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La remise en question de la psychiatrie : du mouvement de L'antipsychiatrie aux groupes militants dans la Genève des années 1970

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Academic year: 2022

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Master

Reference

La remise en question de la psychiatrie : du mouvement de L'antipsychiatrie aux groupes militants dans la Genève des années

1970

DOTTI, Federico

Abstract

Cette recherche porte sur la remise en question du domaine de la psychiatrie, s'interrogeant concernant l'articulation entre le mouvement de l'antipsychiatrie et les groupements et mouvemets militants dans le contexte genevois des années 1970. Dans un premeier temps il sera question de comprendre ce que représente le terme antipsychiatrie, quels sont ses représentants, et en quoi consistent les idées de base ayant permi le développement d'une pensée en rupture avec l'institution psychiatrique traditionnelle. Dans un deuxième temps il s'agira d'investiguer le phénomène de contestation de la psychiatrie dans le contexte genevois des années 1970. En particulier, je m'interesserai à la naissance, au développement et aux revendications des groupements et mouvements locaux militants en faveur d'une remise en question de la psychiatrie.

DOTTI, Federico. La remise en question de la psychiatrie : du mouvement de L'antipsychiatrie aux groupes militants dans la Genève des années 1970. Master : Univ. Genève, 2015

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:76691

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LA REMISE EN QUESTION DE LA PSYCHIATRIE : DU MOUVEMENT DE L'ANTIPSYCHIATRIE AUX GROUPES MILITANTS DANS LA GENEVE

DES ANNEES 1970

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA MAÎTRISE EN EDUCATION SPECIALE

PAR FEDERICO

DOTTI

DIRECTEUR DU MEMOIRE

MARTINE RUCHAT, JOËLLE DORUX JURY

CHARLES HEIMBERG FRÉDÉRIC MOLE

GENEVE JUIN 2015

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION

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RESUME

Cette recherche porte sur la remise en question du domaine de la psychiatrie, s'interrogeant concernant l'articulation entre le mouvement de l'antipsychiatrie et les groupements et mouvemets militants dans le contexte genevois des années 1970.

Dans un premeier temps il sera question de comprendre ce que représente le terme antipsychiatrie, quels sont ses représentants, et en quoi consistent les idées de base ayant permi le développement d'une pensée en rupture avec l'institution psychiatrique traditionnelle.

Dans un deuxième temps il s'agira d'investiguer le phénomène de contestation de la psychiatrie dans le contexte genevois des années 1970. En particulier, je m'interesserai à la naissance, au développement et aux revendications des groupements et mouvements locaux militants en faveur d'une remise en question de la psychiatrie.

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier Madame Martine Ruchat pour son soutien constant, ses conseils précieux, sa disponibilité et sa patience dans la relecture et la correction de mon travail.

Je tiens également à remercier Madame Joëlle Droux pour son aide, et pour avoir accepté de m’accompagner en cours de route jusqu’au terme de ce travail.

Merci à Monsieur Charles Heimberg et Monsieur Frédéric Mole pour avoir accepté de faire partie de la commission de mon travail.

Je remercie l’Association Archives Contestataires, en particulier Stefania Giancane, pour m’avoir accompagné tout au long de ma recherche documentaire.

Merci à Marie du Jeu, pour son amitié et sa disponibilité depuis le début de mon aventure universitaire.

À ma famille, toute ma reconnaissance pour leur soutien qui depuis ma naissance m’accompagne sur le chemin.

Merci à Viola, qui a su me donner du courage dans les journées les plus grises.

Et un grand merci à Chiara et Silvia pour avoir répondu à mes mille questions et aussi pour leur si généreuse hospitalité lors de mes séjours à Genève.

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Le pouvoir psychiatrique, c’est ce supplément de pouvoir par lequel le réel est imposé à la folie au nom d’une vérité détenue une fois pour toutes par ce pouvoir sous le nom de science médicale, de psychiatrie.

Michel Foucault

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Table des matières

1. PRESENTATION DE LA RECHERCHE ... 7  

1.1.INTRODUCTION ... 7  

1.2.QUESTIONS DE RECHERCHE ... 9  

1.3.METHODOLOGIE ... 10  

1.4.SOURCES ... 10  

1.4.1. Les documents ... 10  

1.4.2. Les archives ... 11  

1.5.REVUE DE LA LITTERATURE ... 12  

2. LE MOUVEMENT DE L’ANTIPSYCHIATRIE ... 18  

2.1.PRECURSEURS ET INFLUENCES DE LANTIPSYCHIATRIE ... 18  

2.2.QUEST-CE QUE LANTIPSYCHIATRIE ? ... 24  

2.3.LES FORMES DU MOUVEMENT ... 28  

2.3.1. Le Pavillon 21 ... 28  

2.3.2. Kingsley Hall ... 30  

2.3.3. Gorizia, Trieste et la loi 180 ... 32  

2.3.4. Le libre contrat ... 34  

2.4.LES REMISES EN QUESTIONS ... 35  

2.4.1. Folie, société et psychiatrie ... 35  

2.4.2. Le pouvoir psychiatrique ... 38  

2.4.3. La maladie mentale ... 40  

2.4.4. L’hôpital psychiatrique ... 42  

3. L’ANTIPSYCHIATRIE, DE L’INTERNATIONAL AU LOCAL : LE CAS DE GENEVE ... 44  

3.1.LE RESEAU INTERNATIONAL « ALTERNATIVE A LA PSYCHIATRIE » ... 44  

3.1.1. De l’antipsychiatrie au Réseau International « Alternative à la psychiatrie » ... 48  

3.2.L’ANTIPSYCHIATRIE A GENEVE ... 50  

3.3.LES FORMES DES MOUVEMENTS GENEVOIS ... 51  

3.3.1. Les premières réflexions critiques ... 51  

3.3.2. 1975 : La communauté thérapeutique au sein de la Clinique de Bel-Air ... 53  

3.3.3. L’Association Genevoise de Médecins Progressistes ... 55  

3.3.4. Le Réseau romand d’Alternative à la Psychiatrie ... 56  

3.3.5. Le Comité contre la répression psychiatrique ... 58  

3.3.6. Le Réseau Bel-Air ... 59  

3.3.7. Le Groupe psychiatrie ... 60  

3.3.8. L’ADUPSY ... 60  

3.4.LES REMISES EN QUESTIONS :PSYCHIATRIE, CRITIQUES ET LUTTES A GENEVE ... 62  

3.4.1. L’institution psychiatrique genevoise ... 62  

3.4.2. Le pouvoir psychiatrique et la loi sur les personnes atteintes d’affection mentale ... 65  

3.4.3. La psychiatrie genevoise face à la maladie mentale ... 68  

3.4.4. L’hôpital psychiatrique et la sectorisation ... 70  

4. CONCLUSIONS ... 73  

5. REFERENCES ... 77  

5.1.BIBLIOGRAPHIE ... 77  

5.2.ARCHIVES HISTORIQUES DE LE TEMPS ... 80  

5.3.ASSOCIATION ARCHIVES CONTESTATAIRES ... 81  

5.4.REFERENCES DEWIKI ... 83  

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6.1.TEXTE CONSTITUTIF DE RESEAU INTERNATIONAL ... 84   6.2.STATUTS ADUPSY ... 89  

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1. Présentation de la recherche

1.1. Introduction

Ma recherche vise à comprendre et à retracer l’histoire de la remise en question de l’institution psychiatrique, avec comme point de départ la naissance du mouvement de l’antipsychiatrie, pour me pencher ensuite sur le contexte genevois des années 1970 ; l’idée étant d’investiguer ce phénomène pour établir des liens entre les idées et les critiques développées par les représentants du mouvement de l’antipsychiatrie et les groupes genevois militant pour une remise en question.

Il s’agira pour moi, dans un premier temps, de définir ce qu’on entend par

« antipsychiatrie », de pointer et d’étudier ses représentants, puis de mettre au jour les idées de base ayant initié, au début des années 1960, la critique des théories et du fonctionnement de la psychiatrie traditionnelle. Par ailleurs, pour mieux discerner comment les idées de bases de l’antipsychiatrie se sont développées et les motivations des représentants sous-jacentes à ce phénomène, il sera indispensable de contextualiser la naissance du mouvement de l’antipsychiatrie en se penchant sur le rôle de la psychiatrie au sein des sociétés occidentales, ainsi que sur son fonctionnement en termes thérapeutiques et juridiques. Cela nous permettra de comprendre les points de départ des dénonciations et des revendications des différents représentants.

Une fois éclairci ce que recouvre le terme antipsychiatrie et après avoir mis en évidence ses éléments, il s’agira d’investiguer le phénomène de contestation de la psychiatrie genevois à partir des différents groupements constitués et des évènements advenus à Genève. Ma recherche ciblera en particulier la naissance, le développement et les revendications des mouvements locaux militant pour une remise en question de la psychiatrie et pour la défense des droits des personnes ayant recours à la psychiatrie. J’investiguerai le rôle des professionnels de la psychiatrie œuvrant au sein de l’institution psychiatrique en rapport avec une remise en question de son fonctionnement : traitements, relations entre personnel et patients, entre direction et travailleurs. Il s’agira aussi de déterminer les points de départ ayant permis le développement de cette critique : est-elle intra ou extra institutionnelle ? Y a-t-il eu des événements marquants pour l’opinion publique ayant permis une médiatisation de l’existence des abus de la psychiatrie à Genève ? Ou cette existence est-elle circonscrite à l’intérieur de l’institution ? De plus il sera intéressant de comprendre dans quelle mesure tout cela s’est répercuté sur la psychiatrie genevoise.

Pour ce qui concerne la partie portant sur Genève, j’ai eu accès aux archives de l’Association Archives Contestataires et j’ai réuni une documentation très hétérogène, qui m’a permis d’établir une version de l’histoire de la lutte contre les abus de la psychiatrie, ainsi que de la

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remise en question de l’institution psychiatrique genevoise. En effet, parmi les documents répertoriés, nous trouvons les bulletins de différents mouvements de contestations présents sur la scène genevoise, plusieurs articles de journaux témoignant de l’importance et de la médiatisation des problématiques liées à la psychiatrie, des lettres ouvertes d’infirmiers et de médecins travaillant à la clinique de Bel-Air exprimant leur mécontentement, ainsi qu’une correspondance fournie portant sur des évènements plus importants. Cette documentation a été complétée au fil du temps par l’apport de sources émanant des Archives Historiques du quotidien Le Temps, qui aident à prendre la mesure de la portée médiatique de la critique envers l’institution psychiatrique. Un travail complémentaire de dépouillement des archives de Bel-Air et d’analyse des revendications des professionnels de la psychiatrie du point de vue syndical aurait été utile, mais cela dépassait les limites d’un mémoire de master.

Si j’ai choisi d’écrire une histoire du mouvement de l’antipsychiatrie, c’est parce que la découverte de son existence a éveillé ma curiosité et poussé à en savoir plus. À travers mes premières lectures, j’ai été confronté à la difficulté de saisir clairement ce qu’était l’antipsychiatrie dans les années soixante, car les auteurs traitant du phénomène n’avaient pas toujours une vision d’ensemble cohérente. C’est pourquoi je me suis penché sur les ouvrages des représentants du mouvement de l’antipsychiatrie eux-mêmes, afin de me familiariser avec les idées et les théories des antipsychiatres, ainsi qu’avec le contexte historique dans lequel elles se sont développées.

Par ailleurs, après avoir eu, lors d’un atelier de recherche portant sur les droits des personnes, l’occasion d’interviewer M. Alain Riesen, ergothérapeute de formation ayant fait partie de plusieurs groupes de réflexion et militant contre les abus de la psychiatrie institutionnelle, je me suis intéressé aux conditions de la psychiatrie à Genève dans les années 1970 et aux mouvements en lutte contre les abus de la psychiatrie1. Cette rencontre m’a permis de faire un lien entre le mouvement de l’antipsychiatrie et la critique de la psychiatrie genevois, lien que j’ai souhaité explorer.

Pour ma recherche, je me suis posé la question suivante :

Quelle articulation existe-t-il entre le mouvement de l’antipsychiatrie, tel qu’il s’est manifesté en Italie, en Angleterre et aux Etats-Unis, et le mouvement local genevois ?

1La lutte contre les abus de la psychiatrie. Entretien avec M. Alain Riesen.

(http://edutechwiki.unige.ch/dewiki/Droits_des_patients_psychiatriques)

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1.2. Questions de recherche

Selon Castel (1984), l’antipsychiatrie en tant que critique de l’institution psychiatrique se développe dans un moment historique de grandes contestations et de remise en question de l’autorité et des pouvoirs. Dans son ouvrage La révolution moléculaire, Félix Guattari écrit :

« […] ce qui a vraiment été important, c’est que l’anti-psychiatrie a marqué un début de prise de conscience, non seulement dans le grand public, mais même chez ceux que l’on est convenu d’appeler « les travailleurs de la santé mentale » » (Guattari, 2012, p. 258).

Dans ce sens, je pose la question première : la grande médiatisation de la problématique de la prise en charge psychiatrique, débutée avec les différents représentants de l’antipsychiatrie, a-t-elle favorisé le développement d’un mouvement de protestation local (comme par exemple le « Réseau Suisse Romand « alternative à la psychiatrie » », l’ « ADUPSY ») visant la remise en question de l’institution psychiatrique genevoise ?

Dans mon investigation j’essaierai de dégager un certain nombre de questions et d’y répondre :

• Qu’est-ce que le mouvement de l’antipsychiatrie et comment se manifeste sa critique de la psychiatrie traditionnelle ?

• Est-il possible d’établir un lien entre les idées antipsychiatriques développées en particulier par Ronald Laing, David Cooper, Thomas Szasz et Franco Basaglia et les revendications des mouvements militants dans le contexte genevois des années 1970 ?

• D’après Foucault (2003), la remise en question du pouvoir psychiatrique sous toutes ses formes est le cœur de la contestation antipsychiatrique, laquelle se décline de plusieurs façons chez les différents représentants du mouvement : quelles sont les revendications des mouvements militants genevois et comment se manifeste leur critique ?

• La contestation de la psychiatrie genevoise a-t-elle connu une remise en question ayant débuté de l’intérieur pour se propager ensuite dans la sphère publique, ou, à l’inverse, la pression de l’opinion publique et des groupes militants de l’extérieur a-t-elle miné la stabilité de l’institution ?

• Dans quelle mesure les idées antipsychiatriques développées en particulier par Ronald Laing, David Cooper, Thomas Szasz et Franco Basaglia, ont-elles influencé le contexte genevois des années 1970 ?

• La portée de l’impact des représentants de l’antipsychiatrie s’est manifestée de manière différente selon les contextes mais aussi selon les positions de pouvoir de ses représentants :

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1.3. Méthodologie

Afin de répondre à la question de ma recherche – Quelle articulation existe-t-il entre le mouvement de l’antipsychiatrie, tel qu’il s’est manifesté en Italie, en Angleterre et aux Etats-Unis, et le mouvement local genevois ? – j’ai d’abord exploré les ouvrages des représentants des trois racines du mouvement de l’antipsychiatrie. Ces premières lectures m’ont permis de dégager les idées et les revendications constituant les bases du mouvement de l’antipsychiatrie, ainsi que les différentes formes à travers lesquelles ces idées se sont concrétisées. Cela m’a fourni les clés d’un premier ciblage de la documentation me permettant d’établir un lien avec le contexte psychiatrique genevois.

Cette sélection effectuée, je me suis employé à dégager les liens établissant une relation entre la remise en question de la psychiatrie développée par les représentants du mouvement de l’antipsychiatrie et le contexte genevois des années 1970. À cette fin, j’ai recherché dans les documents genevois l’existence d’un ou de plusieurs mouvements locaux s’intéressant à la problématique de la psychiatrie et en particulier à une remise en question de son fonctionnement.

Une première lecture de la documentation m’a permis de pointer les citations faisant explicitement référence aux représentants du mouvement de l’antipsychiatrie, ainsi qu’aux travaux et aux théories émanant des groupes militants locaux ou de leurs représentants. J’ai entrepris ensuite de reconstruire la réalité de la remise en question de la psychiatrie genevoise et des groupes militant contre ses abus pour confronter les critiques de la psychiatrie et les revendications des représentants de l’antipsychiatrie avec celles des mouvements locaux. Une analyse ultérieure a consisté à déterminer le rôle joué par ces mouvements genevois au niveau international, puis à établir une possible réciprocité des idées et des luttes menées à Genève.

1.4. Sources

1.4.1. Les documents

• Plateforme Dewiki : les droits des patients en psychiatrie :

Dans le cadre du cours « Les institutions d'éducation spéciale entre archives mémoire et histoire, deuxième moitié du XXesiècle » donné par la Professeure Martine Ruchat, j’ai eu l’opportunité de participer à un atelier de recherche portant sur les droits des patients en psychiatrie. Cela a été pour moi une première occasion d’aborder cette problématique et d’interviewer M. Alain Riesen, militant contre les abus de la psychiatrie dans le contexte genevois. Le témoignage recueilli lors de cet entretien atteste de la lutte en faveur des droits

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des patients psychiatriques à Genève et permet par ailleurs d’établir les premiers liens entre les représentants du mouvement de l’antipsychiatrie et les mouvements locaux.

(http://edutechwiki.unige.ch/dewiki/Droits_des_patients_psychiatriques)

• Les Archives Historiques du journal Le Temps:

Le quotidien Le Temps met à disposition des lecteurs les archives numériques de trois quotidiens romands dont il est le successeur : le Journal de Genève, la Gazette de Lausanne et Le Nouveau Quotidien. Dans le cadre de ma recherche, j’ai puisé à cette source pour collecter par mots clés dans les médias de l’époque des renseignements sur des liens éventuels entre le mouvement de l’antipsychiatrie et le contexte genevois, ainsi que sur les groupes militants, leurs actions et leur visibilité. Le recours à ce type d’informations m’a permis d’ouvrir un autre angle pour construire mon récit et ainsi mieux appréhender la portée médiatique de la remise en question du domaine de la psychiatrie, non seulement sous le rapport d’évènements et de mouvements locaux, mais aussi pour ce qui concerne les influences du mouvement de l’antipsychiatrie dans le contexte genevois.

(http://www.letempsarchives.ch/Default/Skins/LeTempsFr/Client.asp?Skin=LeTempsFr&en ter=true&AW=1424700605646&AppName=2)

1.4.2. Les archives

Pour ce qui concerne les fonds d’archives, j’ai d’abord consulté les archives de l’association

« Les Archives Contestataires », dont plusieurs fonds portant sur le thème de l’antipsychiatrie :

• Le Fonds Riesen-Schuler : Antipsychiatrie. Droits des patients.

• Le Fonds Jacques Siron : Contre-culture. Antipsychiatrie.

• Le Fonds Association des Médecins Progressistes (AMP) : Droits des patients.

Antipsychiatrie.

• Le Fonds Rolf Himmelberger : Antipsychiatrie. Droits des patients.

• Le Fonds June Howells Spalding : Antipsychiatrie. Droits des patients.

• Le Fonds Marie-Jo Glardon : Prison. Antipsychiatrie. Chômage. Immigration. Féminisme.

L’accès à ces différents fonds m’a permis d’appréhender de l’intérieur la réalité des groupes militants genevois, leurs revendications, leurs idées, ainsi que leur fonctionnement.

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1.5. Revue de la littérature

Dans ce chapitre je porterai mon attention sur les ouvrages d’auteurs s’étant consacrés à l’étude de l’antipsychiatrie en termes historique et analytique, et je les présenterai par ordre chronologique sans les hiérarchiser. Ma recension concerne principalement les auteurs francophones ou étrangers dont les textes ont été également publiés en français.

Le mouvement de l’antipsychiatrie a suscité beaucoup d’intérêt et de fascination chez les historiens, les philosophes, les sociologues et les psychiatres. Comme nous le verrons en effet, les ouvrages traitant de ce phénomène datent des années 1970, fournissant une analyse contemporaine se poursuivant jusqu’à nos jours. Les méthodes d’investigation visant la reconstruction de l’histoire du mouvement de l’antipsychiatrie et la compréhension de ce phénomène sont très hétérogènes, parfois complémentaires mais aussi contradictoires, le problème majeur étant la définition du terme antipsychiatrie. Comme le dit Jervis :

[…] l’antipsychiatrie est surtout un nom que les consommateurs de la culture et la mode ont attribué tour à tour à des courants différents de la psychiatrie et à des psychiatres particuliers, sur la base du titre d’un livre intéressant de David Cooper, Psychiatrie et anti-psychiatrie.

(Jervis, 1977b, p. 32)

Par ailleurs, comme nous le verrons, l’antipsychiatrie, de par son caractère critique et militant, ne trouve pas que des partisans, ni chez les psychiatres traditionnalistes, ni chez les plus réformistes :

« l’antipsychiatrie veut même être la négation de ce réformisme […] » (Jervis, 1977b, p. 31).

Parmi les ouvrages d’analyse critique de l’antipsychiatrie, relevons celui de Robert Boyers (1971/1973) paru en 1971 dans sa version anglophone. L’auteur établit un dossier collectif intitulé

« Ronald Laing et l’antipsychiatrie » dans l’intention de rendre hommage à l’œuvre de Laing, en partant du début de sa carrière et de sa collaboration avec David Cooper et Aaron Esterson. Ce dossier s’attache aux idées les plus importantes développées par Laing, à partir de son approche existentialiste de la schizophrénie, jusqu’à la valorisation de la folie : conception d’une maladie mentale comme réponse à une situation de crise en interaction avec les groupes d’appartenance, début d’un processus de guérison. Ce projet, auquel participent de nombreux collaborateurs, propose une approche biographique explorant les différentes étapes de la vie de Laing permettant de contextualiser le développement de sa pensée à travers les influences et les expériences caractérisant son parcours, tout en questionnant les critiques le plus fréquemment adressées à la pensée de Ronald Laing.

En 1971 paraît le numéro 42 de La Nef, un cahier trimestriel français abordant les différentes thématiques d’actualité, intitulé L’Antipsychiatrie (1971/1983). Les collaborateurs ayant participé à ce numéro du cahier se sont fixé pour tâche de situer l’approche antipsychiatrique de la maladie mentale au sein d’un domaine en pleine période de renouvellement comme celui de la psychiatrie.

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Cette nécessité, d’après les auteurs, est liée aux malentendus qui parasitent ce courant, malentendus occasionnés par le terme même d’« antipsychiatrie ». Or, dès qu’on critique une institution telle que la psychiatrie, il est inévitable de se trouver confronté à des contre-critiques ; dans cette bataille d’idées, des psychiatres du courant réformiste se sont penchés sur le phénomène de l’antipsychiatrie, en particulier le courant anglais, en retraçant l’histoire du mouvement et en mettant en évidence les nouvelles approches de la maladie mentale. Une analyse historique de l’évolution de la psychiatrie permet de contextualiser l’antipsychiatrie et une étude des ouvrages et des expériences pratiques des représentants du courant d’Outre-Manche de l’antipsychiatrie, en particulier Laing et Cooper, offre un terrain de confrontation faisant apparaître les limites, les contradictions et les échecs de cette nouvelle vague d’approche de la maladie mentale opposée au schéma traditionnel comme au réformiste. Les objections les plus importantes concernent la dénonciation de l’impact de la violence extérieure qui, exercée par le groupe des « normaux » sur ceux que l’on dénomme « malades mentaux », est, d’après les antipsychiatres, responsable du développement du phénomène de la folie. Selon les auteurs ayant collaboré à ce numéro de La Nef, cette approche nie l’existence de l’inconscient chez l’individu malade et suggère que « […] si on lui épargne les attaques de l’extérieur il redeviendra aisément bon et paisible. » (Faure, 1971/1983, p.

18).

Octave Mannoni (1973) dédie un article au mouvement de l’antipsychiatrie paru dans la Revue Internationale des Sciences Sociales : psychologie et psychiatrie au carrefour. Son intérêt se porte dans un premier temps sur les facteurs ayant fourni les bases de la naissance et du développement des différents courants du mouvement de l’antipsychiatrie au sein des pays occidentaux. À ce propos, Mannoni relève une convergence entre les influences des réflexions philosophiques et une crise propre à la psychiatrie traditionnelle sur les plans thérapeutiques mais aussi sociaux et politiques. En second lieu, l’article s’attache à analyser les racines diverses du mouvement antipsychiatrique et à signaler ses représentants respectifs, offrant au lecteur un panorama des revendications principales et du développement de l’antipsychiatrie dans les différents pays. Cette approche vise en outre à élucider la question de l’unité du mouvement de l’antipsychiatrie, en dépit de l’hétérogénéité des pensées et des expériences de chaque courant, ainsi que de la diversité des contextes dans lequel opèrent les antipsychiatres. Pour sa recherche, Mannoni s’attache surtout à l’analyse des ouvrages et des articles européens et étasuniens.

Dans son analyse du pouvoir psychiatrique à l’occasion des Cours au Collège de France en 1973-1974, Foucault (2003) se penche également sur le mouvement de l’antipsychiatrie auquel il dédie une partie d’un cours. D’après le philosophe, le cœur de la critique antipsychiatrique réside dans la remise en question du pouvoir psychiatrique, d’où cette affirmation que toute la psychiatrie

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moderne a été traversée par des antipsychiatries. En effet, une première remise en question du pouvoir psychiatrique a eu lieu lors du mouvement de « dépsychiatrisation » qui s’est manifesté en deux phases mais qui n’a pas produit de changement dans la relation médecin-patient, caractérisée par un rapport de domination du premier sur le second. La première phase de dépsychiatrisation vise la réduction de la maladie mentale aux seuls symptômes permettant de la diagnostiquer et aux techniques nécessaires pour la soigner ; la deuxième phase, fondée sur le discours, est liée au développement de la psychanalyse. Comme le dit Foucault : « à ces deux formes de dépsychiatrisation, toutes deux conservatrices du pouvoir, l’une, parce qu’elle annule la production de vérité, l’autre, parce qu’elle tente de rendre adéquats production de vérité et pouvoir médical, s’oppose l’antipsychiatrie » (Foucault, 2003, p. 349). L’antipsychiatrie se développe de façon différente chez Basaglia, Szasz, Cooper et Laing, tant au niveau théorique qu’au niveau pratique, cependant l’unité du mouvement est indéniable et se manifeste dans l’attaque contre l’institution psychiatrique et de tous les mécanismes de pouvoir la caractérisant.

Christian Delacampagne (1974), lui, concentre son intérêt sur la source anglaise de l’antipsychiatrie dont font partie Laing, Esterson et Cooper, berceau, selon l’auteur, du mouvement.

Delacampagne s’intéresse en particulier à leur approche de la notion de maladie mentale comme résultat d’une interprétation culturelle de la part de la discipline psychiatrique. L’existence du phénomène en tant que tel n’est pas remise en question, ce qui est remis en question, c’est la conception médicale de la psychiatrie définissant ces personnes comme des malades. À cette conception, le courant anglais de l’antipsychiatrie oppose une approche de la folie en termes existentialistes, considérant la maladie mentale comme un état de crise dont les causes sont à rechercher dans la violence à laquelle est exposée la personne au sein de ses groupes de référence.

À travers une étude de l’histoire de la maladie mentale basée sur des ouvrages psychiatriques et philosophiques, Delacampagne retrace l’évolution des idées et des influences ayant constitué le socle des revendications et de la critique de l’antipsychiatrie à l’égard de la psychiatrie traditionnelle sur le plan théorique, thérapeutique mais aussi sur le plan de sa fonction policière.

En 1974 Cirille Koupernik dirige un ouvrage auquel collaborent de nombreux psychiatres traditionnels et réformistes : Anti-psychiatrie. Sens ou non-sens ?, l’idée étant de situer l’antipsychiatrie au sein du domaine de la psychiatrie. En particulier, Koupernik et ses collaborateurs proposent une critique des théories des trois courants originels du mouvement de l’antipsychiatrie (Angleterre, Etats-Unis, Italie) sous l’angle de leur lien indissociable avec la psychiatrie, et ils exposent leur désaccord avec la négation systématique de tout le savoir théorique et thérapeutique accumulé par la psychiatrie depuis sa naissance, considéré par les antipsychiatres comme responsable de tous les maux qui aggravent l’état du malade mental. Cependant, Koupernik

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reconnaît l’utilité de l’antipsychiatrie en tant que questionnement des fondements de la discipline psychiatrique car, écrit-il : « l’antipsychiatrie est la mauvaise conscience nécessaire pour que la connaissance ne devienne pas elle aussi mauvaise » (Koupernik, 1974, p. 6).

Un autre travail est présenté en 1976 par la Bibliothèque Laffont des grands thèmes sous la direction de Henri Tissot : Psychiatrie et Antipsychiatrie. Cette étude s’applique à l’analyse des ouvrages traitant de l’histoire de l’évolution de la notion de folie depuis l’antiquité jusqu’au XXe

siècle, jusqu’à la naissance du mouvement antipsychiatrique. Ce travail propose un parcours de l’histoire de l’antipsychiatrie afin d’appréhender ce phénomène, en partant de ses précurseurs, pour détailler ensuite les œuvres et les expériences de Laing et de Cooper, les contextualiser et en faire ressortir les idées maîtresses. L’ouvrage, qui se penche également sur la situation de l’antipsychiatrie en Italie, en France et en Espagne, est le résultat d’une analyse d’études et de photographies, complétée par une interview de Franco Basaglia.

En 1977, paraît Le Mythe de l’antipsychiatrie de Giovanni Jervis qui est la traduction française du dernier chapitre de « Il buon rieducatore » (1977a). Jervis, psychiatre et professeur de psychiatrie ayant entre autre travaillé en étroite collaboration avec Franco Basaglia dans les années 1960 à l’hôpital de Gorizia, entreprend d’élucider ce qu’est l’antipsychiatrie, de la redéfinir et de défendre un concept prêtant trop souvent à confusion. Son analyse est une tentative de replacer l’antipsychiatrie dans son contexte socio-historique et d’en dégager les idéaux politiques et les courants philosophiques ayant contribué à son développement. D’après Jervis (1977b), antipsychiatrie est un terme qui, né sous la plume de Cooper en 1967, a été attribué par la suite à toute une panoplie de courants psychiatriques, dont une partie n’est rien d’autre que de la psychiatrie réformiste, réformisme lui-même contesté par l’antipsychiatrie. En outre, la plupart des psychiatres taxés d’antipsychiatres ont ouvertement rejeté cette étiquette, mais Jervis souligne que le phénomène existe et qu’il ne peut être nié. Selon l’auteur, le noyau sur lequel se fonde l’antipsychiatrie et à partir duquel se développent ses idées est la question de la définition d’une personne saine et d’une personne normale ainsi que des concepts « normal » et « anormal » ; question qui mine les fondements de la psychiatrie institutionnelle.

Un autre auteur qui s’est penché sur le phénomène de l’antipsychiatrie est Robert Castel (1984) dans son ouvrage La Gestion des risques. De l’antipsychiatrie à l’après-psychiatrie.

L’auteur s’attache en particulier à l’histoire française de la psychiatrie, dédiant une partie de l’ouvrage aux contestations du 1968 et aux influences du développement du mouvement de l’antipsychiatrie en termes de contestation et de remise en question de la psychiatrie. L’année 1968 se caractérise par la remise en question de l’autorité sous toutes ses formes, et l’antipsychiatrie s’inscrit de la sorte dans un mouvement culturel global antiautoritaire. Or, la psychiatrie incarne

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l’image de l’autorité : elle est une institution patriarcale, fortement hiérarchisée et dont le pouvoir s’exerce de façon coercitive, se trouvant ainsi directement au cœur d’un conflit idéologique généralisé. Comme l’écrit Castel, « la contestation anti-psychiatrique a été ainsi un point de fixation privilégié d’un imaginaire politique de libération vécu à l’époque sous la forme d’une sensibilisation exacerbée à la répression » (1984, p. 23).

Parmi les travaux de recherche parus en Suisse Romande, notons le mémoire de licence en Sciences de l’Education de Paola De Benedetti (1992), Vers une société sans psychiatrie ? Le parcours italien de la destruction de la logique asilaire à la création des structures intermédiaires, qui s’intéresse au parcours italien d’abandon des structures asilaires entrepris sous l’impulsion de Franco Basaglia avec l’ouverture de l’hôpital de Gorizia dans les années 1960 ; ce fut le début d’une critique radicale de la psychiatrie traditionnelle italienne. Cette désinstitutionalisation aboutira à la promulgation de la très controversée loi 180 de 1978 et se traduira par la création de structures intermédiaires de prise en charge. Dans son récit, De Benedetti investigue le terrain où elle opère comme éducatrice pour tenter ensuite une analyse critique de l’évolution de la prise en charge psychiatrique post-1978 à travers une comparaison des théories et des idéaux ayant conduit à la destruction de la logique asilaire.

Un deuxième travail a été effectué dans le cadre de la formation ESTS, présenté par Aicha El Kautit, Carolin Han et Florence Vonaesch (1996). Ces auteurs essaient de retracer les répercussions actuelles du mouvement de l’antipsychiatrie dans le travail social à Genève à travers une analyse des dynamiques au sein de quatre institutions sociales genevoises : Trajets, l’Arcade 84, l’Atelier Maunoir et les foyers IUPG. Le projet se propose d’abord de retracer l’histoire du mouvement puis, à travers une analyse des ouvrages, de dégager les revendications et les idées de leurs représentants. Dans un deuxième temps, Kautit, Han et Vonaesch procèdent à une comparaison entre les théories, les revendications et les critiques des différents représentants de l’antipsychiatrie avec les données recueillies dans les quatre institutions à travers une recherche sur le terrain.

En 2008, Giovanni Jervis se penche une nouvelle fois sur le rapport entre psychiatrie et antipsychiatrie dans une collaboration avec Gilberto Corbellini, professeur d’histoire. Cet ouvrage, paru lors du 30e anniversaire de la loi 180 ayant permis la fermeture des hôpitaux psychiatriques en Italie, se présente sous forme d’interviews et s’attache en particulier à l’histoire du mouvement de l’antipsychiatrie dans le contexte italien, à ses influences et à ses prémisses, ainsi qu’à la figure de Franco Basaglia. Corbellini et Jervis (2008) retracent l’évolution de la remise en question de la psychiatrie traditionnelle italienne en investiguant les conditions socio-historiques ayant permis le développement d’un mouvement en rupture avec la tradition asilaire, ainsi que les influences des

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courants philosophiques et des autres antipsychiatres tels que Laing, Cooper et Szasz, en établissant des comparaisons avec la situation italienne. L’ouvrage est le résultat d’une analyse des ouvrages des représentants majeurs du mouvement de l’antipsychiatrie et des précurseurs du mouvement, enrichi des récits biographiques de Giovanni Jervis qui a vécu à partir des années 1960, aux côtés de Franco Basaglia, le développement d’une nouvelle manière de concevoir la discipline psychiatrique en Italie.

Dans l’ouvrage Histoire de la folie : de l’antiquité à nos jours (2009), Claude Quétel dédie un chapitre à l’histoire des antipsychiatries. À travers une analyse des ouvrages traitant de la folie et des documents d’archives, l’auteur met en évidence l’existence d’une tradition antipsychiatrique aussi vieille que la psychiatrie. Le mouvement de l’antipsychiatrie auquel on se réfère ne serait pas le résultat d’une révolution subite. En effet, tout en admettant que le terme « antipsychiatrie » date des années 1960, selon Quétel une forme de remise en question de la psychiatrie a toujours accompagné le développement de la discipline psychiatrique.

En 2010, Jacques Lesage de la Haye essaie de reconstruire l’histoire de l’antipsychiatrie.

Pour ce faire, l’auteur retrace brièvement l’histoire de la folie dans les sociétés occidentales, pour ensuite se concentrer sur la deuxième moitié du XXe siècle en se penchant sur les évènements et les mouvements de contestation qui ont le plus ébranlé le monde de la psychiatrie, avec un regard particulier sur la situation de la France. Sa recherche se présente comme le résultat d’une analyse des ouvrages traitant de la relation entre folie et psychiatrie, entre psychiatrie et politique, avec des extraits de vie personnelle. En effet, son engagement dans le domaine de la psychiatrie est des plus concrets, puisque Lesage de la Haye pratique comme psychologue à l’hôpital psychiatrique de Ville-Evrard, ce qui lui permet d’enrichir son historique d’extraits autobiographiques.

Les différents auteurs qui se sont penchés sur le mouvement de l’antipsychiatrie approchent ce phénomène sous plusieurs points de vue, d’où des résultats très différents et parfois contradictoires. Cela dépend des visées de l’analyse, des motivations qui les guident et les orientent, mais aussi de la formation et des positions des chercheurs.

« Antipsychiatrie » n’est-il qu’un nom, ou existe-t-il un mouvement de l’antipsychiatrie ? L’antipsychiatrie est-elle un phénomène exclusivement anglais, ou quelque chose de semblable se développe-t-il également dans d’autres pays ? Y-a-t-il une unité au sein de ce mouvement ? Qu’est- ce qui qualifie une personne d’antipsychiatre ?

Ces questions regroupent une partie des interrogations qui m’ont poussé à me pencher sur les ouvrages de ceux que l’on qualifie d’antipsychiatres, afin de dégager ma propre idée et de mieux comprendre ce que représente ce qu’il est convenu d’appeler antipsychiatrie.

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2. Le mouvement de l’antipsychiatrie

2.1. Précurseurs et influences de l’antipsychiatrie

D’après Jervis (1977b), la plupart des représentants de ce mouvement sont des praticiens de psychiatres. Toutefois, cela serait une erreur d’omettre les influences et la participation, quoique ni engagée ni militante, de certains philosophes et sociologues dont les idées ont fourni les bases conceptuelles sur lesquelles s’est appuyée la critique antipsychiatrique.

Dans son ouvrage L’Archéologie du savoir, Foucault (1969/2012) souligne comment l’approche historique a subi des modifications très profondes. En particulier pour ce qui concerne l’histoire des idées qui se caractérise désormais par de nombreuses ruptures et par la compréhension de l’histoire sur des périodes moins longues, remettant ainsi en question sa continuité linéaire :

Elle [la mutation de l’approche historique] a dissocié la longue série constituée par le progrès de la conscience, ou la théologie de la raison, ou l’évolution de la pensée humaine ; elle a remis en question les thèmes de la convergence et de l’accomplissement ; elle a mis en doute les possibilités de totalisation. Elle a amené l’individualisation de séries différentes, qui se juxtaposent, se succèdent, se chevauchent, s’entrecroisent sans qu’on puisse les réduire à un schéma linéaire.

(Foucault, 1969/2012, pp. 16-17)

Ce point de vue nous permet de comprendre le mouvement de l’antipsychiatrie à travers la recherche des idées qui semblent se présenter en quelque sorte comme des prémisses au développement de ce mouvement de remise en question de la psychiatrie institutionnelle.

Selon Galimberti (1979/2006), lorsqu’on se penche sur les ouvrages des représentants de l’antipsychiatrie, on identifie assez clairement l’importance du rôle joué par la psychiatrie phénoménologique, notamment à travers les écrits de Ludwig Binswanger et d’Eugène Minkowski, dans les influences du mouvement de l’antipsychiatrie. Or, la psychiatrie phénoménologique se caractérise notamment par son opposition à la psychiatrie organiciste, par son approche subjective de la compréhension de l’état de « santé » ou de « folie », partant du ressenti du sujet en relation avec le monde dans lequel il vit. Une telle méthode, basée sur le croisement du monde intérieur de l’individu avec le monde des autres et l’environnement, engendre un processus de compréhension de la folie remettant en question l’explication purement médicale du phénomène, et, par conséquent, l’existence même de la maladie mentale.

Dans ce sens, parmi les travaux ayant influencé les antipsychiatres, nous trouvons Le Normal et le Pathologique de George Canguilhem (1966/2013), paru en 1943. Dans cet ouvrage l’auteur, philosophe et médecin français, se penche sur la définition des concepts de normal et de pathologique, et propose une remise en question du point de vue d’un courant de pensée très en faveur en France au XIXe siècle, qui mettait l’état normal et l’état pathologique en opposition. Or, d’après Canguilhem (1966/2013), le « normal » découle directement des valeurs d’une société. En

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effet, un phénomène est considéré comme normal lorsqu’il répond en termes statistiques à la moyenne qui définit la norme, ou lorsqu’il est interprété comme tel en relation aux valeurs et croyances du contexte dans lequel il s’inscrit. Or, les valeurs ne sont pas universelles mais inscrites dans un contexte précis. C’est pourquoi, si la définition de normal se rapporte aux normes, il devient ainsi impossible d’établir qu’un phénomène est normal universellement. Pour ce qui concerne l’état pathologique, Canguilhem met en évidence que le terme « pathologique » comprend pathos, « sentiment direct et concret de souffrance et d’impuissance, sentiment de vie contrariée » (Canguilhem, 1966/2013, p. 113). L’auteur souligne ici comme ce concept suppose et nécessite la subjectivité du malade au regard de son expérience de la maladie en rapport avec le milieu où il évolue. De la sorte, si l’on exclut le vécu du malade du diagnostic de la maladie, le médecin se trouve réduit à n’analyser qu’une moyenne arithmétique d’anomalies. Or, l’anomalie est, selon Canguilhem, un terme descriptif par comparaison avec l’idéal d’être humain n’ayant de valeur que si, « interprétée quant à ses effets relativement à l’activité de l’individu, et donc à la représentation qu’il se fait de sa valeur et de sa destinée, l’anomalie est infirmité » (Canguilhem, 1966/2013, p.115). Canguilhem nous dit donc que la maladie relève de l’état de santé, cette dernière n’étant jamais acquise et l’individu se devant continuellement de la conquérir. La maladie est la phase dans laquelle la personne est dans la nécessité de développer de nouvelles stratégies d’adaptation au contexte. En s’appuyant sur ses ressources, l’individu cherche un nouvel équilibre en s’adaptant aux normes (normalité) et en en créant de nouvelles (normativité). Comme il n’existe pas d’opposition entre santé et maladie, il n’existe pas non plus d’opposition entre normal et pathologique, et si les définitions de normal et de pathologique sont en lien direct avec les normes, et si les normes ne sont pas universelles mais propres à un contexte déterminé, cela signifie que le normal et le pathologique ne peuvent être définis de façon objective.

Comme sources philosophiques des réflexions ayant influencé les approches de Franco Basaglia, David Cooper et Ronald Laing de la maladie mentale, il faut sans doute citer encore Jean- Paul Sartre. Sa philosophie existentialiste a comme point de départ la subjectivité, car le seul moyen d’atteindre la vérité « consiste à [la] […] saisir sans intermédiaire » (Sartre, 1945/1970, p. 65).

Cette théorie fournit les bases d’une nouvelle approche de la maladie mentale. En effet, les représentants de l’antipsychiatrie s’attaquent au pouvoir psychiatrique, à la psychiatrie comme détentrice unique de la vérité et du savoir concernant la folie, responsable de l’enfermement d’une personne dans la catégorie de malade, opposant l’objectivité de la science à la subjectivité du malade. Or, comme le dit Sartre :

Toute théorie qui prend l’homme en dehors de ce moment où il s’atteint lui-même est d’abord une théorie qui supprime la vérité, car, en dehors de ce cogito cartésien, tous les objets sont seulement

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probables, et une doctrine de probabilités, qui n’est pas suspendue à une vérité, s’effondre dans le néant ; pour définir le probable il faut posséder le vrai.

(Sartre, 1945/1970, p. 64)

Un autre auteur ayant joué un rôle notable dans la remise en question de la psychiatrie par l’antipsychiatrie est sans conteste Michel Foucault. Ce philosophe structuraliste français publie en 1954 Maladie mentale et Psychologie (seconde édition remaniée de l’ouvrage Maladie mentale et Personnalité), ouvrage qui semble entre autre puiser ses racines dans la continuation d’une tradition phénoménologique où se retrouve également Georges Canguilhem, et qui prélude à ses travaux futurs. Foucault (1954/2011) interroge la notion de maladie sous le rapport des critères de diagnostic, qui, selon l’auteur, lui sont indissociables, en soulignant l’impossibilité d’établir une transposition directe entre les notions de maladie et de pathologie organiques et les mentales : « la psychologie n’a jamais pu offrir à la psychiatrie ce que la physiologie a donné à la médecine : l’instrument d’analyse qui, en délimitant le trouble, permettrait d’envisager le rapport fonctionnel de cette atteinte à l’ensemble de la personnalité » (Foucault, 1954/2011, p. 13). Étant donné l’impossibilité d’abstraire objectivement les causes d’un prétendu dysfonctionnement au regard d’un contexte donné, ainsi que les difficultés à délimiter la frontière entre état normal et état pathologique, il faut reconnaître à l’individu l’originalité de sa perception de la maladie. Dans cet ouvrage Foucault se penche également sur le lien très étroit entre folie et culture, en essayant de répondre à ces deux questions :

Comment notre culture en est-elle venue à donner à la maladie le sens de la déviation, et au malade un statut qui l’exclut ? Et comment, malgré cela, notre société s’exprime-t-elle dans ces formes morbides où elle refuse de se reconnaître ?

(Foucault, 1954/2011, p. 75)

Afin d’y répondre l’auteur entreprend une analyse socio-historique des sociétés occidentales et de l’évolution des mécanismes ayant permis la mutation de la folie en maladie mentale. Cette approche semble se présenter comme une propédeutique à son prochain ouvrage.

Parmi les ouvrages de Sartre ayant contribué au développement des théories de ces deux racines du mouvement de l’antipsychiatre, nous trouvons la Critique de la raison dialectique et Questions de méthode. Une confirmation ultérieure de l’importance de la philosophie sartrienne pour les représentants du mouvement de l’antipsychiatrie, est l’ouvrage de Laing et Cooper Raison et Violence (1964/1972) dans lequel les auteurs analysent trois ouvrages de Sartre, ainsi que la conversation de Franco Basaglia avec Sartre en 1972, parue dans L’utopia della realtà, recueil de textes de Franco Basaglia coordonné par Basaglia-Ongaro (2002/2013). Le rapprochement de Laing, Cooper et Basaglia avec la pensée de Jean-Paul Sartre suggère en outre la possibilité d’une corrélation avec Karl Marx. Dans l’ouvrage de Sartre Questions de méthode (1957/1967), l’auteur analyse les rapports d’analogie entre marxisme et existentialisme, idées qui trouvent leur

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transposition en termes de critique antipsychiatrique vis-à-vis de la psychiatrie institutionnelle, conçue comme moyen de contrôle social au service de l’éthique dominante qui la façonne : « Marx écrit que les idées de la classe dominante sont les idées dominantes » (Sartre, 1957/1967, p.26).

Dans cette optique, les représentants européens de l’antipsychiatrie puisent aux sources du marxisme les idées des relations de violence liées au pouvoir et aux formes de répression institutionnelle dans un rapport de « lutte de classe » entre le « groupe des normaux » et le « groupe des malades » : « si dans l’expérience personnelle, l’aliénation est conditionnée principalement par la division de la société en classes, la folie ne peut être abolie que dans les conditions du communisme » (Cooper, 1977b, p. 239). De la sorte, la dimension politique de la pensée de Cooper, Laing et Basaglia s’inscrit dans un courant de révolution sociale : « aussitôt qu’il existera pour tous une marge de liberté réelle au-delà de la production de la vie, le marxisme aura vécu ; une philosophie de la liberté prendra sa place » (Sartre, 1957/1967, p. 50).

L’intérêt que Foucault réserve à la notion de maladie mentale se poursuit dans la publication en 1961 de l’Histoire de la folie à l’âge classique, ouvrage qui, de l’avis de Mannoni (1973), aura un poids capital pour l’antipsychiatrie. En effet, comme le souligne Chebili (2006), cet ouvrage est immédiatement adopté par le mouvement de l’antipsychiatrie, en particulier par la branche d’Outre- Manche. Dans cet ouvrage, Foucault (1972/2013) montre comment au cours des âges, dans le monde occidental, la notion de folie a été sujette à différentes tentatives d’explications et d’interprétations d’un fonctionnement en rupture avec les normes sociales établies. À partir du XVIIe

siècle, l’insensé connaît la mise à l’écart, cette exclusion se concrétisant dans le grand renfermement. Le fou est alors enfermé à l’Hôpital Général avec toutes sortes de populations dont la conduite perturbe l’éthique et la morale de l’époque : les prostituées, les pauvres et les vagabonds. Cet internement, qui n’a aucun but médical, n’est qu’un moyen d’exclusion permettant d’assurer le maintien de l’ordre, et ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que la discipline médicale s’introduit dans l’enfermement, préconisant un examen pour chaque détenu afin d’établir s’il est ou non fou. La folie devient ainsi objet médical et le médecin devient le détenteur du savoir, de la vérité ; le fou, quant à lui, se voit de nouveau enfermé, et assujetti cette fois au pouvoir médical. La spécialisation de l’enfermement des malades mentaux produit aussi des changements dans les structures d’exclusion : c’est la naissance de l’asile.

Selon Chebili (2006), cet ouvrage a permis à Laing et Cooper de jeter les bases de nouvelles conceptions de la folie, en remettant en question le monopole médical et en restituant à l’individu la subjectivité de sa folie.

Selon Corbellini et Jervis (2008), un auteur pouvant être considéré comme un précurseur du mouvement de l’antipsychiatrie est Erving Goffman, grâce notamment à son ouvrage Asiles : études

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sur la condition sociale des malades mentaux, paru en 1961 dans sa version anglophone. Cet ouvrage est le fruit d’une longue enquête ayant pour objectif l’analyse de l’univers du reclus à l’intérieur de ce que l’auteur nomme « les institution totalitaires », l’hôpital psychiatrique en faisant partie. Selon Goffman (1961/2013) toute interaction suit des règles précises. Le contexte influence nos actions et les messages que nous envoyons et recevons de façon plus ou moins consciente nous sont utiles dans l’adaptation de nos comportements. C’est ainsi qu’en contextualisant et en restituant du sens aux actions des acteurs, Goffman prend du recul avec l’analyse psychiatrique qui interprète tout comportement comme conséquence de la maladie et, ce qui est interprété comme

« pathologique » par le personnel de l’hôpital psychiatrique, peut dès lors être considéré comme une attitude « normale » en réponses aux règles du milieu.

Asiles comporte quatre essais traitant de la situation du reclus, en abordant la question sous quatre approches différentes. Goffman (1961/2013) commence par livrer une définition des

« institutions totalitaires » qui se caractérisent par le niveau d’exclusion et de contrôle auxquels est soumis le reclus. La journée dans sa totalité se déroule en un seul lieu, avec les mêmes personnes et sous le contrôle permanent d’un seul pouvoir. Les frontières entre vie privée et vie en société, entre travail et distractions sont gommées, les tâches comme les loisirs sont programmés. Du lever au coucher, la journée du reclus est strictement encadrée et contrôlée, toujours sous l’étroite surveillance du personnel. L’institution, par sa nature, limite les échanges avec le reste de la société et impose la plupart du temps la plus grande distance entre les deux groupes qui se partagent ce monde, les reclus et le personnel :

La coupure entre le personnel et les malades transpose et reprend au sein même de l’établissement cette opposition du dehors et du dedans et fournit le principe dynamique dans la vie sociale dans l’institution : le personnel représente les normes, les mythes et les pouvoirs de la vie normale pour des sujets définis par l’abolition de tous les privilèges d’une existence libre.

(Goffman, 1961/2013, p. 14)

La deuxième partie traite de la carrière morale du malade mental qui commence avant son entrée en hôpital psychiatrique (la phase pré-hospitalière) et se poursuit au sein de celui-ci (phase hospitalière). Dans cet essai, Goffman (1961/2013) se penche sur l’évolution du statut de l’individu, des étapes et des variables qui jouent un rôle important et qui amèneront la personne à perdre peu à peu tous ses réseaux de relations et tous ses droits. Une fois mis sous tutelle et livré à l’institution, l’individu se trouve confronté à la culture de l’institution, un fonctionnement auquel il essaie de faire face afin de sauver ce qui lui a permis auparavant de se définir en tant que personne.

La docilité de l’individu et sa capacité à se plier aux règles sont utilisées comme clés d’interprétation de l’évolution de son état de santé mentale. Le système des quartiers et l’emploi des privilèges et des punitions visent à façonner l’individu et ses comportements. Dans cet

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« apprentissage du rôle du malade », dans le fonctionnement de l’institution, la personne peut parvenir à trouver des failles lui permettant de résister à cette définition de soi très dévalorisante.

La troisième partie met en évidence les capacités d’adaptation de l’individu face à un contexte défavorable et la manière dont tous ces comportements sont interprétés par les psychiatres comme une résistance et une incapacité à suivre le cours d’une vie « normale ». Selon Goffman (1961/2013), face à la conduite souhaitée et attendue de l’institution, l’individu peut décider de se soumettre ou de résister en déclenchant ainsi le système de privilèges et de punitions qui règlent le fonctionnement de l’institution. Il existe pourtant des failles qui peuvent être exploitées permettant à l’individu de prendre un peu de distance avec la définition institutionnelle de soi, ce que Goffman appelle des adaptations. À travers l’analyse de l’exploitation de ces failles permettant la naissance de la vie clandestine au sein de toute société, Goffman nous montre le rôle des adaptations qui nous permettent de nous définir en prenant de la distance entre ce que l'on est vraiment et ce que l'organisation voudrait que l'on soit.

Goffman (1961/2013) dédie la dernière partie de l’ouvrage aux contradictions de l’approche médicale à l’intérieur des hôpitaux psychiatriques. Tout d’abord, à l’objectif principal de soigner la personne considérée comme malade, s’est substituée la fonction de protection de la société. Ces personnes qui dérangent par leur déviance sont mises à l’écart sous une stricte discipline visant à les façonner et à leur faire adopter les comportements souhaités. La surveillance devient ainsi la préoccupation première du personnel. En outre, le schéma médical type adopte un point de vue

« technico-psychiatrique ». Le psychiatre opère une scission entre l’individu et la maladie. Les différences d’âges, le sexe, le contexte de vie et tout ce qui a contribué à la construction de la personnalité de l’individu considéré comme malade, perdent toute importance. On passe ainsi de

« sujet malade » à « objet d’étude », ce qui implique la maladie comme seule clé d’interprétation des comportements de l’individu.

L’importance de cet ouvrage pour les représentants de l’antipsychiatrie, en particulier pour la racine italienne qui a fait de la lutte contre l’asile une priorité, est très explicite dans les travaux de Franco Basaglia, qui se réfère souvent à Goffman, notamment dans L’istituzione negata de 1968. Selon Corbellini et Jervis (2008), Asiles est probablement l’ouvrage ayant eu le plus d’influence dans le développement des idées et des expériences de Franco Basaglia. Par ailleurs, Franca Basaglia- Ongaro (1967), épouse et collaboratrice de Franco Basaglia, propose une analyse de la carrière morale du malade mental, deuxième partie d’Asiles, et traduira intégralement l’ouvrage en langue italienne en collaboration avec Franco Basaglia.

En 1963 Goffman publie Stigmate, les usages sociaux des handicaps. Dans cet ouvrage Goffman (1963/1012) met en évidence la manière dont les catégories des personnes, établies par les

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cadres sociaux, nous permettent de nous faire une idée de la typologie de personnes qu’il est possible de rencontrer. Ainsi faisant, nous pouvons anticiper « l’identité sociale » de la personne en relation avec les attentes normatives de notre société. Lorsque un individu présente des attributs qui le rendent différent des autres membres du groupe, nous commençons par le percevoir comme un individu qui n’est pas ordinaire, qui n’est pas normal. Selon l’auteur, un attribut de ce genre constitue un stigmate, et le stigmate a pour caractéristique de jeter un discrédit sur la personne dans la sphère des relations sociales. C’est ainsi que la personne discréditée par sa déviance, en termes d’attentes normatives, verra son milieu se rétrécir car elle aura des difficultés à se faire accepter par le groupe des « normaux ».

Un travail complémentaire retraçant l’histoire de la médicalisation de la folie ayant pu nourrir les idées antipsychiatriques, est celui fourni par Robert Castel en 1976 : L’ordre psychiatrique. L’âge d’or de l’aliénisme. Selon Castel (1976/2008), la circulaire de Colombier et Doublet de 1785, rédigée à la suite d’une inspection des prisons et des hôpitaux du Royaume de France, a en quelque sorte été le début de la discipline psychiatrique. L’idée que le fou est une personne qui souffre et dont il faut prendre soin s’est développée parallèlement aux classifications et aux théories médicales sur lesquelles s’appuyait l’idée de la possibilité de soigner la folie. C’est ainsi que l’aliéné est reconnu de façon officielle comme malade et que sa prise en charge doit être d’ordre médical. Selon Castel (1976/2008), l’apparition de cette médicalisation de la folie s’est imposée de façon naturelle, car elle était le résultat du développement progressif de l’investissement du médecin dans le champ de la folie entrepris déjà depuis longtemps, et qui avait trouvé sa systématisation au XVIIIe siècle. À cette époque paraissaient déjà plusieurs traités médicaux sur la folie, sur son diagnostic, ainsi que sur les techniques susceptibles de guérir les maladies mentales.

Comme conséquence des nouvelles théories et de la médicalisation de la folie, les fous, ayant changé de statut, ont été déplacé d’un lieu d’enfermement à un autre. C’est ainsi qu’on a assisté au

XIXe siècle à la naissance de l’asile.

2.2. Qu’est-ce que l’antipsychiatrie ?

C’est en 1967 que le mot « antipsychiatrie » fait sa première apparition dans la littérature spécialisée, lorsque David Cooper publie son ouvrage « Psychiatrie et Anti-psychiatrie » (Cooper, 1967/1970). Ce terme, comme le souligne Octave Mannoni (1973), se présente comme la conséquence des doutes et des questionnements qui commencent à se faire jour chez les professionnels de la psychiatrie, insatisfaits de leur mandat comme de la psychiatrie traditionnelle, et, selon Cooper, « une mise en question plus radicale a conduit certains d’entre nous [travailleurs

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dans le champ de la psychiatrie] à proposer des conceptions et des procédures qui semblent s’opposer absolument aux conceptions et procédures traditionnelles – et qui, en fait, peuvent être considérées comme le germe d’une anti-psychiatrie » (1967/1970, p. 7).

Or, s’il est vrai que le mot « antipsychiatrie » a été forgé dans les années 1960, selon Quétel (2009) une forme d’antipsychiatrie a toujours existé, mais sans réussir à s’imposer face à la puissance de l’institution psychiatrique avant les années 1960-1970. D’après Foucault (2003)

« l’ensemble de la psychiatrie moderne est au fond traversé par l’antipsychiatrie, si on entend par là tout ce qui remet en question le rôle du psychiatre chargé autrefois de produire la vérité de la maladie dans l’espace hospitalier » (p. 347). Cependant, selon l’auteur le mouvement antipsychiatrique de Laing, Cooper, Basaglia et Szasz est un processus bien distinct des autres formes de remise en question ayant accompagné la psychiatrie traditionnelle jusqu’aux années 1960.

D’après Delacampagne (1974), le mouvement de l’antipsychiatrie a commencé à prendre forme en Angleterre grâce à l’élan de David Graham Cooper, ainsi que de Ronald David Laing et d’Aaron Esterson, ce dernier étant plus en retrait. Mais, comme le souligne Mannoni (1973), cette racine anglaise n’est pas la seule à voir le jour dans cette période. En effet, dans les années 1960, des idées fort similaires sont exprimées par d’autres professionnels de la santé mentale dans des pays autres que l’Angleterre, comme par exemple en Italie sous l’impulsion de Franco Basaglia et aux Etats-Unis à travers les écrits de Thomas Szasz. Pour ce qui concerne la France, selon Castel, Elkaïm, Guattari et Jervis (1977), ce n’est que vers 1968 que les idées antipsychiatriques font une brèche dans l’Hexagone. Or, c’est dans ce sens que, d’après Mannoni (1973), nous pouvons parler d’une présence au niveau international du mouvement de l’antipsychiatrie.

Jervis (1977b) nous rend attentif au fait que « l’antipsychiatrie est surtout un nom que les consommateurs de la culture et de la mode ont attribué tour à tour à des courants différents de la psychiatrie et à des psychiatres particuliers […] » (Jervis, 1977b, p. 32). Par ailleurs, Guattari (2012) souligne, comme Basaglia et Laing parmi ceux ayant contribué à créer l’antipsychiatrie, qu’ils ont rejeté l’étiquette d’antipsychiatres, et il en va de même, selon Jervis (1977b), pour Thomas Szasz. Corbellini et Jervis (2008) relèvent le fait que, même si certains parmi ceux considérés comme antipsychiatres ne s’y identifient pas, cela a peu d’importance, car ce qui compte

« ce sont leurs positions, non leur déclarations d’identité »2 (Corbellini & Jervis, 2008, p. 74). En effet, « le nom [antipsychiatrie] est peut-être impropre, mais la tendance existe » (Jervis, 1977b, p.

34) et le caractère agrégatif du mouvement est dû au fait que même si « nés ainsi indépendamment les uns des autres, dans divers pays, ces mouvements [antipsychiatriques] ont des bases doctrinales

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