actuel et résulte de circonstances particulières et inhabituelles.

La Cour d’appel de Rennes s’est également prononcée sur la question de la légitimité de l’exercice du droit de retrait d’un agent d’accueil au sein d’un bus de nuit desservant des discothèques. En l’espèce, elle a jugé le droit de retrait exercé par la salariée illégitime, l’éventuel état d’ébriété des passagers ne suffisant pas à caractériser un danger grave et imminent. La Cour d’appel relève également qu’il n’existait pas de danger spécifique lié aux horaires de nuit, puisque « des incidents interviennent indifféremment sur des services réguliers », et souligne également que les moyens déployés par l’employeur pour assurer la sécurité du bus, à savoir « téléphone portable, radio bus en liaison avec le PCC, et radio portative en liaison avec les 2 agents en circuit à bord d'un véhicule de service », étaient suffisants. Enfin, elle rappelle que « l'exercice tant de [la profession de] conducteur de bus que [de celle]

d'agent de prévention comporte un risque d'incivilités, d'altercations, voire de violences, désormais

risques habituels liés à l'emploi », et que ce seul risque ne justifie pas l’exercice du droit de retrait (CA Rennes, 8 janvier 2009, n° 07/07001).

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d. Appréciation de la situation par les juridictions

La loi ne subordonne pas le droit de retrait à l'existence effective d'un danger grave et imminent. Il suffit que le salarié ait un motif raisonnable de penser qu'il en est ainsi. C'est donc son appréciation du danger, et non celle de l'employeur ou du juge qui doit être prise en compte lors du contrôle a posteriori du bien-fondé de l'exercice de ce droit. Une erreur d'estimation de la part du salarié n'est pas en soi fautive.

En revanche, le salarié peut être sanctionné en cas de retrait non fondé sur un motif raisonnable.

Une juridiction saisie de litiges en la matière apprécie souverainement l’existence de plusieurs critères : - S'agit-il d'un danger grave, réel, certain et proche ?

- Le salarié se trouve t’il personnellement face à ce danger ?

- L'employeur a t’il mis en œuvre les moyens conformes à la réglementation en vigueur, nécessaires à la sécurité du salarié ?

- Lorsqu’il s’agit d’une agression, existe-t-il des éléments différents du risque impondérable de récidive démontrant qu'une nouvelle agression pourrait survenir ?

Ces critères ne sont pas nécessairement cumulatifs. Il s'agit plutôt de faisceaux d'indices que la juridiction étudiera pour déterminer si, selon elle, et de façon raisonnable, un danger grave et imminent menaçait effectivement le salarié.

De même, il ne suffira pas qu'un seul critère soit établi pour voir déclarer illégitime le droit de retrait du salarié. Par exemple, la mise en œuvre par l'employeur de mesures de sécurité maximales ne sera pas un critère suffisant pour évincer la possibilité de retrait du salarié s'il a reçu des menaces sérieuses d'agression.

Bien que l'exercice du droit de retrait demeure un recours exceptionnel, il convient de ne pas omettre que la réunion des circonstances évoquées ci-dessus n'est pas objectivement nécessaire. Il suffit en effet que le salarié ait eu « un motif raisonnable de penser » que les circonstances en question étaient réunies.

La Cour de cassation a estimé que les éléments de fait et de preuve démontrant que le salarié avait un « motif raisonnable de penser » qu’il se trouvait dans une situation présentant un danger grave et imminent relèvent de l’appréciation souveraine des juges du fond (Cass. soc., 9 mai 2012, n° 10-27.115 ; Dans le transport urbain de voyageurs : Cass. soc., 19 mai 2010, n° 09-40.353 ; Dans le transport ferroviaire : Cass. soc., 22 octobre 2008, n° 07-43.740 ; 20 novembre 2014, n° 13-22.421 ; Cass. Soc., 27 septembre 2017, n°16-22.224 et 16-23.585).

Dans sa décision du 20 novembre 2014, la Cour de cassation a ainsi cassé et annulé un arrêt rendu le 7 juin 2013 par la Cour d’appel de Lyon qui a rejeté la demande d’annulation d'une mise à pied disciplinaire d'un agent de surveillance, lequel avait été désigné pour effectuer, une nuit, la surveillance d'un convoi ferroviaire comportant un wagon de la Banque de France transportant des espèces entre deux gares et n’ayant que partiellement exécuté sa mission :

“Attendu que pour rejeter la demande d'annulation de cette sanction, l'arrêt retient que l'existence d'un risque ne suffit pas à démontrer qu'existait, au moment des faits, un danger grave et imminent pour la vie ou la santé des agents qui sont intervenus sur place, que le salarié ne verse aux débats aucune pièce établissant la réalité du danger grave et imminent qu'il allègue pour justifier l'exercice prétendu de son droit de retrait, que ce danger ne saurait résulter du défaut de fourniture d'un gilet pare-balles par l'employeur ; Qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, sans rechercher si le salarié avait un motif raisonnable de penser que la situation de travail présentait un danger grave et imminent pour sa sécurité et pour sa santé justifiant l'exercice de son droit de retrait, la cour d'appel a violé le texte susvisé;”

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Cela signifie que l’examen du bien-fondé de l’exercice du droit de retrait par le salarié ne relève pas du contrôle opéré par la Cour de cassation. Il convient donc d’être vigilant lors de la lecture d’arrêts de Cour de cassation portant sur le droit de retrait.

La jurisprudence semble par ailleurs considérer qu'il ne suffit pas par exemple qu'une agression vienne de se produire pour justifier un droit de retrait consécutif, les juridictions estimant qu'il existe toujours, à la suite d'une agression, une éventualité de récidive. Les Tribunaux considèrent cependant que ce « risque impondérable de récidive » ne suffit pas en lui-même à caractériser le droit de retrait, et qu'il sera nécessaire que d'autres éléments soient réunis : menaces spécifiques à l'encontre du salarié ou de l'employeur, agressions successives et rapprochées, tous les éléments ou phénomènes inhabituels permettant de penser qu'une nouvelle agression pourrait effectivement intervenir et menacer la vie ou la santé du ou des salariés.

Dans un arrêt rendu le 11 mars 2003 par la Cour d’appel de Montpellier (CA Montpellier, 11 mars 2003, n° 02/1245), les magistrats ont considéré que le droit de retrait exercé par un chauffeur de bus à la suite d’un jet de pierre n’était pas justifié. La menace avancée par le salarié était en effet trop isolée et l’employeur avait pris des mesures nécessaires pour écarter le danger (dispositif temporaire de sécurisation du bus).

Rappelons qu'en tout état de cause, le recours au droit de retrait doit demeurer exceptionnel, que le ou les salariés doivent se trouver personnellement face à un danger sérieux et très proche, et qu'il ne doit pas y avoir d'autres moyens d'agir pour échapper au danger. Nous verrons plus bas, qu'en outre, I’exercice du droit de retrait ne doit pas entraîner un risque pour autrui.

I.3 Les limites au droit de retrait

a. L’usage du droit de retrait de manière raisonnable

Les dispositions relatives au droit de retrait font appel à la notion de raison. Le salarié doit en effet user de son droit de retrait en agissant de manière raisonnable.

Sera donc jugé illégitime l'utilisation du droit de retrait de mauvaise foi ou en vertu d'une erreur inexcusable. Ainsi, un salarié préparateur de commande, qui invoque le défaut de visite médicale de ses collègues et leur consommation de stupéfiant, ne peut se croire de bonne foi en danger, et donc user de son droit de retrait, « en l’absence de tout indice matériel de conduite dangereuse ou d’inaptitude »

et alors qu’il refuse d’indiquer l’identité des collègues qu’il incrimine (CA Aix-en-Provence, 2 septembre 2016, n° 14/12877).

En outre, le retrait commandé par une revendication sans rapport avec le prétendu danger est injustifié. C’est ainsi qu’a été qualifiée de démission « la lettre d’un salarié chauffeur qui déclare cesser son travail alors qu’il n’a pas obtenu les attentes espérées tant en conditions de travail qu’en salaire » (CA Grenoble, 2 février 2004, Bizzoto c/ SA Cars de la Chartreuse). La même solution a été donnée dans une affaire où l'attitude du salarié avait été dictée par le refus de l'employeur de réviser sa classification (CA Poitiers, 4 novembre 1987).

De même, le droit de retrait ne doit pas constituer pour le salarié une couverture juridique à un refus d'obéissance.

Néanmoins, I ’erreur d'appréciation de la situation ne remet pas en cause l'exercice du droit de retrait.

Une apparence sérieuse de danger suffit pour justifier le retrait mais le salarié ne doit pas sous évaluer ses possibilités, ni surévaluer le risque.

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La notion subjective de « motif raisonnable de penser » sera appréciée selon chaque cas particulier et en fonction de critères inhérents à la personne du salarié : son expérience, sa qualification professionnelle, son ancienneté, son âge, sa santé, etc.

b. Le droit de retrait est limité dans sa durée

Le droit de retrait ne demeure légitime que tant que dure le danger. Dès que l'absence de danger a été portée à la connaissance du salarié, ce dernier doit reprendre son travail. A défaut, une faute, telle que l'abandon de poste, pourrait lui être reprochée. La Cour de cassation a ainsi estimé justifié le licenciement pour faute grave de salariés qui, malgré les mises en garde de l’employeur, ont refusé de reprendre le travail alors que le danger avait cessé (Cass. soc., 24 septembre 2013, n° 12-11.532).

En outre, le danger doit être grave et imminent. Par conséquent, la subsistance d’un simple risque ne suffit plus à caractériser un droit de retrait. En ce sens, dans le transport ferroviaire, le Conseil de Prud’hommes de Chambéry a considéré injustifié l’exercice du droit de retrait de plusieurs salariés alors que le « danger était déjà contestable au moment des faits […] un usager agresseur n’ayant pas vocation à agir de la sorte pendant des heures voire des jours, ce danger devenait d’autant plus inexistant dès lors que l’agresseur était neutralisé, et ce même, comme indiqué précédemment, si le risque d’une agression subsistait » (CPH Chambéry, 16 juin 2016, n° F 15/00254). Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation : « Mais attendu qu'appréciant souverainement les éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, le conseil de prud'hommes, sans être tenu d'effectuer des recherches qui ne lui étaient pas demandées et abstraction faite de motifs surabondants, a fait ressortir que les agents n'avaient pas de motif raisonnable de penser que la situation dans laquelle ils se trouvaient présentait un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé après le 17 décembre 2014 à 19 heures et a légalement justifié sa décision” (Cass. Soc., 27 septembre 2017, n° 16-22.224 et 16-23.585).

c. Le droit de retrait ne doit créer aucun risque pour autrui

L’article L. 4132-1 du Code du travail précise que, lorsque le salarié exerce son droit de retrait, il ne doit pas créer une nouvelle situation de danger grave et imminent à l’égard de son entourage. Cela implique que le retrait ne peut s’effectuer si le risque concerne des personnes extérieures à l’entreprise, notamment des usagers (circulaire DRT n° 93/15 du 26 mars 1993).

L’UTP estime ainsi qu'un conducteur ne pourrait quitter son poste de travail et laisser ses passagers face au danger. Le droit de retrait du conducteur ne semble donc envisageable qu’avant que des usagers soient montés à bord du véhicule, sauf pour le conducteur à se retirer de son poste de travail en soustrayant également les passagers au danger qui se présente. A ce titre, si l'exercice du droit de retrait cause un préjudice à autrui, la responsabilité civile et/ou pénale du salarié pourrait être engagée.

d. Le droit de retrait ne s’apparente pas au droit de grève

Le droit de retrait se distingue du droit de grève. En effet, la grève est un mouvement collectif qui suppose l’existence de revendications professionnelles (cf. le dossier juridique « La grève dans les services publics de transport urbain et ferroviaire », téléchargeable sur le site internet de l’UTP), alors que le droit de retrait est un mouvement individuel qui a pour objet la seule protection de la santé ou de la vie du salarié contre un danger grave et imminent (Cass. soc., 25 mai 2004, n° 02-411.95).

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Ainsi, le Conseil de Prud’hommes de Chambéry a eu l’occasion de rappeler dans sa décision précitée du 16 juin 2016, confirmée par la Cour de cassation, que le droit de retrait est un droit individuel et qu’un

« mouvement de mise en œuvre du droit de retrait […] concerté, prévu, revendiqué […] avait toutes les apparences d’un acte de solidarité plus que d’une action personnelle ». En l’espèce, à la suite de deux agressions de salariés, les membres du CHSCT (désormais CSE) ont déposé un droit d’alerte et plusieurs salariés exerçant des fonctions de contrôleurs ou chefs de bord ont usé de leur droit de retrait.

Les auteurs des agressions ayant été interpelés, l’entreprise a demandé aux salariés de reprendre leur travail. Les organisations syndicales ont incité ces derniers par des tracts à continuer de faire usage de leur droit de retrait « et à maintenir la pression pour obtenir des réponses réelles ». Le Conseil de Prud’hommes a ainsi jugé injustifié le mouvement de droit de retrait au motif « que les consignes étaient donc bien d’exercer un droit de retrait collectif […] sans qu’un danger grave et imminent ne soit forcément avéré de façon individuelle » et en conclut à « un amalgame des droits issus de l’article L. 2512-2 du Code du travail relatif au droit de grève, du droit d’alerte de l’article L. 4131-2 qui permet au CHSCT d’intervenir, non pour donner des consignes de retrait, mais pour une information et une concertation générale avec l’employeur, et des dispositions de l’article L. 4131-1 relatif au droit de retrait » (CPH Chambéry, 16 juin 2016, n° F 15/00254 ; Cass. Soc., 27 septembre 2017, n° 16-22.224 et 16-23.585).

I.4 L’exercice du droit de retrait dans le transport urbain et ferroviaire a. Un droit de retrait individuel pouvant être exercé collectivement

Dans les transports urbains de voyageurs ou ferroviaires, il arrive parfois que le droit de retrait soit exercé par plusieurs salariés à la suite d’une agression ou d’un accident sur une ligne du réseau.

L’exercice collectif du droit de retrait est prévu à l’article L. 4131-3 du Code du travail : « Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux ».

Cet article admet ainsi que plusieurs salariés puissent se retirer d’une situation de travail qu’ils estiment dangereuse pour leur vie ou leur santé, et donc exercer collectivement leur droit de retrait. Il est cependant indispensable que chacun des salariés concernés prouve qu’il est personnellement menacé dans sa situation de travail par un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé, en application de l’article L. 4131-1 du Code du travail.

Ainsi, il a été jugé que si des actes d’agression contre des salariés « peuvent avoir déclenché un droit de retrait pour les personnels directement et individuellement concernés, [ils] n’ont pas de justification pour

l’ensemble des personnels de même nature d’activité sur l’ensemble du territoire » (CPH Chambéry, 16 juin 2016, n° F 15/00254 ; Cass. Soc., 27 septembre 2017, n° 16-22.224 et 16-23.585).

Si les conditions posées par l’article L. 4131-3 du Code du travail ne sont pas réunies dans le cas de chaque salarié, les arrêts de travail injustifiés ne peuvent alors pas être considérés comme un droit de retrait légitime et donnent lieu, le cas échéant, à sanction ou à retenue de salaire « s'analysant en une contrepartie de l'absence de fourniture de travail » (Cass. crim., 25 novembre 2008, n° 07-87.650).

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 10/22

b. Les cas d’exercice injustifié du droit de retrait dans le transport urbain ou ferroviaire

Le droit de retrait invoqué suite à la constatation d’une défectuosité dans les systèmes de protection

Rappelons que l’article L. 4131-1 du Code du travail soumet le salarié qui entend exercer son droit de retrait à un devoir d’alerte de son employeur lorsqu’il constate une défectuosité dans les systèmes de protection. Il conviendra que celle-ci soit de nature à le soumettre à un danger grave et imminent.

Dans le transport urbain de voyageurs, il est arrivé par exemple que certains salariés invoquent leur droit de retrait après avoir constaté une défectuosité dans les systèmes de vidéoprotection de leurs véhicules.

Selon l’UTP, dans cette situation, le droit de retrait est invoqué à tort.

En effet, certains dispositifs tels que les cabines anti-agression installées dans certains autobus, les systèmes de localisation des véhicules et les dispositifs de vidéoprotection peuvent être considérés comme des systèmes de protection.

En application de l’article L. 4131-1 du Code du travail, une telle défectuosité qui est constatée, par exemple, dans le système de vidéoprotection d’un autobus doit être immédiatement signalée par le conducteur auprès de son employeur.

Toutefois, cette défectuosité n’est aucunement de nature à faire peser un danger grave et imminent sur la vie ou sur la santé du salarié. Dès lors, bien qu’elle relève de son devoir d’alerte, elle ne peut pas fonder l’exercice de son droit de retrait proprement dit.

Le droit de retrait exercé sur l’ensemble des lignes du réseau

Comme évoqué plus haut, dans certaines situations, lorsqu’une agression est commise contre un conducteur, des salariés, conducteurs ou non, sur la même ligne ou d’autres lignes, réagissent en exerçant leur droit de retrait et en cessant le travail.

La jurisprudence a clairement affirmé que l’exercice collectif du droit de retrait n’est pas légitime lorsqu’il est exercé par l’ensemble des conducteurs des autres lignes sur lesquelles aucune menace ne pèse ou n’a pesé.

Cette solution a été rendue par la Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 29 mai 2001 (CA Versailles, 29 mai 2001, n° 2000/1649), confirmé par un arrêt du 23 avril 2003 de la Cour de cassation (Cass. soc., 23 avril 2003, n° 01-44.806).

En l’espèce, à la suite d’une agression d’un conducteur le 17 janvier, les autres conducteurs ont cessé le travail au fur et à mesure sur toutes les lignes puis ont repris leur activité le 21 janvier.

Au cours des trois jours d’arrêts de travail, des négociations ont été engagées entre les salariés et la direction et se sont terminées par la conclusion d’un protocole d’accord prévoyant le paiement des journées du 17 au 19, excluant la journée du 20 janvier.

Un salarié, ne travaillant pas sur la ligne où s’était déroulée l’agression, a saisi le Conseil de Prud’hommes, réclamant le paiement de la journée du 20 au motif, d’une part, qu’il a exercé un droit de retrait légitime, et d’autre part, en invoquant l’exception d’inexécution des obligations contractuelles de l’employeur qui, selon le demandeur, n’aurait pas assuré la sécurité de ses salariés.

Ces demandes ont été accueillies par la juridiction de premier degré mais ont été rejetées par les juges d’appel.

(12)

UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 11/22

Selon la Cour d’appel, s’il existait bien un motif raisonnable de penser que la desserte du quartier où s’est déroulée l’agression présentait un danger grave et imminent, en revanche, ce danger n’existait pas sur les autres lignes et tout au long de leur parcours. Ainsi, l’arrêt de travail de tous les conducteurs ne pouvait être qualifié de droit de retrait.

Cette décision a été confortée par la Cour de cassation : « c'est par une appréciation souveraine que la Cour d'appel a estimé que […] il n’y avait pas de motif raisonnable de penser qu’il existait un danger grave et imminent de nature à justifier l’exercice du droit de retrait sur les autres lignes du réseau ». L’agression d’un salarié ne justifie donc pas le retrait de tous les conducteurs sur toutes les lignes, n’étant pas tous personnellement menacés par le danger tout au long de leur parcours.

En ce qui concerne l’exception d’inexécution par l’employeur de son obligation de sécurité, la Cour d’appel a précisé que le fait que des négociations aient été engagées ne signifiait pas que l’employeur avait antérieurement manqué à son obligation de sécurité.

Il convient de noter que dans le cas d’espèce qui lui était présenté, la Cour d’appel n’avait pas à se positionner sur la légitimité ou non d’un droit de retrait exercé par d’autres conducteurs sur la même ligne ou présents dans le quartier où a eu lieu l’agression, puisque le salarié demandeur travaillait sur une autre ligne.

Signalons que dans le cadre de droits de retrait consécutifs à deux agressions contre des salariés d’une

entreprise de transport ferroviaire, le Conseil de Prud’hommes de Chambéry a dans un jugement du 16 juin 2016 précisé qu’un éventuel danger grave et imminent ne peut valablement être attaché à une

région dont le découpage est purement administratif : « sur la démarche individuelle de la mise en action du droit de retrait : que d'une part, les droits de retrait se sont étalés sur plusieurs séquences, d'heures, de jours, de semaines, en fonction des cas de figures et des périodes de travail de chacun des 103 salariés, ce qui n'est pas contesté ; que les droits de retrait ont essentiellement été exercés d'autre part dans un périmètre d'unité sociale couvert par les CHSCT des régions SAVOIE, HAUTE SAVOIE et diffus ISÈRE ; qu'à cet égard, un éventuel danger grave et imminent ne peut valablement être attaché à une région dont le découpage est purement administratif, un danger grave et imminent ne pouvant, dans le cadre d'un réseau ferré, être levé en fonction de ses données ;” (CPH Chambéry, 16 juin 2016, n° F 15/00254). Cette solution a été confirmée par la Cour de cassation (Cass. soc., 27 septembre 2017, n° 16-22.224 et 16-23.585).

Ainsi, le droit de retrait consécutif à une agression doit être justifié individuellement pour chacun des salariés l’exerçant. Le seul fait de travailler dans la région où l’agression s’est déroulée n’apparait pas être une condition suffisante pour justifier l’exercice du droit de retrait.

Le droit de retrait exercé face à une menace lointaine ou hypothétique

L’agression d’un salarié sur une ligne de transport ne justifie pas nécessairement le droit de retrait des conducteurs travaillant sur la même ligne et qui n’en ont pas été personnellement victimes, comme

l’ont précisé la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 26 avril 2001 (CA Paris, 26 avril 2001, n° 99/35411), puis la Cour d’appel de Lyon le 7 novembre 2011 (CA Lyon, 7 novembre 2011, n° 10/07120). La décision de la Cour d’appel de Lyon a été confirmée par la Cour de cassation (Cass.

soc., 24 septembre 2013, n° 12-11.532).

Dans l’affaire examinée par la Cour d’appel de Paris, après l’agression d’un conducteur à 16h50, un autre conducteur, travaillant sur la ligne, a exercé son droit de retrait à 18h30 et est rentré au dépôt.

L’entreprise lui ayant retenu son salaire pour arrêt de travail non autorisé, il a saisi le Conseil de Prud’hommes en remboursement de la retenue sur salaire.

(13)

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Au soutien de son action, il prétendait qu’il s’était trouvé face à un danger grave et imminent puisque les auteurs de l’agression n’avaient pas été arrêtés et que le système de protection réclamé à l’employeur par radio n’avait pas été mis en place. Les premiers juges ont rejeté sa demande, suivis des juges de la Cour d’appel, celle-ci ayant précisément indiqué qu’au moment où le salarié a cessé le travail (18 heures 30), le danger n’était plus imminent, d’autant qu’à 18 heures 10, l’employeur avait mis en place des mesures de nature à éviter la survenance d’un danger.

A cela, la Cour a ajouté que les éléments constituant l’état de nécessité n’étaient pas réunis en l’espèce.

En effet, au moment où le demandeur a exercé son prétendu droit de retrait, il n’existait plus de danger anormal et sérieux au regard de son appréciation raisonnable, puisque l’employeur avait mis en place des mesures pour sécuriser la ligne.

Quant à l’argument portant sur la non-arrestation des agresseurs, la Cour a répondu que cela relevait d’une notion de risque, distincte de celle de danger grave et imminent. En effet, en l’espèce, aucune circonstance de fait ne pouvait laisser penser qu’il s’agissait d’autre chose que d’un acte d’agression isolé, et ce, même si le demandeur avait déjà fait l’objet antérieurement d’une agression dans l’exercice de son activité.

Le raisonnement de la Cour d’appel de Paris relatif aux éléments constituant l’état de nécessité a été plus récemment repris par la Cour d’appel de Lyon dans l’arrêt du 7 novembre 2011. En l’espèce, à la suite de la tentative d’incendie d’un véhicule et de l’agression de ses passagers, les conducteurs de la ligne ont exercé leur droit de retrait. Ces faits ayant été précédés d’actes de violence et de vandalisme récurrents sur la même ligne, diverses actions avaient déjà été préalablement engagées par l’employeur (caméras de surveillance, recrutement de médiateurs, etc.). De nouvelles mesures ayant été mises en place après l’incident, le CHSCT avait à l’époque constaté le retour à la normale de la situation sur cette ligne. L’ensemble de ces actions a été jugé suffisant pour retirer aux salariés, qui ont exercé leur droit de retrait après l’agression, toute raison de penser que persistait un danger grave et imminent dans leur situation de travail. La Cour d’appel de Lyon a donc estimé injustifié l’exercice du droit de retrait à compter de la réunion du CHSCT ayant constaté le retour à la normale de la situation sur la ligne.

Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 24 septembre 2013 (Cass. soc., 24 septembre 2013, n° 12-11.532).

Enfin, dans le transport ferroviaire, le Conseil des Prud’hommes de Dunkerque a reconnu injustifié le droit de retrait exercé par des salariés affectés sur le même trajet que le salarié agressé au motif que, d’une part, ils ne connaissaient pas personnellement le salarié agressé et qu’ils n’ont pas assisté à l’agression, et d’autre part que les circonstances ne laissaient pas craindre la réitération imminente,

sur la même ligne, de faits de même nature (CPH Dunkerque, 11 septembre 2013, nos F 12/00010 et F 12/00011).

Après avoir vu les conditions de mise en œuvre du droit de retrait, et avant d’étudier quels en sont ses effets, il convient d’aborder la question de l’exercice du droit de retrait dans le contexte épidémique Covid-19.

I.5 L’exercice du droit de retrait dans le contexte épidémique de covid-19

Depuis l’apparition du covid-19 sur notre territoire et l’instauration de l’état d’urgence pour faire face à l’épidémie (loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ; loi n° 2020-546 du 11 mai 2020), on observe dans certains secteurs que des salariés exercent leur droit de retrait, invoquant des conditions de travail en matière de sécurité sanitaire insuffisamment protectrices.

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 13/22

Dans ce contexte, le gouvernement a tenu à rappeler que s’agissant du covid-19, la situation de

« pandémie grippale » ne suffit pas à invoquer le droit de retrait et que les conditions nécessaires à ce droit individuel ne sont pas réunies dès lors que l’entreprise met en œuvre les recommandations nationales visant à protéger la santé et à assurer la sécurité de son personnel, qu’il a informé et préparé son personnel, notamment dans le cadre des institutions représentatives du personnel (https://www.gouvernement.fr/info-coronavirus). A l’inverse, si ces recommandations ne sont pas suivies par l’employeur, alors le travailleur est légitime à exercer son droit de retrait jusqu’à ce que celles- ci soient mises en œuvre.

Attention : il s’agit de recommandations visant à expliciter la position du gouvernement face à ce sujet, qui n’a pas de valeur légale à proprement parler. En cas de contentieux toutefois, ces recommandations pourront être mises en avant auprès du juge du fond pour justifier l’opposition à un droit de retrait d’une entreprise qui aurait suivi ces recommandations.

L’exemple d’Amazon France Logistique : saisi par une organisation syndicale, qui réclamait à titre principal la fermeture des six entrepôts français, considérant que les conditions de protection des salariés concernés n’étaient pas assurées dans le contexte de l’épidémie de covid-19, le Tribunal de grande instance de Nanterre a, par une ordonnance de référé rendue le 14 avril 2020, ordonné à la société Amazon de procéder à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid-19 sur l’ensemble de ses entrepôts et lui a ordonné dans l’attente de restreindre son activité à la réception de marchandises, de préparation et d’expédition des commandes de produits alimentaires, de produits d’hygiène et de produits médicaux sous astreinte de 1 000 000 euros par jour de retard et par infraction constatée.

Le 24 avril 2020, la Cour d’appel de Versailles (n°20/011993) a confirmé l’ordonnance du TGI en ce qu’elle a ordonné à la société Amazon de procéder, en y associant les représentants du personnel, à l'évaluation des risques professionnels inhérents à l'épidémie de Covid-19 sur l'ensemble de ses entrepôts ainsi qu'à la mise en œuvre des mesures prévues à l’article L. 4121-1 du code du travail en découlant. Statuant à nouveau, elle a ordonné à l’entreprise, dans l'attente de la mise en œuvre des mesures ordonnées ci- dessus, à la société Amazon, dans les 48 heures de la notification de l’arrêt, de restreindre l’activité de ses entrepôts aux seules opérations de réception des marchandises, de préparation et d'expédition des commandes des produits, tels que figurant sur le catalogue de la société à la date du 21 avril 2020, suivants :

- High-tech, Informatique, Bureau

-“Tout pour les animaux” dans la rubrique Maison, Bricolage, Animalerie

-“Santé et soins du corps”, “Homme”, “Nutrition”, “Parapharmacie” dans la rubrique Beauté, Santé et Bien-être

-Epicerie, Boissons et Entretien »

D’autres décisions s’inscrivant dans la même ligne ont été rendues (Tribunal de grande instance de Lille,

ordonnance de référé du 3 avril 2020 n° 20/00380 ; Tribunal de Paris, ordonnance de référé du 9 avril 2020, n°20/52223 ; Tribunal de Lille, ordonnance de référé du 14 avril 2020 n°20/00386).

Il ressort de ces décisions que les entreprises doivent être vigilantes et méthodiques dans leur reprise d’activité.

En tout état de cause, il convient d’être attentif à l’appréciation que feront les juridictions de chaque cas de droit de retrait exercé dans le contexte de l’épidémie de covid-19.

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 14/22

II. EFFETS DU DROIT DE RETRAIT

Le salarié ayant usé de son droit de retrait, l'étude des circonstances dans lesquelles il est intervenu va produire des effets distincts selon le caractère justifié (II.1) ou non (II.2) du retrait.

II.1 Les effets de l’exercice légitime du droit de retrait

Dans ce cas, le droit de retrait dont bénéficie le salarié est assorti d'une quadruple protection : a. Absence de sanctions ou de retenue sur salaire

L'article L. 4131-3 du Code du travail prévoit qu’« aucune sanction ni retenue sur salaire ne peut être prise à l'encontre d'un salarié ou un groupe de salariés qui se sont retirés d'une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou

la santé de chacun d'eux » (Cass. Crim. 25 novembre 2008, n° 07-87.650 ; Cass. soc. 19 mai 2010 n° 09-40.353 ; Cass. Soc. 10 octobre 2018, n° 17-19.541). Dans une telle hypothèse, l’employeur peut en

effet se voir condamner à verser le montant retenu à son salarié (Cass. soc., 31 mars 2016, n° 14-25.237).

Il a d'ailleurs été jugé à ce sujet qu’un « accord collectif prévoyant le non-paiement des arrêts de travail était contraire à l'ordre public » (CPH Cergy Pontoise, 30 mai 1986).

b. Nullité du licenciement

Aucune sanction ne pouvant être prise à l’encontre de salariés ayant régulièrement exercé leur droit de retrait, il s’ensuit que le licenciement prononcé pour cette raison n’est pas justifié.

La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 28 janvier 2009 (Cass. soc., 29 janvier 2009, n° 07-44.556), se prononçant pour la première fois sur le sort d’un licenciement sanctionnant un exercice légitime du droit de retrait, a posé le principe suivant lequel un tel licenciement est nul, et peut donc entraîner la réintégration du salarié. La Haute Juridiction s’est notamment fondée sur l’obligation de sécurité de résultat pesant sur l’employeur en matière de protection et de sécurité au travail. La Cour de cassation a confirmé sa position dans un arrêt du 25 novembre 2015 (Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-21.272).

A l’inverse, une Cour d'appel, ayant constaté que les salariés n'avaient plus de motif raisonnable de penser que la situation de travail dans laquelle ils se trouvaient présentait un danger grave et imminent pour leur vie ou pour leur santé et avaient persisté dans leur refus de reprendre leur travail malgré des mises en garde de l'employeur, a pu décider que ce comportement rendait impossible leur maintien dans l'entreprise et constituait une faute grave justifiant un licenciement (Cass. soc. 24 septembre 2013 n° 12-11.532).

c. Le salarié demeure à la disposition de son employeur

Il est prévu à l'article L. 4131-1 alinéa 3 du Code du travail, que « l’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection ». Tel a été le cas, par exemple, d’un employeur ayant demandé à un conducteur d’effectuer une livraison alors que le véhicule présentait une défectuosité dans le système de freinage, faisait à ce titre l’objet d’une interdiction de circulation et nécessitait une contre-visite technique indispensable à sa remise en circulation.

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 15/22

Le salarié, jugeant que persistait un danger grave et imminent résultant de la défectuosité du système de freinage, avait refusé à plusieurs reprises de reprendre son activité à la demande de son employeur.

Pour la Cour d’appel de Montpellier, au regard de ces éléments, le conducteur avait légitimement eu un motif raisonnable de penser que la conduite du véhicule « présentait un danger grave et imminent pour sa vie, mais aussi pour le matériel de l'entreprise et surtout pour les tiers ». Son licenciement était donc injustifié (CA Montpellier, 30 avril 1998, n° 96/00627).

La décision de la Cour d’appel de Montpellier a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation en date du 5 juillet 2000 (Cass. soc., 5 juillet 2000, n° 98-43.481).

Le salarié exerçant son droit de retrait et bénéficiant de la protection de l’article L. 4131-1 du Code du travail reste néanmoins à la disposition de son employeur, qui pourrait l'affecter à d'autres tâches, à condition que cela n'entraîne pas une modification substantielle du contrat de travail, telle qu’une réduction de salaire notamment.

d. Bénéfice de la faute inexcusable de l’employeur

Enfin, I ‘article L. 4131-4 du Code du travail accorde le bénéfice de la faute inexcusable de l'employeur prévue à l'article L 452-1 du Code de la sécurité sociale au salarié victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, et qui a préalablement alerté son supérieur du danger dans le cadre de l'exercice de son droit de retrait.

La responsabilité de l'employeur ne peut être engagée que si le risque lui a été signalé par la victime ou le comité social et économique et qu'il s'est matérialisé (Cass. soc. 17 septembre 1998, n° 96-20.988).

Dans cette hypothèse, la victime, ou ses ayants droit, peuvent prétendre à une indemnisation complémentaire dans les conditions définies aux articles L. 452-1 et suivants du Code de la sécurité sociale ou le cas échéant celles déterminées par les dispositions conventionnelles de branches ou d’entreprise, plus favorables. La rente majorée sera payée par la Caisse de sécurité sociale puis récupérée auprès de l'employeur sous forme de cotisations supplémentaires.

Le salarié peut également saisir le Tribunal de Grande Instance(la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 dite « de modernisation de la justice du XXIème siècle » a supprimé les Tribunaux des affaires de sécurité sociale à compter du 1er janvier 2019) pour solliciter réparation des préjudices non indemnisés par la Caisse (exemples : préjudice esthétique, d'agrément, perte de chance, pretium doloris, préjudice moral, frais liés à l’aménagement du véhicule ou du logement du fait du handicap, de l’assistance d’une tierce personne du fait de la maladie, etc.) (Décision du Conseil constitutionnel du 18 juin 2010 - question préjudicielle n°2010-8).

L’employeur peut bien entendu s'exonérer totalement ou partiellement de sa faute en invoquant l'intervention fautive d'un tiers ou de la victime dans la réalisation du dommage (exemple : non-respect des consignes de sécurité, initiative malheureuse et imprévisible...).

Il résulte de ces éléments qu’un licenciement prononcé à l'encontre d'un salarié ayant exercé un droit de retrait jugé légitime serait déclaré nul, avec toutes les conséquences qui en découlent pour l'employeur, dont principalement la réintégration du salarié si ce dernier le souhaite, ou l’indemnité réparant l'intégralité du préjudice et dont le montant est fixé à six mois de salaire minimum, à laquelle s’ajouterait le bénéfice pour le salarié de la faute inexcusable invoquée ci-dessus.

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Rappelons que cette quadruple protection ne vaut que si l’exercice du droit de retrait est légitime. Par exemple, le salarié qui exercerait son droit de retrait pendant une période d’arrêt de travail pour maladie, alors que le droit de retrait ne peut être exercé qu’au cours de la période d’exécution du contrat de travail (cf. I.1.1) ne bénéficierait pas d’une telle protection (Cass. soc., 9 octobre 2013, n° 12-22.288).

II.2 Les effets de l’exercice injustifié du droit de retrait : les sanctions applicables a. Retenue sur salaire

L’exercice non justifié du droit de retrait peut donner lieu à retenue sur salaire, et/ou, par exemple, à une réduction d’une prime de bonne marche.

Précisons que cette retenue sur salaire n'est pas analysée, selon la jurisprudence, comme une sanction, mais comme le résultat d'une inexécution des obligations contractuelles (Cass. soc., 11 juillet 1989, n°

86-43.497).

La Cour de Cassation a été conduite à préciser les modalités pratiques de cette retenue sur salaire, dans une affaire concernant une entreprise de transport urbain (Cass. crim., 25 novembre 2008, n° 07- 87.650). Dans cette affaire, des salariés ont exercé leur droit de retrait, jugé injustifié par l’employeur, qui a procédé à des retenues sur salaire. Les salariés ont fait valoir que l’employeur ne pouvait pratiquer de retenues sur salaire sans avoir au préalable obtenu une décision du juge prud’homal constatant l’absence de motif raisonnable d’exercice du droit de retrait, interprétation confirmée par l’inspection du travail et le tribunal correctionnel de Nancy.

Cependant, en réaffirmant le principe selon lequel « lorsque les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, le salarié s’expose à une retenue sur salaire », la Haute Juridiction a précisé que « l’employeur n’est pas tenu de saisir préalablement le juge sur l’appréciation du bien-fondé de l’exercice du droit de retrait du salarié ».

La Cour de Cassation a donc renversé la charge de la saisine du juge : c’est bien au salarié qui conteste la retenue salariale de saisir le juge, afin qu’il apprécie la légitimité ou non de l’exercice de son droit de retrait et le caractère injustifié ou justifié de la retenue.

Dans cette même décision, la Cour de Cassation a également précisé que la retenue sur salaire est justifiée dès lors que les conditions du droit de retrait ne sont pas réunies, peu important que les salariés soient restés à la disposition de l’employeur pour accomplir d’autres tâches sans abandonner leur poste, argument invoqué par les salariés en l’espèce.

b. Sanctions disciplinaires dans le transport urbain

L’article 49 de la Convention Collective Nationale des réseaux de Transports Urbains de voyageurs (CCNTU) établit une échelle des sanctions disciplinaires dans la branche des transports urbains. Il convient alors de distinguer les sanctions légères, dites du premier degré, et les sanctions plus lourdes, dites du deuxième degré.

Sanctions du premier degré

Les sanctions du premier degré visées à l'article 49 de la CCNTU peuvent être envisagées par l’employeur en cas d’exercice injustifié du droit de retrait par le salarié.

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 17/22

Sanctions du deuxième degré

Dans certains cas, des sanctions du deuxième degré, dont le licenciement du salarié, peuvent être prononcées.

Certaines décisions de justice ont légitimé le licenciement pour faute grave. Ce fut le cas du salarié dont le véritable motif du retrait résidait dans le refus de l'employeur de lui accorder une révision de classification (CA Poitiers, 4 novembre 1987). Ce fut également le cas d’un salarié qui s’était abstenu de travailler sans motif légitime (Cass. soc., 22 janvier 1997, n° 93-46.109).

En 2009, la Cour de Cassation a reconnu la faute grave d’un salarié, travaillant dans le transport de voyageurs, ayant omis de signaler à son employeur la situation dont il avait un motif de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent, ce qui avait mis un collègue dans une situation d’insécurité. En outre, le motif raisonnable n’était pas justifié en l’espèce (Cass. soc., 21 janvier 2009, n° 07-41.935).

En 2013, la Cour de cassation a estimé justifié le licenciement pour faute grave de salariés qui, malgré les mises en garde de l’employeur, ont refusé de reprendre le travail alors que le danger avait cessé (Cass. soc., 24 septembre 2013, n° 12-11.532).

D'autres décisions ont admis le caractère réel et sérieux du licenciement mais rejeté la qualification de faute grave. Il s'agit par exemple du cas d'une salariée qui a refusé de poursuivre son travail sur un chantier, au motif que son matériel était inadapté et lourd, ce qui n'a pas été jugé comme un danger, mais comme un aspect pénible de son travail.

Dans le cadre de la Convention collective des transports urbains, I ‘usage du licenciement à la suite d'un retrait jugé injustifié restera, semble-t-il, une sanction exceptionnelle puisque l'article 17 alinéa 5 de ladite Convention n'autorise le licenciement qu'en cas de faute grave.

Précisons néanmoins qu'il serait prudent d'expliciter clairement, dans la lettre de sanction éventuelle, la nature de l'abus reproché dans l'exercice du droit de retrait, et non pas seulement d'indiquer l'existence d'un abus, sans le décrire, afin de conforter une éventuelle défense en cas de saisine du Conseil de Prud'hommes par le salarié sanctionné.

c. Sanctions disciplinaires dans le transport ferroviaire

La branche ferroviaire est actuellement en cours de construction. Il n’existe pas de dispositions relatives à une échelle de sanctions ni de procédure disciplinaire conventionnelle. Par conséquent, sur les sanctions possibles, il convient de se référer aux dispositions légales et au règlement intérieur de l’entreprise concernée.

La SNCF, opérateur ferroviaire historique représentant près de 95 % des salariés de la branche emploie du personnel sous statut particulier mentionné à l’article L. 2101-1 du Code des transports et des salariés de droit privé. Dans son périmètre, des règles propres sont édictées par le biais de notes de direction, comme par exemple des « RH000 ». Les mesures disciplinaires font l’objet du chapitre 9 du Statut intitulé

“Garanties disciplinaires et sanctions” et du titre G de la directive GRH 0254 pour le personnel contractuel. Ces deux textes prévoient notamment une échelle de mesures conservatoires et de sanctions et des dispositions relatives au conseil de discipline.

En tout état de cause, une sanction disciplinaire peut être envisagée par l’employeur en cas d’exercice injustifié du droit de retrait par le salarié, dès lors que cette sanction est prévue par des textes en vigueur au sein de l’entreprise et sous réserve de respecter la procédure disciplinaire légale ou la procédure disciplinaire applicable au sein de l’entreprise.

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 18/22

III. LA PROCÉDURE D’ALERTE

Immédiatement consécutive à l'exercice du droit de retrait, la procédure d'alerte qui avait été mise en place avant la création de ce droit a été étendue et renforcée à cette occasion. Elle est visée à l’article L. 4131-2 du Code du travail. Comme souligné plus haut, cet article permet au comité social et économique, dans le cadre de ses attributions définies à l’article L. 2312-60 du Code du travail

« d’intervenir, non pour donner des consignes de retrait, mais pour une information et une

concertation générale de l’employeur » (CPH Chambéry, 16 juin 2016, n° F 15/00254 ; Cass. soc., 27 septembre 2017, n° 16-22.224 et 16-23.585).

a. Droit d’intervention du comité social et économique

La procédure d'alerte permet à un représentant du personnel au comité social et économique d'intervenir s'il constate l'existence d'une cause de danger grave et imminent, notamment par l'intermédiaire d'un salarié qui a usé de son droit de retrait. Celui-ci doit immédiatement aviser l'employeur ou son représentant.

L'avis de danger grave et imminent doit être consigné sur un registre spécial coté, ouvert au timbre du comité (D. 4132-1 du Code du travail).

Ce registre doit être tenu, sous la responsabilité de l’employeur, à la disposition des représentants du personnel au comité social et économique (D. 4132-2 du Code du travail).

Lorsque plusieurs comités existent, il est établi un registre par comité. Le registre est réservé aux seuls représentants du personnel au comité, ou, à défaut, aux délégués du personnel quand ils exercent les missions du comité.

Le registre doit être daté et signé. Il doit mentionner l'indication du ou des postes de travail concernés, le nom du ou des salariés exposés, la nature du danger et sa cause (D. 4132-1 du Code du travail).

L’employeur ou son représentant doit ensuite procéder immédiatement à une enquête avec le membre du comité social et économique qui a signalé le danger (article L. 4132-2 du Code du travail).

Il doit prendre les mesures nécessaires pour y remédier (L. 4132-2 du Code du travail).

En cas de divergence sur la réalité du danger ou sur les moyens d’y remédier, le comité social et économique doit être réuni d'urgence, dans un délai n'excédant pas 24 heures (L. 4132-3 du Code du travail).

Rappelons ici que la Cour de cassation a dernièrement jugé que le droit de retrait des salariés peut être justifié si le CHSCT (désormais CSE) a lui-même exercé son droit d'alerte :

“Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle constatait que le secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail avait exercé le 23 janvier 2014 son droit d'alerte pour un danger grave et imminent auquel serait exposé l'ensemble du personnel « facteurs » de l'établissement d'Antibes, qu'il avait informé l'employeur dans la fiche de signalement de l'exercice du droit de retrait par les facteurs, rappelé alerter les membres du CHSCT sur les risques psycho-sociaux dans l'établissement depuis plusieurs mois sans qu'aucune mesure corrective ne soit prise et conclu « les facteurs sont au bord de la rupture, les risques psycho-sociaux sont avérés, les facteurs ne reprendront pas le travail ce jeudi 23 janvier 2014 sans mesure corrective de votre part » et, qu'à la suite de ce signalement, l'employeur avait pris des mesures correctives dès le lendemain, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;” (Cass. Soc. 10 octobre 2018, n° 17-19.541).

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UTP – NOTE JURIDIQUE-SOCIAL – MàJ MAI 2020 19/22

b. Pouvoirs de l’inspecteur du travail

De plus, et conformément à l’article L. 4132-3 du Code du travail, I'employeur doit informer immédiatement l'inspecteur du travail et l'agent du service prévention de la Caisse Régionale d'Assurance Maladie (Caisse des régimes spéciaux le cas échéant), qui peuvent assister à la réunion du comité social et économique.

A défaut d'accord entre la majorité du comité social et économique et l'employeur, ce dernier saisit immédiatement l'inspecteur du travail qui décidera des mesures à prendre et de leurs conditions d'exécution (L. 4132-4 du Code du travail).

L'inspecteur du travail peut déclencher l'une des deux procédures suivantes :

- Saisine du Directeur régionaldes entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi qui, sur le rapport de l'inspecteur du travail,constatant une situation dangereuse, peut mettre en demeure l'employeur de prendre toutes mesures utiles pour y remédier (article L. 4721-1 du Code du travail) ;

- Saisine du juge des référés qui pourra ordonner toutes les mesures propres à faire cesser le risque (article L. 4732-1 du Code du travail).

c. Recours à un expert

Avec l’article L. 2315-96 du Code du travail, la loi donne également au comité social et économique le pouvoir de recourir à un expert “lorsqu'un risque grave, identifié et actuel, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement”.

Cette décision doit résulter d'une délibération du comité. Ce recours à l'expert n'est possible qu'en cas de constatation de l'existence d'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, ou ayant

entraîné une maladie professionnelle (Cass. soc., 3 avril 2001, n° 99-14.002 ; Cass. soc., 10 mai 2012, n° 10-24.878). En cas de désaccord avec l'employeur sur la nécessité de recourir à un expert, la question

est tranchée par le Tribunal de Grande Instance statuant en la forme des référés, l'employeur assumant la charge des frais d'expertise.

Une fois désigné, I'employeur ne peut s'opposer à l'entrée de l'expert dans l'établissement et doit lui fournir toutes les informations nécessaires à l'exercice de sa mission. Le Ministère du travail a cependant précisé que le recours à un expert, lequel doit être agréé par arrêté conjoint des Ministres chargés du travail et de l'agriculture, n'est justifié qu'en dernier lieu, lorsque la collectivité de travail n’a pu résoudre la difficulté.

A noter : parmi les mesures sociales prises par le gouvernement pour faire face à l’épidémie de covid-19 figurent celles relatives à l’adaptation temporaire des délais applicables pour la consultation

et l'information du CSE (cf. ordonnances n° 2020-460 du 22 avril 2020 et 2020-507 du 2 mai 2020). Une note juridique sur ce sujet est disponible sur le site internet de l’UTP, dans la rubrique « Docuthèque / Notes / Notes juridiques ».

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En conclusion, notons qu'en instituant en 1982 un droit de retrait au profit du salarié, le législateur n'a semble-t-il pas entendu conférer un pouvoir absolu au salarié de cesser son travail dès qu'il se trouve en situation de danger.

L'emploi de notions subjectives pour définir ce droit a ainsi permis à la jurisprudence de dresser des limites relativement restrictives au droit de retrait.

En effet, même si le droit de retrait apparaît assez protecteur du salarié en raison de la latitude que les textes lui laissent d'apprécier lui-même la situation, lui permettant ainsi une marge d'erreur, tant que cette dernière est excusable, que l'intéressé n’a pas fait preuve de mauvaise foi et qu'il n’a pas abusé de son droit. L'exercice du droit de retrait ne devra pas être détourné de son objet qui est de préserver la santé et la vie à des fins personnelles ou collectives, dans le dessein d'obtenir un avantage particulier.

Le droit de retrait ne doit pas en effet constituer une grève déguisée.

En outre, ce droit ne doit pas être utilisé afin d'échapper à un aspect difficile du travail et le salarié ne pourra pas non plus en user face à des circonstances qui, bien que dangereuses, constituent des éléments habituels dudit travail, étant rappelé, une fois encore, qu'il convient dans cette hypothèse que toutes les mesures de sécurité aient été mises en œuvre par l'employeur. Enfin, n'oublions pas que le droit de retrait a été mis en place pour faire face à un danger grave et imminent dont les définitions, mentionnées ci-dessus, permettent de comprendre que ce droit ne doit demeurer qu'un recours exceptionnel.

Les décisions évoquées au point I.4 concernant la profession confirment ces propos, les quelques arrêts rendus plus récemment par la Cour de cassation ne faisant que valider le raisonnement des juges du fond qui, rappelle-t-elle, ont une appréciation souveraine des éléments de fait et de preuve sur ce sujet.

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