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Quand les gens se lient, les mots s'emmêlent: étude des mécanismes de répartition des pratiques lexicales en réseau peu cohésif

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Quand les gens se lient, les mots s'emmêlent: étude des mécanismes de répartition des pratiques lexicales en réseau peu cohésif

FERNANDEZ, Guillaume

Abstract

Ce travail cherche à mettre en exergue l'importance et l'implication des structures relationnelles et des positions des individus au sein d'un réseau peu cohésif dans la répartition et le partage des pratiques lexicales. Pour ce faire, le réseau de discussions, ainsi que le réseau de relations négatives entre les étudiants et étudiantes du bachelor en sociologie de l'Université de Genève ont été étudiés et mis en lien avec les réalisations lexicales de ces dernières et derniers. Parmi les résultats principaux, on trouve l'importance de la réciprocité dans les discussions, ainsi que celle des relations négatives. Pour ce qui est de la position des individus, une place centrale a des conséquences relatives sur la similarité personnelle des individus et leur appropriation des normes en vigueur.

FERNANDEZ, Guillaume. Quand les gens se lient, les mots s'emmêlent: étude des mécanismes de répartition des pratiques lexicales en réseau peu cohésif. Master : Univ. Genève, 2020

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:139766

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Q UAND LES GENS SE LIENT , LES MOTS

S ’ EMMÊLENT : É TUDE DES MÉCANISMES DE RÉPARTITION DES PRATIQUES LEXICALES EN RÉSEAU PEU COHÉSIF

Guillaume Fernandez Juillet 2020

Mémoire de Master en sociologie

sous la direction du professeur Éric D. Widmer

Université de Genève – Institut de Recherches Sociologiques www.unige.ch/sciences-societe/socio

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Citation conseillée : Fernandez Guillaume (2020), Quand les gens se lient, les mots s’emmêlent : Étude des mécanismes de répartition des pratiques lexicales en réseau peu cohésif, Mémoire de Master, Université de Genève : Institut de recherches sociologiques, mimeo.

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T

ABLE DES MATIÈRES

TABLE DES FIGURES 5

TABLE DES TABLEAUX 7

ACRONYMES 9

1.INTRODUCTION 11

2.ÉTAT DE LA LITTÉRATURE ET NUANCES 13

2.1.LA SPEECH COMMUNITY 13

2.2.LE LANGAGE : ENTRE STRUCTURE RELATIONNELLE ET IDENTITÉ 15

2.2.1. La cohésion du réseau 16

2.2.2. La place de l’individu dans le réseau 19

2.2.3. La qualité des liens et le rapport identitaire 21

2.3.RÉSEAUX PEU COHÉSIFS : UNE RÉALITÉ CONTEMPORAINE POUR LE LANGAGE ? 23

3.DES PRATIQUES LEXICALES EN RÉSEAU PEU COHÉSIF 29

3.1.LE VOCABULAIRE : ENTRE IDENTITÉ ET DYNAMISME 29 3.2.L’UNIVERSITÉ DE GENÈVE ET SES ÉTUDIANT(E)S 31

3.3.MÉTHODES DE RÉCOLTE DE DONNÉES 33

3.3.1. Questions sur le vocabulaire 34

3.3.2. Questions « Réseaux » 35

3.3.3. Questions sociodémographiques 36

3.4.MÉTHODES DANALYSES 36

3.5.ÉCHANTILLON, COHÉSION ET VOCABULAIRES 38

3.5.1. Propriétés du réseau de discussions estudiantin 39

3.5.2. Propriétés du réseau de perceptions négatives 42

3.5.3. Vocabulaires et distributions 44

3.6.VARIABLES DÉPENDANTES LINGUISTIQUES ET VARIABLES DE CONTRÔLE 55

4.DISCUSSIONS ET INTERACTIONS 61

4.1.LA DISCUSSION ET LA RÉCIPROCITÉ COMME VARIABLES EXPLICATIVES 63 4.2.LE SENS DES DISCUSSIONS : LA RÉCIPROCITÉ COMME GARANTE DU PARTAGE DES

PRATIQUES 67

5.POSITIONS DANS LE RÉSEAU 73

5.1.DES CENTRALITÉS DIVERSES COMME VARIABLES EXPLICATIVES 74

5.2.UN RÔLE CENTRAL, MAIS PAS TOUJOURS 79

6.PERCEPTIONS NÉGATIVES 91

6.1.LA PERCEPTION NÉGATIVE COMME VARIABLES EXPLICATIVES 91

6.2.UNE NÉGATIVITÉ POSITIVE ? 97

7.POUR CONCLURE 107

7.1.DE LHARMONIE ET DU RELIEF 107

(5)

7.2.DES MÉCANISMES LEXICAUX RELATIFS 108

7.3.AU-DELÀ DE LA SUBSTANCE 110

7.4.RÉFLEXIONS MÉTHODOLOGIQUES 111

7.5.POUR UN LANGAGE INDIVIDUEL 112

8.BIBLIOGRAPHIE 115

9.ANNEXES 123

ANNEXE 1 :QUESTIONNAIRE 123

ANNEXE 2 :MATRICE DE DISCUSSIONS 129

ANNEXE 3 :MATRICE DE PERCEPTIONS NÉGATIVES 130

ANNEXE 4 :MATRICE DE SIMILARITÉS POUR LE VOCABULAIRE PROPRE À L’UNIGE 131 ANNEXE 5 :MATRICE DE SIMILARITÉS POUR LE VOCABULAIRE EXTRA UNIGE 132

(6)

T

ABLE DES FIGURES

Figure 1 : Résumé pour l’analyse du langage dans une perspective d’analyse de réseau 23 Figure 2 : Types de communautés contemporaines selon Brint (2001) 24

Figure 3 : Visualisation du réseau de discussions 41

Figure 4 : Visualisation de l’homophilie par année dans réseau étudiant 42 Figure 5 : Visualisation du réseau de perceptions négatives 43

Figure 6 : Distribution des mots pour la question Q. 5 45

Figure 7 : Distribution des mots pour la question Q. 6 46

Figure 8 : Distribution des mots pour la question Q. 7 46

Figure 9 : Distribution des mots pour la question Q. 8 47

Figure 10 : Distribution des mots pour les questions Q. 9-10 47

Figure 11 : Distribution des mots pour la question Q. 11 48

Figure 12 : Distribution des mots pour la question Q. 12 48

Figure 13 : Distribution des mots pour la question Q. 13 49

Figure 14 : Distribution des mots pour la question Q. 14 49

Figure 15 : Distribution des mots pour la question Q. 15 50

Figure 16 : Distribution des mots pour la question Q. 16 50

Figure 17 : Distribution des mots pour la question Q. 17 51

Figure 18 : Distribution des mots pour la question Q. 18 51

Figure 19 : Distribution des mots pour la question Q. 19 52

Figure 20 : Distribution des mots pour la question Q. 20 52

Figure 21 : Distribution des mots pour la question Q. 21 53

Figure 22 : Échelle de fragmentation 53

Figure 23 : Résumé de l'individualisation 54

Figure 24 : Rappel, visualisation du réseau de discussions étudiant 64 Figure 25 : Rappel, visualisation de l’homophilie par année dans le réseau étudiant 64

Figure 26 : Réseau de relations réciproques 66

Figure 27 : Combinaison des investissements dans les discussions 75 Figure 28 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la centralité de degré interne et la

centralité d'intermédiarité 77

Figure 29 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la centralité de degré externe et la

centralité d'intermédiarité 77

(7)

Figure 30 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la centralité d'intermédiarité et la

centralité de degré interne 78

Figure 31 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité

de degré externe pour le vocabulaire propre à l’UNIGE 81

Figure 32 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité

de degré interne le vocabulaire propre à l’UNIGE 81

Figure 33 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité

d'intermédiarité le vocabulaire propre à l’UNIGE 82

Figure 34 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité

de degré externe pour le vocabulaire extra UNIGE 83

Figure 35 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité

de degré interne pour le vocabulaire extra UNIGE 84

Figure 36 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité

d'intermédiarité pour le vocabulaire extra UNIGE 85

Figure 37 : Visualisation des étudiant(e)s ayant des scores de similarité personnelle extra UNIGE

et de centralités relativement bas 86

Figure 38 : Rappel, visualisation du réseau de perceptions négatives 92

Figure 39 : Combinaison des perceptions négatives 93

Figure 40 : Scatter plot pour corrélation bivariée entre la perception négative externe et la

centralité de degré externe 95

Figure 41 : Scatter plot pour corrélation bivariée entre la perception négative externe et la

centralité d'intermédiarité 96

Figure 42 : Visualisation des groupes 1 et 2 96

Figure 43 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la perception

négative externe pour le vocabulaire propre à l’UNIGE 99

Figure 44 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la perception

négative interne pour le vocabulaire propre à l’UNIGE 100

Figure 45 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la perception

négative externe pour le vocabulaire extra UNIGE 101

Figure 46 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la perception

négative interne pour le vocabulaire extra UNIGE 101

(8)

T

ABLE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Répartition des étudiantes et étudiants 38

Tableau 2 : Propriétés cohésives du réseau de discussions 41

Tableau 3 : Corrélations QAP pour tester l’homophilie selon les différentes catégories

sociodémographiques 42

Tableau 4 : Propriétés cohésives du réseau de perceptions négatives 43 Tableau 5 : Corrélations QAP entre le réseau de discussions et le réseau de perceptions négatives

44 Tableau 6 : Synthèse fragmentation et individualisation pour le vocabulaire UNIGE et le

vocabulaire extra UNIGE 55

Tableau 7 : Corrélation QAP entre les matrices de similarités et T-test pour moyennes de

similarités personnelles (N=72) 57

Tableau 8 : Corrélations QAP entre les variables de contrôle et les matrices de similarités pour le vocabulaire propre à l’UNIGE et pour le vocabulaire extra UNIGE 58 Tableau 9 : Corrélations bivariées entre les variables de contrôle et les similarités personnelles pour le vocabulaire propre à l’UNIGE et pour le vocabulaire extra UNIGE 59

Tableau 10 : Rappel, propriétés cohésives du réseau 63

Tableau 11 : Rappel, corrélations QAP pour tester l’homophilie selon les différentes catégories

sociodémographiques 65

Tableau 12 : Propriétés cohésives du réseau réciproque comparées au réseau de discussions 66 Tableau 13 : Corrélations QAP pour tester l’homophilie selon les différentes catégories

sociodémographiques dans le réseau de discussions réciproques 67 Tableau 14 : Corrélations QAP pour tester le lien entre liens directs, liens indirects, proximité et réciprocité et matrice de similarités pour le vocabulaire propre à l’UNIGE 68 Tableau 15 : Régressions QAP pour la réciprocité et la matrice de similarités pour le vocabulaire

propre à l’UNIGE 69

Tableau 16 : Corrélations QAP pour tester le lien entre liens directs, liens indirects, proximité et réciprocité et matrice de similarité pour le vocabulaire extra UNIGE 69 Tableau 17 : Régressions QAP pour la réciprocité et la matrice de similarités pour le vocabulaire

extra UNIGE 70

Tableau 18 : Centralité de degré externe, centralité de degré interne, combinaison de centralités,

centralité d’intermédiarité 76

Tableau 19 : Résultats corrélations QAP pour les différentes centralités 77 Tableau 20 : Résultats ANOVA pour les différentes variables sociodémographiques et les

différentes centralités 78

Tableau 21 : Résultats T-test pour les différentes variables sociodémographiques et les différentes

centralités 79

Tableau 22 : Résultats corrélations bivariées entre centralités et similarités personnelles 80 Tableau 23 : Résultats ANOVA pour la similarité personnelle selon les groupes d’investissements

de centralité pour le vocabulaire propre à l’UNIGE 86

(9)

Tableau 24 : Résultats ANOVA pour la similarité personnelle selon les groupes d’investissements

de centralité pour le vocabulaire extra UNIGE 87

Tableau 25 : Rappel des propriétés cohésives du réseau de perceptions négatives 92 Tableau 26 : Centralité de négativité externe, centralité de négativité interne, combinaison des

négativités (N=72) 93

Tableau 27 : Résultats ANOVA pour les différentes variables sociodémographiques et les

différentes centralités 94

Tableau 28 : Corrélations bivariées entre les négativités et les centralités pour l’ensemble du

réseau 95

Tableau 29 : Régression linéaire par permutations entre la perception négative externe et la centralité de degré interne et la centralité d'intermédiarité 97 Tableau 30 : Résultats corrélations QAP entre équivalences et la matrice de similarités 98 Tableau 31 : Résultats corrélations bivariées entre centralités et similarités personnelles 99 Tableau 32 : Régressions linéaires par permutations entre les centralités de négativité et la

similarité personnelle pour le vocabulaire propre à l'UNIGE 103 Tableau 33 : Résultats ANOVA pour la similarité personnelle selon les groupes d’investissements

de centralité pour le vocabulaire propre à l’UNIGE 104

(10)

A

CRONYMES

Adj. R² : Adjusted R-square

LV : Linguistic variable (Variable linguistique) N : Nombre d’individus

NSS : Network strenght scale

OCSTAT : Office cantonal de la statistique du Canton de Genève OLS : Ordinary least square

P : P-value

QAP : Quadratic assignment procedure RTS : Radiotélévision Suisse

SDS : Sciences de la société

SES : Sciences économiques et sociales UNIGE : Université de Genève

(11)
(12)

1. I

NTRODUCTION

Depuis l’étude du Suisse Gauchat (1905) qui a montré l’importance d’étudier le réseau re- lationnel pour comprendre la diversité et la régularité dans le langage, on a vu le nombre de contributions qui ont pris ce postulat s’accroître, notamment avec un regain d’intérêt dans les années 70. Milroy (1987) est la première à avoir explicitement utilisé une analyse de réseau pour observer le langage. Cette méthode est pertinente pour deux raisons : en pre- mier lieu, elle permet de rendre compte de la diversité des pratiques, en étudiant les struc- tures relationnelles et leur implication dans l’innovation et le changement langagier, notam- ment. L’analyse de réseau est particulièrement pertinente lorsque des groupes semblent, a priori, homogènes dans leurs pratiques pour déceler leur hétérogénéité par leurs particula- rités relationnelles (Milroy and Milroy, 1992 ; Gauchat, 1905 ; Lippi-Green, 1989 ; Santa Ana & Parodi, 1998 ; Paolillo, 1999). Étudier le réseau permet de mettre en exergue les dynamiques du langage et de considérer le comportement de l’individu comme évolutif et non fixé, figé. Le comportement langagier de l’individu est ainsi influencé par la structure de ses relations, celles-ci n’étant pas immuables, mais propices aux changements. Observer le réseau permet alors de comprendre le changement et/ou le maintien des normes langa- gières (Milroy et Llamas, 2013).

En deuxième lieu, l’analyse de réseau permet de réconcilier une approche macrologique et micrologique en faisant le lien entre l’individu et la structure tout en montrant comment l’un influence l’autre, et vice versa. Les changements linguistiques reflètent les changements de structures relationnelles. Il est possible de s’intéresser à ces dernières sur deux niveaux : au niveau individuel, en s’intéressant effectivement aux relations personnelles et aux pra- tiques langagières qui les accompagnent ; ou au niveau du groupe, en prenant l’agrégat des relations personnelles et de leurs pratiques langagières. Il est important de considérer ces deux niveaux d’analyse pour comprendre le langage en usage et saisir le caractère non li- néaire de l’influence du groupe sur l’individu et de l’individu sur le groupe. En effet, s’inté- resser aux relations personnelles permet de saisir l’hétérogénéité des pratiques au sein d’un groupe, alors que s’intéresser à l’agrégat des relations personnelles permet de saisir l’homo- généité des pratiques, et ainsi de tenter des comparaisons intergroupes (Gumperz, 1989).

Dans cette perspective, les microphénomènes qui émergent localement expliquent des phé- nomènes d’ordre macrologique, qui vont eux-mêmes influencer le maintien des phéno- mènes micrologiques. Il existe ainsi une interrelation. L’agrégat des comportements indivi- duels va permettre l’apparition de comportements globaux (Meyerhoff & Strycharz, 2013).

Dans l’étude de la régularité et de la diversité, les chercheurs et chercheuses en linguis- tique se sont intéressés à la phonétique et sont arrivé(e)s au concept de speech community, soit le fait de regrouper les individus par similarité d’usages, d’évaluations et de connaissances.

Ce concept peut prendre plusieurs formes. La focale a cependant essentiellement été mise sur l’observation des réseaux hautement cohésifs et sur le fait de montrer comment ceux- ci sont déterminants dans l’émergence, le maintien, le changement, le partage de normes langagières locales et pour quelles raisons les réseaux peu cohésifs peinent à voir émerger des pratiques propres à leur réseau. Dans la réalité contemporaine, les réseaux peu cohésifs semblent néanmoins être majoritaires, plus que des cas particuliers (Pescosolido et Rubin,

(13)

2000 ; Brint, 2001). Or, si l’on suit le postulat que ces types de réseaux ne permettent pas l’émergence de normes, la réalité sociale devrait être soit composée d’un langage lisse et neutre, soit composée d’un « brouhaha » langagier. Cela ne semble cependant pas être le cas. On peut alors se questionner :

En quoi les réseaux peu cohésifs peuvent-ils également être générateurs de pratiques lo- cales coordonnées ? Quels sont les mécanismes et en quoi sont-ils différents ou similaires de ceux des réseaux fortement cohésifs ?

Ce travail cherche à montrer que, même dans les réseaux aux propriétés faiblement co- hésives, où l’on s’attend à voir aussi bien de l’homogénéité des pratiques par manque de pressions sociales que des pratiques sporadiques, on trouve tout de même des hétérogénéi- tés régulières. Le propos est alors de montrer que l'on constate de l’hétérogénéité coordon- née, et non pas de l’homogénéité par défaut. Je cherche à expliquer et à démontrer que dans ces réseaux, il n’existe pas seulement un langage standard, mais qu’on trouve au contraire des variations d’usages, et que celles-ci sont explicables, sous le prisme des discussions et des perceptions négatives, notamment grâce à des méthodes d’analyses relationnelles.

Pour répondre à cette problématique, je m’intéresse au réseau estudiantin du Bachelor en sociologie de l’Université de Genève (UNIGE) pour l’année académique 2019-2020 et à leur pratique en matière de vocabulaire. Avant cela, une revue de la littérature reviendra sur la notion de speech community et les découvertes qui ont été faites par les sociolinguistes qui ont utilisé des méthodes d’analyse de réseau dans des réseaux hautement cohésifs. On verra dès lors quelle est la place des réseaux faibles dans ces théories. Je proposerai, dans la continuité, les limites qui peuvent être adressées à une telle approche. On s’intéressera, en- suite, à proposer une perspective adaptée en développant le concept de groupes sociaux, dans une société dite postmoderne, et les facteurs qui permettent la création de liens, ainsi que leurs conséquences sur le langage.

On passera alors à la recherche centrale de ce travail. J’expliquerai les raisons qui font que je retiens le vocabulaire comme partie du langage à étudier dans une perspective d’étude d’un réseau peu cohésif. Ensuite, je développerai en quoi les étudiant(e)s universitaires sont un bon exemple de ce genre de réseau. On s’intéressera plus en détail à la population de cette recherche, soit les étudiantes et étudiants du Bachelor en sociologie de l’Université de Genève. Je présenterai quelques informations démographiques et des éléments du cadre institutionnel permettant de comprendre le fonctionnement de cette institution. Après cela, les données de l’échantillon observé seront présentées.

Une fois cela posé, je développerai les différents mécanismes attendus dans la coordina- tion des pratiques langagières en réseaux peu cohésifs. On abordera alors le rôle des liens directs et l’importance de la réciprocité des relations. Un deuxième mécanisme exploré sera celui de la place des individus dans le réseau et de sa conséquence sur les pratiques indivi- duelles. Enfin, le dernier mécanisme portera sur la qualité des liens : pour ce faire, une attention particulière sera portée sur les perceptions négatives au sein du réseau. En dernier lieu, un retour sur les différents éléments principaux suivra et clora ce travail.

(14)

2. É

TAT DE LA LITTÉRATURE ET NUANCES

Dans la partie qui suit, on va revenir sur les différents éléments théoriques qui ont permis d’étudier le langage dans une perspective relationnelle. On va tout d’abord revenir succinc- tement sur le concept de speech community et ses limites. Ensuite, on va voir comment l’ana- lyse de réseau a été utilisée pour étudier le langage et les découvertes qui ont été faites. On reviendra cependant sur certaines limites qui peuvent lui être adressées, en proposant une alternative, notamment par le biais de la notion de communauté revisitée.

2.1. L

A SPEECH COMMUNITY

La sociolinguistique adopte une posture variationniste. Elle cherche à expliquer les fonde- ments de la variation langagière : « Variation is socially motivated, and pinpointing the mo- tivations and giving them empirical substance remains perhaps our greatest challenge » (Chambers, 2013, p.13). En ce sens, elle s’éloigne de la tradition linguistique de De Saussure qui ne considère que les similarités, dans le but de créer une théorie universelle, faisant des exceptions et faits périphériques des cas à part, voire déviants (Chambers, 2013 ; Labov, 1976 ; Fasold, 2013 ; Chomsky, 1965 ; Bender, 2012 ; Fromkin et al., 2003 ; De Saussure, 2002). Ces dernières ne sont que des exceptions qui confirment les règles, plutôt que des éléments d’analyse et des potentiels de découverte (Hymes, 1974).

Le rôle de l’analyse sociolinguistique est ainsi de saisir ces différences et de les transfor- mer en information. C’est dans ces différences qu’il est possible de rendre compte des re- présentations collectives et individuelles, des normes partagées et subjectives. Dans ces va- riations, on peut accéder aux processus sociaux latents en action (Labov, 1976 ; Gumperz, 1989 ; Hymes, 1974). S’intéresser à ces phénomènes permet d’informer plus en profondeur sur la (inter)compréhension des normes langagières en contexte. Cela est l’inférence con- versationnelle (Gumperz, 1989, 1986). Cette inférence peut s’appliquer à ce que Gumperz (1989, p.55) nomme « les facteurs linguistiques de surface », soit des éléments langagiers, tels que la prononciation, l’alternance codique (compris comme étant le fait de passer, au sein d’un même échange interactionnel ou message, à différents systèmes grammaticaux), pour lesquels l’importance heuristique peut paraître moindre a priori.

L’étude du langage et de sa variation permet de mettre en exergue l’aspect contextuel et plus précisément situationnel de la culture. Le langage, tout en construisant la culture, est également une manière de la saisir en contexte. Les normes conversationnelles et les usages langagiers contextualisés sont des indicateurs de celle-ci (Gumperz, 1989 ; DiMaggio, 2011, Fishman, 1986). Alors que des énoncés peuvent être formellement identiques dans leur composition – ordre des mots similaires, vocabulaire similaire, par exemple – le contexte d’énonciation et son acceptabilité peuvent informer sur les normes langagières et la diversité du langage. Les particularités permettent d’induire les systèmes de représentations et d’in- terprétations du contexte dans lequel l’individu se trouve (Hymes, 1974).

En même temps, la sociolinguistique cherche à étudier et à expliquer les variations d’usages par le contexte. La variation informe sur le contexte et le contexte forge les varia- tions. Il y a une interrelation. Le postulat de Labov (1966, 1972a, 1972b, 1986) est qu’il est possible d’observer une structure dans la variation du langage. Labov (1976, p. 172) entend par « structure » : « L’interrelation des parties en tant qu’elles sont dominées par le caractère

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général du tout ». Même si la variation peut paraître sporadique, il existe en réalité des mé- canismes qui la (re)produisent. Elle est régulière. Une des réponses de cette régularité se trouve dans des facteurs sociaux qui entourent les individus et leur langage en usage. Il est alors possible de retrouver les structures sociales dans l’organisation des variations : celles- ci prendraient en un sens la forme de celles-là.

Dans la variation, on va alors s’intéresser à sa régularité et l’on va essayer de voir s’il est possible d’observer des structures de variations. Ces dernières doivent être perçues comme impliquant de la régularité et non pas comme impliquant de l’homogénéité. Il serait erroné de croire que la notion de structure implique alors un langage uniforme, homogène, au niveau global. Plutôt, cette structure variationnelle, influencée par les structures sociales, dénote une régularité dans l’hétérogénéité localisée.

Les sociolinguistes ont tenté de regrouper en communauté les individus en fonction de leur régularité. Ces communautés sont appelées speech community (communauté linguistique).

Cependant, les critères qui permettent d’identifier la régularité et ainsi de regrouper les in- dividus ne sont pas les mêmes pour tous les auteurs (Santa Ana and Parodi, 1998 ; Patrick, 2002). Cela a des conséquences pour la définition même de la speech community. Dans ce travail, on en retiendra deux.

Une première manière de définir la speech community est basée sur l’usage et l’évaluation des usages. Seront dans la même speech community les individus qui utilisent les mêmes formes langagières et ceux qui évaluent similairement les formes langagières. (Labov, 1966 ; Santa Ana and Parodi, 1998). Ainsi, les individus sont regroupés en fonction du partage et de la participation à des pratiques communes (Labov, 1976 ; Holmes et Meyerhoff, 1999).

Labov est typiquement celui qui se place dans cette définition. Pour classer les personnes, il a développé le concept de variable linguistique (LV). Cette variable est définie en échelle, avec à la base une forme standard de phonétique et en haut une forme vernaculaire. Les individus sont, dans un premier temps, observés pour voir quel est leur usage : leur pro- nonciation est-elle typique du vernaculaire, ou non ? Dans un deuxième temps, il y a une phase d’évaluation, où il est demandé aux individus de placer d’autres personnes sur l’échelle du vernaculaire en fonction de leur prononciation.

Il y a ici une approche statistique et macrologique du langage et de la speech community (Santa Ana and Parodi, 1998). Les individus sont classés selon leurs scores obtenus après usages et évaluations. La notion de conscience explicite d’appartenance n’est pas un critère essentiel et n’apparaît pas (Holmes et Meyerhoff, 1999). Les individus sont donc placés

« malgré eux » dans une ou l’autre speech community.

Une deuxième manière de la définir se base sur le partage des connaissances langagières.

Dans cette perspective, elle n’est pas définie par le seul partage d’une même forme langa- gière, mais par la même compréhension d’utilisation de celle-ci (Hymes, 1974, 1986 ; Cham- bers, 2013 ; Gumperz, 1989 ; Milroy, 1987). Deux individus peuvent utiliser les mêmes for- mulations grammaticales sans pour autant que le sens et les significations latentes du dis- cours ne soient compris. Une même forme de langage peut ne pas avoir la même significa- tion selon le contexte. Hymes (1974) met l’accent sur la distribution des moyens et des pratiques langagières au sein d’un groupe. Cela permet de comprendre comment ces pra- tiques interagissent avec les normes et les valeurs intrinsèques du groupe choisi. En plus de maîtriser la connaissance langagière (phonologique, syntaxique, lexicale, etc.), un individu doit maîtriser la connaissance de quand parler, comment parler, à quelle occasion, selon les

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différents contextes. Il doit repérer dans quelle situation il se trouve et réussir à s’y adapter pour ne pas risquer d’entacher sa performance de communication, soit interagir de manière intelligible. Cette capacité à utiliser la manière appropriée de parler au juste moment est ce que Hymes (1974) appelle la compétence communicative. Celle-ci se transmet par la socia- lisation langagière (Hymes, 1974 ; Albert, 1986 ; Bernstein, 1986 ; Ervin-Tripp, 1986).

Dans cette définition, une speech community se délimite donc par la compétence communi- cative. Seront dans la même speech community, ceux qui ont la même connaissance du langage et qui partagent des normes d’usages équivalentes. Un individu peut être membre de plu- sieurs speech communities (Hymes, 1986).

Quelques limites du concept de speech community sont à noter, de manière générale. Parmi elles, il y a le fait qu’il s’intéresse surtout au speech et moins à la community. Il se centre davan- tage sur le langage. Cela peut amener un certain biais, celui de créer artificiellement des communautés. Les sociolinguistes cherchent alors à identifier une communauté de langage, plutôt que d’identifier le langage d’une communauté. En effet, la notion de communauté est mise au second plan, voire est occultée. Or, l’étude du langage passe avant tout par l’étude de celle-ci. Ainsi :

« La seule façon de sortir de ces paradoxes est de sortir de la langue et de partir de la réalité sociale. Car en définissant le groupe par la langue, on entre dans un processus tautologique qui ne peut que masquer à l’analyse […] la chair même de la communica- tion sociale. […] Il s’agit au contraire de dire que l’objet d’étude de la linguistique n’est pas seulement la langue ou les langues, mais la communauté sociale sous son aspect linguistique » (Calvet, 2013, pp. 84-85).

En effet, la speech community peut regrouper des individus qui n’ont aucun lien dans la réalité sociale. Les communautés créées sont artificielles (Calvet, 2013). De plus, la notion de speech community prend souvent comme déterminant de la communauté la provenance géographique, le genre, l’ethnie ou la classe, rendant uniformes à travers le monde des ca- tégories qui dans les faits peuvent être très différentes.

2.2. L

E LANGAGE

:

ENTRE STRUCTURE RELATIONNELLE ET IDENTITÉ L’approche par l’analyse de réseau a été trouvée comme étant une alternative et une réponse aux limites qui pouvaient être adressées à la notion de speech community. Dodsworth et Benton (2020) mettent en exergue cinq raisons d’opter pour une approche réseau pour étudier le langage.

Premièrement, la notion de speech community rassemble des individus trop différents, du fait de la taille trop grande des populations observées. En s’intéressant à des réseaux plus petits, il est possible d’étudier des populations plus homogènes, et ainsi d’arriver à des con- clusions plus locales et non agrégées. Un deuxième argument est le fait qu’il a été démontré que l’interaction est plus influente que la classe, le genre ou l’ethnie, et qu’il est ainsi plus pertinent de s’intéresser au réseau de relations interactionnelles. Troisièmement, il est pos- sible que la population observée soit des enfants, et que le statut économique des enfants dépende du statut des parents. Cela ne permet pas de rendre compte de leur réalité sociale, du fait qu’ils peuvent être en interaction avec des enfants issus d’autres milieux socio-éco- nomiques. Quatrièmement, les speech communities ne parviennent pas systématiquement à ré- unir des individus homogènes dans leur réalisation langagière, là où le réseau relationnel le peut. Enfin, l’analyse de réseau permet de suivre le tournant épistémologique de la

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sociolinguistique qui préfère étudier le langage et ses différences d’une personne à une autre, plutôt que d’un groupe à l’autre.

Alors que d’autres études (Labov 1966, 1972a, 1972b ; Blom and Gumperz 1986 ; Gau- chat, 1905) se servent implicitement des principes de l’analyse de réseau, Milroy (Milroy, 1987 ; Milroy & Llamas, 2013) est effectivement la première à revendiquer cette méthode comme pertinente pour l’étude du langage. Elle postule qu’il existe un lien entre le langage d’un locuteur et la structure de son réseau social, plus particulièrement de son intégration et de sa place en son sein (Milroy, 1987 ; Milroy and Milroy, 1977, 1985 ; Milroy and Mar- grain, 1980).

Le changement et les innovations se propagent par l’interaction et les discussions entre les individus (Michael, 2014). Observer les structures d’un réseau relationnel permet alors de comprendre la propagation du changement. Elles expliquent en grande partie la diffusion de normes (nouvelles et/ou anciennes) langagières. Or, quelles propriétés structurelles du réseau et individuelles semblent favoriser le maintien de normes, le changement, l’innova- tion, les variations et la diversité au sein d’un réseau ? On trouve notamment la cohésion.

En plus de l’influence des structures et des sous-structures, la position et les propriétés relationnelles des individus influent sur l’import et l’export des innovations. On a donc une approche macro (les propriétés du réseau dans son ensemble), et micro (la position des individus dans le réseau). Ces niveaux sont interdépendants et s’influencent les uns les autres.

2.2.1.LA COHÉSION DU RÉSEAU

La cohésion d’un réseau est positivement corrélée au maintien des normes (Dodsworth et Benton, 2017) : plus un réseau est considéré comme cohésif, plus il a tendance à maintenir les normes en vigueur et à être hermétique au changement. Plusieurs propriétés du réseau participent à sa cohésion. Dans la littérature étudiant le langage dans une perspective d’ana- lyse de réseau, on en retient trois : la densité et la force des liens entre les individus ; la taille du réseau ; la fermeture du réseau.

La densité et la force des liens (Granovetter, 1979) sont parmi les facteurs les plus in- fluents pour le maintien des normes langagières de même que pour la diffusion d’une inno- vation (Fagyal et al., 2010 ; Labov, 1976, Eckert, 1988 ; Lippi-Green, 1989 ; Milroy, 1987).

La densité est le nombre de liens activés sur la totalité de liens possibles (Wasserman et Faust, 2018). Des liens sont reconnus fort s’ils sont multiplexes, et un lien est reconnu multiplexe si deux individus participent à plusieurs réalités sociales (membre d’une même famille, membre d’un même voisinage, membre d’une même association, etc.) (Milroy &

Milroy, 1977).

Les liens forts et multiplexes favorisent la densité au sein d’un groupe. Les réseaux denses présentent davantage de pression sociale et agissent comme des norms enforcers (Milroy, 1987 ; Blom and Gumperz, 1986) : dans ces réseaux compacts règne une notion de devoir et d’obligation plus forte que dans des réseaux dont la densité est faible. En effet, un réseau de la sorte permet de maintenir les normes sociales et fait office de contrôle du respect de celles-ci. Il y a donc une attente de conformité dans les pratiques et un écart pourrait alors être négativement perçu. Les réseaux denses composés de liens forts favorisent une certaine loyauté des individus (Milory, 1987 ; Blom and Gumperz, 1986). Un cercle, dans lequel les individus partagent des liens forts, voit moins émerger des clivages.

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Labov (1976) postule que les réseaux denses favorisent également la propagation d’inno- vation au sein du réseau. Cela se base sur la théorie des liens forts (Granovetter, 1973). En effet, si une innovation arrive à pénétrer un réseau, sa diffusion sera accélérée et si un indi- vidu l’adopte, il y a de grandes chances pour que tous les individus l’adoptent. Les réseaux denses permettent une transmission rapide et uniforme des informations, ici l’information étant l’innovation langagière au sein d’un groupe.

En revanche, dans un réseau dont la densité est plus faible, le contrôle social des normes est moins efficace. Les liens faibles peuvent expliquer l’émergence de clivages à l’intérieur d’un groupe et ceux-ci peuvent créer de l’hétérogénéité (Milory, 1987 ; Blom and Gumperz, 1986 ; Simmel, 1999). Les liens faibles permettent la transmission et la diffusion des pra- tiques hétérogènes (Granovetter, 1973 ; Milroy, 1987 ; Lev-Ari, 2017, 2018).

Cela a pour conséquence que les réseaux denses, dont les liens sont forts, favorisent la continuité et l’homogénéité d’une pratique langagière, alors que les réseaux dont les liens sont plus lâches, plus faibles, favorisent à opter pour un langage plus hétérogène et variant.

Les réseaux denses participent au maintien et à la diffusion des pratiques, alors que les réseaux lâches participent à l’intégration des normes langagières plus larges et, par consé- quent, plus différentes. Plus l’individu appartient à un réseau dense et multiplexe, plus il a tendance à utiliser les pratiques langagières en vigueur (Dodsworth et Benton, 2017 ; Milroy and Llamas, 2013 ; Milory, 1987 ; Gumperz, 1989). En synthèse, des réseaux denses favo- risent l’homogénéité, alors que des réseaux lâches favorisent l’hétérogénéité en leur sein.

En d’autres termes, les réseaux denses participent au maintien des formes et des normes locales, alors que les réseaux lâches participent à l’intégration de normes langagières plus larges (Milroy and Llamas, 2013).

La taille d’un réseau quant à elle influe sur la force des liens : plus un réseau est grand, plus ses liens sont faibles (Simmel, 1999) et plus ses liens sont faibles, moins les normes langagières peuvent se fixer. Il y a donc une relation négative entre taille du cercle et main- tien des normes en vigueur, voire tout simplement leur émergence. Plus un réseau est res- treint et est composé de liens forts, plus un individu se confond avec le cercle auquel il appartient (Simmel, 1999 ; Labov, 1976). Dans les petits réseaux denses, l’individu met les intérêts du groupe et les siens au même niveau. Lev-Ari (2017, 2018) arrive cependant à une conclusion différente. Il postule que plus le réseau social est petit, plus une personne est propice à être influencée. Cela vient du fait, selon lui, que lorsqu’un ego est entouré de peu de sources d’informations, il attribue à chacun une capacité d’influence égale. Par exemple, si un individu est en interaction exclusive avec seulement deux autres personnes, il va pren- dre en compte de manière égale les informations des deux individus. Si une troisième per- sonne vient s’ajouter au groupe et qu’elle partage un avis ou une réalité avec une des deux autres personnes, alors ego va partager l’avis du plus grand nombre. La taille du réseau influence la perception. Dans le langage, les réseaux sociaux de taille réduite vont rendre plus malléable le langage des individus qui le composent.

Quoi qu’il en soit, un individu perdu dans un réseau large et peu dense, composé de liens faibles, est plus sujet à affirmer sa personnalité et revendiquer son indépendance. Le réseau large permet l’affirmation de l’individualité, du fait que l’individu a accès à différents systèmes de valeurs, de normes, de représentations, de fonctionnements et qu’il peut ainsi naviguer entre ces possibilités et décider de construire sa pratique selon son choix dans la palette à disposition (Simmel, 1999). C’est en pouvant se confronter avec des individus hétérogènes qu’il peut constater, comprendre et prendre conscience de ses particularités.

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Au contraire d’un individu pris dans un cercle petit et dense, qui ne permet pas une telle liberté : plus un cercle social est grand, donc englobant, plus les contraintes des normes sont faibles. Le contrôle social peut plus difficilement s’opérer (Simmel, 1999 ; Labov, 1976).

En parallèle, avec un réseau élargi, on augmente les possibilités d’intégrer des individus qui ne partagent pas nécessairement les mêmes connaissances vis-à-vis du langage. Quand deux individus se rencontrent, s’ils ne s’identifient pas comme faisant partie du même groupe, ils devront utiliser un langage plus conventionnel et formel et moins local, afin de s’assurer que la communication soit réussie (Gumperz, 1989 ; Milroy et Llamas, 2013). Ils devront employer un discours surveillé (Labov, 1976) ou un elaborated code (Bernstein, 1986).

La taille du réseau a une double influence sur le langage : une grande taille favorise l’émer- gence de liens faibles, ceux-ci agissant négativement sur la possibilité de l’émergence de cohésion et de normes, celles-ci se traduisant dans le cas du langage par des pratiques lan- gagières homogènes. La deuxième influence est qu’un réseau large englobe un plus grand nombre d’individus hétérogènes, et avec l’hétérogénéité survient l’homophilie (McFarland et al., 2014) et le regroupement local d’individus, rendant également l’émergence de normes partagées par l’ensemble du réseau plus difficile. Ainsi, les réseaux grands favorisent à la fois l’émergence de pratiques langagières hétérogènes et locales (Michael, 2014) et à la fois des pratiques langagières plus neutres et moins particulières au contexte.

L’ouverture et la fermeture du réseau sont également parmi les propriétés d’un réseau qui sont à observer quand on s’intéresse au langage et sa diversité (Lippi-Green, 1989). Des cercles très denses, composés de liens forts, ont tendance à ne pas vouloir se connecter avec d’autres cercles extérieurs. Ainsi, les individus qui le composent privilégient des rela- tions internes, plutôt que de chercher à se lier avec des individus extérieurs, issus d’autres cercles (Milroy, 1987 ; Simmel, 1999). On a ici une notion de insiders et de outsiders (Miloy, 1987).

Les réseaux fermés permettent le maintien des normes (Bott, 1955 ; Coleman, 1988). Les groupes fermés, dans lesquels les individus partagent des liens multiplexes et denses, sem- blent avoir une pratique langagière plus stable, moins changeante et plus homogène que les groupes ouverts dans lesquels les liens sont lâches et uniplexes (Labov, 1976). Un groupe fermé, formé de liens forts, est moins sujet aux innovations langagières. En effet, les indi- vidus pris dans un groupe fermé vont plutôt reproduire des formules – des pratiques – langagières stéréotypées.

Les innovations langagières au sein d’un réseau proviennent de la création de nouveaux liens vers l’extérieur. C’est parce que de nouveaux liens sont créés qu’une « contamination » langagière est possible : le mélange et le contact intergroupe permettent le changement (La- bov, 1976 ; Milroy, 1987 ; Le Page, 1968 ; Gumperz, 1989 ; Lev-Ari, 2017, 2018). On re- trouve ici un mécanisme similaire à celui de la taille, dans lequel plus on élargit un cercle social, plus l’individualité émerge. En multipliant les contacts intergroupe et intragroupe, on augmente la possibilité d’avoir un agrégat unique de pratiques langagières au sein d’un groupe, d’une communauté donnée.

En résumé, la fermeture sur soi semble favoriser l’émergence de la diversité, dans le sens où chaque réseau isolé est homogène intrinsèquement, mais hétérogène extrinsèquement.

L’ouverture agit aussi sur la possibilité d’être en contact avec d’autres pratiques langagières que celles en vigueur à l’intérieur du réseau. Le changement est rendu possible par

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l’ouverture et la possibilité d’intégrer des pratiques extérieures (Labov, 1976). De plus, on retrouve ici aussi le même principe que pour la taille du réseau, où, avec l’ouverture, les individus sont confrontés à des individus hétérogènes dans leurs connaissances langagières (Gumperz, 1989 ; Milroy et Llamas, 2013 ; Bernstein, 1986). La force des groupes ouverts est qu’ils sont constitués de liens faibles et rassemblent une diversité de normes. Cela per- met notamment aux individus de naviguer d’un groupe à l’autre sans péjorer leur perfor- mance communicationnelle en optant notamment pour un langage plus neutre (Gumperz, 1989).

2.2.2.LA PLACE DE LINDIVIDU DANS LE RÉSEAU

On a vu jusqu’à présent l’importance de considérer les propriétés du réseau dans son en- semble. On peut alors passer à un niveau d’analyse plus restreint en s’intéressant à la place de l’individu au sein du réseau (Milroy, 1987 ; Milroy and Milroy, 1977, 1985 ; Milroy and Margrain, 1980). Alors que le réseau permet de comprendre comment des normes peuvent se maintenir ou favoriser la diversité, en s’intéressant à l’individu, on étudie comment les innovations sont ramenées au sein du réseau et comment elles font pour survivre et réussir à s’intégrer en tant que normes. On trouve alors trois positions clés : les individus centraux, qui sont fortement connectés à l’ensemble des individus du réseau, les acteurs périphériques et les acteurs en lien avec des réseaux extérieurs. Cela suppose alors que certains types d’in- dividus ont certains rôles. En plus de leur position dans le réseau, il faut s’intéresser au rapport que les individus entretiennent au langage et au rapport qu’ils entretiennent avec les autres membres du groupe. La qualité des liens est alors un facteur central.

Les individus centraux, très connectés et qui ont du prestige parmi leurs pairs jouent un rôle important. Il a été montré que ces individus sont ceux qui utilisent le plus et le plus fidèlement les normes en vigueur (Milroy, 1987). Ceux-ci influencent les personnes avec qui ils sont directement et indirectement connectés (Fagyal et al., 2010 ; Labov, 1976, 1966).

Labov (1976) différencie ainsi les leaders, soit les acteurs centraux influents, et les lames, les acteurs périphériques. Les acteurs centraux sont considérés comme garants du respect des normes.

En même temps, les individus centraux participent également à la propagation d’une innovation (Milroy, 1987 ; Fagyal et al., 2010). Pour qu’une innovation se propage dans un groupe fermé dont les individus, par nature, n’y sont pas enclins, il faut qu’un individu central se réapproprie l’innovation et la diffuse. Étant donné qu’il est connecté aux individus périphériques qui apportent les innovations, il va pouvoir en prendre connaissance. Il sera apte à décider s’il veut l’adopter ou non, selon l’utilité qu’il peut lui trouver. Une fois l’in- novation adoptée par l’acteur central, elle peut se propager plus aisément dans le groupe, en raison de la nature dense du réseau, où l’information circule bien (Granovetter, 1973).

Les acteurs centraux servent de diffuseurs d’innovation : du moment qu’une innovation leur parvient, ils vont la diffuser aux autres membres de la communauté locale (Fagyal et al., 2010). Il faut ainsi différencier les innovateurs des early adopters, soit les personnes qui adoptent l’innovation rapidement après son émergence (Milroy and Milroy, 1985). Dans ce cas, les acteurs centraux sont davantage des early adopters que des innovateurs. En plus, pour qu’une innovation se propage, il faut que les acteurs centraux soient populaires et considérés comme influents (Labov, 1976, 1966 ; Cheshire et al. 2008). La centralité seule ne permet pas d’expliquer la propagation d’un usage langagier.

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Il existe cependant des cas où les acteurs centraux sont ceux qui sont à l’origine des innovations (Fagyal et al., 2010 ; Bergs, 2006). On trouve typiquement cela dans les réseaux et les communautés en ligne, où il est attendu que l’acteur central innove et qu’il invente de nouvelles expressions qui puissent être reprises (Bergs, 2006). Ici, la norme n’est pas le maintien, mais le changement.

En périphérie, on trouve des acteurs qui sont plus ouverts sur l’extérieur et qui peuvent

« voyager » d’un groupe à l’autre (Milroy, 1987 ; Milroy & Milroy, 1985 ; Fagyal et al., 2010 ; Le Page, 1968). Ceux-ci étant en contact avec des individus d’autres groupes, ils sont en contact avec d’autres formes langagières. Ils vont pouvoir rapporter ces nouveautés au sein du réseau. Ils font le pont (Burt, 2004, Mische, 2011). La diffusion d’innovation peut éga- lement s’expliquer par les relations qu’ont les individus entre eux dans leur mobilité (Britain, 2013). Le seul fait de faire le pont ne suffit pas. En plus de cela, il faut tout de même que les individus périphériques aient la capacité d’imposer ces nouvelles normes au sein du ré- seau d’origine :

« Brokering entails spanning the boundaries between one group and another and trans- ferring elements between those groups.[…] In order to be a successful broker they must be able to exert enough influence in each group to be able to carry ideas from one group and introduce them to another » (Cheshire et al., 2008, p. 22).

Parmi les acteurs périphériques, il en existe qui semblent être en dehors de tout usages et de toutes évaluations (Santa Ana et Parodi, 1998 ; Fagyal et al., 2010). Fagyal et al. (2010) parlent alors de loners. Le concept de loners se réfère à des individus isolés, qui semblent agir comme bon leur semble, tantôt en utilisant des formes vernaculaires, tantôt en utilisant des formes conventionnelles :

«Loners are subgroups of individuals who are not entirely disconnected from local practices, as some might even be tied to the community by strong family ties, but they tend to keep to themselves and not interact extensively with any particular sub-group in the community» (Fagyal et al., 2010, p. 2065).

Ainsi, pour l’émergence, la survie et la propagation stable de nouvelles formes, il faut à la fois des leaders et des loners. Ces premiers participent à la diffusion et au maintien des normes. Pour ce qui est des loners, c’est-à-dire les acteurs périphériques, ils peuvent soit être innovateurs, soit même être conservateurs, dans le sens où ils peuvent ne pas adopter les innovations. Il se peut aussi qu’ils ne jouent aucun rôle dans l’émergence de nouvelles formes langagières (Fagyal et al., 2010) :

« Leaders advance on-going change, while loners are repositories of variants consid- ered old or new depending on the current state of the rest of the population. The lack of highly-connected agents, structural equivalents of leaders in empirical studies, re- sults in failure of appearance of norms. The absence of isolated individuals, or loners, leads to lack of innovation» (Fagyal et al., 2010, p. 2077).

En résumé, dans certains cas, les acteurs centraux participent au maintien des normes, et, dans d’autres cas, ils participent à la diffusion et/ou à l’émergence d’innovations. Les individus périphériques, quant à eux, sont perçus comme parfois amenant les innovations et parfois comme indépendants et peu ou prou touchés par quelque norme en vigueur. Pour qu’une innovation se produise et qu’un changement s’opère, il faut donc ces deux types d’acteurs : un acteur périphérique au groupe, connecté à différents groupes extérieurs, et un acteur central d’un groupe dont les liens sont multiplexes, forts et dont le réseau est dense

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(Milroy, 1987 ; Fagyal et al., 2010). Il est cependant à nuancer que la distinction entre cœur et périphérie ne peut pas être considérée comme catégorielle, mais plutôt comme continue avec une évolution progressive. Des acteurs sont plutôt centraux et d’autres sont plutôt périphériques.

Dans cette perspective, plus que la proximité des individus entre eux, il semble que ce soit leur position au sein du réseau et leur structure relationnelle qui participent à l’emploi de certaines formes langagières : les personnes partagent une réalité sociale, de par leur place dans le réseau et des rapports aux autres qui découlent de leur position (Mische, 2011 ; Dodsworth et Benton, 2017, 2020).

2.2.3.LA QUALITÉ DES LIENS ET LE RAPPORT IDENTITAIRE

On a vu que les propriétés du réseau et la position des individus participent à l’émergence, au maintien, au changement des normes et avec cela à la diversité, à l’hétérogénéité et l’ho- mogénéité des pratiques. Or, tous ces facteurs sont à mettre en perspective avec le rapport que l’individu entretient avec les autres membres de son réseau et le rapport que celui-ci a au langage même (Le Page, 1968 ; Milroy, 1987 ; Gumperz, 1989 ; Blom and Gumperz, 1986).

En ce sens, il faut également s’intéresser qualitativement aux relations personnelles de l’individu. Les individus de zone de premier (un ami) et/ou de second ordre (l’ami d’un ami) sont un indicateur, pour comprendre l’origine des pratiques langagières. Cela n’est cependant pas suffisant. Il faut en effet s’intéresser aux rapports qu’entretient l’individu à autrui (Le Page, 1968 ; Milroy, 1987 ; Gumperz, 1989 ; Blom and Gumperz, 1986 ; Merton, 1949). Le changement linguistique survient également dans des sous-groupes restreints dans lesquels l’identité de groupe se voit affaiblie. Cela présuppose qu’il existe des réseaux denses dans lesquels le sentiment identitaire n’est pas clair (Labov, 1976). Cette double réalité par- ticipe alors au changement. Les groupes denses favorisent l’innovation, mais le rapport identitaire joue aussi un rôle. En plus de la densité effective, la perception de la densité par l’individu est importante. En effet, un individu qui se sentira appartenir à un réseau dense aura tendance à utiliser le vernaculaire (Milory, 1987).

Blom et Gumperz (1986) mettent en évidence des variations qui peuvent être indivi- duelles et non propres à l’ensemble d’un groupe. En effet, une certaine liberté d’utilisation et de choix est laissée à l’individu selon ses préférences dans l’interaction. Le speech style le reflète. Il est rendu à l’individu une forme d’agentivité (Hymes, 1974 ; Gumperz, 1989 ; Michael, 2014). Le style est une notion plus individuelle, c’est l’interprétation de l’individu et l’adaptation au contexte. La personne choisit dans les possibilités qu’offre le langage d’utiliser tel ou tel trait, telle ou telle forme. Il est possible de dire la même chose de mul- tiples manières. Le style en est une manière personnelle (Labov, 1976). L’utilisation d’une forme de langage est grandement influencée par l’identité et la volonté individuelle de l’ex- primer.

Il est possible au sein d’une communauté hétérogène d’identifier plusieurs sous-groupes selon leurs différents traits de langage (Labov, 1976). Il faut alors se tourner vers le sens que l’individu confère au langage et son sentiment d’appartenance à un groupe et sa volonté d’être identifié comme en faisant partie. On parle ici du groupe d’appartenance et/ou du groupe de référence (Merton, 1949). En ce sens, il faut étudier les relations qu’un individu entretient avec d’autres, en mettant la focale sur la qualité du lien (Milroy et Llamas, 2013).

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Il est à considérer le groupe auquel un individu s’identifie pour comprendre quelle manière d’utiliser le langage sera favorisée (Blom and Gumperz, 1986). Le choix du langage dépend du sentiment identitaire (Eckert, 1988). Le langage en est un fort marqueur (Le Page, 1968).

Les variations langagières s’accompagnent d’une représentation sociale et agissent comme un indicateur (Sherzer, 2012a ; Sterponi & Bhattacharya, 2012,). Il dépend donc de la vo- lonté de l’individu à être associé à telle ou telle identité. Cela se répercutera dans sa forme langagière (Le Page, 1968). Du moment qu’une variation s’accompagne d’une signification sociale, notamment de distinction, qu’elle est perçue comme étant discriminante, positi- vement ou négativement, les individus vont se positionner quant à son emploi ou non (La- bov, 1976). La variation exprime l’identité et l’identité exprime la variation. Il existe cette double réalité. L’individu peut décider de se placer dans une case selon sa maîtrise de la variation.

D’une part, il y a la manière dont les personnes s’identifient et, d’autre part, comment elles sont identifiées par les autres. Ces deux perspectives peuvent expliquer les variations langagières. La manière dont les autres perçoivent un individu peut ne pas coïncider avec sa propre perception. La façon dont un autre individu perçoit la personne cible, va impacter sa manière de parler et de communiquer avec celle-ci. Ainsi, au contact répété de cette forme de langage, il se peut que la pratique de la personne cible change malgré elle (Meyer- hoff and Strycharz, 2013). Les autres placent un individu malgré lui, dans des cases selon l’emploi de la variation ou non (Labov, 1976).

Finalement, bien que la structure du réseau puisse être un indicateur du choix de l’indi- vidu, afin de comprendre réellement le comportement linguistique, la meilleure des solu- tions est d’aller enquêter directement auprès de l’individu, pour comprendre la nature du lien (Milroy, 1987).

En résumé, observer le réseau dans son ensemble permet de saisir une certaine homogé- néité du langage et le maintien, ou non, d’une forme vernaculaire. S’intéresser à l’individu permet de comprendre comment il interprète et choisit les normes langagières et les formes à sa disposition et comment il importe ou exporte des pratiques. Il est à considérer le rap- port des individus entre eux et leur sentiment d’appartenance. L’individu a donc une marge de manœuvre d’adaptabilité et d’appropriation des normes en vigueur. Chaque niveau per- met ainsi d’observer une dimension différente du langage (Fig. 1) :

(24)

Figure 1 : Résumé pour l’analyse du langage dans une perspective d’analyse de réseau

2.3. R

ÉSEAUX PEU COHÉSIFS

:

UNE RÉALITÉ CONTEMPORAINE POUR LE LANGAGE

?

Dans l’approche interactionnelle et relationnelle, il y a une tentative de considérer les rela- tions effectives et des communautés « réelles ». On peut alors s’interroger sur le type de communauté qui est étudié dans les différentes recherches précitées. L’intérêt est avant tout mis sur des groupes composés de liens denses et multiplexes, où les parties plus lâches sont considérées comme exogènes au groupe. Peu ou prou d’études ont porté spécifiquement sur des réseaux composés essentiellement de liens faibles (Milroy & Llamas, 2013 ; Kiesling, 2013 ; Britain, 2013). En effet, les recherches sont faites sur des groupes sociaux peu mo- biles, qui sont denses, fortement interconnectés, composés de liens forts, aux relations mul- tiplexes et dont l’émergence des liens dépend fortement de la provenance géographique. Le mode de détection des communautés est essentiellement basé sur cette dernière. Le postulat est alors que les communautés sont définies par celle-ci.

De plus, chez ces sociolinguistes qui étudient le langage dans une perspective relation- nelle, on constate des aller-retours épistémologiques contradictoires, tels que décrits par Emirbayer (1997). Alors que le propos est d’expliquer le langage dans une perspective rela- tionnelle, il y a un retour dans une analyse substantielle en donnant à la notion de classe, de genre, de position géographique, une détermination des actions. Les liens ne sont pas la focale principale. Les relations sont exprimées sous le prisme de la substance. L’approche est ici top-down, où les caractéristiques sociodémographiques déterminent les liens. Dans cette perspective, les caractéristiques impliquent les relations. Il semble que la seule expli- cation par le lien en soi ne suffise pas et qu’il faille passer par une explication par les attributs pour avoir des conclusions valides (à voir, par exemple, Labov, 1966, 1972a, 1972b, 1976 ; Milroy 1987 ; Milroy & Milroy 1992 ; Milroy & Sue, 1980 ; Guy 1988, qui reviennent tou- jours à une explication par les classes sociales). Or, le substantialisme et l’approche relation- nelle représentent deux manières différentes d’appréhender les tenants de la réalité sociale (Emirbayer, 1997).

+

-

Cohésion

Émergence du vernaculaire ->Au niveau local :

homogénéité des pratiques ->Au niveau global : hétérogénéité et diversités locales

->Émergence du sentiment de groupe

Émergence d’une forme standard -> Au niveau local : pas de particularité locale

-> Au niveau global :

homogénéité et standardisation ->Émergence du « Moi »

Centralité

Acteurs centraux -> Propension à l’usage et au maintien du vernaculaire (sauf cas particulier)

-> Diffusion des innovations et facilitateurs de changement

Acteurs périphériques ->Propension à l’usage d’une forme standard

-> Origine des innovations

AGENTIVITE

(25)

Cette attention particulière qui est donnée à ces réseaux denses provient en partie des éléments du langage qui sont étudiés : la sociolinguistique s’attèle à étudier des parties du langage « complexes » (Dodsworth & Benton, 2020, p. 165), telles que la phonétique, pro- fondément ancrées dans les individus, en excluant l’analyse des parties plus « simples », telles que le vocabulaire qui est plus dynamique (Von Hipple, 1994 ; Tagliamonte et al., 2016 ; Yu, 2016 ; Dodsworth et Benton, 2020). Le choix de s’intéresser à la variation sous le prisme de la phonétique a pour conséquence que surtout des communautés dites close- knit peuvent être étudiées (Milroy, 1987 ; Milroy & Milroy, 1992 ; Labov, 1986 ; Guy, 1988) : la phonétique peine à être étudiée en réseaux peu cohésifs, peu normatifs, composés d’individus hétérogènes et mobiles et à montrer l’influence des structures relationnelles dans ceux-ci.

Or, cette définition de la communauté peut, en un sens, être considérée comme « ana- chronique ». Cette forme de groupe rappelle la notion de Gemeinschaft développée par Tön- nies (2002), ou de société encastrée développée par Simmel (1999). Cette définition des groupes sociaux peut aujourd’hui paraître obsolète, ou du moins minoritaire dans nos so- ciétés contemporaines, dites postmodernes (Pescosolido et Rubin, 2000 ; Brint, 2001).

Brint (2001) propose une typologie de communautés selon la forme qu’une communauté peut prendre. Un résumé de son approche est proposé dans la Figure 2. On pourrait placer la forme de communauté retenue dans les recherches sur le langage dans le type « Small- scale communities of place, Neighborhood groups ». On peut voir que celui-ci n’est qu’une forme de communauté parmi d’autres.

Figure 2 : Types de communautés contemporaines selon Brint (2001)

Source: Brint Steven (2001), Gemeinschaft revisited: A critique and reconstruction of the community concept, Sociological Theory, Vol. 19, N. 1, pp. 1-23.

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Les résultats probants d’une telle approche n’incitent cependant pas à revoir les tenants de la réalité sociale et la définition de la communauté. Une proposition de reconsidérer les groupes sociaux est proposée par Pescosolido et Rubin (2000) qui s’inspirent du modèle simmelien. Elles reprennent le concept de cercles sociaux entrecroisés et l’adaptent à la réalité sociale contemporaine, dite postmoderne. Alors que dans les sociétés prémodernes, les cercles sociaux étaient encastrés, dans les sociétés modernes, contemporaines de Sim- mel, les cercles étaient davantage entrecroisés, avec les individus comme liants. L’approche de Simmel est alors davantage une approche centrée sur l’individu, intégrée dans une réalité sociale complexe et multiple. Pescosolido et Rubin (2000) étendent cette notion.

Elles développent le concept de scope structure, ou structure en « rayon ». L’individu est toujours central et créateur de liens, cependant les cercles se chevauchent peu ou prou entre eux (Pescosolido et Rubin, 2000). De plus, les cercles sociaux de l’individu ne sont plus stables, mais dynamiques et éphémères :

« Individuals are not enmeshed within interconnected circles but rather stand outside of them, and their connections to institutions are multiple and often temporary, not single and lifelong. […] But the basis for this network structure lies in the recognition that, in this era, social life is based on serial, ephemeral, short-term, contingent rela- tionships with comparably limited contacts » (Pescosolido et Rubin, 2000, pp.62-63).

Les sociétés sont des configurations relationnelles, muables et dynamiques, plus légères (Meyerhoff Miriam & Strycharz, 2013 ; Wenger, 1998 ; Bergs, 2006 ; Pescosolido et Rubin, 2000 ; Elias, 1991). Au lieu de considérer les groupes comme préconstruits, selon une subs- tance, on s’intéresse plutôt aux structures relationnelles qui, elles, sont constituantes du ou des groupes (Emirbayer, 1997). Considérer que les acteurs sont stables est erroné. Ils sont dynamiques et muables, en fonction des relations qu’ils entretiennent et qu’ils vivent (Emirbayer, 1997).

Dans la perspective de la structure en rayon, la structure relationnelle a pour conséquence l’émergence de liens faibles. Les individus sont pris dans des réseaux relationnels moins denses avec les membres de leurs différents cercles :

« However, instead of small groups in modern life providing actors with ‘dense net- works of ingroup as well as extensive intergroup relations’ (P. Blau 1977:253), we argue that they are unlikely to do so because the groups themselves, as well as individuals' connections to them, are so temporary, ephemeral, and contingent» (Pescosolido et Rubin, 2000, pp. 63).

Les cercles sociaux ne sont alors plus définis seulement par leur densité ou leur cohésion, mais davantage par un caractère individuel. La nature faible des liens n’a cependant pas de conséquences négatives. L’individu est plus indépendant et est moins assigné à un rôle dé- fini par autrui (Pescosolido et Rubin, 2000). La pression sociale est plus diffuse et moins contraignante.

De plus, contrairement au présupposé des recherches sociolinguistiques, les propriétés cohésives ne sont pas forcément garantes d’une certaine positivité et n’induisent pas un ancrage identitaire (Brint, 2001). Cela est à mettre en perspective avec le sens que l’individu donne à ses relations. Il faut donc aller au-delà du réseau dense et des liens forts comme positifs et comme diffuseurs de normes. Des réseaux denses peuvent également avoir des impacts négatifs sur les relations entre les individus (Granovetter, 1973 ; Milroy and Llamas, 2013). Avec la pression sociale, il peut émerger une certaine ambivalence. Les relations

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