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Enseignement moral et civique, parcours citoyen au lycée professionnel

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Academic year: 2022

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Montage Suzanne Boudon 2016

Enseignement moral et civique,

parcours citoyen

au lycée professionnel

n ° 4 7 - ju i n 2 0 1 7

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Sommaire

Les enjeux de l’enseignement moral et civique 3 Pierre Kahn

À propos de l’éducation à la citoyenneté, de son histoire 11 Alain Bergounioux

Les élèves et leurs représentations de l’EMC 17 Suzanne Boudon

Entendu en salle des profs ! 27

Catherine Donnadieu, Françoise Gerbino

Privilégier la parole de l’élève en EMC 32

Annie Couderc, Françoise Girod

Contre « une pédagogie de l’indifférence » 44 Hélène Kuhnmunch

Éducation aux médias : comment déconstruire 58 les théories du « complot » ?

Florence Guittard

Lire pour lutter contre le harcèlement 77

Laurence Mengelle

Parcours citoyen, langue et culture-s- 87

Christine Eschenbrenner

Partir des questions socialement vives en EMC 91 Alexandre Baron

Traiter une question d’éthique médicale en EMC 98 Françoise Camus

Travailler en EMC avec un partenaire de la société civile 104 Stéphane Prouteau

Images et lancement de séance en EMC 108

Pierre Brunet

Vie scolaire et laïcité 112

Isabelle Dias, Smina Graïne

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Présentation

« L’Enseignement moral et civique » (EMC), entré en vigueur à la rentrée 2015, interpelle tous les enseignants, l’ensemble des équipes éducatives des établissements, les élèves et même les parents. Est-ce le retour de la morale à l’École, ce domaine pas comme les autres, car engageant à côté des savoirs quelque chose qui ne relève pas du savoir, et qui pourtant fait bien l’objet d’une éducation, d’une disposition à agir ? En quoi cet enseignement est-il différent de l’éducation civique ou de l’ECJS1qu’il remplace ? Comment s’intègre-t-il, avec l’« éducation aux médias et à l’information (EMI) » et avec « l’éducation à l’environnement et au développement durable », dans le « parcours citoyen » censé amener les élèves à devenir des citoyens responsables et libres ? Ce numéro d’Interlignes cherche à répondre à ces questions et propose à la fois la vision des concepteurs du programme d’EMC, des représentations d’élèves, quelques réactions à chaud de nos collègues enseignants, des expériences de terrain conduites par les professeurs de lycées professionnels, la collaboration avec une représentante de la vie scolaire.

Dans « Les enjeux de l’enseignement moral et civique » Pierre Kahn, professeur émérite des universités en sciences de l’éducation, nous éclaire sur l’EMC, ses finalités et ses objectifs : celui-ci doit « former l’homme et le citoyen d’une société démocratique … respecter la pluralité des options morales possibles … permettre aux élèves d’apprendre ce pluralisme ». Alain Bergounioux, inspecteur général de l’Éducation nationale, répond à nos interrogations dans « À propos de l’éducation à la citoyenneté, de son histoire », il expose l’évolution de la notion de morale depuis la IIIème République en soulignant « qu’aujourd’hui, l’important n’est pas d’imposer une morale contre une autre, mais de mettre en évidence ce qui est commun, et doit l’être, dans une société démocratique ». Ce nouvel enseignement moral et civique ayant la particularité d’être enseigné en continuité depuis l’école élémentaire jusqu’au lycée, nous avons interrogé des élèves de lycée professionnel sur leurs représentations de notions fondamentales qui ne sont pas nouvelles pour eux. Suzanne Boudon les résume dans « Les élèves et leurs représentations de l’EMC ». Catherine Donnadieu et Françoise Gerbino nous rapportent quelques réactions de professeurs avec

« Entendu en salle des profs ! ». Annie Couderc et Françoise Girod réfléchissent à

« La place de la parole des élèves » pendant les séances d’EMC. Les professeurs de terrain allient idées, méthodes et nouveaux outils pédagogiques pour répondre à la demande des élèves. Hélène Kuhnmunch utilise la presse, mobilise l’esprit critique de ses élèves et nous fait partager son expérience « Contre une pédagogie de l’indifférence ». Florence Guittard s’empare de toutes les stratégies dans

« Éducation aux médias : comment déconstruire les théories du complot ? ».

Laurence Mengelle met en musique la lecture et l’EMC avec « Lire pour lutter contre le harcèlement ». Se connaître, mieux connaître les autres pour promouvoir la liberté de chacun est une quête qui passe aussi par la culture. Christine Eschenbrenner, co-responsable du programme « Dix Mois d’École et d’Opéra » en témoigne en développant « Parcours citoyen, langue et culture-s- ». Alexandre Baron traite des QSV dans « Partir des questions socialement vives en EMC », questions récurrentes

1ECJS, éducation civique juridique et sociale créée en 1999 et entrée progressivement au lycée, «… Celle- ci était et demeure un apprentissage, c'est-à-dire l'appropriation des valeurs et des principes de la République, l'acquisition de savoirs et de pratiques, la maîtrise progressive d'une capacité de réfléchir et d’argumenter. Il s'agit d'aider les élèves à devenir des citoyens libres, autonomes, exerçant leur raison critique au sein d'une démocratie dans laquelle ils sont appelés à agir »… BO n°21 du 26 mai 2011.

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dans les séquences d’EMC. Françoise Camus aborde un exemple avec les élèves et nous l’expose dans « Traiter une question d’éthique médicale en EMC ». Elle met en œuvre une démarche pédagogique centrale pour l’EMC : le débat. Stéphane Prouteau présente une autre manière de traiter une question socialement vive :

« Travailler en EMC avec un partenaire de la société civile ». Pierre Brunet utilise quelques affiches et invite à l’exercice du jugement critique dans « Images et lancement de séance en EMC ». L’article « Vie scolaire et laïcité » montre une implication de toute la vie scolaire. Smina Graïne professeure de lettres-histoire et Isabelle Dias conseillère principale d’éducation exposent une collaboration avec les professeurs pour animer des « ateliers laïcité » au lycée de Trappes.

Ce numéro d’Interlignes propose donc quelques pistes de réflexion et de mise en œuvre à privilégier pour enseigner l’EMC. Il interroge sur la notion de « parcours citoyen » à construire, sur comment développer l’aptitude « à vivre ensemble dans le respect des valeurs républicaines et dans une société démocratique ». Cet enseignement ambitieux insiste sur le lien étroit entre laïcité et liberté d’expression, sur le devoir d’égalité et de respect, respect de l’élève dans ce qu’il est, pour tendre vers une culture laïque et critique où les élèvent apprennent à réfléchir.

Suzanne Boudon, Annie Couderc Coordonnatrices du numéro

« Vivre ensemble ! »

Dessin de Michel Kichka, 2006, pour © Cartooning for Peace2.

2 Cartooning for Peace sensibilise aux grands problèmes de société par le dessin de presse - http://www.cartooningforpeace.org/ - Nombreuses ressources pédagogiques en ligne, riche cartoonothèque sur des thématiques fondamentales telles que la liberté d’expression, les droits de l’homme, l’environnement, la guerre, les migrations et les inégalités qui croisent les problématiques de l’EMC. Voir également : fr.kichka.com/

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Les enjeux de l’enseignement moral et civique

Philosophe, Pierre Kahn est professeur des universités en sciences de l’éducation à Caen. Il a été le coordinateur du groupe d’experts chargé de l'élaboration des projets de programmes d'enseignement moral et civique avec entre autres Laurence Loeffel et Alain Bergounioux, tous deux Inspecteurs généraux de l’Éducation nationale. Pour les lecteurs d’Interlignes Il aborde ici les finalités et la mise en œuvre de ce nouvel enseignement l’EMC.

L’enseignement moral et civique (EMC) est inscrit dans la loi de 2013 dite de refondation de l’école, et il est prévu (ce qui est pour ce type d’enseignement d’une grande nouveauté) pour l’ensemble de la scolarité du CP aux classes terminales des lycées de toutes sections (générale, technologique et professionnelle). Le programme d’EMC est entré en application depuis la rentrée 2015. Il s’agira moins ici de présenter le nouveau programme d’EMC, publié au BO en juin 2015 et désormais accessible à tous, que de souligner ses finalités, préciser l’esprit dans lequel sa forme, son architecture et ses contenus ont été conçus, et identifier certaines des questions et difficultés auxquelles se heurte l’enseignement moral et civique dans le contexte actuel de l’École.

Ainsi mon propos comportera-t-il trois parties : - Finalités, esprit de l’EMC

- Architecture

- Difficultés de sa mise en œuvre.

Finalités : Un enseignement moral et civique pour la démocratie

C’est de cette façon que je formulerais la finalité essentielle de cet enseignement.

Pour comprendre cette formulation, et pour comprendre le problème qu’elle essaye de résoudre, il faut d’abord caractériser brièvement ce qu’on peut appeler une « société démocratique ». C’est une société caractérisée par l’individualisme, ce que le sociologue Norbert Elias appelait une « société des individus ».3 Ce qu’il faut ici entendre par « individualisme » ne signifie pas, de façon péjorative, un comportement égoïste, une tendance des acteurs de cette société à se renfermer sur leurs intérêts privés et à la « jouer perso », mais au contraire une valeur cardinale promue et reconnue par ce type de société. Une société démocratique est une société qui promeut l’individu, qui valorise l’autonomie individuelle, qui se représente les acteurs sociaux comme étant les auteurs libres de ce qu’ils deviennent et de ce qu’ils font, libres de leurs choix de vie, spirituels, professionnels, affectifs, sentimentaux, moraux, politiques… Pour le dire autrement : libres de décider quel est pour eux le sens de leur existence, décider ce qui fait à leurs yeux qu’une vie vaut d’être vécue. Cela implique la reconnaissance de la légitimité de la pluralité des croyances, des convictions, des modes de vie, des orientations spirituelles, idéologiques, culturelles, voire sexuelles. C’est parce que les sociétés démocratiques sont individualistes qu’elles sont pluralistes, qu’elles admettent la diversité et la variabilité de ce que certains philosophes appellent les conceptions du bien ou conceptions de la vie bonne.

3 Norbert ELIAS, « La Société des individus », Fayard, Paris, 1987.

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En ce sens, une société démocratique est une société dans laquelle les normes collectives sont moins contraignantes, moins visibles, moins uniformisatrices que dans d’autres sociétés. Ou pour le dire autrement, c’est une société dans laquelle la notion de « bonnes mœurs », qui a encore dans le code civil napoléonien un statut juridique, perd de plus en plus de sa pertinence juridique. C’est une société où la liberté individuelle peut certes être limitée au nom des nécessités de l’ordre public, mais de moins en moins (voire plus du tout) au nom des bonnes mœurs, c’est-à-dire au nom des normes de la morale publique.4

C’est donc une société où les réponses aux problèmes éthiques ne vont plus de soi ; c’est une société où de tels problèmes font l’objet de délibérations, de débats, de controverses, une société où les consensus moraux et civiques sont à construire, à inventer, et peuvent à tout moment évoluer ou être remis en cause. Les exemples abondent : peine de mort, fin de vie, bioéthique, mariage homosexuel… Le philosophe Paul Ricœur exprime à merveille la situation morale qui est celle des acteurs d’une telle société : « Nous ne vivons pas dans un consensus global de valeurs qui seraient comme des étoiles fixes. C’est là un aspect de la modernité et un point de non-retour.

Nous évoluons dans une société pluraliste, religieusement, politiquement, moralement, philosophiquement, où chacun n’a que la force de sa parole. Notre monde n’est plus enchanté. La chrétienté comme phénomène de masse est morte (ce qui est plutôt positif) et nos convictions ne peuvent plus s’appuyer sur un bras séculier pour s’imposer ».5

Dès lors, l’existence d’un enseignement moral et civique se heurte d’emblée à un problème de légitimité. Un enseignement moral et civique n’est-il pas en effet, par définition, prescriptif, normatif ? N’est-il pas précisément d’une normativité contraire à la nature même d’une société démocratique, qui est une société non pas a-normative (sans normes) mais plutôt « polynormative », fondée sur ce que le sociologue Max Weber appelait le « polythéisme des valeurs » ? En somme, c’est le « M » de l’EMC qui pose problème. Et c’est un problème exprimé par bien des enseignants, dont la concertation, lors de l’écriture des programmes, a rendu visible la gêne qu’ils éprouvaient devant le mot même de « morale » : devra-t-on enseigner une sorte de catéchisme laïque, ou républicain ? Renouer avec les leçons de morale d’antan de l’école de la IIIème République ? Avec le moralisme républicain de l’école de Jules Ferry ?

C’est d’ailleurs là une crainte que les premières déclarations de Vincent Peillon au sujet de cet enseignement semblaient justifier. L’interview qu’il donne au JDD du 1er septembre 2012 est à cet égard explicite.

« La morale laïque, c’est comprendre ce qui est juste, distinguer le bien du mal, c’est aussi des devoirs autant que des droits, des vertus et surtout des valeurs » « Si la République ne dit pas quelle est sa vision de ce que sont les vertus et les vices, le bien et le mal, le juste et l’injuste, d’autres le feront à sa place. »

Vincent Peillon, clairement, se situe dans la tradition républicaine qui fut celle de Ferdinand Buisson : il existe une spiritualité laïque ; la laïcité n’est pas qu’un cadre juridique et institutionnel organisant l’enseignement dans l’école publique, elle est aussi un idéal moral, elle a un contenu moral substantiel (« une vision du bien et du mal, du juste et de l’injuste …) qui doit s’enseigner. Le JDD interroge : « Il existe déjà une instruction civique, en quoi votre morale laïque serait différente ? » V. Peillon répond : « Je n’ai pas dit instruction civique, mais bien morale laïque » et il précise que cela doit inclure aussi « toutes les questions que l’on se pose sur l’existence humaine, sur le rapport à soi, aux autres, à ce qui fait une vie heureuse et une vie bonne ». On retrouve clairement l’idée d’une morale « perfectionniste » (c'est-à-dire qui propose un modèle de perfection humaine) : avec l’EMC, l’école républicaine aurait pour légitime propos de dire quelque chose sur le sens de l’existence humaine et sur ce qu’est une vie bonne et heureuse. V. Peillon a missionné trois personnalités

4 Voir LAVAUD-LEGENDRE Bénédicte, « Où sont passées les bonnes mœurs ? », PUF, Paris, 2005

5 RICŒUR Paul, in HOCQUART Anita (dir.), « Éduquer à quoi bon ? Ce qu’en pensent philosophes, anthropologues et pédagogues ». Paris, 1996, p. 95.

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(Alain Bergounioux, Laurence Loeffel et Rémy Schwartz6) pour la rédaction d’un rapport précisant ce que pourrait être cet enseignement. Rendu en avril 2013, ce rapport s’intitule : Pour un enseignement laïque de la morale. La différence n’est pas mince : ce n’est pas la morale qui est laïque, c’est son enseignement. Cette formulation a le mérite de laisser davantage la porte ouverte à un enseignement non

« catéchisant », non dogmatique de la morale. L’intitulé du nouvel enseignement (EMC) présente le même avantage, puisqu’il n’y est plus fait référence à la « morale laïque » de V. Peillon, ni même, dans le titre, à la laïcité. C’est dans cette ouverture que les concepteurs du programme (parmi lesquels il y avait A. Bergounioux et L.

Loeffel) se sont insérés pour concevoir un enseignement non moralisateur de la morale, c’est-à-dire un enseignement moral et civique conforme à une société pluraliste et individualiste.

Quelle forme a donc pris, dans ces conditions, cet enseignement ?

Pour répondre conceptuellement à cette question, on peut reprendre l’idée de Norbert Elias de « société des individus ». Il y a deux pôles dans cette expression selon qu’on insiste sur l’un ou l’autre des termes qui la composent : c’est une société des individus (individualisme), mais c’est aussi une société des individus, c’est-à-dire que les individus, disposant d’une autonomie aussi valorisée soit-elle, doivent néanmoins faire société, construire ce que la sociologue D. Schnapper appelle « la communauté des citoyens », se reconnaître dans un monde commun... Un enseignement moral et civique pour une société démocratique doit tenir ensemble ces deux pôles. Il doit permettre aux élèves de se rassembler, de constituer cette communauté des citoyens, ce monde commun hors duquel il n’y a tout bonnement pas de société possible, et en même temps leur permettre de ne pas se ressembler, c’est-à-dire ne pas leur proposer une norme morale uniforme et reconnaître la différence et la pluralité des orientations morales et civiques des individus propres aux démocraties.

Comment tenir ensemble ces deux pôles ?

Rassembler

Le pôle « rassembler » suppose pour l’EMC d’assumer la transmission de valeurs communes, ce que l’on appelle communément (parfois, depuis Charlie, de manière incantatoire, mais ce n’en reste pas moins un but légitime de cet enseignement) la transmission des valeurs de la République, explicitement identifiées dans le programme : liberté, égalité, fraternité, laïcité, solidarité, esprit de justice et refus des discriminations.

Cinq remarques toutefois doivent être faites à propos de cette transmission des valeurs de la République.

1 . En un sens ce ne sont pas les valeurs propres de la République mais celles de toute société démocratique

. À bien des égards, l’équivalent de l’EMC dans d’autres sociétés démocratiques (Canada, Belgique, pays scandinaves, États-Unis, Grande-Bretagne, Allemagne, etc.) se donne aussi pour mission la transmission de telles valeurs. Néanmoins, l’EMC doit aussi faire comprendre leur inscription historique particulière, les formes institutionnelles, politiques et juridiques singulières dans lesquelles elles se sont incarnées en France, les luttes particulières dont leur reconnaissance a été l’objet, et en ce sens on peut légitimement parler de la transmission des « valeurs de la République », qui comprend aussi, notamment, la connaissance des symboles nationaux, de la devise de la République, de l’hymne national, des principes propres à la France, de la laïcité (qui ne se retrouvent pas de la même façon dans les autres sociétés démocratiques). L’EMC prend acte qu’on n’éduque pas pour la démocratie un jeune Français, un jeune Canadien, un jeune Allemand, un jeune Suédois, etc. exactement de la même façon. Il y a du commun, car ces valeurs sont à bien des égards communes à toute société démocratique, mais il y a aussi du particulier. Il est cependant explicitement recommandé dans le programme de transmettre les valeurs de la République en les présentant autant qu’il est possible comme des expressions singulières de valeurs communes aux ensembles démocratiques (de ce point de vue, la question de l’Europe, des

6 BERGOUNIOUX Alain est inspecteur général d’histoire, LOEFFEL Laurence inspectrice générale de l’enseignement primaire et SCHWARTZ Rémy conseiller d’État.

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institutions européennes doit pouvoir être mobilisée - le programme mentionne par exemple parmi les objets d’enseignement moral et civique au cycle 4, l’enseignement des « principes d’un État démocratique et leurs traductions dans les régimes démocratiques (ex : les institutions de la Vème République »).

2. Ces valeurs communes ont ceci de remarquable qu’elles ne contredisent pas les valeurs particulières différentes que chacun peut, dans un contexte démocratique, adopter.

À bien des égards (c’est le cas notamment de la liberté ou de la laïcité) leur respect est même une des conditions de la possibilité pour chacun de mener sa vie comme il l’entend. C’est à ce titre qu’elles ont droit de cité dans un enseignement moral et civique propre aux sociétés démocratiques. Les philosophes traduisent cet état de choses en disant que ces valeurs sont plus procédurales que substantielles : elles se rapportent à des règles du jeu communes sans relever d’une conception particulière de ce qui est bien, d’une vie bonne.

3. On ne peut réduire le programme à la transmission des valeurs de la République, c’est-à-dire qu’on ne peut réduire l’EMC à l’EC en faisant l’impasse sur le M

. Il y a une dimension propre, spécifique, dans le programme, de la morale. Cet enseignement concerne aussi des problématiques spécifiquement morales (les questions du proche et du lointain, du mensonge, du souci d’autrui, etc.).

4. La transmission de ces valeurs suppose la médiation de savoirs

(littéraires, historiques, sociaux, philosophiques, etc.). Dans l’EMC, valeurs et savoirs s’articulent, faute de quoi on tomberait dans le pur moralisme, autrement dit faute de quoi ce ne serait plus un « enseignement » moral et civique (mais tout au mieux une

« éducation », voire une édification).

5. Dernière remarque enfin : transmettre des valeurs n’est pas une chose simple

. Parce que c’est comme valeurs qu’il s’agit de les transmettre. Il ne s’agit pas seulement de les faire savoir, mais aussi de les faire valoir, de faire en sorte qu’elles valent aux yeux de ceux à qui on les transmet. Cela suppose un type d’enseignement, une pédagogie, particulière, qui doit permettre aux élèves d’éprouver la valeur des valeurs qu’on veut leur transmettre, de les faire avoir du prix à leurs yeux. Et cela suppose aussi un climat scolaire particulier, grâce auquel les élèves pourront éprouver la valeur de ces valeurs. Les principes qui inaugurent le programme le disent clairement : l’EMC, comme tout enseignement d’ailleurs, mais peut-être aussi de façon particulière, compte tenu de sa visée propre, ne peut s’effectuer que dans une école certes exigeante, mais aussi bienveillante. La bienveillance n’est pas seulement une condition favorable à la réussite scolaire des élèves, c’est aussi une condition nécessaire à l’efficacité de la transmission des valeurs de la République.

Ne pas se ressembler : une morale délibérative

Quant au second pôle, « ne pas se ressembler », qu’en est-il ? Comment un enseignement moral et civique pourra-t-il, de façon en quelque sorte paradoxale, permettre aux élèves de ne pas se ressembler, de continuer d’être des individus aux préférences éthiques ou affectives différentes ? La réponse tient en ceci : en proposant une morale délibérative. Que faut-il entendre par là ?

On l’a dit, un enseignement de l’EMC propre à former l’homme et le citoyen d’une société démocratique, une « société des individus », ne peut être un enseignement moralisateur. Il doit respecter la pluralité des options morales possibles et même en quelque sorte travailler cette pluralité, faire fonds sur elle. L’EMC est un enseignement qui doit permettre aux élèves d’apprendre ce pluralisme.

Mais comment ? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de revenir de façon critique sur une distinction assez usuelle, souvent faite d’ailleurs pour justifier le caractère laïque des enseignements, bien qu’à mes yeux elle pose problème. Il s’agit de la distinction entre, d’une part les savoirs qui relèvent de l’École, qui sont objectifs, rationnels et scientifiques, et donc transmissibles à tous, et d’autre part les croyances, qui relèvent des familles, qui sont certes respectables, mais aussi subjectives et qui ne sauraient donc, comme les goûts et les couleurs, se discuter. Et c’est précisément souvent au nom de cette distinction que nombre d’enseignants sont réticents à l’égard

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d’un enseignement moral qui d’après eux relèverait précisément de la subjectivité des choix éducatifs familiaux et non de la rationalité objective des savoirs scolaires.

Or, le caractère binaire de cette opposition est fallacieux. L’école n’enseigne pas que des savoirs scientifiques et objectifs. Elle enseigne aussi la littérature, elle se préoccupe de la formation artistique et esthétique des élèves, elle enseigne aussi la philosophie… Bref, il y a entre le savoir de type scientifique-objectif et la pure croyance subjective et comme telle indiscutable un espace intermédiaire, d’une rationalité d’un autre type que la rationalité objective du savoir scientifique. C’est l’espace de l’argumentation raisonnée, de la capacité à justifier ce que l’on pense et ce que l’on dit et d’en discuter avec autrui. L’EMC concerne des contenus qui relèvent précisément de cet espace intermédiaire et qui a toute sa place (et depuis longtemps) à l’école. En un sens les convictions ou les préférences morales sont subjectives (au sens où elles peuvent varier d’un individu à l’autre), mais toutes les convictions ne se valent pas pour autant, elles ne reçoivent pas toutes les mêmes justifications, elles se fondent sur des critères qu’il est possible d’objectiver, d’argumenter, de hiérarchiser et de discuter. Il y a une « raisonnabilité » de la dimension éthique de l’existence. Il est souhaitable de réfléchir aux décisions morales ou aux engagements civiques que l’on est amené à prendre au cours de sa vie. Elles peuvent et doivent être l’objet d’une délibération, d’une explicitation des critères sur lesquelles elles se fondent, d’une réflexion critique qui peut amener d’ailleurs (sans que cela soit un objectif de l’EMC) à voir ces critères se modifier.

C’est cette argumentation relative aux questions morales et civiques qu’on peut appeler une morale délibérative. Non pas proposer un même modèle de moralité à tous, mais réfléchir collectivement aux raisons qui peuvent fonder les préférences morales que nous avons chacun, et qui peuvent être différentes selon les individus.

Une séance sur le mensonge n’a pas pour but, dans l’esprit de l’EMC de rendre les élèves moins menteurs, ni même de les persuader que c’est mal de mentir, mais de réfléchir aux significations morales complexes du mensonge. Un travail sur les jugements évaluatifs (« c’est juste, c’est pas juste », « c’est bien, c’est pas bien ») n’a pas pour objectif de proposer un modèle de justice ou de bien mais de faire réfléchir et discuter ensemble les élèves sur les critères qui peuvent justifier de tels jugements de valeurs. Et on est bien ici aux antipodes du moralisme et du prêchi-prêcha.

Autrement dit, on est bien dans un enseignement qui à la fois ne cherche pas à réduire les diversités d’approche et de valeurs, et qui en même temps peut espérer trouver dans l’échange même des élèves sur ces questions de quoi faire entre eux du lien, ne serait-ce que dans le respect où ils sont tenus des règles de cet échange (écoute de l’autre, égalité des participants, obligation de produire une argumentation audible par quelqu’un qui ne partagerait pas le point de vue avancé, etc.). C’est ce que certains philosophes (J. Habermas, K. O. Appel) appellent une « éthique de la discussion ». C’est de cette idée, au sens large, que s’inspirent les nouveaux programmes.

Cela suppose la mise en œuvre de dispositifs didactiques appropriés, qui ne ressemblent en rien à des leçons de morale : discussions à visée philosophique, dilemmes moraux, débats réglés, conseils d’élèves, jeux de rôles… Il y a une didactique de l’EMC, elle ne s’invente pas. Cela pose évidemment le problème de la formation.

Cet aspect important de l’EMC se travaille dans toutes les dimensions de cet enseignement, mais particulièrement dans celle qui relève du jugement moral. La formation morale et civique c’est aussi une formation du jugement moral et civique, et cette formation doit pouvoir se faire, dans l’esprit du programme, selon les principes de la morale délibérative.

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Architecture : les quatre dimensions de l’EMC

Le programme distingue quatre dimensions de l’enseignement moral et civique.

1. Une dimension sensible, la sensibilité :

Dans la vie morale et la vie civique s’expriment ordinairement des émotions (nous nous indignons, nous nous enthousiasmons, nous nous scandalisons, nous espérons ou craignons, nous avons de l’admiration ou de la répugnance…). Il s’agit ici, à l’instar des réflexions de Martha Nussbaum sur les « émotions démocratiques »7, de reconnaître cette sensibilité morale et civique, d’aider les élèves à en prendre conscience, à la travailler, à l’apprivoiser, éventuellement pour la dépasser ou, au contraire, pour faire fonds sur elle afin d’orienter nos préférences ou nos engagements.

2. Dimension normative, le droit et la règle :

C’est évidemment une dimension consubstantielle de tout enseignement moral et civique, quels qu’en soient le contenu, le « style » ou les objectifs – qu’il s’agisse, comme le voulait Durkheim, de faire intérioriser aux élèves l’esprit de discipline (la discipline, écrivait-il, c’est « la morale de la classe »8) ou bien de développer, comme y invitait John Dewey, des formes de self government.9 Compte tenu des orientations générales du programme d’EMC, il est clair que cet apprentissage suppose l’appropriation active et réfléchie par les élèves du droit et des règles régissant les écoles, les collèges et les lycées. Dans une société démocratique, le droit et la règle ne peuvent être simplement institués (c’est-à-dire en somme imposés), mais également et avant tout instituants : d’où les recommandations faites pour que les élèves, à la mesure de leur âge et de leurs capacités, puissent participer à l’élaboration des règles, et que celles-ci soient l’objet d’explicitations, de réflexions et de discussions, voire, le cas échéant, d’amendements. Un but spécifique de l’EMC est de faire de cette réflexion et de cette discussion un objet d’enseignement, en recourant aux formes et aux situations d’apprentissage adaptées à cette fin (institution de « conseils », utilisation de l’heure de vie de classe, etc.)

3. Une dimension cognitive : le jugement :

C’est par excellence à propos de cette dimension que l’idée développée ci-dessus d’une morale délibérative prend tout son sens.

4. Une dimension pratique : l’engagement :

L’EMC ne se propose pas seulement de construire une culture du jugement moral et de développer

« l’éthique de la discussion ». De façon plus substantielle, cet enseignement n’hésite pas à valoriser certains comportements et notamment les engagements civiques des élèves au sein de l’établissement (dans les différentes instances de celui-ci) ou en dehors (travail avec les partenaires associatifs). En effet, si on doit reconnaître aux citoyens d’une république le droit de s’abstenir de participer à la vie publique (c’est la

« liberté des modernes » chère à Benjamin Constant), il n’est toutefois pas interdit de penser qu’un citoyen engagé dans la vie politique, syndicale ou associative correspond davantage à l’idéal de citoyenneté qui est le nôtre. Un des buts explicites de l’EMC est de permettre aux élèves de se rapprocher le plus possible d’un tel idéal.

L’intention qui préside à cette distinction des quatre dimensions est… de distinguer. Il s’agit là d’une clarification intellectuelle destinée à éviter les effets de superposition confuse de registres de moralité et de civisme différents. Mais l’erreur serait de ne pas articuler ce qui est ici distingué, c’est-à-dire, concrètement, réserver certaines séances à la sensibilité, d’autres au droit et la règle, etc. Il s’agit au contraire de travailler sur des thèmes qui permettent d’articuler ces dimensions, et ils ne manquent pas (le harcèlement, le racisme, l’égalité filles-garçons, etc.) Mais ne pas distinguer, ce n’est pas articuler : c’est confondre.

7 NUSSBAUM Martha, « Les Émotions démocratiques. Comment former le citoyen du XXIe siècle ? » Flammarion, « Climats », Paris, 2011.

8 DURKHEIM Émile, « L’Éducation morale », Presses Universitaires de France, Paris, 1963, p. 125.

9 DEWEY John, « Démocratie et éducation », Introduit par Denis MEURET et Joëlle ZASK. Armand Colin, Paris, 2011.

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Difficultés de mise en œuvre

Il y a d’abord à considérer ce que J. P. Delahaye, ancien directeur de la DGESCO, appelle des « points de vigilance » concernant cet enseignement. 10

Le point de vigilance essentiel est relatif à la cohérence qui doit exister entre l’EMC d’une part et la vie scolaire comme la vie sociale d’autre part. Si les valeurs transmises dans cet enseignement et ce qu’il se passe à l’école ou dans la société sont en contradiction, on ne peut guère espérer faire valoir de telles valeurs. Il est, autrement dit, nécessaire de ne pas rendre cet enseignement schizophrène : on ne transmettra rien qui vaille sur l’égalité si l’école reste inégalitaire et si l’inégalité reste la norme des relations sociales, et on ne fera pas comprendre ce qu’est la justice si on est contraint de le faire dans une école et dans une société qui ne la respectent pas.

Quant aux difficultés proprement dites, j’en identifie trois.

1. La formation.

L’EMC suppose de la part des enseignants une culture théorique, des éléments de psychologie de l’enfant (l’évolution du jugement moral chez l’enfant, étudiée notamment par l’école piagétienne), des éléments de philosophie morale, d’histoire, de connaissance juridique. Il suppose aussi une formation didactique : comment mettre en place un débat, des dilemmes moraux, quelles conditions sont à respecter, quelles traces en garder, comment apprécier les progrès des élèves, etc. ? Si cette formation n’a pas lieu ou de façon insuffisante, les enseignants passeront sous la barre ou à côté, et cet enseignement n’aura pas plus d’existence effective que n’en a eue l’instruction civique et morale mise en place à l’école élémentaire depuis 2008 (surtout compte tenu des réticences de nombre d’enseignants à l’idée d’un enseignement moral et aux représentations négatives qui lui sont attachées).

2 . La question de la forme de ce programme.

C’est un programme

« curriculum », c’est-dire qu’il donne de grandes orientations générales en insistant sur l’unité et la continuité de cet enseignement d’un cycle à l’autre et en identifiant les objectifs communs de formation aux trois cycles. Il se différencie nettement en cela des programmes disciplinaires traditionnels. C’est évidemment volontaire mais cela comporte un risque car ce n’est pas précisément dans la tradition de l’enseignement français et cela rend sans doute plus difficile la possibilité pour les enseignants de s’en saisir. Cela le rend d’autant plus difficile qu’un programme « curriculum » demande, précisément parce qu’il reste très général, des adaptations locales et donc un travail important des équipes, et que beaucoup d’enseignants ont reproché à ce programme (bien qu’à la réflexion, ce reproche puisse paraître étonnant) de ne pas livrer clé en main les conditions de l’effectuation de l’EMC.

3. Un tel enseignement appelle un décloisonnement disciplinaire.

Or, ce décloisonnement n’est pas facilité par l’organisation de l’enseignement qui existe à partir du collège mais structure aussi les représentations et les pratiques des enseignants de l’école primaire. Si bien que l’EMC risque de se retrouver entre le marteau et l’enclume : s’il n’existe pas comme enseignement identifié, avec son horaire dédié, si, en d’autres termes, on le veut seulement « transversal », on le condamne à l’invisibilité et finalement à l’inexistence. Mais s’il devient un enseignement « disciplinaire » ordinaire, il n’existera pas plus, en tout cas pas de la façon dont les programmes ont pensé qu’il devait exister. De ce point de vue, l’attribution, au collège, de cet enseignement au professeur d’histoire-géographie, devenu « professeur d’histoire, géographie et EMC » est regrettable en ce qu’elle risque fort de réduire l’EMC à ce qui se faisait avant sous l’intitulé « éducation civique » (c’est-à-dire à évacuer le « M » et à se contenter de leçons sur les institutions de la République), soit, pire encore, à devenir une variable d’ajustement pour le programme d’histoire.

Pour rompre ce cercle, une solution possible consiste à mettre l’horaire dédié à l’EMC à part, de façon à ce que les enseignants, après concertation collective, déterminent comment chacun, en fonction de ses propres compétences disciplinaires, peut y intervenir. D’autres modalités pratiques peuvent sans doute être envisagées. Mais il

10 DELAHAYE Jean-Paul, « La Charte de la laïcité à l’école, un outil pédagogique pour faire partager les valeurs de la République », in « Laïcité, école et religions », Administration & Éducation, 2015, n° 4, p. 34.

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me semble qu’elles doivent toutes obéir au principe suivant : si l’EMC ne saurait être sans dommage « transversal », il ne saurait en revanche vivre qu’en interdisciplinaire.

Toutes ces raisons peuvent en tout cas rendre compte du décalage, que les sociologues de l’enseignement connaissent bien en général, qui peut exister entre le prescrit et le réel, décalage qui, sous sa forme maximale, peut aller jusqu’à l’inexistence dans la réalité de ce qui est prescrit dans les textes. C’est un risque auquel ce programme est, comme tout programme, exposé. L’historien de l’enseignement que je suis sait bien que l’espérance de vie d’un programme est limitée. Il est possible néanmoins d’espérer qu’il ne soit pas mort-né.

Pierre Kahn Professeur émérite des universités en sciences de l’éducation Université de Caen Normandie

Dessin de Charb, paru dans le n° 367-368 des Cahiers pédagogiques11

11Cahiers pédagogiques, n° 367-368,octobre-novembre 1998, site : http://www.cahiers- pedagogiques.com/

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À propos de l’éducation à la citoyenneté, de son histoire

Alain Bergounioux est historien et inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale.

En 2012, il s’est vu confier par le Ministre de l’Éducation nationale, Vincent Peillon, une mission de réflexion sur la morale laïque à l’école, dont les conclusions aboutirent à l’enseignement moral et civique. Il a d’ailleurs participé au groupe de travail chargé de mettre sur pied et de rédiger le programme d’EMC.

Il a accepté de répondre aux questions d’Interlignes.

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L’éducation à la citoyenneté existe dans les programmes depuis l’établissement de la IIIème République et de l’école obligatoire et laïque mais cette éducation a changé régulièrement d’appellation. Pouvez-vous rappeler ces différentes appellations et la différence entre instruction, éducation et enseignement ?

Pourquoi ces changements ? Correspondent-ils à des faits, des évènements, des besoins sociétaux ?

Alain Bergounioux

– Cette éducation n’a jamais été une chose simple. Les changements d’appellation qu’elle a connus l’attestent suffisamment. Elle fut mise en œuvre par les fondateurs de l’école républicaine, dans les années 1880, sous le nom

« d’instruction morale et civique » pour l’école primaire seulement. Car pour les élèves du lycée, une petite minorité de la population d’alors, les « humanités » étaient considérées comme en tenant lieu. Elles succèdent à une « instruction religieuse et morale », et en portent la trace dans ses programmes où furent mentionnés « les devoirs envers Dieu » jusqu’en 1923. Le régime de Vichy rompit avec les principes républicains. Il établit une heure hebdomadaire « d’action morale » pour l’enseignement secondaire, une « éducation morale et patriotique » pour le cours élémentaire et moyen des écoles primaires et une « instruction civique » pour le cycle suivant. À la Libération, sous l’impulsion d’enseignants résistants, une « éducation civique et morale » est créée dans tout l’enseignement scolaire. Mais elle ne s’est pas maintenue dans le second cycle des lycées et s’est effilochée dans les autres ordres d’enseignement, se transformant en « disciplines d’éveil » à l’école primaire, à la fin des années 1960, et disparaissant des collèges, sous forme d’un horaire spécifique, avec la réforme Haby, en 1977, chaque discipline, en principe, devant prendre sa part dans la formation du citoyen. Le rétablissement12 se fit graduellement depuis 1985.

12Avant 1985, date du rétablissement graduel de l’« éducation civique » au collège puis au lycée, dans les anciens CET, (collège d’enseignement technique) devenus plus tard lycées d’enseignement professionnel puis lycées professionnels, il y avait de l’éducation civique. Elle était présente dans les programmes de 1ère et 2ème année des classes de CAP en 3 ans, elle était suivie de la législation du travail en terminale. Dans les sections de BEP industriels (et non dans les sections tertiaires), les PLP lettres-histoire enseignaient l'IVCP (initiation à la vie civique et professionnelle) à hauteur de 3 heures (deux en classe entière et une en groupe). La première année était à coloration « éducation civique ». Ainsi toute une partie du programme était consacrée aux « rapports de l’État et du citoyen dans une nation démocratique » avec un chapitre sur

« le métier de citoyen » qui abordait tour à tour les thématiques suivantes : « le citoyen et l’information »,

« le citoyen et les partis politiques », « le citoyen et le devoir électoral », « le citoyen et l’impôt » (IO du 28 mai 1973). La seconde année était principalement axée sur la législation du travail : « les problèmes de l’emploi », « la représentation des intérêts des salariés », « les conditions de travail et leur contrôle », « les conflits », « la protection sociale » figuraient au programme. Celui-ci affichait donc de manière explicite l'articulation étroite entre la formation du "citoyen" et celle du "travailleur" qui a fondé l’enseignement professionnel depuis 1945.

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Jean-Pierre Chevènement rétablit une « éducation civique », à l’école primaire et dans les collèges, où elle figure à l’épreuve du Brevet. La création, pour les lycées, d’une

« éducation civique, juridique et sociale » constitue l’étape suivante, les programmes se mettant en place graduellement de 1999 à 2001. Une « instruction morale » est réintroduite à l’école primaire en 2008, réglementée par une circulaire de 2011. Enfin (jusqu’à présent…), la loi d’orientation de 2012, constitue un « enseignement moral et civique » pour tout l’enseignement scolaire (écoles, collèges, lycées).

Il s’agit donc là d’une nébuleuse assez complexe, si l’on en juge par la fluctuation des formulations utilisées. Et, encore, c’est sans tenir compte des évolutions internes entre deux changements. Ainsi sous la même appellation « éducation civique », le contenu des programmes a sensiblement évolué, pour les collèges, ceux de 1985 et ceux de 1993. Ces changements obéissent principalement à des enjeux politiques. La question du civisme a été posée dès la Révolution Française. L’éducation seule pouvait fonder la citoyenneté. Les grandes évolutions correspondent à des moments fondateurs, la « République des républicains », avec les lois scolaires de 1882, la Libération, où il s’agissait de refonder la République. Plus près de nous, le rétablissement d’une éducation civique, en 1985, a correspondu à un moment particulier où se sont additionnées les préoccupations venues, d’abord, du constat d’une jeunesse plus hétérogène, deux ans après la « marche des beurs » de 1983, préoccupations qui n’ont cessé de croître, au désir, ensuite, de refonder le service public de l’éducation, après la crise scolaire avec l’enseignement privé, en 1984, aux interrogations, enfin, sur l’identité nationale à un moment d’approfondissement de la construction européenne. Ce souci de la manière de faire partager les « valeurs républicaines », par les gouvernements qui suivirent jusqu’à aujourd’hui, se marque dans les évolutions de cet enseignement.

Ainsi, s’il apparaît juste de conférer à l’éducation à la citoyenneté le statut d’une discipline scolaire – elle est présente depuis la IIIème République – elle obéit surtout à une histoire politique et sociale plus qu’à des évolutions scientifiques – même si elle bénéficie de l’apport d’autres disciplines scolaires qui ne s’enseignent plus aujourd’hui comme hier. Le passage de la notion d’instruction à celle d’éducation ou d’enseignement s’explique en partie par là. « Instruction » met l’accent plutôt sur les savoirs institutionnels et sur une pédagogie directive, l’éducation insiste sur les comportements (c’était son sens sous le régime de Vichy), dans notre période, son utilisation évoque, davantage, l’attention portée sur la personne même de l’élève et sur la nécessité de l’associer dans la construction des savoirs. La notion

« d’enseignement », utilisée plus récemment, en 2012 et 2013, se veut plus neutre, en échappant au débat « instruction » et « éducation » pour souligner que « l’éducation à la citoyenneté » appartient pleinement aux disciplines scolaires.

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Les changements d’appellation que nous avons évoqués précédemment ont-ils été accompagnés d’une évolution dans la manière d’approcher cet enseignement à la citoyenneté ?

Alain Bergounioux

– Cette longue histoire indique déjà que cet enseignement a été nécessairement abordé de différentes manières. Cela tient aux périodes politiques comme il a été rappelé précédemment et aux objectifs poursuivis. La notion de

« citoyenneté » disparaît ainsi sous Vichy… À la Libération, il s’agit explicitement d’aller au-delà de l’étude institutionnelle. L’esprit critique et le sens de la solidarité nationale sont présentés comme des vertus civiques. L’horizon est élargi en mettant en évidence la notion d’humanité. L’éducation aux droits de l’homme, dès lors, n’a cessé de prendre une place plus importante par la suite. Mais les évolutions de contenu dans les programmes s’accompagnent aussi d’évolutions pédagogiques. Il serait faux, cependant, de penser que l’on soit passé simplement d’une pédagogie fondée sur l’autorité à une pédagogie plus « participative ». L’école primaire de la IIIème République laissait une part non négligeable à la responsabilité des élèves – ce qui n’était pas le cas dans l’enseignement secondaire. À la Libération et dans les premières années de la IVème République, l’ambition était grande pour une formation morale et civique des élèves qui ne dépend pas seulement de l’enseignement proprement dit mais aussi des manières de vivre et d’agir dans la classe et dans

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l’établissement. Les recommandations actuelles pour l’éducation morale et civique vont moins loin que les textes de 1945… Depuis les années 1990, les grandes tendances sont de placer au cœur de ces enseignements la réflexion des élèves, le

« débat réglé » au collège, le « débat argumenté » au lycée en sont les méthodes souhaitées. Non sans que des préconisations différentes ne puissent être prises, comme en 2011, avec le retour des « préceptes » moraux pour l’école primaire – mais qui n’ont pas été réellement mis en œuvre dans les classes. Évidemment, les pédagogies dépendent fortement des enseignants et de la manière dont ils ont été formés – ou pas – à cette éducation. Les instituteurs et les professeurs des écoles d’aujourd’hui, jouent un rôle majeur. Dans l’enseignement secondaire les choses sont plus complexes. À la Libération, l’instruction civique et morale devait être l’affaire de tous selon la volonté et la capacité des enseignants pour l’heure hebdomadaire. La charge de l’enseignement de la morale au quotidien concernait tous les personnels.

Ce manque d’attribution est une des causes de l’affaiblissement rapide de cet enseignement. Depuis 1985, dans les collèges, l’heure hebdomadaire d’éducation civique était répartie, en classe de sixième, entre les professeurs de lettres et les professeurs d’histoire et de géographie, pour les autres niveaux, elle faisait partie du service des professeurs d’histoire et de géographie. De fait, elle a été prise en charge par ces derniers. L’ECJS était proposée aux professeurs volontaires de toutes les disciplines. Mais, pour l’essentiel, elle est, aussi, le fait des professeurs d’histoire et géographie qui voient l’heure-quinzaine incluse le plus souvent dans leurs services.

Avec l’EMC, au collège et au lycée, la pratique ancienne est maintenue pour les professeurs d’histoire et géographie, même si l’intention est d’en faire un enseignement plus largement partagé.

i nterlignes

– Quel est le sens du mot « moral » dans l’EMC ? Est-ce le retour de la morale traditionnelle qui avait disparu après 1968 ?

En 2012, le ministre Peillon annonçait la mise en place d’un enseignement de la morale laïque, le rapport auquel vous avez participé s’intitule « pour un enseignement laïque de la morale » et le programme titre « enseignement moral et civique ». Pouvez-vous nous expliquer le glissement sémantique ?

Alain Bergounioux

– Dans les premières années de la IIIème République, la notion de « morale » paraissait aller de soi. Jules Ferry parlait d’enseigner la « vieille morale de nos pères ». Elle était essentiellement une « morale des vertus », cultivant les valeurs sociales reconnues. Les historiens de l’éducation ont souligné que, sur ce point, il y avait beaucoup en commun entre la morale qui était enseignée dans les écoles publiques et celle qui l’était dans les écoles catholiques. Tout cela a, peu à peu, été remis en cause et a fini par se diluer dans les années 1960 et 1970. Cela explique que le mot ait disparu au profit de la notion d’éducation civique. Mais n’en demeure pas moins la question de la responsabilité des individus eux-mêmes.

Homère le disait déjà, « il n’y a pas de rempart sans hommes » ! Dire le droit, ce qui est légalement permis ou non, ne suffit pas. D’ailleurs les programmes du collège des années 1990 ont davantage mis l’accent sur le sens des valeurs républicaines, la liberté, l’égalité, la fraternité, et de principes comme la laïcité, qui sortent du cadre principalement institutionnel des programmes de 1985.

Le débat sur la morale a repris dans les années 2000. On l’a vu dans les recommandations de 2008 et 2011 pour l’enseignement primaire. La décision de penser et de mettre en œuvre un enseignement complet moral et civique prise par le ministre Vincent Peillon, en 2012, a donné lieu à une réflexion préalable d’ensemble dans le rapport, remis l’année suivante, « Pour un enseignement laïque de la morale ». Il est parti d’un constat : notre société aujourd’hui connaît un pluralisme des valeurs qui rend impossible la définition d’une « morale absolue » guidant les choix de vie. Cela ne tient pas seulement à la réalité de convictions et de croyances différentes, mais, tout autant, à la force de l’individualisme qui fait que les individus et les familles veulent affirmer leurs choix de vie. Il n’est donc pas question de revenir à une voie passée qui ne correspond plus à ce que nous vivons – sauf à imposer un autoritarisme qui ne serait que de façade ! Tenir compte de la pluralité des conceptions présentes pour penser un enseignement moral et civique, demande de définir ce qui nous est commun, dans le cadre laïque de l’éducation nationale, les

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valeurs et les principes qui sont valables pour tous, par-delà les attachements particuliers. Tel est le projet collectif, présent dans les anciens programmes, mais pas clairement conceptualisé et explicité. Cela n’implique pas de se contenter d’un tout petit dénominateur commun. Le point d’appui incontestable réside dans le socle des valeurs de l’humanisme. Il s’exprime clairement dans les grandes déclarations des Droits de l’Homme. Ces valeurs, qui ont donné son contenu à l’EMC, comprennent, principalement, la dignité de l’homme, la liberté, l’égalité, la solidarité, l’esprit de justice, le refus des discriminations, la laïcité. Enseigner ce que nous devons à nous- mêmes et aux autres a une légitimité qui peut être largement partagée. Ancrer la formation du citoyen dans celle de la personne est un moyen pour que les valeurs de la République ne paraissent pas abstraites et lointaines. Il s’agit bien d’une morale civique commune. Cela aurait pu être l’appellation de cet enseignement. C’est pour cela que le rapport, qui a inspiré les programmes de 2014, n’a pas repris la notion d’enseignement de la morale laïque avancée par la ministre13. Car il aurait fallu définir de quelle morale laïque nous aurions parlé. Et on sait qu’il y a plusieurs conceptions de la laïcité. Et, même dans les temps fondateurs de la IIIème République, Jules Ferry et Ferdinand Buisson n’avaient pas la même interprétation, le second plaidant pour une spiritualité laïque, le premier, plutôt pour une morale commune. Or, aujourd’hui, l’important n’est pas d’imposer une morale contre une autre, mais de mettre en évidence ce qui est commun, et doit l’être, dans une société démocratique.

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Un enseignement civique incluant à la fois l’apprentissage de valeurs, de comportements et de savoirs est un enseignement complexe.

Comment le rendre concret et efficace ?

Alain Bergounioux

– La pédagogie de l’EMC fait partie intégralement du programme. Les valeurs, en effet, ne peuvent être enseignées que si l’on prend en compte toutes leurs dimensions. Une valeur a une triple dimension, intellectuelle, sensible, conative. Elle doit être construite dans une confrontation raisonnée. Car, il n’y a pas d’accord préalable entre les élèves dans l’échange que suppose l’enseignement moral et civique. Le principe à privilégier, en l’adaptant aux différents niveaux de la scolarité, est celui du libre examen auquel les élèves doivent être progressivement exercés. L’enjeu pédagogique principal, à l’œuvre dans cet enseignement, doit être l’apprentissage de la réciprocité dans la pensée et dans l’action. Apprendre, c’est, bien sûr, s’approprier des connaissances, avec les outils qui permettent de le faire, c’est, aussi, prendre conscience qu’il n’y a pas d’apprentissage, sans lien avec les autres – l’approche scientifique construit des connaissances qui ne sont valables que si d’autres arrivent aux mêmes résultats, faut-il le rappeler ? Ce qui est décisif dans l’EMC, c’est cette ouverture à l’autre. Car s’enfermer dans une seule identité est une source de violence majeure qui donne l’illusion que l’on détient seul la certitude. Débats argumentés, études de cas, présentation de dilemmes moraux, lecture de textes, pratiques de jeux de rôle, engagement dans des projets, sont autant de possibilités pour aider à la structuration d’un jugement moral. Ce n’est pas une tâche facile pour les enseignants, il faut transmettre sans imposer. Mais c’est un véritable projet collectif qui concerne toute la communauté éducative. Il implique, nécessairement, un important effort de formation initiale et continue.

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En 1999, l’ECJS innovait en faisant entrer la pratique du débat argumenté dans les classes. Le débat doit-il avoir une place prépondérante dans l’EMC et sous quelle forme ?

Une autre innovation de l’ECJS était le travail en interdisciplinarité. Qu’en reste- t-il ?

Alain Bergounioux

– Il faut rappeler que la création de l’ECJS fut le résultat d’une consultation nationale auprès des lycéens, en 1997 et 1998, qui demandèrent plus

13 VALLAUD-BELKACEM Najat, Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, d’août 2014 à mai 2017.

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d’espace d’expression. Parallèlement, la création des travaux personnels encadrés (TPE) instaurait une pédagogie de l’autonomie dans des projets donnant plus de responsabilité et de liberté aux élèves. L’ECJS s’est fondée sur ce même type de démarche dans les séries générales et dans les lycées professionnels, à l’exception des séries technologiques où l’expérimentation ne fut pas généralisée. La pratique du débat-argumenté fut inscrite au cœur de sa pédagogie. L’ECJS s’est vue dotée d’une organisation évoquant celle des travaux pratiques : un volume horaire de seize heures-année en demi-groupe. La préconisation était de pratiquer des séances mensuelles de deux heures pour éviter la dispersion. Le débat argumenté autour de thèmes, inscrits dans le programme et choisis par les professeurs, pour être utile, doit obéir à des règles précises. La préparation demande le recours à des sources documentaires diversifiées, qui relèvent de diverses disciplines. La mise en œuvre du travail préparatoire au débat peut mobiliser des techniques diverses selon le sujet abordé : dossiers de presse, exposés préparatoires, etc. Il s’agit de conduire les élèves à élaborer des argumentations construites et pertinentes pour favoriser la confrontation des points de vue. Enfin, tout débat argumenté doit donner lieu à un bilan et à une réflexion en classe. L’EMC, dans les lycées, s’inscrit dans cette continuité. Les programmes pour les trois niveaux sont recentrés et simplifiés. La mise en œuvre recommandée privilégie trois démarches tout au long de l’année : le débat argumenté en premier lieu, les projets interdisciplinaires, les partenariats. L’EMC garde le caractère interdisciplinaire qui était celui de l’ECJS. Elle fait appel, dans ses programmes, au concours de plusieurs disciplines. Mais elle est rarement mise en pratique par des professeurs relevant de plusieurs disciplines. Le risque – fréquent – est que l’ECJS hier et l’EMC aujourd’hui deviennent une simple annexe de la discipline de l’enseignant à qui elle est ponctuellement attribuée, alors qu’elle est définie comme un projet interdisciplinaire. En revanche, dans les collèges, les EPI peuvent constituer un dispositif particulièrement adapté à l’EMC. Interdisciplinaire ne signifie pas un enseignement seulement transversal, il faut veiller au principe même de l’interdisciplinarité.

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L’EMC met l’accent sur « le vivre ensemble ». Quelles notions importantes mettez-vous derrière ce terme ?

On perçoit assez bien la nécessité de revenir sur la profondeur historique de certains thèmes et notions. Néanmoins quelle place la géographie peut-elle occuper en EMC ?

Dans ce programme d’EMC, la République est évoquée dans ses aspects institutionnels et politiques mais peu ou pas dans ses aspects sociaux et économiques. Comment expliquez-vous que le programme fasse peu de place à la question sociale ?

Alain Bergounioux

– La notion du « vivre ensemble » vient, en effet, à plusieurs reprises dans les programmes, essentiellement pour l’école primaire. Le contenu n’en est pas, pour autant vague. L’enseignement moral et civique vise une appropriation libre et éclairée par les élèves des valeurs et des principes qui fondent la démocratie française. Nous les avons rappelés dans une question précédente. C’est ce qui permet de relier les individus à ce qui doit leur être commun. Ces valeurs et ces principes sont transmis, à la fois, dans leur dimension intellectuelle et dans leur dimension sensible, c’est-à-dire pour leur raison d’être et ce qu’ils induisent comme conduite et comme engagement. La finalité de cet enseignement est d’aider les élèves à agir dans leur relation à l’autre, et repose, par là-même, sur la prise de responsabilité et présente les différentes formes d’engagement dans notre démocratie. La République est donc évoquée dans ses aspects institutionnels et politiques mais également dans ce qui concerne l’égalité dans ses différentes manifestations, au collège et au lycée, avec les formes d’engagement syndical et associatif, et plusieurs questions, sociales, la fiscalité, la citoyenneté et la société de l’information figurent dans les programmes au lycée. La question sociale, comme telle, relève davantage des programmes d’histoire et de géographie comme de ceux des sciences économiques et sociales. Les valeurs et les principes étudiés offrent, de toute manière, la liberté pour les enseignants de prendre pour leurs pratiques de classe, des exemples dans l’histoire et l’actualité sociale. Enfin, ces programmes de l’EMC demandent évidemment d’utiliser les connaissances historiques mais pas

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seulement. La géographie telle qu’elle est enseignée aujourd’hui, offre la possibilité d’utiles comparaisons avec l’organisation d’autres sociétés ou d’autres régions du monde. Ainsi, l’étude de la laïcité peut être enrichie par une géographie des religions et des croyances et l’analyse des différents rapports qui existent dans le monde entre les États et les religions. De manière générale, les programmes sont inscrits de telle façon qu’ils concernent potentiellement toutes les disciplines, et ils suggèrent à chaque enseignant qu’il se demande en quoi ce qu’il enseigne peut également contribuer à la formation morale et civique des élèves. Les projets interdisciplinaires sont une opportunité pour allier ces préoccupations et montrent que ce qui est enseigné est porteur de sens.

Alain Bergounioux Inspecteur général honoraire de l’Éducation nationale

Dessin de Deligne Frédéric, publié dans un article du quotidien La Croix, en date du 27.08.2013, intitulé « Vincent Peillon affiche sa charte de la laïcité dans les écoles »14

14 Article de PEIRON Denis et NOYON Rémi, « La Croix », voir : http://www.la-croix.com/ et deligne.fr/

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