• Aucun résultat trouvé

Article pp.85-105 du Vol.33 n°173 (2007)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.85-105 du Vol.33 n°173 (2007)"

Copied!
22
0
0

Texte intégral

(1)

Cet article étudie la relation risque-rentabilité à partir d’un échantillon de 34 sociétés du CAC 40 sur la période 1993-2002. Deux mesures distinctes du risque sont utilisées : le risque stratégique ordinal et la variance. L’échantillon total est ensuite scindé en deux sous-groupes selon le critère de la performance médiane. L’objectif est d’examiner la réalité du paradoxe de Bowman et la validité des arguments dérivés de la théorie des perspectives permettant de l’expliquer. Les résultats invitent à reconsidérer l’approche traditionnelle du paradoxe de Bowman.

L

e risque n’a pas tardé à acquérir ses lettres de noblesse en tant que composante de la perfor- mance. Il suffit pour s’en convaincre de se réfé- rer aux travaux de Knight, dont l’ouvrage fondateur, intitulé Risk, Uncertainty and Profitabilty, fût publié dès 1921. Depuis, l’étude de la relation entre risque et renta- bilité a fait florès. Elle demeure un thème central de la recherche en management stratégique, et à ce titre, a sus- cité un nombre impressionnant de travaux empiriques (par exemple Bowman, 1980, 1982 ; Fiegenbaum et Thomas, 1986, 1988 ; McNamara et Bromiley, 1999 ; Miller et Leiblein, 1996).

Fondé sur la théorie des perspectives (Kahneman et Tversky, 1979) et la théorie comportementale de la firme (Cyert et March, 1963), l’argument central qui fait office de dénominateur commun à cet ensemble de recherches, est que les managers sont enclins à prendre des risques lorsqu’ils réalisent des pertes, mais qu’ils sont réticents à en prendre lorsqu’ils réalisent des gains. Plus précisé- ment, la théorie des perspectives indique que les déci- deurs acceptent le risque lorsque la performance de la firme est inférieure à un niveau cible donné, mais qu’ils

Un nouveau regard

sur le paradoxe

de Bowman

(2)

préfèrent l’éviter lorsque la performance réalisée est supérieure à celui-ci.

La recherche en management stratégique envisage traditionnellement le risque en termes de variation de rentabilité, et utilise par conséquent la variance pour le mesurer (McNamara et Bromiley, 1999 ; Miller et Leiblein, 1996 sont des exceptions). Pour- tant, Ruefli (1990) a sévèrement critiqué l’utilisation de la variance comme mesure du risque.

Au total, la question de fond concernant la nature de la relation entre risque et rentabi- lité reste encore posée, tant les résultats empiriques diffèrent significativement entre les nombreuses études disponibles. Ces conclusions, pour le moins contrastées, incitent à s’interroger sur le cadre général de recherche adopté par l’ensemble des tra- vaux sur le risque et la rentabilité, et en par- ticulier, sur la mesure du risque employée.

L’objectif de cet article est précisément de réexaminer le paradoxe risque-rentabilité de Bowman en mobilisant une mesure du risque à la fois robuste sur le plan méthodo- logique (i.e., qui ne présente pas certaines des limites intrinsèques de la variance) et pertinente d’un point de vue managérial (i.e., qui est en accord avec la représenta- tion du risque des décideurs). Cette mesure du risque, développée par Collins et Ruefli (1992), fait appel au raisonnement ordinal et n’a jamais été employé dans le domaine de la recherche en stratégie, si ce n’est par les auteurs eux-mêmes. L’intérêt majeur de l’approche ordinale du risque est de propo- ser une mesure qui reflète les caractéris- tiques générales des situations stratégiques.

En intégrant explicitement la notion essen- tielle de changement, elle permet en effet d’apprécier le risque en tenant compte de la dynamique des environnements concurren-

tiels. En ce sens, on peut considérer que l’approche ordinale est une mesure du risque stratégique (ou « risque stratégique ordinal ») de l’entreprise. Ruefli et al.

(1999) ont souligné récemment la nécessité d’opter pour une mesure du risque dévelop- pée spécifiquement dans le cadre du mana- gement stratégique.

L’analyse des corrélations menée sur 34 entreprises du CAC 40 sur la période 1993- 2002, indique que le choix de la mesure du risque a des répercussions importantes sur l’estimation de la relation risque-rentabilité.

Cette conclusion interpelle directement les chercheurs en stratégie, en les invitant à tenir compte explicitement de la validité conceptuelle de la variance et d’autres mesures du risque, lorsqu’il s’agit de spéci- fier et tester des modèles théoriques.

I. – LE PARADOXE RISQUE-RENTABILITÉ

DE BOWMAN

Les études consacrées au paradoxe risque- rentabilté de Bowman (1980) se fondent en grande partie sur deux perspectives théo- riques : la théorie comportementale de la firme (Cyert et March, 1963) et la théorie des perspectives (Kahneman et Tversky, 1979). Bien que de tradition intellectuelle différente, les tenants de ces deux théories se rejoignent sur l’idée que les choix mana- gériaux entre plusieurs options risquées dif- fèrent selon le contexte de performance dans lequel ils s’opèrent.

Selon la théorie comportementale de la firme, structurer la prise de décision en rap- portant la performance de la firme à un réfé- rent de performance donné (un « bench- mark » utilisés par les décideurs) va influencer le comportement décisionnel

(3)

(Laughhunn et al., 1980). Lorsque la per- formance excède le référent, les décideurs sont peu enclins à accepter le risque puis- qu’un niveau de performance suffisant semble être assuré (March et Simon, 1958).

Au contraire, lorsque la performance n’at- teint pas ce référent, ils peuvent être ame- nés à accepter plus de risque afin d’amélio- rer la performance. Cet argument fait écho aux énoncés de la théorie des perspectives (Kahneman et Tversky, 1979) dans laquelle l’aversion aux pertes est supposée actionner la prise de décision. Selon la théorie des perspectives, lorsque les décideurs antici- pent une dégradation de leur richesse, ils adoptent un comportement favorable à la prise de risque (« risk-seeking »), mais lors- qu’ils anticipent une amélioration de leur richesse, ils réagissent à l’opposé et mani- festent une forte aversion au risque (« risk- averse »). Par conséquent, tant la théorie comportementale de la firme que les argu- ments de la théorie des perspectives suggè- rent une relation inverse entre performance et risque.

L’existence d’un relation positive entre risque et rentabilité est présupposée par un pan entier de la littérature financière. L’ex- plication est relativement simple et uni- forme : ex-ante, aucun manager rationnel n’accepterait de prendre un risque impor- tant à moins qu’il soit compensé par une espérance de profit élevé. En adoptant une perspective stratégique, Bowman (1980) observa une relation négative entre risque et performance dans 56 secteurs industriels sur un échantillon total de 85, i.e., un accroissement du risque associé à une baisse de la rentabilité. Ce résultat s’oppose à la vision traditionnelle économique et

financière indiquant que les projets et actions risqués sont compensés ex-antepar des primes de risque appropriées.

Dans un second papier, Bowman (1982) proposa deux explications à cette apparente relation négative entre risque et rentabilité : 1) des prises de décisions stratégiques par- ticulièrement habiles pourraient simultané- ment améliorer la rentabilité et réduire le risque ; et

2) les managers des firmes en difficulté, dont la performance est inférieure à la per- formance médiane de leur industrie, sont susceptibles de prendre plus de risque et rechercher des projets à forte rentabilité afin de rétablir leur performance. Si ces actions risquées ne s’accompagnent pas dans le même temps d’une rentabilité moyenne éle- vée, une relation négative entre risque et rentabilité apparaît.

Une relation négative ex-postentre risque et rentabilité peut provenir de situations dans lesquelles :

1) les entreprises dont la performance est élevée sont capables de maintenir leur posi- tion, de façon à éviter les pertes, et par conséquent sont exposées ex-post à un risque faible,

2) les entreprises dont la performance est médiocre sont soumises à des variations importantes de rentabilité (soit parce qu’elles sont en difficulté au sens de Bowman ou en raison des effets résiduels des firmes performantes protégeant leur position), ou

3) une combinaison de 1 et 2.

Cependant, il n’y a aucune raison que le paradoxe de Bowman soit en contradiction avec la relation positive du modèle de départ des financiers (Markowitz, 1959)1.

1. L’auteur remercie un rapporteur anonyme de la revue de lui avoir suggéré cette idée.

(4)

Ce modèle n’interdit en rien d’avoir de nombreux actifs pour lesquels il existe une relation négative : risque total élevé et ren- tabilité faible (mesurés respectivement par la variance et l’espérance des rentabilités boursières). Le paradoxe de Bowman est d’un autre ordre : il porte sur la rentabilité des capitaux propres investis et non les ren- tabilités boursières. Fiegenbaum et Thomas (1986) ont d’ailleurs montré que le fameux

« paradoxe » disparaissait dès lors que le risque était estimé par le bêta issu du Medaf. Ce que dit ce modèle d’équilibre des actifs financiers, est que le risque d’un titre qui doit être pris en compte est unique- ment son risque systématique (bêta) et non pas son risque total. N’importe quel inves- tisseur peut en effet sans difficulté éliminer les risques spécifiques (non systématiques) des titres en construisant un portefeuille bien diversifié.

Bien que le bêta ait été développé spécifi- quement dans le cadre de la théorie finan- cière, la tentation est grande de l’appliquer en l’état à des problèmes de management stratégique, notamment ceux liés à la straté- gie de diversification des entreprises. Un des résultats les plus significatifs est que les managers, qui agissent en tant qu’agents pour le compte des propriétaires de l’entre- prise, doivent concentrer leurs efforts sur le risque systématique (ou risque de marché), car lui seul a une incidence sur le prix de l’action. Bettis (1983) estime au contraire que les managers devraient se préoccuper

essentiellement du risque non systématique, car c’est ce risque spécifique à la firme qui est au cœur du management stratégique.

L’hypothèse d’absence d’autocorrélation, qui fonde l’approche moyenne-variance, simplifie la réalité en ne tenant pas compte de la trajectoire de l’historique de perfor- mance de la firme (Ruefli, 1990). Cette hypothèse résulte de l’hypothèse d’effi- cience des marchés (marche aléatoire des cours boursiers), ce qui sous tend une théo- rie de l’équilibre qui concerne les antici- pations de rentabilité d’investisseurs ration- nels intervenant sur le marché. Les résultats successifs des entreprises, par contre, sont commandés en grande partie par l’action des managers (le hasard et la chance doi- vent aussi parfois intervenir). On ne peut donc pas se référer aux modèles financiers classiques pour considérer le paradoxe de Bowman2.

La littérature stratégique est loin d’être una- nime sur la réalité d’une relation négative entre risque et rentabilité. De nombreuses tentatives d’explication de ce paradoxe, ont pu être avancées, parmi lesquelles le rôle des conditions économiques générales (Fiegenbaum et Thomas, 1986) ou l’utili- sation de différentes mesures du risque (Miller et Bromiley, 1990). Cependant, il n’y a pas de théorie complète s’appliquant à ce qu’a étudié Bowman.

Les différents éléments précédents militent clairement en faveur d’une représentation plus réaliste et robuste du risque, telle que

2. L’existence d’un paradoxe risque-rentabilité fût d’ailleurs contestée par des chercheurs en finance (e.g., Marsh et Swanson, 1984). La critique principale adressée aux travaux de Bowman concerne l’usage de tableaux de contin- gence afin d’évaluer le degré d’association entre risque et rentabilité. La distribution de probabilité de ratios finan- ciers tels que le ROE s’écartant très nettement de la normalité (coefficient de symétrie positif), on peut penser que

« le paradoxe de Bowman résulte simplement de la méthodologie statistique employée » (Marsh et Swanson, 1984, p. 37).

(5)

celle proposée par le risque stratégique ordinal.

II. – LE RISQUE STRATÉGIQUE ORDINAL

L’approche ordinale du risque développée par Collins et Ruefli (1992) est assez intui- tive pour peu qu’on se réfère à l’énoncé de certains objectifs stratégiques. Ces derniers sont en effet très souvent exprimés de façon ordinale. Par exemple, « être leader sur un marché ou une industrie » ou encore « avoir le taux de défaut le plus faible possible sur les produits fabriqués », et plus générale- ment, réaliser la meilleure performance selon un critère spécifique dans un secteur d’activité particulier.

Collins et Ruefli proposent de transformer l’analyse effectuée dans l’espace cardinal habituel des nombres réels en une analyse menée à partir de données ordinales3. Les événements favorables (défavorables) sont ceux qui produisent une amélioration (dégradation) du rang de classement au sein du système ou groupe de référence (un sec- teur d’activité ou un marché, par exemple).

Le risque stratégique ordinal d’une entre- prise est estimé à partir de la probabilité que son rang actuel dans le système se dégrade et à partir du nombre de rangs perdus, ce qui traduit à la fois la notion de possibilité de perte et l’importance de cette perte.

Sur le plan théorique, le risque stratégique ordinal est particulièrement intéressant car il est en adéquation avec la représentation managériale du risque et ne souffre pas de

certaines des insuffisances méthodolo- giques de la variance.

En premier lieu, le risque stratégique ordi- nal mesure la composante défavorable du risque liée à la réalisation de pertes. La variance, quant à elle, est une mesure symé- trique de la dispersion des valeurs d’une variable aléatoire autour de sa moyenne.

Par conséquent, elle ne distingue pas entre les fluctuations inférieures et supérieures à la moyenne. Envisager le risque de cette façon correspond imparfaitement à la réa- lité stratégique d’une entreprise. Plus préci- sément, la variance ne permet pas, par défi- nition, de distinguer entre une entreprise qui améliore sa rentabilité sur une période donnée et une entreprise dont la rentabilité se dégrade, toutes choses étant égales par ailleurs. On obtiendra dans les deux cas la même valeur pour la variance. Or, rien ne démontre clairement sur le plan empirique qu’il y ait effectivement symétrie entre incertitude favorable (i.e., réalisation d’un gain) et défavorable (i.e., réalisation d’une perte). Les résultats de March et Shapira (1987), notamment, montrent sans ambi- guïté que la représentation du risque chez le manager est asymétrique.

Ensuite, le risque stratégique ordinal sup- prime les effets communs (viaune transfor- mation linéaire) à toutes les firmes pré- sentes dans le système, autrement dit, les effets « systématiques ». Seuls les change- ments cardinaux (valeurs numériques d’un ratio de rentabilité) suffisamment impor- tants pour modifier les positions d’au moins deux firmes dans le système sont pris en

3. Le codage ordinal est très simple à effectuer. Il suffit d’attribuer le rang 1 à l’entreprise, qui chaque année de la période observée, réalise le ROA le plus élevé ; le rang 2, à celle réalisant le deuxième ROA le plus important, et ainsi de suite (voir tableau 1 de l’encadré pour un exemple).

(6)

compte dans l’espace ordinal (rang dans un classement d’entreprises selon un critère rentabilité). L’incertitude totale qui en résulte est donc une fonction des mouve- ments relatifs au sein du système. La parti- tion de cette incertitude totale est la base de calcul du risque stratégique ordinal indivi- duel. Il s’agit donc bien d’une mesure rela- tive du risque, puisqu’elle se fonde sur la performance d’une entreprise relativement à celle des autres avec qui elle interagit au sein d’un système ou groupe de référence.

Or, les modifications de positionnement ini- tiées par les actions-réactions du jeu concurrentiel sont au cœur de la dynamique stratégique d’une industrie ou d’un marché (D’Aveni, 1994).

En d’autres termes, le risque stratégique ordinal élimine les effets macro-écono- miques et ceux du secteur industriel d’ap- partenance sur lesquels l’entreprise ne peut agir directement. Sur ce point, le risque stratégique ordinal se démarque des mesures du risque dérivées de la théorie financière, focalisées sur le risque systéma- tique (bêta) au détriment du risque non sys- tématique (variance du résidu du modèle de marché), et des mesures comptables du risque qui ne distinguent pas entre risques systématique et non systématique. Le risque stratégique ordinal ne mesure pas le risque inhérent à un marché. La méthode de calcul considère en effet ce risque systé- matique comme une constante et n’en tient plus compte par la suite. Il s’agit là d’une profonde divergence avec les paradigmes de la théorie financière moderne. La possi- bilité de relier le risque stratégique ordinal avec certains points-clés de la théorie financière est donc considérablement réduite. Par contre, Le risque stratégique

ordinal est en accord avec l’approche du management stratégique fondée sur l’im- portance pour une entreprise de détenir un avantage compétitif et d’améliorer sa posi- tion comparativement à d’autres firmes (Porter, 1985).

Enfin, le risque stratégique ordinal est sen- sible à l’ordre d’occurrence des événements de performance dans le temps. Le calcul de la variance, par contre, est indépendant de la chronologie des événements de perfor- mance. Or, ce principe est contraire à la réa- lité de la plupart des environnements straté- giques. Trois années d’augmentation de la rentabilité suivies de deux années de baisse ne sont vraisemblablement pas équivalentes sur le plan stratégique, pour une entreprise, à deux ans de déclin suivis de trois de hausse. De plus, le calcul de la variance sur un intervalle de temps déterminé accorde la même importance aux pertes réalisées en début de période qu’à celles enregistrées en fin de période. Bien qu’elles se produisent aux deux extrêmes de l’historique de per- formance, ces pertes pèseront d’un poids identique dans l’évaluation quantitative du risque de l’entreprise.

III. – MÉTHODOLOGIE 1. Mesure du risque stratégique ordinal Un événement de transition (i.e. modifica- tion du rang de classement) au sein d’un système ordinal est défini par quatre para- mètres : l’entreprise concernée (I), son rang de classement initial (J), son rang de classe- ment final (K), et le temps (T) auquel l’évé- nement en question survient. Ces para- mètres sont représentés sous la forme d’une matrice d’événements de transition, Φ= [ΦI, J, K,T], qui regroupe l’ensemble des

(7)

transitions possibles au sein du système observé4.

L’idée générale de la méthode développée par Collins et Ruefli (1992) est de repré- senter et décrire l’évolution longitudinale d’un système en termes de distributions de probabilités, que l’on va ensuite utiliser pour construire une mesure de l’incerti- tude et du risque de ce système. Le calcul de l’incertitude et du risque stratégique ordinal du système se fonde sur la notion d’entropie, développée par Shannon (1948) dans le cadre de la théorie de l’in- formation. Shannon a montré qu’il était possible de définir une mesure de l’incer- titude d’un système à partir des distribu- tions de probabilités décrivant son évolu- tion. Il s’appuie alors sur l’entropie associée à ces distributions (l’entropie d’un système caractérise son degré de désordre). Dans le cadre de cet article, la notion d’entropie est particulièrement intéressante. Elle permet en effet d’utiliser des probabilités d’événements de transi- tion (qui sont observables sans difficulté) afin de définir une mesure de l’incertitude d’un système. Outre son utilisation très courante en théorie de l’information, la

mesure de l’entropie a également été mobilisée par la recherche en management stratégique (e.g. Palepu, 1985).

L’entropie Hd’un système Q décrit par une distribution de probabilités Q = {q1, q2, q3,…, qn} est une mesure de l’incertitude associée à ce système. La formule de calcul de l’entropie s’écrit :

H= – 冱ni=1 qi ln (qi) où 冱ni=1 qi = 1 et qi≥0 ∀ i.

Par convention, si qi = 0, le terme corres- pondant dans Hest nul. L’entropie du sys- tème est minimale (H= 0) lorsqu’un qi= 1 et tous les autres sont égaux à zéro, autre- ment dit, lorsqu’il n’y a aucune incertitude dans le système. À l’inverse, Hest maxi- male lorsque le système est le plus incer- tain, i.e., lorsque q1= q2= q3= … = qn=1/n.

Dans ce cas, H= ln (n).

Le système utilisé dans cet article est com- posé de 34 entreprises du CAC 40. La pro- cédure de calcul de l’incertitude et du risque stratégique ordinal de ce système est détaillée dans l’annexe présentée à la fin de l’article. Malgré son apparente complexité, il suffit d’un tableur Excel pour l’appliquer.

4. Les éléments de la matrice Φ= [ΦI, J, K, T] sont identifiés via:

ΦI,J,K,T= {φi, j, k, ti ∈{1,…, n}, j{1,…, n}, k{1,…, n}, t{1,…, m} avec {φi,j,k,t ∈{1, 0}} où irepré- sente une entreprise du système identifiée par un nombre, jet kreprésentent respectivement son rang de classement avant et après l’occurrence de l’événement de transition, et treprésente un point particulier de la période totale observée T. Par exemple, l’élément Φ10, 15, 6, 3indique si l’entreprise i= 10 du système ordinal (qui en compte n) est passée (=1) on non (0) du rang j= 15 au rang k= 6 entre deux observations consécutives au temps t= 3.

(8)

À partir des 34 matrices individuelles d’événements de transition (voir tableau 6 de l’encadré pour l’exemple de L’Oréal), et en adoptant une séquence d’opérations similaire à celle permettant de calculer l’in- certitude et le risque stratégique ordinal du système (décrite dans l’encadré), on peut calculer l’incertitude totale (HWi(K/J)) et le risque stratégique ordinal (HWRi(K/J)) de chacune des 34 entreprises du système. On utilise pour ce faire les relations (1) et (2) ci-après :

(1) HWRi(K/J)= – ᎏ1

nᎏ 冱nj = 1 nk = 1 wj, k

冤 冥

ln [p(k/j)]

(2) HWRi(K/J)= – ᎏ1

nᎏ 冱nj = 1 nk > jwj, k

冤 冥

ln [p(k/j)]

Dans ces deux relations,φi,j, kest le nombre total de transitions du rang jau rang kréali- sées par la firme i, et φ.,j,.le nombre total de transitions possibles à partir du rang jpour toutes les firmes du système. La définition analytique du risque stratégique proposée par la relation (2) peut être associée à trois composantes intuitives du risque. La possi- bilité de réaliser une perte est représentée par la probabilité conditionnelle : p(k/j), la magnitude de cette éventualité est représen- tée par la composante informationnelle de la probabilité conditionnelle : ln[p(k/j)], et la sévérité de la perte est représentée par les pondérations wj,k, puisque nous avons sup- posé qu’elles sont proportionnelles au nombre de rangs de classement perdus (tableau 12 de l’annexe finale).

2. Rentabilité

La rentabilité est appréciée par le ratio [Résultat net/Fonds propres], soit une mesure de la rentabilité annuelle des capi- taux propres. C’est une mesure courante de rentabilité ou d’efficacité de l’entreprise.

Nous l’avons préféré au rendement de l’ac- tif total, une mesure parfois trompeuse lors- qu’elle est utilisée pour comparer des socié- tés dont les structures du capital diffèrent, ce qui est vraisemblablement le cas des valeurs du CAC 40. De plus, un indicateur de la capacité de l’entreprise à rémunérer ses actionnaires, tel que le rendement des capitaux propres, reflète dans une large mesure, une préoccupation commune à tous les managers.

3. Échantillon

L’échantillon sélectionné est composé de 34 sociétés du CAC 40. Six entreprises ont été rejetées en raison d’un nombre trop important de données manquantes sur la période 1993-2002 (France Télécom, EADS, Thomson Multimédia, Dexia, Equant, STMicroelectronics). Le choix du CAC 40 comme système de référence peut poser problème en termes de généralisation des résultats. Bien que le CAC 40 ne soit pas forcément représentatif de l’ensemble des valeurs de la Bourse de Paris (un peu plus de 1000), il constitue un indicateur très surveillé de la bonne santé économique du pays dans son ensemble. Les valeurs éli- gibles figurent quand même parmi les plus fortes capitalisations boursières du marché financier.

4. Fenêtres d’observation

Le risque stratégique ordinal est une mesure longitudinale définie en termes de perte de rang de classement dans le temps. Le choix φi,j, k

ᎏφ.,j,.

φi,j, k ᎏφ.,j,.

(9)

de l’intervalle de temps sur lequel ce risque va être calculé est donc important, notam- ment concernant sa durée et son point de départ. Afin de déterminer si les résultats sont affectés par le choix du point initial d’observation, l’analyse de la relation risque-rentabilité à partir de 34 sociétés du CAC 40 a été menée sur six périodes de cinq années chacune, avec un glissement d’un an entre deux périodes t et t+1. La première période correspond donc à (1993-1997), la seconde à (1994-1998), et ainsi de suite jus- qu’à (1998-2002). Chacune de ces 6 fenêtres

« glissantes » d’observation a donné lieu à une analyse risque-rentabilité distincte.

Il est indéniable que ces six fenêtres d’ob- servation ne sont pas indépendantes, et qu’il faut interpréter avec prudence les résultats d’une telle analyse. Cependant, cette méthode est un moyen commode d’étudier un processus dynamique, car l’analyse globale ne dépend pas d’hypo- thèses a prioriconcernant la sélection d’un intervalle de cinq ans, supposé être le plus adéquat. La période de cinq ans correspond

à l’horizon le plus généralement admis dans la recherche empirique en management stratégique.

VI. – RÉSULTATS

Le tableau 1 ci-après présente deux ensembles de résultats sur les six périodes observées. D’une part, la valeur totale de l’incertitude et du risque stratégique ordinal du système, et d’autre part, les valeurs indi- viduelles de l’incertitude, du risque straté- gique ordinal et de la rentabilité des capi- taux propres de chacune des 34 entreprises du CAC 40 qui composent le système.

Puisque le risque stratégique ordinal est une mesure entropique de l’information lors de la prochaine transition du système (Ashby, 1956, p. 179), la rentabilité des capitaux propres observée à la fin de chacune des six périodes étudiées est la mesure adéquate.

Ainsi, l’analyse de la relation risque-renta- bilité sur l’intervalle (1993-1997) croise le risque stratégique ordinal calculé sur cette période avec la rentabilité de l’année 1997.

Tableau 1

INCERTITUDE, RISQUE STRATÉGIQUE ORDINAL ET RENTABILITÉabc

Système (N = 34) Entreprises

Périodes Incertitude Risque Incertitude Risque Rentabilité

1993-1997 7,62 3,85 ,224 ,113 ,124

1994-1998 8,30 4,21 ,244 ,123 ,125

1995-1999 9,28 4,72 ,281 ,138 ,127

1996-2000 10,19 5,03 ,299 ,147 ,247

1997-2001 9,89 4,89 ,291 ,143 ,083

1998-2002 9,38 4,68 ,275 ,137 ,047

a. L’incertitude et le risque du système sont calculés d’après les relations (6) et (7) des tableaux 13 et 14 de l’annexe.

b. L’incertitude et le risque de chaque entreprise du système sont calculés d’après les relations (1) et (2) définies dans la section III.

c. La rentabilité (Résultat net/Fonds propres) correspond à celle observée la dernière année de chacune des six périodes.

(10)

Le test d’association non paramétrique de Kendall est utilisé pour analyser la relation entre le risque stratégique ordinal et la ren- tabilité des capitaux propres sur les six fenêtres d’observation5. Les résultats sont présentés dans le Tableau 2. La corrélation entre risque et rentabilité a été également mesurée à l’aide du coefficient de rang de Spearman. Les résultats étant identiques à ceux fournis par le tau de Kendall, ils ne sont pas reproduits dans le tableau 2.

Dans le but d’affiner l’examen de la rela- tion risque-rentabilité, l’échantillon total a été scindé en deux sous-ensembles (supé- rieur/inférieur) sur la base d’une perfor- mance-cible définie comme la rentabilité des capitaux propres médiane des 34 entre- prises du système. Selon Fiegenbaum et

Thomas (1988), la performance médiane est une estimation acceptable de la perfor- mance-cible à réaliser au sein d’une indus- trie donnée6. Les deux dernières colonnes du tableau 2 présentent les résultats de cette analyse additionnelle.

La variance de la rentabilité étant la mesure du risque la plus largement utilisée dans la littérature stratégique (Ruefli et al., 1999), il n’est pas inutile de comparer les résultats obtenus avec chacune des deux mesures, le risque stratégique ordinal et la variance. L’analyse du tableau 2 a donc été reproduite avec la variance de la rentabi- lité des capitaux propres comme mesure du risque. Contrairement au cas précédent, la variable de rentabilité correspond à la moyenne calculée sur la période totale

5. Rappelons que c’est la rentabilité fin de périodequi est visée. Un rapporteur anonyme de la revue observe fort jus- tement que si une seule donnée compte (la dernière de chacune des six fenêtres d’observation), cela peut poser un problème de qualité statistique du résultat. Il remarque en effet que même si l’action des managers influe sur la ren- tabilité, il reste probablement une part importante d’elle qui est due à des causes idiosyncratiques (propres à chaque entreprise et donc non systématiques) non maîtrisées mais plus ou moins indépendantes d’une entreprise à l’autre.

6. Contrairement à la moyenne, la médiane n’est pas influencée par des observations aberrantes, anormalement grandes ou petites. Par conséquent, elle reflète mieux que la performance moyenne la perception managériale d’une performance-cible (Fiegenbaum et Thomas, 1988).

Tableau 2

ASSOCIATION RISQUE-RENTABILITÉ (RISQUE STRATÉGIQUE ORDINAL) Échantillon total Rentabilité supérieure Rentabilité inférieure (N = 34) à la performance-ciblea à la performance-cible

(N = 17) (N = 17)

Périodes Tau de Kendall Tau de Kendall Tau de Kendall

1993-1997 - ,262** - ,498*** - ,097

1994-1998 - ,288** - ,472*** - ,194

1995-1999 - ,405*** - ,494*** - ,382**

1996-2000 - ,392*** - ,439* - ,356***

1997-2001 - ,459*** - ,341+ - ,568***

1998-2002 - ,445*** - ,547*** - ,376**

+p< ,10 ; * p< ,05 ; ** p< ,01 ; *** p< ,001

a. Performance-cible = rentabilité médiane des capitaux propres des 34 entreprises du système.

(11)

1993-2002 et les six fenêtres de cinq ans, et non à la rentabilité de fin de période.

Les résultats figurent dans le tableau 3.

Le premier constat qui s’impose à la lecture des tableaux 2 et 3 est que la nature de la relation risque-rentabilité est fortement conditionnée par la mesure du risque employée (McNamara et Bromiley, 1999).

Pour s’en tenir aux résultats obtenus sur l’échantillon total, on observe en effet une relation négative très significative, et parti- culièrement stable dans le temps, entre risque stratégique ordinal et rentabilité, mais aucune association entre variance et rentabilité. Concernant la relation entre risque stratégique ordinal et rentabilité, Collins et Ruefli (1992) parviennent à un résultat similaire dans le secteur du trans- port aérien américain.

La distinction entre risque stratégique ordinal et variance prend encore plus de relief lorsqu’on s’intéresse aux deux der- nières colonnes des tableaux 2 et 3. Selon Fiegenbaum et Thomas (1988), les firmes

dont la performance est inférieure à la per- formance-cible de l’industrie, autrement dit, celles qui sont peu performantes, recherchent le risque, contrairement aux firmes performantes, qui elles, cherchent à l’éviter. Il en résulte une relation risque- rentabilité négative pour les premières et positive pour les secondes. Or, si nous ne parvenons pas à mettre en évidence ce changement de signe dans le cas du risque stratégique ordinal, il apparaît clairement avec la variance. Le tableau 2 indique en effet que la relation risque-rentabilité demeure négative entre les deux groupes de performance (supérieur/inférieur à la performance-cible), même si elle n’est pas significative sur la période totale 1993- 2002. Par contre, les résultats du tableau 3 montrent que le signe de la relation risque- rentabilité s’inverse avec le niveau de per- formance. Conformément à la théorie des perspectives, il est positif pour les firmes performantes et négatif pour les firmes peu performantes.

Tableau 3

ASSOCIATION RISQUE-RENTABILITÉ (VARIANCE)

Échantillon total Rentabilité supérieure Rentabilité inférieure (N = 34) à la performance-ciblea à la performance-cible

(N = 17) (N = 17)

Périodes Tau de Kendall Tau de Kendall Tau de Kendall

1993-1997 - ,206 ,267* - ,559***

1994-1998 - ,184 ,353** - ,559***

1995-1999 - ,219+ ,324** - ,544***

1996-1900 ,011 ,324 - ,250+

1997-1901 - ,191 ,347* - ,632***

1998-2002 - ,203 ,397*** - ,544***

+p < ,10; * p < ,05; ** p < ,01; *** p < ,001

a. Performance-cible = rentabilité médiane des capitaux propres des 34 entreprises du système.

(12)

Enfin, si une fonction en U est une repré- sentation réaliste de la relation risque-renta- bilité (Fiegenbaum et Thomas, 1988), il semble pertinent d’examiner l’association entre ces deux variables pour les firmes dont la rentabilité est voisine de la perfor- mance-cible. Dans ce cas, la théorie des perspectives suggère en effet que le risque et la rentabilité sont faiblement corrélés.

Afin de tester cette proposition, nous avons scindé les 34 firmes de l’échantillon en trois classes, caractérisant les segments « renta- bilité inférieure à la performance-cible »,

« rentabilité voisine de la performance- cible » et « rentabilité supérieure à la per- formance-cible ». Le tableau 4 présente uniquement les résultats pour le segment intermédiaire, « rentabilité voisine de la performance-cible », obtenus avec le risque stratégique ordinal et la variance7.

À nouveau, les résultats diffèrent entre les deux mesures du risque. Dans le cas de la variance, aucune corrélation significative n’apparaît. Il semble donc bien que le risque et la rentabilité ne soient pas associés pour les firmes dont la performance est voi- sine de la performance-cible. Les résultats concernant le risque stratégique ordinal sont moins clairs. On observe une relation négative très significative (p< ,001) sur seu- lement trois des six fenêtres d’observation.

On ne peut donc pas conclure à l’absence de relation entre risque et rentabilité, même si elle est manifestement instable dans le temps, comme l’indique le tableau 4 (deuxième colonne).

V. – DISCUSSION

La théorie comportementale des organisa- tions indique qu’une performance réalisée

Tableau 4

ASSOCIATION RISQUE-RENTABILITÉ (SEGMENT « RENTABILITÉ VOISINE DE LA PERFORMANCE CIBLE »)a

Risque stratégique ordinal Variance

(N = 12) (N = 12)

Périodes Tau de Kendall Tau de Kendall

1993-1997 - ,264 ,092

1994-1998 - ,500*** ,125

1995-1999 ,078 - ,242

1996-2000 - ,515*** ,182

1997-2001 - ,576*** - ,107

1998-2002 - ,351 - ,273

***p< ,001

a. Ce segment est obtenu en scindant l’échantillon total (N = 34) en trois classes : rentabilité inférieure/voisine/supérieureà la performance-cible (i.e. rentabilité médiane des 34 entreprises).

7. Par construction, le segment intermédiaire associé à chaque période contient la performance-cible correspon- dante, i.e., la rentabilité médiane des capitaux propres. En ce sens, on peut considérer que la rentabilité des firmes de ce segment est voisine de la performance-cible.

(13)

inférieure à un objectif cible préfixé déclenche des comportements preneurs de risque, ce qui se traduit par une relation risque-rentabilité négative (Singh, 1986).

Un niveau de performance inférieur aux attentes (ou anticipations) des managers peut accroître la nécessité ou le désir de prendre plus de risque. Au contraire, une performance réalisée supérieure à l’objectif cible, celui-ci reflétant bien entendu les attentes du manager en termes de perfor- mance de l’entreprise, a pour résultat légi- time un sentiment de satisfaction. Dans ce cas, à moins d’être frappé par le syndrome d’Hubris, mais il en a alors rarement conscience, pourquoi le manager devrait-il prendre plus de risque ?

Le risque stratégique ordinal est une mesure ex-post du risque car elle est construite à partir des transitions histo- riques au sein d’un système. On peut cepen- dant l’envisager, en se référant à Ashby (1956, p. 179), comme une estimation du risque lors de la prochaine itération du sys- tème. Le risque stratégique ordinal peut alors s’interpréter et s’utiliser comme une mesure ex ante du risque. Ceci milite clai- rement en faveur d’un postulat causal : risque stratégique d’hier implique rentabi- lité d’aujourd’hui. Cette hypothèse de relation causale rapproche d’une théorie

« comportementale » du paradoxe risque/

rentabilité de Bowman et éloigne encore plus de la théorie financière qui n’est en rien causale. Pour autant, il faut souligner que le test rigoureux d’une relation de cau- salité ne peut faire l’économie d’un véri- table modèle de régression. Idéalement, la spécification d’un tel modèle devrait inté- grer des variables « retards » (au sens éco- nométrique du terme : lagging variables) du risque et de la rentabilité. Notre ambition

ici est plus modeste puisque l’objectif est simplement de vérifier le signe de la corré- lation entre risque et rentabilité à l’aide d’un test non paramétrique (le taux de Ken- dall).

Globalement, les résultats de cette étude suggèrent qu’il est nécessaire de reconsi- dérer l’approche traditionnelle de la rela- tion risque-rentabilité. L’existence d’une relation négative entre risque et rentabilité signifie que les entreprises les plus perfor- mantes sont peu touchées par des baisses de rentabilité, tandis que les firmes peu perfor- mantes ont subi des accidents de perfor- mance relativement plus marqués. Le fait que les entreprises les plus rentables aient la capacité de se préserver d’une dégradation de leur performance, implique nécessaire- ment qu’il existe des imperfections de mar- ché. On peut alors penser que les managers de ces firmes parviennent à exploiter ces imperfections dans les marchés concernés, grâce à une gestion stratégique ingénieuse, générant ainsi une relation risque-rentabi- lité négative.

Les décisions managériales peuvent influencer un certain nombre de facteurs qui déterminent la rentabilité et le risque d’une entreprise. Par exemple, lors de la phase initiale d’un processus de décision d’inves- tissement, la qualité des prévisions concer- nant l’environnement est un facteur déter- minant du niveau de risque auquel la firme s’expose (Yavitz et Newman, 1982). Des prévisions relativement fiables peuvent per- mettre à un manager d’investir dans des projets dont les rendements sont élevés et stables. Au contraire, un manager qui s’ap- puie sur des prévisions de moins bonne qualité est susceptible d’investir plus sou- vent dans des projets hasardeux, dont les rendements sont faibles et probablement

(14)

erratiques. De plus, un mauvais manager préfère faire confiance à une intuition erro- née, ou ignorer carrément les prévisions de rentabilité et prendre des risques inappro- priés, si la performance antérieure n’a pas atteint l’objectif qu’il s’était fixé (Laughhunn et al., 1980).

Une relation négative entre risque et renta- bilité peut également provenir de la percep- tion du risque chez le décideur. Ce dernier peut en effet systématiquement sous-esti- mer le risque et la rentabilité associés à la décision qu’il doit prendre. Par exemple, il peut ne pas tenir compte de l’éventualité d’un résultat négatif, en attribuant une pro- babilité peu élevée à ce scénario dans son processus de décision, et donc, surestimer la rentabilité espérée concomitante à sa décision (Fischhoff et al., 1981). En consé- quence, le décideur peut anticiper de réali- ser une rentabilité plus élevée pour des choix plus risqués, mais il est surpris par les résultats. Alternativement, le décideur peut évaluer tout à fait correctement le risque et la rentabilité attendus, et cependant, accep- ter des choix plus risqués, sans pour autant y inclure une prime de risque suffisamment importante, pour compenser les coûts plus élevés associés aux choix risqués. Le fait de ne pas incorporer une prime de risque adé- quate peut entraîner une relation négative entre risque et rentabilité.

Au total, on peut avancer que la relation négative entre risque et rentabilité observée dans cette étude (tableau 2) n’est pas plus paradoxale qu’une relation positive. L’une et l’autre traduiraient simplement des per- turbations du mécanisme de marché, ayant pour effet de dévier la relation risque-renta- bilité d’un benchmark, défini par l’absence de relation entre ces deux variables.

D’autres auteurs soulignent également

qu’une relation négative entre risque et ren- tabilité peut ne pas provenir du processus de Bowman. Par exemple, Miller et Lei- blein (1996) vérifient empiriquement l’ac- tion d’un cercle auto-correcteur dans la relation risque-rentabilité. Dans ce cas, à partir du moment où une entreprise atteint un niveau de performance élevée, elle peut continuer à améliorer sa rentabilité en pre- nant de moins en moins de risque. Cet énoncé est à l’opposé du cercle vicieux dirigeant la causalité risque-rentabilité, for- mulé par la plupart des recherches basées sur la théorie des perspectives. La perfor- mance a un impact négatif sur le risque, qui a son tour a une influence négative sur la performance future. Dès que la rentabilité de l’entreprise décline, les choses ne font qu’empirer sous l’effet d’un tel mécanisme.

En dernier lieu, les résultats obtenus souli- gnent la nécessité de faire correspondre les mesures du risque mobilisées dans la recherche empirique, avec la notion de risque telle qu’elle est appréhendée par les managers. Il est d’ailleurs très probable que la divergence de résultats des tableaux 2 et 3 provienne de la différence notable entre la définition du risque stratégique ordinal (une mesure relative probabilisée) et celle de la variance (une mesure absolue non probabi- lisée). Bien entendu, il n’est pas question de battre en brèche la littérature existante à la lumière des seuls résultats de cette étude, mais simplement de signaler l’intérêt d’analyser la relation entre risque straté- gique ordinal et rentabilité au sein d’autres systèmes de référence.

CONCLUSION

Cet article s’inscrit dans une perspective managériale et met en relief le risque stra-

(15)

tégique ordinal, une mesure du risque déri- vée d’un ratio comptable : la rentabilité des capitaux propres de l’entreprise.

Cependant, les actionnaires de l’entreprise sont probablement davantage intéressés par le risque financier ordinal (dont la mesure pourrait être la probabilité de perte ou de gain de position(s) appréciée en termes de rentabilité boursière). En même temps, des problèmes d’agence tels que les modifications de structures de gouver- nance, la surveillance des dirigeants, et les

systèmes de rémunération et d’indemnisa- tion dont ils bénéficient, ne sont pas sans incidence sur l’action des managers. Ces facteurs peuvent les pousser à privilégier la maximisation de la richesse de leur actionnariat plutôt que la réduction du risque stratégique de l’entreprise. Il y a peut-être là un autre « paradoxe » à soute- nir, en évoquant la possibilité de maximi- ser la performance boursière de l’action- naire tout en réduisant le risque stratégique de l’entreprise.

BIBLIOGRAPHIE

Ashby W. R., An introduction to Cybernetics, Chapman and Hall, London, 1956.

Bettis R. A., “Modern financial theory, corporate strategy and public policy: three conun- drums”, Academy of Management Review, vol. 8, n° 3, 1983, p. 406-415.

Bowman E. H., “A risk/return paradox for strategic management”, Sloan Management Review, vol. 21, n° 3, 1980, p. 27-31.

Bowman E. H., “Risk seeking by troubled firms”, Sloan Management Review, vol. 23, n° 4, 1982, p. 33-42.

Collins J. M., Ruefli T. W., “Strategic risk: An ordinal approach”, Management Science, vol. 38, n° 12, 1992, p. 1707-1731.

Cyert R. M., March J. G., A behavioral theory of the firm, NJ, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1963.

D’Aveni R., Hypercompetition, Free Press, New York, 1994.

Fiegenbaum A., Thomas H., “Dynamic and risk measurement perspectives on Bowman’s risk-return paradox for strategic management: An empirical study”,Strategic Management Journal, vol. 7, 1986, p. 395-407.

Fiegenbaum A., Thomas H., “Attitudes toward risk and the risk/return paradox: Prospect theory explanations”,Academy of Management Journal, vol. 31, n°1, 1988, p. 85-106.

Fischhoff B., Lichtenstein S., Slovic P., Derby S. et R.L. Keeney, Acceptable Risk, Cam- bridge University Press, New York, 1981.

Kahneman D., Tversky A., “Prospect theory: An analysis of decision under risk”,Econome- trica, vol. 47, 1979, p. 262-291.

Knight F. H., Risk, Uncertainty and Profitability, Harper & Row, New York, 1921.

Laughhunn D. J., Payne J. W., Crum R., “Managerial risk preferences for below target returns”,Management Science, vol. 26, 1980, p. 1238-1249.

March J. G., Shapira Z., “Managerial perspectives on risk and risk taking”, Management Science,vol. 33, n°11, 1987, p. 1404-1418.

(16)

March J. G., Simon H. A., Organizations, Wiley, New York, 1958.

Markowitz H. M., Portfolio Selection: Efficient Diversification of Investments, John Wiley and Sons, New York, 1959.

Marsh T. A., Swanson D. S., “Risk-return tradeoffs for strategic management”,Sloan Mana- gement Review, Spring, 1984, p. 35-49.

McNamara G., Bromiley P., “Risk and return in organizational decision making”,Academy of Management Journal, vol. 42, n°3, 1999, p. 330-339.

Miller K. D., Bromiley P., “Strategic risk and corporate performance: An analysis of alterna- tive risk measures”,Academy of Management Journal, vol. 33, n°4, 1990, p. 756-779.

Miller K. D., Leiblein M. J., “Corporate risk-return relations: returns variability versus down- side risk”,Academy of Management Journal, vol. 39, n° 1, 1996, p. 91-122.

Palepu K., “Diversification strategy, profit performance, and the entropy measure”,Strategic Management Journal, vol. 6, 1985, p. 239-255.

Porter M. E., Competitive Advantage, Free Press, New York, 1985.

Ruefli T. W., “Mean-variance approaches to risk-return relationships in strategy: Paradox lost”,Management Science, vol. 36, n°3, 1990, p. 368-380.

Ruefli T. W., Collins J. M., LaCugna J. R., “Risk measures in strategic management research:

Auld lang syne?”,Strategic Management Journal, vol. 20, 1999, p. 167-194.

Shannon C. E., “The mathematical theory of communication »,Bell System Technical Jour- nal, vol. 27, July, p. 379-423, October 1948, p. 623-656.

Singh J.V., “Performance, slack, and risk taking in organizational decision-making”, Aca- demy of Management Journal, vol. 29, n° 3, 1986, p. 562-585.

Yavitz B., Newman W. H., Strategy in Action, The Free Press, New York, 1982.

(17)

ANNEXE MÉTHODOLOGIQUE

Calcul de 1’incertitude et du risque ordinal du système Tableau 5.Codage ordinal de la rentabilité des 34 firmes du système (I = 1,..,34)

Le tableau de données est une matrice rectangulaire 3410 (nombre de firmes nombre de périodes) Firme i 1993 1994 1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002

Accor 26 28 26 23 32 23 27 23 17 21

L’Oréal 1 3 4 2 16 13 11 11 12 4

Vivendi 20 26 32 31 27 7 16 33 33 22

– En 1993, L’Oréal était la firme la plus rentable du système. Elle n’était plus que la 16een 1997.

– On peut « résumer » l’historique des événements de transition de L’Oréal au sein du système par la séquence {1, 3, 4, 2, 16, 13, 11, 11, 12, 4}, obtenue à partir de 10 observations (de 1993 à 2002), et qui permet de construire la matrice individuelle 3434 des événements de transition de L’Oréal sur la période totale observée (tableau 6).

Tableau 6.Matrice d’événements de transition 1993-2002 de L’Oréal (Φi = 18)

La matrice d’événements de transition de L’Oréalest obtenue à partir du classement longitudinal 1993-2002 de l’entreprise (tableau 5)

Rang, période t = α+1

1 2 3 4 10 11 12 13 16 34

1 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0

2 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0

3 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0

4 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0

Rang,

période11 0 0 0 0 0 1 1 0 0 0

t =a 12 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0

13 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0

16 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0

34 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0

– La 1re ligne de la matrice indique qu’au cours de la période 1993-2002, L’Oréal est passée du 1erau 3erang, en termes de rentabilité, au sein du classement des 34 entreprises du système.

– Le tableau 5 indique que cette transition a eu lieu entre 1993 et 1994.

– La matrice Φi=18décrit les transitions de rang de L’Oréal au sein du système.

– Il y a 34 matrices individuelles d’événements de transition (Φi =1,…,34), construites à partir du codage ordinal de leur rentabilité (tableau 5).

(18)

Tableau 7.Matrice d’événements de transition 1993-2002 du système, Φ= [ΦI, J, K, T] Rang, période t = α+1

1 2 3 4 5 34 Total

1 3 2 3 0 0 0 9

2 3 1 1 0 0 0 9

3 1 1 2 3 0 0 9

4 0 2 1 1 0 0 9

5 0 1 0 0 3 0 9

34 1 0 0 0 0 0 9

Total 9 9 9 9 9 9

– La matrice Φd’événements de transition du système est une matrice 3434, obtenue en sommant sur iles 34 matrices individuelles d’événements de transition Φi = 1,..,34, soit :

Φ= i¸φi, j, k= [φ., j, k].

– La matrice Φdécrit les transitions de rang du système.

– Le total en ligne et en colonne est égal à 9 car la période 1993-2002 couvre 10 années, soit 9 transitions possibles pour chacune des 34 entreprises du système.

Tableau 8.Matrice des probabilités de transition conjointes du système, P = [pj, k]

– La matrice P= [pj, k] décrit les probabilités conjointes associées aux différentes transitions de rang.

– Les éléments de la matrice P= [pj, k] sont les fréquences conjointes, soit : pj,k= φ.,j,k/φ.,.,.

– Elles s’obtiennent en divisant chaque élément de la matrice d’événements de transition du système (tableau 3) par le nombre total de transitions possibles, soit 306 (349).

Rang, période t = α+1

1 2 3 34 Pj,.

1 0,0098 0,0065 0,0098 0,00 0,029

2 0,0098 0,0033 0,0033 0,00 0,029

3 0,0033 0,0033 0,0065 0,00 0,029

34 0,0033 0,000 0,000 0,000 0,029

p., k 0,029 0,029 0,029 0,029 1,000

– Exemple : l’élément p2,1 désigne la probabilité qu’une firme prise au hasard passe du 2nd au 1errang l’année suivante.

– Les pj,.et les p., ksont les probabilités marginales, soit : pj,.= nk=1 pj, k et p.,k= nj=1 pj, k. Rang,

période t = α Rang, période t = α

(19)

Tableau 9.Matrice de l’entropie conjointe du système

– L’entropie totale conjointe est la somme des entropies individuelles, soit : 5,381 Rang, période t = α+1

1 2 3 34 Total

1 – 0,045 – 0,033 – 0,045 0,000 – 0,142 2 – 0,045 – 0,019 – 0,019 0,000 – 0,158 3 – 0,019 – 0,019 – 0,033 0,000 – 0,153

34 0,003 0,000 0,000 0,000 – 0,164

5,381

– L’entropie du système H(J, K)avec J le rang initial et K le rang final est calculée selon :

(3) H(J, K)= n

j =1

k=1n

pj,k ln(pj,k)

où pj,k≥ 0et j =1nn

k=1

pj,k = 1

Tableau 10.Matrice des probabilités de transition conditionnelles du système

Transformation de la matrice des probabilités de transition conjointes(tableau 8) en une matrice des probabilités de transition conditionnelles(tableau 10), similaire dans sa forme à une matrice de Markov

Rang, période t = α+1

1 2 3 34 Pj,.

1 0,337 0,224 0,337 0,000 1,00

2 0,337 0,113 0,113 0,000 1,00

3 0,113 0,113 0,224 0,000 1,00

34 0,113 0,000 0,000 0,000 1,00

p.,k 1,00 1,00 1,00 1,00

– Les éléments p(k, j)de la matrice des probabilités de transition conditionnelles constituent l’ensemble des probabilités qu’une firme quelconque migre au rang ksachant que son rang actuel est j. Ils sont obtenus en divisant les probabilités de transition conjointes (pj, k) du tableau 8 par leur somme en ligne (pj,.).

– On note :

p(k/j) = où pj,. =n

k=1

pj,k et p(k/j)0 ; n

j =1

p(k/j) = 1 ; n

j =1n

k=1

p(k/j) = n

– On remarque le gain d’information obtenu lorsque le rang de classement initial jest connu (les probabilités de transition conditionnelles du tableau 10 sont plus élevées que les probabilités de transition conjointes du tableau 8).

pj,k pj,.

Rang, période t = α

Rang, période t = α

Références

Documents relatifs

valeurs techno-stratégiques initiales vont ainsi déterminer davantage un « mécanisme générateur » (cf. Archer et al., 1998) qu’une force causale univoque. Autrement dit, les

Pour le laboratoire de pharmacochimie B, les contrats de recherche avec l’industrie sont une source essentielle de financement et permettent aux chercheurs de faire une recherche

CONCLUSION : UN ASPECT DU TALENT DU MANAGER D’un point de vue théorique autant que cli- nique d’aide au management la limitation du concept à la manifestation d’une subjec-

Après avoir ana- lysé les principales avancées théoriques, en stratégie et en marketing ayant traité de l’intégration des TIC, les auteurs définis- sent un cadre

II. – LES FACTEURS DE SUCCÈS : UN CADRE D’ANALYSE Alors qu’Amazon affirme que son cata- logue excède de très loin ce que peut offrir la plus vaste librairie du monde, le site

Les chercheurs et les managers qui veulent développer l’interactivité et l’aide à la décision d’AEL ont ainsi intérêt à mieux prendre en considération l’ergonomie et le

S’appuyant sur les principales avancées conceptuelles portant sur l’intégration des TIC dans le domaine de la réflexion stratégique et de la démarche marketing, ainsi que sur

Les places de marché s’inscrivent dans le cadre de ces deux dimen- sions, et souvent de manière simultanée, ce qui constitue un réel avantage mais au détri- ment d’une