INVENTAIRE AÉRIEN DU CERF DANS TROIS ZONES FORESTIÈRES DE L'ÎLE D'ANTICOSTI,
EN RELATION AVEC UNE ÉPIDÉMIE
APPRÉHENDÉE D'ARPENTEUSE DE LA PRUCHE
par André Gingras François Potvin
et
Bruno Rochette
Janvier 1993
Québec
INVENTAIRE AÉRIEN DU CERF
DANS TROIS ZONES FORESTIÈRES DE L'ÎLE D'ANTICOSTI,
EN RELATION AVEC UNE ÉPIDÉMIE APPRÉHENDÉE D'ARPENTEUSE DE LA PRUCHE
André Gingras
Direction générale des opérations régionales Région de la Côte-Nord
François Potvin
Direction de la gestion des espèces et des habitats
et
Bruno Rochette
Direction générale des opérations régionales Région de la Côte-Nord
Ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche Québec
Janvier 1993
Dépôt légal
Bibliothèque nationale du Québec 1er trimestre 1993
ISBN: 2-550-27277-3
Ill
RESUME
Un important foyer d'infestation d'arpenteuse de la pruche a été découvert à l'été 1991, ce
qui amène la possibilité qu'une épidémie d'envergure se propage à l'ensemble des
peuplements forestiers vulnérables d'Anticosti. En mars 1992, nous avons réalisé un
inventaire aérien des populations de cerfs de trois zones forestières de l'île, afin de quantifier
les besoins de couvert forestier hivernal (forêt mature) pour le cerf, de déterminer quelle
structure de forêt (âge, densité, hauteur, perturbation) était la plus apte à soutenir de fortes
densités de cerfs en hiver, de mesurer la fréquentation des aires ouvertes produites par
l'arpenteuse ou les coupes forestières et de déterminer la densité de cerfs de la zone forestière
la plus vulnérable à l'arpenteuse, soit la sapinière centre-sud. Les bûches de 1955-1971, la
zone de l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 et la sapinière centre-sud ont été survolés en
hélicoptère en utilisant la technique du double inventaire aérien afin d'en déterminer les
densités de cerfs. Dans la première zone, les milieux non forestiers ne sont pas fréquentés
en hiver par le cerf (1 cerf/km
2), qui préfère la forêt résiduelle (23 cerfs/km
2). Après coupe,
les bûches sont utilisés jusqu'à 20 ans (18 cerfs/km
2), puis sont fortement délaissés jusqu'à
40 ans sinon davantage (8 cerfs/km
2). À court terme, les épidémies ont un impact positif car
les strates épidémie sévère et forêt avec épidémie légère sont fortement fréquentées
(17 - 30 cerfs/km
2). D'autre part, le cerf de l'île utilise comme habitat d'hiver des
peuplements de densité plus faible (densités C et D, soit 25 à 60 % de fermeture) que sur le
continent. Dans la zone de l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972, il existe une relation
significative entre la proportion de forêt résiduelle (couvert forestier hivernal) ou sa répartition,
la distance du bord de la mer et les densités de cerfs (R
2> 80 %) : les plus fortes densités
se retrouvent dans les blocs ayant le pourcentage de couvert forestier le plus élevé et situés
près de la mer. Enfin, la sapinière centre-sud, la principale zone où l'épidémie d'arpenteuse
pourrait se propager, supporte actuellement 40 cerfs/km
2± 11 % (I.C. 90 %), soit un
sixième de la population de toute l'île. Ces connaissances nouvellement acquises permettront,
dans l'éventualité d'une infestation majeure, d'établir des prescriptions de protection de la
forêt appropriées.
ABSTRACT
The discovery of a hemlock looper infestation area in 1991 indicated that an important outbreak could soon devastate large tracks of forest on Anticosti island. In March 1992, we surveyed three forest zones in order to evaluate how much forest cover (mature stands) was necessary for deer, what structure (age, density, height, perturbation) could sustain the highest densities, how many deer were present in open areas created by hemlock looper or forest cutting, and what was the deer density of the south-central balsam fir zone, the forest zone most susceptible to an outbreak. Deer densities were measured by the double-count aerial survey technique in the 1955-1971 cutovers zone, the 1971-1972 hemlock looper epidemic area, and the south-central balsam fir zone. In the first zone, deer are almost absent in non forested units (1 deer/km
2) but are very abundant in residual stands (23 deer/km
2).
Cutovers up to 20 years sustain 18 deer/km
2, and then only 8 deer/km
2till 40 years or even more. Insect epidemics have a positive effect on the short term because severe epidemic and partial epidemic strata have a high density ( 1 7 - 3 0 deer/km
2). Stands with a more open canopy (C or D densities) than on the mainland are used by deer as forest cover in winter.
In the 1971-1972 hemlock looper zone, deer densities are related to the proportion of winter
cover, its spatial distribution, and the distance to the seashore (R
2> 80 %) : densities are
highest in those blocks with a greater proportion of cover and nearest to the seashore. The
south-central balsam fir zone sustain 40 deer/km
2± 1 1 % (90 % CD, one sixth on the total
deer number on the island. If an epidemic outbreak occurs, the results will help establishing
an appropriate protection plan.
TABLE DES MATIÈRES
Page RÉSUMÉ iii TABLE DES MATIÈRES v LISTE DES TABLEAUX vii LISTE DES FIGURES ix 1. INTRODUCTION 1 2. BUTS 2 3. SECTEUR D'ÉTUDE 2 4. ZONES FORESTIÈRES INVENTORIÉES 5 4.1 Bûches de 1955-1971 . 5 4.1.1 Localisation 5 4.1.2 Méthodes 5 4.1.3 Résultats- 7 4.2 Épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 12 4.2.1 Localisation 12 4.2.2 Méthodes 13 4.2.3 Résultats 15 4.3 Sapinière centre-sud 20 4.3.1 Localisation 20 4.3.2 Méthodes 20 4.3.3 Résultats 21 5. CONDITIONS D'INVENTAIRE 21 6. DISCUSSION 26 REMERCIEMENTS 28 RÉFÉRENCES 29 ANNEXE 1 31
VII
LISTE DES TABLEAUX
Page Tableau 1. Superficie des strates forestières dans la zone des bûches
de 1955-1971 survolée en mars 1992 8
Tableau 2. Densité de cerfs par strate forestière dans la zone des bûches
de 1955-1971 survolée en mars 1992 9
Tableau 3. Densité de cerfs dans la forêt résiduelle (strate forêt 41 ans et + ) de la zone des bûches de 1955-1971 survolée en mars 1992, selon
la classe d'âge, la densité du couvert, la hauteur et la perturbation . . . 10
Tableau 4. Densité de cerfs dans les blocs de la zone forestière de l'arpenteuse
de 1971-1972 survolés en mars 1992 16
Tableau 5. Densité de cerfs par classe de couvert forestier dans la zone de
l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 survolée en mars 1992 17
Tableau 6. Densité de cerfs dans la zone forestière de la sapinière centre-sud
survolée en mars 1992 23
Tableau 7. Conditions de la neige lors de l'inventaire aérien du cerf de Virginie,
île d'Anticosti, mars 1992 25
IX
LISTE DES FIGURES
Page
Figure 1. Délimitation des principales zones forestières de l'île d'Anticosti 4
Figure 2. Délimitation des trois zones forestières survolées en mars 1992 6 Figure 3. Emplacement des parcelles-échantillons survolées en mars 1992 dans
la zone forestière des bûches de 1955-1971 11
Figure 4. Subdivision de la zone forestière de l'épidémie d'arpenteuse de
1971-1972 en blocs de 4 x 4,85 km 14
Figure 5. Relation entre la densité de cerfs et le couvert forestier dans les blocs de la zone forestière de l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972
survolés en mars 1992 18
Figure 6. Relation entre la densité de cerfs et l'éloignement de la mer dans les blocs de la zone forestière de l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972
survolés en mars 1992 19
Figure 7. Emplacement des parcelles-échantillons survolées en mars 1992 dans
la zone forestière de la sapinière centre-sud 22
Figure 8. Emplacement des stations de mesure de la neige sur l'île d'Anticosti,
mars 1992 24
1. INTRODUCTION
L'île d'Anticosti supporte une population de cerf de Virginie (Odocoileus virginianus) estimée à plus de 120 000 bêtes. Ces cerfs ne sont pas distribués uniformément sur l'ensemble du territoire car l'île présente une mosaïque forestière très diversifiée. Les récents inventaires aériens menés par le ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche (M.L.C.P.) ont fait ressortir que les cerfs préféraient certains types d'habitat, principalement en hiver (Potvin et al. 1991). Les habitats où se retrouvent les plus grandes densités sont caractérisés par une forêt de conifères matures où le sapin baumier (Abies balsamea) est l'essence dominante.
Au cours de la saison estivale 1991, des inventaires entomologiques menés sur l'île par le ministère des Forêts du Québec (M.F.O.) et par Forêts Canada ont indiqué qu'une épidémie majeure d'arpenteuse de la pruche (Lambdina fiscellaria) se préparait et qu'elle pouvait potentiellement éclater au cours de l'été 1992. Cet insecte s'attaque principalement aux peuplements de sapin âgés et surannés dans lesquels on trouve une faible proportion d'épinette blanche (Picea olauca) et d'épinette noire (P. mariana) (Anon. 1991). Un rapport produit par la Direction régionale de la Côte-Nord du M.F.O. (Beaupré et Nadeau 1991) faisait ressortir l'urgence d'agir et la nécessité pour le M.L.C.P. d'acquérir des connaissances supplémentaires sur les besoins de couvert forestier hivernal pour le cerf.
Les inventaires aériens effectués sur l'île d'Anticosti jusqu'à maintenant étaient axés sur les besoins de gestion de la ressource cerf et non sur son habitat. Il était donc essentiel pour le M.L.C.P. de réaliser à court terme un inventaire aérien hivernal de certaines portions de l'île afin de répondre aux questions suivantes :
Pour maintenir des densités de cerfs acceptables, quelle proportion de forêt mature (couvert forestier hivernal) doit-on retrouver sur le territoire et quelle doit en être la répartition?
Quelle est la fréquentation en hiver des aires ouvertes produites par l'arpenteuse ou les
coupes forestières de grande superficie au cours des 20 à 40 dernières années?
Quelle structure de forêt (âge, densité, hauteur, perturbation) semble la plus propice à soutenir de fortes densités de cerfs en hiver?
Quelle est la densité réelle de cerfs de la zone forestière la plus exposée à l'épidémie d'arpenteuse appréhendée, soit la sapinière centre-sud?
Ce rapport présente les résultats des travaux d'inventaire aérien réalisés en mars 1992 par la Direction régionale de la Côte-Nord du M.L.C.P., avec la collaboration active de la Direction de la gestion des espèces et des habitats du même ministère.
2. BUTS
L'inventaire visait trois buts :
Mesurer la relation entre la présence d'îlots de forêt mature et les densités de cerfs en hiver.
Caractériser l'habitat hivernal préférentiel du cerf d'Anticosti.
Déterminer la densité de cerfs de la sapinière centre-sud.
3. SECTEUR D'ÉTUDE
Située dans le golfe Saint-Laurent, l'île d'Anticosti s'étend sur une longueur de 220 km, une largeur maximale de 56 km et couvre une superficie de 7 943 km
2. Sa topographie est peu accidentée et l'altitude moyenne n'atteint que 126 m. L'île est formée de roches calcaires du Silurien et de l'Ordovicien. Des dépôts marins post-glaciaires recouvrent la partie basse et côtière alors qu'un dépôt morainique occupe le centre.
Son climat maritime sub-boréal se caractérise par des étés frais et des hivers relativement doux (Huot 1982). La température moyenne de janvier est la même qu'à Montréal (-10°C).
Sous ce type de climat, la neige a normalement une densité plus grande que dans la partie
continentale de la province, ce qui entraîne des conditions de déplacement plus faciles pour
le cerf en hiver. Au cours des dernières années toutefois, la texture de la neige a été plutôt comparable au reste du Québec, ce qui s'est traduit par un indice de rigueur qui dépasse de 20 % la normale provinciale (Breton 1992).
La forêt de l'île appartient à la section Anticosti de la région boréale (Rowe 1972). Elle se compose surtout de peuplements d'épinette blanche, de sapin baumier et d'épinette noire.
Le bouleau à papier (Betula papvrifera) et le peuplier faux-tremble (Populus tremuloides) sont présents de façon sporadique. La strate arbustive est pratiquement absente partout à cause du broutement du cerf (Potvin 1992). La partie ouest a connu deux périodes d'exploitation forestière intensive depuis le début du siècle (Anon. 1974). Dans les bûches de 1910-1930, des peuplements denses d'épinette blanche ont remplacé les sapinières d'origine. Dans ceux de 1946-1971, la régénération s'est parfois installée plus difficilement : la présence d'arbres clairsemés sur un sol densément recouvert d'herbacées confère à certains bûches une allure de prairies boisées. Après 1971, l'exploitation forestière est pratiquement disparue comme facteur de perturbation. Par contre, les sapinières surannées qui occupaient le centre de l'île ont connu à ce moment une mortalité massive par suite d'une épidémie d'arpenteuse. Deux autres insectes, la tordeuse (Choristoneura fumiferana) et le dendrochtone de l'épinette (Dendroctonus rufioennis) ont aussi affecté le sapin ou l'épinette blanche depuis une dizaine d'années, causant des dommages sérieux localement. Enfin, le feu pour sa part a ravagé une superficie immense en 1955 et une autre moins importante en 1983. La figure 1 illustre les principales zones forestières de l'île d'Anticosti.
La faune de l'île est peu diversifiée. D'après les premiers rapports, les mammifères indigènes étaient l'ours noir (Ursus americanus). la loutre de rivière (Lutra canadensis). la martre d'Amérique (Martes americana). le renard roux (Vuloes vuloes) et la souris sylvestre anticostienne (Peromvscus maniculatus anticostiensis) (Huard 1897; Schmidt 1904;
MacKay 1979). Parmi les espèces introduites avec succès à la fin du 19
eet au début du
20
esiècle, mentionnons le cerf de Virginie, le lièvre d'Amérique (Leous americanus). le castor
(Castor canadensis) et l'orignal (Alces alces). Le cerf ne fait face à aucun prédateur puisque
l'ours noir, seul prédateur potentiel, est presque disparu.
64-00' 63°00' 62°00'
I—49°I5'
Jill Pessière blanche '/\ Pessière noire
jggjj Sapinière
|| HI [I Épidémie d'arpenteuse 7±\ Bûché 1955-1971
£23 Feu
Tourbière
Baie Mac Donald
Baie des Sables
49°45'H
Baie du Renard
49" 15'-
Baie au Comoran
20 40 Km
64°00'
I
63-00"
I
62-00'
Figure 1. Délimitation des principales zones forestières de l'île d'Anticosti.
(Adapté d'une carte 1:250 000 du ministère des Forêts, Direction régionale de la Côte-Nord, produite en 1992.)
4. ZONES FORESTIÈRES INVENTORIÉES
Trois zones forestières ont fait l'objet d'inventaire aérien en mars 1992 : les bûches de 1955-1971, l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 et la sapinière centre-sud (figure 2).
4.1 Bûches de 1955-1971
4.1.1 Localisation
D'une superficie de 360 k m2, c'est la zone où les dernières coupes forestières d'importance ont été effectuées. Elle est située dans le centre-nord de l'île entre les rivières à l'Huile et MacDonald (figure 2).
4.1.2 Méthodes
Pour l'inventaire aérien, nous avons appliqué la technique du double inventaire, telle que décrite par Potvin et al. (1991, 1992). Nous avons utilisé un hélicoptère Bell 206-B muni de fenêtres panoramiques à l'arrière et de tiges repères pour délimiter l'angle maximum d'observation (45°). Le pilote a maintenu une altitude de 61 m (200 pi), grâce à un altimètre- radar, et une vitesse de 70 à 80 km/h à l'intérieur des parcelles. Le système de navigation Loran-C a été utilisé pour suivre un azimut constant le long des lignes de vol.
Des parcelles de 5 km de longueur ont été tracées sur des cartes forestières 1:20 000 le long de lignes parallèles nord-sud. La distribution était systématique avec un espacement de 1 km entre les parcelles et de 1,2 km (1 minute de longitude) entre les lignes. Chaque groupe de cerfs aperçu était classé d'après la taille ( 1 , 2, etc.) et l'activité (arrêté ou en mouvement).
Le navigateur notait cette information séparément pour l'observateur avant et l'observateur arrière directement sur la carte forestière. Pour faciliter la navigation, les peuplements forestiers (50 ans et plus) avaient été coloriés en vert alors que les bûches (0, 10 et 30 ans) et les autres milieux ouverts étaient laissés en blanc; de même, on avait rehaussé le réseau
64° 00' W 63° 0 0 W
62° 00 W
T
>" o/ r
Baie Sainte-Claire
49°
45' N
49e
30"
N
49°
15'
N
" e ,
Baie MacDonald Baie Ou Caplan
Baie des Sautes
LÉGENDE.
mm^ Route principale
[ | [ | l | Bûches de 1955-1971
| | Sapinière centre-sud
\^ff-i Épidémie d'arpenteuse k ;1^ de 1971-1972 \
' * o
Baie Prinstê
Baie du Renard
49°
45'
N
49e
30*
N
49*
I5' N
Baie au Cormoran
20 Km
64° 00 W 63° 00 W 62° 00 W
Figure 2. Délimitation des trois zones forestières survolées en mars 1992.
hydrique (trait bleu) et les chemins (trait rose). Pour permettre au navigateur de pointer chaque groupe de cerfs au bon endroit, les observateurs mentionnaient également le milieu où il se trouvait (bûché, forêt, etc.). Afin d'en décrire la composition forestière, nous avons utilisé la compilation informatisée du ministère des Forêts provenant des parcelles situées à plus de 50 % dans la zone inventoriée.
4.1.3 Résultats
La zone forestière des bûches de 1955-1971 contient 13 % de milieux non forestiers (tourbières, aulnaies), 47 % de milieux en régénération et 40 % de forêt résiduelle (tableau 1 ).
Seulement 9 % de la superficie (22 % de la forêt résiduelle) est occupée par des peuplements généralement considérés aptes à offrir un bon abri au cerf (fermeture supérieure à 60 % ) , selon la classification de Germain et al. (1991).
L'inventaire a eu lieu les 5 et 6 mars 1992. Au total, 181 cerfs furent observés dans les 53 parcelles (figure 3, tableau 2). Le taux de visibilité fut en moyenne de 0,69 pour l'observateur avant et de 0,33 pour l'observateur arrière. Ce taux a fluctué beaucoup d'une strate forestière à l'autre, particulièrement pour l'observateur arrière (tableaux 2 et 3). Les meilleurs taux ont été obtenus dans les milieux ouverts : bûches de 20 ans ou moins, forêt de densité faible (25 - 60 %) et forêt perturbée par la coupe partielle ou l'épidémie légère. À l'inverse, les peuplements de densité élevée ou de faible hauteur ont posé le plus de difficulté pour l'observation, avec des taux de l'ordre de 0,25 à l'avant et de moins de 0,10 à l'arrière.
La densité globale a été évaluée à 14 cerfs/km2 ± 20 %. À l'hiver 1988, un survol de reconnaissance de la même zone avait donné une densité non corrigée de 12 cerfs/km2
(environ 18 cerfs/km2 corrigée). La densité obtenue en 1992 est légèrement inférieure mais reste assez comparable. L'examen des densités par strate forestière révèle des différences importantes (tableau 2). Les plus fortes densités se retrouvent en forêt (23 cerfs/km2) et dans les bûches de 20 ans ou moins (18 cerfs/km2). Beaucoup plus abondants, les bûches plus âgés ne supportent que 8 cerfs/km2 alors que les milieux non forestiers étaient presque complètement désertés.
8
Tableau 1. Superficie des strates forestières dans la zone des bûches de 1955-1971 survolée en mars 1992.
Strate Milieu non forestier Milieu en régénération : - brûlé
- épidémie sévère - bûché 0-20 ans - bûché 20-40 ans Forêt
641 ans et + TOTAL
Superficie (ha) 5 119
428 656 4 679 12 872 15 790 39 544
% 12,9
1,1 1,7 11,8 32,6 39,9 100,0
a
Se répartissant comme suit :
- Selon la classe d'âge : 50 ans (19 %), 70 ans (32 %), 90 ans (31 %) et 120 ans et + (17 %)
- Selon la densité : 25-40 % (37 %), 41-60 % (41 %) et 61 % et + (22 %)
- Selon la perturbation : Aucune (49 %), épidémie légère (37 %) et coupe partielle (14 %)
Tableau 2. Densité de cerfs par strate forestière dans la zone des bûches de 1955-1971 survolée en mars 1992.
Strate
Milieu non forestier Milieu en régénération : - brûlé
- épidémie sévère - bûché 0-20 ans - bûché 20-40 ans Forêt 41 ans et + TOTAL
Superficie survolée
(ha>
255
21 30 150 512 621 1 589
N cerfs
Vus*
3
1 4 21 37 115 181
Estimés 3
1 5 27 42 143 221
Taux de visibilité Avant
-
0,50 0,58 0,82 0,71 0.69
Arrière -
0,33 0,44 0,26 0,31 0,33
Densité ± I.Ç.90%
(cerfs/km2) <%)
1,2 Ab
4.8 16,7 ± 60 17,8 ± 27 B
8.2 ± 19 B.C 23.0 ± 12 A.C 14,1 ± 20
Par l'un ou l'autre des observateurs.
b Les densités identifiées par une même lettre diffèrent entre elles, selon le test multiple d'étendue de Duncan (P < 0,05).
Tableau 3.
10
Densité de cerfs dans la forêt résiduelle (strate forêt 41 ans et +) de la zone des bûches de 1955-1971 survolée en mars 1992, selon la classe d'âge, la densité du couvert, la hauteur et la perturbation.
Variable
Âge (ans) : 50 70 90 120 + Densité (%) :
25-40 41-60 61 + Hauteur (m) :
7-11 12 + Perturbation : - aucune
- coupe partielle - épidémie légère
Superficie Survolée8
(ha)
120 205 199 110
236 260 139
202 433
312 86 237
N cerfs Vusb
11 47 30 27
38 59 18
37 78
40 13 62
Estimés
21 53 41 32
41 73 63
102 86
71 14 72
Taux de visibilité Avant
0,50 0.81 0.58 0,73
0,88 0,69 0,25
0,22 0,83
0,44 0,86 0,76
Arrière
0,09 0,40 0,28 0,33
0,39 0,35 0,06
0,07 0,42
0,11 0,50 0,40
Densité ± l.C.90%
(cerfs/km2) (%)
17,5 ± 89 25,7 ± 13 20,7 ± 30 29,4 ± 17
17,3 ± 12 28,0 ± 17 45,3 ± 104
50,7 ± 68 Ac
19,9 ± 9 A
22,8 ± 46 16.1 ± 17 30,4 ± 13
a Sur la base de 15,9 km2 survolés (53 parcelles X 30 ha) et assumant une pondération des strates dans les parcelles identique à leur répartition dans l'ensemble des bûches de 1955-1971 (tableau 1 ).
b Par l'un ou l'autre des observateurs.
c À l'intérieur de chaque variable, les densités identifiées par une même lettre diffèrent entre elles, selon le test multiple d'étendue de Duncan (P < 0,05).
12
Nous avons tenté également d'analyser les variations de densité de cerfs dans la forêt résiduelle en fonction de l'âge, de la densité du couvert, de la hauteur et de la perturbation du peuplement (tableau 3). Même si certaines tendances sont perceptibles, seule la hauteur apparaît comme une variable statistiquement significative (P < 0,05), avec une densité de plus de 50 cerfs/km2 dans la classe 7 - 1 1 m, contre 20 cerfs/km2 dans la classe 12 m et plus. Il faut interpréter ce résultat avec prudence car, compte tenu des très faibles taux de visibilité dans la première classe, il est probable que le calcul de la densité corrigée soit biaisé.
De même, les forêts les plus fermées (densité du couvert > 60 %) semblent supporter davantage de cerfs mais, dans ce cas également, le résultat pourrait être biaisé.
Au plan technique, l'inventaire aérien de cette zone a démontré qu'il est possible de pointer directement les cerfs sur carte forestière 1:20 000 dans des milieux simples (bûché, forêt résiduelle). Ceci permet une analyse plus approfondie des besoins en habitat mais il faut tenir compte des contraintes statistiques liées à la taille de l'échantillon et au taux de visibilité.
4.2 Épidémie d'arpenteuse de 1971-1972
4.2.1 Localisation
Au début des années 70, une épidémie majeure d'arpenteuse de la pruche a sévi sur l'ensemble de l'île d'Anticosti. Plusieurs parties de l'île ont été touchées mais la plus importante est sans contredit le centre-sud, délimité à l'ouest par la rivière du Brick et à l'est par la rivière Maccan (figure 2). Ce territoire de 875 km2, principalement constitué de sapinières matures, a été balayé par l'arpenteuse avec plus ou moins de sévérité selon l'endroit. Il nous offre une image réelle, 20 ans plus tard, de l'utilisation par le cerf d'un territoire dévasté par l'arpenteuse.
13
4.2.2 Méthodes
La zone forestière à inventorier a d'abord été délimitée précisément sur des cartes forestières 1:20 000 du M.F.O. Par la suite, le territoire a été subdivisé en 31 blocs d'inventaire de 4 km de haut par 4,85 km de large, la dernière mesure correspondant à une distance de 4 minutes de longitude (figure 4). Dans tous les blocs, les peuplements forestiers de 50 ans et plus ainsi que ceux appartenant à la classe d'âge jeune inéquienne ont été coloriés afin de les différencier des autres peuplements. Ils constituent le couvert forestier pour le cerf. Par la suite, ces zones coloriées ont été planimétrées par bloc.
Les blocs ont été regroupés d'après la proportion de couvert forestier selon des classes de 1 0 % ( 0 - 1 0 % , 1 1 - 2 0 %, etc.). Cinq classes ont ainsi été déterminées, aucune parcelle ne renfermant plus de 50 % de couvert forestier. Un tirage au sort de quatre blocs d'inventaire par classe de % de couvert forestier a ensuite été fait. Dans les faits, 19 blocs ont été sélectionnés car la classe 0 - 10 % ne comptait que trois blocs au total. Ces blocs ont été reportés sur une carte topographique 1:50 000 devant servir à la navigation lors du survol. Dans chacun des blocs, huit lignes de vol (parcelles) espacées de 600 m (30 secondes de longitude) ont été tracées.
Afin de déterminer un indice de répartition du couvert forestier dans chaque bloc, une grille contenant 63 points de contact (cercles de 100 m de diamètre) a été utilisée. Cette grille de la taille d'un bloc à l'échelle 1:20 000 a permis d'évaluer l'uniformité de la répartition du couvert car il suffisait de noter un seul peuplement de couvert dans un cercle pour que celui-ci soit considéré présent. Par ailleurs, la distance de chaque bloc du bord de la mer a été déterminée en mesurant la distance entre le centre du bloc et le point de la rive sud de l'île le plus près.
La technique du double inventaire aérien a été utilisée. Les variables considérées par les observateurs étaient la taille du groupe de cerfs, le niveau d'activité (arrêté ou en mouvement) et le type de couvert forestier (arpenteuse ou forêt).
. 49°25
COUVERTURE FORESTIÈRE!
150 ANS ET + )
^ H 0-10%
E&&8 31-40% ;
41-50% 1 )km
Figure 4. Subdivision de la zone forestière de l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 en blocs de 4 x 4,85 km. La proportion
de couvert forestier des 19 blocs survolés en mars 1992 est aussi illustrée.
15
4.2.3 Résultats
L'inventaire s'est déroulé les 7, 8 et 9 mars 1992. Le tableau 4 donne les résultats obtenus pour chacun des blocs : classe et proportion de couvert forestier, indice de répartition du couvert forestier, distance du bord de la mer et densité de cerfs.
Nous avons d'abord analysé si la proportion de couvert forestier et sa répartition avaient une influence sur la densité de cerfs. La figure 5 présente la relation entre la densité de cerfs et le couvert forestier. En bas de 25 - 30 % de couvert, les densités sont basses ( < 10 cerfs/km
2). Au-dessus de ce seuil, elles varient de 10 à près de 30 cerfs/km
2avec une moyenne de 15 cerfs/km
2. De même, la densité est faible quand la répartition du couvert est inférieure à 60 - 65 %, après quoi elle atteint 16 cerfs/km
2en moyenne. Ces deux variables étant fortement correlées (r = 0,72), nous ne pouvons pas prendre en compte leur influence dans une même régression. Une autre variable, soit la distance du bord de la mer, influence les densités de cerfs. Plus on s'approche de la mer et plus il y a de cerfs/km
2de territoire (figure 6). La densité de cerfs par bloc s'explique donc très fortement par la combinaison des variables suivantes : la proportion de couvert forestier (ou sa répartition) et l'éloignement de la mer (régression multiple; R
2^ 80 %).
Les deux régressions calculées sont les suivantes :
Densité (cerfs/km
2) = 17,5 + [0,25 x % couvert] - [0,92 x éloignement (km)]
Densité (cerfs/km
2) = 16,4 + [0,15 x % répartition] - [0,94 x éloignement (km)]
Selon ces modèles, pour supporter 15 cerfs/km
2à 10 km de la mer, il faut une proportion de couvert de 27 % ou une répartition de 53 %.
Le tableau 5 présente l'estimation de la densité de cerfs pour les cinq classes de couvert ainsi
que pour l'ensemble de la zone de l'arpenteuse. Les blocs ayant 20 % ou moins de couvert
ont une densité moyenne inférieure à 4 cerfs/km
2. Pour les blocs supérieurs à 20 %, cette
16
Tableau 4. Densité de cerfs dans les blocs de la zone forestière de l'arpenteuse de 1971-1972 survolés en mars 1992.
Bloc
15 5 12 10 6 14
9 16 8 24 22 27 19 1 11 31 18 29 13
Classe de couvert forestier8
A A A B B B B C C C C D D D D E E E E
Proportion de couvert
forestier1*(%)
7,2 9,0 9,4
11,9 14,7 15,6 15,7 23,2 27,8 28,2 29,7 31,8 33,2 33,8 36,5 41,5 42,0 43,7 45,6
Répartition du couvert
forestier0{%)
17,5 23,8 15,9 30,2 30.2 39,7 34,9 58,7 61,9 63,5 71,4 69,8 61,9 57,1 77,8 76,2 69,8 85,7 74,6
Distance
du bord de la mer(km)
18,6 16,2 13,1 20,7 19,6 17,1 19,0 20,0 16,7
4,017,4 13,8 13,4 15,9 10,4
5,2 9,717,4 15,2
Densité
(cerfs/km2)2,0 2,6 6,7 2,0 4,9 3,1 4,9 8,9 6,3
19,0 14,5 15,4 16,4
9,613,1 29,9 18,2 12,1
8,7a
A = 0 - 1 0 %, B = 11 - 20 %, C = 21 - 30 %, D = 31 - 40 %, E = 41 - 50 %.
b
Forêt de 50 ans et + et forêt jeune inéquienne.
c
% des cercles de 100 m de diamètre contenant au moins un peuplement de couvert
(n = 63 cercles par bloc).
17
Tableau 5. Densité de cerfs par classe de couvert forestier dans la zone de l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 survolée en mars 1992.
Classe de couvert forestier
1%)
A (0-10) B (11-20) C(21-30) D (31-40) E (41-50)
TOTAL
N blocs
3 4 4 4 4
19
Superficie (km
2)
85 169 254 198 169
875
Densité (cerfs/km
2)
3,8 3,7 12,2 13,6 17,2
10,9
±
±
±
±
±
±
±
I.C. 90 % (%)
66,7 91,8 22,2 19,2 22,3
11,8
18
30
«5 20
I
55
LU
10
RÉGRESSION CALCULÉE POUR % COUVERT < 30% (n=11 ):
Y=0,41X Ra= 0,85 t=7,6 P< 0,001
10 20 30
% COUVERT
40 50
30
CM
E
LUÛ
20
10
RÉGRESSION CALCULÉE
POUR RÉPARTITION < 65% (n=12):
Y=0,18X Ra=0,83 t=7,4 P< 0,001
20 40 60 80 RÉPARTITION DU COUVERT (%)
100
Figure 5. Relation entre la densité de cerfs et le couvert forestier dans les blocs de la zone forestière de l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 survolés en mars 1992.
19
30
20
J£
o t
CO HIQ
10
RÉGRESSION CALCULÉE:
Y= 28.96-1.24 X R = 0.65
F=31.51 P< 0.001
5 10 15 20 ÉLOIGNEMENT DE LA MER ( km )
25
Figure 6. Relation entre la densité de cerfs et l'éloignement de la mer dans les blocs de la zone forestière de l'épidémie d'arpenteuse de 1971 -1972 survolés en mars 1992.
20
densité moyenne varie de 12 à 17 cerfs/km2. Potvin et al. (1991 ), lors de l'inventaire du cerf fait à l'hiver 1988, ont trouvé des densités comparables dans deux blocs survolés dans la zone de l'arpenteuse : le bloc A, caractérisé par une faible proportion de forêt encore sur pied, avait 4 cerfs/km2 ± 3 5 % (n = 20) et le bloc B, renfermant un couvert forestier plus important, avait 20 cerfs/km2 ± 23 % (n = 20). En utilisant les résultats de l'ensemble des blocs, nous avons estimé la population de cerfs de la zone de l'arpenteuse à 11 cerfs/km2 ± 12 %. Cette densité est du même ordre que celle trouvée par Potvin et al. (1991) lors de l'inventaire de la zone durant l'hiver 1989, soit 13 cerfs/km2 ± 4 1 % (n = 21).
4.3 Sapinière centre-sud
4.3.1 Localisation
Le principal foyer d'infestation d'arpenteuse repéré en 1991 se situe près de la tour de Jupiter, dans la partie centre-sud de l'île. On retrouve là une zone de plus de 500 k m2 principalement constituée de peuplements de sapins matures très susceptibles d'être attaqués par l'arpenteuse. Lors de l'inventaire aérien du cerf effectué durant l'hiver 1989, une estimation de la population de cerfs de ce secteur avait été faite. On y avait dénombré 24 cerfs/km2 ± 49 % {n = 11) {Potvin et al. 1991). Cette zone forestière a toujours été reconnue comme l'une des plus utilisées en hiver par les cerfs du centre de l'île.
4.3.2 Méthodes
La zone a dans un premier temps été délimitée avec précision à partir des cartes forestières 1:20 000 du M.F.O. ramenées à l'échelle 1:50 000. Les travaux d'interprétation forestière de Pierre Beaupré et Gilles Nadeau du M.F.O., Direction régionale de la Côte-Nord (communications personnelles), faisaient ressortir deux strates distinctes. L'une était constituée de sapinières matures perturbées antérieurement par l'arpenteuse (sapinière ouverte) et l'autre d'une sapinière non perturbée. Nous avons utilisé cette stratification et l'avons reportée sur nos cartes 1:50 000. Dans chaque strate, une série de parcelles ont été tracées de façon systématique, seul le point de départ de la première parcelle étant choisi
21
au hasard. Ces parcelles, d'une longueur de 5 km, étaient espacées de 1 km l'une de l'autre le long de lignes de vol orientées nord-sud et distantes de 1,2 km (1 minute de longitude) (figure 7). La technique du double inventaire aérien a ici aussi été utilisée. Les trois variables notées par les deux observateurs étaient la taille des groupes de cerfs, le niveau d'activité (arrêté ou en mouvement) et le couvert immédiat (sous une cime ou non).
4.3.3 Résultats
Le secteur a été inventorié les 9, 10, 15 et 16 mars 1992. La sapinière ouverte, d'une superficie de 317 km
2, compte 43 parcelles. La sapinière non perturbée par l'arpenteuse, d'une superficie de 184 km
2, recèle 25 parcelles. Le tableau 6 donne les résultats de l'inventaire pour chaque strate et pour l'ensemble de la zone.
On note une densité de 40 cerfs/km
2± 1 1 % . Il n'existe pas de différence de densité entre les deux strates. On retrouve donc en hiver quelque 20 000 cerfs dans cette zone de 500 km
2, soit un sixième de la population de cerfs de toute l'île d'Anticosti.
5. CONDITIONS D'INVENTAIRE
Les conditions de vol et d'observation ont varié de bonnes à excellentes pour l'ensemble des jours d'inventaire sauf lors de la première journée dans la zone des bûches de 1955-1971 où des vents de 20 noeuds nous ont obligés à interrompre les travaux après le survol de huit parcelles seulement.
Afin de décrire l'épaisseur de la neige au sol et sa compacité (niveau d'enfoncement pour le cerf), une série de stations d'échantillonnage a été effectuée selon la méthodologie décrite par Potvin et Breton (1986). À chaque station, nous avons pris 10 mesures de l'épaisseur de neige avec une tige graduée et 10 mesures de la compacité à l'aide d'un «pénétromètre»
(appareil qui simule le poids exercé par la patte d'un cerf qui s'enfonce dans la neige). Huit
stations ont été complétées (figure 8). Selon les secteurs, on retrouvait entre 49 et 134 cm
de neige au sol (tableau 7). Le niveau d'enfoncement a varié pour sa part de 20 à 59 cm.
49030'
49°20"
49» 30'
49°20'
63°40' 63O101
ro
Figure 7. Emplacement des parcelles-échantillons survolées en mars 1992 dans la zone forestière de la sapinière centre-sud
(trame foncée : sapinière ouverte perturbée par l'arpenteuse; trame pâle : sapinière non perturbée).
23
Tableau 6. Densité de cerfs dans la zone forestière de la sapinière centre-sud survolée en mars 1992.
Strate
Sapinière ouverte perturbée par l'arpenteuse
Sapinière non perturbée
TOTAL
Superficie (km
2)
317
184
501
N parcelles
43
25
68
Densité ± I.C. 90 % (cerfs/km
2) (%)
41,7 ± 13,7
38,0 ± 17,2
40,4 ± 10,6
64° OO1 W 6 2 ° 0 0 ' W
I I
49°45'
N
49°
15' N
Baie des Sables
49°
45' N
Baie du Renard 49°
15'N
Baie au Cormoran
I
10 20 30 Km I
64°00'W 62°00'W
Figure 8. Emplacement des stations de mesure de la neige sur l'île d'Anticosti, mars 1992.
25
Tableau 7. Conditions de la neige lors de l'inventaire aérien du cerf de Virginie, île d'Anticosti, mars 1992.
Site
#
1 2 3 4
5
67 8
Localisation
Étang Eider Riv. Chicotte Riv. aux Plats Riv. Pavillon Tête de Jupiter Relais Castor Jupiter 24 Ruis. du 3 Milles
Date
6 mars 1992 8 mars 1992 9 mars 1992 9 mars 1992 9 mars 1992 9 mars 1992 15 mars 1992 15 mars 1992
Épaisseur de neige au sol
(cm)
101 49 94 104 134 120 69 87
Enfoncement {cm)
59
36
5220
42 46 39 4226
On retrouve plus de neige dans le centre et le nord de l'île que du côté sud. Le niveau d'enfoncement varie d'une station à l'autre mais, à deux exceptions près, se situe sous la barre des 50 cm, seuil à partir duquel les déplacements du cerf sont plus difficiles. Selon ces résultats, on peut qualifier les conditions d'enneigement du mois de mars 1992 de normales pour l'île d'Anticosti. L'annexe 1 présente une ventilation sommaire des ressources humaines et financières consacrées à cet inventaire.
6. DISCUSSION
Les buts poursuivis par cet inventaire aérien ont été atteints. Nous pouvons maintenant mieux catégoriser l'habitat d'hiver du cerf d'Anticosti principalement au niveau du couvert forestier recherché par cet ongulé. Les milieux non forestiers, tels que les tourbières, plans d'eau et brûlis, ne sont pas fréquentés en hiver. Une analyse de la distribution du cerf par strate forestière indique que ce cervidé préfère la forêt résiduelle durant la saison hivernale. Après coupe, les bûches sont fréquentés jusqu'à environ 20 ans, puis sont fortement délaissés jusqu'à 40 ans sinon davantage. Ces peuplements sont presque exclusivement constitués de pessières blanches. Les résultats d'inventaires aériens antérieurs du secteur ouest de l'île, où l'on retrouve régulièrement une forêt de seconde venue constituée d'épinette blanche, confirment que ce type de couvert forestier est moins propice au cerf en hiver. On peut donc affirmer qu'une baisse de population de cerfs est à prévoir à moyen terme à mesure que la forêt résiduelle (sapinière) disparaîtra.
Nous avons tenté, au niveau de la forêt résiduelle, de mesurer l'influence de certains paramètres forestiers tels que l'âge des peuplements, la densité du couvert, la hauteur des arbres et la perturbation du peuplement sur les densités de cerfs présentes. Cette analyse n'a pas donné de résultats probants, peu de variables ressortant de manière statistiquement significative. Ceci est principalement dû à la technique d'échantillonnage utilisée (nombre d'échantillons peu élevé) et aux faibles taux de visibilité des cerfs pour certaines des variables compilées.
27
Cependant, il ressort qu'à court terme, les épidémies ont un impact positif car les strates épidémie sévère et forêt avec épidémie légère sont fortement fréquentées. À moyen terme, on présume que ces effets bénéfiques iront en s'atténuant pour se rapprocher de ceux créés par les coupes forestières. Il ressort enfin que les densités de cerfs trouvées dans la zone des bûches de 1955-1971, lesquels représentent l'une des mosaïques forestières les plus diversifiées de l'île, sont fortes si l'on considère que seulement 9 % de cette zone est constituée d'abris, selon la définition usuelle utilisée sur le continent. Ainsi à Anticosti, on conclut que les peuplements de densités C et D (25 - 60 % de fermeture) constituent un abri valable pour le cerf.
Les résultats de la zone affectée par l'épidémie d'arpenteuse de 1971-1972 ont permis de quantifier précisément quelle était la proportion de forêt mature résiduelle qu'il fallait maintenir pour soutenir des densités de cerfs élevées. Ainsi, en bas de 25 - 30 % de couvert, les densités de cerfs sont faibles, soit moins de 10 cerfs/km2; en haut de ce seuil, elles varient de 10 à près de 30 mais plafonnent généralement autour de 15 cerfs/km2. Il nous a été impossible de séparer l'influence du pourcentage de couvert forestier et sa répartition sur le terrain, ces deux variables étant fortement correlées. Cependant, il ressort qu'une relation significative a été trouvée entre la densité de cerfs et le pourcentage de forêt résiduelle sur le territoire (ou sa répartition) de même que la distance du bord de la mer. Ainsi les plus fortes densités ont été notées dans les secteurs avec le pourcentage de couvert forestier le plus élevé (environ 40 %) et situés près de la mer (environ 5 km).
Cet inventaire aérien est venu confirmer de manière non équivoque l'importance de la sapinière centre-sud comme habitat d'hiver pour le cerf. En effet, ces 500 k m2 de territoire abritent en hiver plus du sixième de tous les cerfs d'Anticosti. Il constitue donc un site prioritaire à protéger pour le M.L.C.P. advenant l'explosion d'une épidémie d'arpenteuse d'envergure.
Les informations recueillies lors de cet inventaire aérien réalisé au cours d'un hiver considéré comme normal pour le cerf de l'île nous permettront de mieux définir les besoins et exigences minimales de couvert forestier hivernal pour ce cervidé. Ces données seront à la base de nos prescriptions de protection advenant le cas où il serait nécessaire d'agir face à une épidémie majeure d'arpenteuse de la pruche sur le territoire de l'île d'Anticosti.
28
REMERCIEMENTS
Nous tenons à remercier particulièrement monsieur Gaétan (Alex) Laprise pour sa participation
comme navigateur lors du survol de la sapinière centre-sud. Ce travail n'aurait pu être réalisé
adéquatement sans l'habileté exceptionnelle de notre pilote d'hélicoptère, monsieur Richard
Bernard, du Service aérien du gouvernement du Québec, que nous tenons à souligner. Enfin,
nous voudrions remercier sincèrement monsieur Pierre Beaupré, du ministère des Forêts, pour
ses commentaires judicieux et l'aide apportée au niveau de la stratification forestière de nos
zones d'inventaire.
29
REFERENCES
ANON. 1974. Esquisse du schéma d'aménagement de l'île d'Anticosti. Québec, ministère des Terres et Forêts, Service de l'aménagement des terres. 270 p.
ANON. 1 9 9 1 . Pour en savoir plus sur l'arpenteuse de la pruche. Québec, ministère des Forêts, Direction de la conservation. Publ. FQ 91-3097. 13 p.
BEAUPRÉ, P. et G. NADEAU. 1 9 9 1 . Problématique de l'aménagement de l'île d'Anticosti et réflexion sur les actions à prendre face à l'épidémie d'arpenteuse de la pruche, annoncée pour 1992. Québec, ministère des Forêts, Direction régionale de la Côte-Nord, rapp. interne. 23 p.
BRETON, L. 1992. Conditions de l'enneigement dans l'aire de répartition du cerf de Virginie au Québec au cours des hivers 1991 et 1992. Québec, ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la gestion des espèces et des habitats, Publ.
S P 1 9 4 7 . 83 p.
GERMAIN, G., F. POTVIN et L. BÉLANGER. 1 9 9 1 . Caractérisation des ravages de cerfs du Québec. Québec, ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la gestion des espèces et des habitats, Publ. SP 1912. 105 p.
HUARD, V. A. 1897. Labrador et Anticosti. Réédition de 1972. Beauchemin & Fils, Montréal. 505 p.
HUOT, J. 1982. Body condition and food resources of white-tailed deer on Anticosti Island, Québec. Thèse Ph. D., Univ. Alaska. 240 p.
MACKAY, D. 1979. Anticosti - The untamed island. McGraw-Hill Ryerson Ltd. 160 p.
POTVIN, F. 1992. L'habitat du cerf à Anticosti de 1978 à 1988 : un suivi quinquennal.
Québec, ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la gestion des espèces et des habitats, Publ. SP 1925. 27 p.
POTVIN, F. et L. BRETON. 1986. Sommaire des conditions d'enneigement pour le cerf au Québec de 1973 à 1985. Québec, ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la faune terrestre, Publ. SP 1208. 56 p.
POTVIN, F., L. BRETON et A. GINGRAS. 1 9 9 1 . La population de cerfs d'Anticosti en 1988-1989. Québec, ministère du Loisir, de la Chasse et de la Pêche, Direction de la gestion des espèces et des habitats, Publ. SP 1779. 28 p.
POTVIN, F., L. BRETON, L.-P. RIVEST et A. GINGRAS. 1992. Application of the double- count aerial survey technique for deer on Anticosti Island, Quebec. Can. Field-Nat, (soumis).
ROWE, J . S. 1972. Forest regions of Canada. Can. Dep. Environ., For. Serv. Publ. 1300.
172 p.
SCHMIDT, J . 1904. Monographie de l'île d'Anticosti (golfe du Saint-Laurent). Lib. Sci.
A. Hermann, Paris. 370 p.
31
ANNEXE 1
RESSOURCES HUMAINES ET FINANCIÈRES CONSACRÉES À L'INVENTAIRE
RESSOURCES HUMAINES
Jours-personnes . Planification :
- préparation des caches d'essence 8 - cartographie 30 - divers . 2
. Réalisation 45
. Analyse et rapport :
- saisie et analyse 10 - rédaction 1_5 TOTAL 110
RESSOURCES FINANCIERES
. Nolisement d'hélicoptère : 24 750 $ (45 heures)
. Frais de voyage : 3 200 $ TOTAL 27 950 $
( Gouvernement du Quebec Ministère du Loisir,
> de la Chasse et de la Pêche Direction de la gestion des espèces et des habitats
SP: 2132-01-93