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REQUETE EN ANNULATION AVEC DEMANDE DE SUSPENSION

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Academic year: 2022

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Conseil d’Etat

Section du contentieux administratif

REQUETE EN ANNULATION AVEC DEMANDE DE SUSPENSION

POUR : 1. L’A.S.B.L. Pesticide Action Network Europe, dont le siège social est établi Rue de la Pacification 67 à 1000 Bruxelles, enregistrée auprès de la Banque-Carrefour des Entreprises sous le numéro 0826.070.905, ci-après PAN Europe ;

2. L’A.S.B.L. Nature et Progrès - Belgique, dont le siège social est établi Rue de Dave(JB) 520 à 5100 Namur, enregistrée auprès de la Banque-Carrefour des Entreprises sous le numéro 0416.171.669, ci-après Nature et Progrès ;

3. Monsieur Benoît DUPRET, domicilié Quai de l’Ourthe 23 à 4130 Esneux ;

Parties requérantes,

Ayant pour conseil Me Antoine Bailleux, dont le cabinet est établi avenue de Tervueren 412, bte 5 (e-mail : a.bailleux2@avocat.be), où il est fait élection de domicile pour les besoins de la présente procédure,

CONTRE : L’Etat belge, représenté par le Ministre des Classes moyennes, des Indépendants, des PME, de l’Agriculture, et de l’Intégration sociale, chargé des Grandes villes, dont le cabinet est situé Avenue de la Toison d’Or 87 à 1060 Bruxelles

Partie adverse,

*

(2)

2 A Monsieur le Premier Président, Mesdames et Messieurs les Présidents et Conseillers qui composent le Conseil d’Etat,

Madame, Monsieur,

1. Les parties requérantes ont l’honneur de vous adresser la présente requête en annulation, avec demande de suspension, de six décisions autorisant l’utilisation d’insecticides à base de substances actives « néonicotinoïdes » interdites dans l’Union européenne, pour le traitement, la mise sur le marché et le semis de semences de betteraves sucrières, de laitue, d’endives, radicchio rosso et pain de sucre, et de carottes.

2. Ces décisions, dont une version non datée a été mise en ligne le 3 décembre 2018 sur le site internet Phytoweb du SPF Santé Publique, Sécurité de la Chaîne Alimentaire et Environnement (www.fytoweb.be), concernent les produits, durées et utilisations suivants :

- Poncho Beta (au nom de Bayer Cropscience SA-NV), du 20 décembre 2018 au 18 avril 2019, pour le traitement et la vente de semences de betteraves sucrières (Pièce n° 1) ; - Cruiser 600 FS (au nom de Syngenta Crop Protection N.V.), du 20 décembre 2018 au 18

avril 2019, pour le traitement et la vente de semences de betteraves sucrières (Pièce n° 2) ; - Cruiser (au nom de Syngenta Crop Protection N.V.), du 15 avril 2019 au 12 août 2019,

pour le semis de semences de laitue et similaires et de semences d’endives, radicchio rosso et pain de sucre (Pièce n° 3) ;

- Cruiser (au nom de Syngenta Crop Protection N.V.), du 15 mars 2019 au 12 juillet 2019, pour le semis de semences de carottes (Pièce n° 4) ;

- Cruiser 600 FS (au nom de Syngenta Crop Protection N.V.), du 15 février 2019 au 14 juin 2019, pour le semis de semences de betteraves sucrières (Pièce n° 5) ;

- Poncho Beta (au nom de Bayer Cropscience SA-NV), du 15 février 2019 au 14 juin 2019, pour le semis de semences de betteraves sucrières (Pièce n° 6).

3. La présente requête commence par exposer les faits, le cadre normatif et les antécédents de la procédure (1). Elle examine, ensuite, la recevabilité du recours (2) et développe le moyen unique qui le soutient (3). Elle expose, enfin, les motifs pour lesquels il existe, en l’espèce, une urgence à suspendre les décisions attaquées qui est incompatible avec le traitement de l’affaire selon les délais de la procédure normale de l’annulation (4).

1. FAITS, CADRE NORMATIF ET ANTECEDENTS DE LA PROCEDURE

1.1. Les faits – Utilisation et dangerosité des insecticides à base de thiaméthoxame et clothianidine

4. Le thiaméthoxame et la clothianidine sont des molécules qui appartiennent à la catégorie des néonicotinoïdes. Les néonicotinoïdes sont des substances insecticides, utilisées notamment en agriculture pour protéger les cultures de parasites tels que les pucerons. Ces molécules ont pour particularité d’agir sur le système nerveux central des insectes, dont elles provoquent la paralysie puis la mort en s’attaquant aux récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine.

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3 5. Les néonicotinoïdes sont d’un usage récent. Découverts à partir du milieu des années 1980, ils ont été mis sur le marché sous la forme d’insecticides à partir des années 1990. Ils sont aujourd’hui massivement utilisés dans l’agriculture conventionnelle et représenteraient un quart des insecticides vendus dans le monde. Ces insecticides sont utilisés de manière croissante via la technique de l’enrobage de semence : au lieu d’être pulvérisés sur la végétation attaquée, ils sont préventivement appliqués sur la semence avant le semis. En d’autres termes, les agriculteurs achètent des semences déjà traitées, qu’ils sèment ensuite dans leurs champs.

6. De nombreuses études scientifiques ont démontré que l’utilisation des néonicotinoïdes, et notamment du thiaméthoxame et de la clothianidine, comportait des risques importants pour certains animaux autres que les « ravageurs » visés. Des risques élevés ont en particulier été identifiés pour les abeilles, bourdons et autres insectes butineurs.

7. Une équipe de 29 chercheurs indépendants a ainsi évalué les risques posés par la clothianidine, le thiaméthoxame et l’imidaclopride sur la biodiversité1. Ces chercheurs ont passé en revue plus d’un millier de publications scientifiques étudiant la toxicité de ces substances pour les oiseaux, poissons, insectes, amphibiens et même potentiellement pour l’homme. Ces travaux ont abouti à huit publications scientifiques. Leurs conclusions sont sans appel. De par leur caractère hydrosoluble, ces substances se diffusent très rapidement dans l’environnement ; de par leur toxicité à très faible concentration, ces substance ont des effets néfastes sur l’ensemble des écosystèmes. Le nombre très important de publications scientifiques sur ces substances permet à ces chercheurs de conclure qu’il n’existe aucune utilisation sûre pour ces substances.

8. Dans le même sens, et sur la base de centaines de publications, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) a elle aussi conclu, en 2018, qu'il n'existait aucune utilisation sûre de ces substances. Se fondant notamment sur les données de l'industrie des pesticides elle-même, l’EFSA a estimé en février 2018 que la clothianidine et le thiaméthoxame présentaient un risque élevé pour les abeilles2.

1.2. Le cadre normatif – Régulation des insecticides à base de thiaméthoxame et clothianidine

9. Le Règlement 1107/2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques3 réglemente l’approbation des substances actives contenues dans ces produits. Il « vise à assurer un

1 Cette étude est consultable en libre accès en français à l’adresse : http://www.tfsp.info/wp- content/uploads/2016/04/WIA_4_Effets-des-nicotino%C3%AFdes-et-du-fipronil-sur-les-

invert%C3%A9br%C3%A9s-sauvages.pdf.

2 EFSA, « Peer review of the pesticide risk assessment for bees for the active substance thiamethoxam considering the uses as seed treatments and granules », 28 février 2018, disponible à l’adresse : https://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/5179. Et EFSA, « Peer review of the pesticide risk assessment for bees for the active substance clothianidin considering the uses as seed treatments and granules », 1er février 2018, disponible à l’adresse : https://www.efsa.europa.eu/en/efsajournal/pub/5177.

3 Règlement 1107/2009 du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil, J.O., 2009, L 309, p. 1-50.

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4 niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement » (art. 1er, § 3) et ses dispositions « se fondent sur le principe de précaution afin d’éviter que des substances actives ou des produits mis sur le marché ne portent atteinte à la santé humaine et animale ou à l’environnement » (art. 1er, § 4).

10. Selon ce Règlement, une substance active ne peut être approuvée que s’il est prévisible, en l’état actuel des connaissances scientifiques et techniques, que les produits phytopharmaceutiques qui la contiennent remplissent plusieurs conditions, et notamment :

- N’ont « pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable (compte tenu des substances résultant du traitement de l’eau), des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l’air, ou d’effets sur le lieu de travail ou d’autres effets indirects, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité, sont disponibles; ou sur les eaux souterraines » (art. 4, § 3, b));

- N’ont « pas d’effet inacceptable sur l’environnement, compte tenu particulièrement des éléments suivants, lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité, sont disponibles:

i) son devenir et sa dissémination dans l’environnement, en particulier en ce qui concerne la contamination des eaux de surface, y compris les eaux estuariennes et côtières, des eaux souterraines, de l’air et du sol, en tenant compte des endroits éloignés du lieu d’utilisation, en raison de la propagation à longue distance dans l’environnement;

ii) son effet sur les espèces non visées, notamment sur le comportement persistant de ces espèces;

iii) son effet sur la biodiversité et l’écosystème. » (art. 4, § 3, e).

11. La clothianidine et le thiaméthoxame ont été approuvés par la Commission européenne à compter respectivement du 1er août 20064 et du 1er février 20075, pour une durée de dix ans. Dès 2013, cependant, au regard de nouvelles données scientifiques relatives aux effets sublétaux de ces substances sur les abeilles, la Commission a décidé d’interdire, pour près de quatre-vingts cultures, l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives – ainsi qu’un troisième néonicotinoïde, l’imidaclopride – à l’exception des semences utilisées sous serres permanentes6. Elle a par ailleurs demandé aux auteurs de la notification (c’est-à-dire aux producteurs des substances concernées) de fournir, pour le 31

4 Directive 2006/41/CE de la Commission du 7 juillet 2006 modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil en vue d’y inscrire les substances actives clothianidine et pethoxamide, J.O., 2006, L 187, p. 24.

5 Directive 2007/6/CE de la Commission du 14 février 2007 modifiant la directive 91/414/CEE du Conseil afin d’y inscrire les substances actives metrafenone, Bacillus subtilis, spinosad et thiamethoxam, J.O., 2007, L 43, p. 13.

6 Règlement d’exécution n° 485/2013 de la Commission du 24 mai 2013 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation des substances actives clothianidine, thiaméthoxame et imidaclopride et interdisant l’utilisation et la vente de semences traitées avec des produits phytopharmaceutiques contenant ces substances actives, J.O., 2013, L 139, p. 12.

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5 décembre 2014, des « informations confirmatives » sur les risques, pour les abeilles et les autres pollinisateurs, associés à l’utilisations des produits contenant ces substances.

12. En 2018, estimant que les informations demandées n’avaient pas été communiquées et que

« d’autres risques pour les abeilles ne peuvent être exclus sans que de nouvelles restrictions soient imposées », la Commission a décidé d’étendre à toutes les cultures l’interdiction de mise sur le marché et d’utilisation des semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant de la clothianidine7, du thiamétoxame8 ou de l’imidaclopride9. Cette interdiction est assortie d’une exception, lorsque « les graines sont destinées à être utilisées exclusivement dans des serres permanentes » et que « le culture obtenue reste dans une serre permanente tout au long du cycle de vie »10.

13. Les Etats membres devaient retirer au plus tard le 19 septembre 2018 les autorisations existantes des produits phytopharmaceutiques contenant l’une de ces substances actives11. Ces Etats ne pouvaient par ailleurs accorder aux acteurs économiques un délai de grâce pour l’élimination, le stockage, la mise sur le marché et l’utilisation des stocks existants au-delà du 19 décembre 201812.

1.3. Les antécédents de la procédure

14. En violation de l’interdiction contenue dans les Règlements d’exécution susmentionnés, la partie adverse a, par les décisions attaquées, octroyé des autorisations pour le traitement de semences à l’aide de produits à base de thiaméthoxame et de clothianidine, et pour le semis de telles semences, au-delà des échéances susmentionnées. Ces autorisations faisaient suite à des demandes de dérogation déposées par différents acteurs des secteurs économiques concernés sur le fondement de la procédure dérogatoire, prévue à l’article 53 du Règlement 1107/2009, relative à de situations d’urgence en matière de protection phytosanitaire.

15. Ayant pris connaissance des décisions attaquées mises en ligne le 3 décembre 2018 sur le site internet Phytoweb du SPF Santé Publique, Sécurité de la Chaîne Alimentaire et Environnement (www.fytoweb.be), la première requérante (PAN Europe) a envoyé le 7 décembre à la partie adverse une demande d’information « Aarhus » fondée sur la loi du 5 août 2006 relative à l’accès du public à l’information en matière d’environnement13 (voir pièce n° 11) visant à obtenir

7 Règlement d’exécution n° 2018/784 de la Commission du 29 mai 2018 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active « clothianidine », J.O., 2018, L 132, p. 35 (Pièce n° 9)

8 Règlement d’exécution n° 2018/785 de la Commission du 29 mai 2018 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active « thiamétoxame », J.O., 2018, L 132, p. 40 (Pièce n° 10).

9 Règlement d’exécution n° 2018/783 de la Commission du 29 mai 2018 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active « imidaclopride », J.O., 2018, L 132, p. 31.

10 Article 2 des Règlements d’exécution n° 2018/783, 2018/784 et 2018/785 précités.

11 Article 3 des Règlements d’exécution n° 2018/783, 2018/784 et 2018/785 précités.

12 Article 4 des Règlements d’exécution n° 2018/783, 2018/784 et 2018/785 précités.

13 M.B., 28 août 2006, p. 42538.

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6 l’ensemble des dossiers relatifs aux autorisations concernant la substance thiaméthoxame (c’est-à- dire les autorisations concernant les produits Cruiser et Cruiser 600 FS).

16. Les documents demandés ont été remis à un employé de la première requérante lors d’une réunion avec un représentant de la partie adverse qui s’est tenue le 11 janvier 2019. Ces documents sont :

- La demande d’autorisation déposée par la société SESVanderhave concernant le Cruiser 600 FS pour le traitement et la vente de semences de betteraves sucrières (voir pièce n°

12);

- La demande d’autorisation déposée par l’Institut Royal Belge pour l’Amélioration de la Betterave (ci-après « l’IRBAB ») concernant le Cruiser 600 FS pour le semis de semences de betteraves sucrières (voir pièce n° 13);

- Le dossier de la partie adverse faisant droit à cette demande (voir pièce n° 14);

- La demande d’autorisation déposée par le Kenniscentrum voor Duurzame Tuinbouw (ci- après « le KDT ») concernant le Cruiser pour le semis de semences de carottes (voir pièce n° 15);

- Le dossier de la partie adverse faisant droit à cette demande (voir pièce n° 16);

- La demande d’autorisation déposée par le KDT concernant le Cruiser pour le semis de semences de laitue et scarole (voir pièce n° 17);

- Le dossier de la partie adverse faisant droit à cette demande (voir pièce n° 18);

17. Suite à une demande d’accès aux documents adressée à la Commission européenne, cette dernière a communiqué à la première requérante, le 17 janvier 2019, les notifications d’autorisation d’urgence reçues de l’Etat belge dans lesquelles ce dernier informe la Commission de sa décision d’accorder une autorisation à l’égard des produits Poncho Beta (voir pièce n° 19) et Cruiser 600 FS (voir pièce n° 20), pour le traitement et la vente de semences de betteraves sucrières. Les autres décisions attaquées ne semblent pas encore avoir été notifiées à la Commission.

18. C’est sur la base de ces informations que les parties requérantes ont décidé de poursuivre la suspension et l’annulation des décisions attaquées.

2. LA RECEVABILITE

2.1. Sur l’intérêt à agir

19. Les parties requérantes, ont un intérêt à agir actuel, légitime, direct et certain à obtenir la suspension et l’annulation des décisions attaquées.

20. Les deux premières requérantes sont des associations sans but lucratif dont l’objet social est expressément lié à la promotion d’une agriculture sans pesticides.

21. S’agissant de PAN Europe, l’article 3 de ses statuts donne à l’association les buts suivants :

« 1. La promotion d’activités destinées à réduire et éliminer les pesticides et autres produits chimiques dont les biocides et, d’une manière générale, la prévention de la prolifération de tous pesticides et de biocides dangereux ;

2. Le monitoring, la conscientisation, l’éducation, la formation, l’étude, la recherche, les test, l’échange d’expertise en matière de pesticides et de biocides dans les enceintes mondiales, européennes, nationales régionales et locales ».

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7 La même disposition précise qu’en vue d’atteindre ces objectifs, l’association « procédera notamment (…) c) au lobbying, à la recherche de toute proposition ou à l’opposition à tous changements législatifs et décisions politiques pris ou à prendre dans les enceintes mondiales, européennes, nationales, régionales et locales » (voir Pièce n° 7).

22. PAN Europe s’est fortement impliquée en faveur de l’interdiction des néonicotinoïdes, notamment à travers une intervention en soutien de la Commission dans le recours en annulation du Règlement d’exécution 485/2013 précité14 et la création en 2018 d’une coalition de plus de 130 ONGs à travers l’Union européenne en vue d’obtenir une interdiction totale de ces substances (www.beecoalition.eu).

23. S’agissant de Nature et Progrès, ses statuts indiquent que cette association vise à « promouvoir : - l’agriculture biologique

- le jardinage biologique - le petit élevage biologique

- la consommation de produits biologiques » (art. 3.2.4), étant précisé que « par Biologique il faut toujours comprendre : “production obtenue dans le respect des lois naturelles, de la Terre, sans recours aux OGM et aux produits chimiques de synthèse” » (art. 3.2.4.1). Par ailleurs, les statuts ajoutent que cette association entend aussi « participer à la préservation de la biodiversité, sauvage ou cultivée tant sur le plan animal que végétal » (art. 3.2.6) (voir Pièce n° 8).

24. Nature et Progrès s’est également fort impliquée en faveur de l’interdiction des néonicotinoïdes, notamment en organisant des campagnes web à ce sujet et en menant des actions de sensibilisation à une culture alternative à celle de la betterave sucrière. Nature et Progrès a également participé, le jeudi 2 février 2017, à une audition de la commission environnement du Parlement de Wallonie visant à définir une stratégie d’interdiction des pesticides aux néonicotinoïdes.

25. L’objet social des deux premières requérantes est ainsi intimement affecté par les décisions attaquées, lesquelles autorisent, sur le territoire belge, certaines utilisations de produits à base de néonicotinoïdes qui ont été formellement interdites par les Règlements d’exécution n° 2018/783, 2018/784 et 2018/785 précités.

26. Le troisième requérant est quant à lui apiculteur. Il possède une trentaine de ruches dans la région de Tilff et déplace à intervalles réguliers ses colonies dans le cadre de la transhumance. Pour ce faire, il doit pouvoir s’assurer que ses abeilles ne seront pas confrontées à un environnement contaminé par des pesticides neurotoxiques tels que les néonicotinoïdes. Ayant été plusieurs fois victime de mortalités hivernales importantes, à l’époque de l’utilisation des néonicotinoïdes sur des grandes cultures proches de ses ruchers, il a un intérêt évident à la cessation d’une telle utilisation.

2.2. Sur le respect du délai de recours

27. La requête en annulation et la demande de suspension sont introduites dans les délais. Les six décisions attaquées ont été mises en ligne le 3 décembre 2018 sur le site internet Phytoweb du SPF

14 Lequel a donné lieu à l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne T-429/13 et T-451/13 Bayer CropScience AG et Syngenta Crop Protection AG c. Commission, 17 mai 2018, EU:T:2018:280.

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8 Santé Publique, Sécurité de la Chaîne Alimentaire et Environnement sur le site Internet. Le recours a été introduit dès que les requérants ont été mis en possession des documents pertinents, confirmant leurs doutes quant à la légalité de ces décisions.

2.3. Sur la connexité des actes attaqués

28. Selon la jurisprudence de votre Conseil, « [s]i, en règle, il n’appartient pas à un requérant de donner plusieurs objets à sa requête, il peut être fait exception à cette règle s’il existe une connexité entre les divers actes attaqués et si, eu égard aux moyens invoqués, il se justifie, en vue d'une bonne administration de la justice, de traiter les différents objets de la requête comme un tout et de statuer à leur propos par un seul et même arrêt. »15

29. Dans la mesure où les actes attaqués ont été mis en ligne le même jour, ont un fondement juridique identique, déploient des effets juridiques identiques, sont entachés de la même illégalité, et que le contrôle de leur légalité appelle un raisonnement commun, il convient de les considérer comme connexes.

3. LE MOYEN UNIQUE D'ANNULATION

30. Un moyen unique est pris de la violation :

- du Règlement d’exécution n° 2018/784 de la Commission du 29 mai 2018 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active « clothianidine » (ci-après le « Règlement d’exécution 2018/784 ») ;

- du Règlement d’exécution n° 2018/785 de la Commission du 29 mai 2018 modifiant le règlement d’exécution (UE) n° 540/2011 en ce qui concerne les conditions d’approbation de la substance active « thiamétoxame » (ci-après le « Règlement d’exécution 2018/785 ») ;

- du Règlement 1107/2009 du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil (ci-après le « Règlement 1107/2009 ») ;

- de la Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable ;

- de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, et notamment de ses articles 35 et 37 ;

- des principes de bonne administration ; et

- de la loi du 29 juillet 1991 relative à la motivation formelle des actes administratifs.

15 C.E., arrêt n° 239.895 du 16 novembre 2017, Elisabeth Soudant c. l’Etat belge.

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9 31. Les articles 2 des Règlements d’exécution 2018/784 et 2018/785 disposent que les semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant du thiaméthoxame ou de la clothianidine « ne sont pas mises sur le marché ni utilisées, sauf dans les cas suivants :

a) Les graines sont destinées à être utilisées exclusivement dans des serres permanentes et b) La culture obtenue reste dans une serre permanente tout au long de son cycle de vie ».

32. Les articles premiers de ces Règlements d’exécution modifient par ailleurs les dispositions spécifiques relatives à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant ces substances, dispositions figurant dans l’annexe, partie A, du Règlement d’exécution n° 540/201116. Ces dispositions spécifiques précisent désormais, à l’égard tant du thiaméthoxame que de la clothianidine, que « [s]eules les utilisations en tant qu’insecticide, dans des serres permanentes ou pour le traitement de semences destinées à être utilisées uniquement dans des serres permanentes, peuvent être autorisées. La culture obtenue doit rester dans une serre permanente tout au long de son cycle de vie ».

33. En d’autres termes, les Règlements d’exécution 2018/784 et 2018/785 interdisent formellement aux Etats membres d’autoriser l’utilisation de thiaméthoxame ou de clothianidine dans des cultures à l’air libre, que ce soit sous la forme d’une pulvérisation de la plante à l’aide de produits phytopharmaceutiques ou du semis de semences enrobées à l’aide de tels produits. L’objectif est clair : éviter autant que faire se peut que des insectes pollinisateurs entrent en contact avec ces substances en en confinant l’utilisation à des espaces fermés.

34. En violation de cette interdiction, les décisions attaquées autorisent le traitement et la mise sur le marché de semences de certaines cultures (betterave sucrière, laitues et apparentés, et carottes) ainsi que leur semis en plein champ, à l’air libre.

35. Pour justifier cette entorse, les décisions attaquées sont présentées comme adoptées « en application » de l’article 53 du Règlement 1107/2009 « concernant des mesures dans des situations d’urgence ».

36. L’article 53, § 1er, al. 1er, du Règlement 1107/2009 (ci-après, « l’article 53 ») prévoit que « par dérogation à l’article 28 et dans des circonstances particulières, un État membre peut autoriser, pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques en vue d’un usage limité et contrôlé, lorsqu’une telle mesure s’impose en raison d’un danger qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables ».

37. Il sera démontré ci-dessous que les décisions attaquées ne peuvent se prévaloir de la dérogation offerte par cette disposition pour au moins trois motifs :

- L’article 53 permet l’autorisation de mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques, et non de semences enrobées à l’aide de tels produits (première branche, point 3.1 ci-dessous) ;

16 Règlement d’exécution n° 540/2011 de la Commission du 25 mai 2011 portant application du règlement (CE) no 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil, en ce qui concerne la liste des substances actives approuvée, J.O., 2011, L 153, p. 1.

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10 - L’article 53 permet l’autorisation de produits phytopharmaceutiques pour des utilisations qui n’ont pas (encore) été évaluées au niveau de l’Union européenne ou au niveau de l’Etat membre, mais non pour des utilisations qui ont été expressément interdites par celle-ci pour des raisons environnementales ou de santé (deuxième branche, point 3.2 ci-dessous) ;

- L’article 53 ne peut être invoqué que lorsque sont réunies plusieurs conditions de fond, relatives à l’urgence, au caractère particulier des circonstances, et à l’absence d’alternatives raisonnables, conditions que les décisions attaquées ne remplissent manifestement pas (troisième branche, point 3.3 ci-dessous).

3.1 Première branche – L’article 53 ne s’applique pas aux semences

38. Il ressort à la fois du libellé (i) et de la ratio legis (ii) de l’article 53 que ce dernier ne permet pas à un Etat membre d’autoriser la mise sur le marché et le semis de semences enrobées à l’aide de produits phytopharmaceutiques. Le préambule des Règlements d’exécution 2018/784 et 2018/785 confirme cette interprétation (iii).

39. (i) S’agissant du libellé de l’article 53, force est d’abord d’observer que ce dernier limite son champ d’application à « la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques » et ne fait nullement référence à la mise sur le marché et au semis de semences enrobées à l’aide de tels produits. Cette limitation est confirmée par le fait que cet article se présente comme introduisant une « dérogation à l’article 28 », lequel réglemente l’autorisation de mise sur le marché et l’utilisation de produits phytopharmaceutiques. La mise sur le marché des semences traitées à l’aide de tels produits est régie par une autre disposition, l’article 49 du Règlement 1107/2009. Or, cet article ne contient aucune référence à l’article 53 (et vice-versa), alors même qu’il renvoie à d’autres dispositions introduisant d’autres types de dérogations (les articles 70 et 71).

40. (ii) Cette interprétation littérale de l’article 53 est corroborée par sa ratio legis, qui consiste à permettre aux Etats membres de faire face à une situation de crise provoquée par l’apparition d’un parasite susceptible de causer de graves dommages aux végétaux et dont il convient d’enrayer au plus vite la progression. Le document de travail publié par la Commission en vue de l’application de l’article 53 (ci-après, « le Document de Travail » (Pièce n° 21)) va exactement dans ce sens17 : il limite le recours à cette disposition aux « situations d’urgence » (« emergency situations ») qui

« exigent des réponses rapides et efficaces qui ne peuvent attendre l’aboutissement du processus normal d’autorisation » (« demand quick and effective responses that cannot await the outcome of the normal authorisation process ») (p. 2). Il est par ailleurs demandé aux Etats membres de fournir à la Commission des informations quant au « territoire infesté » (« area infested »), à « la période depuis laquelle l’infestation est présente » (« period the infestation has been present ») et à sa

« possible expansion dans la durée » (« possible expansion with time ») (p. 4, point 3.1.d.). En d’autres termes, l’article 53 permet aux Etats de réagir, ex post, à la survenance d’un mal qu’ils ne parviennent pas à contenir. Cette réaction prendra typiquement la forme de pratiques de

17 Working Document on emergency situations according to Article 53 of Regulation (EC) No. 1107/2009, SANCO/10087/2013 rev. 0, 1er février 2013, consultable à l’adresse:

https://ec.europa.eu/food/sites/food/files/plant/docs/pesticides_aas_guidance_wd_emergency_authorisations_

article53_en.pdf.

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11 pulvérisation des plants attaqués ou de traitement du sol au pied de ces plants. A l’inverse, il serait contraire à l’esprit de l’article 53 d’y lire une autorisation de mesures prophylactiques destinées à prévenir la survenance d’un dommage non encore advenu. Or, l’enrobage des semences consiste précisément en une telle mesure préventive puisqu’il intervient avant même le semis et, dès lors, avant la survenance de tout danger.

41. (iii) Enfin, la distinction de principe entre « mise sur le marché et utilisation d’un produit phytopharmaceutique » d’une part, et « mise sur le marché et traitement de semences » d’autre part, est reconnue par la Commission elle-même dans les Règlements 2018/784 et 2018/785, dont le considérant 13 des préambules dispose que « compte tenu des risques pour les abeilles provenant des semences traitées, la mise sur le marché et l’utilisation de semences traitées à l’aide de produits phytopharmaceutiques contenant [du thiaméthoxame / de la clothianidine] devraient être soumises aux mêmes restrictions que l’utilisation du thiaméthoxame [du thiaméthoxame / de la clothianidine] ». La nécessité exprimée d’aligner le régime juridique relatif à l’utilisation des semences sur celui relatif à l’utilisation des substances chimiques démontre a contrario qu’ils doivent être en principe considérés comme distincts. Le fait que ces règlement aient pour base juridique non seulement l’article 21, § 3 (relatif à l’approbation de la substance active), mais également l’article 49, § 2 (relatif à la mise sur le marché des semences traitées), du Règlement 1107/2009, confirme cette conclusion.

42. Eu égard à ce qui précède, il n’est pas douteux que la partie adverse a commis une erreur manifeste d’appréciation en autorisant, sur la base de l’article 53, la mise sur le marché et le semis de semences enrobées à l’aide de produits phytopharmaceutiques.

43. A titre subsidiaire, si Votre Conseil devait nourrir le moindre doute quant à l’interprétation présentée ci-dessus, il lui est demandé de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle qui pourrait être formulée comme suit :

« L’article 53 du Règlement 1107/2009 du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil doit-il être interprété comme permettant à un Etat membre d’accorder une autorisation relative à la mise sur le marché et au semis de semences enrobées à l’aide de produits phytopharmaceutiques ? »

3.2 Deuxième branche – L’article 53 ne permet pas d’autoriser des utilisations expressément interdites par l’Union pour des raisons sanitaires ou environnementales 44. Comme exposé ci-dessus, l’article 53 a pour objet de permettre, face à l’urgence d’une situation et

de façon exceptionnelle et temporaire, de passer outre la procédure d’autorisation de mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique mentionnée à l’article 28, laquelle requiert d’abord l’approbation de la substance active au niveau de l’Union européenne et ensuite l’autorisation du produit contenant cette substance au niveau de l’État membre concerné.

45. Cette procédure d’autorisation en deux temps est particulièrement lourde. Elle nécessite des évaluations scientifiques importantes et s’étale nécessairement sur plusieurs années. Eu égard à cet état de fait, c’est fort logiquement que l’article 53 permet d’en contourner la longueur dans des

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12 circonstances particulièrement pressantes. C’est donc bien pour pallier des situations urgentes qui

« appellent des réponses rapides et efficaces qui ne peuvent attendre l’aboutissement du processus normal d’autorisation » (« demand quick and effective responses that cannot await the outcome of the normal authorisation process ») (p. 2 du Document de Travail) qu’a été introduit l’article 53.

En ce sens, comme l’expose la Commission dans le Document de Travail, l’article 53 peut être utilisé dans deux situations :

- Soit pour autoriser temporairement des produits phytosanitaires dont la substance active n’a pas (encore) fait l’objet d’une approbation au niveau de l’Union européenne ;

- Soit pour autoriser des produits phytosanitaires dont la substance active a été approuvée mais pour des usages qui n’ont pas (encore) fait l’objet d’une autorisation au niveau national.

46. En revanche, il ressort tant de la lettre que de l’esprit de l’article 53 que si ce dernier permet aux Etats membres de devancer les procédures (européennes) d’approbation et (nationales) d’autorisation de mise sur le marché, ou de pallier l’absence de telles procédures, il ne les autorise en aucun cas à contredire le résultat auquel de telles procédures ont abouti. Plus précisément, cet article 53 ne permet pas à un Etat membre d’autoriser un produit phytopharmaceutique pour une utilisation qui a été expressément interdite par la Commission européenne pour des raisons environnementales ou de santé publique.

47. Cette conclusion résulte d’abord de la lettre de l’article 53. Celui-ci se présente uniquement comme une dérogation à l’article 28 du Règlement 1107/2009, qui concerne la procédure (normale) d’autorisation. En revanche, il n’introduit aucune dérogation à l’article 4 du même Règlement, lesquels régissent les conditions d’autorisation de ces produits. Pour rappel, selon l’article 4, § 3, (auquel renvoie du reste l’article 29, § 1er, e)), seuls peuvent être autorisés les produits phytopharmaceutiques qui, notamment :

- N’ont « pas d’effet nocif immédiat ou différé sur la santé humaine, y compris les groupes vulnérables, ou sur la santé animale, directement ou par l’intermédiaire de l’eau potable (compte tenu des substances résultant du traitement de l’eau), des denrées alimentaires, des aliments pour animaux ou de l’air, ou d’effets sur le lieu de travail ou d’autres effets indirects, compte tenu des effets cumulés et synergiques connus lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité, sont disponibles; ou sur les eaux souterraines » (art. 4, § 3, b));

- N’ont « pas d’effet inacceptable sur l’environnement, compte tenu particulièrement des éléments suivants, lorsque les méthodes d’évaluation scientifiques de ces effets, acceptées par l’Autorité, sont disponibles:

i) son devenir et sa dissémination dans l’environnement, en particulier en ce qui concerne la contamination des eaux de surface, y compris les eaux estuariennes et côtières, des eaux souterraines, de l’air et du sol, en tenant compte des endroits éloignés du lieu d’utilisation, en raison de la propagation à longue distance dans l’environnement;

ii) son effet sur les espèces non visées, notamment sur le comportement persistant de ces espèces;

iii) son effet sur la biodiversité et l’écosystème » (art. 4, § 3, e)).

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13 48. En d’autres termes, il résulte du libellé même de l’article 53 que les Etats membres ne peuvent autoriser la mise sur le marché d’un produit phytopharmaceutique sur la base de cette disposition que pour autant qu’il ne soit pas démontré que ce produit ne respecte pas les conditions prévues à l’article 4 du Règlement 1107/2009.

49. Cette interprétation littérale se trouve confortée par la ratio legis de l’article 53. Comme l’indique son intitulé même, cette disposition vise à rencontrer des « situations d’urgence ». Son objectif est donc bien d’aménager un raccourci procédural lorsque la célérité s’impose. A l’inverse, cette disposition n’introduit aucune pondération des intérêts susceptible, face à un préjudice d’une gravité exceptionnelle, d’autoriser une dérogation aux exigences environnementales et sanitaires posées par le Règlement 1107/2009. Une telle dérogation serait du reste strictement interdite par ce Règlement lui-même, qui non seulement « vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement » (article 1er, § 3) mais qui prévoit en outre que « [l]ors de la délivrance d’autorisations pour des produits phytopharmaceutiques, l’objectif de protection de la santé humaine et animale et de l’environnement, en particulier, devrait primer l’objectif d’amélioration de la production végétale » (considérant n° 24 du préambule).

50. Dans son Document de Travail, la Commission précise à cet égard que le recours à cet article ne saurait compromettre (« jeopardize ») l’objectif de réalisation d’un niveau élevé de protection de la santé humaine et animale (p. 2, pt. 1, 2ème paragraphe). Elle rappelle encore qu’aux fins de décider d’accorder une autorisation pour un produit dont la substance active n’a pas été approuvée, les Etats membres doivent tenir compte de la nécessité de « sauvegarder la protection de la santé humaine et de l’environnement » (« Safeguarding the protection of human health and the environment ») (p. 3, pt. 2.2).

51. Cette interprétation est également corroborée par l’historique de l’article 53. Cette disposition remplace en effet presque mots pour mots l’article 8, § 4, de la Directive 91/414/CEE18 que le Règlement 1107/2009 a abrogée. Deux différences essentielles y sont néanmoins observables : d’une part, contrairement à l’article 53, l’article 8, § 4, de la Directive introduit une dérogation à la disposition de la Directive – l’article 4 – qui énumère les conditions d’autorisation des produits phytopharmaceutiques. D’autre part, ce même article 8, § 4, de la Directive prévoit expressément la possibilité d’autoriser la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques « ne répondant pas aux exigences de l’article 4 »19. Sous l’empire de cette législation, les Etats membres étaient ainsi bel et bien autorisés à s’écarter des conditions (relatives notamment au respect de la santé et de l’environnement) prévues par cette disposition. On ne saurait concevoir que ce soit par accident

18 Directive 91/414/CEE du Conseil du 15 juillet 1991 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, J.O., 1991, L 230, p. 1.

19 Cette disposition se lit comme suit : « Également par dérogation à l'article 4 et dans des circonstances particulières, un État membre peut autoriser pour une période n’excédant pas cent vingt jours, la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques ne répondant pas aux exigences de l’article 4, en vue d'un usage limité et contrôlé, si cette mesure apparaît nécessaire à cause d'un danger imprévisible qui ne peut être maîtrisé par d'autres moyens. Dans ce cas, l'État Membre concerné informe immédiatement les autres États membres et la Commission de la mesure prise. Il est décidé sans retard, conformément à la procédure prévue à l'article 19, si et dans quelles conditions la mesure prise par l'État membre concerné peut être prolongée pour une période à déterminer, répétée ou annulée. »

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14 que le législateur de l’Union, en transposant la clause dérogatoire de la Directive dans le Règlement 1107/2009, ait décidé de supprimer la dérogation à l’article énumérant les conditions d’autorisation ainsi que le morceau de phrase « ne répondant pas aux exigences de l’article 4 ». Ce changement était manifestement délibéré, et il modifie radicalement la portée de la dérogation. C’est sans doute la force de l’habitude qui explique que ce changement n’apparaisse pas toujours dans la pratique récente des Etats membres et de la Commission.

52. Une interprétation de l’article 53 consistant à exonérer les Etats membres – et les demandeurs de l’autorisation – du respect des conditions de l’article 4 du Règlement 1107/2009 serait par ailleurs contraire à la Charte des droits fondamentaux, et notamment au principe de niveau élevé de protection de la santé et de l’environnement inscrit en ses articles 35 et 37. Or, il est de jurisprudence constante que les dispositions de droit dérivé doivent être interprétées à la lumière les droits fondamentaux20 et que « les États membres doivent notamment veiller à ne pas se fonder sur une interprétation d’un texte du droit dérivé qui entrerait en conflit avec ces droits fondamentaux »21.

53. Une telle lecture de l’article 53 serait par ailleurs difficilement conciliable avec le principe de

« lutte intégrée contre les ennemis des cultures » consacré à l’article 14 de la Directive 2009/128/CE22. Ce dernier subordonne l’usage des pesticides au respect d’un principe de subsidiarité, obligeant les Etats membres à « privilégi[er] chaque fois que possible les méthodes non chimiques de sorte que les utilisateurs professionnels de pesticides se reportent sur les pratiques et produits présentant le risque le plus faible pour la santé humaine et l’environnement parmi ceux disponibles pour remédier à un même problème d’ennemis des cultures ».

54. Enfin, c’est l’effet utile même du Règlement 1107/2009 qui serait compromis si son article 53 devait être interprété comme permettant à chaque État membre de remettre en cause, de façon unilatérale, des interdictions décidées au niveau de l’Union européenne. A cet égard, il convient de souligner que ce Règlement a notamment pour base juridique l’article 95 CE (devenu article 114 TFUE), qui vise l’établissement et le bon fonctionnement du marché intérieur. Par ailleurs, il résulte de son préambule que ce Règlement vise à « établir des règles harmonisées pour l’approbation des substances actives et la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, y compris des règles concernant la reconnaissance mutuelle des autorisations et le commerce parallèle » et qu’il « a pour objet d’accroître la libre circulation de tels produits et leur disponibilité dans les États membres » (considérant n° 9).

55. A titre subsidiaire, quand bien même faudrait-il interpréter l’article 53 comme autorisant les Etats à passer outre une interdiction explicite formulée au niveau de l’Union européenne, quod certissime non, on ne saurait à tout le moins, eu égard aux considérations qui précèdent, y voir un blanc-seing permettant aux Etats de s’affranchir des conditions d’autorisation fixées à l’article 4 du Règlement 1107/2009. En d’autres termes, même à suivre une lecture excessivement libérale de l’article 53,

20 Cf. p. ex. C-129 et C-130/13 Kamino International, 3 juillet 2014, EU:C:2014:2041, pt. 69 et références citées.

21 C-538/13 Léger, 29 avril 2015, EU:C:2015:288, pt. 41.

22 Directive 2009/128/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 instaurant un cadre d’action communautaire pour parvenir à une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable, J.O., 2009, L 309, p. 71-86.

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15 un Etat souhaitant accorder une dispense à une interdiction décidée au niveau de l’Union ne serait en mesure de le faire que sur la base d’évaluations ou de données scientifiques nouvelles susceptibles de remettre en cause les conclusions de l’EFSA quant à la dangerosité de la substance ou de l’utilisation qui fondent une telle interdiction.

56. Eu égard à ce qui précède, il ne fait pas de doute que les décisions attaquées ne peuvent se prévaloir de l’article 53 pour deux motifs.

57. D’une part, elles autorisent des utilisations de produits phytosanitaires qui sont formellement interdites par les Règlements d’exécution 2018/784 et 2018/785. A cet égard, force est de rappeler que ces interdictions sont fondées sur les conclusions de l’EFSA relatives au non-respect des conditions de l’article 4 du Règlement 1107/2009 par les substances actives thiaméthoxame et clothianidine23.

58. D’autre part les décisions attaquées ne sont, à la connaissance des requérants, fondées sur aucune évaluation ou donnée scientifique nouvelle de nature à remettre en cause les conclusions de l’EFSA au regard du non-respect des conditions de l’article 4 du Règlement 1107/2009. Bien au contraire, il ressort des documents fournis par la partie adverse à la première requérante suite au dépôt de sa demande d’information « Aarhus » (voir pièce n° 11) que les dossiers relatifs aux autorisations se bornent à reproduire les motifs avancés par les demandeurs des autorisations (comparer à cet égard les pièces n° 13 et 14 ; 15 et 16 ; et 17 et 18). Plus encore, il apparaît que les notifications des autorisations d’urgence envoyées par la Belgique à la Commission concernant les décisions relatives à l’enrobage et la mise sur le marché des semences de betteraves reproduisent à l’identique le contenu des demandes d’autorisation relatives à ces autorisations (comparer à cet égard les pièces n° 12, 13, 19 et 20).

59. En d’autres termes, il apparaît que la partie adverse s’est contentée d’avaliser en bloc les données et arguments soumis par l’industrie, sans procéder à aucun examen supplémentaire, indépendant et impartial. Cette lacune est particulièrement frappante s’agissant des demandes et des dossiers d’autorisation relatifs à la betterave. Il y apparaît que la seule publication récente citée dans la demande est parue dans une revue scientifique (Crop Protection) gérée par une association dont sont membres des représentants de l’industrie et a été rédigée par des chercheurs membres d’instituts de recherche subsidiés par cette même industrie, dont certains sont même employés par l’IRBAB, c’est-à-dire le demandeur d’une des autorisations (voir pièce n° 12, p. 4 et 13, p. 4) ! Par ailleurs, cette demande laisse entendre que le puceron vert du pêcher (myzus persicae) – « le vecteur de virus le plus important » (« the most important viral vector ») – ne pourrait être contrôlé que par des néonicotinoïdes alors même que l’IRBAB, l’organisme auteur de la demande, a récemment fait paraître un article dans l’hebdomadaire Plein Champ de la Fédération wallonne de l’agriculture (20 décembre 2018, n° 51, pp. 6-8), où il est affirmé qu’un insecticide à base de flonicamide (Teppeki) « permet un contrôle efficace » de ce ravageur (voir pièce n° 22)24. De telles

23 Ainsi, par exemple, le considérant n° 5 du Règlement d’exécution 2018/784 indique spécifiquement que

« l'Autorité a relevé l'existence de risques aigus élevés pour les abeilles pour les céréales d'hiver, des risques chroniques élevés pour les abeilles ne pouvant être exclus pour les betteraves sucrières » (nous soulignons).

24 Cet article est également disponible sur le site de l’IRBAB : https://www.irbab-kbivb.be/wp- content/uploads/2018/12/Autorisation-de-120-jours-pour-les-semences-de-betteraves-sucri%C3%A8res.pdf

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16 différences d’intonation25 dans la position du secteur betteravier auraient dû justifier une évaluation approfondie de la part de la partie adverse avant qu’une telle autorisation soit accordée.

60. Ces errements font ainsi apparaître une violation de l’obligation d’impartialité et du devoir de minutie, lesquels font partie des principes de bonne administration.

61. Eu égard à ce qui précède, il n’est pas douteux que la partie adverse a commis une erreur manifeste d’appréciation en autorisant, sur la base de l’article 53, et sans élément scientifique nouveau, des utilisations de produits phytosanitaires qui sont formellement interdites par les Règlements d’exécution 2018/784 et 2018/785 en raison des risques qu’elles présentent pour l’environnement et la santé des abeilles.

62. A titre subsidiaire, si Votre Conseil devait nourrir le moindre doute quant à l’interprétation présentée ci-dessus, il lui est demandé de poser à la Cour de justice de l’Union européenne une question préjudicielle qui pourrait être formulée comme suit :

« L’article 53 du Règlement 1107/2009 du Parlement et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE du Conseil doit-il être interprété comme permettant à un Etat membre d’autoriser des utilisations de produits phytosanitaires qui, en raison des risques qu’elles présentent pour l’environnement ou la santé, ont été expressément interdites par un règlement d’exécution adopté par la Commission sur la base de l’article 21, § 3 et/ou de l’article 49, § 2, du Règlement 1107/2009 ? »

3.3 Troisième branche – L’article 53 ne peut être invoqué qu’en cas d’urgence, dans des circonstances particulières, et à défaut d’alternatives raisonnables, conditions qui font défaut en l’espèce.

63. Les décisions attaquées sont motivées par le souci de combattre certains parasites propres aux cultures concernées. Elles identifient les parasites suivants :

- Pour les semis de semences de laitue et similaire et semis de semences d’endives, radicchio rosso, pain de sucre, les pucerons et pucerons des racines ;

- Pour les semis de semences de carottes, la mouche de la carotte ;

- Pour les semis de semences de betteraves sucrières, les taupins, blaniules et scutigérelles, attises de la betterave, atomaires, mouches de la betterave et pucerons.

64. Or, une dérogation ne peut être accordée sur la base de l’article 53 que dans le respect de plusieurs conditions, parmi lesquelles :

- L’existence d’une « situation d’urgence en matière de protection phytosanitaire » (intitulé même de l’article 53), exigeant une « réponse rapide et efficace »26 ;

25 La demande d’autorisation relative au Cruiser 600 fait bien état d’insecticides à base de flonicamide mais semble ne les envisager qu’en combinaison avec des pulvérisations de néonicitonoïdes et les rejette comme alternatives valables en jetant le doute sur l’efficacité de tout type de pulvérisation face au Myzus persicae (pièce n° 13, p. 7).

26 Document de Travail, p. 2, pt. 1.

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17 - Des « circonstances particulières »27 (article 53), et même « exceptionnelles »28 ;

- Un danger qui « ne peut être maîtrisé par d’autres moyens raisonnables » (article 53).

65. Les décisions attaquées ne remplissent aucune de ces trois conditions.

66. S’agissant de la première condition, il est évident qu’au moment de la délivrance des décisions attaquées, ces parasites n’étaient pas présents sur des cultures qui, par hypothèse, n’avaient pas encore été semées. En ce sens, dans la mesure où ces autorisations ont été délivrées à titre préventif, alors même que les parasites n’étaient pas encore présents, elles ne satisfont pas à l’exigence d’urgence identifiée ci-dessus. Les demandes d’autorisation relatives au Cruiser 600 FS reconnaissent du reste elles-mêmes qu’« aujourd’hui on ne peut connaître à l’avance où des attaques sévères de parasites pourraient se produire » (« today it is not known in advance where severe pest outbreaks might occur »), affirmant cependant, sans avancer la moindre preuve, que

« des épisodes sévères de jaunisse virale sont une quasi-certitude » (« severe outbreaks of virus yellows are a near certainty ») (Voir pièces n° 12 et 13, p. 6).

67. Les décisions attaquées ne remplissent pas davantage la deuxième condition, relative à des circonstances particulières, spéciales ou exceptionnelles. Il n’est pas contestable que les attaques de parasites qu’elles entendent prévenir peuvent se produire chaque année et sont depuis toujours intimement liées aux cultures en question. En revanche, il n’est pas douteux que les pratiques agricoles liées à l’agriculture intensive, et notamment la rotation courte de cultures et la suppression des haies et bocages susceptibles d’abriter les populations des prédateurs des parasites (à titre d’exemple, une coccinelle peut manger plus d’une centaine de pucerons par jour) favorisent très largement la prolifération de ces derniers. En d’autres termes, les champs cultivés depuis longtemps par le biais de telles pratiques sont plus vulnérables aux invasions de parasites que les autres parcelles agricoles. Il en résulte que loin d’être fortuites, irrésistibles ou indépendantes de la volonté humaine, les « circonstances » que constitue le risque d’une invasion de parasites sont le plus souvent la conséquence logique et prévisible du recours à certaines pratiques agricoles dont il est parfaitement possible de se passer29.

68. Aucune particularité ne permet ainsi de justifier le recours à l’article 53 à l’égard des ravageurs identifiés dans les décisions attaquées, dont la présence modérée fait l’ordinaire de l’agriculteur, et dont le risque de prolifération est la conséquence prévisible de pratiques agricoles non indispensables. Ainsi, il est à craindre que, dans la droite ligne d’une pratique bien ancrée de

27 « special circumstances » dans la version anglaise ; « bijzondere omstandigheden » dans la version néerlandaise.

28 Cf. le considérant n° 32 du préambule du Règlement 1107/2009. Cf. aussi le document de travail de la Commission précité, p. 2, pt. 1 : « Use of this Article should be exceptional »

29 A cet égard, il est aujourd’hui établi que les champs cultivés selon les exigences de l’agriculture biologique (donc sans pesticides de synthèse) présentent un même niveau d’infestation de ravageurs que les champs traités avec des pesticides de synthèse (cf. Lucile Muneret, Matthew Mitchell, Verena Seufert, Stéphanie Aviron, El Aziz Djoudi, Julien Pétillon, Manuel Plantegenest, Denis Thiéry & Adrien Rusch., « Evidence that organic farming promotes pest control », Nature Sustainability, 16 juillet 2018 ; communiqué de presse consultable à l’adresse : http://presse.inra.fr/Communiques-de-presse/AB-regulation-bioagresseurs).

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18 l’administration belge en la matière30, les décisions attaquées fassent l’objet d’un renouvellement annuel pendant de nombreuses années – ce qui justifie du reste leur annulation, au-delà de leur seule suspension.

69. Enfin, les décisions attaquées restent en défaut d’établir l’absence de mesures alternatives permettant de « maîtriser » de telles attaques et, pour cette raison, ne remplissent pas davantage la troisième condition. A cet égard, plusieurs éléments doivent être mentionnés :

- Les néonicotinoïdes ne sont apparus massivement dans l’agriculture que dans le courant des années 1990, alors même que les cultures visées par les décisions attaquées remontent à des temps immémoriaux. A n’en pas douter, avant la commercialisation des néonicotinoïdes, les agriculteurs avaient déjà recours à des techniques « alternatives » pour lutter contre les ravageurs, à commencer par la plus évidente d’entre elles, à savoir le respect de réels cycles de rotation de culture, sur cinq voire sept ans. Cette technique est aujourd’hui encore la première de celles préconisées à l’annexe III de la Directive 2009/128 précitée, au titre des « principes généraux en matière de lutte intégrée contre les ennemis des cultures ». La réalité est que de telles pratiques semblent difficilement conciliables avec le type d’agriculture encouragé par les décisions attaquées : une agriculture focalisée sur les rendements à l’hectare et mise sous pression par les exigences des transformateurs des produits agricoles.

- A la connaissance des requérants, aucun pays limitrophe de la Belgique (dont les conditions climatiques et agricoles sont donc comparables) n’a accordé d’ « autorisation article 53 » pour les cultures visées par les décisions attaquées, soit qu’ils n’aient pas reçu de demande en ce sens de la part des acteurs du secteur, soit qu’ils aient refusé d’y faire droit, ce qui témoigne dans les deux cas de la présence de moyens alternatifs à l’utilisation de néonicotinoïdes.

- De nombreux agriculteurs belges ou européens font la preuve qu’il est possible de cultiver les différents types de semences visés par les décisions attaquées dans le cadre d’une agriculture biologique, c’est-à-dire sans le moindre pesticide de synthèse, et a fortiori sans le moindre néonicotinoïde. Même une raffinerie belge développe désormais une filière betteravière bio, s’appuyant sur des pratiques agricoles concluantes en Allemagne et en Autriche (voir pièce n°

23). Les demandes d’autorisation relatives au Cruiser 600 FS relèvent d’ailleurs qu’1 % des champs de betterave en Belgique est cultivé sans recours aux néonicotinoïdes (voir pièces n° 12 et 13, p. 3). Quant à l’affirmation selon laquelle « la production de scarole et de laitue iceberg sans semences traitées n’est pas possible » (« production of scarole and iceberg lettuce without seed treatment is not possible » (voir pièce n° 17, p. 6), elle est parfaitement inexacte, de nombreux agriculteurs cultivant ces légumes en bio.

- L’article susmentionné de l’IRBAB, paru dans un récent numéro de l’hebdomadaire Plein Champ de la Fédération wallonne de l’agriculture indique par ailleurs des techniques

30 De telles dérogations ont ainsi été accordées plusieurs années d’affilée pour des substances très toxiques telles que :

- de 2012 à 2015 pour le chlorpyrifos pour usage en prairies ; - de 2013 à 2014 pour la chloropicrine ;

- de 2011 à 2016 pour le 1,3-dichloropropene.

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19 alternatives à l’usage des néonicotinoïdes pour les cultures de betterave sucrière, associant rotation de cultures et recours à d’autres insecticides efficaces (voir pièce n° 22).

70. En réalité, il ressort des formulaires accompagnant les demandes d’autorisation que ces dernières sont avant tout fondées sur des considérations de productivité et d’efficience bien plus que de risque sanitaire ou environnemental majeur.

71. Dans la rubrique « Size and effect of danger » des demandes relatives au Cruiser 600 (voir pièces n° 12 et 13), il est ainsi indiqué que les cultures de betteraves sucrières et leurs produits dérivés sont « une source importante de revenus pour la Belgique » (« an important source of income for Belgium »), que ce secteur en Europe est « déjà sous pression économique » (« already under economic pressure »), que « dans l’avenir la production de sucre belge doit être compétitive avec des prix (bas) du marché mondial » (« for the future Belgian sugar production must be competitive with (low) world market prices ») et que « la perte d’un contrôle insecticide efficace pourrait détruire la viabilité des cultures » (« the loss of effective insecticidal control could destroy the viability of crops ») (p. 4-5), évoquant une perte de rendement moyenne de l’ordre de 7 %, qui ne tiendrait pas compte des dégâts causés par la jaunisse virale.

72. La demande pour l’utilisation du Cruiser à l’égard de semences de laitue et scarole (voir pièce n°

17) semble quant à elle uniquement justifiée par le fait que « le consommateur n’apprécie pas un produit avec des pucerons à l’intérieur. Dès lors, pour la laitue et la scarole, la tolérance zéro est requise » (« the consumer doesn’t appreciate a product with aphids inside of it. So, for lettuce and scarole is a zero tolerance required ») (p. 4). De la même manière la demande du même produit à l’égard des semences de carottes est justifiée par les préférences (supposées) des consommateurs (« Consumer acceptance of damaged carrots is low because the edible part of the plant is affected ») (voir pièce n° 15, p. 3).

73. Or, même à les supposer exactes, de telles considérations sont non seulement dénuées de pertinence, mais elles soulignent en outre l’illégalité des autorisations accordées. En effet, force est de rappeler que, selon le Document de Travail, les demandes de dérogation fondées sur l’article 53

« seulement basées sur les intérêts de l’industrie devraient être refusées » (« solely based on industry interests should be refused » (voir pièce n° 21, p. 5, pt. 3.1.).

74. Eu égard à ce qui précède, il n’est pas douteux que la partie adverse a commis une erreur manifeste d’appréciation en accordant, sur la base de l’article 53, des autorisations justifiées exclusivement par un impératif de rentabilité, dans des circonstances qui n’étaient ni urgentes, ni particulières, et à l’égard de produits pour lesquels il existe des alternatives.

75. Elle a par ailleurs manqué aux obligations d’impartialité et au devoir de minutie, lesquels font partie des principes de bonne administration, en se satisfaisant des affirmations non pertinentes contenues dans les demandes d’autorisation.

76. Enfin, elle a violé l’obligation de motivation formelle des actes administratifs en n’assortissant les décisions attaquées d’aucune motivation pertinente au regard des conditions d’application susmentionnées de l’article 53.

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