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Article pp.565-590 du Vol.9 n°4 (2011)

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Texte intégral

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Didier Paquelin

Université de Bordeaux

MICA (EA 4426) Médiations, Informations, Communication, Arts Domaine Universitaire 33607 Pessac cedex, France

paquelin@u-bordeaux3.fr

RÉSUMÉ. La notion de distance a longtemps été mobilisée pour différencier les dispositifs de formation fondés sur le principe de la séparation spatiale et temporelle des formateurs, tuteurs et apprenants. Le propos ici n’est pas de chercher à réduire les distances, mais de centrer l’analyse en tenant compte des contextes de réception dans lesquels se situent les apprenants. L’étude des processus de mise en usage de certains dispositifs montre qu’ils mobilisent de multiples proximités spatiales et non spatiales qui définissent le territoire de l’action du sujet. L’étude empirique conduite auprès d’un public fragilisé que sont des demandeurs d’emploi analyse comment ces différentes proximités sont articulées et participent au continuum d’activités qui favorise l’engagement des apprenants dans leur projet de formation.

ABSTRACT. The notion of distance has long been mobilized to differentiate training devices based on the principle of spatial and temporal separation of trainers, tutors and learners.

The purpose is not to seek to reduce the distances, but to focus on an analysis taking into account the environment in which learners are for the reception. The study of the uses of these devices shows that they mobilize multiple spatial and non spatial proximity defining the territory of the subject’s action. The empirical study conducted with the vulnerable audience of job seekers, analyzes how these different proximities are articulated and how they participate in the continuum of activities that promotes the involvement of the learners in their training project.

MOTS-CLES : apprentissage, dispositif, distance, proximités, territoire

KEYWORDS: distance learning, proximities, territory

DOI:10.3166/DS.9.565-590 © Cned/Lavoisier 2011

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La distance : questions de proximités

Le syntagme « distance » mobilisé dans le contexte de la formation est polysémique par nature. Jacquinot (1993) propose une catégorisation de cette distance selon six classes : les distances spatiale, temporelle, technologique, socioculturelle, socio-économique et pédagogique, qui peuvent être complétées par les distances cognitive et pragmatique1. Ces distances expriment un « écart » qu’aucune métrique ne peut à ce jour définir, mais dont chacun reconnaît qu’il ne doit pas être trop important au risque que les relations qui unissent les acteurs, les acteurs et le savoir soient trop distendues pour qu’une communication puisse s’établir et le projet de formation se réaliser. La présence dans la distance apparaît de plus en plus comme l’une des composantes de l’efficience des dispositifs.

L’enjeu de cette présence relève davantage de mises en lien, de relations entre différents acteurs (apprenants, formateurs, tuteurs). Il s’agit de comprendre comment les pratiques médiatisées de formation concourent à ces processus de reliance2 qui assurent tout à la fois l’implication de l’apprenant et la mise en cohérence et en convergence d’espace-temps sociaux fragmentés reconnus propices à la réalisation du projet de formation.

Nous proposons un changement de paradigme passant de la notion de distance qui sépare à celle de proximité qui relie. Nous posons comme postulat que la mise en usage d’un dispositif sociotechnique dans un contexte de formation à distance, qui articule des activités d’apprentissage en présence et des activités d’apprentissage à distance relève de proximités multiples entre les acteurs, qu’elles soient ou non médiatisées. Ces proximités participent au développement chez les bénéficiaires des dispositifs d’un sentiment de faisabilité de leur projet, d’appartenance et de sécurité ontologique propices à leur engagement dans le processus de formation.

Ce positionnement initial exprime la nécessité vygotskienne d’un partage et d’une co-construction sociale qui assure le maintien de l’efficience du dispositif dans ce que chaque acteur est en capacité de vivre. Cet agir communicationnel au sens habermassien permet à chacun de « s’entendre avec l’autre, de façon à interpréter ensemble la situation et à s’accorder mutuellement sur la conduite à tenir » (Habermas, 1987), et ainsi de se situer à la « bonne distance ». La « bonne distance » c’est se situer ni trop loin ni trop près d’autrui, mais dans un espace-temps-social qui délimite et contient la zone d’activités participatives des sujets qui correspond à ce que ces acteurs sont en capacité de réaliser à la fois individuellement et collectivement pour répondre à un besoin.

1. La distance cognitive est liée à la capacité de compréhension des contenus ; la distance pragmatique est liée à la capacité de mise en application des théories et de formalisation de problèmes concrets.

2. Bolle de Bal M., définit la reliance comme « La production de rapports sociaux médiatisés, c’est-à-dire de rapports sociaux complémentaires ou, en d’autres termes, la médiatisation de liens sociaux » (2003, p. 105).

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Cette « bonne distance » que nous qualifierons de distance proximale, serait tout à la fois celle qui relie et celle qui est nécessaire à la distanciation des acteurs pour effectuer un processus réflexif qui leur permet tout à la fois d’élaborer leur projet de formation et de planifier les actions à mettre en œuvre pour le concrétiser.

Si la proximité géographique, concrétisée par l’organisation de regroupements d’apprenants proches de leurs lieux de résidence est un vecteur de ce processus, nous questionnerons d’autres dimensions de cette distance proximale (exemples : proximité temporelle, proximité sociale, proximité cognitive) et proposerons une catégorisation de ces proximités à partir de travaux de chercheurs en socio-économie. Nous faisons l’hypothèse que l’engagement des apprenants dans le dispositif suppose l’ancrage de l’action dans un ensemble de proximités spatiales et non spatiales qui favoriserait l’élaboration d’un climat de confiance propice à l’initialisation d’un processus de formation pour des personnes en situation de fragilité sociale.

Nous étudierons cette relation entre distance et proximité pour ce qu’elle apporte comme éléments de compréhension à la dynamique par laquelle les sujets développent leur capacité à gérer la distance et à initialiser un projet de formation comme si cette présence à l’autre les aidait à la prise de conscience d’une capacité personnelle à faire évoluer sa propre trajectoire personnelle et professionnelle. Le développement de cette capacité peut-être lu comme un vecteur d’autonomisation du sujet auquel participe l’accompagnement qui sait reconnaître et faire reconnaître par l’apprenant ses acquis et ses besoins pour la réalisation de son projet de formation.

Nous analyserons les vecteurs de cette proximité dans un contexte d’hybridation des situations d’apprentissage (en présence et à distance). Nous étudierons en quoi la proximité se traduit chez les sujets par le sentiment d’appartenance. Nous posons comme seconde hypothèse que l’articulation entre les temps en présence et à distance via un dispositif de communication asynchrone entre les apprenants et les formateurs-accompagnateurs assure une continuité de l’action qui maintient l’engagement et la persévérance des apprenants dans la réalisation de leur projet.

Cette communication via les dispositifs numériques permettrait donc d’assurer la continuité du processus en réduisant les effets de la fragmentation des espaces sociaux par renforcement des proximités spatiales et non spatiales.

La distance : une réponse à « l’empêchement » des apprenants

Pourquoi la distance pose-t-elle aujourd’hui comme hier de nombreuses questions ? Où va cette distance ? Un petit retour historique éclaire l’évolution même de cette notion de distance en formation.

Enseignement et correspondance semblent à l’origine de ce qui est aujourd’hui appelé formation à distance, initiée donc en vue de répondre à des besoins de formation que les institutions éducatives conventionnelles ne pouvaient plus assurer en raison notamment de l’empêchement spatial et temporel des apprenants. Cette

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notion d’empêchement est l’argument premier qui soutient le développement de ces dispositifs : empêchements spatial et temporel, qui résultent de l’incompatibilité entre ce qui est prescrit comme forme organisationnelle canonique des modalités de formation, à savoir la présence au sein d’un groupe et dans un lieu commun, et les possibilités de l’apprenant à se rendre dans ces lieux. Le couple espace et temps paraît un déterminant qui est parfois la résultante d’autres facteurs tels que la dimension économique d’un projet de formation. Dans certains cas, l’apprenant ne dispose pas de ressources financières suffisantes lui permettant de se déplacer, dans d’autres cas, la priorité économique le conduit à consacrer une part importante de son temps à une activité rémunératrice. Dans un contexte de paupérisation sociétale, le recours à des dispositifs de formation à distance est une réponse à la nécessité de conduire en parallèle une activité professionnelle et un projet de formation, ce qui se traduit par un public aux caractéristiques sociodémographiques et économiques différentes de celui qui fréquente les cours en présentiel (Paquelin, 2008).

Par cette mise à distance, il s’agit de rapprocher des bénéficiaires le service qu’est la formation en diffusant des supports de cours dont la lecture et les activités proposées organiseraient les apprentissages selon une modalité pédagogique fondée non plus sur la présence collective dans un lieu physique, mais sur l’activité individuelle et/ou collective structurée par des productions (devoirs, dossiers). Nous observons un effet de balancier, comme si les principes de mise en distance d’une formation pour répondre à des besoins individuels étaient aujourd’hui perçus selon un angle, non plus d’émetteur mais de récepteur, et plus particulièrement de contexte de réception et de mise en usage du dispositif. Ce changement de paradigme se retrouve dans la sphère économique qui a développé depuis une vingtaine d’années des travaux sur l’économie spatiale des proximités, dont l’objectif est de comprendre en quoi et comment différentes proximités sont engagées dans l’organisation de la production des biens et des services. Le déploiement des technologies de l’information et de la communication « reconfigure » les frontières traditionnelles de l’action, une pluralité d’espaces-temps sociaux étant mobilisée pour des activités de production de biens et de services. Ces technologies agissent ainsi comme vecteur d’accroissement spatial, de réduction temporelle et de densification sociale :

– la réduction temporelle se traduit par l’immédiateté de l’accès à l’information et de la communication. Tout semble accessible en un clic, les communications s’accélèrent, les délais se réduisent, et le temps devient tyrannique ;

– l’élargissement spatial du territoire de l’action n’est plus uniquement géographique, il est également cybergéographique ou plus communément nommé numérique. Il facilite l’accès à de multiples services à distance, rapprochant ainsi le service de son bénéficiaire ;

– la densification du social se réalise via le développement de la communication numérique et des réseaux sociaux qui accroissent les possibilités d’être en relation avec un nombre de plus en plus important de personnes.

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Ainsi un apprenant « à distance » peut accéder à des ressources et à des activités d’apprentissage dans différents contextes spatio-temporels dès lors qu’elles sont numérisées et accessibles via un dispositif technologique. Il peut apprendre dans des temporalités qui sont compatibles avec ses autres activités et communiquer de manière synchrone et asynchrone avec une diversité d’acteurs (apprenants, formateurs, tuteurs, autres).

D’une logique de l’offre à la problématique de l’usage en situation

La notion de distance porte le dessein d’une centration sur le sujet à la fois en termes d’apprentissage et de participation à l’organisation des conditions de ses apprentissages. Elle est ambiguë car elle libère tout autant qu’elle contraint. Elle libère l’apprenant de contraintes spatiales et temporelles, mais cette liberté suppose qu’il soit en capacité de trouver une organisation spatiale, temporelle et sociale pour réaliser ses apprentissages dans un contexte qui lui est singulier.

Les dispositifs de formation à distance, du point de vue des concepteurs, sont proposés pour répondre à cette problématique d’empêchement. La définition donnée par l’AFNOR3 insiste sur l’éloignement : un dispositif de formation à distance est « un système de formation conçu pour permettre à des individus de se former sans se déplacer dans un lieu de formation et sans présence physique d’un formateur ».

Deschênes et Maltais (2006, p. 12) identifient d’autres intérêts de la formation à distance : « la formation à distance est une formation individualisée qui permet à un élève d’apprendre par lui-même, à son rythme, avec des contraintes minimales d’horaire et de déplacement, à l’aide de matériel didactique autosuffisant offert par différents moyens de communication et le soutien à distance de personnes ressources ».

Ces définitions comme d’autres ont en commun d’être élaborées dans une logique de l’offre définie par des concepteurs, exprimant discrètement les conditions d’usage, la situation concrète dans laquelle l’activité de formation va se dérouler. Le dispositif prescrit les conditions de mise en usage pour lequel il convoque le bénéficiaire qu’est l’apprenant dans un engagement actif qui suppose chez ce dernier une capacité de changement de posture par rapport à une situation d’apprentissage plus conventionnelle. Le dispositif organise un « changement sans passer par la contrainte. Il aménage un espace d’effectivité, c’est-à-dire pour reprendre Lojkine : un espace où l’on fait effectivement ce que l’on veut faire (Lojkine, 1998. p. 47). La force de cet espace est de concilier une effectivité plurielle, celle des gestionnaires qui, à travers le dispositif, comptent bien atteindre les objectifs qu’ils se sont fixés, et celle des multiples usagers. » (Fuselier et Lannoy, 1999, p. 189). La mise en usage d’un dispositif traduit cette dualité structurelle, qui remet en cause des routines antérieures, demandant une capacité chez l’apprenant à donner une forme organisationnelle effective et efficiente au dispositif prescrit.

3. Afnor Terminologie Fascicule explicatif FD X 50-751 paragraphe 3.5.7.

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Ainsi ces dispositifs sont par essence inachevés au sens où leur intentionnalité d’usage requiert une intervention active et raisonnée du bénéficiaire qu’est l’apprenant.

Seuls et/ou accompagnés, les apprenants exercent une activité de reconnaissance de ce qui leur est demandé avant de définir leur propre organisation qui résulte de leur compréhension de ce qui est attendu, de leurs capacités à apprendre et de la probable organisation dans laquelle ils peuvent se projeter tenant compte de leur contexte fait tout à la fois de ressources et de contraintes. L’efficience de tels dispositifs est la résultante d’un processus d’intersubjectivation entre les acteurs (formateurs, apprenants) qui, par négociations, permet de réduire l’écart entre ce qui est prévu et perçu comme possible. C’est par ce processus d’actualisation des fonctionnalités du dispositif (Paquelin, 2009) que l’usage de celui-ci est élaboré par l’apprenant. Ce processus est inscrit dans de multiples proximités notamment spatiale, temporelle, sociale, cognitive. En référence à Foucault, cette mise en usage résulte d’un tissage de liens entre des composantes hétérogènes dont certaines sont externes à l’environnement du sujet et d’autres inscrites dans ce dernier.

Comme nous venons de le souligner, ce processus résulte de multiples négociations temporelles, spatiales, sociales, économiques, cognitives, affectives, qui supposent de la part de l’apprenant une capacité à donner forme à une organisation qui sera propice à son apprentissage. Ces négociations ont pour finalité de procéder à l’agencement de composantes hétérogènes qui réponde tout à la fois à ce qui est attendu par les concepteurs et à ce qui est possible pour l’apprenant. Enfin, cette dynamique particulière suppose une activité qui va bien au-delà du simple acte d’apprendre, mais relève d’une capacité à apprendre en situation qui aura été partiellement définie par le sujet apprenant en tenant compte de ces multiples proximités qui ancrent l’action dans un ensemble d’espaces-temps sociaux.

Nous étayerons ce propos en revenant dans ce qui suit sur la notion de proximité.

L’analyse des données empiriques collectées pour valider les hypothèses initiales viendra par la suite asseoir cette argumentation et discuter la pertinence du cadre conceptuel proposé.

Les proximités

Distance et proximité paraissent être deux visions portées sur un même objet géographique qui spatialise l’action, visions spécifiques de situations, l’une portée par les concepteurs du dispositif et l’autre émanant des apprenants. Les premiers souhaitent permettre à des apprenants d’apprendre en temps et lieux choisis par une mise à disposition de ressources et d’activités. Les seconds cherchent à gérer des tensions entre leur situation et les conditions à réunir pour réaliser leur projet de formation.

L’objectif est de comprendre, après les avoir définies, comment ces différentes proximités sont engagées dans la réalisation du projet de formation et relient des composantes hétérogènes de temps, d’espace et de ressources pour constituer une forme organisationnelle qui soutient et contient l’acte d’apprendre.

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Pour Rallet (2002, p. 11), « la notion de proximité permet d’échapper à la traditionnelle réduction de l’espace à la distance coût de transport … La notion de proximité est utilisée comme un analyseur de la dimension spatiale de la coordination ». Dans la suite de cette proposition, nous souhaitons, par cette approche, à la fois nous défaire de la notion de distance comme vecteur spatial et étudier en quoi l’efficience de la mise en usage d’un dispositif de formation à distance résulte d’activités de coordination qui organisent les conditions d’une situation d’apprentissage reconnue pertinente par l’ensemble des acteurs que sont les formateurs, les tuteurs et les apprenants. Cela suppose de considérer la proximité, non pas comme la distance entre deux points, mais comme un espace au sein duquel des déplacements de configuration peuvent s’opérer pour rendre opérationnelle une organisation d’apprentissage.

Revenons brièvement sur l’étymologie du terme proximité. Apparu au XIVe siècle, il est issu du latin proximitas4 qui signifie alors « parenté proche » au sens propre. A partir du XVIe siècle, proximité désigne un voisinage spatial, souvent employé dans l’expression « à proximité de». La proximité a ainsi une dimension subjective qui définit la valeur donnée aux choses. L’énonciation par Moles de la loi proxémique rappelle que « fondamentalement, axiomatiquement, ce qui est proche est, toutes choses égales par ailleurs, plus important que ce qui est loin, qu’il s’agisse d’un événement, d’un objet, d’un phénomène ou d’un être » (Moles et Rohmer, 1978, p. 53). Dans le domaine de l’apprentissage, cette notion de proximité rappelle l’importance donnée par des auteurs tels que Vygotsky, Bruner, Perret-Clermont, au rapport à l’autre dans ce processus d’élaboration de connaissances. Ainsi, ces notions telles que la zone proximale de développement, l’interaction de tutelle et le conflit sociocognitif expriment concrètement l’effet de voisinage qui inscrit la relation pédagogique dans un système de reconnaissance nécessaire à l’engagement du sujet dans un projet de formation et à sa réalisation. Pour ce faire, les composantes matérielles (ex. équipements) et immatérielles (ex. relation avec un tiers) doivent être suffisamment proches de la sphère d’action et de pensée du sujet pour qu’un apprentissage puisse être réalisé.

Cette notion de proximité apparaît comme un attracteur étrange dans un monde globalisé dans lequel l’homme, par diverses technologies s’évertue à s’affranchir depuis plusieurs décennies de l’espace. Les technologies de l’information et de la communication bouleversent cette notion de proximité, voire sont susceptibles d’abolir les contraintes de la proximité physique par le biais des outils de communication synchrones et asynchrones (Le Boulch, 2011). La mobilisation de cette notion dans le champ de la formation a donc pour objectif de traiter différemment notre perception de l’espace et de la distance. Pour Rallet ce changement s’exprime par un changement radical de la fonction de la proximité : « la proximité était ce à quoi on était condamné, c’est aujourd’hui ce qu’il faut mobiliser » (Rallet, 2002, p. 12). Là où, traditionnellement, l’espace physique contenait l’action, nous faisons l’hypothèse que

4. Lat. proximitas de proximus « très près », Petit Robert, Dictionnaire de la langue française, 1986, p. 1558.

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cette contenance est désormais inscrite dans un ensemble de proximités5 : géographique, temporelle, sociale, cognitives, matérielles…

Les principaux courants de l’analyse économique spatiale6 traitent depuis plusieurs années de la question des proximités en parlant de proximité d’essence spatiale et de proximité d’essence non spatiale (Gilly et Torre, 2000), pour différencier la localisation de l’activité des relations qui relient les acteurs engagés dans la réalisation de ces activités. Les apports de chercheurs de ce champ disciplinaire sont convoqués pour éclairer le questionnement dont la nature servicielle est propice à la mobilisation de cadres de pensée issus de la socio-économie. Car un dispositif de formation à distance n’est pas seulement la mise à disposition de produits que sont les ressources et les activités d’apprentissages, mais également une activité de service qui suppose une participation active du bénéficiaire qu’est l’apprenant.

Proximité spatiale : la localisation des activités

Pour ces auteurs, le premier critère de catégorisation des proximités est l’espace, qui contient l’effet de voisinage spatial. Cette proximité d’essence spatiale, appelée également proximité géographique est déclinée selon deux dimensions : une proximité passive, exprimée par une distance (dimension objectivable), et une proximité active qui est un perçu subjectivé (Aguilera et Lethiais, 2010). Dans un contexte de formation à distance, l’apprenant peut être proche d’un centre de formation mais s’en sentir éloigné en raison de l’impossibilité pour lui de se rendre sur place aux heures prévues pour les cours.

Le développement des technologies de l’information et de la communication modifie cette notion de proximité spatiale et relativise son importance dans les processus de mise en relation d’acteurs, facilitant ainsi les échanges. L’apprenant à distance peut développer un sentiment de proximité conféré par les relations qui sont établies avec les tuteurs via des actes de communication synchrone et/ou asynchrone.

Cette proximité spatiale est très souvent plurielle. Dans une situation de formation à distance, des pratiques de délocalisation et de plurilocalisation de l’activité sont observées. Un apprenant peut réaliser ses activités d’apprentissage dans plusieurs lieux ressources (médiathèques, points d’accès publics à internet, tiers-lieux). Cette proximité spatiale vécue par l’apprenant semble parfois oubliée des concepteurs de dispositif comme le rappellent des entretiens auprès d’étudiants qui suivent un cursus à distance : « Il ne suffit pas de donner une carte d’étudiant à un étudiant à distance pour

5. Cette proposition s’inscrit dans la suite des travaux de Pecqueur et Zimmermann (2004, p. 25) pour qui la notion de proximité « correspond à une capacité d’agents qui la partagent à se coordonner ».

6. Le numéro spécial de la Revue Économique, Régionale et Urbaine (RERU, n° 3, 1993), intitulé « Economie de proximité », paru en 1993, est considéré comme l’élément fondateur de ce courant dans le champ de l’économie régionale.

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qu’il fréquente une bibliothèque universitaire, mais se demander s’il peut avoir accès à une bibliothèque pas trop éloignée de son domicile »7.

La durée et le coût du transport sont à prendre en compte pour appréhender cette proximité spatiale qui peut être définie dans le rapport que le sujet entretien avec son territoire selon une approche topologique qui précise son périmètre d’action. Ce périmètre est fonction des pratiques de mobilité des sujets qui varient selon qu’ils sont ou non en activité professionnelle, selon leur lieu d’habitation et/ou le type d’activité exercée. Il varie également selon les infrastructures de transport et le relief, lesquels permettent de parcourir dans des temps variables une même distance8. Ainsi un apprenant peut-être à proximité physique d’un lieu mais peut être empêché de s’y rendre pour des questions de disponibilité temporelle.

Dans le contexte étudié, la spatialisation de l’action est à envisager au-delà du simple cadre physique, géographique. La notion même d’espace est modifiée par rapport à son acception habituelle dès lors qu’il y a utilisation de technologies de l’information et de la communication, ce qui ouvre la possibilité d’accès à d’autres espaces. Ce cyberespace ou espace numérique est par essence l’espace de la distance qui ne demande pas obligatoirement de déplacement physique pour le parcourir. Il s’agit d’un espace élargi dont la frontière est définie par la capacité navigationnelle du sujet. Il ne relève pas d’une proximité géographique passive, mais bien d’une proximité active, car c’est par l’action du sujet que cet espace se construit.

En résumé, nous proposons de retenir deux déclinaisons de la proximité spatiale : la spatialité physique et la spatialité numérique. Toutes deux représentent des espaces au sein desquels l’apprenant va situer son action et se distinguent explicitement de la proximité a-spatiale qui est de nature organisationnelle et assure des fonctions de coordination des acteurs engagés dans la réalisation des actions.

Proximité a-spatiale : l’organisation des activités

Rallet et Torre (2011) différencient la proximité spatiale qui exprime le partage d’un espace commun par les acteurs, de la proximité non spatiale ou a-spatiale qu’ils qualifient de proximité organisationnelle ou de proximité organisée9 fondée sur la

7. Propos recueillis par O. Pradeilles, dans le cadre d’une étude réalisée en 2011 auprès de 14 étudiants inscrits dans un cursus de formation à distance.

8. L’étude des déplacements journaliers des actifs d’un territoire définit les déplacements pendulaires, la distance domicile-travail parcourue quotidiennement est en moyenne de 25,9 kilomètres. Pour un habitant d’un même territoire, la notion de proximité spatiale sera par conséquent différente selon qu’il effectue ou non un déplacement pendulaire, selon le moyen de transport utilisé. Source INSEE, http://www.insee.fr/fr/themes/ document.asp?

ref_id =ip1129&reg_id=0#inter3.

9. Pour qualifier la notion de « proximité a-spatiale », les termes de proximité organisationnelle et de proximité organisée seront utilisés de manière indifférenciée dans la

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relation : « Par proximité organisée, on entend la capacité qu’offre une organisation de faire interagir ses membres. L’organisation facilite les interactions en son sein, en tous cas, les rend a priori plus faciles qu’avec des unités situées à l’extérieur de l’organisation » (Torre et Filippi, 2005). La proximité organisationnelle10 ou organisée se distingue par « deux types de logiques qualifiées de similitude et d’appartenance. La logique d’appartenance regroupe des acteurs entre lesquels se nouent des interactions ; la logique de similitude regroupe des acteurs qui se ressemblent, qui possèdent le même espace de référence, partagent les mêmes savoirs » (Bouba-Olga et Grossetti, 2008, p. 314).

Concernant un dispositif de formation à distance, la proximité organisationnelle est la capacité contenue dans l’organisation du dispositif à faire interagir les acteurs que sont les formateurs et les apprenants, structurant ainsi les échanges et les activités. Cette proximité organisationnelle participe à l’atteinte d’un but qui est l’apprentissage. Elle peut se traduire dans des relations établies entre les apprenants et des tiers qui ne sont pas directement impliqués dans le dispositif tel qu’il a été conçu : l’entourage familial, les amis, l’entourage professionnel, l’entourage de proximité spatiale11. Les interactions entre les acteurs expriment la logique d’appartenance à une dynamique partagée, un projet commun qui est l’apprentissage. Cette proximité participe aussi à une dynamique de socialisation par laquelle des liens entre des acteurs vont se tisser.

Chaque membre du groupe devient une personne auprès de qui il est possible de trouver réponse à des questions, et souvent plus rapidement qu’en sollicitant un tuteur, mais aussi une personne auprès de qui le sentiment d’être jugé est peu présent, à l’inverse de ce qui est peut être perçu lors d’une interaction avec un enseignant et qui se traduit par la « peur » de lui poser une question. Cette proximité rappelle la notion de distance transactionnelle développée par Moore qui soutient que la fréquence des interactions réduit la distance entre les tuteurs et les apprenants (Moore, 1993).

En seconde analyse, ces auteurs établissent deux sous-classes de la proximité a- spatiale ou organisationnelle : la proximité de ressources et la proximité de coordination.

La proximité de ressources est elle-même déclinée en deux catégories : la proximité cognitive, de nature immatérielle, et la proximité matérielle. La proximité cognitive

« renvoie à l’idée d’une similarité ou complémentarité des valeurs, des « allant de soi », des projets, des routines, des conventions, des référents, etc. (toutes choses que l’on peut rassembler sous le terme de « ressources cognitives »). Cette proximité concerne suite du texte. Cette synonymie exprime la notion de liens, de relations qui structurent et organisent l’action.

10. Pour ces mêmes auteurs, le terme « organisation » expriment un ensemble structuré de relations individuelles et collectives qui coordonnent l’action des agents dans l’espace.

11. Une pré-étude conduite en septembre 2011 auprès de 145 étudiants de licence montre l’importance de l’entourage dans la représentation que les étudiants se font de la formation à distance. En cas de difficultés, les étudiants demanderaient de l’aide aux autres étudiants (34,1 %), à des personnes de leur entourage (30,2 %) et enfin aux enseignants/tuteurs (28,6 %), [source RAUDIN, http://raudin.u-bordeaux3.fr]

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ce qui se passe dans la tête des gens et qui se manifeste par des actions et des discours.

La plupart des ressources cognitives sont partageables (la langue, les valeurs, les normes, etc.) et sont mobilisables pour se coordonner. » (Bouba-Olga et Grossetti, 2008, p. 320). Les ressources peuvent être matérielles (équipements, fournitures, documents, etc.) et/ou immatérielles (information, connaissances, règles, normes, etc.).

Pour ce qui concerne notre sujet, nous retiendrons la catégorisation proposée par ces mêmes auteurs. La proximité cognitive correspond à l’explicitation et au partage des règles de fonctionnement du dispositif (exemples : la régularité de participation aux ateliers, la nature des productions à réaliser, les règles d’échange via le forum), et à la capacité des apprenants à formaliser des savoirs qui seront partagés via la plateforme et à s’approprier des connaissances qui correspondent à leur projet. La proximité matérielle traduit l’accessibilité à des documents pédagogiques qui participe à la perception par l’apprenant de sa propre capacité à organiser son travail comme l’exprime un étudiant interrogé : « compter le nombre de pages que j’aurai à lire… au moins je sais ce que je dois apprendre de A à Z, j’ai les supports de cours sous la main »12. Le fait de pouvoir accéder aux ressources contribuerait au développement d’un sentiment de réassurance chez les apprenants consécutif à la perception d’une possible réussite de leur projet. Cette proximité renforcerait leur persévérance et leur motivation d’accomplissement.

La proximité de coordination est également l’objet de deux déclinaisons : la proximité relationnelle qui exprime la position des différents acteurs dans les réseaux, et la proximité de médiation contenue dans les dispositifs qui permettent d’échanger (Bouba-Olga et Grossetti, 2008, p. 320).

Figure 1. Les différentes dimensions de la proximité (d’après Bouba-Olga et Grossetti, 2008)

Si ces différentes proximités se conjuguent, la simple proximité spatiale ne peut suffire à initier le processus de formation. En effet, l’accessibilité au dispositif suppose que l’action soit située dans une proximité de ressources et de coordination,

12. Propos d’étudiants issus des entretiens réalisés par O. Pradeilles, étudiant en Master Sciences de l’Éducation 2011.

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qu’elles soient inscrites dans un espace physique et/ou numérique. Ces différentes proximités sont de nature objective et subjective13 et ne sont pas additionnelles mais interactionnelles et interdépendantes. Les dimensions de la proximité et les sous- catégories présentées permettent de concevoir un cadre d’analyse pour étudier les problématiques de mise en usage des dispositifs de formation à distance, considérant que ces proximités participent à la définition des frontières de l’action (cf. figure 1).

Cadre d’analyse

Ces éléments théoriques permettent de définir le cadre d’analyse à partir duquel pourra être discutée l’hypothèse selon laquelle l’engagement des apprenants dans un dispositif de formation à distance suppose l’ancrage de l’action dans un ensemble de proximités spatiales et a-spatiales. Nous analyserons à partir de données issues de l’observation d’un dispositif de formation à distance en quoi et comment ces proximités participent à l’élaboration d’un climat de confiance propice à l’initialisation d’un processus de formation pour des personnes en situation de fragilité sociale.

Ces proximités ouvrent à la possibilité d’explications de la distribution spatiale des différents agents qui participent à la réalisation du projet de formation du sujet :

« elles jouent le rôle d’une sorte de curseur analytique permettant de régler le dosage des échelles globale et locale dans la coordination des agents » (Rallet, 2002, p. 14).

Dans le champ de la formation à distance, cette spatialisation des agents s’ancre à la fois dans une spatialité physique – telle que des lieux dans lesquels se déroulent des activités en coprésence – et la spatialité numérique qu’est la plateforme technologique. Par exemple l’entrepôt numérique de documents est le lieu de dépôt et/ou de téléchargement de documents, tout comme peut l’être l’étagère d’un centre de ressources, d’une médiathèque, qui sont des lieux physiques.

Notre démarche d’analyse cherche à identifier comment les différents agents que sont les apprenants, les tuteurs ou accompagnateurs distribuent leurs activités dans ces proximités spatiales et a-spatiales et comment ces deux catégories de proximité interagissent en complémentarité pour la réalisation du projet de formation (cf. tableau 1). A titre d’exemple, l’observateur relèvera que l’inaccessibilité aux ressources pour l’apprenant depuis l’espace dans lequel il agit crée un obstacle, voire rend impossible l’apprentissage, soit par absence de la ressource physique sur le lieu où suite à la trop faible connectivité numérique. A contrario, l’accès à des activités de coordination favorise la réussite du projet si l’apprenant peut communiquer avec un accompagnateur relais lorsqu’il est dans un lieu physique dédié ou s’il a la capacité et la possibilité d’initier une communication synchrone ou asynchrone avec un tiers via un dispositif de communication médiatisée.

13. Le Boulch (2001, p. 3) définit la proximité comme « un jugement de valeur qui porte sur une perception de la distance ».

(13)

Proximité spatiale

Spatialité physique (domicile, travail, tiers lieu14, autre)

Spatialité numérique (dispositif numérique)

Proximité a-spatiale proximité organisationnelle

Ressources

Présentation des règles de fonctionnement du

dispositif Aide à la formalisation de

connaissances Equipements Documentation

Guide pratique de communication

asynchrone Accès à des connaissances

formalisées

« échangeables » Accès à des

documents numériques (ex.

support de cours).

Coordination

Accompagnateur relais qui veille au bon fonctionnement

du dispositif et assure les apprenants

de son soutien.

Communication synchrone et asynchrone entre les

différents acteurs (formateurs, tuteurs,

apprenants)

Tableau 1. Cadre d’analyse multispatiale des proximités (les éléments proposés dans les quatre cadrans sont mobilisés pour illustration)

Étude de cas : un dispositif d’accompagnement de demandeurs d’emploi

L’expérimentation du dispositif numérique Ruralnet de janvier 2010 à janvier 2011 a été le support à l’analyse des proximités engagées dans la réalisation de projet de formation de demandeurs d’emploi situés en zone rurale. L’objectif initial était de comprendre comment l’activité de formation est située dans une double proximité, à savoir une proximité spatiale que sont des lieux physiques et une plateforme technologique, et une proximité a-spatiale qui organise l’action par la mobilisation de ressources et la coordination du déroulement des activités.

Initialement Ruralnet a été conçu autour de trois principes fondamentaux : – la formation en ligne classique où l’utilisateur est autonome dans ses apprentissages ;

14. Les tiers lieux sont des lieux publics qui peuvent être ou non labellisé et qui sont regroupés sous le vocable Point d’Accès Public à Internet. Certains sont appelés « espace public numérique » (EPN). Ils proposent des activités d’initiation ou de perfectionnement variées et encadrées, par le biais d’ateliers collectifs, mais également dans le cadre de médiations individuelles et de plages réservées à la libre consultation.

(14)

– les formations ouvertes et à distance accompagnées qui proposent une alternance entre des regroupements de proximité via un réseau d’infrastructure et des activités d’apprentissage à distance ;

– la bourse d’échanges qui consiste en un échange de savoir-faire, de compétences entre participants au dispositif via une plateforme numérique, le but étant de développer une réciprocité entre les acteurs engagés dans le dispositif.

Ruralnet est un dispositif qui articule des ateliers en présence organisés dans des espaces publics numériques et des activités à distance qui se déroulent entre deux ateliers. Au cours de la période étudiée Ruralnet a accueilli une diversité de publics (863 inscrits) et d’usages (accompagnés via les ateliers et/ou en totale autonomie). Ces ateliers ont été organisés dans six lieux différents en zone rurale et les médiations assurées à la fois dans le cadre d’ateliers et à distance par des accompagnateurs.

Chaque demandeur d’emploi participant a toujours fréquenté le même lieu.

Nous cherchons par cette analyse à comprendre en quoi et comment l’usage de ce dispositif s’inscrit dans différentes proximités spatiales et a-spatiales qui contribuent à la réalisation du projet des demandeurs d’emploi et comment se distribuent les différentes activités conduites par les apprenants et les tuteurs. Les données retenues pour l’analyse ont été produites via des méthodologies quantitatives (questionnaires15 ante et post expérimentation, analyse des traces communicationnelles médiatisées) et qualitatives (entretiens semi-directifs auprès de vingt demandeurs d’emploi et de quatre accompagnateurs) et les principaux résultats sont présentés en référence au cadre d’analyse pour montrer comment l’action est inscrite dans différentes proximités (cf. tableau 2).

Proximité spatiale

Ce dispositif, qui a pour particularité d’être territorialement ancré, vise un public en zone rurale et propose des regroupements nommés ateliers ; il a comme principe d’action l’apprentissage collaboratif via un réseau social. Nous reviendrons en première analyse sur le rapport de ces publics à l’espace physique pour préciser les représentations et les pratiques qu’ils ont de la proximité spatiale dans un contexte de formation.

L’initialisation du processus formatif via un regroupement dans un lieu physique questionne les conditions d’accès à ces lieux pour des publics n’ayant pas tous des facilités de déplacement. Cela nous a conduits à comprendre comment des habitants d’un territoire inscrivaient l’accès à des lieux publics numériques dans leur espace vécu. Les données issues d’enquêtes réalisées auprès d’un panel de la population cible en début d’action renseignent sur la perception de cette proximité spatiale. Les participants aux ateliers déclarent être prêts à réaliser un déplacement d’au maximum

15. Les questionnaires ont été complétés par 72 participants à ce dispositif.

(15)

31 km pour un temps moyen de 47 minutes, alors que la distance moyenne qu’ils ont parcourue pour participer aux ateliers est 17,8 km pour un temps moyen de 16,1 minutes. Plus qu’une proximité spatiale, il s’agit d’une proximité spatio-temporelle qui exprime ce que le sujet perçoit comme possible au regard de son propre rapport à l’espace et à la motivation qu’il développe. Les propos de certains participants l’expriment explicitement, illustrant la notion de proximité active proposée par Aguilera et Lethiais (2010) :

« Je ne dis pas que je pourrais faire 50 kms … Mais [l’animatrice] me dirait par exemple j’ai une nouvelle session à Château Chinon par exemple est-ce que tu voudrais venir une journée ? J’irais oui, donner mon expérience. » (Denis, un participant)

Cette spatialité de l’action contient le processus formatif en cela que la présence aux ateliers conduit les participants et parfois même les contraint à structurer leur propre rapport au temps. Dans ce dispositif, la présence au regroupement participe explicitement à leur implication dans le processus de formation.

« Quand il faut que j’aille, je vais, je vais me lever, mais autrement c’est vrai que les jours où je sors pas, je peux facilement me lever à plus de 9 heures, 10 heures, bon, j’ai pas d’horaire, et j’m’en fiche. Mais quand je sais que j’ai quelque chose à faire… je me lève. » (Noémie, une participante).

Le rapport des participants à la spatialité numérique est analysé à partir de leurs équipements informatique et en téléphonie, et de leur connectivité à internet. Le taux d’équipement domiciliaire des participants est de 48 % (ordinateur fixe), soit un pourcentage inférieur à la moyenne nationale de 2009 qui était de 74 % (CREDOC, 2009). 60 % ont accès à un ordinateur fixe, et 30 % à un ordinateur portable, certains ayant le double équipement. Le taux d’accès à internet est équivalent chez les hommes et les femmes (48 % à domicile, 13 % en dehors du domicile), ce qui est également inférieur au taux de connexion moyen des foyers français en 2009, soit 67 % (CREDOC, 2009). 70,4 % des répondants déclarent posséder une adresse mail.

La différence la plus importante entre la population étudiée et la population française concerne le taux d’équipement en téléphonie mobile : 48,3 % pour les personnes interrogées pour 82 % de la population française étudiée. Les hypothèses liées au coût de l’abonnement annuel pour des personnes fragiles économiquement et à la qualité de service en zone rurale peuvent être retenues pour expliquer cette différence. Ces résultats laissent toutefois penser que les participants sont potentiellement familiarisés avec la spatialité numérique et les observations conduites lors des entretiens ont confirmé leur capacité à s’inscrire à la plateforme, à communiquer via les outils proposés.

A ce stade de l’analyse, nous voyons que l’action est ancrée dans une proximité spatiale tant physique que numérique, et aurait pu potentiellement concerner une population située à une distance plus importante des ateliers.

(16)

Proximité spatiale Spatialité physique Spatialité numérique

Proximité a- spatiale ou proximité organisationnelle

Ressources

Mettre à disposition des équipements informatiques (ordinateurs et connexion) Mettre à disposition des ressources (ex. Guide d’élaboration d’un CV, élaboration d’une démarche d’évaluation en milieu de travail) Assurer un soutien socio- affectif : Développer un climat de confiance, de reconnaissance des participants comme sujets fragilisés et qui dispose de compétences : fonction de verbalisation des compétences

Permettre de poser des questions et d’obtenir des réponses précises.

Maintenir la permanence du soutien socio-affectif Accroître le réseau des personnes avec lesquelles les personnes pourront potentiellement échanger (principe de sérendipité)

Coordination

Exposer la dynamique du dispositif, rappeler les objectifs et les modalités pédagogiques.

Assurer la coordination avec les acteurs relais locaux (ex. Animateurs Point d’accès public à internet, conseiller mission locale, Pôle emploi).

Par une communication proactive soutenir les participants lors des périodes intersession.

Capacité des accompagnateurs à répondre rapidement et avec précision aux sollicitations des participants.

Tableau 2. Analyse des différentes proximités engagées dans la mise en usage du dispositif Ruralnet

Proximité a-spatiale

Au-delà de cette proximité spatiale qui ne semble pas être problématique, nous proposons d’étudier à partir des données collectées l’inscription de l’activité dans une proximité a-spatiale qui organise le déroulement du projet de formation.

Ces espaces, qu’ils soient physiques ou numériques, sont des lieux dans lesquels différentes fonctions sont assurées. L’enquête menée préalablement à la participation à ce projet, complétée par les entretiens réalisés en fin de parcours de formation, montre

(17)

l’importance de la proximité a-spatiale organisationnelle à la fois par les ressources auxquelles elle permet d’accéder et par la fonction coordination qui est assurée.

Contrairement à une idée couramment partagée, l’accès à des espaces publics numériques n’est pas motivé par un besoin d’accéder à des équipements qui résulterait d’une absence d’équipement personnel16. Les personnes engagées dans ce dispositif expriment un intérêt, une motivation liés aux possibilités d’échanges que proposent ces ateliers (30 % des réponses), mais surtout pour les conseils qu’ils pourraient recevoir (47,2 %) et les formations proposées (36 %) (cf. tableau 3). Leur désir de socialisation, d’être en proximité relationnelle avec d’autres personnes est explicitement exprimé dans l’enquête et revient dans les propos issus des ateliers.

Cet intérêt est exprimé à la fois par les personnes qui subissent l’absence d’emploi et les personnes pour lesquelles cette situation de demandeur d’emploi est choisie suite notamment à une migration géographique.

Deux facteurs de variations intra-individuelles du rapport à cette proximité organisationnelle sont observés : le niveau préalable d’études et la présence d’enfants. Le différentiel observé selon que les répondants ont ou non au moins un enfant invite à la prise en compte de la sphère familiale, composante de la proximité relationnelle, dans la dynamique d’engagement de ces personnes dans leur projet de formation. Le rapport à la formation semble aussi être influencé par le niveau d’étude des participants. Les personnes de niveau V expriment davantage le souhait d’obtenir des informations sur l’offre de formation, alors que les personnes de niveau IV17 chercheraient à accéder à une formation et à être accompagnées dans cette formation. Cela exprime une relation différente à cette proximité a-spatiale selon des caractéristiques sociales et le niveau de formation des participants.

La proximité a-spatiale organisationnelle est vécue différemment selon les niveaux de formation des participants et la nature de leurs attentes vis-à-vis du dispositif18 (cf. tableau 4). Si 26,3 % des répondants déclarent appartenir à un réseau social, 69,7 % souhaitent échanger avec d’autres personnes via Ruralnet pour la réalisation de leur projet, cherchant tout à la fois à accéder à des ressources

16. Une enquête conduite en mai 2011 auprès d’un échantillon représentatif des habitants d’un territoire composé de 550 personnes d’une même région, montre que l’équipement personnel n’a pas d’incidence significative sur le désir de fréquentation de ces lieux. Source Enquête RAUDIN « Non-Utilisateur des Points d’Accès public à Internet », 2011, http://raudin.u-bordeaux3.fr

17. Niveau IV : personne ayant un niveau de formation équivalent à un baccalauréat, un brevet de technicien, un brevet supérieur d’enseignement commercial, un brevet d’enseignement industriel, un brevet d’enseignement commercial, un brevet professionnel ou un brevet de maîtrise.

18. Ces données rappellent les typologies d’apprenants définies par Viviane Glikman à propos des attentes de niveau de guidage (Glikman, 2002). Le public inscrit au dispositif Ruralnet serait composé de déterminés et de marginaux et mais également de désarmés voire d’hésitants, et en conséquence aurait des attentes différentes en termes de proximité organisationnelle.

(18)

(exemple : guide de réalisation d’un curriculum-vitae) ou à bénéficier d’un aide pour la formalisation du projet.

Pourquoi venez-vous dans cet atelier ? Aucun enfant 1 enfant

ou + TOTAL

Pour être conseillé 46,7 % 58,1 % 47,2 %

Pour suivre des formations 33,3 % 53,5 % 38,9 %

Pour partager, échanger avec les habitués 20,0 % 41,9 % 30,6 % Pour des raisons de proximité géographique 33,3 % 34,9 % 29,2 % Pour travailler (travail personnel ou

professionnel) 6,7 % 18,6 % 15,3 %

Parce que vous ne connaissez que celui-ci 6,7 % 14,0 % 9,7 % Parce qu’il y a des initiations que vous ne

trouvez pas ailleurs 0,0 % 9,3 % 5,6 %

Autre 6,7 % 7,0 % 6,9 %

TOTAL 100 % 100 % 100 %

Tableau 3. Les raisons de participation aux ateliers (plusieurs réponses possibles)

Qu’attendez-vous de Ruralnet ? Niveau V (N = 60)

Niveau IV (N = 37) Obtenir des informations sur une offre de formation et définir

votre projet de formation 13 % 16 %

Accéder à une formation 12 % 19 %

Être accompagné dans votre formation, recevoir de l’aide en cas

de besoin 27 % 35 %

Progresser à votre rythme 3 % 0 %

Partager des connaissances avec vos camarades 18 % 14 % Accéder au dispositif lorsque vous le souhaitez 8 % 5 %

Rester le temps que vous souhaitez 10 % 5 %

Accéder à du matériel 8 % 5 %

TOTAL 100 % 100 %

Tableau 4. Les attentes des participants aux ateliers selon leur niveau de formation (plusieurs réponses possibles)

(19)

Des proximités spatiales et a-spatiales interdépendantes

L’articulation des proximités spatiale et a-spatiale serait vecteur de participation à ces ateliers et au renforcement de la persévérance des apprenants dans la réalisation de leur projet.

« mais c’est vrai que… [les animateurs] nous font bien poser cette question si on se l’est pas posée soi-même quoi. La question de se dire, ben voilà dans quelle direction je vais me retourner donc c’est, c’est des aides … enfin pour moi ça a été des aides quand même précieuses… ben parce que ils accompagnent les demandeurs d’emploi… ils sont présents, ils sont… de bons conseils… ils peuvent nous aiguiller sur des formations » (Gabrielle, une participante).

Un conditionnel est de rigueur pour prendre en compte la dimension prescriptrice qui a prévalu à leur participation à ces ateliers. Dimension qu’il convient de moduler lorsque l’on constate le faible pourcentage de personnes présentes au regard du nombre d’invitations, ou de convocations (selon les cas) qui ont été envoyées, attestant de l’exercice d’un choix de l’individu.

Nous avons cherché à comprendre quelles pouvaient être les interactions entre les participants à ce dispositif supportées par une plateforme technologique d’échanges synchrones et asynchrones, et notamment nous avons étudié les éventuelles relations et interdépendances entre la proximité spatiale et les proximités a-spatiales de type relationnel et de coordination. L’étude des communications médiatisées éclaire sur ces liens d’interdépendance.

La plateforme technologique prévoit des modalités d’échange entre les différents acteurs via une messagerie, un forum, un chat. Dans le contexte de l’expérimentation ce sont 1408 messages (561 messages via la messagerie et 847 contributions via le forum) qui ont été échangés de 04/02/10 (ou 7/01/10 pour le forum) au 18/01/2011, soit 3,8 contributions journalières.

Au cours de la période étudiée, 561 messages ont été échangés et la répartition a été effectuée selon trois catégories d’acteurs :

– les animateurs qui assurent en présence et à distance des fonctions d’accompagnement et de tutorat ;

– les demandeurs d’emplois qui participent à la fois aux ateliers et aux activités proposées à distance ;

– les autres participants au dispositif qui volontairement ont une activité de communication via la plateforme.

Ce corpus de messages est partiel dans la mesure où il n’inclut pas ceux qui ont pu être échangés entre ces acteurs en dehors de la plateforme Ruralnet. Un tri à plat des messages émis met en évidence une forte implication de la personne en charge de l’animation de la plate-forme (161 messages émis par cette personne, soit 28,6 % des messages), laquelle est reconnue comme une personne clé dans le dispositif.

(20)

23,3 % des messages sont échangés entre demandeurs d’emploi (131/561). Les personnes autres que les demandeurs d’emploi ont produit 48 % des messages, alors qu’ils représentent 96 % des inscrits à ce dispositif.

Les messages sont de deux natures :

– les messages proactifs (un message envoyé par une personne vers une autre pour la solliciter) ;

– les messages réactifs produits en réponse à une sollicitation.

L’étude de la répartition des messages par aire géographique montre l’importance de l’animation de proximité. 84 % des messages sont échangés entre les membres d’une même « communauté », c’est-à-dire des individus ayant en commun le partage d’une expérience au sein d’un atelier localisé (cf. tableau 5).

Demandeurs d’emploi (intra /messages échangés au sein d’une « communauté

localisée ») N = 32

Demandeurs d’emploi (inter/messages échangés entre

« communautés localisées »)

N = 32

Demandeurs d’emploi et non demandeurs d’emploi (messages échangés entre demandeurs d’emplois

et autres publics).

Nombre de messages échangés N = 144

121 10 13

% des messages échangés/

total messages

84 % 6,9 % 9 %

Tableau 5. Répartition des messages échangés

Seulement 23 messages sont échangés entre participants appartenant à des communautés différentes, alors que tous les participants sont engagés dans une même dynamique, indépendamment de leur localisation géographique. La co- présence lors des ateliers et la présentation des fonctionnalités du dispositif expliquent sans doute ce fort pourcentage. Ce constat renforce l’importance de la proximité spatiale concrétisée par les ateliers tels qu’ils ont été mis en place lors de l’expérimentation. Cette proximité spatiale développe chez les participants un sentiment d’appartenance à un micro-collectif qui partage une volonté commune de faire évoluer sa situation actuelle, favorisant par la suite les échanges médiatisés.

Les communications via la messagerie entre les différents groupes demeurent discrètes sur la période étudiée. Cette communication asynchrone renforce les groupes

(21)

existants plus qu’elle n’élargit le réseau. Nous observons des échanges isolés entre dyades et des échanges circonscrits à un groupe clairement identifié. La fonction de l’animateur comme initiateur d’échanges apparaît dans quatre communautés de demandeurs d’emploi sur six. Les participants de l’un des six ateliers communiquent sans ce tiers, mais nous retrouvons cette fonction d’animation exercée par l’un des membres de la communauté, qui participent à 10 échanges sur 14.

Les forums

Au cours de la période étudiée, 216 fils de discussion ont été lancés et 847 messages produits (cf. tableau 6). 279 des messages sont issus de la sphère animation, soit 33 % des messages échangés, 175 messages de la sphère

« demandeurs d’emploi », soit 20 %, et plus de 50 % à l’initiative de personnes autres, c’est-à-dire non demandeurs d’emploi.

L’effet de l’animation dans les échanges est directement lisible via les messages émis par les animateurs, et indirectement par l’animation des ateliers qui se traduit par une participation substantielle des demandeurs d’emplois, qui, bien que représentant 4 % de la population de participants, sont à l’origine d’un message échangé sur cinq.

Thématiques Total fils % Total

messages %

Stage, emploi, formation 83 38,4 297 35

La jeunesse en milieu rural 9 4,1 24 3

Le dispositif RuralNet 4 1,8 19 2

Bourse d’échanges de savoirs 43 19,9 166 19,6

Forum public 74 34,2 325 38,3

Forum privé 3 1,4 16 1,9

TOTAL 216 100 847 100

Tableau 6. Nombre de fils de discussion par thématique de forum

Cette répartition se lit également selon les thématiques (cf. tableau 6). Les demandeurs d’emploi contribuent très faiblement à la bourse d’échanges des savoirs, alors qu’ils sont plus actifs dans la thématique du forum « stage emploi formation », 90 messages échangés sur 175, soit 51 %, 36 % des autres messages étant liés à leur participation au forum public (63 messages). La participation des demandeurs d’emploi à la thématique « bourse d’échanges de savoirs » demeure minime, voire faible.

(22)

Les personnes autres que les animateurs et les demandeurs d’emploi ont lancé 114 fils de discussion sur 216 (soit 52,8 %) et produit 293 messages sur 847 (soit 34,6 %). Si leurs initiatives sont plus nombreuses, le nombre de messages échangés est plus faible. La difficulté des échanges tiendrait à l’absence d’un réseau constitué.

La proximité spatiale pourrait être un élément explicatif de ce différentiel d’implication qui se traduit par une plus importante richesse des échanges entre demandeurs d’emploi d’un même territoire.

L’utilisation de la messagerie et des forums semble répondre à deux types de communication : la messagerie est en réponse à un besoin de communication ancré dans une proximité spatiale alors que les forums répondraient à un besoin de socialisation élargie et de partage dé-spatialisée dans une quête expressément définie par des questions précises.

Nous faisons l’hypothèse que la messagerie serait un outil de communication intracommunautaire de renforcement de la proximité organisationnelle selon une logique d’appartenance, alors que le forum assurerait une fonction communicationnelle fondée sur des liens faibles. Chacune de ces modalités communicationnelles semble inscrite dans une proximité spatialisée pour l’une et dé-spatialisée pour l’autre qui définit les flux d’échanges entre acteurs dont le statut et l’engagement dans le dispositif s’inscrit dans différentes proximités organisationnelles.

Proximités et confiance : sécurité ontologique

L’analyse des données collectées montre que ces proximités spatiale et a-spatiale participent au développement chez les participants d’un sentiment de mise en confiance et de sécurité.

« c’est une mise en confiance en moi un petit peu plus grande, c’est aussi de l’espoir, dans mes recherches, puis l’espoir aussi de me situer dans le monde du travail… c’est le reflet du miroir … c’est un petit peu plus de confiance en moi et je me sens peut-être un petit peu plus en sécurité, je sais que j’ai aussi ma place encore ma place. » (Gabrielle, une participante)

Ce processus de sécurisation « contient » l’action du sujet à la fois par les ressources auxquelles il peut accéder et par la coordination qui est assurée. Cette fonction « contenante » est centrale et s’inscrit dans la pensée d’Anzieu (2000, p. 31) lorsqu’il écrit que « la fonction contenante est un processus de stabilisation de mouvances pulsionnelles et émotionnelles qui permet la création de formes psychiques douées de stabilité structurelle ». Elle est d’autant plus importante dans les situations observées, que le public bénéficiaire est fragilisé. Cette proximité organisationnelle a donc une fonction de décentration des individus qui les conduit à quitter des pratiques routinisées. La formalisation des connaissances, l’écoute empathique, l’ouverture vers de nouvelles possibilités d’emploi accompagnent le sujet dans cette distanciation de son quotidien et favorise sa projection. Le changement de cadre institutionnel semble

(23)

avoir agi comme un vecteur de libération de la parole, de l’échange entre participants, premier pas vers la création de lien social et l’implication dans une démarche active.

Ainsi ces proximités participent au développement d’un sentiment de confiance chez les apprenants qui ne souhaitent pas participer à des actions organisées par les prescripteurs habituels tels que Pôle Emploi.

« …les gens ont besoin d’être sécurisés pour proposer leurs savoir-faire, ils ne le font pas tout seul. Ils ont besoin d’une sécurité, et n’ont pas forcément idée qu’ils ont ce savoir-faire. Mettre ça sur un site et que tout le monde les voit, c’est quand même s’engager. Ils ont un peu une réticence par rapport à ça, il faudrait dans l’animation les sécuriser… un animateur du territoire pourrait les sécuriser, enlever cette crainte, amorcer cela. On a besoin de travailler pour que ça se fasse, et je pense que ça se fera que quand les gens auront confiance, se dire je pourrais partager, faire ça, il faut qu’ils voient aussi un intérêt, quel que soit leur statut, leur âge. Ca pourrait fonctionner, s’il y avait une amorce lors des ateliers. » (N, animateur).

Cette notion de confiance est à considérer dans une réciprocité (les participants ont confiance dans les accompagnateurs et les accompagnateurs ont confiance dans le groupe). Cet échange relève de la dynamique de construction de lien social auquel participe le don et le contre-don, laquelle traduit une proximité organisationnelle qui favorise le comportement coopératif de la part d’un tiers, en l’occurrence l’animateur.

Cette mise en confiance contribue à diminuer le système de défense de certaines personnes qui montrent initialement des signes d’agressivité. Elle participe à une dynamique de lâcher prise qui permet d’envisager d’autres possibles, et d’être ainsi en capacité de renouer des liens avec d’autres personnes, et notamment des structures liées à l’emploi. Ce lâcher-prise, cette distanciation, ouvre la voie à l’acceptation du deuil d’une identité professionnelle et à l’évolution de la trajectoire professionnelle vers d’autres métiers (cas de F. seule élagueuse professionnelle réalisant une formation de vendeuse).

« On se rend compte qu’au fil des séances il y a moins de freins. » A119.

Ces proximités, par le climat de confiance qu’elles initient, réduisent l’incertitude et rapprochent les acteurs du dispositif. Elles sécurisent et elles habilitent, elles confèrent à l’apprenant le sentiment d’une capacité à être, à faire et à devenir. Cette dynamique concrétise le développement d’un sentiment de sécurité et pas uniquement de surveillance, une forme de proximité bienveillante. Les participants se sentent considérés, reconnus comme des sujets et non pas existants par leur statut de demandeur d’emploi. Les temps d’expression de leur parcours, de socialisation de leur vécu, dans un climat empathique de non jugement initié lors des ateliers constituent une aide à leur implication. La posture bienveillante des animatrices et animateurs est essentielle pour assurer cette proximité organisationnelle dans la dualité des spatialités physique et numérique.

19. Propos d’une personne en charge de l’accompagnement des ateliers.

(24)

Conclusion

L’un des premiers éléments de réponse à la question centrale de ce numéro « Où va la distance ? » est bien vers une proximité en tant qu’ancrage dans l’environnement du sujet apprenant. Cette proposition de nature vygotskienne suppose une caractéristique d’écologisation du processus de mise en usage des dispositifs. Elle ne peut s’appliquer en l’état à des contextes contraints, d’injonction et d’obligation à respecter la prescription sans possibilité d’adaptation d’une quelconque composante du dispositif par le sujet apprenant (exemple : en milieu carcéral).

Sans que nous prétendions par là répondre définitivement à la question initiale, il nous semble que la compréhension de l’évolution de la notion de distance peut être facilitée en considérant le point de vue des apprenants qui situent leur action dans un ensemble de proximités.

Il s’agit moins en effet de réduire la distance que de situer l’action dans cet ensemble de proximités. La simple réduction de la distance géographique, ni même l’augmentation du temps consacré au projet d’une personne, ne suffisent à initialiser un projet de formation. L’apprentissage à distance relève d’une économie de multiples proximités spatiales et a-spatiales dont l’articulation paraît propice à l’initialisation et à la réalisation d’un projet de formation en dehors du cadre conventionnel de la co-présence dans un même lieu. L’analyse confirme l’hypothèse selon laquelle l’engagement des apprenants dans le dispositif suppose l’ancrage de l’action dans un ensemble de proximités spatiales et non spatiales qui favoriserait l’élaboration d’un climat de confiance propice à l’initialisation d’un processus de formation pour des personnes en situation de fragilité sociale.

L’importance donnée par les apprenants à la dimension a-spatiale de la proximité confirme des résultats antérieurs (Souquet, 2011), sans minimiser l’importance et l’impact de la spatialisation de l’action qu’elle soit physique ou numérique.

L’ancrage de l’action dans une proximité organisationnelle permet quant à elle la mobilisation de ressources matérielles et cognitives soit directement à l’initiative de l’apprenant, soit par une médiation assurée par un tiers, un accompagnateur ou un tuteur. L’étude des communications médiatisées montre que l’articulation entre les temps en présence et à distance via un dispositif de communication asynchrone entre les apprenants et les formateurs-accompagnateurs est favorisée par une proximité spatiale et assure une continuité de l’action qui maintient l’engagement et la persévérance des apprenants dans la réalisation de leur projet.

Dans cette perspective, la formation à distance peut être considérée comme un archipel composé de multiples espaces-temps sociaux entre lesquels navigue l’apprenant pour réaliser les différentes activités d’apprentissage. L’une des conséquences pour les concepteurs de ces dispositifs est de reconnaître que le dispositif sociotechnique ne peut être déconnecté des situations dans lesquelles il sera mis en usage, lesquelles situations peuvent ne pas être maîtrisées voire connues des concepteurs. Une attention toute particulière pourrait être alors portée aux

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