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La création de notre projet urbain

A Montigny-lès-Cormeilles, dans les années 1970, le premier bâtiment construit, avant même les tours, a été le magasin Carrefour. Des images d'archive montrent le centre commercial en construction, alors que les tours n'existaient pas encore. Cependant, 40 ans plus tard, le bâtiment est parfaitement amorti et les dividendes ont été versés aux actionnaires. Il va sans dire que les acteurs économiques, propriétaires de commerce, payent des impôts.

Aujourd'hui, face à l’évolution du commerce et des mœurs, nous ne voulons plus être réduits à notre statut de consommateur. Nous souhaitons être considérés comme des citoyens et comme des consommateurs. L'un n'empêche pas l'autre, nous pouvons le constater sur internet. De fait, les questions actuelles portent sur le lien entre le commerce et l’environnement, ou bien entre le commerce et les droits de l'homme. La mondialisation entraîne des effets négatifs, comme en témoigne l'histoire de cet immeuble au Bangladesh. Le Raza Plaza, un bâtiment de 9 étages, s'est effondré, provocant la mort de 1 000 ouvrières payées moins d'un euro par jour pour fabriquer des tee-shirts vendus en Europe 10 ou 15 euros.

Je suis convaincu que les acteurs publics et les acteurs privés peuvent dessiner ensemble des projets communs pour le bien de la ville. Même si ces grandes idées demeurent un peu naïves, je crois qu'il est possible de les concrétiser un jour, localement. C'est pourquoi je demande aujourd'hui aux différents propriétaires de commerces de mon secteur de participer à un projet commun.

D'ailleurs, grâce à toi David, nous avons élaboré, avec les collègues maires voisins, un projet urbain.

Ce projet d'agglomération rayonne non seulement dans la commune de Montigny-lès-Cormeilles mais également dans les communes voisines, puisqu'il englobe 300 000 habitants. Nous affirmons dans ce projet que le commerce, élément historique de notre territoire, génère des centaines de milliers d'emplois mais qu'il est encore possible d'améliorer cette situation. Pour atteindre cet objectif, nous avons osé, depuis 5 ou 6 ans, proposer aux commerces de réduire la place de la voiture, de développer les transports en commun, de mixer les fonctions en construisant sur notre boulevard commercial des habitations, des lieux de loisirs, des bureaux. Le cas de Montigny-lès-Cormeilles représente un exemple parmi d’autres puisque de nombreuses communes partagent cette même envie de se développer de cette manière. Dans notre ville, le magasin Carrefour que j'ai évoqué précédemment occupe une place prépondérante : il dispose d'une surface de 10 000 m2 sur un total de 250 000 m2 pour l'ensemble de la zone commerciale. Tous les habitants de la ville s'y rendent pour faire leurs courses. Nous souhaitons travailler, dans le cadre de notre projet urbain, sur ce magasin Carrefour. Nous essayons, avec les élus et avec Carrefour, de trouver des solutions ensemble pour améliorer notre espace urbain, même si nous nous heurtons parfois à des contradictions économiques.

Pour conclure, je pense qu’il faut trouver la voie d’un accord entre les investisseurs de commerce et les pouvoirs publics. Or pour parvenir à cet accord, il ne suffit pas d'être de bonne volonté. Pendant cinq ans, je n'avais que cette dernière comme arme, et je me suis rendu compte que les règles administratives françaises n’étaient pas adaptées. Elles ne correspondent pas, en effet, à nos grands objectifs environnementaux ou de développement humain. D'ailleurs, le président de la république a évoqué ce sujet il y a quelques semaines à l'occasion de la conférence COP21. En bref, il s'avère absolument nécessaire de faire évoluer notre législation pour obliger l'ensemble des partenaires à avancer ensemble. Toutes les entités administratives, y compris les pouvoirs publics, l'Etat, les agglomérations, les régions et les départements doivent dégager des fonds publics pour aider ces mutations urbaines. Le résultat ainsi obtenu sera le fruit d'un projet commun, dans lequel chacun aura participé financièrement. Au lieu de grignoter des terres cultivables en banlieue ou en province, il me semble qu'il faudrait avant tout concentrer nos efforts sur les restructurations de certaines zones, sans empêcher les nouveaux centres commerciaux de voir le jour. Il s'agit en tout cas d'un beau projet à développer.

J’ai interrogé récemment le gouvernement à ce sujet et nous souhaitons avancer ensemble, avec quelques députés, pour parvenir à trouver des consensus. La crise économique nous inquiète tous. Or, comme David l'a souligné, le commerce génère des emplois. Cependant, l'emploi ne doit être ni un prétexte, ni une menace. Ainsi, changer le modèle existant ne signifie pas supprimer des

emplois. Je suis même persuadé de l'inverse. Le respect des règles humaines, de l’environnement, de notre planète, ainsi que le développement des transports en commun représentent des valeurs positives, des objectifs à atteindre. Dans une certaine limite, il me semble que le commerce et la restructuration de ces grands ensembles peuvent également jouer un rôle primordial dans ces projets.

Je vous remercie de votre attention, je crois que j'ai dépassé le temps prévu.

Ariella MASBOUNGI

Monsieur le député maire, si j'ai bien compris, vous lancez un appel à la responsabilité civique des acteurs commerciaux. Vous avez l'impression qu'ils ne partagent pas vos valeurs et ne s'intègrent pas suffisamment au projet de valorisation de votre commune, et au-delà. De votre côté, vous avez réalisé de nombreux efforts et vous demandez, en vain, le réaménagement des espaces déjà rentabilisés afin de servir le bien public. Vous avez interpellé le gouvernement, entrepris de nombreuses actions, sans obtenir de résultat pour l'instant. Cet aboutissement signifie-t-il que les maires en France ne peuvent pas agir sur leur territoire ?

Jean-Noël CARPENTIER

Non. Les maires peuvent agir, mais ils doivent respecter un cadre juridique. C'est pourquoi il faut changer les règles, afin qu'elles ne s'opposent pas à nos grands objectifs nationaux, tels qu'améliorer l'environnement ou appliquer la notion du « vivre ensemble ». Les maires sont porteurs d'une force de motivation, ils peuvent lancer des projets mais il faut ensuite que la législation évolue.

J'estime qu'il est essentiel de modifier considérablement les règles d'urbanisme commercial.

Ariella MASBOUNGI

Cependant, qu'attendez-vous exactement du gouvernement en termes d'évolution législative et des politiques publiques ? Nous nous sommes réunis récemment avec Yves Dauge, vous-même, David Mangin et d’autres pour évoquer ces questions. Yves Dauge pointait la contradiction existant, de son point de vue, entre les politiques publiques (la politique française du développement durable, la protection des centres, la régénération des grands ensembles) et de l'autre côté une trop grande tolérance pour les autorisations commerciales en périphérie, voire en grande périphérie. D'ailleurs nous pourrons demander tout à l'heure à Philippe Schmit, membre de la CNAC, présent dans la salle, quel est le processus pour les autorisations commerciales.

Pouvez-vous nous préciser, concrètement, ce que vous espérez de la part du gouvernement puisque vous l'avez interpellé et que vous attendez des réponses ?

Jean-Noël CARPENTIER

Je ne vais pas détailler ici toutes les mesures qu'il faudrait mettre en place, mais j’évoquerai un élément simple : pourquoi ne pas proposer des ajustements fiscaux pour inciter les partenaires économiques ou les investisseurs à restructurer des centres ? Il me semble que, sur cette question, le rôle joué par l'Etat est essentiel. Par ailleurs, il serait judicieux d'utiliser également le levier fiscal, qui est un outil très efficace, pour instaurer une surtaxation lorsque trop de terres cultivables sont consommées. Le commerce est loin d'être le plus important consommateur de terres cultivables mais si rien ne change dans la politique actuelle, où trouvera-t-on des terres pour faire pousser nos tomates et nos pommes de terre dans quelques années ? L'Etat doit chercher à rester cohérent avec ses grandes orientations. Par contre, je ne suis pas partisan de taxer encore et encore les acteurs économiques, qui traversent déjà une période difficile.

Ariella MASBOUNGI

Merci. Maintenant, nous allons étudier une autre situation en Europe, avec Les Sparks. Pour commencer, nous avons cherché d'autres expériences dans les pays voisins, en Suisse par exemple.

Cependant, d'une part la Suisse n'a jamais vraiment développé le commerce périphérique ; d'autre part, elle a sanctuarisé les terres agricoles. Nous avons donc choisi de ne pas utiliser cet exemple, à la fois trop riche, trop puissant et pas assez pédagogique au regard de l’expérience française

Ensuite, nous avons examiné la situation aux Pays-Bas, qui s'est avérée très intéressante. En effet, nous avons constaté une polarisation autour des gares ainsi qu'un investissement immense dans les centres-villes. En ce qui concerne la périphérie, il existe une règle très précise : il est interdit d’y réaliser une opération commerciale si ces produits peuvent trouver place en ville centre. Ces découvertes nous ont donné l'envie d'approfondir cette question aux Pays-Bas. Cependant, il faut avouer que de mon côté j'étais déjà séduite par la Grande-Bretagne, que je connais assez bien. J'ai découvert, grâce à Les Sparks notamment, l’investissement considérable des Britanniques pour développer les centres-villes. Nous avons ainsi effectué récemment une mission pour le CGEDD avec des collègues, ce qui m'a donné l'occasion de retourner à Liverpool où nous avons visité Liverpool one, un centre commercial de 17ha organisé en rues et places tissées avec le tissu urbain existant qui répare les dommages subis par le centre-ville. La Grande-Bretagne, pays très libéral, semble disposer de politiques publiques extrêmement puissantes, comme Les va vous le montrer.

Je souhaite maintenant vous présenter plus précisément le parcours de Les Parks, architecte urbaniste. Je l'ai rencontré lors d'une visite organisée de Birmingham, où il était à l'époque directeur de l'urbanisme. J'étais fascinée par cette ville, prétendue la plus laide de Grande-Bretagne, parce qu'elle avait été en grande partie démolie par la guerre. Deuxième grande ville du pays, Birmingham compte un million d'habitants. Il s'agit d'une ville industrielle, dont l'économie a connu un déclin très net. En outre, elle a subi à la fois les dommages de la guerre et les dommages des urbanistes qui ont construit un périphérique de 400 mètres de diamètre au cœur du centre. La réparation entreprise par les pouvoirs publics, avec l'aide des opérateurs commerciaux, m'a semblé tellement impressionnante que j'ai eu l'idée d'organiser un « atelier urbain » il y a quelques années dans cette ville. Ainsi, nous avons emmené entre 300 personnes visiter Birmingham, comme nous l'avons fait pour New York et Lisbonne.

Peut-être certains d'entre vous étaient-ils présents. L'objectif de ces voyages consiste à découvrir les avancées significatives d'un certain nombre de villes européennes. Le nouveau centre commercial de Birmingham, que Les vous montrera, m'a paru spectaculaire parce qu'il répare les dommages subis par la ville en absorbant le périphérique. Il rétablit également des liens avec le cœur de ville pour le faire revivre. Lorsque nous avons organisé l'atelier, les urbanistes ne comprenaient pas mon admiration. Ils m’ont en effet affirmé qu'en Grande-Bretagne, toute autre solution n'est pas envisageable puisqu'une directive nationale dissuade fortement les villes de créer des centres commerciaux à l'extérieur des centres-villes. Les vous parlera plus en détail de cette directive.

Les Sparks a conduit la direction de l’urbanisme de Bath, magnifique ville patrimoniale que certains d'entre vous doivent connaître, de 1980 à 1991 puis de Birmingham entre 1991 et 1999 au moment de la régénération urbaine. D'ailleurs, lorsque j'ai dirigé un livre bilingue sur le projet urbain, j'ai découvert ce terme britannique très intéressant : « Urban renaissance ». L'utilisation du mot français « renaissance » montre bien que l'objectif consiste à faire renaître ce qui existe déjà, la ville héritée de l’histoire. En France, nous cherchons plutôt à mieux développer les extensions urbaines.

Les Sparks a beaucoup contribué à cette régénération et a notamment conduit toutes les opérations avec le privé. Il pourra d'ailleurs vous confirmer que le partenariat entre le public et le privé exige des politiques publiques fortes. Avec Les, nous avons, suite à l’atelier de projet urbain, produit un ouvrage blingue appelé « Faire la ville en partenariat. »

Les Sparks était également un membre très actif du conseil d'administration de CABE, la Commission pour l’architecture et l'environnement bâti. Créé par le gouvernement travailliste pour aider les villes à s'embellir, cet organisme est très puissant. Vers 2010, la CABE devient moins influente, en raison de la baisse des subventions gouvernementales. En parallèle, Les a beaucoup

travaillé pour des commissions gouvernementales, ainsi que pour une structure gouvernementale appelée English Heritage, qui intervient sur les questions patrimoniales dans les cœurs de ville.

Les Sparks est également expert pour Heritage Lottery Fund, l'un des distributeurs de fonds de la loterie nationale, et la plus importante source de financement pour le patrimoine. Nous avons délibérément omis cette information dans l’invitation, trop difficile à comprendre. En effet, la loterie mobilise des experts qui doivent produire des rapports qui orientent la décision d’investir face à des projets locaux.

J’en profite pour vous présenter également un autre livre, que vous trouverez en vente ici. Il représente le fruit d'un autre atelier de projet urbain que j'avais organisé, appelé Réaménager les rez-de-chaussée de la ville. Il évoque le thème des centres-villes en détail, que nous ne ferons que survoler aujourd'hui. En effet, le sujet de ces Matinées porte avant tout sur la manière dont le commerce peut fabriquer la ville et sur les réparations des entrées de ville, sujet à propos duquel sont intervenus Bernard Reichen et David Mangin.

Bernard Reichen, ici présent, grand prix de l'urbanisme, a beaucoup travaillé sur cette tentative de reconquête à Montpellier et David a fait de même pour Saint-Etienne et pour d'autres territoires. Maintenant je suis très heureuse d’accueillir Les Sparks. Grâce à lui, j'ai pu comprendre cet urbanisme très particulier que vous allez découvrir et qui donne la priorité aux centres-villes.

Les Sparks

architecte urbaniste britannique

Je vais d'abord vous dire quelques mots en français. Pour moi, c’est difficile de parler en français, mais c'est encore plus difficile pour vous de me comprendre, donc je préfère parler en anglais. Deux interprètes sont à votre disposition et je dois dire qu'ils travaillent très bien puisqu'ils ont déjà traduit exclusivement pour moi les deux orateurs précédents. Maintenant, ils vont traduire mon exposé pour vous tous. Parler en anglais sera plus efficace et plus démocratique. J'en profite pour remercier les interprètes. J'espère réussir à faire fonctionner cet engin.

Mon intervention d'aujourd'hui porte sur la politique britannique en matière d’urbanisme. En effet, depuis ces vingt dernières années, un consensus politique existe en Grande-Bretagne, qui donne la priorité aux centres villes. Ensuite, j’évoquerai la conception du développement du commerce dans les centres-villes. Pour aborder ce sujet, je citerai l’exemple de deux petites villes historiques, Exeter et Bath, et de deux plus grandes, qui sont Liverpool et Birmingham.

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