CHAPITRE I : Introduction générale
En mai 1978, alors que les physiologistes estimaient l'exploit impossible, Reinhold Meissner et Peter Habeler arrivent au sommet de l’Everest (8848 m) sans apport artificiel d’oxygène. En atteignant le plus haut sommet du monde, ces deux athlètes exceptionnels, avaient également atteint leur limite physique.
« A l’arrêt, nous ne pouvons même plus tenir sur nos jambes, nous restons accroupis, agrippés aux manches de nos piolets. Respirer est si épuisant qu’il nous reste à peine la force de continuer à marcher. Tous les dix ou quinze pas, nous nous écroulons sur la neige pour une brève halte avant de continuer notre reptation. » [121]
Ce récit décrit parfaitement les conditions d’ascension à des altitudes aussi extrêmes et met en évidence la diminution de la capacité à fournir un effort maximal lorsque la pression en oxygène de l’air ambiant est réduite.
La diminution de l’aptitude à l’effort en altitude a été décrite depuis que les hommes se sont mis à escalader de hauts sommets, mais, à l’heure actuelle, il reste, beaucoup de controverses quant à savoir si le facteur principal de limitation de l’effort en altitude est cardiaque, pulmonaire ou musculaire [63].
Au premier abord, on pourrait croire que la réduction de la pression d'oxygène dans l'atmosphère en altitude, se répercutant jusqu'aux mitochondries musculaires est un fait suffisant pour expliquer la diminution de l'aptitude à l'effort. Néanmoins, de nombreuses études entreprises ces 50 dernières années ont démontré que d’autres effets physiologiques de l'altitude peuvent affecter la disponibilité et le transport de l'oxygène vers les muscles actifs et donc limiter l'effort.
La performance physique aérobie peut-être affectée par tout facteur modifiant un des
processus impliqués dans le transport de l'oxygène de l’air ambiant aux mitochondries ainsi
que par tout facteur altérant son utilisation. Or, malgré d’autres explications possibles,
l’observation faite en 1964 par Pugh et ses collaborateurs montrant que le débit cardiaque
maximal diminue en haute altitude tout en restant proportionnel au niveau de l’effort renforce
l’hypothèse d’une limitation cardiaque de l’aptitude à l’effort en altitude [138,139]. Il a
récemment été estimé que les deux tiers de la diminution de l’aptitude à l’effort à 5300 m
d'altitude peuvent être attribués à une diminution du contenu artériel en oxygène suite à la baisse de la pression en oxygène de l’air ambiant, et qu’un tiers de la diminution de la performance physique serait lié à une limitation du débit cardiaque maximal [32].
Jusqu’ici, le mécanisme de la diminution du débit cardiaque maximal en hypoxie reste incompris.
Pourquoi ne serait-ce pas la constriction des vaisseaux pulmonaires (observée quand le poumon est soumis à un environnement hypoxique), qui, en élevant la postcharge ventriculaire droite limiteraient le débit cardiaque maximal et l'apport d'oxygène sanguin vers les muscles en fin d’effort et serait à l'origine d'une diminution de la performance physique en altitude [67] ?
Voici la question initialement posée par Ghofrani et ses collaborateurs [67], à laquelle ce travail va tenter d’apporter quelques éléments de réponse.
Une meilleure compréhension des limitations de l'effort en hypoxie nous parait importante, non seulement pour l’amélioration des performances sportives des voyageurs en haute altitude mais également pour améliorer la qualité de vie des résidents et travailleurs en haute altitude. À l'heure actuelle, on estime que le nombre de visiteurs en montagne approche les 40 millions chaque année [190] et que plus de 140 millions de personnes vivent à une altitude supérieure à 2500 m [125]. De plus, l’hypertension pulmonaire d’altitude peut être impliquée dans la pathogenèse de mauvaises adaptations à l’altitude telles que l’œdème pulmonaire d’altitude [187] ou une défaillance cardiaque droite [116]. Même au niveau de la mer, un bon nombre de patients souffrent d’hypertension pulmonaire liée à des pathologies pulmonaires hypoxiques. Comme souligné précédemment, si l’hypertension pulmonaire peut limiter l’effort et la qualité de vie, il pourrait, en fait, s’agir d’un problème de santé publique majeur.
Dans ce travail, en introduction théorique, après une description de la limitation de
l’effort aérobie en altitude, seront passées en revue les causes principalement envisagées
comme étant à l’origine de ce phénomène. Parmi les explications citées, nous nous attarderons
sur l’hypothèse qu’une diminution du débit cardiaque maximal observée en hypoxie est à
l’origine de la limitation de l’aptitude aérobie en altitude. Les différents mécanismes
classiquement proposés pour expliquer une réduction du débit cardiaque en altitude seront
brièvement détaillés. Parmi ceux-ci, une hypothèse récemment proposée [67] stipulant que la constriction des vaisseaux pulmonaires en hypoxie limite le débit cardiaque maximal droit par augmentation de sa postcharge, retiendra toute notre attention et fera l’objet des investigations menées dans trois études distinctes, décrites dans le chapitre 3, 4 et 5 (figure 1).
Dans la première étude, par le biais du sildénafil, un inhibiteur de la vasoconstriction pulmonaire hypoxique, nous monterons qu’une vasodilatation pulmonaire peut contribuer à améliorer la performance aérobie en haute altitude. Cependant, la prise de sildénafil étant couplée à une élévation de l’oxygénation durant l’effort, il est alors difficile de déterminer dans quelles proportions une élévation de l’oxémie ou un effet hémodynamique permettent une amélioration de l’aptitude aérobie en hypoxie. Dès lors, dans la suite de ce travail nous tenterons de déterminer les contributions respectives des changements vasculaires pulmonaires et des échanges gazeux induits par l'administration d’agents pharmacologiques, l’acétazolamide d’abord (deuxième étude) et le bosentan ensuite (troisième étude), chez des sujets sains à l'effort en haute altitude.
Figure 1 :
Parmi les différents mécanismes à l’origine d’une limitation de l’aptitude à l’effort en hypoxie,
nous nous attarderons sur une limitation cardiaque à l’effort. Parmi les différentes hypothèses
proposées pour l’expliquer, nous explorerons la piste d’une élévation de la postcharge droite sur
hypertension pulmonaire induite par l’hypoxie comme facteur limitant le débit cardiaque
maximal. Par le biais d’agents pharmacologiques, le sildénafil, l’acétazolamide et le bosentan,
nous tenterons de déterminer en quelle proportion une inhibition de la vasoconstriction
pulmonaire hypoxique et une amélioration de l’oxygénation peuvent contribuer à rétablir la
performance aérobie en haute altitude.
CHAPITRE 2 : Introduction théorique
1. Contexte historique
Les mécanismes de la diminution de l’aptitude à l’effort en haute altitude ont toujours fasciné les scientifiques.
En 1786, lorsque le docteur Michel-Gabriel Paccard et Jacques Balmat atteignent le sommet du mont Blanc (4807 m), les malaises qu’ils ressentent en effectuant cette première ascension du plus haut sommet des Alpes sont attribués, à l’époque, à la température et à la stagnation de l’air. L’année suivante, Horace-Benedict de Saussure (1740-1799), physicien et géologue, effectua la deuxième ascension du mont Blanc, et enregistra lors de cette expédition sa fréquence cardiaque, sa respiration, et nota soigneusement chacun de ses symptômes.
« Je ne fais que seize pas au plus et mes repos sont plus longs que mes marches, enfin je suis obligé de m'asseoir et le moindre mouvement comme d’écarter la neige qui couvre le dessus de mon pied me donne presque une défaillance. (…) L'air étant réduit à la moitié de sa densité habituelle, des mécanismes de compensation adaptent la fréquence des respirations pour palier au manque de la densité de l’air. Telle est la cause de la fatigue que l'on éprouve en haute altitude. Car, si la respiration s'accélère, il en est de même pour la circulation [47]. »
Août 1787, ascension du mont Blanc par Horace-Benedict de Saussure pour réaliser ses
expériences, accompagné de son valet de chambre et de 18 guides.
Horace-Benedict de Saussure décrivait parfaitement la difficulté à fournir un effort lors d’une ascension en haute altitude et attribuait déjà cet état de faiblesse aux effets de la chute de la pression atmosphérique sur le système respiratoire et cardiovasculaire.
Cependant, il fallut encore un siècle avant que le savant français Paul Bert (1833-1886), premier scientifique à réaliser des expériences en caisson, n’établisse le lien entre la diminution de la pression barométrique et la diminution de la pression inspirée en oxygène (P
iO
2) [187].
Dès le début du vingtième siècle, différentes expéditions scientifiques et expériences en caisson hypobare ont récolté de nombreuses données et ont pu démontrer que l’aptitude à fournir un effort aérobie diminuait en altitude. Les travaux de Haldane, Barcroft, Keys, Pugh, Cerretelli, West, Sutton, et bien d’autres encore, ont tous contribué, étape après étape, à une meilleure compréhension des mécanismes d’ajustements physiologiques mis en place lors d’un effort en hypoxie [190].
Parmi les principales expéditions en haute altitude, citons l’expédition anglo- américaine « Silver Hut » [140] durant laquelle les physiologistes passèrent plus de 8 mois à 5800 m d’altitude dans une cabane
argentée préfabriquée. Durant cette expédition, différentes variables de la cascade d’oxygène de l’air ambiant jusqu’aux tissus ont été mesurées et étudiées. Mike Ward et John West ont effectué des mesures de consommation maximale d’oxygène (VO
2max)
*à 7440 m d’altitude sur le col du mont Makalu
au Népal [138]. Il s’agissait là des tests d’effort effectués à la plus haute altitude, jusqu’à il y a quelques mois, où une expédition anglaise « Caudwell Xtreme Everest » a surenchéri l’exploit en effectuant des ergospirométries à 7950 m d’altitude sur la face sud de l’Everest [73].
*
La VO
2max correspond au volume maximal d'oxygène pouvant être consommé par unité de temps lors d'un
exercice dynamique aérobie maximal. Il s’agit d’un important déterminant de la puissance aérobie et un
excellent indicateur du potentiel de performance dans les épreuves d'endurance. La VO
2max est classiquement
déterminée de façon standardisée en laboratoire par un test d’ergospirométrie.
En 1981, l’« American Medical Research Expedition to Everest » a récolté de nombreuses données sur l’effort, principalement à 6300 m d’altitude mais également à un degré d’hypoxie supérieur par inspiration d’un gaz appauvri en O
2. A une P
iO
2correspondant au sommet de l’Everest, la VO
2max dépassait à peine 1 L/min [188]. D’autres mesures effectuées lors de cette expédition ont, entre autre, permis d’évaluer la composition des gaz alvéolaires au sommet de l’Everest [189].
Toutefois, les conditions de terrain étant bien souvent rudes et dangereuses, des mesures invasives ou plus pointues sont souvent impossibles. Seules les expérimentations en caisson hypobare permettent ce genre d’investigations. Trois grandes séries d’études en caisson hypobare, surnommées « Opération Everest », car simulant une ascension de plus de 40 jours jusqu'au sommet de l'Everest, ont été réalisées en 1944, 1985 et 1997. L’Opération Everest II [92] fit considérablement progresser les connaissances de la physiologie de l’altitude. Lors de cette étude, des tests d’efforts réalisés à différents degrés d’hypoxie ont clairement montré une dégradation de la performance aérobie avec l’altitude. Et, dans des conditions simulant une altitude de 8848 m, la charge maximale et la VO
2max valaient moins d’un tiers de leur valeur du niveau de la mer (1,17 L/min par rapport à 4L/min en normoxie) [41]. Les valeurs mesurées lors de cette étude correspondaient assez bien à celles qui avaient été prédites précédemment par West et Pugh [138,191]. De plus, cette étude a permis, entre autre, des mesures des pressions vasculaires pulmonaires par cathétérisme cardiaque [76,143]
et des biopsies musculaires [71].
Des mesures de VO
2max réalisées à différents niveaux d’altitude, dans différentes conditions (avec ou sans acclimatation, en montagne ou en caisson hypobare) et sur différentes populations (résidents de hauts plateaux ou résidents du niveau de la mer) ont permis de mettre en évidence que l’aptitude à l’effort aérobie diminue proportionnellement à la baisse de la pression atmosphérique (figure 2, page 7). La VO
2max chute de façon non- linaire avec l’altitude et cela, quelles que soient les conditions expérimentales.
La baisse de la VO
2max est déjà significative sous 1000 m d’altitude. Jusqu’à 4000 m, la
chute de la VO
2max est proportionnelle à l’altitude et la diminution de la performance est
alors principalement expliquée par une réduction de l'apport d'oxygène aux tissus due à la
diminution du contenu artériel en oxygène (C
aO
2) liée à la baisse de P
iO
2[32,62]. Au-delà de
4000 m d’altitude, en hypoxie sévère, l'altitude induit une diminution de la VO
2max hors
proportion de la diminution de la P
iO
2. D’autres mécanismes sont donc à l’origine de
l’altération de la performance en altitude. Au sommet de l’Everest, à une pression
atmosphérique de 253 mmHg, la VO
2max se situe autour de 15 ml/min/kg soit, moins de 30
% de sa valeur du niveau de la mer [41,188]. On notera également qu’avec l’acclimatation, la VO
2max augmente peu par rapport à sa valeur en hypoxie aiguë et elle ne retrouve en aucun cas sa valeur du niveau de la mer. D’ailleurs, la chute de la VO
2max semble être identique chez les voyageurs en haute altitude et chez les résidents de haute altitude, bien que certains peuples, tels que les tibétains, ont acquis au cours des générations une plus grande adaptation à la vie et à l’effort en haute altitude [30,38].
Diminution de la consommation maximale d'oxygène avec l'altitude
Figure 2 :
Diminution de la VO
2max (pourcentage de la valeur mesurée au niveau de la mer) en fonction de la pression atmosphérique et de l'altitude. Ce graphique met en évidence la diminution de la VO
2max avec le degré d’hypoxie observée lors de différentes études de terrain ou en caisson hypobare.
Symboles vides : hypoxie aiguë ; Symboles remplis: hypoxie chronique ; Triangles : natifs de
haute altitude ; Croix : Opération Everest II ; Losanges : Opération Everest III ; Etoile :
sommet de l'Everest (par extrapolation) [147].
2. Diminution de l’aptitude à l’effort aérobie en altitude 2.1 Adaptations physiologiques à l’altitude
Dans les années septante, d’après l’extrapolation de la relation qui relie la VO
2max à la pression barométrique observée lors d’expériences précédentes (durant la « Silver Hut Expedition » par exemple) on estimait que tout l'oxygène disponible au sommet de l’Everest était nécessaire au métabolisme de base [191]. En d'autres termes, il semblait à l’époque, qu’à cette altitude, il n'y avait pas assez d'oxygène disponible pour l'effort physique et l’ascension.
Or, c’est en 1978, que pour la première fois, Reinhold Meissner et Peter Habeler prouvèrent au monde entier que la vie sans apport supplémentaire d’oxygène était possible au sommet de l’Everest. Cet événement suscita un engouement scientifique et diverses expéditions sont alors organisées à des altitudes extrêmes et jusqu'au sommet de l'Everest. Des collectes de gaz alvéolaire et de sang ont, pour la première fois, été effectuées à des altitudes supérieures à 8000 m [187].
Données récoltées lors de l'American Médicale Research Expédition au mont Everest en 1981.
Altitude Patm, mmHg
P
iO
2mmHg
P
AO
2mmHg
P
ACO
2mmHg
P
aO
2mmHg
P
aCO
2mmHg
pH
0 m 760 149 100 40 95 40 7.40
8848 m 253 43 35 7.5 28
∗7.5* 7.7*
En haute altitude, la chute de la pression atmosphérique (Patm) et de la P
iO
2entraîne une diminution de la pression en O
2au niveau des alvéoles (P
AO
2). Cette diminution de P
AO
2limite l’oxygénation du sang veineux mêlé des capillaires pulmonaires. Tant que la P
AO
2est maintenue à des valeurs égales ou supérieures à 60 mmHg, la saturation artérielle en oxygène (S
aO
2) reste supérieure à 90 %, et le transport d'oxygène vers les tissus est préservé.
L'exposition à une altitude plus sévère est associée à un chémo-réflexe périphérique stimulant la ventilation et ayant pour but de maintenir la P
AO
2proche de sa valeur du niveau de la mer.
Cette hyperventilation induit une baisse de la pression alvéolaire et artérielle en CO
2(P
ACO
2, P
aCO
2) et entraîne une alcalose ventilatoire. Malgré un niveau de ventilation élevé, une diminution de la P
AO
2en haute altitude est inévitable. Et, suite à cette baisse de P
AO
2, la P
aO
2∗
valeurs estimées. Elles sont assez proches de celles enregistrées en caisson lors de Opération Everest II et III.
Les analyses toujours en cours de sang artériel et veineux prélevés à 8475 m (soit à moins de 400 m du sommet
de l’Everest) il y a quelques mois nous révéleront peut-être si ces estimations sont exactes.
et la S
aO
2chutent, réduisant ainsi le contenu artériel en oxygène et le transport d'oxygène vers les tissus [62].
Le transport d'O
2par convection (TO
2), reflet de la quantité d’O
2délivré aux tissus, correspond au débit cardiaque (Q) multiplié par le contenu artériel en oxygène (C
aO
2) ;
TO
2= Q x C
aO
2avec Q, produit de la fréquence cardiaque (FC) et du volume d'éjection systolique (VES) ; Q = FC x VES
et avec C
aO
2dépendant du taux d'hémoglobine (Hb), de la saturation artérielle en oxygène (S
aO
2) et de la pression partielle artérielle en oxygène (P
aO
2) ;
C
aO
2(ml/dl) = Hb (g/dl) x 1,34 (ml) x S
aO
2(%) + 0,003 x P
aO
2(mmHg)
*La consommation d'oxygène (VO
2) est égale au produit du débit cardiaque et de la différence de contenu artério-veineux en oxygène (C
aO
2-C
vO
2) ;
VO
2= Q x (C
aO
2-C
vO
2)
À l'effort maximal, la VO
2max dépend donc du débit cardiaque maximal et de la différence de contenu artério-veineux en fin d’effort. Étant donné que l'extraction maximale d'oxygène en atteint à peu près les mêmes valeurs chez les sujets sains, qu'ils soient entraînés ou sédentaires, et chez des patients souffrant de pathologies cardiaques ou pulmonaires [60,183], il est clair que la VO
2max dépendra alors principalement du débit cardiaque maximal et du contenu artériel en oxygène.
Lors d’une ascension rapide en altitude ou lors d’une hypoxie induite de façon aiguë, la VO
2max diminue proportionnellement au degré d'hypoxie. Dans ces conditions, la P
iO
2diminuée induit une baisse de la S
aO
2et de la P
aO
2. Le C
aO
2est alors nécessairement réduit et affecte la VO
2max.
Selon les différents auteurs, en hypoxie aiguë, la FCmax et le Qmax peuvent être diminués [67,113,168] ou atteignent des valeurs proches de celles du niveau de la mer [91,179]. La diminution de la VO
2max est alors essentiellement attribuée à une diminution du C
aO
2[32,
*
1,34 ml correspond à la capacité de fixation maximale de l’O
2sur un gramme d’Hb
0,003 correspond au coefficient de solubilité de l’O
2dans le sang.
62]. En hypoxie aiguë, la moitié de la diminution du C
aO
2mesurée à l’effort est attribuée à la diminution de la P
iO
2et l'autre moitié à une élévation du gradient de pression alvéolo-artériel en oxygène [32]. Cette élévation de gradient de pression à l’effort en hypoxie semble être principalement liée à une limitation de la diffusion pulmonaire de l'oxygène et éventuellement à une altération du rapport ventilation/perfusion [190].
D’autre part, si l'exposition à l'altitude se prolonge, d’autres mécanismes d'acclimatation en plus de l’hyperventilation se mettent en place, le principal étant la production d'érythropoïétine par le cortex rénal, en réponse à une baisse de pression en oxygène, permettant l'activation de la production d’érythrocytes à partir des cellules souches immatures de la moelle osseuse. Ce phénomène permet d'augmenter le C
aO
2par élévation de la quantité d'hémoglobine circulante. De plus, l’hyperventilation visant à maintenir une P
AO
2élevée et un déplacement de la courbe de dissociation de l'hémoglobine
*permettent une meilleure saturation de l'hémoglobine en oxygène [40,148]. En hypoxie chronique, le C
aO
2retrouve une valeur proche ou même plus élevée qu’au niveau de la mer [108]. Ce phénomène n'est cependant pas associé à un retour de la VO
2max vers sa valeur de base. D’ailleurs, de nombreuses études ont mis en évidence qu'une amélioration du C
aO
2grâce au phénomène d'acclimatation n'avait que peu ou pas d'effets sur la VO
2max (figure 2) [15,16,63,171].
L'augmentation de la VO
2max après acclimatation est relativement faible comparée à l'élévation remarquable du C
aO
2. Potentiellement, la VO
2max aurait donc pu s'élever de façon beaucoup plus importante. Par exemple, lors d'un séjour à 5050 m, la VO
2max chuta de 47 % dès l’arrivée en altitude et s’éleva ensuite de 4 % après 15 jours et de 8 % après 35 jours d’acclimatation [70]. Ceci s'expliquerait par un débit cardiaque maximal diminué et une distribution préférentielle du flux sanguin vers les tissus n'effectuant pas l'effort. En effet, on sait depuis longtemps que l’exposition à une hypoxie sévère est associée à une réduction du débit cardiaque maximal [138] et à une redistribution sanguine limitant le flux sanguin vers les muscles actifs [33].
Il a été estimé que les deux tiers de la diminution de la VO
2max à 5300 m d'altitude, au camp de base du Mont Everest, peuvent être attribués à une diminution du C
aO
2, et qu’un tiers de la
*
Dans un premier temps, lors des premières heures passées en hypoxie, l’alcalose respiratoire déplace la courbe
de dissociation de l’Hb vers la gauche (Effet Bohr). Ensuite, avec l’acclimatation, la courbe de dissociation de
l’Hb se déplace légèrement vers la droite due à une production accrue de 2,3-diphosphoglycerate dans les
hématies. Ce déplacement facilite une libération de l’O
2vers les tissus mais diminue en contrepartie la captation
de l’O
2au niveau des capillaires pulmonaires. La baisse de SaO
2induite par un déplacement de la courbe de
dissociation de l’Hb vers la droite semble cependant pouvoir être contrebalancée à l’effort par une élévation de
l’extraction d’O
2[182]. Notons que les espèces animales et humaines les mieux adaptées à l’altitude (tibétains,
vigognes, lamas, etc.) ont un déplacement de la courbe de dissociation de l’Hb vers la gauche [155].
diminution de la performance physique serait due à une limitation du débit cardiaque maximal [32].
2. 2 L’ergospirométrie d’altitude
En haute altitude, tout grimpeur atteint un degré de fatigue extrême associé à l’accomplissement d’un très faible niveau absolu de travail mécanique. Cette limitation du niveau d’effort est également illustrée à la figure 3 par des mesures individuelles de consommation d’O
2(VO
2), de production de CO
2(VCO
2), de ventilation (VE) et de fréquence cardiaque (FC), enregistrées lors d’une ergospirométrie sur cycloergomètre réalisée chez un sujet sain en normoxie d’abord et ensuite, après deux semaines d’acclimatation à une altitude de 5000 m sur le mont Chimborazo en Equateur.
A 5000 m d’altitude, on observe typiquement une diminution de la charge maximale et de la VO
2max de 40 % environ, avec une relation VO
2-charge inchangée et une ventilation maximale préservée, malgré une notable augmentation de l'équivalent ventilatoire en CO
2(VE/VCO
2).
Dans cet exemple, la charge maximale de 350 W en normoxie n’était plus que de 200 W en hypoxie et la VO
2max diminua de 56 ml/min/kg à 32 ml/min/kg.
De manière générale, au repos et à chaque niveau d’effort sous-maximal, le débit ventilatoire est plus élevé en hypoxie qu’en normoxie. En fin d’effort, la VE maximale atteint sa valeur du niveau de la mer et peut parfois même la dépasser [138,188,189].
Dans un environnement hypoxique, la fréquence cardiaque est augmentée au repos et à l’effort sous-maximal par rapport à sa valeur au niveau de la mer. En fin d’effort en hypoxie, la FC peut être inférieure, égale ou légèrement augmentée par rapport à sa valeur au même niveau d’effort en normoxie. Mais la FC maximale atteinte est toujours diminuée en hypoxie.
En effet, il a largement été démontré que la fréquence cardiaque maximale s’atténue
progressivement avec l’élévation d'altitude, pouvant descendre jusqu'à des valeurs de 120
battements par minute au sommet de l’Everest [8,143].
Ergospirométrie réalisée en normoxie et en hypoxie chronique
0 20 40 60 80 100 120 140 160
0 100 200 300
Charge, W
VE, L/min
0 30 60 90 120 150 180
0 100 200 300
Charge,
WFC, bpm
0 1 2 3 4
0 100 200 300
Charge, W VO 2 ,
L/min
0 1 2 3 4 5 6
0 100 200 300
Charge, W
VCO
2L/min
Figure 3 : Test d'effort maximal chez un volontaire sain au niveau de la mer (ronds rouges) et après deux semaines d’acclimatation (triangles bleus) à 5000 m d’altitude [94].
A une altitude de 5400 m, le pH artériel est proche de la normale ou légèrement alcalin
chez des sujets acclimatés [180]. A l’effort, l’alcalose respiratoire s’accentue et la P
ACO
2tend
à diminuer alors que le taux de lactate sanguin reste étonnement bas à l’effort en hypoxie
chronique [180]. Un effort en hypoxie aiguë par contre s’accompagne d’une lactatémie
élevée. La lactatémie paradoxalement basse durant l'effort en hypoxie chronique serait un
effet de l’acclimatation et est décrite sous le nom de « paradoxe lactique » [186]. Ce
phénomène s’accentue avec l’altitude. D’ailleurs, l’extrapolation des mesures de
concentration sanguine en lactate en fin d’effort chez des sujets acclimatés et des résidents en
haute altitude suggère que la lactatémie ne s’élèverait plus à l’effort lorsque l’on dépasse 7600 m d’altitude [37].
Dans des conditions d’hypoxie extrêmes, la S
aO
2déjà basse en début d'exercice peut
ensuite chuter jusqu'à 40 % à l'effort maximal, atteignant ainsi un niveau dangereusement bas
pour l'oxygénation du cerveau et autres organes vitaux. Dans l'exemple illustré à la figure 3, la
S
aO
2à 5000 m de 82 % au repos a baissé durant l’effort jusqu’à 72 %.
3. Mécanismes de diminution de l’aptitude à l’effort en altitude.
Selon les courants et les auteurs, différents mécanismes susceptibles de limiter la VO
2max en haute altitude ont été proposés ; Ils comprennent une limitation de la commande nerveuse centrale [20], de la ventilation maximale [39], de la diffusion pulmonaire [181], du débit cardiaque maximal [176], de la diffusion tissulaire [177] et du potentiel oxydatif musculaire [87].
3. 1 Commande nerveuse centrale
Pour certains auteurs, le réel facteur limitant l'exercice d'endurance est situé au niveau cérébral, que ce soit au niveau de la mer ou en altitude. À l'effort maximal, la cessation d'activité apparaît lorsqu’une sensation subjective d'inconfort, au-delà d'un certain seuil, devient trop intense. Une décision consciente d'arrêt d'exercice est alors prise et une réduction de la commande motrice apparaît [100]. La perception de cet inconfort intense est probablement multifactorielle et est influencée par différents influx nerveux en provenance de différentes sources (cardiaque [132], musculaire [103], système nerveux central [96,100], système respiratoire, muscles respiratoires [20,46], variation de concentration de neurotransmetteurs [167], récepteurs juxta-capillaires pulmonaires sensibles à l’hypertension [134], etc.). Les différents influx sont probablement les mêmes en normoxie et en hypoxie, mais leur importance relative et leur intégration par le système nerveux central peuvent être modifiées en hypoxie [97,192].
Selon cette théorie, une limitation centrale du degré de recrutement des fibres musculaires
déterminerait la charge maximale, le débit cardiaque maximal et la VO
2max, et non l’inverse
[119,130,131]. Une limitation centrale précoce lors d'un effort en hypoxie est compatible avec
l'absence de signes de fatigue métabolique périphérique et une lactatémie faible en hypoxie
chronique. Mais actuellement, les mécanismes et les voies afférentes doivent encore être
identifiés pour donner plus de poids à cette hypothèse.
Modèle hypothétique de la limitation de l’effort par la commande nerveuse centrale
Figure 4 : Dans ce modèle, le système nerveux central reçoit différents influx de différentes sources (le cerveau lui-même, le cœur, le système respiratoire, les tendons, les muscles, etc.) et induit une limitation de l'intensité et de la durée de l'effort en inhibant la commande motrice afin de protéger l'intégrité de l'organisme [100].
3. 2 Modèles multi-factoriels
Au niveau périphérique, chaque étape du transport de l'oxygène de l'air ambiant jusqu'aux mitochondries musculaires est susceptible de contribuer à la limitation de l’aptitude à l’effort en hypoxie.
Au début des années nonante, Di Prampero développa un modèle mathématique basé sur le principe que chaque résistance physiologique au transport d'oxygène dans l’organisme (ventilation alvéolaire, diffusion pulmonaire, transport d’O
2dans le sang et diffusion tissulaire) est considérée comme responsable d’une certaine fraction de la limitation de la VO
2max [48,49,57]. L’application de ce modèle en altitude affirme que plus le degré d’hypoxie est important, plus l'implication relative d’une limitation de la ventilation et de la diffusion pulmonaire à l'effort est importante. Cette conclusion apparaît également dans un modèle théorique similaire établi par Peter Wagner fin des années nonante, où la limitation de l’effort en hypoxie est estimée se situer au niveau de la ventilation et des étapes de diffusion pulmonaire et tissulaire [175].
Toutefois, l'applicabilité de ces modèles reste restreinte, entre autre, par le fait que toutes les
résistances au flux d'oxygène ne sont pas envisagées (par exemple, une distribution sanguine
inhomogène, un shunt fonctionnel et structurel de la circulation pulmonaire ou autres
altérations du rapport ventilation/perfusion, etc.). De plus, ces modèles ne tiennent pas compte
des différentes interactions physiologiques pouvant jouer un rôle non négligeable. Par
exemple, une fatigue des muscles respiratoires peut entraîner une vasoconstriction
périphérique qui peut limiter la perfusion musculaire [46].
3. 3 Travail respiratoire et limitation ventilatoire
En haute altitude, la diminution de la densité de l'air permet une élévation de la ventilation maximale minute (VMM)* et le travail du transport des gaz par convection dans les voies aériennes à haut niveau d'effort peut être diminué. Cette atténuation du travail respiratoire est cependant contrebalancée par le coût énergétique nécessaire à une hyperventilation extrême en hypoxie durant l'effort. Il a clairement été montré que malgré une densité d'air diminuée le résultat net du travail respiratoire à chaque niveau d'effort était augmenté par le coût élevé de l'hyperventilation en haute altitude [39,160]. Tout effort en haute altitude requiert donc un haut niveau de ventilation et utilise une quantité d'énergie non négligeable pour atteindre ce degré de ventilation. Toutefois, une réponse ventilatoire élevée en fin d’effort peut s’avérer avantageuse en améliorant les échanges gazeux et en induisant une alcalose respiratoire avec décalage vers la gauche de la courbe de dissociation de l’Hb.
D’ailleurs, de manière générale, les alpinistes ayant une plus grande réponse ventilatoire à l’hypoxie semblent être plus performants que ceux dont l’adaptation ventilatoire est moins efficace [159,188]. Cependant, à partir d’une certaine altitude, la ventilation maximale a tendance à diminuer (figure 5).
Evolution de la ventilation volontaire maximale avec l’altitude
Figure 5 : Ventilation maximale à l’effort en fonction de la P
iO
2. Les niveaux de ventilation les plus élevés ne sont pas observés aux l’altitudes les plus hautes [190].
*
volume d’air maximal qui peut être inspiré et expiré le plus rapidement et le plus profondément possible en une
minute.
Si une réponse ventilatoire élevée est un avantage manifeste, pourquoi la ventilation ne s’élève-t-elle pas davantage à l’effort en hypoxie?
Tout d’abord, la charge maximale de fin d’effort est considérablement réduite à ces niveaux d’altitude. Ensuite, l'activité des muscles respiratoires pourrait, elle-même, être limitée par l’hypoxie ; la consommation d'oxygène nécessaire aux muscles respiratoires lors d’une hyperventilation intense est telle qu’elle compromettrait la disponibilité de l’O
2pour les autres tissus. Le coût respiratoire en haute altitude est estimé à 26% de la VO
2max alors qu'au niveau de la mer, ce coût se situe à 5,5% [39]. De plus, la fatigue diaphragmatique apparaît à des niveaux d'effort de 85% de la VO
2max, un effort au-delà de ce niveau pourrait nécessiter un trop grand coût énergétique, critique en haute altitude, et la fraction du débit cardiaque maximal nécessaire à l'approvisionnement des autres muscles respiratoires pourrait limiter le flux sanguin des muscles en exercice. Selon Babcock et coll., il pourrait y avoir compétition entre les muscles locomoteurs et le diaphragme pouvant entraîner une fatigue musculaire précoce [9], expliquant une PaCO
2paradoxalement plus élevée chez les alpinistes élites les plus performants [19]. Dempsey et coll. complétèrent cette idée en introduisant l’hypothèse qu’une activation du métaboréflexe par la fatigue des muscles respiratoires en fin d’effort induirait une vasoconstriction périphérique et une fatigue musculaire limitant ainsi l’effort maximal aérobie par un mécanisme périphérique, en limitant le TO
2vers le muscle mais également central, en intensifiant la perception d’inconfort (figure 6) [46].
Limitation de l’effort par fatigue des muscles respiratoires
Figure 6 : Représentation schématique d’une limitation de l’effort par métaboréflexe des
muscles respiratoires. Le métaboréflexe initié par la fatigue des muscles respiratoires stimule
l’activité sympathique et induit une vasoconstriction des vaisseaux musculaires. L’accélération
de la fatigue musculaire et l’intensification de la perception d’inconfort limiterait l’effort [46].
3. 4 Diffusion pulmonaire
Les propriétés de diffusion d'un poumon normal sont souvent considérées comme parfaitement adéquates à l'équilibration de la pression en oxygène entre les gaz alvéolaires et le sang à la sortie des capillaires pulmonaires. Néanmoins, ceci est loin d’être le cas à l’effort en hypoxie sévère ou à des altitudes extrêmes. Il s’agit de la première cause de diminution de la P
aO
2et de la S
aO
2à l’effort. Plusieurs facteurs contribuent à cette limitation de diffusion en haute altitude : tout d'abord, une diminution du gradient alvéolo-artériel réduit la pression motrice du transfert alvéolo-capillaire de l’oxygène, et ce, plus la P
iO
2est basse [176]. Bien que la réponse ventilatoire à l'hypoxie tente d'atténuer ce phénomène, une hyperventilation, même élevée, ne suffit pas à pallier l'hypobarie ambiante. Ensuite, les échanges d’oxygène ayant lieu sur la partie pentue de la courbe de dissociation de l'oxyhémoglobine, les processus de diffusion de l'oxygène au niveau pulmonaire et musculaire sont largement défavorisés en haute altitude. Le transport maximal d'oxygène devient donc plus sensible à l'amplitude de ces conductances qu'au niveau de la mer [169]. Finalement, on peut observer, en hypoxie et en fin d'effort, une diminution du temps de transit érythrocytaire dans les capillaires pulmonaires pouvant compromettre l'équilibration alvéolo-artérielle des pressions en oxygène.
Depuis la constatation de John West lors de l’expédition « Silver Hut» que la S
aO
2chute à l’effort en hypoxie sévère malgré une élévation de la P
AO
2, d’autres équipes ont pu attester que le degré d'hypoxémie d’effort est proportionnel à l’intensité de l’effort et au degré d’hypoxie [159,137,181,189,191]. En hypoxie aiguë, la moitié de la diminution du C
aO
2mesurée à l’effort est due à la diminution de la P
iO
2et l'autre moitié est attribuée à une diminution du gradient de pression alvéolo-artériel en oxygène, celle-ci pouvant être causée par une limitation de la diffusion et par une altération du rapport ventilation/perfusion [32].
On considère généralement que les inégalités du rapport ventilation/perfusion s’atténuent en
altitude grâce à l’hyperventilation et grâce à une distribution sanguine plus uniforme suite à la
vasoconstriction pulmonaire hypoxique [110,178]. Les inégalités du rapport
ventilation/perfusion ne sont d’ailleurs responsables que d’une proportion négligeable de
l’hypoxémie observée à des altitudes extrêmes [181,191]. La simulation d'une ascension à
8848 m, durant l'opération Everest II, démontra que l'hétérogénéité du rapport
ventilation/perfusion persiste à un degré faible en hypoxie alors que la limitation de la
diffusion de l'oxygène augmente avec l'altitude [181]. Cependant, une altération importante
du rapport ventilation/perfusion, pouvant s’accentuer à l’effort [13], peut apparaître lorsque la
vasoconstriction pulmonaire hypoxique est inhomogène et peut également être liée à un
éventuel œdème interstitiel induit par les hautes pressions intravasculaires pulmonaires enregistrées en hypoxie [117].
Echanges gazeux au sommet de l’Everest (8848 m).
Figure 7 : Estimations de la variation de la P
AO
2, la S
aO
2, la P
aO
2et la P
vO
2sur base de mesures effectuées à des altitudes inférieures, durant un effort croissant au sommet de l’Everest. Grâce à l’hyperventilation, la P
AO
2est maintenue même en fin d'effort.
Cependant, une limitation de la diffusion empêche la S
aO
2et la P
aO
2d’en faire autant.
On notera également une chute de la P
vO
2en fin d’effort par augmentation de l’extraction [191].
Il semble important de souligner qu’une limitation de la ventilation ou de la diffusion à
l’effort, associée ou non à une altération du rapport ventilation/perfusion, se répercute
inévitablement sur le C
aO
2et donc sur le transport d’O
2vers les muscles actifs,
contrebalançant ainsi les bénéfices de l’acclimatation. Malgré cela, le C
aO
2de fin d’effort
reste proche de sa valeur de base au niveau de la mer (figure 8).
Variation du C
aO
2à l’effort en haute altitude
Figure 8 : C
aO
2mesuré au repos, à l’effort sous maximal (118 W) et en fin d’effort (227W) chez 7 sujets après 9 semaines d’acclimatation à 5260 m d’altitude. A l’effort maximal, le C
aO
2étant de 19,6 ± 1 mL/100mL [24].
3. 5 Redistribution sanguine périphérique
Une étude récente [33] montre qu’en hypoxie chronique la principale raison pour laquelle la VO
2max n’est pas augmentée autant que ne pourrait le prédire l’élévation du C
aO
2après acclimatation est que seule une portion de l’augmentation de la capacité de transport d'oxygène serait disponible pour les muscles en activité. Il semblerait qu'une plus grande proportion du débit sanguin serait dirigée vers les tissus non musculaires, ceci de manière plus importante en hypoxie chronique qu’en hypoxie aiguë, protégeant ainsi ces tissus d’une souffrance hypoxémique trop importante mais au détriment des tissus musculaires actifs. Ce phénomène semble s’accentuer avec l’intensité de l’effort. Par conséquent, la plus grande capacité de transport d’O
2gagnée avec l’acclimatation ne serait que modérément exploitée par les muscles. Ce phénomène limiterait l’amélioration de la VO
2max à un tiers de sa valeur en hypoxie aiguë [33]. La diminution du flux sanguin au niveau des muscles en faveur d’organes vitaux pourrait être un mécanisme de protection de l’organisme contre une hypoxie trop sévère.
D’autres expériences sont nécessaires pour confirmer cette hypothèse.
3. 6 Diffusion tissulaire
La diffusion tissulaire a également été désignée comme responsable de la limitation de l’effort en altitude. Une diminution de la PO
2capillaire pourrait en effet compromettre une bonne diffusion de l’oxygène de l’Hb vers les mitochondries musculaires [171,16,36].
Néanmoins, cette explication ne fait pas l'unanimité. Pour certains, le fait que l’acclimatation élève la P
501standard de la courbe de dissociation de l’Hb de 2 à 5 mmHg, (principalement dû à une élévation de la concentration sanguine en 2,3-diphosphoglycerate, Mg
++, ATP, et Cl
-[108,118]), et le fait que l’on observe une amyotrophie progressive au cours du temps réduisant la distance à parcourir par l’oxygène pour arriver aux mitochondries musculaires [102] permettrait une facilitation de la diffusion tissulaire de l’oxygène en altitude [41,155,169,178]. De plus, certaines études ont décrit une élévation du taux de myoglobine musculaire, sans augmentation de la capillarité musculaire [111].
Toutefois, selon Lundby et ses collaborateurs [112], à l'effort maximal, les valeurs de P
50musculaires et P
50artérielles semblent être réduites par rapport au niveau de la mer en hypoxie. Cette diminution est en grande partie attribuée à une atténuation de l’acidose artérielle et veineuse observée à l'effort maximal en hypoxie mais également due aux variations de P
aCO
2et de la température centrale. Une P
50diminuée suppose qu’à une S
aO
2donnée la PO
2des capillaires musculaires est diminuée en hypoxie, amoindrissant ainsi le gradient pour la diffusion en oxygène. Ce décalage vers la gauche de la courbe de dissociation de HbO
2en fin d’effort a, par contre, l’avantage de favoriser la captation d'oxygène dans les capillaires pulmonaires. Ce phénomène peut être crucial à l'effort maximal en hypoxie car il permet une meilleure S
aO
2et une augmentation du transport d'oxygène vers les muscles.
La diminution de la diffusion capillaire musculaire serait alors principalement due à une diminution du flux sanguin maximal au niveau des jambes [33,112].
Par ailleurs, même si une réduction de la capacité de diffusion musculaire apparaît à l’effort, l'extraction en oxygène musculaire n'est pas altérée par l’exposition à l'altitude [112]
mais elle peut chez des sportifs endurants atteindre sa limite et induire des P v O
2extrêmement basses [124].
1
La P
50représente la PaO
2à laquelle la S
aO
2est de 50 % et elle reflète l'affinité de l'hémoglobine pour l'O
2.
Lorsque la courbe de dissociation de l’Hb se déplace vers la gauche, la P50 diminue et elle augmente lorsque la
courbe est déplacée vers la droite.
Début des années nonante, Peter Wagner proposa un modèle original focalisé sur les limitations périphériques. Au niveau tissulaire, le transfert de l'oxygène des capillaires vers les mitochondries musculaires est déterminé par une concordance optimale du transport d'O
2par convection (principe de Fick) et du transport d'O
2par diffusion (loi de Fick de la diffusion) [177].
Le principe de Fick : VO
2= Q x (C
aO
2– C
vO
2)
*La loi de diffusion de Fick : VO
2= DO
2x ( PcapO
2– PmitoO
2)
*A l’effort maximal, la pression capillaire en O
2(PcapO
2) étant de l’ordre de 30 à 40 mmHg, la PO
2mitochondriale (PmitoO
2) située entre 1 et 2 mmHg peut être négligée. De plus, il a expérimentalement pu être prouvé que la PO
2des capillaires musculaires est proportionnelle à la PO
2veineuse (PcapO
2= K x P
vO
2). On peut donc raisonnablement en déduire que la VO
2des muscles est directement proportionnelle à la P
vO
2multipliée par une constante de diffusion.
VO
2= DO
2x K x P
vO
2*Pour des valeurs de Q et de C
aO
2données, la représentation du principe de Fick sur un graphique de l’évolution de la VO
2en fonction de la P
vO
2, a une allure courbe liée à la nature non-linéaire de la courbe de dissociation de l’oxyhémoglobine (figure 9). Cette courbe représente la quantité d’O
2livrée aux muscles par les capillaires. Lorsque P
vO
2= 0, la VO
2devient le produit de Q et de C
aO
2, c'est-à-dire du transport d'oxygène.
En traçant sur ce même graphique la loi de Fick (figure 9), pour une DO
2donnée, on obtient une droite passant par l’origine des deux axes. Cette droite est déterminée par le gradient de pression permettant la diffusion de l’O
2des globules rouges aux mitochondries et la pente de cette droite détermine la capacité de diffusion tissulaire.
La capacité de diffusion de l’O
2vers les muscles étant dépendante du transport d’O
2par convection, la consommation d’O
2maximale possible (VO
2max) se situe au point d’intersection de ces deux tracés. La zone graphique située à gauche de ce point correspond à une situation où l’apport d’O
2sanguin est suffisant mais la diffusion tissulaire est inadéquate.
*