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collection L dirigée par Jean-Pol Caput et Jacques Demougin

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collection L

dirigée par Jean-Pol Caput et Jacques Demougin

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LE TEXTE ET L'AVANT-TEXTE

les brouillons d'un poème de Milosz

p a r

JEAN BELLEMIN-NOËL

Chargé d'enseignement à l'Université de Paris VIII

LIBRAIRIE LAROUSSE

1 7 , r u e d u M o n t p a r n a s s e e t 1 1 4 , b o u l e v a r d R a s p a i l , P a r i s - V I

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© Librairie Larousse, 1972.

Librairie Larousse (Canada) limitée, propriétaire pour le Canada des droits d'auteur et des marques de commerce Larousse. — Distributeur exclusif au Canada : les Editions Françaises Inc.,

licencié quant aux droits d'auteur et usager inscrit des marques pour le Canada.

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La littérature commence avec la rature. Il semble qu'elle n'existe qu'à par- tir du moment où celui qui écrit élimine — râcle, selon l'étymologie du mot

« rature » — ce qui ne correspond pas à son projet ou aux exigences de ce texte qu'il est en train de mettre au jour. Quelque chose lui apparaît inadéquat, incongru par rapport à un reste qui a priorité et mérite de demeurer en l'état; ce quelque chose doit être effacé sous peine de compro- mettre l'équilibre de l'écrit, sous peine de déroger aux lois d'un ensemble.

Il y aurait donc toujours comme une perfection visée; mais qu'est-ce que la perfection d'une œuvre? On dira d'abord que ce mot implique une élégance de la forme, une netteté dans le tracé ou un poli de la surface : raturer, c'est rogner ce qui dépasse et dépare. La comparaison s'impose avec une statue à qui le sculpteur donne par avance l'équivalent de la patine du temps afin qu'elle pénètre sans rudesse dans la gloire de son éternité. Et qui ne voit que ce polissage intervient seulement dans le cas d'une forme presque achevée, à laquelle on voudrait conférer le dernier poinçon : celui de l'ouvrage bien fait, que l'artisan consacre en s'accordant un ultime satisfecit? Rature ne serait ici que l'inverse de fioriture; l'inverse, c'est-à-dire le même sur un autre versant.

Faut-il alors prendre à la lettre la perfection comme l'acte de par- faire, de fabriquer complètement? Cela obligerait à renoncer à une concep- tion superficielle de la forme, à une conception de la forme comme pel- licule externe. Raturer ne consisterait pas uniquement à émonder quelque détail quasi superflu au nom d'une vision aérodynamique de l'œuvre : ce serait aussi, et plus souvent, et beaucoup plus gravement, rayer pour remplacer, transformer. Le geste de tirer un trait est en lui-même un geste d'écriture, qui donne sens parce qu'il change le sens en modifiant le signe. Mais ce geste s'accompagne en général d'une surcharge : l'écrivain biffe pour (re)dire autrement, donc pour dire autre chose. Toute rature met en cause l'ensemble de l'écriture.

Il convient de regarder les choses sous cet angle nouveau. Bien plus

que d'ajouter un accomplissement ou de corriger un dévoiement, la rature

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aurait pour fonction de participer à la facture même d'un texte; non en termes de perfection, mais en termes de façon. Ce qui est mis en cause par un trait, ce n'est pas le résultat d'une opération, c'est un mécanisme de fabrication, c'est un organe de signification. Rayer l'expression revient à enrayer le contenu; étudier les ratures conduit non à apprécier un style, mais à analyser le fonctionnement même de l'écriture. Une étude de brouil- lons devrait révéler comment un texte s'écrit à travers ses égarements ap- parents, grâce à un fécond vagabondage. Non pas comment il parvient à une « superforme » : comment en toute simplicité il accède à l'existence.

Il doit y avoir dans ce jeu suffisamment de « jeu » pour que les articula- tions, ni disjointes ni bloquées, assurent l'avènement du sens.

Au fait, qu'est-ce qu'exister pour un texte? En quoi un « premier jet » existe-t-il moins qu'un ouvrage achevé? Y a-t-il un critère qui permette à l'écrivain de distinguer ce qui est encore à raturer et ce qui peut être présenté au public? Quelle évidence fonde le caractère irrécusable de l'écrit? A un certain moment l'auteur se dit : voilà que ce que j'écris coïncide avec ce que je voulais écrire (étant bien entendu que cette formule, comme sa voisine « vouloir dire », n'a de sens qu'après coup, qu'on ne sait pas ce qu'on veut énoncer avant de l'avoir effectivement énoncé); pourquoi à tel autre moment juge-t-il : ceci ne convient pas, il faut changer, c'est-à- dire recommencer? A l'évidence, ne convient pas ce qui s'intégre mal à l'ensemble, refuse de s'harmoniser avec la portion du texte qui est déjà là et avec celle qui reste encore à produire; dès lors surgit le redoutable problème de la finalité du discours, de son sens préalable, de sa structure projetée. On dit ainsi que « la pensée se cherche » dans la parole comme dans l'acte d'écrire : où se trouve la pensée, dans le cherché (déjà trouvé?), dans le geste de la recherche, dans l'énoncé finalement obtenu? La formu- lation est coincée entre le non-formulé qui l'appelle et le formulé qui l'an- nule... Ici un pas-encore-dit qui en quelque sorte préexiste, puisqu'on le vise; là, une formule définitivement fixée qui clôt le mouvement de formula- tion : entre les deux, une tension aussi délicate à imaginer qu'à conceptua- liser.

Alors, à quel moment sait-on que ce qui est dit est dit, et que ce qui est dit est bien dit? On connaît à peine, et plutôt mal que bien, la manière dont les signes (son et sens) s'organisent au niveau du langage, — se distribuent ou se transforment pour établir une chaîne grammaticalement satisfai- sante : comment analyser les procédures selon lesquelles parvient à un état de fonctionnement exaltant quelque chose d'aussi peu distinct qu'un mes- sage littéraire? Loin de prétendre démonter les rouages de la signification, on aimerait seulement que l'étude des ratures soit l'occasion de regarder de près la formation d'un texte.

Les manuscrits d'un poème peuvent proposer une sorte de coupe géo-

logique du sol où il s'enracine. A condition qu'on ne se leurre pas sur la

valeur du mot géologie : cette science ne saurait à proprement parler offrir

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un modèle. Elle conjugue l'histoire et la géographie, puisqu'elle restitue la genèse d'un territoire, le passé d'un espace; elle dispose pour cela de sciences annexes grâce auxquelles les couches peuvent être datées, les pressions soupesées, les mouvements mesurés; elle distingue des effets et des causes, ainsi que leurs relations; elle s'appuie sur un déterminisme naturel, sur une nature dont on connaît à peu près les grandes lois et fonctions. Très peu de ces assurances subsistent pour la critique litté- raire. Une faille ou quelque fossé soigneusement creusé révèle au géologue les profondeurs d'un sol, visibles, tangibles, aussi objectives que les guérets et les rochers qui couvrent la surface; comment, en revanche, ouvrir la surface d'un écrit? A considérer même une lecture de brouillons comme la révélation de véritables soubassements, on ne découvre encore que des surfaces, indéfiniment. Le texte n'a pas d'entrailles — à moins qu'il ne rencontre des haruspices.

Que soit remercié ici M. André Silvaire, éditeur des œuvres de Milosz, qui sur l'accord du représentant légal des ayants droit, M. G. Junosza- Zdrojewski, a autorisé la reproduction partielle de ces manuscrits inédits, déposés à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, fonds J. Doucet.

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Introducti on

« Il m'est arrivé de répondre à un ami qui se flattait d'avoir trouvé des documents inédits sur Valéry : « Tant pis pour vous! » Je ne m'attendais pas alors à semblable aventure; je ne croyais pas non plus si bien dire.

/.../ Ce genre de curiosité m'était étranger. J'ai peu de goût pour ce qui est en deçà ou au-delà d'une œuvre. /.../ Je pense que tout existe dans l'œuvre achevée de ce qui dut contribuer à son achèvement. /.../ Je m'assurais que ni les brouillons ni les esquisses ne révèlent l'œuvre; ses commencements ne sont pas dans les tribulations et les vicissitudes de sa genèse mais dans l'unique instant où elle existe en tant qu'œuvre. Elle n'apparaît dans sa fleur qu'achevée. /.../ Aussi rien n'est plus boulever- sant que l'effraction au cœur du texte définitif et mémorable de ce qui, provisoire et voué à l'oubli, permit pourtant qu'il vînt au monde. Insup- portable sensation à la vérité que cette mésalliance du sens et du son à la place de ce qui était leur accord. /.../ »

Octave Nadal la Jeune Parque, manuscrits, états successifs et brouillons inédits du poème, Paris, Club du Meilleur Livre, 1957.

Près de quinze ans se sont écoulés depuis qu'Octave Nadal a rédigé ces lignes, dans un chapitre intitulé « De quelques difficultés du critique heu- reux » et qui ouvre une des recherches les plus fécondes jamais engagées sur des brouillons; la découverte d'un dossier analogue au sien provoque des inquiétudes analogues à celles qu'il éprouvait. Analogues, mais non identiques.

Cette différence paraît devoir s'expliquer aisément. D'abord, s'agis- sant de Valéry, on ne peut ignorer l'impact sur une problématique du brouillon de ce qu'on appellerait volontiers son « perfectionnisme » — son besoin de s'imposer des obstacles (prosodiques, surtout) qui magnifient le triomphe et qui assurent la réussite —, et l'on ignorera moins encore le souci théorique qu'il manifestait à l'égard du fonctionnement de la poésie. Rien d'étonnant si les essais chez lui ont une allure très calculée, si la rédaction évoque les ajustements concertés de la mosaïque. Pour lui, la mise au point pouvait avoir plus d'importance que pour d'autres. Par contraste, un Milosz semblera l'homme d'une écriture aventureuse et spasmodique, à

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longs jets « inspirés », aboutissant à une poétique dont les structures sont cachées, où les critères d'une perfection se refusent au regard superficiel;

dès lors, son texte définitif n'apparaît pas formellement différent (supé- rieur, plus « léché ») par rapport aux ébauches qui l'ont précédé. D'un autre côté, le postulat de la concertation absolue qui est celui d'Octave Nadal néglige quelque peu la part d'indécision, voire d'aléatoire, dans la fabri- cation de tout poème; en quinze années, la confiance que l'on avait dans les pouvoirs d'un Sujet souverain n'a cessé d'être ébranlée : on se deman- derait aujourd'hui « qui parle ? » — et Valéry lui-même se posait la ques- tion! —, d'où procède ce discours qu'on voit se jeter au travers des projets et en travers d'un « vouloir-dire » qui ne s'observe qu'après coup. Sans même brandir la bannière encore terrorisante de l'Inconscient, la critique contemporaine s'interroge sur la légitimité de l'appellation « créateur », qui fait de l'écrivain une espèce de démiurge tout à fait libre et conscient de son faire, au détriment de la considération des nécessités auxquelles il doit se plier obscurément de par son insertion dans l'Histoire, dans son his- toire, dans un langage. Et sur ce dernier point tout spécialement, on s'in- quiète aujourd'hui plus que naguère de quelque chose comme l'autonomie du système linguistique (langue et discours) vis-à-vis de tout ce qui n'est pas verbal stricto sensu; répéter qu'un poème est en premier lieu un arran- gement de mots semble un truisme; à y regarder de près cela modifie l'idée que l'on se fait des productions littéraires et de la production de la litté- rature.

Il faut reconnaître qu'on se débarrasse aisément du public, et même du monde auquel font référence les signes, lorsqu'on désire constituer un écrit en objet d'analyse, mais on a plus de mal à écarter le spectre de l'Auteur, à cause du sceptre, sans doute, qu'il a longtemps porté au Royaume des Lettres.

P r o b l è m e

« Tous ces récits, tous ces poèmes, tous ces drames / .../ on leur demande (et on exige d'eux qu'ils disent) d'où ils viennent, qui les a écrits; on demande que l'auteur rende compte de l'unité des textes qu'on met sous son nom; on lui demande de révéler, ou du moins de porter par-devers lui le sens caché qui les traverse; on lui demande de les articuler sur sa vie personnelle et sur ses expériences vécues, sur l'histoire réelle qui les a vus naître. »

Michel Foucault l'Ordre du discours, 1971 Il y avait sans doute un brin de paradoxe à se dire déconfit par la trou- vaille d'un brouillon, comme l'a fait Octave Nadal. Depuis toujours, les critiques et historiens de la littérature se sont réjouis de pareil coup de chance. Faut-il parler des recherches de manuscrits nécessaires pour l'édi-

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tion correcte des ouvrages anciens? Faut-il évoquer le cas limite des Pensées de Pascal? Et pour s'en tenir au seul XIX siècle, tout le monde connaît, par exemple, l'importance des manuscrits de Flaubert révélés par G. Leleu et J. Pommier (Madame Bovary) ainsi que par M. J. Durry (Carnets), ou bien le travail de déchiffrement que R. Journet et G. Robert ont effectué pour Hugo, sans oublier les études de critique génétique dont R. Ricatte s'est fait une spécialité (Les Goncourt, Giono). Travaux dont il ne servirait à rien de dire ou de redire qu'ils sont admirables : sans eux, sans l'établissement des textes et la présentation des inédits, la connais- sance de la littérature resterait un passe-temps de dilettante, et n'aurait aucun moyen de se prétendre un tant soit peu scientifique. Nombreuses sont les publications qui mettent à la disposition des lecteurs les antécé- dents de certains grands livres; mais rares sont celles dont le propos se définit explicitement comme l'étude de cette « antécédence ». A croire qu'un tabou frappe le sujet d'interdit.

Pourquoi, au fait, cette frénésie d'établir « le Texte » d'un ouvrage?

En vue d'une plus grande délectation du lecteur ou parce qu'on vise une plus étroite adéquation entre le vouloir de l'écrivain et son opus ne varietur, c'est-à-dire en définitive au nom de l'auteur? Que cherche-t-on dans les hésitations dites « variantes » , sinon la preuve d'une approche progressive de la perfection dont le bénéficiaire est plus souvent l'artisan méritant que le plaisir du lecteur ? Les « projets », « schémas », « scénarios », « frag- ments », « esquisses » et autres ébauches ne permettent-ils pas de saisir avant tout l'intention de l'artiste, ce qu'il a finalement réussi à exprimer dans un ouvrage qui, sans cela, resterait partiellement muet? Imaginer l'homme de plume devant les feuilles qu'il noircit, dans son laboratoire secret, n'est-ce pas tenter de reconstituer un univers intellectuel, donc une psychologie de la création littéraire? La métaphore même de la « genèse » ne renvoie-t-elle pas à l'accouchement et n'attire-t-elle pas implicitement l'attention sur le « parturient » autant que sur l'enfant d'une nuit d'Idumée?

La prise en considération des « carnets » et autres « journaux » introduit- elle ailleurs que dans le moment intime d'une conception? Il est clair que la question « comment cela s'est-il fait? » se transforme insensiblement en

« qui a fait cela ? », et le problème de la production d'un écrit devient inter- rogation sur celui qui l'a mis au monde.

Non que le point d'interrogation ne soit légitime, ni fascinant : on ne peut s'en dispenser. Encore ne faut-il pas le considérer exclusivement, et ignorer qu'il cache un piège, ou qu'il voile pudiquement un échec. Décla- rer que l'auteur est souverain dans son entreprise revient à déplacer la question jusqu'au mystère de la pensée — et cesser, en bonne logique, de questionner. A l'évidence, il y aura toujours un irréductible, un insaisis- sable, une marge d'invisibilité dans le travail d'écriture. Doit-on pour au- tant limiter l'exploration aux obscurs méandres du cerveau? De nos jours, les philosophes (ce nom leur est attribué faute de mieux, car ils dénoncent

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ce qu'on appelait jusqu'ici « philosophie ») récusent la toute-puissance du sujet conscient et volontaire, et ils contestent la valeur ontologique du signe; ils s'étonnent qu'on pense encore l'écrivain comme une sorte de divi- nité maîtresse de sa parole, les mots comme les reflets magiques d'une réalité inaccessible; ils demandent ce que deviendrait le problème de l'œuvre d'art si l'on évacuait l'hypothèse d'une « âme d'artiste » qui res- semble fort à certaine vertu dormitive...

Bien sûr, dans ce langage polémique on simplifie les caractères du phénomène, au risque de mésestimer finalement les résultats apportés dans le passé par les études de brouillons. Il serait ridicule, sur cette lancée, d'opposer à une « psychologie de l'âme écriveuse » une espèce de « psycha- nalyse de la main écrivante », pour parodier des formules de Gaston Ba- chelard (lequel ne s'intéressait guère aux biographies d'auteur); et ridicule, à cause du même mécanisme, de remplacer la concertation absolue par un avatar du « hasard objectif ». Aussi bien ne s'agit-il pas de cela. Simple- ment, on souhaiterait qu'il fût tenu compte autant que possible en scrutant un dossier de brouillons de la p a r t d'irresponsabilité du prétendu, et soi- disant, responsable. Il s'agit de montrer dans quelle mesure le poème s'écrit malgré, voire contre celui qui croit administrer tous ses gestes d'écrivain;

chercher quelles forces immaîtrisées, immaîtrisables peut-être, se sont mo- bilisées à son insu pour faire aboutir une structuration; reconstituer les opérations grâce auxquelles quelque chose s'est transformé pour former et tout en formant ce foyer de transformations de sens qu'on appelle un texte.

Si même cette ambition est déplacée, parce que l'objet n'en serait pas mis à « sa » place, si elle s'avère irréalisable, elle pourrait entraîner deux conséquences précieuses. D'abord, encourager les chercheurs à se débarrasser d'un vocabulaire inadéquat, qui grève leur démarche. Un exemple suffira : l'emploi du mot « variantes ». A user de ce terme, on laisse entendre, on se contraint à considérer qu'il y a un texte avec plu- sieurs formulations, alors qu'il ne saurait exister d'autre attitude rigou- reuse que celle qui pose à chaque fois deux textes. Dans un article récent, Jean Peytard l'a exprimé avec force à propos de Lautréamont (la Nouvel- le Critique, n° 37, 1970, p. 44), adoptant « comme hypothèse que la cor- rection ne s'élabore pas sur un détail ou une succession de détails au cours d'une relecture, comme on ébarbe une épreuve d'imprimerie de ses coquil- les, mais dans un projet d'ensemble, une pratique de déconstruction-cons- truction qui façonne un texte autre. »

Secondement, mais non pas secondairement, une approche actuelle des brouillons inciterait peut-être à généraliser une expérience dont le sommaire a été procuré par Louis Hay dans une communication au col- loque de Cerisy-La-Salle en 1969 (voir l'Enseignement de la littérature, Plon, 1971, p. 149) : « Il faut songer à confronter les procédés de création qui caractérisent soit des époques différentes, soit divers auteurs d'une

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même période /.../ Une autre série de comparaisons peut être effectuée au niveau du genre. On peut ainsi comparer entre eux les manuscrits lyriques et les manuscrits de prose d'un même auteur »; à quoi l'on ajouterait volontiers : « (d'un même auteur) et de plusieurs auteurs de même époque et d'époques différentes », etc. Bref, une recherche systématique sur les manières d'écrire (l'expression de L. Hay « procédés de création » s'avère gênante) permettrait d'envisager expérimentalement de répondre au moins à la question suivante : y a-t-il autant de façons de rédiger que de concep- tions de l'écriture? Les découvertes d'Octave Nadal sur la composition de L a Jeune Parque acquerraient une tout autre portée s'il ne s'agissait pas là d'une technique strictement valéryenne...

Dans cette double ligne, on proposera quelques indications pour une terminologie (à laquelle on s'efforcera de demeurer fidèle) et on étudiera un dossier précis : soixante-quinze pages de brouillons écrites à la suite et conduisant à un poème de cinquante-six vers, « la Charrette » d'Oscar- Vladislas de Lubicz-Milosz. Est-il encore besoin de préciser pourquoi dans le titre de ce travail on a préféré éviter le terme de « brouillon »?

Ou plutôt, faut-il justifier déjà le caractère provocateur du mot avant- texte? La volonté de changer ne suffit certes pas pour assurer le change- ment : du moins peut-elle être affichée, et, plus qu'un indice, devenir une amorce et une incitation.

P r o p o s i t i o n s

p o u r u n e t e r m i n o l o g i e

D é f i n i t i o n s e t c o n v e n t i o n s 1

Biffure : trait qui supprime un segment de l'écrit.

Brouillon(s) : l'ensemble des écrits rédigés « en vue de » l'ouvrage publié et qui conduisent à lui; la forme achevée en est le manuscrit. L'expres- sion « en vue de » doit ses guillemets au fait qu'elle ne prend sens que rétroactivement : à chaque instant de la rédaction, il y a déjà, pour celui qui rédige, œuvre et non pas préparation à l'œuvre; c'est par rapport à l'œuvre publiée que les brouillons existent comme tels — comme résidus.

Correction : biffure ou rature qui aboutit à replacer l'écrit dans les condi- tions de la grammaticalité, prise selon une acception très large :

1. D'après l'usage.

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conformité aux usages de l'orthographe et aux règles de la syntaxe, mais également rectification d'un énoncé inintelligible (à cause d'une interruption dans la rédaction, par exemple, ou à la suite d'une série de transformations ponctuelles). La correction ne modifie pas le sens.

Ébauche : partie ou totalité d'un brouillon en tant qu'un état suivant vient la transformer, l'annuler ou la compléter; mais l'ébauche, au contraire de l'esquisse, ne peut être traitée comme une œuvre achevée.

Écrit : tout ce qui est susceptible d'être lu, sans autre détermination.

Épreuves : cas particulier d'un ouvrage que, une fois imprimé, son auteur traite non plus comme une œuvre achevée, mais comme un (nouveau) brouillon.

Esquisse : par opposition à ébauche et par analogie avec ce qui se passe en peinture, partie d'un brouillon en tant qu'elle peut être traitée comme une œuvre achevée (mais non un ouvrage : publiés par Valéry, les Fragments du Narcisse ne sont pas une esquisse, le Contre Sainte- Beuve de Proust procuré par Bernard de Fallois en est une). L'esquis- se est donc un état, le plus souvent partiel, que l'écrivain a posé devant lui comme achevé (mais impubliable) et qu'un lecteur peut apprécier comme tel. Déjà une œuvre, ou un texte, pas encore l'ouvrage.

Manuscrit : l'état d'un écrit à partir duquel se fait l'impression. Prati- quement, c'est l'ultime étape des brouillons, et le moment où l'œuvre achevée devient ouvrage.

Ouvrage : un écrit particulier publié sous la signature de quelqu'un (l'écrivain); les dimensions n'importent pas : livre, article, poème isolé

— pourvu qu'il y ait un titre et un point final.

Rature : biffure à laquelle succède, en surcharge ou à la suite, une nouvelle formulation (éventuellement, après réflexion et sans autre modifica- tion, identique à celle qui fut biffée).

Rédaction : opération par laquelle est produit un écrit. Vue sous l'angle de la fabrication, elle aboutit à des états successifs (et / ou à un état définitif : l'œuvre); vue sous l'angle de son déroulement temporel, elle peut être marquée par des étapes, dont le bilan est ou non établi (mis au net, recopié) par le rédacteur.

Variante : cas particulier d'une modification qui intervient soit entre le

manuscrit et l'ouvrage — au stade des épreuves, — soit entre plusieurs

éditions de l'ouvrage. On a souvent tendance à l'assimiler à une

correction : en fait, c'est une modification qui, quelle que soit son

importance apparente, transforme l'ensemble de l'écrit; à côté de

l'ouvrage, elle suscite un autre ouvrage (un autre texte).

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Les études littéraires tentent aujourd'hui de définir leurs mé- thodes et leur champ d'application, en s'inspirant des résultats obtenus depuis une vingtaine d'années par les diverses scien- ces humaines : linguistique, psychanalyse, histoire de l'art, sociologie, anthropologie culturelle, sémiologie, etc.

A l'intention du public de l'enseignement supérieur français et étranger et de tous ceux qui désirent s'initier et s'adapter aux travaux de la critique contemporaine, la collection L pré- sente des "modes de lecture" portant sur des textes, des thèmes, des écrivains particulièrement représentatifs, et qui composent un panorama des tendances et des techniques modernes de l'analyse littéraire, ainsi que des documents, habituellement dispersés ou peu accessibles, et qui rassem- blés serviront de base à une réflexion nouvelle sur les textes.

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Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement

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