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Toutes les drogues interdites bientôt autorisées ? (5)

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1930 Revue Médicale Suisse www.revmed.ch 13 octobre 2010

actualité, info

Toutes les drogues interdites bientôt autorisées ? (5)

Prolongeons l’analyse des différents termes de cette équation contemporaine, politique et médicale que soulève l’émergence du ques- tionnement sur la dépénalisation/légalisa- tion des produits psycho-actifs aujour d’hui illicites (Revue médicale suisse des 1er, 15 ,22, 29 septembre et 6 octobre). En France, le dé- bat vient étrangement de rebondir après le déplacement très médiatisé d’élus de tous bords qui sont allés jusqu’à Genève et Bil- bao pour s’informer sur ce qu’il en est de la réalité des «salles d’injections» pour toxico- manes. L’exemple de Genève (une sorte de révélation) notamment a été longuement vanté durant plusieurs jours sur toutes les ondes de l’Hexagone.

A la mi-août, le Premier ministre français faisait savoir qu’il était totalement opposé à l’installation, en France, même à titre expé- rimental, de tels espaces qualifiés de «salles de shoot» (voire de «drogatorium») par ceux qui sont opposés à la création de salles de consommation de drogues illicites en pré- sence de personnels spécialisés. Le chef du gouvernement français voyait là un signe incompatible avec la lutte contre le commer ce clandestin et la consommation des drogues.

Or voici qu’aujourd’hui plusieurs membres de différentes familles politiques (droite, gau- che et centriste) viennent réclamer que l’Etat adopte les mesures juridiques permettant l’ouverture de telles salles ; et ce «au moins à titre expérimental».

L’association française «Elus, Santé Publi- que & Territoires» (ESPT), qui réunit des élus UMP, MoDem, Nouveau Centre, Verts, PS et PCF en charge de la santé dans quelque 60 villes regroupant 8 millions d’habitants, ré- clame ainsi ouvertement le lancement de telles expérimentations. Question : la création de tels lieux est-elle une étape vers la dépénali- sation de substances aujourd’hui prohibées ? On peut ici écouter avec intérêt, via nos confrères de Books,1 Michel Kokoreff, pro- fesseur de sociologie à l’Université de Nancy 2. Michel Kokoreff est spécialiste des jeunes des quartiers populaires français. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages dont le der- nier est intitulé : «La drogue est-elle un pro- blème ?».2 Il analyse les rapports complexes que nombre de sociétés contemporaines peuvent entretenir avec le phénomène de la toxicomanie en général et avec les substan- ces psycho-actives illégales en particulier.

point de vue

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La France est ici selon lui «écartelée entre la crispation sécuritaire et le pragmatisme» ; une «crispation» dont on ne sait si la Suisse parvient véritablement à faire l’économie.

Que pense ce sociologue de la fin de non- recevoir opposée par le Premier ministre français à la somme des arguments scienti- fiques et médicaux plaidant notamment via le dernier rapport de l’Institut national fran- çais de la santé et de la recherche médicale en faveur de ces salles ?

«Cette fin de non-recevoir ? Elle ne me surprend pas. Le président de la Républi- que et le gouvernement français défendent et incarnent à outrance une politique hyper- sécuritaire. Mais cette crispation n’est pas nouvelle. Elle s’inscrit dans la droite ligne, si j’ose dire, de la position de l’Etat depuis la loi de 1970, qui consiste à traiter les drogués comme des délinquants tout en jouant sur les peurs que «la» drogue suscite au sein de la société française. Ainsi, parler de «salles de shoot» n’est pas neutre. Car enfin, quel est l’enjeu ? Il s’agit non pas d’inciter à la con- sommation, mais de réduire les risques sani- taires et sociaux liés aux usages d’héroïne ou de crack. Et nous savons que ce dispositif fonc- tionne. Diverses études internationales mon- trent qu’il favorise une diminution de la con- sommation, des risques sanitaires liés à l’in- jection, de la contamination par le sida, des overdoses. Il aide aussi à sortir de la grande vulnérabilité sociale dans laquelle se trouvent nombre d’usagers usant de la voie intravei- neuse ou de «crackers». Ce qui importe, c’est de prendre en compte ces faits afin d’orien- ter l’action publique de façon po sitive.»

Mais encore ? Comment ne pas voir que nous som- mes ici à une charnière qui, fran chie, risque fort de de- venir irréversible ? «En ef- fet, répond le sociologue Michel Kokoreff. Mais il n’y a pas lieu d’être totalement pessimiste. D’une part, ce débat a pu émerger malgré le contexte hyper-sécuritai re que l’on connaît. Parce que des associations ont su ap- paraître comme des acteurs à part entière de ce domai- ne. Ils sont entendus des élus, qui sont directement

confrontés aux problè mes et conduisent à adopter une position pragmatique. D’autre part, une majorité de Français se disent fa- vorables à l’ouverture de salles de consom- mation de drogue sous contrôle médical (…) telles qu’il en existe dans certaines villes eu- ropéennes. A l’inver se, 47% des Français sont opposés à cette idée. Ce débat est donc très emblématique des ambiguïtés de la question des drogues aujourd’hui.»

Michel Kokoreff observe d’autre part que, depuis une vingtaine d’années, la plupart des pays européens ont assoupli leur législation.

Certes, les politiques sont disparates. Mais beaucoup considèrent l’usage comme une infraction qui ne doit plus être sanctionnée par la prison. C’est, précise-t-il, le cas en Es- pagne, en Italie, au Portugal, en République tchèque pour tous les stupéfiants. Et c’est aussi le cas en Belgique, en Irlande et au Luxembourg pour ce qui est du cannabis, où la loi prévoit des avertissements ou des amendes. Et puis il faut encore compter avec l’économie. Ainsi, aux Etats-Unis, un impor- tant débat s’est organisé autour de la légali- sation de la marijuana, début 2009, quand l’Etat de Californie – où son usage thérapeu-

tique est autorisé depuis 1996 – était au bord de la faillite. Les partisans de la légalisation avancent qu’elle rapporterait un milliard an- nuel de dollars au budget de l’Etat.

Pour Michel Kokoreff, ce type de débat est encore «inimaginable» en France, no- tamment parce qu’il existe dans ce pays une véritable intolérance à l’égard des drogues illicites ainsi, par extension, que des dro- gués ; et ce même si la tolérance à l’égard du cannabis s’est accrue, ce que l’on peut expli- quer comme un effet de génération et le fruit de la banalisation des consommations.

Il estime néanmoins que le modèle prohibi- tionniste a, d’une manière générale, atteint ses limites.

(A suivre)

Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com

   

45.

1 Books ; l’actualité par les livres du monde. Numéro daté septembre 2010. www.booksmag.fr

2 Kokoreff M. La drogue est­elle un problème ? Usages, trafics et politiques publiques. Paris : Editions Payot, 2010. ISBN. : 2­228­90476­7

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