Géographie, Économie, Société 21 (2019) 269-270
Comptes Rendus
Ilvo Diamanti et Marc Lazar, 2019, Peuplecratie. La métamorphose de nos démocraties, Paris, Gallimard.
Ilvo Diamanti et Marc Lazar cherchent à comprendre la dynamique conquérante du populisme. Leur ambition dépasse la simple analyse des rapports de forces électoraux pour analyser en quoi le fonctionnement de la peuplecratie, nouveau régime engendré par les logiques populistes, modifi e le fondement de notre démocratie. Les populistes de droite comme de gauche radicalisent les principes de l’ère du public, et s’appuient sur la crise des médiations politiques pour imposer une sacralisation du peuple souverain qui serait trahi par ses représentants. Pour I. Diamanti et M. Lazar, ces forces ont comme point commun d’homogénéiser le peuple dans son opposition à des élites dénoncées comme cosmopolites et déracinées. Ce nouvel antagonisme peuple/élites, exacerbé par les prises de positions immédiates permises par le numérique, délégitimerait en permanence toute forme de représentation et de contre-pouvoir, favorisant ainsi structurellement les person- nalités autoritaires dans la compétition électorale.
Cette tentative d’interprétation générale des dynamiques qui traversent nos démocra- ties rencontre de nombreuses diffi cultés analytiques. L’intégration au sein d’une même famille de forces aussi diverses que le Front National, La France insoumise, Podemos, Syrisa, La Lega ou le Mouvement 5 étoiles, pose de nombreux problèmes interprétatifs.
Les auteurs insistent sur le fait que les référentiels populistes de l’homogénéisation du peuple sont différents selon les partis mais ils font également prévaloir l’idée que la mise en scène de la Nation contre les étrangers serait l’un des fondements décisifs du popu- lisme. Cette approche semble oblitérer la nature spécifi que des partis politiques issus de la gauche, y compris populistes, quand ils parlent du peuple. L’éloge du peuple souverain est bien plus connecté à une critique des inégalités économiques qu’à celle de la fi gure de l’étranger migrant ou membre de l’élite internationale. Les auteurs analysent évidemment les spécifi cités des différents registres populistes mais estiment également que l’ethnici- sation de la nation doit être systématiquement considérée comme l’un des traits spéci- fi ques de tous ces mouvements. De nombreuses nuances auraient mérité d’être apportées notamment pour justifi er l’appartenance étonnante de Syriza et Podemos à cette famille
« ethnicisante ». Ces forces ne semblent pas avoir fait de la lutte contre l’Étranger ou l’Europe un point décisif de leur action.
De la même manière, la complexité des positionnements de La France insoumise est largement sous-estimée. Certes l’inspiration Laclausienne sur la campagne de 2017 est indéniable mais les auteurs ne semblent pas vouloir prendre acte de la complexité des
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prises de position sur la question nationale ou sur les rapports aux médiations politiques.
La valorisation de l’ethnicité du peuple, annoncée en conclusion comme un trait décisif, n’est ainsi pas une thématique développée dans les discours de La France insoumise. La défense des frontières et de la nation n’est d’ailleurs pas une motivation du vote pour Jean-Luc Mélenchon en 2017 ou en tout cas dans des proportions moindres que pour les autres grands candidats. En plus de ce positionnement idéologique spécifique, l’électorat ayant voté Mélenchon est le plus proche des forces syndicales et de nombreux modes d’intermédiation associatifs de la gauche.
Le regroupement de partis issus de la gauche radicale et de l’extrême-droite européenne dans cette famille populiste reste donc mal articulé à l’établissement des critères d’apparte- nance établis en conclusion par I. Diamanti et M. Lazar. Loin de s’appuyer sur l’ethnicité de la nation et sur la crise des intermédiations, les forces dites populistes de « gauche » conti- nuent à entretenir un lien avec l’héritage idéologique et organisationnel de leur camp même si celui-ci est parfois conflictuel. De ce point de vue, l’ouvrage semble étendre les qualités spécifiques du populisme d’extrême-droite à celui venu de la gauche.
La thèse constituée autour de la montée en puissance d’un populisme de tous bords construit par ailleurs une division des tâches artificielles entre les forces motrices (la FI, le FN, SIRIZA, Podemos, etc.) et les forces de la démocratie libérale (En Marche, le Modem, Le Parti Démocrate, etc.). Ces dernières, représentées par Macron, Bayrou ou Renzi, seraient astreintes à un populisme stratégique à travers l’usage des référendums ou la fondation de forces politiques centrées sur une personnalité politique. Cette propension nouvelle des forces centristes serait une concession aux nouvelles règles du jeu de la Peuplecratie établies à leur corps défendant. Cette analyse semble en contradiction avec le rôle décisif que les forces rassemblées sous la catégorie de « démocratie libérale » ont joué pendant dans la genèse et le développement de la crise de l’intermédiation syndicale et politique.
Yann Le Lann, Maître de conférences en sociologie Univ. Lille, EA 3589 – CeRIES, F-59000, Lille, France
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