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LA PROTECTION DU PATRIMOINE SCIENTIFIQUE

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Academic year: 2022

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LA PROTECTION

DU PATRIMOINE SCIENTIFIQUE

Pierre Louisot

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L'

1espionnage scientifique est une pratique courante; elle reste cependant totalement inavouée, et entourée d'une grande pudeur, notamment dans le monde biologique et médical. Il faut distinguer trois niveaux de défense de notre patrimoine scientifique.

Il y a d'abord le patrimoine scientifique qui intéresse directement la défense nationale, dans ses aspects militaires. Celui-ci est bien protégé.

Le second niveau est plus délicat. C'est celui du patrimoine scientifique qui touche les domaines chimique et biologique, par exemple, dans lequel il y a àla fois une importance économique forte, et des répercussions non négligeables sur la défense nationale.

Je ne sais si nous subirons un jour une guerre chimique ou biologique. Cela paraît a priori peu probable, tant il existe des moyens plus perfectionnés pour tuer un plus grand nombre d'hommes avec moins de risques pour l'agresseur. Ce qui me paraît beaucoup plus dangereux, c'est le risque, souvent mésestimé, de

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l'attentat chimique ou biologique. Il me paraît très important de protéger le patrimoine technologique des laboratoires qui travaillent dans ces domaines. Lorsqu'on dispose du bacille approprié, on peut se lancer dans une lutte biologique avec un petit équipement, qui est proche de celui du fromager. Un très grand nombre de pays disposent de cet équipement.

Le troisième grand domaine de notre patrimoine, enfin, n'a pas d'implications militaires. Pour autant, du fait de son rythme d'innovations (pensez aux biotechnologies et aux médicaments) et à ses répercussions sur l'économie, il mérite lui aussi une protection toute particulière. La santé n'a pas de prix mais elle a un coût, et dans ce domaine-là, les enjeux économiques, industriels et financiers sont extrêmement importants.

Or, dans ce domaine biomédical pris pour exemple, nous avons longtemps fait preuve d'un certain angélisme : la santé est à tous, tout le monde travaille pour tout le monde, etc. On s'est aperçu peu à peu de l'importance vitale des brevets et des redevances internationales, et on fait plus attention. De fait, des masses d'argent considérables sont mobilisées. Pour mettre un médicament en pharmacie, il faut synthétiser dix mille molécules, dont une seule sera retenue au bout de douze ans, avec un coût total qui peut atteindre 2 milliards de francs. Si l'on veut une recherche qui se développe, il faut par conséquent protéger le patrimoine scientifique des entreprises. On constate que dans un domaine comme celui du médicament l'espionnage scientifique est hautement rentable. Si vous réussissez à vous approprier une tête de série moléculaire qui donne des idées directrices pour fabriquer des médicaments ayant un effet donné, vous faites une avancée extraordinaire, hautement rentable.

Les mécanismes d'espionnage

Comment cet espionnage se pratique-t-il?

Il y a d'abord des puissances industrielles qui ont des capacités d'innovation, d'inventivité et de copie tout à fait excellentes. Et elles ne se privent pas d'exercer leur talent; il est beaucoup plus

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avantageux de se contenter de copier : une très bonne idée, à condition que les autres continuent, eux, de faire de la recherche!

Nous nous prêtons assez bien à cette opération : notre disponibilité est en général très appréciée sur le plan international.

Le mécanisme de base est le suivant : nous avons des chercheurs dont la vocation normale est de diffuser la connaissance dans le monde entier, et surtout de publier. Or nous sommes tout à fait déficitaires en revues internationales, si bien que dès qu'une publication mérite d'être faite, elle est faite dans un journal étranger.

Le premier envoi est fait au referee de ce journal, et voilà comment, tout naturellement, la science«extérieure »bénéficie en priorité des apports français.

Un autre mécanisme plus « volontariste » repose sur le chercheur qui, tout content d'avoir trouvé quelque chose, s'empresse d'aller aux Etats-Unis à ses frais, pour le raconter à une assemblée heureuse. Nos collègues américains nous sont très reconnaissants de cette procédure. De la part du chercheur, ce n'est pas amoral, au fond, ni consciemment antinationaliste; c'est surtout une habitude: on n'est bien «ressenti» dans la communauté scientifique que lorsqu'on a la caution des Etats-Unis. Nous nous sommes mis nous-mêmes en situation de dépendance volontaire.

Les puissances étrangères en difficulté représentent un deuxième groupe. Elles ont gardé leur efficacité : l'espionnage scientifique est dans certains pays un métier honorable et bien rémunéré. D'ailleurs, la conversion de l'espionnage militaire à l'espionnage civil s'est faite sans aucune difficulté. A un moment, la « politique d'ouverture » d'un de ces pays avait consisté, tout simplement, à doubler le nombre de ses agents en Europe de l'Ouest.

Troisième catégorie, plus «vicieuse » : elle est constituée de ces pays qui, sans avoir de réelle vocation technologique, pratiquent l'espionnage pour se procurer à peu de frais des outils de déstabilisation locaux ou régionaux.

Quelle est maintenant la stratégie de l'espionnage scientifique?

En qualité de victimes, nous commençons à avoir des idées à ce sujet. La première approche passe par une étude détaillée et permanente de la documentation ouverte. Il suffit de rassembler des informations et de mobiliser un corps d'agents de qualité. La deuxième étape, qui est la plus délicate, consiste à définir avec

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précision les questions pour lesquelles on veut avoir une réponse.

Par exemple, chaque fois que l'on publie un article dans une revue internationale, l'article comporte une rubrique « matériel et mé- thodes », En général, l'auteur s'arrange pour en dire le moins possible. Il est donc extrêmement intéressant d'obtenir, par d'autres moyens, le détail d'une méthodologie de préparation d'une molécule nouvelle.

La troisième étape, une fois les bonnes questions posées, consiste à adresser le tout à un agent compétent qui ira chercher une réponse. Et il le fait souvent très bien.

Les moyens de défense

Et qui sont les espions scientifiques? Des personnages souvent qualifiés et de bon aloi. Ils peuvent même être de « vrais »

scientifiques étrangers, dont l'espionnage n'est pas la vocation principale, mais que l'on amène facilement à basculer moyennant une petite poussée financière ou de nature«conviviale»,La plupart d'entre eux ont pignon sur rue et vivent, assez sereinement, d'une activité de consultance si l'on peut dire.

Leurs voies d'introduction sont multiples et variées. Il convient d'y prende garde dans les organismes publics. C'est le jeune stagiaire innocent, le visiteur étranger qui vient « faire un tour » ; toutes opérations anodines et qui inspirent confiance. Rien de pire que quelqu'un qui inspire confiance.

Certains pays vont jusqu'à envoyer des questionnaires aux chercheurs français: « Qu'avez-vous fait dans les cinq dernières années? Qu'êtes-vous en train de faire? etc. »Et, bien souvent, le chercheur français, flatté qu'on s'intéresse à lui, renvoie le question- naire dûment complété, dans l'enveloppe timbrée qui lui est jointe!

On est quand même devenu plus méfiant... mais le système réussit encore!

On ne peut oublier l'informatique, dont le pillage est parfois d'une extrême facilité. Les autoroutes de l'information risquent fort de devenir des autoroutes de l'espionnage scientifique. Un chef d'entreprise ami me disait récemment; « Si vous voulez que rien ne se sache, ne mettez rien sur ordinateur. »

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Il Ya heureusement des mécanismes de défense: le secrétariat général de la Défense nationale, la DST surveillent de près, avec l'aide des fonctionnaires de défense, les tentatives de pénétration.

Mais il faut se méfier davantage : il y a les congrès scientifiques, où l'on parle beaucoup; il Y a les invitations; il Ya les terribles (et publics) annuaires des compétences! Et si l'Etat lui-même tente de bien se protéger, deux niveaux sont particulièrement sensibles: celui de la Communauté européenne, d'abord, qui est d'une grande perméabilité; celui des régions, aussi, qui manquent cruellement de dispositif de défense structuré.

La défense physique a son importance. Dans les grandes entreprises, elle est bien assurée : portes, gardiens, sécurités. Mais les institutions de la recherche publique (hôpitaux, universités...) sont bien rarement protégées physiquement.

Et dans un sens, tant mieux. La protection physique est bien souvent illusoire. En réalité, il n'est de protection qui vaille, pour notre patrimoine scientifique et technologique, que celle qui repose sur l'incitation des chercheurs : incitation à protéger son propre travail etàle valoriser dans des conditions bien précises, incitation, aussi, à protéger la recherche d'amont, tout autant que les procédés.

Cette recherche d'amont, source des applications de l'avenir, demeure très convoitée!

Pierre Louisot

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