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Personnes âgées issues de la migration et vieillissement actif : interroger les normes contemporaines du vieillissement au prisme des parcours de vie

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Academic year: 2022

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Thesis

Reference

Personnes âgées issues de la migration et vieillissement actif : interroger les normes contemporaines du vieillissement au prisme

des parcours de vie

KAESER, Laure

Abstract

Cette thèse a pour objectif d'interroger la notion de vieillissement actif au prisme des parcours de vie des personnes âgées originaires d'Italie,d'Espagne et du Portugal. Elle s'articule autour de huit chapitres qui s'attachent à dévoiler les enjeux et hypothèses implicites d'une notion présentée dans les discours politiques comme solution aux défis posés par le vieillissement des populations. Confronter le vieillissement actif aux parcours de vie des migrants âgés permet de souligner les rapports sociaux d'âge, de position sociale, de sexe, mais également ceux liés au fait migratoire, qui se jouent dans le processus de vieillissement et qui demeurent souvent éludés par les tenants du vieillissement actif.

KAESER, Laure. Personnes âgées issues de la migration et vieillissement actif : interroger les normes contemporaines du vieillissement au prisme des parcours de vie . Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2015, no. SdS 4

URN : urn:nbn:ch:unige-558206

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:55820

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:55820

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interroger les normes contemporaines du vieillissement au prisme des parcours de vie

THÈSE

présentée à la Faculté des sciences de la société de l’Université de Genève

par

Laure Kaeser

sous la direction de

Prof. Claudio BOLZMAN & Prof. Michel ORIS

pour l’obtention du grade de Docteur ès sciences de la société

mention socio-économie

Membres du jury de thèse:

M. Jean-Michel BONVIN, Professeur, Université de Genève

M. Claudio BOLZMAN, Professeur, Haute école de travail social, Genève, directeur de thèse Mme Nathalie BURNAY, Professeure, Université de Namur, Belgique

M. Michel ORIS, Professeur, Université de Genève, directeur de thèse M. Philippe WANNER, Professeur, Université de Genève, président du jury

Thèse n° 4 Genève, le 26 février 2015

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La Faculté des sciences de la société, sur préavis du jury, a autorisé l’impression de la présente thèse, sans entendre, par là, émettre aucune opinion sur les propositions qui s’y trouvent énoncées et qui n’engagent que la responsabilité de leur auteur.

Genève, le 26 février 2015

Le doyen

Bernard DEBARBIEUX

Impression d'après le manuscrit de l'auteur

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Table des matières

Résumé ... vi Remerciements ... vii Chapitre 1. Introduction ... 11

1.1 Déconstruire l’objet : « s’affranchir des prénotions » associées au

vieillissement actif et aux migrants âgés ... 15 1.1.1 Vieillissement actif : une notion à l’intersection entre représentation sociale, théorie gérontologique et politique publique ... 15

1.1.1.1 Le vieillissement actif comme représentation sociale « positive » de la vieillesse ... 16 1.1.1.2 Le vieillissement actif au regard de l’évolution du traitement

scientifique du vieillissement ... 20 1.1.1.3 Les transformations de l’Etat social ... 27 1.1.2 Migrants âgés : une catégorie socialement construite ... 33

1.1.2.1 De l’utilité de l’articulation entre perspective du parcours de vie et intersectionnalité ... 34 1.1.2.2 Le traitement scientifique du vieillissement des populations issues de la migration ... 43 1.1.2.3 Etat de la littérature internationale sur les populations âgées issues de la migration ... 45 1.1.2.4 Etat de la littérature suisse sur les populations âgées issue de la migration de travail ... 48 1.1.2.5 Contextualisation de la retraite des personnes issues de la migration résidente en Suisse ... 50 1.2 Reconstruire l’objet : de la pertinence de l’articulation entre vieillissement actif et migrants âgés ... 67 1.3 Bibliographie ... 73 Chapitre 2. Le vieillissement actif au niveau européen : élaboration, légitimation et tentatives de diffusion d’un référentiel transversal du vieillissement ... 87

2.1 Théoriser le changement autour des « idées » ... 90 2.2 Les conditions d’émergence d’un nouveau référentiel transversal : le vieillissement actif « productiviste » ... 92 2.3 Rôle de la CE dans la rhétorique argumentaire et les processus de

légitimation et de diffusion du vieillissement actif ... 94 2.3.1 Recours aux instruments scientifiques et techniques ... 95 2.3.2 La rhétorique de l’inéluctabilité et des « bons sentiments » ... 101 2.3.3 Orientations et recommandations : un processus de

diffusion horizontale ? ... 104 2.4 Annexes ... 109 Chapitre 3. « Votre questionnaire est trop policier ! ». De la distance sociale dans une enquête quantitative auprès d'immigrés retraités résidant en Suisse. . 113

3.1 Enjeux de la production de données dans un contexte de populations difficiles à atteindre ... 115

(5)

3.2 Discussion méthodologique à partir du cas des immigrés âgés résidant en

Suisse ... 117

3.3 Analyser la situation d’enquête et les adaptations du plan de recherche par les méthodes mixtes ... 119

3.4 Le plan de recherche à l’épreuve du terrain ... 121

3.5 Les effets des adaptations du plan de recherche ... 126

3.6 Représenter les populations difficiles à atteindre : un constant dialogue entre exigences statistiques et éléments constitutifs du terrain ... 132

3.7 Bibliographie ... 134

Chapitre 4. Confronting Active Ageing with Empirical Evidence: a Structural Equation Model Approach. The Case of Older Migrants Living in Switzerland. ... 139

4.1 State of the art ... 141

4.1.1 Critiques of active ageing in scientific literature ... 142

4.1.2 Older migrants in a life course perspective ... 145

4.2 Method ... 148

4.2.1 Participants and procedures ... 148

4.2.2 Statistical analyses ... 149

4.3 Results ... 151

4.3.1 Measurement model ... 151

4.4 Discussion and conclusion ... 156

4.5 References ... 161

Chapitre 5. Active Ageing and Immigrant Elders: a possible relation? Exploring the case of Switzerland ... 169

5.1 The notion of active ageing ... 170

5.2 Active Ageing of immigrant elders ... 171

5.3 Social and Health situation of immigrant elders in Switzerland ... 172

5.4 Older immigrants and retirement perception ... 173

5.5 Life after retirement: activism or disengagement? ... 176

5.6 Discussion ... 180

5.7 References ... 181

Chapitre 6. Active Ageing in Switzerland: A Study on the Determinants of Extending Occupational Activity and Voluntarism of Late Retirement ... 187

6.1 Older Workers and Retirement Context in Switzerland ... 189

6.2 Determinants of Retirement Timing and Voluntarism of Retirement ... 191

6.3 Determinants of Retirement Timing and Voluntariness of Retirement .... 193

6.3.1 Influence of Life Events on Retirement Timing and Voluntariness of Retirement ... 193

6.3.2 Influence of Positional Factors on Retirement Timing and Voluntariness of Retirement ... 194

6.4 Methods ... 196

6.4.1 Data ... 196

6.4.2 Variables ... 196

6.4.3 Statistical Methods ... 198

6.5 Results ... 199

6.6 Discussion ... 203

6.7 Conclusion ... 205

6.8 References ... 207

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Chapitre 7. Les figures du vieillissement actif au prisme des parcours de vie.

Illustrations par le cas des populations âgées issues de la migration résidant en

Suisse. 213

7.1 Données et méthodes d’analyse ... 216

7.2 Vieillissement actif en Suisse et immigrés âgés dans une perspective de parcours de vie ... 218

7.3 « Vivre plus longtemps, c’est travailler plus longtemps » ... 222

7.4 « Jamais trop vieux pour!prendre soin les uns des autres » ... 227

7.5 « Jamais trop vieux pour! s’engager pour une bonne cause » ... 230

7.6 « Il y a d’importants bénéfices économiques à l’activité physique des personnes âgées » ... 231

7.7 Conclusion ... 233

7.8 Annexes ... 235

7.9 Bibliographie ... 239

Chapitre 8. Conclusion ... 249

8.1 Principaux apports et pistes de recherche ... 249

8.2 De l’utilité des migrants âgés pour informer le champ du vieillissement . 256 8.3 Le vieillissement actif : une notion ambivalente ... 260

8.4 Pour une recherche critique ... 267

8.5 « Donner la parole aux gens sans parole » et défendre le « prendre part » 272 8.6 Jalons de réflexions pour un vieillissement démocratique ... 276

8.7 Bibliographie ... 281

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Résumé

Pour une question de fluidité du texte, le langage épicène n’est pas utilisé, cependant la forme féminine est sous-entendue. Sauf mention contraire, il est entendu par « migrants âgés » les personnes originaires d’Italie, d’Espagne et du Portugal résidant en Suisse. La justification de cette appellation est discutée dans le texte.

Cette thèse a pour objectif d’interroger la notion de vieillissement actif au prisme des parcours de vie des personnes âgées originaires d’Italie, d’Espagne et du Portugal résidant en Suisse. Elle s’attache à dévoiler les enjeux et hypothèses implicites d’une notion présentée dans certains discours politiques comme

« solution aux défis » posés par le vieillissement des populations. Le chapitre introductif retrace l’émergence de la notion de vieillissement actif comme représentation sociale, théorie gérontologique et instrument de politique publique, puis de quelle manière ces trois éléments s’articulent actuellement pour légitimer la norme sociale à l’activité au temps de la vieillesse. Il explique ensuite pourquoi confronter le vieillissement actif aux parcours de vie des migrants âgés permet d’analyser les rapports sociaux d’âge qui se jouent dans le processus de vieillissement, que ce soit les rapports sociaux liés à la position sociale, de sexe, mais également ceux liés au fait migratoire. Le second chapitre (co-écrit avec Pierre-Alain Roch) identifie les mécanismes que la Communauté européenne met en place pour légitimer et diffuser la notion de vieillissement actif. Il s’appuie sur une analyse qualitative du matériel issu de l’Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle tenue en 2012. Le troisième chapitre revient sur les enjeux méthodologiques propres aux enquêtes quantitatives auprès des populations dites difficiles d’accès en revenant sur les obstacles et ajustements des procédures d’enquête expérimentés pendant le terrain de l’enquête Vivre / Leben / Vivere (VLV). Il se base sur le suivi quantitatif de l’enquête et sur un corpus de données qualitatives retrançant le déroulé du terrain. Les quatrième (co-écrit avec Jonathan Zufferey) et cinquième chapitres (co-écrit avec Claudio Bolzman) confrontent les discours du vieillissement actif aux pratiques et propos des personnes âgés. L’un adopte un modèle d’équation structurelle appliqué aux données VLV pour identifier les types d’activités pratiquées par les personnes âgées et leurs déterminants, l’autre revient sur des analyses qualitatives de précédentes enquêtes qui interrogent le sens que les migrants âgés donnent à leurs pratiques. Basés sur les données de l’enquête VLV, les sixième (co-écrit avec Ignacio Madero-Cabib) et septième (co-écrit avec Pierre-Alain Roch) analysent les figures du « senior actif » (le senior travailleur, le senior bénévole, le senior fournisseur de care et le senior sportif) au prisme des parcours de vie. Le dernier chapitre conclut sur une synthèse des principaux résultats et présente plusieurs pistes de réflexions transversales à l’ensemble de la thèse.

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Remerciements

La thèse a la réputation d’être un travail solitaire de longue haleine. Dans mon cas, le stéréotype du « rat de bibliothèque » ne s’est heureusement pas vérifié.

Certes, mes travaux de recherche ont été marqués par de longues heures de travail d’écriture en tête-à-tête avec mon ordinateur. J’ai eu toutefois l’immense privilège d’avoir côtoyé au cours de mon parcours académique une multitude de personnes grâce auxquelles ce manuscrit a peu à peu pris forme et s’est enrichi.

Je tiens à les remercier du plus profond de mon cœur pour avoir fait de ces cinq années universitaires un bagage pour la vie. J’espère que ces premiers projets de recherche ne seront que le début d’une recherche au service de l’intérêt public.

Mes remerciements vont d’abord à Etienne Christe, co-requérant du projet

« Vivre/Leben/Vivere – Démocratisation de la vieillesse ? Progrès et inégalités en Suisse » (VLV) et décédé le 14 octobre 2013, pour son attitude positive, sa simplicité et son altruisme face à ses recherches.

Ma gratitude s’adresse également aux Professeurs Claudio Bolzman et Michel Oris, qui ont dirigé ma thèse. Ils m’ont fait confiance et m’ont accordé l’autonomie nécessaire à sa réalisation. Ils m’ont aussi donné l’opportunité de participer à la recherche VLV.

Je remercie les Professeurs Jean-Michel Bonvin, Nathalie Burnay et Philippe Wanner d’avoir bien voulu prendre part au jury de cette thèse et consacrer une partie de leur temps à son évaluation.

Mes remerciements s’adressent également aux coauteurs des articles de ma thèse : Ignacio Madero-Cabib, Pierre-Alain Roch et Jonathan Zufferey. Ces collaborations ont été l’occasion d’échanges fructueux de réflexions, de savoir- faire, et de compétences théoriques et statistiques. J’ai particulièrement apprécié nos dynamiques positives et constructives.

Cette thèse est issue de travaux menés au sein de la recherche VLV conduite dans le cadre du Pôle de recherche national LIVES (IP13) et le projet SINERGIA CRSII1-129922, dirigée par le Professeur Michel Oris, et financée par le Fonds national suisse de la recherche scientifique. Je remercie le Fonds national suisse de son aide financière et le Pôle de recherche national LIVES pour avoir autorisé les doctorants à consacrer l’ensemble de leur temps rémunéré à leur travail de thèse.

Je tiens à exprimer ma plus grande reconnaissance aux migrants âgés et aux personnes d’origine suisse qui ont participé à l’enquête VLV. Leurs témoignages

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ont rendu mon travail de thèse absolument passionnant. J’espère avoir pu rendre compte de leurs parcours de vie avec rigueur scientifique et respect.

Puissent-ils vivre la vieillesse à laquelle ils aspirent.

La réussite de cette thèse repose largement sur l’implication des enquêteurs et enquêtrices chargés de mener les enquêtes auprès des migrants âgés. Ce travail s’est nourri des nombreux échanges informels que j’ai eus lors du terrain d’enquête avec Ana, Cristina, Giorgia, Irene, Judith, Filipa, Liliana, Valerio et Victoria. Je les en remercie chaleureusement.

J’ai eu le privilège de superviser les stages de Laurie Tullen (en collaboration avec Aude Tholomier), Amgalan Munkhdorj et Vanesa Alonso : je leur sais gré pour la richesse et la réciprocité de nos échanges, leur confiance dans l’encadrement de leur travail de mémoire de Master ainsi que leur énergie positive.

Mes remerciements s’adressent également à l’ensemble des collaborateurs et collaboratrices anciens et actuels du Centre interfacultaire de gérontologie et d’études des vulnérabilités, notamment à Nathalie Blanc, Delphine Fagot et Claire Grela pour leur disponibilité, leur écoute et la relecture des parties de ce manuscrit. Je suis aussi reconnaissante pour les efforts entrepris par l’ensemble des responsables du terrain VLV, Alessandra Rosciano, Aude Tholomier, Marthe Nicolet, Angelica Torres, Nora Dasoki, Stefanie Spahni, et en particulier Julia Henke et Rainer Gabriel, responsables du terrain bâlois où a eu lieu l’enquête auprès des personnes âgées d’origine italienne et ex-yougoslaves, qui n’ont pas ménagé leur peine pour mettre en œuvre l’enquête VLV auprès de ces populations difficiles d’accès.

Je remercie les évaluateurs anonymes des articles constitutifs de cette thèse et les personnes avec lesquelles j’ai pu échanger lors des conférences scientifiques. Grâce à leurs critiques constructives, ces personnes m’ont permis de questionner ma démarche scientifique, d’élargir mes horizons et d’enrichir mon travail.

Je tiens enfin à exprimer toute ma reconnaissance à mes proches pour leur soutien sans faille :

Merci à mes amis pour votre présence : Alizée, Angelica, Anne, Armando, Carine, Cyntia, Janique, Jonathan, Julia, Katia, Katja, Kwamé, Laurie, Marianne, Marjo, Nadia et Vanesa.

Merci particulièrement à Janique et Nadia, mes compagnonnes de bibliothèque pour avoir fait de deux phases cruciales du processus doctoral – le projet et la

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fin de thèse – des moments magnifiques qui resteront à jamais gravés dans ma mémoire.

Merci à Lorena, Luc, Floriane et Diane pour avoir été bien inspirés dans vos conseils.

Merci à Marseille, la ville qui m’a vue grandir, pour avoir suscité en moi – avant même que j’en ai conscience – l’intérêt pour l’étude des migrations et des inégalités sociales.

Merci à ma Grand-Maman, mes tantes et oncle, Marlène, Anne-Lise et Daniel pour votre soutien et votre présence depuis de si longues années.

Merci à mon frère, Gaëtan, pour ton énergie et la qualité de nos échanges.

Merci à ma sœur, Jolène, et mon beau-frère, Julien, de m’avoir accueillie pendant mes escapades marseillaises.

Merci à ma nièce, Manon, et mon neveu, Rafael, pour votre joie de vivre.

Merci à mes parents. Merci d’avoir été présents. Merci pour votre écoute. Merci d’avoir échangé avec tant de simplicité et de sincérité. Merci d’avoir fait de moi une migrante, avec toute la richesse que cela représente. Papa, merci de te laisser bousculer par nos débats. Maman, merci infiniment de m’avoir encouragée à persévérer dans mes études universitaires (et merci aussi pour les relectures de dernière minute !).

Merci à PA d’être mon compagnon de vie et d’avoir partagé ce bout de chemin avec moi. Ce fut passionnant et c’est loin d’être fini!

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« Produit, le plus souvent, d’une problématique imposée de l’extérieur, et à laquelle il n’est pas toujours facile d’échapper, le discours (scientifique ou non) tenu sur l’immigré et sur l’immigration se condamne, pour pouvoir parler de son objet, à le coupler avec toute une série d’autres objets ou d’autres problèmes. Est-il d’ailleurs possible d’en parler autrement ? Il est dans le statut de l’immigré (statut tout à la fois social, juridique, politique, et aussi scientifique) et, par suite, dans la nature même de l’immigration de ne pouvoir être nommés, de ne pouvoir être saisis et traités qu’à travers les différents problèmes auxquels ils sont associés – problèmes qu’il faut entendre, ici, au sens de difficultés, d’ennuis, de dommages, etc. – plus qu’au sens d’une problématique constituée de manière critique en vue de l’étude d’un objet qui fait nécessairement problème et qui, caractéristique qui lui est propre, n’existe à la limite, que par les problèmes qu’il pose à la société. Sans doute la problématique vraie et appropriée à ce domaine devrait-elle commencer par se donner comme premier problème préalable, le fait qu’il s’agit d’un objet qui fait problème" » (Sayad 2006, p. 16).

En préambule de ce travail de recherche doctorale, il me paraît indispensable de présenter les raisons qui m’ont amenée à consacrer plus de quatre ans de ma vie professionnelle à interroger les normes contemporaines du vieillissement – en particulier celles relatives au vieillissement actif – au prisme des parcours de vie des populations âgées issues de la migration. L’auto-analyse de ses propres motivations et rapports à son objet de recherche constitue en effet une étape préalable nécessaire à tout travail sociologique pour permettre une prise de conscience de ses prénotions, être capable de « neutraliser ses sentiments et refouler ses passions » et passer du « sens commun au sens sociologique » (Paugam 2008, p. 33).

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La première idée de cette thématique est survenue lorsque j’ai assisté au séminaire « Active Ageing and Empowerment of Migrant Elders »1 organisé par la Commission européenne et certains de ses partenaires2 à Bruxelles, le 14 avril 2011. Sans avoir d’attentes particulières sur le contenu des présentations, ma curiosité a soudain été piquée au vif quand je me suis rendue compte que les discussions portaient sur des thèmes tels que « l’intégration »,

« l’apprentissage de la langue locale », « l’accès aux services », « le logement », « les difficultés des migrants âgés », « la participation active des migrants âgés à la société locale », et que la seule fois où une personne de l’assistance a soulevé la question des trajectoires professionnelles marquées par la mobilité et les enjeux de l’harmonisation européenne en matière de versements des pensions, il lui a été rétorqué que ce n’était ni le lieu ni le moment d’aborder ce thème.

Dès lors, j’ai commencé à noter une série de questions sur mon bloc-notes, telles qu’elles me venaient « naïvement » à l’esprit : « Pourquoi l’Union européenne parle-t-elle de vieillissement actif ? Pourquoi ne parle-t-elle pas de vieillissement en santé par exemple ? Pourquoi n’aborde-t-elle pas les questions de la mort, de la dépendance, du retour au pays d’origine, des accords bilatéraux en matière de retraite ? Pourquoi a-t-elle besoin d’élaborer un projet spécifique pour les migrants âgés en vue de l’Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle3 ? Pourquoi ces derniers doivent-ils encore être "intégrés" ? Ne peuvent-ils pas vivre leur vieillesse comme ils l’entendent ? Pourquoi veut-on/doit-on les aider ? Pourquoi la Commission européenne a-t-elle besoin d’organiser un concours pour élire le meilleur projet ? Pourquoi a-t-elle besoin de réunir les acteurs politiques et sociaux des milieux concernés par la thématique pour présenter les résultats de son concours ? Pourquoi cela pose-t-il problème que la personne immigrée ne parle pas la langue après trente ans passés dans le pays d’arrivée ? Et si le migrant n’est pas actif, est-ce grave ? Est-ce que cela en fait un "mauvais âgé"

en plus d’être un "mauvais immigré" ? Pourquoi le pointe-t-on encore du doigt alors qu’il l’a déjà souvent été pendant sa vie professionnelle dans le pays d’arrivée ? Pourquoi le vieillissement actif est-il présenté comme LA solution aux

"défis" du vieillissement ? Pourquoi cette histoire de vieillissement actif me

1 Le titre entier de la manifestation était « Active Ageing and Empowerment of Migrant Elders.

Learning from winners of the European local authorities competition for migrant elders. European exchange of experience and development of cooperation », soit : « Vieillissement actif et empowerment des migrants âgés. Apprendre des gagnants de la compétition des autorités locales européennes pour les migrants âgés. Echange d’expériences et développement de la coopération européens » [Notre traduction].

2 Les partenaires étaient les suivants : Conseil des Communes et Régions d’Europe ; Ministerium für Gesundheit, Emanzipation, Pflege und Alter des Landes Nordrhein-Westfalen ; Comité des Régions de l’Union européenne ; Parlement européen, AKTIONCourage, füreinander Welten öffnen frei von Rassismus.

3 Cette année a eu lieu en 2012 (cf. chapitre 2).

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dérange-t-elle ? Ne serait-elle pas justement la solution toute trouvée pour assurer la pérennité des systèmes de pension et de santé tout en améliorant le bien-être des personnes âgées ? Pourquoi doit-on être encore actif/activé une fois à la retraite ? "Vieillir pose-t-il vraiment problème4" ? Etc. »

« La mise en énigme de ce qui semble aller de soi » (Paugam 2008) a ainsi marqué le commencement de mon questionnement sociologique. Puis j’ai cherché à « changer le regard, aller voir derrière, dévoiler le monde social » (Paugam 2008, p. 33) et pratiquer « l’art de la méfiance » (Becker 1986) pour considérer le vieillissement actif comme une représentation préétablie dont les caractères d’inéluctabilité, de généralité et d’évidence doivent être questionnés, déconstruits et considérés comme objet sociologique (Lenoir 1999, Hummel 2009) : « dans la tradition du déconstructionnisme, une perspective critique met à l’épreuve la nouvelle gérontologie5 au regard de ses contradictions et ses hypothèses implicites qui pourraient sinon ne pas être relevées6 » (Holtsein et Minkler 2003, p. 787).

Du côté du second volet de mon objet de recherche, à savoir les migrants âgés, je me base sur une revue de la littérature menée par Lefrançois (2013) qui insiste sur les enjeux pour le chercheur de nommer et désigner selon une ou plusieurs caractéristiques telles que l’âge ou le statut en emploi7. Par analogie, son apport me permet de me pencher sur les enjeux de la catégorisation des migrants âgés dans le cadre d’une recherche sociologique. La littérature sur laquelle s’appuie Lefrançois identifie les enjeux suivants8 : il existe un risque de naturalisation et de réification dans le fait de désigner et nommer (en particulier pour les groupes en situation de domination sociale à cause de leur genre, de leur situation de handicap, de leur origine ethnique, etc.) ; désigner signifie aller au-delà de nommer, il s’agit également de qualifier, connoter, caractériser ; les mots ne sont pas neutres : ils ont un pouvoir performatif, ils modèlent la perception de la réalité et sont utilisés dans le cadre de politiques publiques qui établissent des publics cibles et des catégories « officielles » ; ces mots

4 Interrogation empruntée à Bernier & Mallon (2009).

5 Ces auteures entendent par « nouvelle gérontologie » les courants du bien vieillir à l’instar du vieillissement réussi ou du vieillissement actif (cf. infra).

6 [Notre traduction] « In the tradition of decontructionism, a critical perspective probes the new gerontology for its contradictions and unstated assumptions that might otherwise go unnoticed ».

7 Le travail de recherche de Lefrançois (2013) porte sur la catégorie des « chômeurs âgés ».

8 La liste des enjeux reprend les propos des travaux suivants sélectionnés par Lefrançois (2013) :

Bourdieu P. 2001. Langage et pouvoir symbolique. Paris : Seuil.

Demazière D., Dubar C.1997. Dire les situations d’emploi. Confrontation des catégories statistiques et des catégorisations indigènes. Sociétés Contemporaines, n°26, p. 93-107.

Guillaumin C. 2002. L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel. Paris : Gallimard.

Muller P. L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique. Revue française de science politique, vol. 50, n°2, p. 189-208.

Strauss A. L. 1992. Miroirs et masques. Une introduction à l’interactionnisme. Paris : Métailié.

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renvoient donc à des enjeux politiques et sociaux (ex. : senior, vieillard, la personne âgée, les personnes âgées, immigré, expatrié, exilé fiscal, étranger, binationaux, issu de la diversité, retraité, etc.) et témoignent de la transformation des orientations et des référentiels de l’action publique à leur égard. Pour déconstruire ces catégories et s’en distancier, Lefrançois reprend une

« ficelle du métier de sociologue » offerte par Becker (2002) : pour définir une population d’étude, il propose de s’appuyer sur la définition institutionnelle des publics tout en la déconstruisant.

Dans mon cas, les populations d’étude sont désignées comme « migrants âgés »9. Pourtant, je suis consciente que l’expression qui tendrait le plus vers la

« réalité » serait « populations âgées entre 65 et 79 ans issues de la migration en provenance d’Italie, d’Espagne et du Portugal » : le mot « âgées » renvoie au fait que les répondants sont sélectionnés sur le critère de l’âge et l’expression

« migration en provenance d’Italie, d’Espagne et du Portugal » que les répondants sont sélectionnés selon leur pays d’origine. En utilisant la catégorie

« migrants âgés » comme « ficelle », un certain malaise se crée si un travail de distanciation n’est pas auparavant réalisé : peut-on encore être désigné comme

« migrant » après un long séjour passé dans le pays d’arrivée ? Cela ne renvoie-t-il pas de nouveau ces populations à leur altérité ?

Dans le cadre d’une recherche sur les discriminations raciales, Mazouz (2008) rend compte de ce même malaise lié à sa posture d’anthropologue lors de la production de données, des analyses et de l’écriture des catégories qui participent de l’altérisation et de l’assignation à la différence : « déconstruire et critiquer l’assignation raciale impose d’utiliser les catégories raciales tout en les rejetant. Le problème n’est pas d’ordre logique. Il s’agit bien d’un paradoxe et non d’une contradiction. (!) Le problème est alors d’ordre épistémologique et politique dans la mesure où les questions de méthode et de constitution d’un savoir sur ces questions sont porteuses d’enjeux et d’effets politiques aussi bien pour les individus étudiés que pour l’anthropologue » (Mazouz 2008, p. 91). Elle résout cette tension propre au discours qui vise à déconstruire une position de minoritaire par le respect du « principe d’inquiétude » qui permet de dénaturaliser les questions, raciales dans son cas, de migration dans le nôtre.

Poser la question en termes de « migrant » ou « âgé » n’est pas la question en soi du « migrant » ou de l’ « âgé » considérés de manière essentialiste. Il s’agit plutôt d’aborder la question des processus sociaux par lesquels on en vient à s’intéresser et à problématiser les migrants âgés.

9 Désignation établie par l’administration fédérale dans ses travaux relatifs à la politique de la vieillesse en Suisse :

http://www.bsv.admin.ch/themen/kinder_jugend_alter/00068/?lang=fr (consulté le 8 novembre 2014).

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En faisant appel au regard et aux outils sociologiques, cette thèse se pose comme proposition de réponses aux questions « naïves » que je me suis posée il y a quelques années de cela. Pour débuter ce travail, le présent chapitre introductif utilise une autre des « ficelles » du métier de sociologue, cette fois-ci proposée par Paugam (2008, p. 28) : « Vouloir rejeter systématiquement la référence à ces mots en raison de leur caractère vague ou des idées – des idéologies – implicites ou explicites qu’ils véhiculent n’a pas de sens, en particulier lorsque l’on a expliqué pourquoi il en est ainsi et que l’on s’est efforcé d’élaborer des concepts plus précis. Pour cela, il faut commencer par les déconstruire, puis procéder à la reconstruction de l’objet qui tout en en étant proche s’en distingue pourtant ». Passer du sens commun au sens sociologique de l’objet qui nous occupe est ici entrepris en deux étapes. La première consiste à interroger la notion de vieillissement actif afin de déconstruire le sens commun y rattaché, puis à définir précisément ce que la catégorie « migrants âgés » sous-tend afin de désessentialiser l’usage de ce terme. La seconde étape s’attache à démontrer la pertinence de l’étude des migrants âgés pour mener une réflexion autour des éléments véhiculés par le vieillissement actif.

1.1 Déconstruire l’objet : « s’affranchir des prénotions »10 associées au vieillissement actif et aux migrants âgés

Déconstruire son objet pour le départir du sens commun puis le reconstruire pour lui donner un sens sociologique passe nécessairement par le remaniement des concepts et catégories utilisés pour qu’émergent un nouveau questionnement et une nouvelle problématique (Paugam 2008). Afin de ne pas créer de confusion chez le lecteur, cette première section traite de manière distincte le vieillissement actif et les migrants âgés. Ces deux volets n’ont en effet auparavant jamais été traités conjointement dans la littérature scientifique.

Dès lors, il s’agit de saisir les enjeux spécifiques que chacun véhicule avant d’être apte à interroger la pertinence de leur articulation.

1.1.1 Vieillissement actif : une notion à l’intersection entre représentation sociale, théorie gérontologique et politique publique

En ce début de XXIème siècle, le vieillissement se pose comme un « défi » - ou un « problème » selon les acteurs qui s’en saisissent – pour les individus et les politiques publiques. L’augmentation de l’espérance de vie, y compris en bonne santé, est à la fois perçue comme un progrès pour l’humanité et un risque

10 Expression empruntée à Paugam (2008, p. 22).

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pesant sur la pérennité des systèmes de pensions et de santé, voire une source potentielle de conflits intergénérationnels (Tinker 2002, Christensen 2009).

En Europe, l’augmentation de l’espérance de vie et du niveau de vie moyen des personnes à la retraite, notamment grâce à l’introduction des systèmes de pension au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, engendre plusieurs effets dont l'accroissement du poids électoral des populations âgées, les enjeux liés à la valorisation de leurs statuts et rôles, des évolutions dans les modes de vie, pratiques et valeurs, des hétérogénéités en termes d’âge et de conditions de vie, l’émergence d’un temps entre la retraite et la perte des facultés physiques et/ou mentales, l’apparition sur l’agenda politique des risques pesant sur les systèmes de pension et de santé, etc. (Lalive d’Epinay et al. 2000, Caradec 2008, Bonoli et al. 2008, OFAS 2012, Wanner 2014).

Dans ce contexte, le vieillissement actif apparaît comme « réponse aux défis » – ou « solution aux problèmes » – posés par le vieillissement. Aller au-delà du sens commun, qui serait de louer une notion qui vise l’amélioration du bien-être des personnes âgées tout en préservant les systèmes de pension et de santé, nécessite de poser les questions des raisons de sa définition et de sa prégnance. Correspond-il à une représentation sociale de la vieillesse ? S’agit-il d’un concept ? Comment s’inscrit-il dans les politiques actuelles en matière de vieillesse et de retraite ?

1.1.1.1 Le vieillissement actif comme représentation sociale « positive » de la vieillesse

La vieillesse a fait l’objet de nombreuses représentations sociales au cours de l’Histoire. On entend par représentation sociale « une forme de connaissance socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d'une réalité commune à un ensemble social ou culturel » (Jodelet 1994, p. 36). L’image du « vieillard », « senior », « vieux » ou autre

« grabataire », est le fruit d’une construction sociale dans le sens où elle ne peut pas être détachée du traitement de la vieillesse fait par la société et par les acteurs sociaux (Ariès 1983). Les affiches de promotion de Pro Senectute (2007), plus grande organisation professionnelle au service des personnes âgées en Suisse, illustrent les transformations de l’image de la vieillesse dans ce pays (cf. figure 1).

Figure 1 : Affiches de promotion de Pro Senectute

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Ces images correspondent aux deux représentations classiques dans l’Histoire, une image négative et une image positive, ce qu’Hummel (1998) appelle la

« vieillesse ingrate » et la « vieillesse épanouie ». Selon elle, la première renvoie à la dégénérescence (handicap, maladie, sénilité, démence, etc.) qui est associée à l’incapacité, l’inactivité, la dépendance, l’inutilité, l’isolement, l’asexualité, la tristesse et la dépression. La seconde fait référence à l’autonomie (liberté, affranchissement de la personne âgée) qui est rattachée à la capacité, l’activité, l’ouverture, l’indépendance, la participation, l’intégration, la sexualité, le bonheur et la joie de vivre.

Ces deux types d’images de la vieillesse sont véhiculés par les médias, les pouvoirs publics, les institutions, et sont parfois relayés par les publications en gérontologie (cf. infra). Ces deux représentations font écho à une image polarisée de la vieillesse qui oscille entre connotations positives et négatives et qui ont cours depuis des siècles (Bourdelais 1993)11. Pendant l’Antiquité, l’individu âgé est socialement valorisé car il est détenteur de la sagesse et du pouvoir. Au Moyen-Âge, cette image est largement supplantée par celle de l’indigent, du répugnant, du puant, etc. (Ariès 1983). Au XVIIIème siècle, l’image valorisante regagne du terrain avec la Renaissance : « Doté d’une grande dignité, la vieillesse ne le [l’individu âgé] dégrade pas, même s’il est infirme ; il sera alors tout simplement assis dans un fauteuil. Il est entouré de gens qui viennent prendre son enseignement. C’est réellement une toute autre représentation : le vieillard devient le patriarche » (Ariès 1983, p. 48). Relevons que ces figures sont attribuables au sexe masculin et non féminin, ce qui soutient une fois encore la thèse d’une construction sociale de la vieillesse, cette fois-ci au regard des rapports sociaux de sexe et d’âge. À la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, avec l’avènement de l’essor industriel, l’image de la vieillesse ingrate est une nouvelle fois dominante.

11 Nous renvoyons à la thèse de Hummel (2000) pour une revue exhaustive de l’histoire des représentations de la vieillesse.

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Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la retraite s’institutionnalise et devient l’un des piliers fondateurs de l’Etat social (en Suisse, l’AVS est en vigueur dès 1948). L’arrêt du travail concorde avec l’entrée dans la vieillesse et le droit au repos légitime. Puis, avec l’augmentation de l’espérance de vie et du niveau de vie des retraités, une nouvelle étape du parcours de vie s’intercale entre arrêt définitif de l’activité professionnelle et vieillesse (Lalive d’Epinay 1996). Ces deux étapes correspondent à la distinction encore fréquemment usitée entre troisième et quatrième âge. L’image de la vieillesse épanouie devient alors prégnante. Les recherches d’Hummel (1995, 1998) révèlent en effet que si le modèle de la vieillesse ingrate est anciennement davantage ancré, le modèle de la vieillesse épanouie correspond, quant à lui, à l’évolution des valeurs relatives à l’institutionnalisation de la retraite et au sens donné à cette étape du parcours de vie : « Les éléments cardinaux de cette autre conception de la vieillesse sont l’autonomie et la liberté. Sénescence ne rime plus avec dégénérescence, une bonne hygiène de vie associée au soutien apporté par la médecine ouvrant la porte à un "nouvel art de bien vieillir". La liberté est donnée par l’élimination des contraintes professionnelles et familiales, par l’entrée dans un espace-temps où tout est à construire, à créer. L’âge d’or prend le pas sur l’âge noir. Contrairement à la vieillesse ingrate marquée par la dépendance et donc par la relation à autrui (bien que ce soit une relation à sens unique et connotée négativement), l’image de la vieillesse épanouie est fortement imprégnée par les valeurs modernes (!). Chacun est responsable de sa vieillesse, ou plutôt de son mode de vie (illir) ». (Hummel 1998, p. 26).

Dans ce même article, Hummel souligne que l’image de la vieillesse épanouie ne résulte pas d’une lente évolution de la représentation de la vieillesse ingrate, mais est construite « par opposition » à cette dernière pour en prendre le

« contrepied » afin que l’une soit l’exacte « réplique en négatif » de l’autre (Hummel 1998, p. 28) : « la représentation de la vieillesse [épanouie] se construit sur la peur des individus de perdre leur autonomie, leur indépendance, leurs capacités, leur intégrité physique, psychique et morale » (Hummel 1998, p.

34). Ces valeurs sont d’autant plus valorisées qu’elles correspondent à l’ethos de l’épanouissement personnel sur laquelle est basée la société actuelle (Lalive d’Epinay 1996). L’objectif est ici d’être apte à la réalisation de soi grâce à l’activité. Hummel (1998) défend l’idée que la représentation sociale actuelle de la vieillesse se construit sur la peur d’incarner la vieillesse ingrate qui mettrait les valeurs telles que l’autonomie ou l’indépendance en péril en devenant dépendant, inutile, isolé, exclu, soit le contraire de ce qui est vu comme normal et valorisé dans nos sociétés.

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Cette représentation sociale de la vieillesse fait le lit du vieillissement actif. Ce dernier met en valeur le « senior actif » qu’il décline en quatre types : le travailleur, le sportif, le bénévole et le proche-aidant. Ces figures sont récurrentes dans les supports de diffusion des tenants du vieillissement actif (cf.

figure 2).

Figure 2 : Les figures du « senior actif » prônées par le vieillissement actif

De gauche à droite :

- Le « senior travailleur » (Commission Européenne 2012, p. 8) - Le « senior sportif » (Eurostat 2011, p. 1)

- Le « senior proche-aidant »12 - Le « senior bénévole »13

Ces supports, construits par opposition à l’image de la vieillesse ingrate, évacuent totalement les images de dépendance (cf. chapitre 2) : le senior actif est le modèle à incarner par opposition à celui du vieillard dépendant et pour palier les « maux de la vieillesse ». Si la figure du senior actif est présentée comme une forme de connaissance objectivée et ancrée socialement – ce qui fait d’elle une représentation sociale (Hummel 1998) – elle n’en demeure pas moins une image stéréotypée et tronquée du vieillissement, vieillissement qui est caractérisé dans la réalité par une multiplicité d’expériences du vieillir (Grenier et Brotman 2010). La recherche de Burnay (2013) illustre ce dernier argument : elle identifie plusieurs idéaux-types de travailleurs en fin de carrière tels que le « saturé » (« lorsque la tête ne suit plus! ») ou le « fatigué » (« lorsque le corps ne suit plus! ») qui se situent loin de la figure du senior travailleur heureux de partager son expérience et de participer activement au marché de l’emploi. En outre, la figure du « senior actif » élude complètement l’image de la vieillesse dans d’autres contextes. À titre d’exemple, la traduction du mot retraite en espagnol est « jubilación » mot qui signifie « fêter quelque chose », en l’occurrence le fait de ne plus être obligé de travailler, alors que le terme « pensione » en italien renvoie à la perception d’une rente qui n’est plus le fruit d’un travail mais une pension fournie par l’Etat et/ou des institutions

12 Extrait du clip promotionnel « Never too old to! European Year 2012 video » de l’Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle.

13 Extrait du clip promotionnel « Never too old to! European Year 2012 video » de l’Année européenne du vieillissement actif et de la solidarité intergénérationnelle.

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privées (Bolzman et Kaeser 2012). Nombreux aussi sont les absents des figures proposées par le vieillissement actif : les images liées à la mort, l’alitement, la chute, la canne, la maladie, la perte de facultés mentales et physiques ou la dépendance tendent à ne plus être des images légitimes dans l’espace public.

Dès lors, il existe un risque de stigmatiser ceux qui ne correspondent pas à la figure du senior actif et de retomber dans les mêmes stéréotypes que ceux véhiculés par l’âgisme14, surtout quand cette figure est posée comme objectif à atteindre par un pan de la gérontologie.

1.1.1.2 Le vieillissement actif au regard de l’évolution du traitement scientifique du vieillissement

Bien qu’à l’origine de nombreuses études empiriques, la gérontologie a peiné à produire un paradigme capable de rendre compte des réalités sociales du vieillissement des populations (Johnson 2001, Baars et al., 2006). Dans sa quête d’identité disciplinaire, elle est à l’origine, en à peine un siècle, d’un nombre important de théories dont certaines ont du mal à s’extraire d’une représentation stéréotypée des personnes âgées, représentation qui s’accompagne d’un ensemble de stigmatisations masquant souvent la diversité des réalités vécues. En d’autres termes, il existe une certaine perméabilité entre le champ de la gérontologie, les représentations sociales et le champ politique, ce qui peut parfois prêter à confusion, voire servir la légitimation et la diffusion d’une certaine approche de la vieillesse (cf. infra et chapitre 2). Le vieillissement actif fait partie de ces tentatives de conceptualisation de la vieillesse qui sont critiquées pour la vision tronquée qu’elles offrent des conditions, processus et expériences du vieillir. Nous proposons de retracer ci-après l’ancrage théorique du vieillissement actif, les principales critiques qui lui sont adressées et les développements théoriques plus récents afin de mieux situer les conditions de production et de réappropriation politique d’une approche que d’aucuns ont élevé au rang de « théorie ».

De la tentation d’une approche polarisée : entre vieillissement pathologique et bien vieillir

Dépoussiérées du déterminisme biologique qui les imprègne au XIXe siècle et de l’image d’une vieillesse misérabiliste en cours jusque dans les années 1950, gérontologie et gériatrie tendent à se développer dans la deuxième moitié du XXème siècle dans l’opposition entre vieillissement pathologique et vieillissement normal (Hummel 2002). Alors que la gériatrie se charge d’étudier

14 Âgisme (ou Agéisme) est un terme collectif qui désigne des préjudices et discriminations à l'encontre des individus en raison de leur âge, par analogie avec le racisme. Il peut s'agir de discriminations sur le marché du travail, en politique ou dans la société en général (Dictionnaire suisse de politique sociale).

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les mécanismes conduisant aux afflictions physiques et mentales spécifiques au processus de vieillissement, un pan significatif de la gérontologie s’attache à identifier les conditions favorables au « bien vieillir » définit comme le maintien des fonctions physiques et mentales (Hummel 2005). Au cours des années 1950 et 1960, la gérontologie connaît un développement théorique, aux Etats- Unis en particulier, qui cherche à indiquer la voie pour un vieillissement réussi.

De nombreuses enquêtes quantitatives sont produites pour identifier les déterminants de la « satisfaction de vie » ou du « bien-être » au temps de la vieillesse.

Ces recherches s’inscrivent dans le courant structuro-fonctionnaliste qui postule que l’individu est défini par les rôles sociaux et les positions statutaires qu’il occupe au sein de la société. Dans cette perspective, le vieillissement est caractérisé par une perte des rôles professionnels et familiaux. Il s’agit alors d’analyser comment les individus font face à ces pertes (Caradec 2008). Deux théories apportent une réponse opposée à cette quête et vont polariser le débat pendant plusieurs décennies : celle du désengagement qui prône un retrait progressif de la vie active allant de pair avec un abandon des différents rôles sociaux et interactions sociales de l’individu au fur et à mesure que le processus de vieillissement fait son œuvre (Cumming et Henry 1961), et celle de l’activité qui pose comme condition au bien vieillir le maintien des activités et des rôles sociaux le plus longtemps possibles (Palmore 1968)15. Cette seconde théorie postule que la condition d’un vieillissement réussi repose sur le combat des manifestations des signes du vieillissement en compensant la perte des anciens rôles, relations et activités par des nouveaux engagements et rôles productifs afin de se maintenir actif et de conserver sa satisfaction de vie (Walker 2002).

Cette théorie a été perçue comme une réponse à celle du désengagement, influente à l’époque, que les opposants jugeaient âgiste et susceptible de contribuer à dévaloriser le statut de la personne âgée (Tornstam 1992).

Ces deux théories s’inscrivent dans un courant de la gérontologie encore très prégnant actuellement, celui qui identifie les meilleures pratiques pour assurer le bien vieillir et éviter un vieillissement pathologique. Ainsi, plusieurs approches tirent leur filiation de la théorie de l’activité à l’instar du vieillissement actif et du vieillissement réussi. Celui-ci a été démocratisé par l’intermédiaire de l’ouvrage à succès du même nom écrit par Rowe et Kahn (1997). Il avance que la solution pour s’assurer un vieillissement réussi est de rester actif de quatre manières : en s’engageant socialement, en faisant de l’exercice physique, en adoptant un

15 Parallèlement, une troisième théorie existait mais était moins prégnante, celle de la continuité qui avançait que le passage à la vieillesse se caractérise par la continuité et la stabilité, sans rupture avec l’engagement en terme de participation sociale par rapport aux étapes antérieures du parcours de vie (Rosow 1963).

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régime alimentaire proactif et en évitant les maladies (Marshall 2011). Cette théorie postule que les conditions du vieillissement découlent des choix faits par chaque individu dans les étapes antérieures de son parcours de vie avec une forte emphase sur la responsabilisation individuelle (Hummel 2002).

Critiques adressées aux tenants du bien vieillir

Les critiques ne tardent pas à s’élever contre ces courants qui, s’ils réussissent à présenter une image loin de celle du vieillard dépendant, ne parviennent pas à éviter les stéréotypes, voire la caricature, et négligent largement les déterminants sociaux de la vieillesse à l’origine des inégalités sociales à l’âge avancé (genre, origine sociale, origine ethnique, pauvreté, isolement, logement, statut marital, etc.). Ces critiques soulignent que le processus de vieillissement ne peut pas être analysé en termes strictement individuels indépendamment des contextes socioéconomiques tels que la structure des marchés de l’emploi, les régimes de pensions et d’invalidité, ou les systèmes de soins et santé (Turner 1989, Höpflinger 1995, Schmeeckle et Bengtson 1999, Holstein et Minkler 2003). De plus, basées sur la théorie de l’activité dont les preuves empiriques restent insuffisantes (Marshall 2011), ces approches font porter à l’individu la responsabilité de son bien vieillir et sous-tendent qu’il devrait être capable de maîtriser son parcours de vie de manière à réussir la dernière étape de sa vie : « La vieillesse est devenue un enjeu personnel, un objectif à réaliser, une étape à réussir et la phase préparatoire à cette réussite débute bien avant les premières rides (!) Le vieillissement réussi c’est donc avant tout avoir un curriculum réussi à l’âge moyen » (Hummel 2005, p. 56). Les mêmes critiques mettent en garde contre cette injonction à la réussite lorsque celle-ci en vient à informer les politiques du vieillissement et les pratiques institutionnelles (Holstein et Minkler 2003). Une critique plus spécifique est adressée à la théorie de l’activité, celle ayant trait à la définition et au sens donné au terme

« activité » : « [la théorie de l’activité] ne rend pas compte du fait que certaines personnes ayant peu d’activités se déclarent satisfaites. La notion même d’ « activité » pose des problèmes de définition : faut-il considérer, par exemple, que regarder la TV ou s’occuper de ses plantes constituent des activités ? Et comment prend-on en compte les significations qui leur sont associées? » (Caradec 2008, p. 92).

Perspectives théoriques en sociologie du vieillissement

Au cours des dernières décennies, cette approche a largement perdu du terrain face à d’autres théories du vieillissement. Une analyse du contenu théorique présent dans les revues de gérontologie anglophones, réalisée par Bengston et ses collègues (1997), révèle qu’entre 1990 et 1994 seuls quatre articles s’inscrivent dans ce courant, alors que trente-neuf adoptent la perspective du

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parcours de vie16. Parallèlement à l’opposition entre vieillissement pathologique et vieillissement normal qui, d’un point de vue épistémologique, s’apparente à une approche positiviste de la science, plusieurs perspectives théoriques plus interprétatives émergent dès la deuxième moitié du XXème siècle. Aujourd’hui, de nombreux chercheurs s’accordent sur le fait qu’il n’est plus utile de chercher à atteindre une théorie du vieillissement unique et engloblante, comme c’était le but dans les années 1950 et 1960. Désormais, les perspectives théoriques généralement adoptées visent à tenir compte de la complexité du vieillissement en tant qu’objet de recherche, que ce soit aux niveaux micro, macro, ou de l’interaction entre les deux (Bengston et al., 1997). Une perspective théorique est ici entendue comme « une manière systématique d’examiner les processus complexes et reliés entre eux »17 (Marshall 2011, p. 17). En matière de sociologie du vieillissement, elles appréhendent des questions aussi diverses que celles des valeurs, normes, représentations, pratiques, trajectoires, politiques, déterminants sociaux, inégalités, structures, capacité à faire des choix, sens donné aux pratiques, subjectivité ou globalisation, et ne font pas l’impasse sur les approches qualitatives, notamment l’appel aux récits de vie (Biggs 2001, Marshall 2011).

Plusieurs chercheurs18 ont rapidement souligné l’importance des normes d’âge comme organisatrices des événements majeurs de la vie, tels que finir sa formation, se marier, avoir des enfants, se retirer définitivement du marché de l’emploi (Neugarten et al., 1965). Neugarten (1974) puis Riley (1987) découpent la population âgée en plusieurs catégories selon leur âge et le statut associé.

Deux puis trois catégories ont respectivement émergé de leurs recherches : les

« jeunes-vieux » et les « vieux-vieux » (transition entre les deux groupes autour de 75 ans), puis respectivement les « très âgés » (transition autour des 85 ans).

La principale critique adressée à ces travaux réside dans la négation de la diversité des personnes âgées à l’intérieur de ces répartitions. Dans la continuité de ces apports, la perspective de la stratification par âge avance que cette dernière est une composante essentielle de la structure sociale en attribuant aux individus des statuts selon leur âge et leur cohorte d’appartenance tout au long de leur parcours de vie (Riley et al., 1972). Au cours des années 1960 et 1970, la plupart des recherches en gérontologie sociale adoptent une perspective micro en se concentrant sur quelques transitions au temps de la vieillesse tels que le passage à la retraite ou le

16 Les auteurs de cette étude relève également que 72% des articles ne s’inscrivent dans aucun courant théorique (Bengston et al., 1997).

17 [Notre traduction] « Theoretical perspectives, which we define as systematic ‘ways of looking’ at complex and interrelated processes, such as social aspects of aging ».

18 Cette section est une synthèse des travaux de Bond et al., 1993, Arber & Ginn 1991, Bengston et al., 1997, Phillipson 1998, Baars et al., 2006, Marshall 2011 et Settersten et al., 2011. Nous renvoyons à leurs travaux pour une revue extensive de la littérature.

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veuvage et en analysant une variable dépendante (ex. : satisfaction de vie) en lien avec des causes à court terme (ex. : statut de santé) (Marshall 2011).

Parallèlement, la perspective de la modernisation (Cowgill 1974) insiste davantage, et quasi exclusivement, sur l’importance des transformations liées à la modernisation (éducation des masses, amélioration de l’accès aux soins, urbanisation, etc.), sur les changements au niveau des populations (augmentation de l’espérance de vie, mobilités géographiques et de l’emploi, etc.). En termes de vieillissement, le développement de l’institution de la retraite aurait contribué à un changement culturel et à une dévalorisation du statut des personnes âgées. La principale critique adressée à cette approche réside dans le manque d’apports empiriques pour la soutenir (Marshall 2011). À la fin des années 1970, la perspective de l’économie politique se répand en sociologie, y compris parmi la sociologie du vieillissement pour laquelle elle offre une dimension macro-sociale bienvenue dans le champ. Ainsi, Townsend (1981) avance que la dépendance des personnes âgées est « socialement fabriquée » et la désigne comme « structurelle ». Estes (1979) souligne l’importance des politiques et programmes sociaux dans le renforcement des rapports de pouvoir. Enfin, plusieurs chercheurs analysent le lien crucial entre vieillissement et Etat social : retraite et Etat social (Guillemard 2013), politiques publiques et transition à la retraite (Phillipson 2013), vieillissement et marché de l’emploi (Inkson et al. 2013), politiques sociales et parcours de vie dans une approche comparative (Leisering et Leibfried 1999, Mayer 2009). La perspective de l’économie morale, très proche de celle de l’économie politique, défend l’idée que les conceptions culturelles de la légitimité, de l’équité, des contrats intergénérationnelles et des droits civiques façonnent les mouvements sociaux et les phénomènes politiques et économiques (Hendricks 2005, Minkler et Estes 1999). Ces trois approches, et celle de l’économie politique en particulier, exercent une influence majeure depuis les années 1980 sur la recherche sur le vieillissement. En particulier, la mise en exergue de l’impact des structures sociales sur les parcours de vie individuels a été largement reprise par la perspective du parcours de vie.

Cette dernière gagne en importance avec l’identification par Abeles et Riley (1977) de trois principes centraux : le changement développemental et le vieillissement constituent un processus continu ; le changement se produit dans les domaines sociaux, psychologiques et biologiques et ces domaines sont interdépendants ; le développement à travers le parcours de vie est multi- déterminé. Cette approche se base sur l’apport passé de la stratification par âge mais avec plus d’emphase sur la contextualisation et l’interdépendance des processus sociaux (Riley 1987). Elder (1985) complète ces principes par un triple apport : l’importance des contextes spatiaux et temporels ;

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l’interdépendance des parcours de vie des individus ; la capacité d’agir ou agentivité (agency) des individus qui serait le fait que les individus possèdent la capacité de faire des choix, capacité qui dépend toutefois des contraintes et opportunités des structures dans lesquelles ils sont insérés. Settersten et Gannon (2005, p. 36, cité par Marshall 2011, p.18) proposent de faire appel à des modèles d’ « agentivité à l’intérieur des structures qui cherchent à comprendre comment les individus fixent des objectifs, entreprennent des actions, et donnent du sens selon – et souvent malgré – les paramètres d’un cadre social, et même comment les individus peuvent changer ces paramètres par leurs propres actions »19. Marshall et ses collègues (2005, 2010, 2011) notent cependant que définir, mesurer et utiliser un concept tel que l’agentivité fait l’objet d’un débat considérable au sein des sciences sociales en général et de la littérature sur le parcours de vie et le vieillissement en particulier.

Au cours des années 1990, la prédominance des femmes au grand âge est identifiée comme une « féminisation » de l’âge avancé. Cette emphase féministe (Arber et Ginn 1991) attire l’attention sur la diversité des expériences du vieillir en étudiant les intersections du genre avec l’âge, l’ethnicité, la nationalité, l’orientation sexuelle et la classe sociale. En s’inscrivant dans une perspective d’économie politique, cette littérature démontre l’existence d’inégalités structurelles auxquelles les femmes ont plus de probabilités que les hommes d’être exposés (par exemple, le risque de pauvreté au temps de la vieillesse en raison de parcours professionnels discontinus).

La dernière perspective que nous présentons et dont certains des tenants sont des figures de proue de la perspective du parcours de vie, est celle de la gérontologie critique (Minkler et Estes 1999, Baars et al., 2006). Reconnaissant les apports théoriques apparus depuis la fin des années 1960, la gérontologie critique insiste sur la nécessité d’examiner les rapports de pouvoir, les relations entretenues avec les « idéologies légitimées » et les liens entre niveaux micro et macro. Selon nous, son apport majeur est de mettre l’accent sur l’importance de la globalisation (en tant qu’idéologie et processus, ainsi que la lutte entre ces deux éléments) pour l’étude du vieillissement. La globalisation redéfinit la manière de penser les concepts traditionnellement utilisés par les chercheurs, y compris en gérontologie. Les idées associées à la société, au genre, à l’ethnicité, à l’Etat, aux classes sociales, etc. conservent leur utilité mais leur sens individuel et collectif est potentiellement renouvelé dans un contexte où l’influence des acteurs internationaux est conséquente (Bauman 1998), comme l’illustrent la domination d’une approche néolibérale des politiques sociales

19 [Notre traduction] « Agency within structure, which explicitly seek to understand how individuals set goals, take action, and create meanings within – and often despite – the parameters of social settings, and even how individuals may change those parameters through their own actions. »

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(Polivka et Longino 2006), la croissance des migrations internationales et des communautés transnationales (Torres 2006) ou le système de pension par capitalisation devenu une composante centrale des marchés des capitaux à l’échelle mondiale (Vincent 2006). Ce bref exposé permet de relever le caractère imbriqué de ces différentes théories qui ont été échafaudées les unes par rapport aux autres, mais surtout de souligner la complexité de l’appréhension théorique du vieillissement.

Le vieillissement actif comme réponse « théorique » aux défis du vieillissement

Malgré l’existence de ces courants, les critiques adressées aux approches bipolaires de la vieillesse (pathologique versus normale) et la perte de vitesse depuis plusieurs décennies de la théorie de l’activité, certains scientifiques ont donné un second souffle à cette dernière en introduisant la notion de vieillissement actif qu’ils élèvent au rang de concept. En effet, lors de la deuxième Assemblée mondiale sur le vieillissement à Madrid en 2002, Walker (2002), figure de proue de ce mouvement (cf. chapitre 2), définit le vieillissement actif selon sept principes : objectif du bien-être de tous les individus, inclusion de l’ensemble des personnes âgées, prévention tout au long de la vie, solidarité intergénérationnelle, équilibre entre droits et devoirs, participation et renforcement des capacités, respect de la diversité nationale et culturelle. Si certains de ces principes tiennent davantage de la déclaration d’intention, voire du programme politique que de la sociologie du vieillissement, il est intéressant de noter que la volonté affichée par Walker est de souligner le potentiel du vieillissement actif comme antidote aux risques pesant sur les systèmes de pension et de santé. Pour faire face à l’augmentation de l’espérance de vie, il faudrait selon lui sortir de la logique de préretraite qui contribuerait à stigmatiser les travailleurs âgés, augmenter la durée de la vie active tout en combattant les discriminations fondées sur l’âge par l’introduction d’un âge flexible à la retraite, introduire des incitations à travailler plus longtemps et prévenir la dépendance par le maintien de l’activité physique tout au long de la vie. On notera que son intervention a coïncidé avec la promulgation par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), lors de la même assemblée, d’un cadre d’orientation pour vieillir en restant actif (OMS 2002).

Le vieillissement actif, tel qu’il est présenté aujourd’hui et au regard des arguments précités, semble peiner à s’extraire du piège propre aux perspectives théoriques : être le miroir des normes et valeurs de leur époque et de leurs concepteurs et ainsi refléter les points de vue culturellement dominants de ce qui devrait être la manière la plus appropriée d’analyser les phénomènes sociaux (Turner 1989). En tombant dans ce piège, « "la gérontologie participe à la création de nouvelles images de la vieillesse, et l’on peut entrevoir

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Beaucoup de per- sonnes âgées arrivent dans le grand âge en étant remarquablement robustes, mais le vieillissement de la population amène aussi son lot de difficultés :