• Aucun résultat trouvé

Trois petits pas pour témoigner d'un trajet : des fabricants d'objets patrimoniaux aux oubliés du patrimoine

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Trois petits pas pour témoigner d'un trajet : des fabricants d'objets patrimoniaux aux oubliés du patrimoine"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

Book Chapter

Reference

Trois petits pas pour témoigner d'un trajet : des fabricants d'objets patrimoniaux aux oubliés du patrimoine

RONVEAUX, Christophe

RONVEAUX, Christophe. Trois petits pas pour témoigner d'un trajet : des fabricants d'objets patrimoniaux aux oubliés du patrimoine. In: M.-F. Bishop & A. Belhadjin.

Les patrimoines littéraires à l'école. Tensions et débats actuels

. Paris : Champion, 2015.

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:84004

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

T

ROIS PETITS PAS POUR TÉMOIGNER D

UN TRAJET

:

DES FABRICANTS D

OBJETS PATRIMONIAUX AUX OUBLIÉS DU PATRIMOINE

Je voudrais placer mon témoignage sous le signe d’un dessin de Sempé, extrait du recueil Quelques philosophes. On y voit dans le coin inférieur droit de la double page, un homme et une femme, assis côte à côte sur un ponton, face à un lac et l’immensité d’un ciel étoilé. Ils sont tout petits face à cette immensité. Leur petitesse est accentuée par le trait du dessinateur. L’homme dit à sa femme: «En fait, Rolande, je ne suis qu’un immense point d’interrogation…». Je reprendrai à mon compte cette interrogation du mari de Rolande. Devant l’extrême variété des titres de ces rencontres, elle m’aide à prendre cette posture de «détache- ment critique de la notion de patrimoine dans son étrangeté», selon la jolie expression de Karl Canvat. Je la placerai au centre du triplet de la transposition didactique, puis m’en éloignerai.

Les didacticiens sont multiples, institutionnellement rattachés à de multiples champs académiques, chaque didacticien parlant depuis ce ou ces champs, selon les questionnements épistémologiques et métho- dologiques qui leur sont propres. La question du patrimoine et de l’école se pose différemment selon qu’elle relève de la didactique pure et dure, des sciences du langage, de la psychologie du développement, de la sociologie ou de la littérature. La pertinence se mesure à l’aune de la casquette qui nous coiffe, à l’aune des champs académiques qui nous nourrissent. La mamelle à laquelle je m’abreuve est celle des sciences de l’éducation. Cette casquette a une contrainte, celle de structurer une observation à partir de variables, en fonction de paramètres. J’ai choisi de tracer mon trajet interprétatif à partir de deux variables : celle du contexte des corpus constitués par les chercheurs et celle de leurs dispositifs de recherche. À partir de quels niveaux d’enseignement et de formation ont été prélevés les corpus ? Sous la légitimité de quelles territorialités ? À quelle échelle ? Celle d’une nation, d’un canton, d’une région ? S’agit-il d’éprouver la pertinence d’un dispositif d’ingé- nierie ? Ou de projeter dans des curricula à venir tel texte, tel auteur, tel genre dont on a réalisé une analyse a priori? La notion de patrimoine,

(3)

problématisée dans l’introduction de l’ouvrage, me semble particuliè- rement réactive à ces deux variables.

Faire du contexte une première variable implique des hypothèses d’ordre et d’échelle diverses, selon le territoire, selon le niveau d’enseignement, à partir duquel s’est conduite l’analyse ou s’est consti- tué le point de vue. Première hypothèse, à l’échelle curriculaire, celle des niveaux d’enseignement. Les ordres d’enseignement d’antan, devenus

«niveaux» aujourd’hui, continuent d’agir puissamment sur les manières de faire en classe, sur les dispositifs, sur les objets de savoirs mis en circulation, sur les supports choisis pour travailler la lecture, en dépit des bonnes intentions de penser une progression depuis le point de vue d’une école unique. Deuxième hypothèse, à l’échelle des territoires: le patri- moine est lié à la constitution des états nations. L’école publique nais- sante des sociétés industrialisées du XIXea joué un rôle important dans la détermination de textes patrimoniaux et des valeurs de mémoire qui leur sont liés. Les travaux comparatistes, trop peu nombreux, donneraient la mesure de ce questionnement. Le fait de traiter de la question de la patri- monialisation à partir des contextes américain (Petitjean) ou roumain (Condéi) éclaire déjà la manière dont la variable territoriale questionne l’héritage du pater familias.

Le pater familias, justement, qui se trouve à l’origine de l’étymon du terme «patrimoine». Pourquoi les dispositifs de recherche continuent-ils à ignorer l’effet du genre sur la réception des textes? Que dirait-on de la lecture de textes «matrimoniaux»? Il est permis de rêver de la promo- tion d’une littérature matrimoniale à l’école. Mais on voit bien que le qualifiant résonne différemment de son homologue masculin, que sa fortune cotextuelle lui a donné un sens définitivement inadéquat pour désigner cette utopie (pourtant bien installée chez nos collègues québé- cois-e-s). Ces considérations autorisent à poser une hypothèse à partir des dispositifs didactiques: le patrimoine se mesure aux «objets sémio- tiques secondaires», selon la notion de Brigitte Louichon, qui passe par la médiation d’un dispositif.

Mes interrogations et leurs hypothèses, je les poserai en trois pas, par cercles concentriques, des dispositifs de recherche les plus proches d’une observation des pratiques de classe pour le premier cercle, aux recherches spéculatives ou orientées vers les contextes de formation autres que l’école, pour le troisième cercle, parce que la notion de patri- moine excède l’école.

Premier pas dans un premier cercle, le patrimoine (ou son proces- sus) dans la classe. Brigitte Louichon le rappelait : « L’école bien 398 TROIS PETITS PAS POUR TÉMOIGNER DUN TRAJET

(4)

évidemment est une grande productrice de patrimoine puisqu’elle rend, quotidiennement, le passé présent. Elle est aussi consommatrice et productrice d’objets discursifs secondaires1. » Nous voudrions insister sur la dimension processuelle de la notion et observer plus particulière- ment comment le patrimoine scolaire se constitue à partir des disposi- tifs didactiques où se créent des objets discursifs secondaires, saisis dans des dispositifs de recherche déterminés. La notion de patrimoine dont nous allons rendre compte ici relève moins de « corpus » établis sous forme de listes de textes à lire, mais plutôt des « assemblages de textes », comme produits de dispositifs déterminés, de choix plus ou moins conscients d’enseignant-e-s appartenant à un corps de profes- sionnel-le-s.

Le genre et le territoire agissent sur le processus de patrimonialisa- tion. Pour susciter le sujet lecteur, les chercheurs posaient au centre de leurs ingénieux dispositifs d’écriture la tâche et les effets d’une consigne sur l’implication des élèves. Comment les élèves (masculins ou féminins) vont pouvoir investir un exercice d’écriture en « je » qui les invite à se placer dans la peau d’une jeune fille qui doit se marier avec Barbe Bleue ? Va-t-on s’impliquer de la même manière si l’on est fille ou garçon ? Cette fictionnalisation pose de manière cruciale la question de l’espace virtuel de la tâche et de l’effet de la variable genre sur l’effectuation de celle-ci. De même dans l’expérience sur l’écriture lyrique de poèmes engagés célébrant la mémoire des résistants de l’hexagone quand, en 1940, l’Allemagne envahissait la France.

Comment les élèves (féminins ou masculins) vont pouvoir investir l’espace d’une tâche qui fictionnalise la mort héroïque d’un résistant dont il s’agit de célébrer le sacrifice ? Que faire enfin des effets de cette même tâche sur ces enfants de migrants d’Algérie ou d’ailleurs au moment où se célèbre le souvenir de l’indépendance de leur pays ? On voit bien ce que les variables de genre et de territoire apportent de détermination du processus de sélection (élection, oubli, éradication) par lequel un texte fait sens comme objet patrimonial à l’école. Et cette territorialité n’est pas seulement liée à un contexte culturel et poli- tique, celui de la Roumanie communiste et totalitaire, par exemple, comme le rappelait notre collègue Cécilia Condei.

Brigitte Louichon, «Définir la littérature patrimoniale», dans I. de Peretti et B.

1

Ferrier (dir.), Enseigner les «classiques» aujourd’hui. Approches critiques et didac- tiques,Bruxelles, Peter Lang, 2012, 37-49.

(5)

Les niveaux d’enseignement et les filières agissent sur le processus de patrimonialisation. Pour vérifier cette hypothèse, les recherches doivent élargir l’empan de leurs observations. L’épisode interactif ou la leçon ne suffit plus; l’ouverture des dispositifs de recherche à la séquence d’ensei- gnement, au cursus trimestriel ou annuel, voire au curriculum de plusieurs années devient une nécessité. L’étendue de ces empiries ne renvoie pas seulement à un problème factuel de traitement de données plus importantes, le changement d’échelle pose un problème didactique théorique et méthodologique qui renouvèle le mode d’appréhension des phénomènes d’enseignement. Stéphanie Lemarchand-Thieurmel, pour les filières professionnelles, pose la question de la mémoire des textes vus et de leurs (mises en) traces. Comment méthodologiquement mesurer la portée de l’incident que peut représenter la mise en mot d’un souvenir de lecture, sur le développement des élèves, à l’échelle de leur cursus?

Deuxième pas dans le deuxième cercle. Nous nous éloignons des pratiques ordinaires, effectives ou innovantes dans la classe pour obser- ver les outils hors de la classe.

La matrice disciplinaire agit sur le processus de patrimonialisation.

Cécilia Condéi montre que l’activité discursive du manuel par laquelle la littérature se patrimonialise à l’école passe par des cribles contradic- toires, à la fois disciplinaire (la matrice disciplinaire du FLE, modèles lexicaux et syntaxiques) et générique (le primat de la narration pour montrer la valeur de la révolution du prolétariat chez les autres, par exemple). Du coup, l’analyse se complexifie et ne peut faire l’économie d’une approche didactiquedu patrimoine. De ce point de vue, le manuel, comme outil de la profession, ayant pour fonction de pointer certains éléments du texte littéraire dans un contexte donné, témoigne d’un processus très subtil où le passé est rendu présent doublement et contra- dictoirement parce qu’il légitime la révolution du pouvoir en place et, dans le même temps, permet aux dominés de mettre en circulation une pensée critique de ce même pouvoir.

Troisième pas dans le troisième cercle, le plus excentré de l’école entendue comme l’institution publique créée par les démocraties des états nations triomphants. Depuis ce cercle, les chercheurs nous invitent à examiner les exclus du patrimoine: les auteurs romands (David et Schläpfer); les témoignages des grands traumatismes du XXe siècle (Védrines et Ronveaux); les textes issus de la tradition des ateliers d’écriture américains (Petitjean).

L’«entreprise universitaire de fabrication de savoirs de référence»

(David et Schläpfer) et la configuration des champs académiques agis- 400 TROIS PETITS PAS POUR TÉMOIGNER DUN TRAJET

(6)

sent sur le processus de patrimonialisation. La question de recherche en didactique qui se pose dés lors concerne autant le champ de la formation des enseignant-e-s que ceux des disciplines contributoires, y compris dans leur définition des éléments fondamentaux de leur curriculum. Il serait intéressant de mesurer l’impact des curriculums de formation structurés à partir d’ateliers d’écriture sur l’étendue d’un patrimoine et son degré de porosité à la production étrangère. À démontrer aussi l’hy- pothèse d’une remise en cause des notions d’auctorialité et de stylistique qui fondent la publicité des curriculums francophones dès lors que l’école s’ouvre aux textes sans auteur et sans style que sont les témoi- gnages d’anéantissements (Védrines).

Toutes ces recherches, vues depuis leur dispositif, replacées dans le contexte de leur pertinence (notamment nationale), font le ferment de développements divers. De ce foisonnement hétéroclite, qui fait aussi l’intérêt de cette association, je retiendrai trois accents qui semblent féconds pour penser la littérature à l’école à partir de cette notion déli- cate de patrimoine : 1) ce dernier résulte d’un processus de sémiotisa- tion situé; 2) ce processus est déterminé par les effets des matrices disciplinaires diverses en fonction des niveaux scolaires, des terri- toires, etc. ; 3) les exclus sont aussi révélateurs du processus. Il est dès lors permis de secouer les vieux démons monolingues et ethnocentrés qui trainent dans les placards patrimoniaux de nos états nations.

Me voilà donc assis avec la Rolande du dessin, sur le giron de cette association (si peu structurée, mais si souple) des chercheurs en didac- tique de la littérature, face à un ciel étoilé, «dégagé de sa gangue ouatée», pour pasticher Nathalie Sarraute. Le point d’interrogation du dessin de Sempé par lequel j’ouvrais mon intervention me parait moins menacé de forces centrifuges, plus doux de cohérences à venir.

Christophe RONVEAUX GRAFE - Université de Genève

Références

Documents relatifs

Si nous observons le lien entre les résultats en biologie et le profil des apprenants (Tableau 8), nous pouvons observer que globalement le niveau en biologie est plus faible pour

1. Il s’agit davantage de construire du sens par une analyse fine de l’artéfact et non pas de viser la découverte d’un sens prédéfini. Les élèves sont au cœur d’une

L'alternance au service des objets de savoirs disciplinaires, de l'objet de formation à l'objet d'enseignement.. RONVEAUX, Christophe,

Ce texte analyse l'évolution de la notion de dispositif à travers les travaux de Monique Linard, depuis ses premiers travaux sur le photorécit (1975), le dispositif autoscopique

L’exploration et l’examen du jeu du photorécit comme de l’autoscopie, l’analyse du rôle de l’interface dans le cadre de l’IHM constituent de toute évidence des

Dans le premier cas, les compétences sont d’abord définies comme des propriétés biologiques de l’organisme humain, absolues ou indépendantes de tout contexte concret (voir Chomsky

Deux épingles et une pointe de lance viennent s'ajouter à l'abon- dant matériel du Bronze final des stations littorales et aux quelques objets isolés de la

nants : celles qui sont idiosyncrasiques, mais aussi celles qui sont bien formées superficiellement. Si l'on peut se référer à la LS, on peut reconstruire une phrase