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5. P OSITIONS DANS LE RÉSEAU

5.2. U N RÔLE CENTRAL , MAIS PAS TOUJOURS

• Hypothèse 5a : Plus les individus sont investis dans les discussions, plus ils ont un vocabulaire consensuel.

• Hypothèse 5b : Plus les individus s’investissent dans les discussions, plus ils ont un vocabulaire individuel.

• Hypothèse 5c : Plus les individus combinent les investissements, plus ils ont un vo-cabulaire consensuel.

• Hypothèse 5d : Plus les individus ont une capacité à être des intermédiaires, plus ils ont un vocabulaire individuel.

Pour ces hypothèses, je teste des relations individuelles, et non pas des relations dya-diques. J’utilise donc des corrélations bivariées disponibles dans le logiciel UCINET, qui procèdent par permutations, pour m’assurer d’éviter les biais possibles avec les corrélations classiques (Borgatti, et al., 2018). Pour l’hypothèse 5a, 5b et 5c, je procède à des corrélations par permutations entre les différentes centralités et la variable de similarité personnelle pour le vocabulaire propre à l’UNIGE et pour le vocabulaire extra UNIGE. Si ces corrélations s’avèrent être significatives, je compléterai ces analyses avec des régressions par permuta-tions pour voir comment ces variables agissent sur les variables dépendantes. Pour l’hypo-thèse 5d, je procède à la méthode ANOVA qui permet de comparer les moyennes pour des variables catégorielles.

Dans le Tableau 22, on voit qu’aucune corrélation bivariée n’est significative pour le vo-cabulaire propre à l’UNIGE. La Figure 31 présente le scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité de degré externe. En s’intéressant à la distribu-tion du nuage de points, on peut identifier deux groupes. Un groupe, majoritaire, pour lequel les individus ont une centralité au-dessous de 0.1 (en orange dans la Fig. 31) et un groupe, minoritaire, dont les individus sont au-dessus (en bleu dans la Fig. 31). En

nOutdegree nIndegree nBetweenness

1ère année

distinguant ces deux groupes et en réalisant à nouveau des corrélations pour chacun d’eux, on voit que, pour le premier, il y a une corrélation négative et significative (r=-0.27, p-value=0.026). Le deuxième groupe ne l’est tout juste pas (r=-0.82, p-value=0.13). L’hypo-thèse 5a peut donc partiellement être validée. La Figure 32 montre le scatter plot pour la similarité personnelle et la centralité de degré interne. On y observe aucune tendance parti-culière émerger. La Figure 33 présente le scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité d’intermédiarité. On peut également identifier deux groupes distincts. Un groupe d’individus avec une centralité d’intermédiarité en dessous de 5 et un groupe dont les individus ont une centralité d’intermédiarité au-dessus de 5. Ceux-ci sont identifiés dans la Figure 33. En revanche, aucune corrélation significative ne ressort.

Les hypothèses 5b et 5c sont donc rejetées pour le vocabulaire propre à l’UNIGE.

Pour le vocabulaire extra UNIGE, également, on ne trouve pas de corrélations significa-tives. En revanche, en observant les scatter plots (Figures 34, 35, 36), on constate qu’un groupe d’individus semble présenter des scores de similarité personnelle particulièrement bas et des centralités faibles par rapport au reste du réseau. Ceux-ci sont identifiés en rose dans la Figure 37. Ce sont des étudiant(e)s relativement périphériques, mais qui ne sont pas déconnecté(e)s. Ce ne sont cependant pas les mêmes que pour le vocabulaire propre à l’UNIGE. En isolant ces deux groupes et en reproduisant des corrélations pour chacun d’eux, le groupe identifié en orange dans la Figure 34 montre une relation positive et signi-ficative (r=0.55, p-value=0.057). La relation va dans le sens inverse de ce qui a été postulé dans l’hypothèse 5a. Elle doit donc être partiellement invalidée. Pour le deuxième groupe, en bleu, il n’y a aucune relation significative. Pour les autres centralités, en plus de la dis-tinction, les valeurs extrêmes ont été enlevées. Malgré cela, il n’y a pas de corrélations signi-ficatives. Les hypothèses 5b et 5d peuvent être rejetées pour le vocabulaire extra UNIGE.

Le test ANOVA permettra d’explorer ce phénomène.

Tableau 22 : Résultats corrélations bivariées entre centralités et similarités personnelles

***p<0.01 ** p<0.05 *p<0.1 ; N=72

Similarité personnelle

UNIGE Similarité personnelle Extra

UNIGE nOutdegree

Indegree nBetweenness

-0.13 -0.16 -0.10

0.19 0.13 0.10

Figure 31 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité de degré externe pour le vocabulaire propre à l’UNIGE

Figure 32 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la cen-tralité de degré interne le vocabulaire propre à l’UNIGE

r=-0.13, p-value = 0.28

Similarité personnelle et centralité de degré externe UNIGE (N=72)

Similarité et centralité de degré externe selon les deux groupes

Similarité personnelle et degré interne UNIGE (N=72)

Figure 33 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la cen-tralité d'intermédiarité le vocabulaire propre à l’UNIGE

r= -0.10, p-value= 0.42

0 0,05 0,1 0,15 0,2 0,25 0,3 0,35 0,4 0,45

0 5 10 15 20 25

Similarité personnelle

Centralité d'intermédiarité

Similarité personnelle et centralité d'intermédiarité UNIGE (N=72)

r=0.19, p-value=0.15

r=0.48, p-value=0.13

0 0,05 0,1 0,15 0,2 0,25 0,3 0,35 0,4 0,45

0 5 10 15 20 25

Similarité personnelle

Centralité d'intermédiarité

Similarité personnelle et centralité d'intermédiarité UNIGE selon les deux groupes

Figure 34 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la cen-tralité de degré externe pour le vocabulaire extra UNIGE

r=0.19, p-value0.11

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7

0 0,05 0,1 0,15 0,2 0,25

Similarité personnelle

Centralité de degré externe

Similarité personnelle et degré externe extra UNIGE (N=72)

r=0.55, p-value=0.057

r=-0.08, p-value>0.1

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7

0 0,05 0,1 0,15 0,2 0,25

Similarité personnelle

Centralité de degré externe

Similarité personnelle et degré externe extra UNIGE selon les deux groupes

Figure 35 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la centralité de degré interne pour le vocabulaire extra UNIGE

r=0.13, p-value>0.1

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7

0 0,02 0,04 0,06 0,08 0,1 0,12 0,14

Similarité personnelle

Centralité de degré interne

Similarité personnelle et degré interne extra UNIGE (N=72)

r=-0.42, p-value>0.1

r=-0.04, p-value>0.1

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7

0 0,02 0,04 0,06 0,08 0,1 0,12 0,14

Similarité personnelle

Centralité de degré interne

Similarité personnelle et degré interne extra UNIGE selon les deux groupes

Figure 36 : Scatter plot pour la corrélation bivariée entre la similarité personnelle et la cen-tralité d'intermédiarité pour le vocabulaire extra UNIGE

r=0.10, p-value>0.1

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7

0 5 10 15 20 25

Similarité personnelle

Centralité d'intermédiarité

Similarité personnelle et centralité d'intermédiarité extra UNIGE (N=72)

r=0.18, p-value>0.1

r=-0.17, p-value>0.1

0 0,1 0,2 0,3 0,4 0,5 0,6 0,7

0 5 10 15 20 25

Similarité personnelle

Centralité d'intermédiarité

Similarité personnelle et centralité d'intermédiarité extra UNIGE selon les deux groupes

Figure 37 : Visualisation des étudiant(e)s ayant des scores de similarité personnelle extra UNIGE et de centralités relativement bas

Rose = étudian(e)s en marge dans les liens entre centralités et similarité personnelle pour le vocabulaire extra UNIGE

En regardant le Tableau 23, pour ce qui est du lien avec les pratiques langagières propres à l’UNIGE et groupes d’investissements, en faisant le test ANOVA, on constate qu’il n’y a pas de différences significatives de moyennes entre ces quatre groupes. Les moyennes ne sont donc pas interprétables et comparables. L’hypothèse 5c doit donc être rejetée pour ce vocabulaire.

Tableau 23 : Résultats ANOVA pour la similarité personnelle selon les groupes d’inves-tissements de centralité pour le vocabulaire propre à l’UNIGE

Adj. R²= 0.01; F(68,3)= 0.02 ; p-value>0.1; N=72

En revanche, pour le vocabulaire extra UNIGE, le test ANOVA (Tabl. 24) montre une différence de moyenne significative (p-value=0.066). On peut donc interpréter et comparer ces moyennes. On peut voir que, conformément à l’hypothèse 5c, il semble que les per-sonnes qui contractent les deux formes de centralités semblent être en moyenne les

individus qui utilisent un vocabulaire plus consensuel (µ=0.49). À l’opposé, les individus qui ne sont pas investis, et qui ne s’investissent pas sont en moyenne les moins similaires (µ=0.45). Les individus qui sont investis, mais qui ne s’investissent pas, ont la deuxième moyenne la plus élevée (µ=0.47). Cela peut s’expliquer par le fait que ceux-ci sont reconnus comme ayant une certaine popularité ou prestige (Wasserman & Faust, 2018 ; Borgatti et al., 2018). Dans la revue de la littérature, on a effectivement vu que la capacité à influencer le langage était facilitée lorsque les individus étaient populaires et considérés comme por-teurs d’un certain prestige (Le Page, 1968 ; Labov, 1976, 1986 ; Blom & Gumperz, 1986).

Ces résultats sont donc conformes à la littérature et à l’hypothèse 5c postulée, uniquement pour le vocabulaire extra UNIGE.

Tableau 24 : Résultats ANOVA pour la similarité personnelle selon les groupes d’inves-tissements de centralité pour le vocabulaire extra UNIGE

Adj. R²= 0.10; F(68,3)= 2.46 ; p-value=0.066; N=72

Pour conclure, on a pu observer dans ce réseau que les individus qui étaient centraux l’étaient dans les différentes dimensions étudiées. Ceux qui citent souvent sont également ceux qui sont cités et ceux par qui une grande partie de l’information circule. On a pu également observer que les centralités pouvaient être expliquées par l’année d’étude pour le fait de citer plus abondamment autrui, de même que pour le fait d’être davantage cité(e)s.

Le genre également indique une tendance particulière, où les hommes sont davantage cités comme étant des interlocuteurs privilégiés. Pour ce qui est de la centralité d’intermédiarité, ici aussi, les hommes sont les plus centraux, au carrefour des différentes pratiques dispo-nibles.

Au niveau du vocabulaire endogène à l’UNIGE, on peut conclure, par ces résultats, que la position des individus a un effet relatif sur la répartition des pratiques langagières, au niveau agrégé. Cela permet d’étendre les postulats de la littérature (Milroy, 1987 ; Fagyal et al., 2010), en étant cohérent avec ce qui a pu être postulé par Labov (1976). En effet, pour que des individus centraux aient un impact sur la pratique d’un réseau et que leurs pratiques soient également influencées par les pratiques du réseau en présence, il faut soit une certaine capacité de l’individu à être un norm enforcer, soit que le réseau et les pressions normatives agissent également comme norm enforcer, ce qui n’est pas le cas dans ce réseau estudiantin.

N’est pas

Le manque de propriétés cohésives et le manque de contraintes normatives présents dans ce réseau semblent montrer que, dans les réseaux peu cohésifs, le fait d’être un acteur central ne suffit pas. L’individu n’a pas la capacité à être un norm enforcer.

De plus, pour qu’un individu utilise un langage consensuel, il faut qu’il s’identifie au ré-seau et qu’il le prenne comme référence (Labov, 1976 ; Merton, 1979). Le langage a ensuite une fonction identitaire, où le vocabulaire utilisé permet à l’individu d’être identifié comme appartenant au groupe visé. Or, la diversité des pratiques réunies dans ce réseau ne permet pas aux individus centraux, par volonté d’appartenir au réseau, de repérer un langage con-sensuel et donc de l’utiliser pour correspondre à ce réseau et y être identifiés. L’hétérogé-néité et l’individualisation, mises en exergue dans les parties précédentes, empêchent les individus qui le voudraient d’utiliser un langage consensuel.

Néanmoins, en désagrégeant certaines données, on a pu observer des logiques différentes selon les centralités. En effet, avec la centralité externe, on a pu voir que, jusqu’à un certain degré de centralité, la position des individus avait une influence sur leur pratique person-nelle. Conformément à ce qui a pu être postulé, dans les hypothèses et dans la littérature, le fait de multiplier les discussions favorise un langage plus personnel (Labov, 1976 ;Milroy, 1987 ; Simmel, 1999 ; Fagyal et al., 2010). Au-delà d’un certain seuil, le fait d’être trop cen-tral annule la tendance et rend les pratiques davantage du ressort individuel que soumises à quelque mécanisme.

Pour le vocabulaire qui n’est pas relatif à la réalité particulière de l’Université de Genève, on a pu observer deux formes de mécanismes, au niveau global et au niveau local. Tout d’abord, au niveau global, on a pu voir que le fait de combiner des positions centrales et d’être à la fois investi(e)s et de s’investir dans les discussions avait une influence sur les pratiques langagières personnelles. Les étudiant(e)s qui « jouent le jeu » de la socialisation semblent être récompensés. Cela va dans le sens de la littérature (Labov, 1976 ; Milroy, 1987) et des hypothèses. Une certaine notion de désirabilité sociale agit sur la similarité personnelle. Il faut considérer que les personnes qui sont le plus souvent citées sont des individus populaires pouvant être reconnus comme ayant un certain prestige (Wasserman

& Faust, 2018). Ces derniers auraient alors une plus grande capacité à influer sur les pra-tiques des autres (Le Page, 1968 ; Milroy, 1987 ; Gumperz, 1989 ; Blom and Gumperz, 1986). On peut comparer le changement langagier à une épidémie (Milroy and Milroy, 1985) : une personne désirable utilise une forme langagière, cette forme est identifiée comme lui étant propre ; les individus qui veulent ressembler à la personne désirable re-prennent cette forme particulière. La pratique se propage en cascade, ayant comme consé-quence sur la personne centrale qu’un plus grand nombre d’individus utilise sa pratique et que, au final, sa similarité se verra impactée dans le sens d’un vocabulaire consensuel.

À ces explications pour la combinaison des centralités interne et externe on peut en ajou-ter une supplémentaire, conformément à ce qui a été mis en évidence dans le chapitre pré-cédent. On a vu que les pratiques lexicales qui sont exogènes à la réalité particulière de l’Université de Genève se partageaient par les discussions, qu’elles soient réciproques ou subjectives. En conséquence, plus un individu multiplie les discussions, quelle que soit leur nature, plus cela va impacter sa similarité personnelle. En étendant l’implication des liens directs et réciproques, les individus qui sont en lien avec beaucoup de personnes ont ten-dance à partager leur vocabulaire avec un plus grand nombre d’individus et donc le voca-bulaire de ce dernier devient, par la force des choses, plus consensuel. L’agrégat des rela-tions contractées impacte ainsi de manière indirecte la similarité personnelle.

Ensuite, au niveau local, les individus qui présentent des scores de centralité externe et de similarité personnelle relativement bas ont l’air d’avoir un comportement particulier. En effet, pour ces individus, plus ils s’impliquent dans un plus grand nombre de discussions, plus ils ont tendance à utiliser un vocabulaire qui est moins individuel. La combinaison d’une position périphérique, couplée à un usage de vocabulaire relativement personnel semble inciter les individus à tendre vers un langage plus consensuel à travers les relations.

Cela va à l’encontre de mon hypothèse, mais une explication peut être trouvée (Le Page, 1968 ; Milroy, 1987 ; Gumperz, 1989 ; Blom and Gumperz, 1986). Pour cela, il faut consi-dérer que la création de liens dénote d’une volonté d’appartenance au groupe (Labov, 1976 ; Merton, 1949). L’Université et les étudiant(e)s qui la composent en tant que cercle social sont pris en référence et sont désirables. Dans ce cas de figure, l’individu multiplie les con-tacts et adopte un langage consensuel afin d’être identifié comme appartenant à ce groupe et comme désirant en faire partie (Scholand et al., 2010b ; Sherzer, 2012). Le vocabulaire est utilisé pour être reconnu par les membres du réseau universitaire. Une plus grande si-milarité peut alors être comprise comme étant une tentative de ressembler et de s’intégrer dans ce réseau. Le langage a une fonction homophilisante (McPherson et al., 2001 ; McFar-land et al., 2014), où celui-ci, étant donné qu’il est reconnu comme étant utilisé par un groupe particulier, est utilisé afin de créer des liens et d’être intégré dans le réseau visé.

Par ces résultats, on observe ici une relativité du langage au sein d’un même réseau. Cela prolonge la notion de relativité du langage, d’une communauté à une autre (Kroch, 1989 ; Blom and Gumperz, 1986 ; Lippi-Green, 1989 ; Macauly, 2013 ; Schilling, 2013), à une re-lativité langagière intracommunautaire.