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Article pp.619-630 du Vol.9 n°4 (2011)

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Où va la distance ?

Est-ce la bonne question ?

France Henri dresse ici un portrait rétrospectif de l’évolution de la formation à distance, assorti de ses propres réflexions et points de vue sur la question.

Où va la distance ?

La distance est une réalité bien installée dans nos vies. Elle est omniprésente dans nos activités professionnelles, sociales, personnelles et familiales. En moins d’une décennie, avec le boom du web social, nous sommes devenus des êtres « hyper communicants », branchés en quasi-permanence, multipliant les interactions à distance autant avec des individus qu’avec des collectifs. En milieu de travail, l’apprentissage à distance dans sa formule e-learning s’est rapidement taillé une place enviable en se fondant sur l’idée qu’il est rentable pour tous, et à tous les points de vue, de se former sans se déplacer, d’apprendre en travaillant et de travailler en apprenant. En milieu éducatif, malgré la provocation qu’elle a pu soulever (Jacquinot-Delaunay, 2010), la distance est finalement passée dans l’usage. De très nombreux établissements d’enseignement supérieur ont adopté la distance, soit sous sa forme intégrale de formation à distance, soit sous une forme partielle hybridant distance et présence. Pour les chercheurs du domaine, la distance n’est plus conceptualisée comme une absence ; le décalage spatiotemporel ne représente plus un manque. La présence à distance se décline et s’opérationnalise en termes de présence sociale, de présence cognitive et de présence éducative (Garrison et al., 2000 ; Jézégou, 2007 ; 2010) rendant la frontière entre présence et distance de plus en plus floue (Jacquinot-Delaunay, 2010). La distance semble être apprivoisée, intégrée, voire assumée. Pourquoi alors ces deux numéros spéciaux de Distance et savoirs consacrés à la distance en formation ? La distance est-elle toujours une réalité qui nous échappe ?

Une nouvelle forme de distance

Fluckiger (2011) observe dans les formations en présence l’émergence d’une nouvelle forme de distance. Dans ce contexte, la distance est créée par les étudiants ; elle n’est pas organisée par les institutions ou les enseignants. Elle s’installe en dehors de la mise à distance des enseignements et repose sur des habitudes d’usage d’une palette d’outils de communication et d’accès à l’information (courriel, compte

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MSN, compte Facebook, Skype, blogue). Hors du cadre institutionnel, les étudiants communiquent entre eux à distance sur divers aspects liés à leur apprentissage, délaissant les outils mis à leur disposition sur les plateformes institutionnelles. Ce qui fait dire à Fluckiger « oui, nos étudiants communiquent beaucoup ; mais non, ils communiquent peu en contexte éducatif ». Une affirmation s’appuyant sur les résultats d’études qui constatent les difficultés d’intégration des outils du web social et des formes participatives d’enseignement à distance dans l’enseignement supérieur1. Ce hiatus entre les pratiques de communication personnelles des étudiants et les pratiques de communication en contexte universitaire est révélateur d’une distance autre que spatiotemporelle. Une distance instrumentale celle-là, qui doit être comprise en s’intéressant avant tout à l’étudiant comme un sujet théoriquement construit non plus comme un sujet essentiellement psychologique et unifiant, postulant l’unicité de la culture numérique à laquelle appartiennent les jeunes, mais également comme un sujet sociologique au profil pluriel, en tenant compte des situations et de son contexte socioculturel.

Nouvelle forme de distance ou nouvelle manière d’apprendre ?

Chercher à comprendre les nouvelles formes de distance par l’étude des pratiques communicationnelles des étudiants est sans contredit une entreprise valable et nécessaire. C’est selon nous une façon de s’interroger sur l’émergence d’un nouveau rapport au savoir.

Dans une étude récente, Peraya (à paraître) note que le passage du web informationnel au web social a provoqué une évolution frappante des pratiques informationnelles, communicationnelles et épistémiques favorisant la participation, la collaboration, la communication, le réseautage social et le développement de communautés. Grâce à l’usage des technologies du web social, chaque individu peut désormais devenir un créateur actif de contenus, un producteur de savoirs. Pour caractériser le statut des savoirs qui se développent et qui circulent dans les espaces du web social, Peraya distingue deux formes de savoir : le savoir scientifique et le savoir narratif. Le savoir scientifique, fondé sur des preuves, se définit comme un savoir objectif qui a valeur de vérité. Il est l’apanage des spécialistes reconnus par leurs pairs et regroupés au sein d’institutions, dont les universités. Le savoir narratif pour sa part relève d’une pragmatique fort différente : jamais argumenté en termes de preuve au sens défini pour le savoir scientifique, il ne se construit pas à partir de

1. Si les études auxquelles se réfère Fluckiger ne concernent qu’un nombre limité d’étudiants, leurs conclusions sont conséquentes avec ce que l’on peut observer sur le terrain. À cet égard, nous avons personnellement recueilli plusieurs témoignages d’enseignants désemparés se plaignant que leurs étudiants préféraient travailler à partir de ressources dénichées sur le web pour réaliser leurs travaux plutôt que d’assister aux cours. L’un d’eux expliquait qu’il avait réuni des collègues pour réfléchir à la question. Le groupe en était venu à la conclusion qu’il était impossible d’interdire aux étudiants d’utiliser le web.

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la cumulation du savoir qui sert d’assises à la démarche scientifique. Il trouve sa validation « dans le fait d’être rapporté, répété et réaffirmé au sein d’une communauté sociale qui en constitue l’espace de légitimation » (Peraya, à paraître).

Les savoirs narratifs se créent dans et par le lien social. Ils sont construits par des individus non spécialistes sans qu’une autorité instituée en sanctionne la diffusion et la circulation. Ils reposent sur le consensus qui se dégage du processus de circulation qui lui permet de se construire et d’être reconnu.

Toujours selon Peraya, les étudiants aguerris à l’usage des technologies du web social importeraient dans la sphère académique des pratiques de communication personnelles propres à la construction de savoirs narratifs, dérogeant ainsi aux pratiques légitimées en milieu académique qui supportent l’élaboration du savoir scientifique, des pratiques souvent associées à la malhonnêteté et au plagiat qu’il faut éradiquer. Le décalage observé entre les pratiques de communication personnelles des étudiants et celles qui ont cours dans le monde académique révèle, comme le propose Peraya, des conceptions épistémiques différentes. En tant qu’éducateurs, cette réalité n’est pas sans confronter nos valeurs et nos conceptions de l’apprentissage.

Quelle manière d’apprendre en formation à distance ?

En formation à distance universitaire, comment l’apprentissage se positionne-t-il aujourd’hui ? Pour rendre compte de l’état des pratiques de la formation à distance qui influencent l’apprentissage, nous nous permettons ici une brève rétrospective de ce que nous estimons être des grands jalons de son cheminement. Nous remontons aux années 1970, époque où on assiste à l’envol de la formation à distance par la création à travers le monde de nombreuses universités autonomes à distance (Rumble et Harry, 1982 ; Mugridge et Kaufman, 1986).

Le projet et son idéal

Soutenu par l’idéal de la démocratisation de l’éducation, le but des instigateurs des grands projets d’universités était de rendre la formation accessible à tous. Cette formation qui se devait d’être de qualité tout en représentant un coût minimal pour la société, devait également renouveler la pédagogie. La médiatisation des enseignements, à la fois un moyen de surmonter la distance et de réduire les coûts, s’avérait une stratégie pour diversifier les modes d’accès au savoir (Guillemet, 2007) et permettre à l’apprenant de s’émanciper du modèle de l’école. Cette vision pédagogique était portée par la volonté de faire vivre aux étudiants une expérience inédite ouvrant la voie à la construction d’un nouveau rapport au savoir. De manière autonome, l’étudiant allait découvrir ses propres capacités d’apprentissage, développer sa confiance en lui-même et renforcer son aptitude à l’auto-direction. Le défi était de taille. Pour le relever, un des moyens privilégiés fut la recherche.

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L’effort investi en recherche par les universités à distance est alors impressionnant. La communauté des chercheurs réalise de nombreux travaux sur les aspects pédagogiques, médiatiques, organisationnels et économiques de la formation à distance. Les chercheurs, stimulés par des problématiques nouvelles, travaillent hors des sentiers battus élaborant des propositions inédites pour contrer l’isolement, juguler l’abandon, encadrer l’apprenant, l’assister et l’accompagner dans ses apprentissages. La rupture dans l’acte pédagogique exige une meilleure anticipation de l’acte d’apprendre. Des réponses sont apportées par les travaux sur la conception pédagogique. Les recherches sur l’utilisation pédagogique des médias proposent des approches pour bâtir la relation pédagogique autrement que par l’intermédiaire de ressources d’apprentissage. Le système de formation est aussi étudié pour lui donner plus de flexibilité et de souplesse, par exemple par l’inscription continue et l’individualisation des rapports avec l’apprenant et des services qui lui sont offerts.

En une vingtaine d’années, un capital important de connaissances scientifiques et de savoir-faire en formation à distance se développe et est partagé dans des publications scientifiques et dans le cadre de congrès et d’associations internationales spécialisées en formation à distance.

L’ère des TIC

L’avènement de la télématique au milieu des années 1980 et la vague internet du milieu des années 1990 font basculer la formation à distance dans un autre monde.

Vu d’aujourd’hui, ce qui se passait du côté de l’apprenant avant l’ère des TIC était un véritable trou noir. La communication entre tuteur et apprenant se limitait à des échanges individuels, postaux ou téléphoniques, dont on avait une connaissance indirecte. Dès les années 1985, le courrier électronique et les forums de discussion sont introduits et révolutionnent la pratique pédagogique. Tuteurs et apprenants peuvent désormais interagir de manière continue en privé, mais aussi en public. Le groupe, jusqu’alors une notion quasi inconnue en formation à distance, est enfin possible. Désormais, les apprenants ont la possibilité de participer activement aux cours, de collaborer, de travailler et d’apprendre ensemble. Une partie non négligeable de l’activité de l’étudiant et des tuteurs devient observable. Une mine d’informations pour les chercheurs.

Après le déverrouillage des communications par la télématique, la vague internet et la création du World Wide Web font éclater les limites du cours à distance qui se présentait le plus souvent sous un ensemble fini constitué de documents en format papier complétés par des ressources audiovisuelles et, à l’occasion, informatiques.

Le web en tant qu’application hypertexte propose une forme médiatique inédite de représentation des contenus et rend possible l’accès à une information abondante et diversifiée. Une seconde contrainte est levée. Les cours présentés dans des sites web prennent la forme d’environnements d’apprentissage virtuels plus riches, plus attrayants et plus interactifs dans lesquels il est possible de naviguer librement et de faire des choix.

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Les TIC avec leurs potentialités pédagogiques indéniables augmentent la qualité de la formation en la rendant plus ouverte, active et collaborative. Leur utilisation transforme ainsi les pratiques de formation à distance et fait évoluer les cours à distance plurimédias vers des environnements d’apprentissage informatisés. Le cours à distance devient un objet complexe dont la conception fait appel à des compétences spécialisées en technopédagogie, incluant l’ingénierie pédagogique qui jumelle les approches de design pédagogique, d’ingénierie cognitive et de génie logiciel (Paquette, 2002). Les méthodes de conception pédagogique traditionnelles ne suffisent plus et l’approche artisanale de conception par bricolage s’avère inefficace et inefficiente surtout dans un contexte de formation de masse. Selon la méthode d’ingénierie pédagogique MISA, développée par Paquette (2002) et ses collègues, la conception d’environnements d’apprentissage informatisés est abordée selon quatre axes, le contenu à apprendre, la pédagogie, les médias et la diffusion, orchestrant les interactions de tous les acteurs. Méthodiquement et scientifiquement planifiés, rigoureusement structurés pour assurer la cohérence entre les quatre axes et des résultats d’apprentissage prévisibles, les environnements d’apprentissage développés selon l’approche de l’ingénierie pédagogique sont essentiellement prescriptifs et se veulent des systèmes fiables et réutilisables.

Pour simplifier la conception de ces environnements, pour la rendre plus efficace et pour contrer l’augmentation des coûts, les efforts en recherche misent actuellement sur la réutilisation. C’est dans cette perspective qu’une large communauté de chercheurs s’est employée à développer une approche de conception par agrégation d’objets d’apprentissage. Ces objets numériques sont récupérables à partir de banques d’objets d’apprentissage de granularité variable. Ils sont réutilisables et interopérables lorsque que leur conception se conforme à des spécifications techniques (telles SCORM et IMS-LD, les plus répandues). Une fois assemblés, les objets agrégés qui composent le cours pourront être « joués » sur des plateformes (telles Moodle et Claroline) compatibles avec les spécifications à partir desquelles les objets ont été conçus. Cette approche et l’usage de plateformes permettent l’automatisation des interactions entre apprenants et tuteurs à partir de script décrivant un flux de tâches.

Toutefois, bien que politiquement et économiquement soutenue, l’approche de conception par objets d’apprentissage ne fait pas consensus. La réalité du terrain est tout autre. On observe que les méthodes d’ingénierie pédagogique sont peu ou pas utilisées par les enseignants-concepteurs de cours à distance pour plusieurs raisons, entre autres, la distance instrumentale entre ces méthodes et la pratique des enseignants, mais aussi le choc des valeurs pédagogiques, de l’identité professionnelle et des représentations de la profession d’enseignant (Henri et Maina, 2007). Ce qui heurte, en somme, c’est l’incohérence entre la représentation que les enseignants se font de leur pratique et la conception pédagogique associée à la culture de projet orientée vers un produit fini ou un service à caractère stable. Roublot et Leblanc (2007), pour leur part, identifient trois raisons pour lesquelles tous ne se rangent pas aux arguments de simplicité, d’efficacité et de pérennité mis de l’avant par l’ingénierie pédagogique par

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objets d’apprentissage : la complexité des spécifications les rendent difficiles à utiliser ; les canevas de cours que proposent ces spécifications ne sont pas pédagogiquement neutres ; et l’indexation et le partage des productions numériques entre étudiants et tuteurs sont pratiquement absents des spécifications.

Le boom du web social

À partir de 2005, le web de diffusion et de consultation de documents devient un lieu de socialisation, de partage, de libre expression et de canalisation de l’intelligence collective. Le web de deuxième génération offre des services et des architectures de participation dont les fonctions principales sont de faciliter l’interaction entre les utilisateurs et de permettre une production continuelle de contenu. Son aspect social induit des pratiques communicationnelles nouvelles alors que son aspect viral favorise la propagation ultra rapide d’une culture et de valeurs dont les étudiants ont rapidement fait d’importer les comportements dans la sphère académique, comme le montrent les études de Fluckiger et Peraya citées plus haut.

Les étudiants s’auto-organisent, prennent en main leurs communications éducatives et construisent leurs connaissances, à tout le moins en partie, dans des espaces sociaux hors du contrôle académique. Ces comportements font apparaître un éclatement de l’espace éducatif réservé à la production des savoirs, au profit des nouveaux espaces sociaux de communication (Peraya, à paraître). Cette nouvelle réalité interpelle autant le milieu de la formation à distance que celui de la formation traditionnelle. Il faut ainsi admettre que les technologies ne sont pas que de simples supports à l’apprentissage ; elles transforment profondément la manière d’apprendre et nous obligent à faire évoluer notre conception de l’apprentissage (Säljö, 2009).

Dans ce contexte, nos environnements d’apprentissage, avec leur vision prescriptive et descendante de l’apprentissage, apparaissent contraignants, limités et décalés.

En formation à distance, une réflexion sérieuse est en cours. Plusieurs chercheurs comme Veletsianos (2010) creusent et analysent les facteurs pédagogiques, organisationnels, culturels, sociaux et économiques, qui influencent l’adoption et l’intégration des technologies du web social en formation à distance. D’autres chercheurs comme Downes (2010) ou Roublot et Leblanc (2007) travaillent au développement d’outils numériques de support à l’apprentissage émergent et à la collaboration. Mais, dans la pratique, les efforts pour intégrer blogue, wiki et autres outils du web social ne suscitent pas chez les étudiants l’engagement escompté. À cet égard, Moore (2007) souligne que l’implantation de ces technologies risque d’avoir un effet négatif et contreproductif si l’effort de changement n’est pas accompagné d’une réforme de la manière dont nous concevons les cours, sans négliger les tuteurs en leur offrant une meilleure formation et un meilleur encadrement. Ces propos font écho au constat de Lee et McLoughlin (2010) sur les enjeux du web social, tels la prise en compte de l’usager, la participation active, le journalisme citoyen, la puissance des réseaux et le contenu produit par les usagers, qui ne sont pas pris en

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compte actuellement dans la conception pédagogique des cours, ni intégrés dans la conception des environnements d’apprentissage dits innovants.

Manifestement, nous avons du mal à réagir aux nouvelles valeurs et à la culture du numérique. Nous n’arrivons pas à comprendre l’évolution de l’apprentissage.

Où va l’apprentissage à distance ?

L’évolution de la conception de l’apprentissage doit être envisagée en regard de l’évolution des technologies et des interdépendances entre l’agentivité humaine, l’esprit, le corps et les technologies qui doivent servir de référence (Säljö, 2009).

L’hybridité de la connaissance humaine et de l’apprentissage apparaît alors évidente ; la connaissance est fonction des outils de médiation que nous utilisons.

Les technologies récentes, en tant qu’outils de médiation introduisent de nouvelles possibilités de relation entre le sujet et l’objet. Cette médiation n’est pas qu’une simple transaction ou qu’un compromis pratique. Elle implique une transformation profonde, la création de nouveaux liens et la rupture avec les structures constituées.

Le connectivisme

George Siemens et Stephen Downes, deux figures de proue d’un nouveau courant de pensée, proposent un cadre alternatif pour conceptualiser l’apprentissage. Le connectivisme (Siemens 2005 ; 2008 ; Downes 2007 ; 2008 ; 2009)2 se veut une nouvelle théorie de l’apprentissage rendue nécessaire parce que les théories actuelles, le behaviorisme, le cognitivisme et le constructivisme, sont limitatives. Celles-ci s’appuient sur le principe voulant que l’apprentissage soit un phénomène réservé à l’individu, qui se produit uniquement dans la tête des gens. Ces théories ne tiennent pas compte des apprentissages qui surviennent hors de l’individu, c’est-à-dire les apprentissages mis en mémoire et manipulés par la technologie. Elles ne proposent pas non plus de cadre pour décrire comment se réalise l’apprentissage dans les organisations et dans les collectifs en général. Le connectivisme adhère au principe qui veut que la cognition soit distribuée entre les individus, les collectifs et les artefacts que nous utilisons. Dans un monde réseauté, l’acquisition des connaissances ne peut plus se faire de manière strictement individuelle, mais dans l’interaction avec l’environnement.

Pour apprendre, il faut être en mesure d’intégrer la technologie dans nos processus et la faire participer à la production de connexions. Il faut également faire preuve d’autonomie, d’ouverture et de connectivité.

Du point de vue connectiviste, l’apprentissage émerge du résultat des connexions opérées à trois niveaux : neuronal (connexion des cerveaux), conceptuel (connexion des contenus et des sources d’information) et social (connexion des personnes)

2. Voir aussi le blogue de George Siemens Connectivism.

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(Siemens, 2008). Il se produit dans des conditions de constants changements qui ne sont pas entièrement sous le contrôle des individus. Dans ce contexte, les connexions qui permettent d’apprendre sont plus importantes que les apprentissages eux-mêmes.

Être capable de distinguer l’information importante de celle qui l’est moins, est vital, de même que la capacité de remettre en question les connaissances antérieures lorsque qu’une nouvelle information modifie le panorama des connaissances.

En insistant sur la primauté de la connexion et de ses effets imprévisibles, le connectivisme entend refonder l’apprentissage sur le besoin de comprendre pourquoi et comment les connexions s’établissent. Il propose une conceptualisation globale de l’apprentissage prenant en compte l’apprentissage individuel, collectif et organisationnel, tout en l’envisageant comme un phénomène distribué dans l’environnement.

L’expérimentation d’un nouveau modèle de cours : le MOOC

La conception connectiviste de l’apprentissage a donné lieu au développement et à l’expérimentation d’un modèle de cours inédit et radical, adapté à l’apprentissage basé sur les technologies numériques. Le MOOC (Massive Open Online Course) remet en question la valeur accordée au contenu dans un cours traditionnel au bénéfice de deux dimensions fondamentales de l’apprentissage : l’engagement dans les interactions avec l’enseignant et entre étudiants, et l’auto-organisation des activités des étudiants dans l’espace social que sont les établissements d’enseignement postsecondaires (Cormier et Siemens, 2010 ; Cormier, 2010).

Un MOOC est un environnement d’apprentissage virtuel éclaté qui se distingue par la connectivité et le réseautage social entre participants. L’apprentissage est facilité par un ou plusieurs experts reconnus dans le domaine étudié, le plus souvent des universitaires et des chercheurs McAuley et al. (2010). Le contenu d’un MOOC ne fait pas l’objet de présentations linéaires que tous les étudiants doivent suivre ; il est plutôt dispersé dans de très nombreuses ressources regroupées autour de thèmes.

Le volume d’information qui circule dans un MOOC peut être déroutant, mais cela est intentionnel et prévu dans le modèle qui veut reproduire la réalité des situations auxquelles l’étudiant est exposé hors du contexte éducatif.

Les étudiants organisent eux-mêmes leur activité et leur participation.

Ils constituent des réseaux de travail et définissent les sujets qu’ils étudieront de manière collaborative. Dans un MOOC, le nombre de participants peut atteindre plusieurs centaines, voire des milliers (Cormier et Siemens, 2010)3. La participation

3. En 2008, G. Siemens et S. Downes offraient à l’université du Manitoba un MOOC intitulé Connectivism and Connective Knowledge (http://ltc.umanitoba.ca/connectivism/). Au départ, 25 étudiants s’y sont inscrits et ont acquitté les frais de scolarité donnant droit à l’obtention de crédits ou d’unités. Le cours fut ouvert à la participation d’autres apprenants non payants

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y est émergente, fragmentée, diffuse et diverse. Bien que le MOOC se plie à certaines conventions des cours traditionnels telles que la durée prédéterminée et des sujets suggérés sur une base hebdomadaire, le cadre administratif et pédagogique est extrêmement libre. L’annonce d’un MOOC circule typiquement sur les réseaux sociaux du web. Les seules exigences pour s’y inscrire sont d’avoir un accès internet et un intérêt pour le thème du cours. De manière ouverte et transparente, les experts facilitateurs s’engagent avec les étudiants dans des discussions et des remises en question comme le font entre eux les scientifiques (Cormier et Siemens, 2010). Bien qu’ils commentent les contributions des participants, il est entendu que ce sont les participants qui doivent réagir à la majorité des contributions. Les auteurs rapportent que cette attente n’est pas ressentie comme une contrainte puisqu’elle correspond aux normes de participation, de collaboration et de réactivité qui prévalent au sein des réseaux sociaux sur le web.Une fois le cours terminé, les participants peuvent demeurer connectés au site principal du cours. Ils peuvent également garder le contact par un fil RSS qui relie leurs blogues au site du cours.

Le MOOC incarne les pratiques du web social, connectivité entre les individus et réseautage. Il vise à développer la capacité à se connecter, à innover et à reconfigurer le connu pour créer de nouvelles connaissances. Le modèle s’éloigne radicalement des sentiers battus, bouscule notre conception de l’apprentissage en tant que produit, contenus assimilés et processus. On reproche au modèle sa vision romantique de l’apprentissage (Arora, 2010, rapporté par Williams et al., 2011) et les nombreuses difficultés qu’il pose aux plans philosophique, épistémologique, pédagogique, organisationnel et économique (Mackness, Mak, Williams, 2010 ; Mak et al., 2010).

Nous estimons qu’il a quand même le mérite de stimuler la réflexion sur le sens à donner à l’apprentissage et d’ouvrir courageusement la recherche à de nouvelles solutions. Les concepteurs du MOOC reconnaissent que les méthodes et les outils mis au point à ce jour pour gérer et faire fonctionner ce genre de cours sont encore à leurs débuts, mais chaque expérience permet d’améliorer progressivement le concept même du MOOC et la façon d’opérer (McAuley et al., 2010)4.

Une nouvelle ingénierie pédagogique pour de nouveaux environnements d’apprentissage

Tout comme Sims (2008), nous reconnaissons la nécessité de revoir et de débattre l’ingénierie pédagogique actuelle qui centralise le pouvoir de l’enseignant-concepteur et de l’institution. Une nouvelle orientation s’impose pour enrichir et transformer les ayant accès à toutes les ressources du cours. Le nombre d’apprenants qui n’allaient pas recevoir d’unités atteignit 2 300.

4. Voir C. Vaufrey et T. E. Guemadji-Gbedemah. Deux blogueurs comparent leur expérience d’apprentissage dans un billet intitulé Le MOOC à deux voix et quatre mains. L’un a suivi le cours de S. Downes et G. Siemens offert en partenariat avec l’Université du Manitoba, et l’autre était inscrit en 2010 au cours à la P2PUniversity.

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interactions pédagogiques en misant sur la connectivité et les potentialités communicationnelles des réseaux sociaux. Dans cette perspective, une ingénierie pédagogique alternative, telle que proposée par Downes (2010), envisagerait les événements d’apprentissage (le contenu et le moment de leur occurrence) en fonction des liens établis entre les apprenants et le contenu, dans un espace interactif.

L’utilisation des ressources serait suggérée par le contenu des thèmes étudiés plutôt qu’imposée en fonction d’apprentissages prescrits. Les environnements d’apprentissage offriraient la possibilité d’interactions plus ouvertes et faciliteraient les échanges, le partage et les interactions autour d’événements d’apprentissage dans un environnement distribué. Les objets d’apprentissage seraient repensés non plus comme des éléments inscrits dans un design basé sur le flux de tâches (state-based learning design), tel IMS-LD, mais comme des objets disponibles, récupérables au moment désiré (rule- based learning design). Il nous faudrait alors abandonner les plateformes de type LMS5, dotées d’une architecture efficace pour la gestion des étudiants, des cours, des inscriptions, et du stockage des ressources, mais qui restent très orientées vers des principes de séquentialisation des parcours et d’automatisation du contrôle des connaissances (Roublot et Leblanc 2007).

Une écologie de l’apprentissage

Les dimensions prescriptive et émergente ont toujours été présentes dans les apprentissages. Ce qui est appelé à se transformer, c’est l’équilibre entre elles, le degré de formalisation de l’apprentissage et la manière d’utiliser les ressources (Williams et al., 2011). La question qui se pose est de savoir comment intégrer dans le système éducatif ces deux dimensions dans une écologie de l’apprentissage inclusive. Comment faire le passage d’environnements d’apprentissage où tout doit être contrôlé et prévisible vers des environnements pluralistes dans lesquels autant la dimension émergente que la dimension prescriptive ont leur place afin que l’imprévisible ne soit pas banni ?

Sommes-nous prêts à nous ouvrir à l’apprentissage émergent ? Un défi, certes, aussi audacieux que l’était, il y a quarante ans, celui d’intégrer la distance dans la formation.

France Henri Télé-Université/UQAM Montréal henri.france@teluq.ca

5. Learning Management System.

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