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Faire ou défaire la ville avec le commerce ?

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Academic year: 2022

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Actes des matinées du CGEDD

Faire ou défaire la ville avec le commerce ?

Conférence-débat animée par Ariella MASBOUNGI, inspectrice générale de l'administration du Développement durable

Le 30/06/2015 / Tour Séquoia – La Défense

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LES MATINEES DU CGEDD

Faire ou défaire la ville avec le commerce ?

Sommaire

Ouverture

Alain LECOMTE Président de la section « Aménagement durable des territoires » du CGEDD...4

Ariella MASBOUNGI Inspectrice générale de l’administration du développement durable...6

Exposés David Mangin Grand prix de l'Urbanisme 2008...8

Présentation de dix idées reçues...9

Les problématiques essentielles à étudier...10

Le grand Paris...13

Jean-Noël Carpentier Député maire de Montigny-lès-Cormeilles...20

L'histoire de Montigny-lès-Cormeilles...21

La création de notre projet urbain...22

Les Sparks architecte urbaniste britannique...26

La priorité aux centres-villes...27

La conception du commerce dans les centres-villes : comment éviter les erreurs du passé ?...29

Discussion avec la salle...36

Conclusion Alain LECOMTE...46

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Ouverture

Alain LECOMTE

Président de la section « Aménagement durable des territoires » du CGEDD

Bonjour à tous.

En France, et notamment à Paris, il est de bon ton de débuter avec 15 minutes de retard. Ce temps est écoulé, nous pouvons donc commencer.

Comme le suggère le titre de ces matinées, « Faire ou défaire le commerce en France », nous allons étudier aujourd'hui les rapports entre le commerce et la ville. Ce sujet semble être au cœur de vos préoccupations, comme le prouve la rapidité avec laquelle les 180 places de cet amphithéâtre ont été réservées. En effet, en une semaine, tout était complet.

Cette matinée s'annonce passionnante, avec des débats sans doute passionnés.

Le commerce a fondé la ville mais il ne se résume pas à celle-ci. Le modèle de la ville commerçante, avec ses rues colorées et attractives, devient de moins en moins courant. Au contraire, le modèle du centre commercial à la française, situé à 70 % dans les périphéries urbaines, en boîtes opaques cernées de parking, continue à se développer malgré des performances médiocres.

L'émission récente sur la 5, à l’instar de bien d'autres reportages ou études, témoigne de cette évolution. Pour introduire les thèmes que nous allons aborder, je vais reprendre les questions posées dans l'invitation à cette matinée : régénérer les « entrées de ville », est-il un rêve impossible ? Quel est l’avenir des centres-villes ? Quel modèle urbain alternatif peut-il se substituer à la ville des séparations, engendrée par l’hyperzonage commercial pour et par la voiture ? Quelle dynamique vie urbaine/commerces est-elle possible ? Comment faire pour que les friches commerciales existantes ou à venir soient des opportunités ? Que peuvent faire les nombreux acteurs concernés par ces enjeux ?

L'objectif est de faire en sorte que le commerce, qui a fondé la ville, ne participe pas à la détruire. Nos invités devraient nous aider à nourrir ce débat.

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David Mangin, Grand prix de l'Urbanisme 2008, a notamment beaucoup étudié cette question dans ses ouvrages et ses projets, ainsi que par le biais de « l’Atelier national territoires économiques » sur les commerces qu'il dirige. Jean-Noël Carpentier, député maire de Montigny-lès- Cormeilles, explicitera quant à lui la quadrature du cercle auquel est confronté un maire aux prises avec le commerce national. Les Parks, architecte urbaniste britannique exposera l'expérience de son pays, très mobilisé sur la reconquête des centres-villes, après avoir subi la désaffection lourde qui se dessine aujourd’hui en France.

Les prochaines matinées du CGEDD auront lieu dans cette même salle le 25 septembre 2015.

Le thème du débat portera sur l'inondabilité comme levier de projet urbain, sujet d'une grande actualité, afin d'agir de manière résiliente sur le territoire. Nos intervenants seront :

 Frédéric Bonnet, Grand prix de l'Urbanisme 2014 ;

 Marie-France Beaufils, sénatrice maire de Saint-Pierre-des-Corps, ville totalement inondable qui invente des modes d'actions liant action urbaine et lutte pour la protection des sols et des habitants face aux risques

 Cécilia Kushner, en charge à l'agence d'urbanisme de New York de l'adaptation des règles et des projets aux risques d'inondations et d'ouragans.

Comme vous l'avez remarqué, nous tâchons de rétablir la parité. Elle n'est pas respectée aujourd'hui mais nous nous efforçons de l'atteindre au fur et à mesure des événements.

Après la conférence-débat du 25 septembre prochain, les matinées se poursuivront. Nous avons déjà réfléchi à de nombreux sujets, même s'ils ne sont pas encore définitifs, tels que construire de manière sobre, inventer des nouveaux modes opératoires innovants en matière de projet et d'aménagement, la transition énergique comme renouveau économique et social et bien d'autres encore. Je passe la parole à Ariella Masboungi, que je remercie pour la préparation de cette 15ème matinée du CGEDD. Je vous souhaite une excellente matinée.

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Ariella MASBOUNGI

Inspectrice générale de l’administration du développement durable

Je souhaite insister sur le sujet choisi, qui nous tient particulièrement à cœur. A titre d'exemple, le Cabinet de la Ministre Sylvia Pinel a confié à Frédéric Bonnet, notre intervenant lors de la prochaine matinée, une mission concernant le milieu périurbain et les petites villes. De fait, il existe un lien très étroit entre la relative faiblesse des politiques françaises en termes de lutte contre l'étalement urbain et du développement exponentiel des centres commerciaux périphériques, et les difficultés des petites villes, des villes moyennes voire du reste du territoire. C'est pourquoi il nous a semblé essentiel d'aborder cette question, vitale pour l'économie de notre pays ainsi que pour l'aménagement du territoire. L'exemple anglais, sur lequel nous reviendrons plus tard, paraît très éloquent à cet égard.

Par ailleurs, le maire adjoint de Lisbonne nous a fait l'honneur de sa présence aujourd'hui. Il pourra témoigner de la situation de sa ville, dans laquelle de nombreux centres commerciaux sont désaffectés et en cours de reconversion, sujet important qu’il conviendra de traiter lors de cette matinée.

Je vais maintenant passer la parole à David Mangin. Cependant, auparavant, j'aimerais vous présenter son livre, Du Far West à la ville, produit en lien avec la direction de l'urbanisme et des paysages qui est en vente ici, grâce à la présence de la librairie Volume. Cette dernière vend également : « Aménager les rez-de-chaussée de la ville », ouvrage que j’ai dirigé, publié au Moniteur, qui évoque également la relation du commerce et de la ville.

David Mangin a étudié ce thème depuis longtemps, notamment à travers ses travaux sur « la ville passante », menés dans le cadre du grand Paris et des ateliers nationaux. Son talent d'urbaniste et son excellente compréhension du fonctionnement du commerce font de lui la personne idéale pour introduire cette matinée. Merci encore David.

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Exposés

David Mangin

Grand prix de l'Urbanisme 2008

Bonjour à tous.

Nombre d’entre vous qui êtes présents aujourd'hui – comme par exemple Pascal Madry, expert en économie du commerce, ou des personnes de la CNAC –, ont travaillé avec nous sur le programme des ateliers économiques. C'est pourquoi nous tenterons d'établir un débat afin que chacun puisse s'exprimer et enrichir les échanges.

Mon ouvrage, intitulé La ville franchisée, a davantage pour titre Formes et structures de la ville contemporaine. Je n'ai pas abordé ce sujet directement, mais j'ai choisi d'analyser les fortes évolutions de la ville contemporaine à travers les nouvelles formes de commerce.

Dans ce livre, le terme « franchisé », surtout connu pour sa signification de « commercial », n'a pas tout à fait le même sens, comme pourront le confirmer ceux qui ont lu l'ouvrage. Petit à petit, j'ai pu approfondir ces sujets et nous avons eu la chance de travailler dans de très bonnes conditions, pour mieux comprendre la position des maires et leurs problématiques. J'en profite pour remercier Jean-Noël Carpentier d'être présent aujourd'hui. Les maires occupent une place essentielle dans le processus de décision lié à l'évolution des commerces, même s'ils ne le reconnaissent pas toujours.

Malheureusement, ils ne disposent pas forcément des moyens financiers ou juridiques pour agir.

Acteurs très courtisés et importants du dispositif du commerce, ils sont souvent partagés, écartelés lorsqu'ils doivent donner un arbitrage. Ce programme a réussi à passer le filtre des services de communication pour pouvoir garder un titre dynamique : Du Far West à la ville, l'urbanisme commercial en questions.

Pendant une année, nous avons travaillé dans huit villes différentes avec des maires très disponibles, les directeurs des grandes enseignes et des agents économiques. Nous avons étudié aussi bien des villes moyennes comme Châlons-sur-Marne, ou Cahors que des villes plus grandes, comme Metz ou Montigny. Chaque ville avait fait appel à ce programme pour des raisons très différentes, qui peuvent se retrouver dans de nombreuses villes françaises. Parfois, une zone commerciale ne peut pas s'étendre parce que la loi sur les risques ne le permet pas. C'est le cas de Cahors par exemple, où le préfet a préféré arrêter le projet à cause d'inondations récurrentes. Pour une autre ville, il s'agissait de problèmes de friches sur certaines parties de la zone commerciale, ou encore d’un maire qui souhaitait réorganiser sa commune pour ne pas disparaître au profit d'un centre commercial, comme dans le cas de Monsieur Carpentier. En bref, qu'il s'agisse de villes petites, moyennes ou grandes, les communes présentaient chacune des situations très différentes les unes des autres. A Pontarlier, nous avions notamment travaillé avec le président des maires de France.

Ce projet, d'une grande richesse, nous a permis d'approfondir le thème abordé et de réfléchir aux solutions proposées pour progresser.

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Présentation de dix idées reçues

Dans mon ouvrage, je présente dix idées reçues concernant l'urbanisme commercial. Il ne s'agit pas de toutes les reprendre ici, mais je vais en évoquer quelques-unes avant de commencer l'exposé.

« La question du commerce se réduirait à celle des entrées de ville »

« Améliorer les environnements commerciaux serait affaire d'esthétique (la publicité, les boîtes, les parkings…) »

Ces premières idées « grand public » ne doivent pas être écartées, sous prétexte que le problème réside ailleurs. Ce point, souvent repris par les médias, concerne l'esthétique des centres commerciaux, considérés comme très laids. Lorsque j'ai été interviewé par Télérama, le journaliste a intitulé son article : « La France moche ». Il ne s'agissait pas du titre que nous avions choisi.

D'ailleurs, il est souvent difficile de discuter du titre avec les journalistes. Ce choix a suscité des prises de positions, puisque certains ont qualifié le ton utilisé de méprisant pour la France. Les éléments redondants liés à cette question concernent la publicité, les boîtes et les parkings.

« Les zones commerciales seraient des friches facilement mutables »

Nous avons beaucoup développé cette idée dans le cadre du projet du Grand Paris Express. Elle porte sur les « fonciers invisibles ». Ainsi, de nombreux parkings, immenses, ne sont utilisés que les trois samedis précédant noël et demeurent vides le reste de l'année. Par ailleurs, sur les grandes zones commerciales il existe parfois des parties en friche qui seraient donc facilement mutables. La réalité des modèles économiques, notamment des grands groupes de distribution, ainsi que leur évolution des dernières années, rendent ce sujet plus complexe qu’il ne l’était au premier abord. Les aménageurs présents dans la salle pourront en témoigner.

« La logistique serait la source majeure des déplacements »

Les clients des grandes agglomérations représentent la principale source de production de dioxyde de carbone puisqu'ils se déplacent en voiture d'un centre commercial à un autre.

« Le transport en commun ne serait pas adapté au caddie »

Cette opinion, très répandue, a été répétée de nombreuses fois ces dernières années. Il a fallu que différentes personnes s'évertuent à prouver le contraire. Je vois par exemple Bernard Reichen ici présent, auteur de divers projets sur ce sujet. Par ailleurs, de grands maires ont milité activement pour que le tramway rejoigne des enseignes importantes dans les nouveaux quartiers en construction. Tous ces efforts ont contribué à faire changer le discours classique selon lequel le tramway facilite l'arrivée des voyous, qui restent sur place sans dépenser d'argent.

« Les aires commerciales seraient les places publiques d'aujourd'hui »

Malheureusement, cette affirmation s'avère fausse. A mon sens, les aires commerciales devraient devenir les places publiques d'aujourd'hui. Or les parkings restent des zones privées, c’est-à-dire qu'ils ne sont pas adaptés aux activités et loisirs des places publiques.

« Il y aurait une fatalité certaine à la pérennité du modèle »

Cette idée suscite un double questionnement, puisque l'on peut discuter de la pérennité du modèle français mais également des autres modèles existants à l'étranger. A ce titre, Ariella a eu l'excellente idée d'inviter Monsieur Sparks, afin de nous éclairer sur ce point.

Je ne vais pas développer les trois idées suivantes, étant donné que je ne suis pas un expert dans ces domaines-là.

« La rentabilité des zones commerciales serait principalement liée aux échanges commerciaux »

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Il s'agit principalement de questions immobilières, avec des structures de propriété immobilière et des Il s'agit principalement de questions immobilières, avec des structures de propriété immobilière et desfonds de commerce. En devenant architecte urbaniste, j'ai découvert ces sujets assez étonnants puisque la tendance serait de minimiser l'importance des centres commerciaux par rapport aux habitations. Or dans les bilans des sociétés, ils représentent une part considérable en termes de comptabilité.

« La croissance serait sans bornes »

« L’emploi justifierait tout »

Jean-Noël Carpentier reviendra sans doute sur cette idée qui témoigne d'un effet de levier essentiel, notamment auprès des Verts. Ce discours, affirmant que les destructions d'emploi et l'automatisation à venir ne sont pas comptées, se retrouve souvent au sein de la CNAC.

Les problématiques essentielles à étudier

• Les différentes formes de commerce

Je ne vais pas m'intéresser à toutes les formes de commerce, puisqu'elles présentent de grandes différences les unes par rapport aux autres. De nombreux centres commerciaux se sont développés depuis l'arrivée de l'automobile, avec des influences diverses sur le centre-ville.

Aujourd'hui, les formes de commerce les plus courantes varient entre des anciens centres-routes commerciaux, des grandes « centralités » situées autour des échangeurs autoroutiers et les centres- villes. Il existe également des formats plus petits, s'apparentant à des maisons individuelles. Ces différents modèles, parfois plus complexes, peuvent se juxtaposer. En voyant les publicités, les clients comprennent qu'un centre commercial se trouve à proximité. En réalité, le lien entre publicité et commerce mérite une analyse plus approfondie.

Dans le schéma que nous avions fait en 2007 pour illustrer la célèbre zone Vendenheim dans le nord de Strasbourg,on voit un carroyé qui correspond à d'anciennes zones artisanales devenues commerciales ; certaines zones sont liées à la nationale d'entrée, d'autres à l'échangeur autoroutier.

Ces trois types de commerces, très différents, n'ont pas les mêmes capacités de mutation. De fait, les zones artisanales représentent un système assez simple, dans lequel les rues existent encore. Leur mutation s'avère donc plus facile. En revanche, les grands systèmes liés aux échangeurs autoroutiers se révèlent beaucoup plus complexes à déplacer.

• L'esthétique des centres commerciaux

En ce qui concerne l'esthétique des centres commerciaux, je vais commencer par une citation de Berque, « Insoutenable paysage », que nous avons repris dans notre livre Du Far West à la ville.

« Les entrées de ville sont un symptôme, parmi d’autres, de la fin des villes et des campagnes au sens traditionnel, c’est-à-dire dans un contraste qui pendant des millénaires a donné sens au monde.

Aujourd’hui, ces deux termes tendent à se confondre dans ce qu’on appelle l’urbain diffus, où une population fonctionnellement urbaine tend à habiter l’ensemble des territoires. Elle recherche un habitat de type rural, comme résidence secondaire ou même principale, pour vivre au plus près de

«la Nature». Or, ce mode de vie entraîne une surmotorisation et un gaspillage, voire un ravage des ressources naturelles : espace, énergie, cisaillement des écosystèmes par les voies à grande circulation, etc.

En somme, la recherche de «la Nature» en termes de paysage aboutit à une destruction de la Nature en termes d’écosystèmes, et à une empreinte écologique insoutenable […]. Voilà ce qui se cache derrière nos entrées de ville. Au-delà même de l’esthétique, elles sont vraiment laides… »

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Augustin Berque, fils du célèbre arabisant Jacques Berque, a écrit cet article dans Libération en 2012 expliquant que le mode de vie lié à la surconsommation ainsi que la rupture des écosystèmes des territoires lui semblent bien plus choquants que l'aspect purement esthétique des centres commerciaux, trop colorés et agressifs. Ainsi se présente la zone de Pont de l'Ane Monthieu à Saint-Etienne, sur laquelle nous avons travaillé. Si vous vous promenez dans cette zone, vous avez l'impression, de prime abord, qu'il s'agit d'une zone entièrement commerciale. En effet, les publicités, pourtant limitées à la signalétique de giratoire ou à des produits d'appel pour la rentrée des classes par exemple, dépassent largement la zone commerciale. Elle semble beaucoup plus étendue qu'elle ne l'est en réalité. Force est de constater que la publicité sort de son territoire, comme en témoignent également les étiquettes placées au beau milieu de la campagne. Ce phénomène n'existe qu'en France. Les Sparks pourra d'ailleurs le confirmer. Le modèle de base suit la formule anglaise : « no parking, no business » (pas de parking, pas de commerce) et je préfère ajouter : « no parking visible, no business ». Malheureusement, ce mode de pensée s'avère très ancré chez les commerçants.

Je rappelle l'exemple de Gabriel Dupuy, un professeur des ponts et chaussée, auteur d'excellents livres sur l'automobile. Il posait sa carte orange sur la table en affirmant qu'il ne s'opposait pas aux transports en commun puisqu'il les utilisait. J'affirme donc, comme lui, que je ne m'oppose pas aux commerces. Mais c'est dans le modèle « no parking visible, no business », pensé pour rentabiliser le chiffre d'affaires, que réside notre principal problème. En effet, ce modèle crée le plus souvent un sentiment de désert, il augmente les distances et génère une surdépendance à l'automobile. Par conséquent, le parking silo apparaît comme une solution possible. Or il est facile de fabriquer des parkings silo mal construits, c’est-à-dire situés juste devant les magasins, qui sont ainsi cachés. Toutefois, si les voitures deviennent trop visibles, au détriment des magasins, l'effet produit se révèle contre-productif.

La question récurrente de la publicité pourrait passer pour un sujet dépassé. Or nous sommes tous inondés de publicité, entre autres sur nos smartphones. A l'heure du numérique, des GPS et des réseaux sociaux, les panneaux publicitaires tendent peu à peu à disparaître. En outre, les vrais prescripteurs sont en réalité les clients. A tel point que certaines marques s'efforcent de mettre en place des contre-réseaux afin de lutter contre leur mauvaise réputation sur les réseaux sociaux.

Source : D. Mangin

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Le court métrage « logorama », réalisé par de jeunes vidéastes illustre la question d’une façon intéressante. Il aborde le sujet des boîtes en montrant que les formes et les couleurs ne représentent pas le cœur du problème. Notre défi consiste à savoir si nous sommes capables de créer un modèle d'organisation urbaine qui puisse accepter des évolutions, des programmations différentes, tout en conservant la visibilité parfois souhaitée par le commerce. Néanmoins, le commerce préfère de temps à autre choisir une autre stratégie, à savoir présenter des boîtes aveugles, fermées, sans vitrines, dans lesquelles un univers s'offre aux clients, tel l'univers de la nature pour des clients habitant la ville, et vice et versa. La représentation de la ville qu’ils proposent me plaît parce qu'elle exprime bien l'idée que la couleur et la publicité n'occupent pas le cœur du débat ; l'organisation urbaine prime avant tout.

• Les nouveaux concepts

J'aimerais maintenant attaquer un des sujets les plus délicats, qui me tient particulièrement à cœur. Il s'agit, dans le monde du grand commerce, des « nouveaux concepts », même si le mot

« concept » est trop souvent utilisé, à tort ou à raison.

Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois, s'est beaucoup intéressé aux affaires des centres commerciaux. Il commençait souvent ses conférences par une petite plaisanterie. Un jour, il reçoit une personne qui expose son projet, lequel était de s'installer sur la route pour vendre des moules et des frites. Jean-Pierre Sueur exprime son accord mais à la seule condition que le demandeur suive un « concept », c’est-à-dire que son installation soit dotée d’un toit en pente, de couleur verte. Aujourd’hui, vous connaissez tous la marque dont il est question.

L'utilisation du mot concept me semble abusive. Dans la période actuelle, émergent de nouvelles formes de commerce, toujours plus grandes. Toutes ont en commun une entière dépendance à d'immenses aires de parkings, soit à l'intérieur comme dans les systèmes Atoll, soit à l'extérieur dans le système des retail parks. En bref, le problème de la dépendance automobile est loin d'être résolu et ne constitue pas ce que j'appellerai un nouveau concept. En effet, le système peut changer de format, d'organisation formelle ou d'architecture, il n'empêche que le concept de base, notamment du point de vue des politiques publiques, reste entier.

• Les transports en commun

Le tramway s'est imposé dans de nombreuses villes grâce à certains maires qui ont décidé de ne choisir que les enseignes acceptant le tramway, même s'il s'agissait de programmes en périphérie.

Une fois ce choix effectué, ils ont constaté que les chiffres d'affaires étaient en hausse. Par la suite, plusieurs communes ont voulu également installer un tramway. Nous pouvons évoquer notamment Mériadeck, un quartier de Bordeaux, même s'il est situé plus près du centre-ville que dans d'autres exemples. Avant l'arrivée du tramway, à 70 % les habitants se rendaient à Mériadeck en voiture.

Maintenant, ils viennent à 70 % en tram. Il y a donc eu un changement très net.

• La mutation des friches

Plusieurs critères permettent de mesurer les marges de négociation avec les enseignes, avant d'envisager la mutation d'une zone commerciale. Ce travail d’analyse, réalisé avec le bureau d’études CVL, s'avère très utile aux aménageurs. Les indices de mutabilité peuvent se trouver dans la nature du commerce, son positionnement par rapport à l'offre existant sur la zone et sur la ville, l'aspect général du bâtiment, la qualité de son accessibilité, sa marginalité dans les secteurs thématiques et enfin la distinction précise des propriétaires et des exploitants. Ce dernier point rejoint souvent, notamment pour les plus petits commerces, l'héritage et la retraite. Ainsi, ces critères regroupent les questions essentielles liées à la mutation des zones commerciales.

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Le grand Paris

Je souhaite maintenant vous montrer plusieurs exemples reliés au Grand Paris parce que ce sujet m'intéresse au plus haut point. Le Grand Paris présente des situations très différentes d'une zone à l'autre. On prévoit encore d’y créer d'immenses centres commerciaux dont certains, qui remportent un grand succès, sont desservis par le RER (ce qui est très positif), quand d'autres le sont par de grands parkings. L'inventaire de l’architecte Philippe Gazeau, qui dirige l’une des équipes de l’Atelier du Grand Paris, montre plusieurs millions de m2 de surface de parkings sur l'ensemble de la périphérie parisienne. Cette abondance offre une marge de manœuvre, si on les mutualisait davantage, pour créer du foncier à aménager.

Les situations des villes de périphérie sont très différentes les unes des autres. Nous allons voir deux exemples.

• L'exemple de Montigny-lès-Cormeilles

Source : D. Mangin

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Nous allons étudier le cas de Montigny-lès-Cormeilles. Jean-Noël Carpentier pourra ensuite prendre le relais. Cette commune est divisée en trois parties, respectivement un village coupé par une autoroute, une grande Zup installée autour d'un centre commercial de première génération, Continent, devenu par la suite un Carrefour, et un quartier près de la gare. Trois entités très marquées se côtoient, séparés par une autoroute et une départementale : la zone pavillonnaire, le vieux Montigny et un grand centre commercial.

Pour travailler sur ce projet, avec Jean-Noël Carpentier, je me suis rendu à Montigny il y a déjà plusieurs années. Cette commune se situe sur la route d'Herblay. Certains d'entre vous la connaissent peut-être. Dans ce grand centre commercial, particulièrement saturé, il est possible de trouver cinq opticiens, les uns à la suite des autres, chacun avec son parking séparé. La zup est en base et la zone grise représente le Carrefour actuel. Compte tenu de la complexité de la situation de cette commune, nous avons élaboré ensemble un projet. De fait, le modèle « no parking visible, no business » semble si ancré dans notre société que personne n'imagine d'autres alternatives. Grâce à notre expérience auprès des sept maires avec lesquels nous avons travaillé, nous avons compris à quel point il est essentiel de leur montrer des projets présentant des schémas alternatifs. Ils réalisaient ainsi qu'une autre organisation était possible. A Montigny, un parking à deux niveaux se situait juste en face du centre commercial. Dans le cadre de ce projet, nous avons voulu donner de la visibilité au centre commercial et créer une vraie place commerciale publique, avec des solutions différentes pour intégrer des places de parking. L'objectif poursuivi était double : d’une part créer une nouvelle identité pour la commune autour de ce centre commercial, et d’autre part de diminuer la circulation automobile. Pour cela, nous avons introduit des logements le long de la nationale, fabriqué un cinéma et placé le début de la grande place commerciale sur la départementale.

• L'exemple de Rosny 2

Source : D. Mangin

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Rosny 2 est situé à l'intersection de l'A3 et de l'A86. Le centre commercial de Rosny 2, géré par Unibail, est entouré d'un parking gigantesque. Véritable point de rencontre pour les trois cités voisines, il remporte un franc succès dans la région. Deux stations de métro de la ligne 11 permettront de s'y rendre encore plus rapidement. Nous nous efforçons, quant à nous, de trouver de la place pour construire les 70 000 logements par an prévus, ce qui n'est pas simple. La mutation se révélerait dans ce cas trop complexe, compte tenu du succès de ce centre commercial. Cet exemple illustre bien le problème des grandes firmes. Dans leur système de planification, de commercialisation et de développement, il leur semble plus intéressant de continuer à capitaliser plutôt que d'investir dans une mutation. Nous constatons dès lors de fortes contradictions entre les politiques publiques et les logiques des opérateurs. Il a donc été proposé de se rencontrer pour réfléchir aux moyens de tirer profit de cette situation exceptionnelle ainsi que des investissements dans les transports en commun, très bénéfiques pour le centre commercial. J'ai tenté de trouver des solutions pour Rosny 2.

Concernant les parkings de la semaine, je propose de les placer en accès direct du rez-de-chaussée puis de densifier progressivement autour. Je ne vais pas exposer les détails du projet mais nous obtenons ainsi des surfaces considérables dans un lieu stratégique. En terme commercial, il me semble qu'à Montigny, 15 % des personnes de la Zup se rendent au centre commercial. Avec ce type de projet pour Rosny 2, nous pourrions également atteindre ce type de pourcentage en clientèle captive. En conclusion, nous pouvons parfaitement participer à l'évolution de situations semblables à celles de Rosny 2.

• Le triangle de Gonesse

Je souhaite vous parler d'un autre projet, qui concerne un endroit stratégique pour la région parisienne. Puisque je fais partie de l'AIGP (Atelier International du Grand Paris), j'estime important de me tenir au courant de tous les projets en cours et à venir. Il s’agit du Triangle de Gonesse, une grande plaine agricole aux portes de Paris : L'autoroute A1 traverse le site du nord au sud : le site du Bourget se situe en bas à gauche, Villepinte à droite et Roissy en haut.

Au départ Il y avait le projet de prolonger le RER D qui devait relier Gonesse, Villepinte et Roissy.

Puis est venu le projet de Grand Paris Express est venu se substituer au barreau de RER avec une station au cœur les terrains agricoles et des développements urbains autour.

Le grand projet Europacity a emporté l'appel d'offres pour l’urbanisation de ce secteur. Ainsi, à la place du RER, une station du Grand Paris Express sera installée en vis-à-vis au nord du site. Un franchissement sera construit au-dessus de la voie rapide départementale pour assurer un accès privilégié à un grand programme de 800 000 m2 composé d'un tiers de loisirs, un tiers de commerce et un tiers de services. Les détails ne sont pas encore fixés mais l'ensemble a pour vocation de capter un tourisme international, semblable à Eurodisney. Ce projet reste discutable.

Un autre point important à débattre sur ce secteur concerne les terrains d'Aulnay situés en vis- à-vis à l’est au-delà de l’autoroute A1, lesquels appartiennent en grande partie à PSA. De son côté, la mairie d'Aulnay met en place ses propres projets. Par ailleurs il existe des contraintes de bruit ainsi que toute une série d'autres éléments à prendre en compte pour le réinvestissement du site.

Toutefois, nous ne comprenons pas bien pourquoi la station du Grand Paris Express, qui sera construite dans plusieurs années, ne pourrait pas desservir à la fois le sud des terrains de Gonesse et les terrains d'Aulnay. En outre, de nombreuses zones autour de Villepinte ne présentent aujourd’hui pas beaucoup d'intérêt. Le parc des expositions de Villepinte accueille en revanche un très grand nombre de personnes, qui restent souvent deux ou trois jours sur place. Seuls quelques hôtels d'aéroport situés aux alentours animent un peu le site, et le centre commercial Aéroville construit récemment par Unibail a été lancé sans remporter beaucoup de succès.

A mon humble avis, il serait intéressant de déplacer le tracé du Grand Paris express et de repositionner la station un peu plus au sud le long de l’autoroute, afin qu’elle profite aux deux terrains ce qui rendrait la desserte TC plus efficace et préserverait davantage de terres agricoles. Nous pourrions également proposer que certains programmes d'Europacity se développent autour de Villepinte et des complexes hôteliers de Roissy enrichissant ainsi la zone de complémentarités programmatiques. Un des problèmes importants à résoudre lors de l'aménagement de cette zone

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concerne toutefois la surcharge de l'autoroute A1. Une fois de plus, il s'agit d'un conflit entre la desserte automobile des grands centres commerciaux et leur desserte en transports en commun. Si l'on introduit une file dédiée aux bus et aux cars sur l'autoroute A1, comme la direction régionale des routes l'envisage, on pourrait imaginer une gare multimodale avec la station du Grand Paris Express, un pôle parking pour l'entrée sur la capitale et un accès aux différents programmes du côté d'Aulnay comme du côté du sud des terrains de Gonesse.

Sources : Groupe PFE GPE - Grolleron Pauline // Master Métropoles EAVT – D. Mangin et E. Lenack

• La transformation d'Actisud à Metz

Je vais terminer par un des exemples décrits en détail dans notre ouvrage. Il s'agit de la transformation d'Actisud, la grande zone commerciale du sud de Metz. La situation actuelle se définit par une zone de 200 hectares, 5 000 emplois, et deux terrains. L’un, vide, est situé au carrefour de l'allée verte et de la rocade. L’autre terrain appartient à la CDCM.

Certaines zones remportent plus de succès que d'autres. Avec l'aide de Philippe Renoir, qui travaille à mon agence sur ce projet, nous avons réalisé différentes cartes afin de montrer la difficulté d'intervenir sur ce type de zones. De fait, la gouvernance de ces dernières présente un défi très difficile à relever, pour plusieurs raisons, notamment la multiplicité de propriétaires et les quatre communes intéressées par ces terrains. Par ailleurs, l'agglomération de Metz ne souhaitait pas reprendre ces zones, en tout cas au début de l'étude.

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Les instances les plus considérables et parfois même de plus petits opérateurs dictent leurs lois et imposent leurs conditions. Lorsque nous sommes arrivés, deux projets d'extension majeurs coexistaient. Le premier est à l'initiative de la compagnie de Phalsbourg, appelé l'Atoll. Le second consiste à créer un village Oxylane. Ces deux projets de grande envergure, d'environ 30 à 50 hectares chacun, fonctionnent comme des enclaves, des mondes à part. Malgré des qualités certaines, ces complexes restent entièrement dépendants de l'automobile. En effet, un seul bus circule dans cette zone et il roule difficilement le samedi, en raison du trop grand nombre de voitures.

Nous avons mené de nombreuses discussions avec Monsieur Journo, le patron de la compagnie de Phalsbourg mais il avait déjà obtenu son permis de construire. C'est son modèle qui a été choisi.

Ainsi, nous constatons un urbanisme de produit, prônant le concept : « toujours plus grand, toujours plus loin ». Pourtant, nous avons toujours la possibilité d'inciter les décideurs à devenir des moteurs pour trouver des solutions concernant les parties en friche. Malheureusement, la logique qui prévaut consiste à aspirer les enseignes en déclin pour les installer dans les galeries, à condition qu'elles parviennent à payer le loyer. En revanche, aucune solution globale n'est envisagée pour le reste des problèmes tels que les transports en commun, les services, la mixité fonctionnelle. Ce dernier sujet mériterait d'entrer dans les débats.

Source : D. Mangin

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• Conclusion

Je ne vais pas parler de sujets si souvent évoqués dans les colloques des centres commerciaux comme l'évolution du commerce ou la part du e-commerce. Parmi les stratégies dont nous disposons pour réussir, je peux citer les suivantes : fabriquer de la maille ouverte, y compris pour les grands projets, ce qui s'avère tout à fait réalisable ; créer des espaces publics ; introduire des services de type conciergeries dans l’aménagement des zones commerciales, en anticipation d’évolutions vers plus de mixité et ainsi remplir toutes les conditions nécessaires pour l'arrivée des transports en commun.

Certains opérateurs, comme Auchan par exemple, utilisent le slogan : « pas de PC sans TC » (pas de permis de construire s'il n'y a pas de transport en commun). Cependant, cet exemple s'apparente à celui des parkings en silo, c'est pourquoi il faut s'assurer de la mise en place de vrais transports en commun, efficaces, reliés à des entrées de centres commerciaux adaptées. Nous évoquons notamment le projet de créer une gare dans l'une des plus grandes zones de France, à 7 km de Marseille et 7 km d'Aix. Or cette gare serait située à 100 mètres de l'entrée du complexe commercial. Si elle était construite devant l'entrée du centre, elle pourrait se targuer d'une efficacité remarquable pour réduire la part modale de la voiture tout en en attirant de nombreux nouveaux clients potentiels.

En conclusion, je ne vais pas dresser la liste des éléments de méthodes ou des recettes à appliquer que vous trouverez dans notre livre. J'aimerais cependant insister sur l'importance de faire des projets, ce qui suppose de trouver des commanditaires. De fait, il incombe aux grands protagonistes, tels des locomotives commerciales, de donner l'exemple pour les autres, en les guidant sur la bonne route. Nous nous trouvons devant un conflit entre deux instances. D'un côté, les politiques publiques révèlent de fortes contradictions entre elles, puisqu'elles annoncent l'arrivée des transports en commun, la conservation des terres agricoles et la mise en place d'objectifs de santé publique. De l'autre côté, les grands groupes commerciaux suivent des logiques internes très différentes en prenant des positions « toujours plus grand, toujours plus loin ». Il s'agit d'un paradoxe typiquement français, à moins que notre interlocuteur britannique ne nous dise le contraire

Ariella MASBOUNGI

Merci beaucoup David pour ce balayage très savant. Dans la mesure où nous n'avons pas, dans la tribune, de spécialiste du commerce, votre discours sera peut-être conforté tout à l'heure par un échange avec Pascal Madry, qui est véritablement expert dans ce domaine.

J'aimerais insister sur deux idées présentées dans votre exposé. D'une part, nous y voyons le désir de mutualiser différents éléments tels que les parkings ou les fonctions. D'autre part, nous devons éviter à tout prix que les isolats commerciaux se limitent à cette fonction commerciale. Il faut les intégrer dans un projet global, notamment en articulation avec des transports en commun.

Nous allons aborder maintenant, avec Jean-Noël Carpentier cet urbanisme de nationales, avec des commerces installés le long des nationales. Par contre, nous n'allons pas vraiment traiter la question des centres-villes, sauf avec Les Sparks. Pourtant, nous comprenons bien que ces deux questions présentent des liens très étroits. Aujourd'hui, certains centres-villes périclitent mais c'est également le cas de territoires comme celui de Montigny, parce que les opérateurs commerciaux n'y investissent pas ou n’y réinvestissent plus.

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Jean-Noël Carpentier

Député maire de Montigny-lès-Cormeilles

Je suis maire de Montigny-lès-Cormeilles et également député du secteur. Montigny-lès-Cormeilles se trouve dans le Val-d'oise, à environ 30 minutes de Paris en voiture, lorsque la circulation est fluide. Cette petite ville de 20 000 habitants est située au cœur d'une agglomération d'environ 250 000 habitants, l'agglomération du Parisis. Comme David Mangin l'a rappelé, la RD14, une route départementale et commerciale traverse notre commune. Elle s'étend sur 7 km et passe dans quatre villes différentes. Le chiffre d’affaires est estimé entre 1 et 1,5 milliard d'euros alors que le budget de la ville de Montigny, située en zone urbaine sensible, s'élève à 25 millions d’euros. Vous comprenez l'étendue de la contradiction pour un acteur public lorsqu'il doit faire face à des acteurs privés. C'est ce sujet que je souhaite aborder avec vous.

L'ensemble des élus se mobilise pour essayer de résoudre ces questions, puisqu'il s'agit d'un exercice particulièrement difficile. Le chemin est semé d'embûches, de contradictions, de sursauts et parfois même de lassitudes, mais nous nous efforçons de progresser ensemble.

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L'histoire de Montigny-lès-Cormeilles

A la suite de l'émission Complément d'enquête, avec feu Monsieur Duquesne, j'ai souhaité rencontrer David parce qu'il avait évoqué les évolutions de la ville et du commerce. Dans la mesure où nous rencontrions des problèmes similaires à Montigny, j'espérais qu'il pourrait m'aider à trouver des solutions. Bien qu’ayant demandé l'aide d'un architecte urbaniste de renom, je ne m'attendais pas à résoudre d'un seul coup toutes mes difficultés mais je voulais réaliser de véritables avancées dans ma ville. David m'a très rapidement fait part de ses doutes en m'expliquant que la situation était très complexe et nécessitait beaucoup de temps. En tant que maire, élu et acteur public, je rêvais de pouvoir effectuer de vraies transformations pour changer notre commune. Malheureusement, il fallait tenir compte de nombreux paramètres. Sans rentrer dans le détail, la commune de Montigny-lès- Cormeilles dispose d'un faible budget. De ma fenêtre, je peux observer, à 25 mètres, l'hypermarché Carrefour, dont le chiffre d'affaires annuel se situe entre 130 et 150 millions d'euros. A 50 mètres, l'un des plus importants magasins Leroy Merlin du secteur réalise un chiffre d'affaires annuel qui varie entre 100 et 150 millions d'euros. Ensuite, à l'extrémité de la départementale se trouve l'un des premiers magasins Ikea du secteur dont le chiffre d'affaires annuel dépasse 200 millions d'euros. Il en va de même pour Alinéa, situé un peu plus loin et dont le chiffre d'affaires avoisine également 200 millions d'euros. Le plus important Décathlon de la région Ile-de-France s'est aussi installé à Montigny et je ne connais pas son chiffre d'affaires. Outre ces immenses magasins, nous avons vu fleurir une multitude de parcelles, contenant des « boîtes », comme nous l'avons vu tout à l'heure avec David Mangin. A l'intérieur, les clients peuvent trouver toutes sortes d'objets différents comme par exemple des luminaires, des croquettes pour chiens, des vélos… Cette zone, très divisée, ne présente aucune vision commune d'ensemble puisqu'il n'y a pas d’homogénéité. Ainsi, chaque entité dispose d'une entrée et d'un parking séparé.

Grâce à la description que je viens de vous exposer, vous devez mieux comprendre maintenant les enjeux de notre ville et les défis auxquels nous devons faire face. En tant que maire, je me bats pour que ma ville soit reconnue pour tous ses autres atouts, lesquels sont ses 20 000 habitants, une source historique, un petit château, une zone pavillonnaire très agréable, des logements sociaux rénovés… En bref, un travail considérable a été mené à bien sur l’espace public, afin d'appliquer la notion de « bien vivre ensemble ». En revanche, le commerce ne semble plus obéir à aucune règle publique mais se plie seulement à la règle de la rentabilité immédiate. Je n'opposerai jamais, en tant que maire, la ville au commerce. Cette opposition relève d'une conception pauvre et absurde que personne n'approuve, ni David Mangin ni moi. Au contraire, la ville et le commerce sont intimement liés, comme le prouvent nos livres d'histoire. Le commerce, dans l'antiquité comme au Moyen Age, s'est toujours développé en même temps que les villes, à l'intérieur les villes. Cependant, l'équilibre entre la notion du « bien vivre ensemble », la ville et le commerce, reste très fragile et l’argent, la rentabilité peuvent très rapidement créer un déséquilibre. Ainsi, une question essentielle se pose : les acteurs publics, du commerce, réalisent-ils qu'ils ont le pouvoir d'agir ? Après avoir gagné d'importantes sommes d'argent ne serait-il pas temps, pour eux, de réinvestir dans des projets urbains ?

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La création de notre projet urbain

A Montigny-lès-Cormeilles, dans les années 1970, le premier bâtiment construit, avant même les tours, a été le magasin Carrefour. Des images d'archive montrent le centre commercial en construction, alors que les tours n'existaient pas encore. Cependant, 40 ans plus tard, le bâtiment est parfaitement amorti et les dividendes ont été versés aux actionnaires. Il va sans dire que les acteurs économiques, propriétaires de commerce, payent des impôts.

Aujourd'hui, face à l’évolution du commerce et des mœurs, nous ne voulons plus être réduits à notre statut de consommateur. Nous souhaitons être considérés comme des citoyens et comme des consommateurs. L'un n'empêche pas l'autre, nous pouvons le constater sur internet. De fait, les questions actuelles portent sur le lien entre le commerce et l’environnement, ou bien entre le commerce et les droits de l'homme. La mondialisation entraîne des effets négatifs, comme en témoigne l'histoire de cet immeuble au Bangladesh. Le Raza Plaza, un bâtiment de 9 étages, s'est effondré, provocant la mort de 1 000 ouvrières payées moins d'un euro par jour pour fabriquer des tee-shirts vendus en Europe 10 ou 15 euros.

Je suis convaincu que les acteurs publics et les acteurs privés peuvent dessiner ensemble des projets communs pour le bien de la ville. Même si ces grandes idées demeurent un peu naïves, je crois qu'il est possible de les concrétiser un jour, localement. C'est pourquoi je demande aujourd'hui aux différents propriétaires de commerces de mon secteur de participer à un projet commun.

D'ailleurs, grâce à toi David, nous avons élaboré, avec les collègues maires voisins, un projet urbain.

Ce projet d'agglomération rayonne non seulement dans la commune de Montigny-lès-Cormeilles mais également dans les communes voisines, puisqu'il englobe 300 000 habitants. Nous affirmons dans ce projet que le commerce, élément historique de notre territoire, génère des centaines de milliers d'emplois mais qu'il est encore possible d'améliorer cette situation. Pour atteindre cet objectif, nous avons osé, depuis 5 ou 6 ans, proposer aux commerces de réduire la place de la voiture, de développer les transports en commun, de mixer les fonctions en construisant sur notre boulevard commercial des habitations, des lieux de loisirs, des bureaux. Le cas de Montigny-lès-Cormeilles représente un exemple parmi d’autres puisque de nombreuses communes partagent cette même envie de se développer de cette manière. Dans notre ville, le magasin Carrefour que j'ai évoqué précédemment occupe une place prépondérante : il dispose d'une surface de 10 000 m2 sur un total de 250 000 m2 pour l'ensemble de la zone commerciale. Tous les habitants de la ville s'y rendent pour faire leurs courses. Nous souhaitons travailler, dans le cadre de notre projet urbain, sur ce magasin Carrefour. Nous essayons, avec les élus et avec Carrefour, de trouver des solutions ensemble pour améliorer notre espace urbain, même si nous nous heurtons parfois à des contradictions économiques.

Pour conclure, je pense qu’il faut trouver la voie d’un accord entre les investisseurs de commerce et les pouvoirs publics. Or pour parvenir à cet accord, il ne suffit pas d'être de bonne volonté. Pendant cinq ans, je n'avais que cette dernière comme arme, et je me suis rendu compte que les règles administratives françaises n’étaient pas adaptées. Elles ne correspondent pas, en effet, à nos grands objectifs environnementaux ou de développement humain. D'ailleurs, le président de la république a évoqué ce sujet il y a quelques semaines à l'occasion de la conférence COP21. En bref, il s'avère absolument nécessaire de faire évoluer notre législation pour obliger l'ensemble des partenaires à avancer ensemble. Toutes les entités administratives, y compris les pouvoirs publics, l'Etat, les agglomérations, les régions et les départements doivent dégager des fonds publics pour aider ces mutations urbaines. Le résultat ainsi obtenu sera le fruit d'un projet commun, dans lequel chacun aura participé financièrement. Au lieu de grignoter des terres cultivables en banlieue ou en province, il me semble qu'il faudrait avant tout concentrer nos efforts sur les restructurations de certaines zones, sans empêcher les nouveaux centres commerciaux de voir le jour. Il s'agit en tout cas d'un beau projet à développer.

J’ai interrogé récemment le gouvernement à ce sujet et nous souhaitons avancer ensemble, avec quelques députés, pour parvenir à trouver des consensus. La crise économique nous inquiète tous. Or, comme David l'a souligné, le commerce génère des emplois. Cependant, l'emploi ne doit être ni un prétexte, ni une menace. Ainsi, changer le modèle existant ne signifie pas supprimer des

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emplois. Je suis même persuadé de l'inverse. Le respect des règles humaines, de l’environnement, de notre planète, ainsi que le développement des transports en commun représentent des valeurs positives, des objectifs à atteindre. Dans une certaine limite, il me semble que le commerce et la restructuration de ces grands ensembles peuvent également jouer un rôle primordial dans ces projets.

Je vous remercie de votre attention, je crois que j'ai dépassé le temps prévu.

Ariella MASBOUNGI

Monsieur le député maire, si j'ai bien compris, vous lancez un appel à la responsabilité civique des acteurs commerciaux. Vous avez l'impression qu'ils ne partagent pas vos valeurs et ne s'intègrent pas suffisamment au projet de valorisation de votre commune, et au-delà. De votre côté, vous avez réalisé de nombreux efforts et vous demandez, en vain, le réaménagement des espaces déjà rentabilisés afin de servir le bien public. Vous avez interpellé le gouvernement, entrepris de nombreuses actions, sans obtenir de résultat pour l'instant. Cet aboutissement signifie-t-il que les maires en France ne peuvent pas agir sur leur territoire ?

Jean-Noël CARPENTIER

Non. Les maires peuvent agir, mais ils doivent respecter un cadre juridique. C'est pourquoi il faut changer les règles, afin qu'elles ne s'opposent pas à nos grands objectifs nationaux, tels qu'améliorer l'environnement ou appliquer la notion du « vivre ensemble ». Les maires sont porteurs d'une force de motivation, ils peuvent lancer des projets mais il faut ensuite que la législation évolue.

J'estime qu'il est essentiel de modifier considérablement les règles d'urbanisme commercial.

Ariella MASBOUNGI

Cependant, qu'attendez-vous exactement du gouvernement en termes d'évolution législative et des politiques publiques ? Nous nous sommes réunis récemment avec Yves Dauge, vous-même, David Mangin et d’autres pour évoquer ces questions. Yves Dauge pointait la contradiction existant, de son point de vue, entre les politiques publiques (la politique française du développement durable, la protection des centres, la régénération des grands ensembles) et de l'autre côté une trop grande tolérance pour les autorisations commerciales en périphérie, voire en grande périphérie. D'ailleurs nous pourrons demander tout à l'heure à Philippe Schmit, membre de la CNAC, présent dans la salle, quel est le processus pour les autorisations commerciales.

Pouvez-vous nous préciser, concrètement, ce que vous espérez de la part du gouvernement puisque vous l'avez interpellé et que vous attendez des réponses ?

Jean-Noël CARPENTIER

Je ne vais pas détailler ici toutes les mesures qu'il faudrait mettre en place, mais j’évoquerai un élément simple : pourquoi ne pas proposer des ajustements fiscaux pour inciter les partenaires économiques ou les investisseurs à restructurer des centres ? Il me semble que, sur cette question, le rôle joué par l'Etat est essentiel. Par ailleurs, il serait judicieux d'utiliser également le levier fiscal, qui est un outil très efficace, pour instaurer une surtaxation lorsque trop de terres cultivables sont consommées. Le commerce est loin d'être le plus important consommateur de terres cultivables mais si rien ne change dans la politique actuelle, où trouvera-t-on des terres pour faire pousser nos tomates et nos pommes de terre dans quelques années ? L'Etat doit chercher à rester cohérent avec ses grandes orientations. Par contre, je ne suis pas partisan de taxer encore et encore les acteurs économiques, qui traversent déjà une période difficile.

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Ariella MASBOUNGI

Merci. Maintenant, nous allons étudier une autre situation en Europe, avec Les Sparks. Pour commencer, nous avons cherché d'autres expériences dans les pays voisins, en Suisse par exemple.

Cependant, d'une part la Suisse n'a jamais vraiment développé le commerce périphérique ; d'autre part, elle a sanctuarisé les terres agricoles. Nous avons donc choisi de ne pas utiliser cet exemple, à la fois trop riche, trop puissant et pas assez pédagogique au regard de l’expérience française

Ensuite, nous avons examiné la situation aux Pays-Bas, qui s'est avérée très intéressante. En effet, nous avons constaté une polarisation autour des gares ainsi qu'un investissement immense dans les centres-villes. En ce qui concerne la périphérie, il existe une règle très précise : il est interdit d’y réaliser une opération commerciale si ces produits peuvent trouver place en ville centre. Ces découvertes nous ont donné l'envie d'approfondir cette question aux Pays-Bas. Cependant, il faut avouer que de mon côté j'étais déjà séduite par la Grande-Bretagne, que je connais assez bien. J'ai découvert, grâce à Les Sparks notamment, l’investissement considérable des Britanniques pour développer les centres-villes. Nous avons ainsi effectué récemment une mission pour le CGEDD avec des collègues, ce qui m'a donné l'occasion de retourner à Liverpool où nous avons visité Liverpool one, un centre commercial de 17ha organisé en rues et places tissées avec le tissu urbain existant qui répare les dommages subis par le centre-ville. La Grande-Bretagne, pays très libéral, semble disposer de politiques publiques extrêmement puissantes, comme Les va vous le montrer.

Je souhaite maintenant vous présenter plus précisément le parcours de Les Parks, architecte urbaniste. Je l'ai rencontré lors d'une visite organisée de Birmingham, où il était à l'époque directeur de l'urbanisme. J'étais fascinée par cette ville, prétendue la plus laide de Grande-Bretagne, parce qu'elle avait été en grande partie démolie par la guerre. Deuxième grande ville du pays, Birmingham compte un million d'habitants. Il s'agit d'une ville industrielle, dont l'économie a connu un déclin très net. En outre, elle a subi à la fois les dommages de la guerre et les dommages des urbanistes qui ont construit un périphérique de 400 mètres de diamètre au cœur du centre. La réparation entreprise par les pouvoirs publics, avec l'aide des opérateurs commerciaux, m'a semblé tellement impressionnante que j'ai eu l'idée d'organiser un « atelier urbain » il y a quelques années dans cette ville. Ainsi, nous avons emmené entre 300 personnes visiter Birmingham, comme nous l'avons fait pour New York et Lisbonne.

Peut-être certains d'entre vous étaient-ils présents. L'objectif de ces voyages consiste à découvrir les avancées significatives d'un certain nombre de villes européennes. Le nouveau centre commercial de Birmingham, que Les vous montrera, m'a paru spectaculaire parce qu'il répare les dommages subis par la ville en absorbant le périphérique. Il rétablit également des liens avec le cœur de ville pour le faire revivre. Lorsque nous avons organisé l'atelier, les urbanistes ne comprenaient pas mon admiration. Ils m’ont en effet affirmé qu'en Grande-Bretagne, toute autre solution n'est pas envisageable puisqu'une directive nationale dissuade fortement les villes de créer des centres commerciaux à l'extérieur des centres-villes. Les vous parlera plus en détail de cette directive.

Les Sparks a conduit la direction de l’urbanisme de Bath, magnifique ville patrimoniale que certains d'entre vous doivent connaître, de 1980 à 1991 puis de Birmingham entre 1991 et 1999 au moment de la régénération urbaine. D'ailleurs, lorsque j'ai dirigé un livre bilingue sur le projet urbain, j'ai découvert ce terme britannique très intéressant : « Urban renaissance ». L'utilisation du mot français « renaissance » montre bien que l'objectif consiste à faire renaître ce qui existe déjà, la ville héritée de l’histoire. En France, nous cherchons plutôt à mieux développer les extensions urbaines.

Les Sparks a beaucoup contribué à cette régénération et a notamment conduit toutes les opérations avec le privé. Il pourra d'ailleurs vous confirmer que le partenariat entre le public et le privé exige des politiques publiques fortes. Avec Les, nous avons, suite à l’atelier de projet urbain, produit un ouvrage blingue appelé « Faire la ville en partenariat. »

Les Sparks était également un membre très actif du conseil d'administration de CABE, la Commission pour l’architecture et l'environnement bâti. Créé par le gouvernement travailliste pour aider les villes à s'embellir, cet organisme est très puissant. Vers 2010, la CABE devient moins influente, en raison de la baisse des subventions gouvernementales. En parallèle, Les a beaucoup

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travaillé pour des commissions gouvernementales, ainsi que pour une structure gouvernementale appelée English Heritage, qui intervient sur les questions patrimoniales dans les cœurs de ville.

Les Sparks est également expert pour Heritage Lottery Fund, l'un des distributeurs de fonds de la loterie nationale, et la plus importante source de financement pour le patrimoine. Nous avons délibérément omis cette information dans l’invitation, trop difficile à comprendre. En effet, la loterie mobilise des experts qui doivent produire des rapports qui orientent la décision d’investir face à des projets locaux.

J’en profite pour vous présenter également un autre livre, que vous trouverez en vente ici. Il représente le fruit d'un autre atelier de projet urbain que j'avais organisé, appelé Réaménager les rez- de-chaussée de la ville. Il évoque le thème des centres-villes en détail, que nous ne ferons que survoler aujourd'hui. En effet, le sujet de ces Matinées porte avant tout sur la manière dont le commerce peut fabriquer la ville et sur les réparations des entrées de ville, sujet à propos duquel sont intervenus Bernard Reichen et David Mangin.

Bernard Reichen, ici présent, grand prix de l'urbanisme, a beaucoup travaillé sur cette tentative de reconquête à Montpellier et David a fait de même pour Saint-Etienne et pour d'autres territoires. Maintenant je suis très heureuse d’accueillir Les Sparks. Grâce à lui, j'ai pu comprendre cet urbanisme très particulier que vous allez découvrir et qui donne la priorité aux centres-villes.

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Les Sparks

architecte urbaniste britannique

Je vais d'abord vous dire quelques mots en français. Pour moi, c’est difficile de parler en français, mais c'est encore plus difficile pour vous de me comprendre, donc je préfère parler en anglais. Deux interprètes sont à votre disposition et je dois dire qu'ils travaillent très bien puisqu'ils ont déjà traduit exclusivement pour moi les deux orateurs précédents. Maintenant, ils vont traduire mon exposé pour vous tous. Parler en anglais sera plus efficace et plus démocratique. J'en profite pour remercier les interprètes. J'espère réussir à faire fonctionner cet engin.

Mon intervention d'aujourd'hui porte sur la politique britannique en matière d’urbanisme. En effet, depuis ces vingt dernières années, un consensus politique existe en Grande-Bretagne, qui donne la priorité aux centres villes. Ensuite, j’évoquerai la conception du développement du commerce dans les centres-villes. Pour aborder ce sujet, je citerai l’exemple de deux petites villes historiques, Exeter et Bath, et de deux plus grandes, qui sont Liverpool et Birmingham.

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La priorité aux centres-villes

• Histoire de l'urbanisme en Grande-Bretagne

La planification, en Grande-Bretagne, s’est développée immédiatement après la guerre. Les quatre villes dont j’ai parlé, après avoir été bombardées, ont décidé de lancer très rapidement, dès la fin de la guerre, des plans de reconstruction. Bath et Exeter, deux villes historiques, ont été bombardées par la Luftwaffe, qui cherchait à détruire quelques les villes historiques de Grande- Bretagne, afin de démoraliser les Anglais. En 1945, un plan a été élaboré pour le développement futur de Bath. Une diapositive décrit notamment les nouveaux magasins, qui devaient se situer impérativement à côté des magasins existants. Pendant trente ans, l'urbanisme britannique a respecté la règle selon laquelle les nouveaux magasins devaient être construits le plus proche possible des magasins existants. Cette directive a été adoptée pendant trente ans. Cependant, trente ans plus tard, cette politique a été modifiée pour accorder à ceux qui le souhaitaient l'autorisation de construire des magasins ou des centres commerciaux à l'extérieur des villes, en périphérie.

J'imagine que vous connaissez Mme Thatcher ? Elle a initié des politiques visant à privatiser, déréguler les industries, ce qui a abouti à la fermeture de nombreuses entreprises. Le secteur manufacturier a commencé à décliner et la récession économique s'est installée. Le gouvernement, pour lutter contre cette récession, a mis sur pied des zones d’entreprises urbaines et surtout une législation fiscale adaptée afin de stimuler la régénération de ces zones. Les règles normales de planification ne devaient pas être appliquées dans ces zones. Une nouvelle forme d'urbanisme a été lancée, imposée aux collectivités locales. Une usine à Sheffield a ainsi été fermée à cause de la récession économique. Elle est devenue une friche industrielle puis a été remplacée par Meadowhall, un centre commercial de périphérie, composé de 12 000 places de parkings gratuites, d'un accès direct à l'autoroute et de 270 magasins. Plusieurs centres commerciaux de ce type ont été construits à la même époque en périphérie urbaine. Cette évolution a provoqué un impact tragique sur les centres-villes existants. De nombreux magasins ont dû fermer, les rues devenaient petit à petit désaffectées, délabrées. Les habitants ont alors commencé à s'inquiéter sérieusement.

En 1987, nous avons reçu le rapport Brundtland, avec l'apparition de la notion de développement durable, puis le Sommet de la Terre a eu lieu en 1992 à Rio. C'est ainsi que les priorités ont peu à peu changé, le développement durable revêtant une importance capitale. En 1993, la politique gouvernementale a été infléchie et le gouvernement a décidé peu à peu de protéger les centres-villes et de résister aux centres commerciaux implantés en périphérie. L'année 1995 sera celle du tournant. Le gouvernement de John Major a alors pris des initiatives pour réinvestir les centres-villes ; l’amélioration de la qualité et de l'attractivité des centres-villes est devenue une priorité. Cette année a marqué le début d'un consensus politique de vingt années. Tous les partis politiques étaient d'accord sur ce point : en Grande-Bretagne les centres-villes devaient être prioritaires.

En 1996, une nouvelle directive gouvernementale a été adoptée, la directive du gouvernement en matière d'urbanisme. Son objectif se décline en quatre points : promouvoir le centre-ville en tant que cœur économique et social de la communauté, adopter une politique de gestion des centres- villes prudente, réfléchir, pour les collectivités locales, aux prix des places de parkings et enfin accorder une plus grande attention à l'urbanisme et à la conception urbaine. Nous avons décidé qu'il était essentiel de promouvoir la vitalité et la diversité de nos centres-villes. Pour atteindre cet objectif, il fallait, entre autres, développer une mixité d'utilisation et protéger les marchés traditionnels. Nous souhaitions que les centres-villes soient animés et occupés 24 heures sur 24.

• L'exemple de Birmingham

En 1974, à Birmingham, ma ville, deux attentats à la bombe provoquèrent la mort de 21 jeunes dans deux pubs. A la suite de ces événements, les habitants refusaient de se rendre en ville le soir, ils estimaient que c'était trop dangereux. Le centre-ville est alors devenu triste et noir, les magasins fermaient plus tôt. Les citoyens rentraient directement chez eux et ne sortaient plus le soir, seuls

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fermaient plus tôt. Les citoyens rentraient directement chez eux et ne sortaient plus le soir, seuls quelques rebelles continuaient à fréquenter le centre-ville de temps en temps. La démolition des taudis et des logements mal construits du centre-ville a contribué à l’exode des habitants. Ils sont partis s'installer dans des banlieues proches ou à la périphérie, dans des HLM.

Dans les années 1990, plus personne ne vivait dans le centre-ville de Birmingham et nous avons dû faire face à un défi considérable : comment convaincre la population de revenir dans le centre ? Il fallait que le centre-ville redevienne un endroit animé, proposant des restaurants, des hôtels, des galeries d'art et des espaces publics pour les habitants. En 2010, à la suite des élections générales, est apparu un nouveau gouvernement de coalition entre les conservateurs et les libéraux démocrates.

Ce gouvernement a décidé de revoir toutes les politiques d'urbanisme, avec l'intention de simplifier le système de planification pour le rendre plus utile pour les développeurs. Les conservateurs ont adopté alors une nouvelle politique en matière d'urbanisme en 2012. Certaines politiques, considérées comme négatives pour l'économie parce qu'elles endigueraient la croissance, ont été abandonnées. En revanche, le gouvernement est resté fidèle au principe de la priorité donnée au centre-ville et il a mis en place le « test séquentiel. » Il s'agit d'un élément clé pour résoudre les problèmes évoqués par le maire de Montigny tout à l'heure.

• Le test séquentiel

Je vais vous expliquer en quoi consiste le test séquentiel. Les urbanistes doivent d'abord étudier leur centre-ville et mesurer sa superficie. Il s’agit de définir ce qu’on entend par « centre- ville ». Ensuite, il leur faut promouvoir plusieurs lieux de développement au sein du centre-ville et seuls les projets faisant preuve d'un urbanisme de bonne qualité se verront accorder des autorisations de construire dans le secteur. Les investisseurs n'ont le droit d'examiner des propositions destinées à la périphérie que s'il est prouvé qu'aucun emplacement ne convient dans le centre-ville. Dans ces cas seulement, certains projets peuvent obtenir une autorisation, à condition d'apporter une réelle valeur ajoutée et d'être situé à une distance raisonnable des villes. Les propositions de développement en périphérie sont le plus souvent rejetées, sauf s'il est prouvé que le site en périphérie s'avère plus adapté au projet et qu'aucune surface similaire n'est disponible dans le centre-ville. En outre, pour obtenir un emplacement en dehors du centre-ville, les opérateurs doivent produire une évaluation, afin de mesurer l'impact de leur projet situé en périphérie sur la vitalité du centre-ville et sur le détournement du commerce. Cette évaluation étudie également l’impact du projet sur les programmes ou propositions initiés par des entreprises publiques ou privées dans les cinq années à venir. Par exemple, le projet aura-t-il une influence sur la fréquentation des magasins du centre-ville ou sur leur fermeture éventuelle ? Il est nécessaire d'examiner aussi l'accessibilité du nouveau complexe, l'utilisation des véhicules et la circulation à venir dans cette zone. En bref, comme vous l'avez compris, il existe toujours un risque de refus et les autorisations d'urbanisme accordées pour ce type de projet en périphérie demeurent très rares.

Dans tous les cas, l’opération doit se situer sur d’anciennes friches et non sur des terrains non bâtis, être desservie par des transports en commun et FABRIQUER DU TISSU URBAIN.

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