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Analyse ecclésiologique du Pèlerinage National à Lourdes : essai d'une approche pratique de théologie fondamentale

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Analyse ecclésiologique du Pèlerinage National à

Lourdes

Essai d’une approche pratique de théologie fondamentale

Thèse en cotutelle

Doctorat en théologie pratique

Anne RIGHINI

Université Laval

Québec, Canada

Docteur en théologie pratique (D.Th.P.)

et

Institut Catholique de Paris

Paris France

Docteur en théologie

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iii

Résumé

Comment faire de la théologie aujourd’hui ? Le Pèlerinage National a permis une expérience de réflexion théologique s’appuyant sur une pratique chrétienne contemporaine. La description de l’ecclésialité singulière découverte aux sanctuaires s’est élaborée dans une conversation entre les observations à Lourdes, la parole des pèlerins, des publications de sciences humaines et des écrits théologiques. Les participants au Pèlerinage National et des milliers d’autres pèlerins forment une assemblée aux contours flous et mouvants. On peut toutefois reconnaître l’Église dans cette foule convoquée par la Vierge et rassemblée autour d’un évêque : l’eucharistie est célébrée, la Parole de Dieu est proclamée et écoutée, les pauvres représentés en particulier par les « malades » sont aux premiers rangs. Dans l’ici et maintenant du rassemblement liturgique, chacun peut faire mémoire du salut en Jésus-Christ et percevoir quelque chose du Royaume avant de repartir vers les incertitudes de sa vie quotidienne. Lourdes – l’eau et le rocher – fait signe dans une époque de transformations qui aspire à la fluidité et à la solidité tout à la fois. Le théologien qui accepte de se laisser entraîner par les croyants y rencontre les questions les plus contemporaines et l’extraordinaire créativité d’une Église qui se laisse guider par l’Esprit.

Mots clés : théologie, postmodernité, théologie pratique, Église, pèlerinage, Lourdes,

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v

Abstract

How should theology be done today? The National Pilgrimage has offered an experience of theological thinking based on contemporary Christian practice. The description of the singular ecclesiality that was discovered in the shrines is the product of a dialogue between the observation work that was made in Lourdes, the pilgrims’ words, human science works and theological writings. The pilgrims who go to the National Pilgrimage, together with thousands of other pilgrims, form an uncertain, moving group. Nevertheless, Church can be found in this crowd summoned by the Virgin that gathers around a bishop: Eucharist in celebrated; the word of God is proclaimed and listened to while poor people that are mainly represented by sick persons are standing in the first line. Il the here and now of the liturgical gathering, each person can remember the salvation through Jesus Christ and perceive something from the Kingdom before going back to the uncertainties of their everyday life. Lourdes – water and rock – is a sign in a time of transformations that aspires both to fluidity and solidity. By letting oneself be dragged by the pilgrims, the theologist comes across the most contemporary questions and the extraordinary creativity of a Church that lets itself be guided by the Spirit.

Keywords: theology, postmodernity, practical theology, Church, pilgrimage, Lourdes,

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Remerciements ... xv

Introduction générale ... 1

Chapitre 1. Un projet d’ecclésiologie pratique ... 7

Une démarche de théologie pratique ... 7

Au cœur de la question de la théologie ... 8

Le choix du Pèlerinage National comme terrain d’étude ... 12

L’observation du Pèlerinage National ... 17

Des critères d’ecclésialité pour qualifier le pèlerinage ... 27

La réalisation de l’Église dans l’Église locale ... 28

La visibilité du corps du Christ dans la célébration de l’eucharistie ... 34

Lieux et fonctions de l’Église ... 39

Conclusion ... 48

Chapitre 2. Le pèlerinage, Lourdes et le Pèlerinage National ... 51

Le pèlerinage ... 51

Une pratique peu langagière ... 52

La rupture, la marche, le lieu saint ... 58

Les sociétés pèlerines ... 62

Lourdes et le Pèlerinage National ... 65

Nouveaux pèlerinages au dix-neuvième siècle ... 66

Les origines des pèlerinages à Lourdes ... 69

La congrégation de l’Assomption et la création du Pèlerinage National ... 73

Lourdes dans les controverses du dix-neuvième siècle ... 76

Lourdes et le Pèlerinage National aujourd’hui ... 79

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viii

Chapitre 3. L’Église se réalise à Lourdes entre le 11 et le 16 août ... 81

Lourdes ... 82

Le lieu désigné par l’apparition ... 83

L’espace des sanctuaires ... 87

Une convocation adressée à tous et à chacun en particulier ... 89

Marie ... 91

Le programme du Pèlerinage National ... 93

Le programme : Lourdes ou le Pèlerinage National ? ... 94

Une proposition structurée par l’eucharistie, les sacrements et le thème d’année ... 95

Le paradoxe du lieu ... 97

Le 15 août ... 98

Les « malades », les hospitaliers et les autres ... 100

Les « malades » ... 100

Les hospitaliers ... 103

Fécondité et limites du modèle ... 105

Les « autres » pèlerins ... 106

Le type ecclésial du rassemblement à Lourdes lors du Pèlerinage National ... 109

Les modèles de réalisations de l’Église à notre disposition ... 110

L’eucharistie du 12 août ... 112

La présidence par un évêque ... 113

Pèlerins et territoire ... 115

Des appartenances multiples ... 116

Conclusion : l’Église se réalise dans l’événement du Pèlerinage National, excentrée, multitudiniste, circonscrite et provisoire. ... 119

Chapitre 4. Vivre en Église à Lourdes : l’expérience de quelques pèlerins ... 121

Découvrir « l’organisation » de Lourdes et entrer dans la prière ... 123

(9)

ix

Lourdes et ses effets ... 128

Conclusion ... 131

Unifier sa vie à Lourdes ... 135

« Une découverte, un pas personnel qui a trait au salut » ... 135

Une personnalité très représentative du monde contemporain ... 141

Lourdes : un lieu d’unification de sa personne ... 143

Conclusion ... 147

Vivre à Lourdes en miraculé ... 149

Le mouvement du récit de Monsieur B. ... 149

Lourdes pour Monsieur B. ... 155

Conclusion ... 161

Se laisser transformer ... 162

Un exercice de relecture ... 163

La transformation de la pratique du métier par le soin aux « malades » ... 164

Une force puisée dans la présence au côté des « malades » ... 166

Lourdes comme lieu d’interprétation de la condition humaine ... 167

Conclusion ... 170

Conclusion : quatre pèlerins singuliers, des questions à la théologie ... 173

Une prise de parole à la première personne, une appropriation de l’expérience ... 173

La quasi-absence de langage explicitement chrétien ... 175

Une expérience liturgique ... 178

Rassemblement et dispersion ... 180

Chapitre 5. Différentes façons d’être en Église à Lourdes, différents modèles pour le pèlerinage ... 183

Préliminaire : l’utilisation de modèles en ecclésiologie ... 183

Le « service » ... 188

(10)

x

Une expression par le « faire » ... 191

L’incorporation dans l’Hospitalité ... 193

Le lien du « service » : les « malades » ... 195

Les hospitaliers, premiers bénéficiaires de ce modèle ... 196

Le modèle de l’Église dans le « service » ... 198

Le « pèlerinage » ... 200

Derrière les cordes ... 200

Quelques figures du pèlerinage ... 203

Le lien du pèlerinage : le caractère « liturgique » de Lourdes ... 208

Les bénéficiaires de ce modèle d’Église ... 211

Le modèle de l’Église dans le pèlerinage ... 213

Le « pélé » ... 215

À l’origine des « pélés » : la préoccupation des jeunes générations ... 215

Un groupe stable et un parcours structuré ... 216

Un schéma qui déteint sur l’ensemble du Pèlerinage National ... 218

Le lien du « pélé » : l’importance des relations interpersonnelles ... 220

Bénéficiaires et bénéfices ... 222

Modèle de l’Église dans le « pélé » ... 223

Quelques questions posées aux différents modèles ... 225

Pèlerinage, foire et fête. ... 226

Trois directions de la circulation de la grâce ... 232

Le rapport à la tradition ... 235

Appartenance et identité ... 239

Et les « malades » ? ... 246

Conclusion ... 247

Chapitre 6. Gouverner l’Église à Lourdes ... 253

(11)

xi

Autorités et gouvernement ... 254

Les acteurs du gouvernement de l’Église à Lourdes ... 257

Les « Sanctuaires » : intégrer Lourdes à l’Église ... 259

Les « Sanctuaires », représentants locaux de la hiérarchie de l’Église ... 260

Les « Sanctuaires », acteur économique, solidaire d’un territoire ... 263

Animer les sanctuaires ... 264

Les « Sanctuaires » et le « Pèlerinage National » ... 267

Le Pèlerinage National, un projet fragile ... 270

Le Pèlerinage National, institution intermittente ... 271

Le Pèlerinage National dans la crise de l’après concile ... 272

L’Hospitalité Notre-Dame de Salut : quelle conception du Pèlerinage National ? .... 275

Qui sont les hospitaliers ? ... 276

Que cherchent les hospitaliers dans le pèlerinage à Lourdes ? ... 279

Y a-t-il un projet des hospitaliers pour le Pèlerinage National ? ... 282

Le Pèlerinage National, projet pastoral de l’Assomption ... 292

Mettre en route un projet ... 293

Renouveler le Pèlerinage National ... 298

Le Pèlerinage National au cœur du projet apostolique de l’Assomption ... 304

Le Pèlerinage National, « projet pastoral de l’Assomption » ... 311

Conclusion : l’entrelacs des autorités ... 313

Chapitre 7. La fécondité de l’étude du Pèlerinage National pour la théologie fondamentale ... 317

L’ecclésialité singulière de Lourdes et du Pèlerinage National ... 318

Une assemblée liturgique ... 319

Vie en Église et présence au monde ... 327

Non pas projet mais confluence ... 331

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xii

La méthode de recherche ... 339

Les enjeux de la méthode ... 340

Un cheminement en compagnonnage : trois types de paroles ... 345

Une démarche construite ... 352

Conclusion épistémologique : comment avons-nous fait de la théologie ? .... 356

Réfléchir aujourd’hui en théologie ... 359

Un « petit » récit ... 360

Lourdes comme interruption... 363

Conclusion ... 368

Reprise ecclésiologique et conclusion générale. Lourdes, le 15 août, un événement d’une Église « liquide » ... 371

La catégorie de l’événement ... 371

Vers une Église « liquide » ... 372

L’événement (event) de Lourdes comme exemple d’une « Église liquide » ... 375

Conclusion : Lourdes, le 15 août, un événement d’une Église « liquide » ... 379

Épilogue ... 383

Bibliographie ... 387

Documents magistériels ... 387

L’Église ... 387

Ecclésiologie ... 387

Église et communautés : regard des sciences humaines contemporaines ... 391

Faire de la théologie aujourd’hui ... 392

Théologie pratique ... 394

Évangélisation, catéchèse, expérience et identité chrétienne ... 396

Le pèlerinage, Lourdes ... 398

Anthropologie, histoire et sciences humaines, roman ... 398

(13)

xiii

Théologie du service et critique sociale ... 401

Monde contemporain : Philosophie, Sociologie ... 402

Méthodes en sciences sociales et épistémologie ... 402

Lourdes, Assomption et Pèlerinage National ... 403

ANNEXES ... 405 Formulaire de consentement ... 405 Avertissement ... 409 Témoin n° 1 ... 411 Témoin n° 2 ... 421 Témoin n° 3 ... 429 Témoin n° 4 ... 439 Témoin n° 5 ... 447 Témoins n° 6, 7 et 8 ... 461 Témoin n°9 ... 489 Témoin n° 10 ... 503 Témoin n° 11 ... 517 Témoin n° 12 ... 527 Témoin n° 13 ... 543 Témoin n° 14 ... 551 Témoin n° 15 ... 557 Témoin n° 16 ... 577 Témoin n° 17 ... 591 Témoin n° 18 ... 603

Remerciements d’une hospitalière ... 623

Lettre d’un chef de service aux hospitaliers ... 627

Lourdes 2011 Veillée de l’Hospitalité ... 629

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xiv

Témoignage du jeune handicapé ... 630 Être au service ... 631

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xv

Remerciements

Au moment où ce travail arrive à son terme, je voudrais remercier tout d’abord les milliers de pèlerins qui m’ont reçue parmi eux et accompagnée toutes ces années sur les chemins des sanctuaires. Ce sont eux les experts qui permettent à l’Église de continuer sa croissance. Leur foi a été pour moi guide et soutien tout au long de cette recherche. Mes remerciements vont particulièrement au père Jacques Nieuviarts, ancien directeur du Pèlerinage National qui m’en a ouvert les portes, aux responsables et membres de l’Hospitalité Notre-Dame de Salut qui m’ont accueillie dans leurs services ou comités, aux pèlerins qui ont accepté de témoigner de leur expérience de Lourdes.

Le Professeur Laurent Villemin a pris le risque d’accompagner un projet de recherche peu classique. Me soutenant dans l’élaboration du sujet et d’une méthode adaptée, il m’a aidé à reconnaître le flou comme un lieu théologique et à y discerner un chemin. Qu’il soit remercié pour son implication dans cette étude, sa rigueur méthodologique, sa complicité intellectuelle, sa liberté académique et sa disponibilité bienveillante.

Le Professeur Gilles Routhier m’a invitée au Nouveau Monde, me proposant un autre regard et m’ouvrant vers d’autres auteurs. En m’accueillant au Doctorat en Théologie Pratique de l’Université Laval, il m’a permis de formaliser mon projet, de m’initier aux méthodes d’enquêtes de terrains et d’approfondir ma réflexion épistémologique sur la théologie pratique. Qu’il soit remercié pour tout cela et pour sa ténacité à faire aboutir le projet de thèse. Je remercie les professeurs qui ont accepté de faire partie du jury de cette thèse et de lire ce manuscrit.

L’aide aux prêtres étudiants asiatiques a été pour moi le lieu d’une immersion dans un bain de théologie qui m’a permis de rencontrer des auteurs et des pensées variées. Cette étude doit beaucoup à cet éclectisme. Je remercie les Missions Étrangères de Paris et les prêtres étudiants de l’enrichissement qu’ils m’ont donné en m’accordant leur confiance.

Je voudrais remercier ici l’ensemble de ma famille, en particulier mes enfants, pour leur soutien tout au long de ce parcours et pour leur bienveillance quand les nécessités de l’enquête me faisaient déserter le foyer au milieu du mois d’août.

Ma mère, Monique Righini Darcourt, a pris le temps de relire l’ensemble du manuscrit pour traquer les fautes d’orthographe et de typographie. Qu’elle en soit ici remerciée.

(16)

xvi

Enfin, rien n’aurait été possible sans l’aide et le soutien permanent de Pierre, qui a porté ce travail presqu’autant que moi. Qu’il trouve dans cet aboutissement un signe de ma reconnaissance, de mon amour et de mon admiration.

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1

Introduction générale

Dans le christianisme, au principe de la vie spirituelle, il y a l’expérience, une originalité naît, le signe personnel et collectif d’une nouveauté de l’Esprit. Un visage de la vérité chrétienne sort à la lumière, qui n’est pas modelé à l’avance par une doctrine ou un passé1.

Pour quoi, pour qui et comment faire de la théologie aujourd’hui ? L’étude ecclésiologique du Pèlerinage National et des sanctuaires de Lourdes pendant la durée de celui-ci, qui constitue l’essentiel de cet écrit, ne trouve son sens que dans cette question. Tout au long de ce travail, nous avons tenté d’expérimenter concrètement une réponse à la question du « comment faire de la théologie ? » en mettant en œuvre une manière de faire. Nous avons été formé par les sciences de la nature (chimie), et sommes marqué par l’attention à porter aux détails concrets et par l’importance de l’analyse des faits dans l’élaboration de tout savoir. C’est pourquoi, plutôt que de nous lancer dans une réflexion conceptuelle sur la méthode de recherche en théologie, nous avons opté pour une étude pratique d’un lieu2 particulier, porté par la

conviction que toute démarche rigoureuse était porteuse de sens au-delà du terrain étudié. Depuis les origines du christianisme, des théologiens réfléchissent à la façon d’exprimer la foi dans des langages d’hommes, et par cette expression, ils cherchent à approfondir la connaissance de Dieu au profit de l’Église tout entière. Vingt siècles de réflexions passées au crible de la relecture par des successions de croyants et de théologiens ont permis de dégager des bases solides pour ancrer la foi et la compréhension de la révélation, nous permettant d’avoir aujourd’hui accès à un important corpus de textes, de rites et de méthodes aux normativités et importances diverses, mais qui assemblés constituent la Tradition et les traditions. C’est ce corpus – qui comprend l’histoire de son élaboration – qui sert de support à l’enseignement dans les premiers cycles de théologie, et les méthodes qui ont permis son élaboration inspirent le travail effectué en second cycle. Notre propos dans ce travail n’est pas de remettre en question ces trésors de l’Église, qui constituent le contexte intellectuel de notre pensée, mais d’expérimenter une créativité renouvelée dans une méthode de recherche

1 Michel de Certeau, « Apologie de la différence », dans L’étranger ou l’union dans la différence, Paris, Desclée de Brouwer (coll. Foi Vivante, n° 116), p. 215.

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2

théologique qui puisse faire redécouvrir l’actualité de la tradition. Avant de présenter cette démarche, nous voudrions la situer dans la période actuelle de profonde recomposition de la pensée et de ses modalités pratiques.

At the end of the twentieth century, in the period of “late capitalism”, the period of “postmodernism3”, it has become popular to talk about the end of this and of that; the end of ideology and the end of history, the end of art, socialism, the welfare state and Marxist-Leninism. It is the time of the end of the “enlightenment project”, the failure to secure the hegemony of Western culture by reason. Meaning and value are no longer fixed and stable entities; society no longer knows how to secure the things it once cherished. It no longer knows how to secure the meanings and value of human life. All is now plural and seemingly relative, and one thing as good as another. It is non different for Church and theology4.

Dans ce contexte de fin d’une époque ou d’émergence d’une nouvelle, quelques lignes d’un auteur réfléchissant au statut de la théologie aujourd’hui nous avaient arrêté :

On the contrary, the claim is that all theology has to reconceive itself as a kind of “Christian sociology”: that is to say, as the explication of a socio-linguistic practice, or as the constant re-narration of this practice as it has historically developed. The task of such a theology is not apologetic, nor even argument. Rather, it is to tell again the Christian mythos, pronounce again the Christian logos, and call again for Christian praxis in a manner that restores their freshness and originality. It must articulate Christian difference in such a fashion as to make it strange5.

3 Le terme « postmodernisme » est un terme controversé et polysémique. Dans certains cas, le terme est utilisé pour désigner l’époque contemporaine, approximativement à partir des années 1970. Dans d’autres cas, le terme « postmodernisme » est utilisé pour désigner un courant de pensée philosophique prenant explicitement acte de la fin de la modernité : ces auteurs s’opposent alors à d’autres penseurs qui préfèrent parler de « modernité avancée » ou de « modernité tardive ». Nous verrons tout au long de ce travail que le flou lié à l’imprécision et la polysémie de nombreux termes est une des caractéristiques du contexte contemporain qu’il nous a fallu accueillir.

4 « À la fin du vingtième siècle, dans la période du “capitalisme tardifˮ, la période du “post modernismeˮ, il est devenu à la mode de parler de la fin de ceci ou de cela ; la fin de l'idéologie et la fin de l'histoire, la fin de l'art, du socialisme, de l'état providence et du Marxisme-Léninisme. C'est le temps de la fin du “projet des Lumièresˮ, l'échec à assurer l'hégémonie de la culture occidentale par la raison. Le sens et la valeur ne sont plus fixés comme des entités stables ; la société ne sait plus comment protéger les choses qu'elle a adorées. Elle ne sait plus comment garantir le sens et la valeur de la vie humaine. Tout est maintenant pluriel et en apparence relatif, et une chose est aussi bonne qu'une autre. Ce n'est pas différent pour l'Église et la théologie. » Gerard Loughlin, « Christianity at the End of the Story or the Return of Master-narrative », Modern Theology 8 (1992), p. 365. En l’absence de précision contraire, nous avons effectué nous-même les traductions proposées.

5 « Au contraire, on affirme que toute la théologie doit se reconcevoir comme une sorte de “sociologie chrétienneˮ – à savoir comme l’explication d’une pratique socio-linguistique, ou comme la renarration constante de cette pratique et de la manière dont elle s’est développée historiquement. La tâche d’une telle théologie n’est pas apologétique, et ne se situe pas même dans l’argumentation. Il s’agit plutôt de raconter de nouveau le logos chrétien et de rappeler la praxis chrétienne d’une manière qui en restaure la fraicheur et l’originalité. Elle doit articuler la différence chrétienne de manière à la rendre nouvelle et étrange. » John Milbank, Theology & Social Theory ; Beyond Secular Reason, Oxford, Blackwell Publishing Ltd., 2003, p. 381. (Souligné par l’auteur). Traduction : Pascale Robin, dans John Milbank, Théologie et théorie sociale : au-delà de la raison séculière, Pais, Cerf / Ad Solem (coll. Théologiques), 2010.

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3 Nous nous sommes expliqué ailleurs sur John Milbank et son ouvrage principal6, nous avons

simplement retenu ici la suggestion – non réellement mise en œuvre par son auteur – d’avoir pour support de la théologie la pratique chrétienne en tant que pratique sociale : il nous a donc semblé pertinent de nous attacher à une démarche de théologie pratique orientée vers l’observation d’une réalisation ecclésiale. Pourquoi nous être attaché à une pratique, certes largement identifiée comme chrétienne et reconnue par l’Église, mais qui demeure anecdotique dans les habitudes des chrétiens, dans les institutions ecclésiales et la réflexion théologique ? Ici encore, il nous faut nous situer dans le contexte intellectuel contemporain où « le grand récit7 a perdu sa crédibilité, quel que soit le mode d’unification qui lui est

assigné8 » et « le “petit récitˮ reste la forme par excellence que prend l’invention

imaginative9. » C’est pourquoi nous avons eu goût à raconter l’histoire de croyants qui se

déplacent vers Lourdes et y imaginent, individuellement et collectivement, une façon de vivre qui dit quelque chose de leur foi et de ses conséquences sur leurs manières d’être et de faire.

Rather than the monopoly of a master-narrative, which positions all other narratives, one could suggest an ever extending tradition of narrative linkages, in which now some stories, now others, function as the synchronic animators of the rest, so that there is always a “buzz” within the tradition, a movement of story against story, a never stable positioning and an always possible indeterminacy with regards to new linkages, new stories10.

En accompagnant, observant et écoutant les pèlerins, notre recherche a tenté de faire vivre cette petite histoire en la faisant résonner au sein de la tradition de l’Église conçue comme « bourdonnement », multiplicité d’écrits, de rites et de pratiques. Suivre ce chemin nous a conduit à nous écarter des façons les plus habituelles de faire de la théologie à l’université. Il est apparu inapproprié d’inclure dans ce travail des études de textes de l’Écriture, des commentaires de sources liturgiques ou des analyses critiques d’auteurs théologiques. De

6 « Le livre de John Milbank […] donne cependant l'impression de n'être pas allé au bout de ce que supposerait cette remise en question de la possibilité de grands récits hégémoniques, chemin qui permettrait de ménager d'autres modes de rencontre avec l'"autre". Le projet de proposer clairement un métarécit, qui puisse à son tour accéder à une certaine hégémonie ne semble pas constituer une proposition de théologie réellement post moderne, à moins de totalement repenser la notion d'hégémonie, comme celle de vérité. » Anne RIGHINI TAPIE, « Quelle théologie après la modernité ? John Milbank, quelques théologiens de l’Institut Catholique de Paris », Mémoire de maîtrise, Paris, Institut Catholique de Paris, 2005, p. 86-87.

7 Les grandes représentations de la modernité étaient basées sur quelques constructions englobantes ou « métarécits », tels celui du marxisme ou de l’émancipation. Aujourd’hui, de nombreux penseurs préfèrent penser l’entrelacement de nombreux « petits récits ». Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre 7.

8 Jean-François Lyotard, La condition post moderne, Paris, Les Éditions de Minuit, 1979, p. 63. 9 Ibid. p. 98.

10 « Plutôt que le monopole d'un récit hégémonique qui positionne tous les autres récits, on pourrait suggérer une tradition en extension permanente de liens narratifs, dans laquelle actuellement quelques histoires, maintenant quelques autres, fonctionnent comme les animateurs synchroniques du reste, de telle sorte qu'il y ait toujours un “bourdonnementˮ à l'intérieur de la tradition, un mouvement d'histoire contre histoire, un positionnement jamais stable et une indétermination toujours possible au regard de nouveaux liens, nouvelles histoires. » Gerard Loughlin, « Christianity at the End of the Story or the Return of Master-narrative », p. 381.

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4

telles pages – qui n’auraient rien apporté de nouveau à la recherche en théologie – n’ont pas trouvé leur place dans un écrit qui devait rester centré sur Lourdes pendant le Pèlerinage National et éviter la juxtaposition de chapitres peu articulés entre eux. Nous avons dû nous laisser interpeller par nos observations et accepter que le flou et l’indétermination fassent partie de l’expérience vécue aux sanctuaires, laissant démunies nos conceptions de la précision dans le travail universitaire. En choisissant de nous laisser mener par une réalité croyante et chrétienne d’aujourd’hui, nous avons accepté d’embarquer sur les flots d’une époque mouvante et parfois insécurisante, où la théologie doit découvrir ses façons de faire.

If the Modern Era was a rage for order, regulation, stability, singularity, and fixity, the Postmodern Era is a rage for chaos, uncertainity, otherness, openness, multiplicity, and change. Postmodern surfaces are not landscapes but wavescapes, with the water always changing and the surfaces never the same11.

C’est pourquoi ce travail qui se situe explicitement dans le cadre de la théologie pratique devient également une réflexion de théologie fondamentale. Au moment de commencer cette thèse, notre parcours théologique avait déjà duré vingt-cinq ans et notre parcours académique pluridisciplinaire nous avait fait approcher diverses épistémologies et permis de mesurer les différences de leurs rationalités dont l’entremêlement constitue un support de notre méthode de travail. Nous avons cherché à mettre en œuvre une façon de faire dans la mesure du possible libérée des prescriptions des savoirs installés et cloisonnés, à faire apparaître des fibres langagières – y compris dans des langages non verbaux – utilisant des règles de jeux différentes, voire dissonantes, pour pouvoir faire émerger du sens. La méthode s’est découverte et affinée au fil du temps, guidée par les pèlerins de Lourdes.

Le fruit de cette recherche se compose de sept chapitres. Le premier chapitre présente les intuitions et intentions méthodologiques et théologiques qui chercheront ensuite à être mises en œuvre. Une première partie explique plus précisément notre perception des enjeux de la recherche en théologie, le choix d’une démarche de théologie pratique et de l’étude d’une réalisation ecclésiale particulière et les fondements de la méthode proposée. Une deuxième partie puise dans le trésor de l’enseignement de l’Église pour définir des « critères d’ecclésialité », faisant ainsi droit au côté normatif de tout écrit théologique. Le chapitre 2 vise à donner quelques points de repères dans les recherches académiques à propos de la pratique pèlerine et de Lourdes : il nous permet de commencer à faire dialoguer théologie et

11 « Si l’époque moderne portait la passion de l’ordre, de la régulation, de la stabilité, du singulier et du fixé, l’époque postmoderne porte la passion du chaos, de l’incertitude, de l’altérité, de l’ouverture, de la multiplicité et du changement. Les paysages postmodernes ne sont pas terrestres, mais maritimes, l’eau change en permanence, la surface n’est jamais la même. » Leonard I. Sweet, Aquachurch: Essential Leadership Arts for Piloting Your church in Today’s Fluid Culture, Loveland (Colo.), Group, 1999, p. 24. Cité par Pete Ward, Liquid Church, Peabody / Carlisle, Hendrickson / Pater Noster, 2002, p. 24.

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5 sciences humaines. Quatre chapitres constituent ensuite notre « petit récit ». Dans le chapitre 3, « Lourdes » entre le 11 et le 16 août est décrit à la grande échelle d’une observation globale : la confrontation aux critères définis précédemment permet d’affirmer le caractère ecclésial du rassemblement, tout en commençant à pointer quelques questions sur sa particularité. Le chapitre 4 donne la parole à quelques pèlerins individuels : nous y découvrons l’appropriation dans des formes très personnelles d’une pratique qui dépasse les individus, la réticence à verbaliser ce qui a trait au divin et le caractère profondément rituel des gestes posés pendant le pèlerinage. Ces descriptions ont permis de proposer dans le chapitre 5 quelques modèles de la participation au pèlerinage à Lourdes : issus de nos observations de terrain, ils rencontrent de façon surprenante certaines compréhensions théologiques contemporaines de l’Église qu’Avery Dulles12 en particulier avait essayé de

synthétiser. Ces bases théologiques posées, le chapitre 6 aborde quelques questions concernant l’organisation des sanctuaires de Lourdes et du Pèlerinage National et leur façon de se situer dans l’histoire récente de l’Église en France. Ces développements pourraient être interrogés quant à leur caractère théologique, mais il appartient à la nature de l’Église d’être immergée dans les problématiques et les manières de faire humaines ; en rendre compte, et découvrir comment l’Esprit guide les croyants dans ces méandres rejoint notre question de méthode dans la recherche en théologie. Un dernier chapitre permettra de faire, d’une part une synthèse des enseignements de ce « petit récit », d’autre part une évaluation de la méthode théologique qui aura été déployée et de sa pertinence dans le contexte actuel. Nous pourrons alors conclure en comprenant le rassemblement du 15 août à Lourdes comme un événement d’une « Église liquide13 », où se rassemblent des pèlerins qui naviguent sur les flots d’une

« modernité liquide14 ».

Cette thèse a été effectuée sous une double tutelle académique. Pour l’Institut Catholique de Paris, il s’agit d’une thèse en théologie. Pour l’université Laval, nous étions dans le cadre d’un doctorat en théologie pratique. Nous avons été souvent surpris par les différences, le plus souvent non explicitées, dans les façons de faire de la théologie, dans les lectures proposées, dans les types de préoccupations éthiques, qui dépassaient largement les préconceptions que nous pouvions avoir des disparités entre les deux cultures ou entre théologie et théologie

12 Avery Dulles, Models of the Church, New-York, Doubleday, 2002. 13 Pete Ward, Liquid Church.

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pratique. Pour nous, ces écarts ont été l’occasion d’interroger et d’affiner nos façons de faire, éclairées par ce que les nuances permettent de mettre au jour15.

Si un pèlerinage est souvent conçu comme chemin, tout parcours de thèse l’est également. La particularité de celui-ci, c’est que la méthode était également itinéraire, et ne s’est dévoilée qu’au fur et à mesure. Bien évidemment, cet écrit n’est pas le journal de ce parcours. Mais le lecteur est cependant invité à se laisser surprendre par le cheminement méthodologique autant que par le contenu ecclésiologique, à découvrir comment la pensée théologique s’est construite à partir des observations d’un terrain et des interrogations des sciences humaines, largement guidée par la littérature théologique.

15 En ce qui concerne les légères différences linguistiques qui marquent les deux côtés de l’océan, nous avons écrit dans notre langue maternelle, le français de France : les données n’ont donc pas été cueillies, mais bien collectées.

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Chapitre 1. Un projet d’ecclésiologie pratique

Nos préoccupations, en abordant ce travail de thèse, étaient vastes et peu formulées : quelle pertinence du christianisme dans le monde contemporain, pourquoi faire de la théologie aujourd’hui et comment ? Ceci aurait pu nous orienter vers une recherche plutôt spéculative, dans le champ de la théologie fondamentale. Cependant, nous avions acquis la certitude que les enjeux du christianisme contemporain se trouvent dans la façon dont la présence de Dieu dans le monde est réalisée par l’Église et que, pour le comprendre, il faut découvrir et étudier les lieux où les chrétiens se rassemblent, et pas seulement les plus normatifs d’entre eux. Pour mener à bien ce projet, nous avons décidé d’étudier un « terrain » particulier, un lieu ecclésial particulier. Pourquoi, et pourquoi le Pèlerinage National ? Quels outils avons-nous utilisés pour notre étude, comment les nous adaptés et dans quelles ressources avons-nous puisé ? Quelles précautions convenait-il de prendre ? Ce sont ces questions préliminaires mais fondatrices que ce chapitre se propose d’éclairer.

Nous allons présenter ici dans ses grandes lignes le projet et la méthode théologiques qui nous ont guidé, mais chaque chapitre nous permettra de les affiner et nous en réserverons l’évaluation à la conclusion générale : cette dynamique caractérise en effet la manière par laquelle nous souhaitons faire émerger notre réflexion théologique. Dans la première partie de ce chapitre, nous nous attacherons donc à baliser notre démarche en précisant sa situation dans le projet contemporain de théologie pratique ; nous justifierons le choix du « Pèlerinage National » pour cette étude dont nous présenterons les principes et leurs implications concrètes. Dans la deuxième partie, nous réfléchirons à quelques critères d’ecclésialité, ce qui nous permettra d’ancrer théologiquement nos observations du Pèlerinage National dès le début de notre étude.

Une démarche de théologie pratique

Dans une époque de changements, le christianisme, aujourd’hui comme jadis, expérimente des façons de vivre originales et signifiantes. Notre projet de fonder une réflexion théologique sur la pratique chrétienne en tant que pratique sociale nécessite d’en découvrir au moins une et de la situer dans la tradition pastorale et spirituelle du christianisme : où et comment se manifeste l’Église aujourd’hui ? Cette interrogation initiale était vaste et risquait de rester assez conceptuelle. Il nous fallait l’approfondir et la transformer pour dégager une

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problématique et une méthode. Pourquoi et comment nous a-t-elle conduit à étudier le Pèlerinage National ? En quoi cette étude pratique peut-elle apporter de la nouveauté dans la façon d’envisager la théologie ? Nous allons ici essayer d’expliquer les enjeux de notre type de démarche dans le contexte actuel de la théologie universitaire, pour introduire les intuitions de la méthode que nous avons mise en œuvre.

Au cœur de la question de la théologie

Notre question portait sur les « lieux » dans lesquels nos contemporains peuvent vivre quelque chose de l’Évangile à travers des formes de réalisations de l’Église. L’abondante production, de tous genres littéraires, sur ce sujet depuis plusieurs décennies montre que les théologiens et plus largement l’ensemble des chrétiens, toutes confessions confondues, n’ont pas esquivé ce chantier. Cependant, de nombreuses réflexions théologiques sur les formes de réalisations de l’Église suscitaient chez nous une certaine insatisfaction, nous semblant chercher des éclairages dans des lieux trop convenus pour certaines questions d’aujourd’hui. Il faut en effet prendre acte des changements dans le fonctionnement du christianisme et plus particulièrement du catholicisme en France.

Des catholiques sont présents « partout, en petits, et parfois très petits nombres », sur l'ensemble du territoire, mais ils ne sont « certainement plus là où l'Église les a longtemps attendus et les y attend peut-être encore ».16

Réfléchir à partir du présent

Ce travail est plus une tentative de procéder différemment qu’une explicitation de notre malaise, qui nous semble toutefois exprimé d’une façon assez juste quoique vigoureuse dans une publication récente : dans un numéro des Recherches de Science Religieuse consacré aux enjeux contemporains de la théologie et à la place de celle-ci à l’université, Pierre Gisel, dans un article intitulé « Place, fonction et forme de la théologie17 » s’interroge sur l’incapacité de

la théologie actuelle à produire du sens. Pour lui, cette difficulté est liée à une façon de faire, héritée des siècles qui nous précèdent, où le souci des sources et de la mémoire et celui de la régulation institutionnelle ont entraîné une tendance à ne pas suffisamment prendre en compte le présent : « À partir de quoi pense-t-on, en théologie ? Est-ce à partir du présent, ici la modernité (l’humain et la société d’aujourd’hui) et pour le présent (pour l’humain et la

16 Danièle Hervieu-Léger, Catholicisme, la fin d'un monde, Bayard (2003), p. 277, citant C. Muller et J.R. Bertrand, Où sont passés les catholiques? Une géographie des catholiques en France, Paris, Desclée de Brouwer, 2002.

17 Pierre Gisel, « Place, fonction et forme de la théologie », Recherches de Science Religieuse, 96 (2008), p. 503-526.

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9 société d’aujourd’hui) ? Ou est-ce foncièrement à partir d’un donné de foi ou de tradition, et finalement en faveur de ce donné et de cette tradition18 ? » Pierre Gisel exhorte les

théologiens à s’éloigner d’une « recherche centrée sur des “biens propres19ˮ », ce qui

constitue selon lui une « forme de repli sur une particularité, dont la plausibilité est renforcée par une postmodernité tendant à un multiculturalisme20 », repli dont il craint qu’il ne soit

qu’une « sectarisation soft ». En particulier, s’il affirme que « les “renouveauxˮ attestent de la priorité du fait Église21 », il s’interroge sur une manière qui met « en avant, à l’interne, une

réalité ecclésiale idéalement pensée comme englobante, […] variante, certes dans d’autres formes, du motif de l’Église comme “société parfaiteˮ né à l’aube des temps modernes22 ».

Pour lui, le risque n’est rien moins que la perte de la « pertinence tant du théologique que du christianisme quant au monde et à l’humain comme tel23 ». Il affirme nécessaire de prendre

acte que « le christianisme ne se trouve plus, présentement, socio-culturellement en connexion à une raison commune24 ». Et il invite donc les théologiens à un changement de façon de

penser : « ce qui est premier, ou principiel, c’est l’humain et la société d’aujourd’hui. […] Ne pas en convenir conduit irrémédiablement à une position confessionnaliste. Est premier ce qu’il en est et peut en être de l’humain aujourd’hui, et non la défense ou la validation de telle tradition, chrétienne par hypothèse25. » Pour ce projet, il souhaite donc que l’exercice réflexif

de la théologie s’articule à la « scène religieuse » – terme qu’il utilise pour désigner un ensemble complexe où se jouent des réalités anthropologiques et sociales et où les grandes traditions sont concurrencées par une constellation de mouvements divers et la présence d’un « religieux diffus » – sans éviter la collaboration avec les sciences humaines. Pour lui en effet, la « scène religieuse » est en pleine recomposition, et c’est cela qui doit être vu, déchiffré, mis en perspective. « Il y a en effet non seulement à mieux connaître et comprendre, il y a aussi à penser. Penser les données anthropologiques et sociales qui se tiennent au cœur des différentes scènes du religieux et de leur histoire26. »

18 Ibid., p. 509, (souligné par l’auteur). 19 Ibid., p. 508.

20 Ibid., p. 515. 21 Ibid., p. 510 22 Ibid. p. 510 23 Ibid., p. 515.

24 Ibid., p. 517. (Souligné par l’auteur). 25 Ibid., p. 518.

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L’Église dans son autoréalisation

C’est cette volonté de prendre en compte le présent et la façon dont le religieux s’y inscrit qui préside à notre démarche. Nous avons cherché à rencontrer l’Église dans la pratique particulière d’un grand nombre de chrétiens rassemblés à Lourdes au moment du Pèlerinage National. Cette façon de faire, essayant de découvrir les richesses et de comprendre les enjeux de ce qui se passe dans une situation singulière, peut peut-être se rapporter à ce que certains auteurs classent dans la sous-discipline de l’ecclésiologie qu’ils appellent « congregational studies ».

Part of the liveliness of the discipline of ecclesiology today stems from an interaction between the desire to preserve the essential character of the church and the need that it adapt to new historical situations, between a normative concept of the church and the need that it become inculturated in the life of its members. The foci of these pressure points are addressed by two distinct sub-disciplines of ecclesiology, the one pursuing a normative concept of the church, the other studying its historical manifestations, most concretely congregational studies27.

Notre étude du Pèlerinage National se veut modeste, mais guidée par cette idée : il s’agit de chercher à penser ce qui se joue dans un lieu particulier, voire anecdotique, où se produit quelque chose du religieux chrétien aujourd’hui. Pour nous ce lieu géographique devient lieu théologique28, en vue de l’élaboration d’une réflexion que nous pourrions peut-être qualifier

d’ « ecclésiologie pratique ».

A theology intended to serve the self-realization of redemptive community must be conceived as a theory about practice. It is practice and not theory that come first. […] Theology, however, is a theoretical mediation of a practice29.

Nous postulons que pendant le Pèlerinage National à Lourdes, quelque chose de l’Église se manifeste (nous le vérifierons dès le chapitre 3), notre travail s’attachera à en discerner les singularités. C’est pourquoi nous situons notre étude dans le champ disciplinaire de

27 « Aujourd’hui, une partie de l’animation de l’ecclésiologie en tant que discipline est contenue par l’interaction entre le désir de préserver le caractère essentiel de l’Église et le besoin de s’adapter à la nouvelle situation historique, entre un concept normatif de l’Église et le besoin qu’elle s’inculture dans la vie de ses membres. Les points principaux de ces champs de contrainte sont abordés par deux sous-disciplines distinctes de l’ecclésiologie, l’une cherchant un concept normatif de l’Église, l’autre étudiant ses manifestations historiques, plus concrètement, les études congrégationnelles. » Roger Haight et James Nieman, « On the Dynamic Relation between Ecclesiology and Congregational Studies », Theological Studies, 70 (2009) p. 578.

28 « La théologie catholique donne le nom de lieux théologiques aux divers domaines à partir desquels la connaissance théologique peut élaborer son savoir ou aux diverses sources auxquelles elle puise : l’Écriture, la tradition, les Pères, le magistère, la liturgie, etc. », Cyrille Michon et Gilbert Narcisse, « Lieux théologiques », dans Dictionnaire critique de Théologie, Jean-Yves Lacoste (Dir.), Paris : PUF, 1998, p. 790.

29 « Une théologie visant à servir l’auto-réalisation d’une communauté de rédemption doit être conçue comme une théorie à propos de la pratique. C’est la pratique, et non pas la théorie qui est première. […] La théologie, toutefois, est une médiation théorique d’une pratique. » Joseph A. Komonchak, « The Church and Redemptive Community », in Foundations in ecclesiology, Supplementary Issue of the Lonergan Workshop Journal, Vol 11., Boston, Fred Lawrence editor, 1995, p. 168-169.

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11 l’ecclésiologie, ce qui implique de se situer dans une réflexion théologique marquée par la spécificité de son objet. En effet, pour le chrétien, l’Église est objet de foi. Donc, pour le théologien chrétien, il ne fait aucun doute que l’Église est un objet théologique et, à ce titre, l’ecclésiologie fait partie de la dogmatique. Mais l’Église n’est pas un objet théologique qu’on appréhende de la même façon que la Trinité ou l’Incarnation. Il faut d’abord remarquer que la théologie fait partie intégrante de l’activité de l’Église, et à ce titre, dans l’ecclésiologie, « l’Église est, en règle générale, à la fois sujet et objet de sa recherche30. » Un autre problème

naît de la difficulté de définir l’Église comme objet de la recherche. Le terme « Église » désigne en général pour le théologien une donnée spirituelle, un concept, mais également des réalités très différentes : des communautés, des institutions, des pratiques,… Ces réalités ressemblent à celles qui font l’objet des études en sciences sociales et c’est pourquoi, pour celles-ci, l’Église (ou plus souvent les Églises) peut être représentée comme un objet historique, sociologique, ethnologique, anthropologique, juridique… « Cette multiplicité des sens est significative et constitue la conséquence inévitable de l’inscription de l’Église, réalité spirituelle, dans la vie concrète de la société humaine31. » Épistémologiquement, on se trouve

donc en face de différents types de construction de l’objet, portés par différentes rationalités disciplinaires. L’enjeu pour le théologien qui cherche à faire de l’ecclésiologie est de tenir ensemble ces rationalités différentes, car elles sont signes de l’unité et de la complexité de la consistance théologique de l’Église.

The point here is that there are two dimensions of one reality; there are not two churches. We will need a theological method that will respect these two dimensions on the one church, and not hold them in balance over against each other, but integrate them in a single understanding32.

Au vingtième siècle, l’ecclésiologie et le concile Vatican II ont insisté pour qu’on n’assimile pas l’Église à l’objet sociologique. Toutefois, à trop se focaliser sur l’objet de foi et sa compréhension, on risquerait de tomber dans le travers dénoncé par P. Gisel, de se préoccuper essentiellement de préserver une tradition ou une réalité ecclésiale « idéalement englobante33 », plutôt que de s’appuyer sur la vitalité singulière du christianisme

d’aujourd’hui, en particulier dans des lieux originaux. Notre démarche est portée par une conviction : si les différentes constructions épistémologiques baptisées « Église » sont

30 André Birmelé, « Ecclésiologie », Dictionnaire critique de théologie, p. 434. 31 Ibid.

32 « L’important ici est qu’il y a deux dimensions d’une même réalité ; il n’y a pas deux Églises. Nous aurons besoin d’une méthode théologique qui respecte ces deux dimensions de l’unique Église, et ne pas les tenir en balance l’une contre l’autre, mais les intégrer dans une seule compréhension. » Roger Haight, « Systematic Ecclesiology », Science et Esprit, XLV / 3 (1993), p. 256.

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distinctes, leurs objets ne sont pas disjoints. L’Église, donnée de foi, se manifeste concrètement, de façons diverses, et il convient d’interroger ces expressions ecclésiales en évitant de se limiter aux plus habituelles d’entre elles. Pour ce faire, l’ecclésiologie doit faire confiance aux rationalités contemporaines à sa disposition, en particulier celles des différentes sciences sociales34. Cette tension ne peut qu’être féconde pour la théologie, et l’échange

permanent entre les différentes disciplines, que ce soit sur le plan méthodologique ou sur le plan du contenu, sera donc une des bases de notre méthode de travail. Partir de la réalité empirique et diverse des manifestations de l’Église, en accepter le positif du caractère provisoire et imparfait comme la base de leur relation au Règne devrait permettre de sortir de l’impasse du dédoublement de la pensée entre « Église idéale » et « Églises réelles35 »,

permettre de partir de l’humain et de la société d’aujourd’hui.

C’est pourquoi, en réponse à la question posée plus haut des formes de manifestation de l’Église dans le monde aujourd’hui, il nous a semblé enrichissant pour la théologie d’étudier des pratiques chrétiennes d’aujourd’hui, parmi celles qui semblent originales. Pour explorer la mise en œuvre concrète de ce projet, nous avons décidé d’entreprendre l’étude d’une réalité empirique déterminée, limitée, dans laquelle nous avons postulé (et vérifié) que quelque chose de l’Église se donne à voir.

Le choix du Pèlerinage National comme terrain d’étude

Avant de commencer cette étude, nous étions habité par l’intuition qu’à côté des figures de l’Église locale, diocésaine ou paroissiale et de celles des groupes divers de chrétiens, ordres religieux, mouvements, associations de fidèles, il existait d’autres formes de manifestations de l’Église qui n’ont pas beaucoup été étudiées par les ecclésiologues. Qu’on pense en particulier aux JMJ et à la visibilité de l’Église que cette manifestation permet. La mise en évidence et l’étude de lieux de réalisation de l’Église qui ne puissent s’apparenter ni à des communautés de type hiérarchique, ni à des communautés de type associatif, nous semblait pourvoir aider à élargir nos horizons ecclésiologiques et théologiques.

34 Il est évident qu’en parlant ici de sciences sociales, nous n’ignorons pas la multiplicité de celles-ci, mais nous utilisons ce terme de façon générique pour désigner un éventail de disciplines qui toutes peuvent s’intéresser à ce que représente le monde chrétien socialement constitué. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre de conclusion.

35 Voir par exemple Pierre-Luigi Dubied, « L’ecclésiologie dans la théologie pratique », dans Pierre Gisel (dir.), Pratique et théologie, Volume publié en l’honneur de Claude Bridel, Genève, Labor et Fides, 1989.

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13 Une pratique délimitée

C’est pourquoi nous avons sélectionné une pratique particulière où se joue quelque chose de la présence chrétienne dans le monde, et nous avons tenté d’explorer les modalités de son observation dans une perspective d’interrogation par de nombreuses disciplines : histoire, sociologie, ethnologie, anthropologie, et bien évidemment théologie. Pourquoi le Pèlerinage National ?

Le travail approfondi mais nécessairement limité d’une thèse, le statut de « petit récit » que nous voulions donner à notre recherche, nous amenaient à circonscrire notre champ de réflexion. Nous avons donc cherché un « objet ecclésial », une « figure de l’Église », qui appartienne à la « scène religieuse contemporaine » et qu’un certain consensus d’observateurs extérieurs, de croyants, de responsables de la hiérarchie, considère en général comme une expression de la foi chrétienne socialement constituée. À ce stade de l’étude, il était difficile d’être plus explicite. Des considérations de méthode imposaient un cahier des charges pour que l’objet ecclésial puisse être étudié de façon satisfaisante : il devait être suffisamment circonscrit pour pouvoir être repéré de façon relativement claire et ne pas être démesuré ; il devait également nous être accessible de façon assez simple sur le plan matériel. Ces deux critères nous orientaient vers un objet assez limité. Mais pour pouvoir être qualifié de « figure d’Église », il fallait qu’il ne soit ni trop confidentiel, ni trop ponctuel, et son inscription dans un « paysage ecclésial » plus large devait sembler évidente, même si cet aspect ne pouvait à ce stade du travail être défini par des critères précis.

Ces considérations mal déterminées, et de nombreuses autres sans aucun doute plus contingentes, nous ont orienté vers l’étude du Pèlerinage National. Le Pèlerinage National, dont la première édition a eu lieu en 1873, est un des plus anciens pèlerinages importants à Lourdes, et il a contribué à façonner l’identité de ce sanctuaire. Aujourd’hui, tous les ans aux alentours de la fête de l’Assomption, plusieurs milliers de pèlerins se rassemblent, à l’initiative conjointe de la congrégation des Augustins de l’Assomption et de l’Hospitalité Notre-Dame de Salut et ils sont rejoints par des milliers d’autres. Très rapidement, quelques lectures ont fait apparaître qu’aujourd’hui, les lieux et traditions de pèlerinage sont réinvestis36 : le religieux aujourd’hui s’y manifeste, et étudier un pèlerinage correspondait

donc bien à notre projet.

Mainline church attendance is in serious decline in the secular UK and Europe, but Christian pilgrimage and religious tourism are booming. In our postmodern context

36 P. Post, « Le pèlerin moderne : un rite entre tradition et (post)modernité, » dans Concilium Spiritualité, V. Elizondo et C. Duquoc, (dir.) n° 266(1996), p. 13.

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the experiential, visual, communal nature of pilgrimage is attracting Christians and others in a way that mainline churches are not. […] It is to phenomena like pilgrimage that Christians will seek to attend as they seek afresh to make the Gospel incarnate in western culture again37.

Il faut cependant évoquer ici un problème dont nous n’arriverons jamais à nous affranchir totalement : le poids de la préconnaissance et de la précompréhesion que chacun a de Lourdes. Pour beaucoup, Lourdes, c’est un folklore, une imagerie et/ou un affectif que même le plus abstrait des théologiens traine avec lui : dévotion mariale, présence souvent spectaculaire des « malades », histoires de miracles n’aident pas à avoir une relation distanciée aux rassemblements qui se produisent aux sanctuaires.

Ça m’intéressait d’autant plus, votre recherche, que je suis absolument persuadée qu’on ne sait pas présenter Lourdes. […] Et parce que je suis persuadée qu’on n’arrive pas à faire sauter l’image…, l’image fixe. […] J’ai même de bons amis, de paroisses ou autres, qui sont a priori pas…, ben oui, que j’aurais imaginés capables de prendre un peu plus de recul, ben non. Vis-à-vis de Lourdes, non. Mais parce que c’est catalogué38.

Cependant la démarche théologique ne peut se vivre qu’au cœur de l’engagement croyant, et il a fallu nous reconnaître de ce peuple chrétien tout en essayant de discerner au-delà des clichés.

Compte tenu de la problématique générale que nous avons évoquée, une question pouvait trouver un début de formulation : « peut-on dire qu’à Lourdes lors du Pèlerinage National, l’Église se réalise aujourd’hui et comment ? » Cette formulation permet de mettre en évidence l’intuition et la logique de notre démarche : le pèlerinage à Lourdes en est le point de départ, la pratique des pèlerins le fil conducteur. C’est ce qui se manifeste à Lourdes qui structure la pensée théologique. Cette précision explicite notre projet et le situe comme une façon de faire qui nous positionne certainement dans le champ de la théologie pratique, mais nécessite de préciser comment nous l’envisageons.

37 « La pratique dans les principales Églises est largement en déclin au Royaume Uni et dans l’ensemble de l’Europe sécularisée mais les pèlerinages chrétiens et le tourisme religieux explosent. Dans notre contexte post-moderne, la nature expérientielle, visuelle et communautaire du pèlerinage attirent les chrétiens et d’autres, d’une façon que les principales Églises n’atteignent pas. C’est à des phénomènes tels que les pèlerinages que les chrétiens devront prêter attention alors qu’ils cherchent à incarner à nouveaux frais l’Évangile dans la culture occidentale. ». Craig Bartholomew, « Journeying on : a Concluding Reflection », dans Exploration in a Christian Theology of Pilgrimage, C. Bartholemew et R. Llewelyn, (dir.), Burligton (Vt) / Hants (England), Ashgate, 2004, p. 202.

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15 Un projet de théologie pratique

En effet faire de la théologie pratique aujourd’hui implique de se situer dans un foisonnement de publications39, d’auteurs, de projets qui peuvent parfois sembler contradictoires. « La

théologie pastorale ou pratique est en mal d’identité. Même son nom flotte40. » Si ce domaine

est actuellement en pleine effervescence, il est parfois difficile de l’identifier en tant que discipline, tant les discours des théologiens qui se réclament de la pratique semblent différents. « Une unité de domaine reconnue, mais non pas une unité de discours. Un même souci de la pratique, mais pas de discours théologique unifié. […] Des projets convergents, mais une multitude d’itinéraires41 ». Un certain nombre de théologiens ont essayé de délimiter

son ou ses objets, ses objectifs, ses méthodes et ses enjeux. Ils se sont proposés de classer les différents auteurs, de discerner des courants et différentes façons de faire. Mais la variété de leurs résultats, la diversité des définitions proposées, complémentaires plus que contradictoires, montrent la difficulté de cerner une discipline ou un projet bien défini lorsque le mot « théologie pratique » est utilisé. Il est donc nécessaire de situer la façon dont nous envisageons notre propre étude.

Le bouillonnement actuel est à comprendre dans un changement de perspective dans le rapport entre théorie et pratique qui prend place aujourd’hui dans les sociétés occidentales : « La culture actuelle valorise la pratique42. » Si ce nouveau rapport à la pratique reste souvent

situé dans la vieille opposition entre théorie et pratique – dans laquelle bien souvent la pratique est réduite à l’aspect production, fabrication, éludant la partie réflexive qui faisait intégralement partie de la praxis des anciens – l’intégration des préoccupations pratiques dans l’université, que ce soit dans les sciences humaines ou dans le souci de rapprocher l’univers académique de la société, permet une prise de recul et une théorisation de l’expérience humaine en vue de lui donner un sens. On retrouve bien là le projet de la théologie : en effet, malgré cette apparence de nouveauté, cette valorisation de la pratique n’est pas une importation artificielle ou conjoncturelle dans le christianisme : « Qu’on ne puisse parler de Dieu sans parler de l’homme est une conviction commune depuis les Pères43. » La prise au sérieux de l’Incarnation justifie l’importance de la théologie pratique.

39 Voir le chapitre « théologie pratique » dans la bibliographie.

40 Marc Donzé, « Objectifs et tâches de la théologie pratique, » Revue des Sciences Religieuses 69, n° 3 (1995), p. 292.

41Jacques Audinet, « La diversité pratique des théologies », dans Écrits de théologie pratique (Ottawa/Paris/Bruxelles, Novalis/Cerf/ Lumen Vitae, 1995, p. 241.

42 Klauspeter Blaser, « La théorisation des pratiques », dans Gilles Routhier et Marcel Viau, (dir.) Précis de théologie pratique, Montréal/Bruxelles, Novalis/ Lumen Vitae, 2007, p. 206.

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La pratique n’est pas une donnée imposée par la culture ambiante, mais un lieu théologique : « Théologiquement parlant, son champ d’investigation pratique se situe entre la proclamation de la parole de Dieu et l’horizon de l’achèvement de toutes choses dans le Royaume de Dieu44. » C’est dans cette perspective que nous situons notre étude. Nous souhaitons étudier

une pratique réelle, le « Pèlerinage National » à Lourdes, considérée comme chrétienne et reconnue comme telle par l’institution de l’Église catholique romaine, pour en approfondir les données anthropologiques et sociales, l’originalité ecclésiologique et les fécondités théologiques qui en découlent.

Ceci permet de clarifier notre position vis-à-vis du Pèlerinage National. Pour qui, avec qui et pourquoi effectuer ce travail ? La théologie pratique ou pastorale s’était tout d’abord constituée autour de la formation des ministres du culte, et aujourd’hui, de nombreuses publications portent la préoccupation de l’action concrète, visant à une sorte de « praxéologie pastorale45 ». Bien que nombre de ces études comportent de réelles qualités de théologisation

des problématiques abordées, et de ce fait enrichissent la théologie, la finalité de la réflexion et de l’étude se situe alors dans une évaluation et/ou une amélioration de l’action du groupe ecclésial et de son efficacité pastorale. Il aurait été possible d’aborder l’étude du Pèlerinage National sous cet angle. Cependant, malgré la tentation affleurant toujours de céder à la facilité de réaliser une sorte d’« audit46 » d’une pratique particulière, ce n’est pas le projet qui

nous a guidé. Outre que nous n’étions pas mandaté pour un tel travail, il ne correspondait pas à la réflexion que nous souhaitions mettre en œuvre : il ne s’agit en effet pas pour nous de confronter une pratique à ce qui pourrait être un « cahier des charges » d’une réalisation de l’Église, mais d’essayer d’entendre un message contenu dans une manifestation de l’Église vivante. Ceci implique une certaine attitude théologique où le « terrain », Lourdes et les pèlerins, doivent rester premiers, guider toute la réflexion.

Practical theology implies that theology, as the church’s distinctive discourse, provides the appropriate way to open up the special ecclesial character of particular Christian assemblies. In other words, when we begin to sense the theological work on congregations, then we are seeing the church acting as church rather than as some other similarly sized and structured nonprofit organizations. […]

44 Klauspeter Blaser, « La théorisation des pratiques », p. 210.

45 André Beauregard, « La pastorale a aussi ses lois : encore faut-il les connaître, » dans Jean-Guy Nadeau (dir.) La praxéologie pastorale : orientations et parcours, Montréal, Fides, 1987.

46 « L'audit est l'examen professionnel qui consiste en une expertise par un agent compétent et impartial aboutissant à un jugement sur les états financiers, le contrôle interne, l'organisation, la procédure, ou une opération quelconque d'une entité. L'audit constitue un outil d'amélioration continue, car il permet de faire le point sur l'existant afin d'en dégager les points faibles et/ou non conformes (suivant les référentiels d'audit). Ce constat, nécessairement formalisé sous forme de rapport écrit, permet de mener par la suite les actions adéquates dans le but de corriger les écarts et dysfonctionnements constatés. » wikipedia.org, consulté le 13 avril 2014.

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