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1. Avant Propos

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Academic year: 2021

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1. Avant Propos

L’apprentissage de la lecture est un phénomène complexe par lequel tous les enfants doivent passer. Si la plupart des élèves franchissent cette étape sans difficultés, ce n’est malheureusement pas le cas pour tous. En effet, certains enfants arrivent en première année primaire avec un niveau différent de connaissance en langage oral et sont déjà en situation d’échec. La variable « milieu socio-économique » joue dans ce cas un rôle non négligeable. Des travaux ont montré qu’elle est systématiquement en relation avec les compétences en lecture à la fin de la 3ème maternelle, mais aussi en première et deuxième année primaire (Leybaert et al, 1994). Par ailleurs, certains auteurs ont constaté que les enfants issus de l’immigration partagent les mêmes difficultés scolaires que leurs pairs autochtones issus de milieu socio-économique défavorisé (Hirtt &

Kerckhofs, 1996). En effet, ils partagent certaines caractéristiques comme le faible niveau de scolarisation de leurs parents et souvent la méconnaissance réciproque entre le milieu scolaire et familial C’est pourquoi, il est important de s’intéresser au langage écrit des enfants issus de l’immigration. Existe-t-il des différences en lecture et en écriture quand on compare ces enfants à une population autochtone de même niveau socio-économique?

Des études réalisées aux Pays-Bas par Verhoeven et ses collaborateurs comparant des enfants d’origines turque et marocaine à des enfants autochtones de niveau socio-économique équivalent (Extra &

Verhoeven, 1994 ; Geva & Verhoeven 2000) montrent que l’apprentissage de la lecture et de l’écriture pose certains problèmes aux enfants issus de l’immigration. D’une part ces enfants possèdent des compétences orales limitées (en vocabulaire et en syntaxe). D’autre part, ils présentent des difficultés dans la maîtrise des structures phonologiques de la langue de l’école, ce qui entrave la mise en place de procédures adéquates de traitement de la langue et perturbe l’apprentissage de la lecture et de l’écriture. Les interférences entre la langue maternelle et la langue de

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l’école (dues à des différences au niveau phonologique, morphologique et syntaxique) ont également été évoquées en tant que sources supplémentaires de difficultés. D’autres auteurs ont cependant montré que les interférences entre langues ne jouaient qu’un rôle mineur dans les difficultés d’apprentissage de l’écrit (Koda, 1994 ; Weber, 1991 cités par Droop & Verhoeven 1998).

Selon le rapport rédigé par P. Stanat et G. Christensen1 pour l’OCDE2, ce qui explique les différences c’est que les systèmes éducatifs dans de nombreux pays servent mal les enfants d’origine étrangère. Le rapport analyse en détails les résultats des élèves issus de l’immigration dans 17 pays comptant une large population d’immigrés et indique qu’avoir une grande population d’immigrés n’implique pas automatiquement que les performances des élèves d’origine étrangère soient plus faibles ni que le niveau général des performances soit d’emblée plus problématique. Dans plusieurs pays, une grande partie des enfants issus de l’immigration accusent néanmoins un manque de solides compétences de base en mathématiques et en lecture.

Jacobs, Hanquinet & Rea (2006) ont globalement reproduit les analyses de l’étude « Where immigrant student succeed » de l’OCDE pour la Belgique. Dans cette contribution, les auteurs examinent de plus près les résultats de l’enquête PISA3 pour la Belgique en comparant surtout la situation des élèves « issus de l’immigration » avec celle des élèves dits

« autochtones ». L’accent est mis sur l’analyse différenciée des données pour la Communauté flamande et pour la Communauté française, étant

1 Petra Stanat et Gayle Christensen (2006) : « Where immigrant student succed : A comparative review of performance and engagement » in PISA 2003. OCDE, Paris.

2 L’Organisation de Coopération et de Développement Economiques (en anglais OECD : organisation for Economic Co-operation and development) est une organisation des pays développés qui ont en commun un système de gouvernement démocratique et une économie de marché. Son siège est à Paris.

3 PISA : Programme for International Student Assessment.

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donné qu’elles connaissent une autonomie quasi-totale en matière d’enseignement. Les auteurs confirment les conclusions du rapport OCDE.

La Belgique, tant du côté néerlandophone que du côté francophone, est bel et bien confrontée à un problème très sérieux en ce qui concerne les compétences scolaires d’une grande partie des élèves issus de l’immigration. Ce problème n’est pas uniquement lié à la position socio- économique défavorisée avérée des groupes issus de l’immigration. Dans leurs analyses, ils se concentrent sur les résultats en lecture et en mathématiques et distinguent trois catégories d’élèves selon leur

« situation migratoire ». Premièrement, les « élèves autochtones » nés en Belgique et qui ont au moins un de leurs parents nés en Belgique, ou les élèves nés à l’étranger avec au moins un parent né en Belgique.

Deuxièmement, « les élèves de deuxième génération », nés en Belgique, mais dont les parents sont nés dans un autre pays. Troisièmement, « les élèves immigrés », qui ne sont pas nés en Belgique et dont les parents sont aussi nés dans un autre pays. Les deux dernières catégories,

« élèves immigrés » et « élèves de deuxième génération », sont considérées comme faisant partie de la catégorie plus générale des personnes dites « issues de l’immigration » ou « d’origine étrangère ». Les élèves ont donc été classifiés selon leur pays de naissance et celui de leurs parents. Dans l’échantillon belge de l’enquête PISA, les élèves dits

« autochtones » représentent la très grande majorité de l’échantillon, 88.5% pour la Communauté française contre 93.3 % pour la Communauté flamande. Les auteurs se sont concentrés prioritairement sur la comparaison des enfants autochtones aux enfants d’origine étrangère dans les écoles de la Communauté Flamande et de la Communauté Française. Parmi les enfants issus de l’immigration, les origines sont diverses et les pays limitrophes bien représentés et nombreux sont les élèves d’origine néerlandaise parmi les élèves issus de l’immigration du côté flamand et d’origine française du côté francophone.

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Parmi les personnes issues de pays non membres de l’Union Européenne actuelle, celles d’origine marocaine et turque sont les plus représentées.

Cependant les auteurs, dans leurs analyses, n’ont pas fait de distinction approfondie selon l’origine nationale des parents, mais ils se sont penchés préférentiellement sur la comparaison entre élèves autochtones et élèves issus de l’immigration. Les résultats moyens selon la situation migratoire en lecture et en mathématiques ont été analysés par les auteurs. Il est à noter que le score moyen pour les pays membres de l’OCDE en lecture et en mathématiques est de 500. Les tests en lecture comprenaient les dimensions suivantes : trouver de l’information dans un texte, comprendre globalement un texte, interpréter les éléments d’un texte, réfléchir sur le contenu d’un texte et l’évaluer, réfléchir sur la forme d’un texte et l’évaluer. Les auteurs observent un écart de 83.6 points entre les élèves autochtones (523.0) et les élèves de la deuxième génération (439.4). Cette différence est significative. Il y a également un écart significatif de 116.5 points entre les élèves autochtones (523.0) et les élèves immigrés (406.5). La différence entre les élèves de deuxième génération et les élèves immigrés est pour la lecture, également significative. Les auteurs notent en outre que les écarts entre élèves autochtones et élèves issus de l’immigration en Belgique, sont les plus élevés de tous les pays participant à l’enquête PISA. En mathématiques, la différence entre élèves autochtones et élèves issus de l’immigration (deuxième génération et élèves immigrés) est significative. Cependant, la différence entre élèves immigrés et élèves de la deuxième génération n’est pas significative. Les auteurs constatent que les écarts entre élèves autochtones et élèves issus de l’immigration en mathématiques sont les plus élevés en Belgique, comparés à tous les autres pays qui ont participés à l’enquête PISA. Ils constatent également que par rapport aux autres pays membres de l’OCDE, les élèves autochtones en Belgique occupent la 3ème place en mathématiques. Les auteurs se sont également penchés sur les écarts entre les élèves autochtones et les élèves issus de

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l’immigration en lecture et en mathématiques selon, le statut socio- économique, la langue parlée à la maison, et le type d’enseignement.

Les auteurs mettent en exergue que l’origine sociale des élèves, établie sur base du niveau d’instruction et sur la profession des parents, explique une part des écarts observés. Cependant le statut socio- économique, malgré le rôle important qu’il joue, n’absorbe pas les effets des autres facteurs. Par ailleurs, la langue parlée à la maison constitue un autre facteur déterminant, influençant grandement l’écart existant entre élèves, et notamment entre élèves autochtones et enfants issus de l’immigration. Le type d’enseignement (général ou qualifiant) intervient également dans la distribution des résultats. Celui-ci est à la fois une cause et une conséquence pour les élèves de l’enseignement qualifiant.

Cependant en contrôlant ces trois facteurs, le statut socio-économique, la langue parlée à la maison et le type d’enseignement, les élèves issus de l’immigration se trouvent toujours dans une situation défavorable.

Les enquêtes PISA mettent bien en évidence le poids du système scolaire dans la production des différentiels de performances, les systèmes unifiés obtenant de meilleurs résultats que les systèmes différenciés. Les systèmes d’enseignement belges semblent fonctionner de manière différenciée et produisent des performances scolaires très contrastées. A partir du moment où on écarte, comme facteur explicatif de ces écarts conséquents entres les élèves autochtones dans l’enseignement flamand et ceux de l’enseignement francophone, l’explication reposant sur l’origine socio-économique, seule une explication fondée sur l’éducation entendue (les objectifs pédagogiques, la pédagogie, la satisfaction des enseignants, ou encore tout autre facteur relevant du projet pédagogique) permettrait de relever les sources de ces différences qui ne seront pas sans incidence sur l’insertion sur le marché de l’emploi. Les auteurs terminent leur analyse en proposant quelques pistes d’exploration permettant d’affiner leurs constatations.

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La première est qu’une grande concentration d’élèves issus de l’immigration aurait un impact sur les scores. Une seconde piste serait l’accès différentiel des élèves issus de l’immigration aux écoles qui ont une bonne réputation. Une troisième serait de voir si certaines écoles sont mieux capables que d’autres d’assurer l’égalité de chances de différents groupes sociaux et ethniques. Lafontaine et al (2003) constatent qu’après la Pologne, « La Communauté française de Belgique est le système éducatif où le recrutement social des établissements a l’impact le plus marqué ». D’après ces auteurs, si le système scolaire belge n’est pas moins égalitaire que ses voisins européens, il semble bien que les écoles agissent comme des catalyseurs de différenciation sociale qui exacerbent, par le biais des regroupements d’élèves, les effets des inégalités sociales de départ. Cette donnée vient alimenter l’hypothèse de la forte différenciation du système scolaire belge sur la base des établissements d’enseignement.

Lafontaine & Blondin (2004) ont également analysé les résultats de l’enquête PISA en Communauté française de Belgique. Une de leurs questions principales est de savoir quel est le véritable impact des déterminants individuels, comme par exemple le milieu socio-économique et l’origine de l’élève, sur les performances en lecture en Communauté française de Belgique ? L’analyse entreprise par ces auteurs sur les données PISA confirme le rôle prépondérant de ce qu’on appelle les

« effets de pairs ». L’influence du milieu social d’origine joue bien moins au niveau individuel que collectif lorsque, comme en communauté française, des mécanismes divers (liberté totale du choix de l’établissement, existence d’établissements plus orientés vers l’enseignement de transition ou l’enseignement de qualification..) aboutissent à cliver et à homogénéiser la composition sociale du public des établissements. Plusieurs systèmes éducatifs présentant d’ailleurs des caractéristiques structurelles proches (redoublement, filières,...), fonctionnent de la même manière que la Communauté française de Belgique.

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C’est notamment le cas de la Communauté flamande de Belgique, de l’Allemagne, du Luxembourg, de la Pologne, de la Hongrie, en général de tous les pays dont la variance entre écoles est élevée. Certaines des variables scolaires et individuelles dont l’impact a été mesuré par des analyses de régression pourraient à première vue, si les auteurs s’étaient contentés d’une simple mise en relation terme à terme avec les performances en lecture, donner l’impression d’exercer un « effet » positif ou négatif très significatif. C’est notamment le cas de l’origine (immigrée ou non) de l’élève et de ses parents qui apparemment joue un rôle très négatif, mais dont l’analyse de régression, montre qu’elle exerce finalement une fois l’origine sociale et d’autres caractéristiques tenues sous contrôle, une influence non significative. Par contre une autre variable joue un rôle moteur en Communauté française: l’engagement dans la lecture, tant au niveau individuel que collectif.

Toutes autres caractéristiques étant égales par ailleurs, le fait d’être engagé dans la lecture (lire fréquemment un éventail diversifié d’écrits et d’avoir des attitudes favorables envers la lecture) va de pair avec de meilleures performances en lecture. Cependant, l’analyse, vu sa nature corrélationnelle, ne permet pas d’établir dans quelle mesure le fait de lire davantage est à l’origine de meilleures performances et dans quelle mesure le fait d’être meilleur lecteur conduit à être un lecteur plus motivé et plus assidu.

Nous venons de brosser brièvement et dans les grandes lignes quelques facteurs susceptibles d’expliquer une part des difficultés rencontrées en lecture par les enfants issus de l’immigration. Néanmoins, il nous semble indispensable pour comprendre l’origine des difficultés d’apprentissage de la lecture, de passer d’une part par la compréhension des mécanismes d’acquisition de ce processus complexe et d’autre part, par la prise en considération de tous les facteurs susceptibles d’entrer en jeu dans l’apprentissage de la lecture.

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2. L’apprentissage de la lecture

2.1. Développement des mécanismes de lecture

Selon Bentolila (1998), il existe plusieurs pré-requis indispensables à l’apprentissage de la lecture. L’enfant doit tout d’abord posséder un vocabulaire large et maîtriser les structures syntaxiques les plus fréquentes de sa langue. Ensuite, il doit être capable d’analyser et de synthétiser l’information et posséder des capacités suffisantes de mémoire de travail et d’attention. Enfin, les représentations phonologiques des mots qu’il connaît doivent être suffisamment spécifiées. Apprendre à lire est un processus complexe qui, contrairement à la langue orale, ne se développe pas naturellement et doit faire l’objet d’un enseignement spécifique. Ainsi, la présence des pré-requis discutée plus haut ne permet pas d’affirmer que l’enfant apprendra à lire sans difficulté. Différents modèles ont été proposés concernant le développement des capacités de lecture chez l’enfant (Frith, 1985 ; Marsh & al, 1981 ; Morton, 1989 ; Seymour & Mac Gregor, 1984 ; Stuart, 1990 ; Stuart & Coelthart, 1988 cités par Alegria et al, 1994).

Sans les décrire, il est intéressant de noter que malgré leurs divergences, ces différents modèles s’accordent tous sur le fait qu’il existe des mécanismes d’identification de mots (logographique, alphabétique et orthographique) et que ceux-ci évoluent au cours de l’apprentissage (Alegria et al, 1982). Au début des premiers contacts avec l’écrit, l’enfant aura tendance à identifier les mots dans leur globalité, par leurs caractéristiques visuelles, leur longueur, leur silhouette, ce qui caractérise la procédure dite logographique. Cependant l’enfant sera incapable d’associer les lettres du mot écrit aux sons de la parole correspondants.

L’enfant doit découvrir le principe alphabétique associant les lettres d’un mot à des entités phonologiques abstraites, les phonèmes. Deux procédures jouent un rôle dynamique majeur dans l’acquisition de la lecture. Il s’agit de la procédure d’assemblage, où l’ensemble de lettres constituant le mot est transformé en leur constituant phonologique,

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phonèmes, et de la procédure d’adressage (dite directe) qui relie la représentation orthographique au lexique interne. Lorsque l’enfant rencontre un mot inconnu, il aura recours au mécanisme de conversion graphème-phonème. Si le traitement réussit il y aura deux effets à long terme. Le premier est de rendre de plus en plus automatique la voie d’assemblage. Le second est d’enrichir les représentations orthographiques, qui permettront à l’enfant d’identifier les mots de manière directe (Alegria & Morais, 1989).

La procédure de décodage graphophonologique constitue donc un mécanisme d’auto-apprentissage qui permet de constituer les représentations orthographiques des mots afin de les reconnaître plus rapidement lors des rencontres ultérieures. Ainsi, les données montrent souvent que les bons lecteurs prennent de l’avance grâce à une procédure orthographique plus efficace. En début d’apprentissage, l’enfant utilisera la procédure d’assemblage afin de lire les mots réguliers, les mots inconnus et les pseudomots. La procédure d’assemblage est primordiale chez l’apprenti lecteur : quand il rencontre un nouveau mot, il le déchiffre en s’aidant des connaissances des règles de conversion graphème-phonème et crée ainsi un code phonologique du mot inconnu. Si la procédure aboutit à l’identification du mot, à long terme cela permettra d’une part de renforcer les processus d’assemblage et d’autre part, de créer une représentation orthographique directement accessible. Ensuite, les rencontres ultérieures avec ce mot permettront de fixer d’une part, l’association avec sa représentation orthographique et d’autre part, l’association avec le sens du mot.

Ce modèle a été proposé par Jorm & Share (1983, cités par Alegria et al, 1994). Il faut cependant noter qu’il ne permet pas de rendre compte de tous les patterns d’erreurs chez les apprentis lecteurs. En effet, ce modèle dynamique suppose que les représentations orthographiques se forment petit à petit grâce à la procédure d’assemblage. Or, il existe des lecteurs dits « chinois » dont l’accès lexical direct est nettement plus performant que l’assemblage et des lecteurs dits « phéniciens » qui

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présentent le profil inverse. Il est intéressant de noter qu’à long terme, les résultats en compréhension de textes sont meilleurs pour les

« phéniciens » (Barnes et al ; Freebody & Byrne, 1988 cités par Alegria et al, 1994). Par contre, la procédure basée sur les règles de correspondance graphème-phonème ne peut s’appliquer aux mots irréguliers. Ils pourront être lus grâce à la procédure orthographique (Mousty & Leybaert, 1999).

Chez le lecteur habile les deux procédures sont automatisées, elles cohabitent et fonctionnent en parallèle. L’automatisation du décodage est néanmoins d’une importance capitale (Morais & Robillart, 1998). En effet, elle libère les processus cognitifs de manière à ce qu’ils puissent être utilisés pour la compréhension. Plus particulièrement, l’automatisation du décodage permet de diminuer la charge en mémoire de travail afin que cette dernière soit utilisée pour d’autres processus comme par exemple pour l’analyse syntaxique et l’intégration sémantique.

2.2. Compréhension écrite

Selon le modèle de Gough & Tunmer (1986), l’habileté de lecture dépend de la reconnaissance du mot et de la compréhension de la langue.

Au début de l’apprentissage, les différences individuelles en décodage ont une valeur prédictive sur les différences individuelles en compréhension de textes. Cependant, cette influence diminue à partir de la troisième année primaire quand le décodage devient plus automatique. A cette période les processus de hauts niveaux ou « top-down », influencent principalement le développement de la compréhension en lecture. Ainsi, une étude (Lesgold et al, 1985, cités par Morais & Robillart, 1998), a mis en évidence que les capacités de lecture de mots isolés à voix haute en première année primaire prédisaient les capacités de compréhension de textes simples en troisième année primaire sans que les capacités de compréhension en première ne prédisent les capacités de lecture à voix haute en troisième année primaire. En ce sens, d’autres recherches ont constaté que l’habileté de décodage influence la compréhension écrite en première et deuxième primaire (Juel, 1988). Grâce à une identification

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rapide de chaque mot, le lecteur peut se consacrer davantage à l’extraction du sens de la phrase par l’intermédiaire de ses ressources en mémoire de travail. Jong & van der Leij (2002, in Lerkkanen et al, 2004) constatent également que la vitesse de lecture du mot entraîne un meilleur développement de la compréhension du langage écrit après la première année ; la lecture est fluide et l’attention sera accordée à la compréhension du texte (Perfetti, 1985). Inversement si le décodage n’est pas automatisé, la lecture est lente et la compréhension difficile (Fayol, 1992).

Faut-il considérer l’identification des mots comme l’origine ou comme la conséquence du niveau de lecture-compréhension ? Si la plupart des études démontrent que le décodage agit favorablement sur la compréhension, il est en effet tout aussi possible d’envisager l’idée selon laquelle le bon lecteur est davantage exposé à du matériel écrit, ce qui améliore en conséquence son habileté d’identification de mots. Cette observation rejoint celle de Stanovitch (1986), qui constate que les lecteurs précoces ayant plus d’expérience en lecture deviendront meilleurs grâce à un contact plus fréquent avec l’écrit. En conclusion, la compréhension en lecture en début d’apprentissage est influencée par les processus de bas niveaux tel que l’identification de mots. Par la suite, elle dépend davantage des processus de hauts niveaux tels que les compétences en langage oral

2.3. Lecture et développement des capacités métaphonologiques

De nombreux auteurs s’accordent aujourd’hui pour dire que la conscience phonologique est indispensable à l’apprentissage de la lecture.

Gombert (1990) définit l’habileté métaphonologique comme « la capacité à identifier les composants phonologiques des unités linguistiques et à les manipuler de façon délibérée ». Ces composants sont principalement les phonèmes et les syllabes ou même encore, à l’intérieur de la syllabe,

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l’attaque et la rime. Il est donc important de distinguer les habiletés métaphonologiques qui portent sur la syllabe de celles qui portent sur le phonème. Plusieurs études suggèrent de considérer de manière distincte le développement des habiletés métaphonologiques portant sur la syllabe de celles portant sur le phonème.

Une première étude a été réalisée par Lieberman et al (1974) et a montré que dès 4 ans, les enfants étaient capables de compter les syllabes au sein de mots entendus. En revanche, le comptage de phonèmes s’est révélé presque impossible à cet âge. Demont (1994) a mis en évidence qu’au cours des six premiers mois de la scolarité primaire, les enfants réalisaient des progrès importants, notamment en ce qui concerne la métaphonologie, mais que la réussite des opérations d’identification et de manipulation de syllabes précédait celle des opérations concernant les phonèmes. Il existe donc une différence dans l’acquisition de la manipulation de ces deux unités phonologiques. Selon Gombert (1990), cette différence est due au fait que le phonème nécessite une décomposition de la syllabe. Selon Alegria & Morais (1979 ; 1989), la syllabe est plus facile à manipuler car elle correspond à « un acte articulatoire unitaire et facilement isolable ».

En outre, selon Alegria & Morais (1979), il semble que la conscience du phonème n’ait pas lieu spontanément. Selon ces auteurs, une première preuve réside dans l’incapacité qu’ont les adultes illettrés à manipuler les phonèmes alors qu’ils réalisent très bien les opérations concernant les syllabes. Ils s’appuient également sur les performances d’enfants ayant suivi une méthode purement globale d’apprentissage de la lecture, ces derniers obtenant en manipulation de phonèmes, des résultats inférieurs à leurs pairs ayant bénéficié d’une méthode phonique (Alegria et al, 1982).

Enfin, un argument supplémentaire réside dans des études réalisées en Chine (Read & al, 1986) sur des adultes ayant appris à lire soit dans un système alphabétique (le Pin Yin) soit dans le système utilisant les caractères logographiques traditionnels. Les résultats ont mis en évidence que seul les premiers étaient capables de manipuler les phonèmes. La

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conscience phonémique est donc liée à l’apprentissage de l’écrit mais ce uniquement dans un système alphabétique.

En effet, plusieurs études ont montré que les résultats des enfants à des tâches de métaphonologie étaient fortement liés avec les compétences ultérieures des mêmes enfants en lecture et en écriture (Perfetti, 1989, Morais, 1994). D’autres recherches empiriques ont mis au jour l’avantage d’un entraînement explicite de la manipulation de phonèmes sur l’habileté en lecture (Hatcher et al, 1994). Ces auteurs ont comparé l’efficacité de cet entraînement sur la lecture auprès d’enfants âgés de 7 ans considérés comme « mauvais lecteurs ». L’entraînement consistait soit en un travail des habiletés métaphonologiques, soit en l’association de ce même travail aux lettres et séquences de lettres. A l’issue de cette expérience les résultats ont montré que seuls les enfants qui recevaient un enseignement qui liait les compétences phonologiques aux tâches de lecture amélioraient leurs performances en lecture. Ceci suggère que les compétences métaphonologiques soient nécessaires mais non suffisantes pour une bonne maîtrise de la lecture. Inversement, l’acquisition du langage écrit agit sur les compétences métaphonologiques de l’enfant (Morais et al, 1979).

Plus précisément, la connaissance du code alphabétique accélère à son tour le développement des habiletés métaphonologiques. La conscience phonologique exerce surtout une influence en début d’apprentissage de la lecture. En ce sens, beaucoup d’études ont montré que les meilleurs facteurs prédictifs de l’identification du mot résultent de la connaissance des lettres et de la conscience phonologique déjà à l’âge préscolaire (Bradley et Bryant, 1983). Ainsi, les facteurs influençant la lecture varient au cours des différents stades du développement. En effet, bien que la conscience phonologique soit un élément essentiel dans l’apprentissage du jeune lecteur, différentes études ont constaté que la compréhension orale devient par la suite le meilleur facteur prédictif des lecteurs plus habiles.

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2.4. Les méthodes d’enseignement de la lecture

A l’heure actuelle, il n’existe plus une seule et unique méthode d’enseignement de la lecture ; sans en donner une description détaillée, chacune des principales méthodes sera définie brièvement. La méthode globale ou fonctionnelle, est une méthode centrée sur la mémorisation de la forme écrite de mots et dans laquelle les correspondances graphèmes- phonèmes ne font pas l’objet d’un enseignement systématique mais sont introduites tardivement dans la scolarité et de manière progressive. La méthode phonique ou analytique est une méthode caractérisée par un enseignement précoce et systématique des correspondances graphèmes- phonèmes dès le début de l’apprentissage de la lecture.

Plusieurs études ont montré que des différences dans les méthodes utilisées pour l’enseignement de la lecture pouvaient engendrer des différences interindividuelles à différents niveaux. En effet, une différence de méthode semble tout d’abord susceptible de provoquer un pattern particulier d’erreurs. Ainsi, Seymour & Elder (1986) ont mis en évidence que des enfants apprenant à lire avec une méthode globale, commettent souvent des erreurs de lecture influencées par le contexte sémantique et syntaxique ainsi que par la proximité visuelle des mots. En revanche, d’autres études (Marsh et al, 1981 cités par Leybaert & Content, 1992) montrent qu’avec une méthode phonique, les enfants sont plus enclins à produire des néologismes en cas d’erreur.

Alegria et al (1982) ont également mis en évidence un effet des méthodes d’enseignement de la lecture sur les capacités de segmentation de la parole en première année primaire après quatre mois d’apprentissage de la lecture. En effet, dans leur étude, les enfants ayant bénéficié d’une méthode phonique en début d’apprentissage ont développé plus rapidement leurs compétences d’analyse segmentale de la parole. Plus précisément, ils ont observé que les enfants dont la méthode d’enseignement était phonique présentaient des résultats supérieurs à des enfants ayant bénéficié d’une méthode globale dans des tâches d’inversions phonémiques. En revanche, ils n’ont pas observé de

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différence entre les deux groupes dans des tâches d’inversions syllabiques.

Content & Leybaert (1992) ont également étudié l’effet des méthodes d’enseignement sur l’analyse segmentale de la parole. Ils ont mis en évidence qu’en deuxième année primaire, les enfants issus de classes bénéficiant d’une méthode phonique avaient des résultats supérieurs aux enfants issus de classes bénéficiant d’une méthode globale dans des tâches de soustraction de consonnes mais pas dans des tâches de soustraction syllabique, tâches pour lesquelles les deux groupes obtenaient des résultats similaires. En quatrième et en sixième année primaire, les enfants ayant bénéficié d’une méthode globale restaient significativement inférieurs à leurs pairs ayant bénéficié d’une méthode phonique en manipulation de phonèmes. Pour expliquer ces différences, les auteurs avancent que l’utilisation d’une méthode phonique permet de mettre l’accent sur la structure segmentale de la parole et, par les exercices qu’elle propose, permet également le développement des habiletés métaphonologiques. Chez les enfants ayant appris à lire avec une méthode globale, il y a davantage de risques que ceux-ci ne développent pas de connaissances suffisantes en ce qui concerne la structure segmentale de la parole.

Une autre étude, réalisée par Alegria et citée par Content & Leybaert (1992), a permis de mettre en évidence qu’en première année primaire, les élèves ayant bénéficié d’une méthode globale éprouvaient d’importantes difficultés en lecture de pseudomots par rapport aux élèves ayant bénéficié d’une méthode phonique. Toutefois, cette différence tend rapidement à s’atténuer.

Dans le même ordre d’idée, Content & Leybaert (1992) se sont demandé si l’enseignement de la lecture par l’une ou l’autre méthode engendrait une utilisation préférentielle de l’une ou de l’autre procédure de lecture. Leurs résultats ont montré qu’il n’en était rien. En effet, ils ont mis en évidence qu’à la fois avec une méthode globale et avec une méthode phonique, l’apprentissage de la lecture suivait une évolution

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similaire. Dans les deux cas, ils ont observé une évolution à la fois en rapidité et en efficience de la procédure d’assemblage avec une augmentation croissante de l’utilisation des procédures d’adressage. Les résultats indiqueraient cependant à long terme une supériorité de la méthode globale. En effet, celle-ci favoriserait une meilleure intégration entre l’assemblage et l’adressage.

En outre, ces auteurs ont mis en exergue qu’en fin de scolarité primaire, les enfants ayant bénéficié d’une méthode globale avaient des performances équivalentes voire supérieures à leurs pairs ayant bénéficié d’une méthode phonique dans des tâches évaluant la procédure d’assemblage. Ce dernier résultat suggère qu’un enseignement explicite des correspondances graphèmes-phonèmes ne soit pas nécessaire au bon fonctionnement de l’assemblage.

Braibant & Gérard (1996) ont notamment étudié les effets de différentes méthodes d’enseignement de la lecture sur les performances en décodage et en compréhension écrite. Trois méthodes étaient prises en considération : les méthodes gestuelles qui se centrent sur l’apprentissage des règles combinatoires en associant les lettres – sons à des gestes, les méthodes globales, et les méthodes mixtes. Ces dernières combinent les méthodes phoniques et globales. L’étude a été réalisée sur une population de 450 enfants répartis dans 25 classes de 12 écoles de l’agglomération Est de Bruxelles. Les résultats ont mis en évidence qu’en décembre de deuxième primaire, les enfants ayant appris à lire avec une méthode gestuelle obtenaient des résultats significativement supérieurs à ceux ayant bénéficié d’une méthode mixte eux-mêmes supérieurs à ceux ayant bénéficié d’une méthode globale. Ce dernier résultat était significatif pour la composante compréhension mais pas pour le décodage. Les résultats ont également montré que dans les classes ayant bénéficié de la méthode fonctionnelle de lecture, le nombre d’élèves présentant un retard de lecture était plus élevé que dans les classes dont la méthode était basée sur une approche analytique. De plus, au sein des classes ayant bénéficié d’une méthode globale, la variabilité interindividuelle était plus importante

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que dans les autres classes. Les scores de l’élève le plus faible de chaque classe étaient également nettement moins bons dans les classes dont la méthode d’apprentissage de la lecture était fonctionnelle par rapport aux autres. Les auteurs ont également comparé l’impact des méthodes d’apprentissage sur les performances en lecture par rapport à l’influence d’autres variables. Ils ont notamment mis en évidence que les variables pédagogiques (reprenant les méthodes d’apprentissage, le temps consacré aux activités de lecture, la fréquence d’évaluation de la lecture à voix haute, l’utilisation d’un guide par l’enseignant et l’utilisation d’un manuel par les enfants) exerçaient un pouvoir prédictif plus important sur les performances en lecture que notamment la variable origine socio- économique.

2.5. Méthode d’enseignement de la lecture et niveau socio-économique

Selon Morais (1994), la méthode globale ne convient pas aux enfants de milieux sociaux défavorisés. L’auteur illustre cette idée par une étude réalisée en Belgique francophone sur deux groupes d’enfants. Le premier était composé d’enfants scolarisés en première année primaire dans trois classes appartenant chacune à des écoles de trois niveaux socio-économiques différents (faible, moyen et élevé). Dans ces trois classes, la méthode d’enseignement de la lecture était globale. Le deuxième groupe était composé d’enfants scolarisés également en première année primaire mais dans une école appartenant à un milieu socio-économique moyen et utilisant une méthode phonique pour l’enseignement de la lecture. Les résultats ont notamment mis en évidence qu’en fin de première année primaire, les enfants issus de faible milieu socio-économique étaient incapables de lire plus de trois ou quatre mots nouveaux. En outre, les résultats de cette étude ont montré que le plus mauvais lecteur de la classe de milieu socio-économique moyen ayant bénéficié d’une méthode phonique était capable de lire plus de mots nouveaux que la moitié des élèves de la classe de milieu socio- économique élevé ayant appris à lire avec une méthode globale.

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Braibant & Gerard (1996) ont mis en évidence des résultats similaires. En effet, dans leur étude, parmi les classes regroupant des enfants issus de faible niveau socio-économique, celles ayant bénéficié d’une méthode gestuelle avaient de meilleurs résultats que celles ayant bénéficié d’une méthode fonctionnelle, ces dernières se situant en fin de classement. Ce constat suggère donc qu’une méthode analytique pourrait mieux convenir aux enfants de milieu défavorisé qu’une méthode fonctionnelle.

2.6. Langue orale

Lorsque l’enfant débute l’apprentissage de la lecture en primaire, il possède une maîtrise non négligeable de la langue orale. Les compétences en langage oral sont fortement corrélées avec la lecture et l’écriture (Morais & Robillart, 1998). On peut en déduire que l’enfant qui développe sa langue maternelle approfondira ses acquisitions syntaxiques et lexicales, valables pour l’oral mais aussi pour l’écrit. A son tour, l’activité de lecture contribuera à enrichir le langage oral Des recherches (Storch &

Whitehurst, 2002, in N.I.C.H.D., 2005) ont montré à ce propos que les compétences en langage oral, à l’âge préscolaire, influencent les habiletés de la lecture au niveau de l’école primaire. Par ailleurs, une récente étude longitudinale (N.I.C.H.D., 2005) avait pour but d’examiner le rôle des habiletés en langage oral sur la reconnaissance du mot et sur la compréhension en lecture auprès d’enfants âgés entre 3 et 9 ans. En ce qui concerne le langage oral, les connaissances en vocabulaire, en syntaxe ainsi que l’habileté en communication avaient été évaluées. D’après ces auteurs, les habiletés précoces en langage oral constituent les bases de l’apprentissage de la lecture et des performances ultérieures. A l’âge de 3 ans, la compréhension orale de l’enfant permet de prédire les compétences en compréhension et en vocabulaire à 4,5 ans. En outre, le langage oral d’un enfant de 4,5 ans a une valeur prédictive sur les habiletés de décodage en première année primaire et la compréhension en lecture en troisième année primaire.

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A ce propos d’autres travaux ont mis en évidence le lien existant entre compréhension orale et écrite. Notamment l’étude de Jong & van der Leij (2002 in Lerkkanen et al, 2004) démontre que la compréhension orale joue un rôle important dans les habiletés de compréhension écrite de la première à la troisième année primaire.

Vellutino & Scanlon (1991, dans Lerkkanen et al, 2004) ajoutent que la compréhension écrite est influencée par les compétences en décodage en deuxième et troisième primaire alors que la compréhension orale joue un plus grand rôle chez les lecteurs plus âgés. Dans le même ordre d’idées, une étude longitudinale finlandaise (Lerkkanen et al, 2004) a mis en avant les différents facteurs influents de lecture chez les enfants durant la première et la deuxième année primaire. Au début de la première année, le décodage est le facteur qui influence les habiletés de lecture. En revanche, à la fin de la première et de la deuxième année, les résultats montrent que le facteur qui prédit le mieux les compétences en lecture est la compréhension orale. Il faut préciser que le finnois est une langue transparente ce qui pourrait expliquer une acquisition plus rapide du décodage par rapport à la langue française. Cependant, une fois que les enfants finlandais acquièrent un décodage efficace, d’autres compétences sont mobilisées, et notamment celles du langage oral

Cette recherche finlandaise ajoute que la compréhension orale influence la compréhension écrite durant la première et la deuxième année primaire, principalement lors de la lecture d’un texte où l’inférence est nécessaire pour comprendre ce texte.

Cette connaissance orale constitue toujours un facteur déterminant pour les performances en lecture après la deuxième année primaire. Afin de poursuivre cette réflexion, il importe maintenant d’observer quelles sont les compétences du langage oral qui influencent la lecture.

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2.7. Influence de la sémantique et de la syntaxe

Les compétences en grammaire et en vocabulaire interviennent dans le développement des habiletés de la compréhension écrite. Lire c’est identifier les mots et en même temps reconnaître leurs rôles grammaticaux respectifs (Morais & Robillart, 1998). La syntaxe joue donc un rôle essentiel dans la compréhension de phrases et du discours. En effet, le développement de la conscience syntaxique influence les progrès dans la compréhension de textes. Ceci suggère qu’un enfant ayant de faibles connaissances syntaxiques à l’oral aura de moins bonnes habiletés au niveau de la compréhension en lecture. La conscience syntaxique influence aussi les habiletés d’identification de mots.

Une étude longitudinale réalisée sur des enfants anglais entre la première et la deuxième année primaire, à qui on enseignait la lecture de manière globale, a montré que la conscience phonologique et syntaxique prédisent la capacité de décodage et de compréhension à la fin de la deuxième primaire (Rego et al, 1993 in Morais & Robillart, 1998).

Cependant, ces résultats pourraient s’expliquer par le faible niveau en décodage des enfants.

Or, des recherches réalisées sur des enfants de 9 ans, avec une expérience plus importante en décodage, ont confirmé que la conscience syntaxique joue un rôle significatif dans l’identification de mots (Muter &

Snowling, 1998, cité dans Muter et al, 2004). Dans ce sens, une étude longitudinale sur des enfants francophones a permis de montrer que la conscience phonologique expliquerait en majeure partie les différences de performances à la lecture chez des enfants de 6,5 ans. Toutefois, à 7,5 ans, les compétences en lecture reposeraient à la fois sur la conscience phonologique et la conscience grammaticale (Casalis et al, 2000). La compétence syntaxique serait essentielle dans la reconnaissance des mots. Elle interviendrait pour pallier à l’échec de l’analyse phonologique de certains mots non familiers (exemple « femme ») ou de mots homographiques (exemple « couvent »), prouvant ainsi que les habiletés

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phonologiques et syntaxiques contribueraient simultanément à l’apprentissage de la lecture (Demont, 1994).

L’auteur cité précédement a mené une étude longitudinale d’une durée de quatre ans sur des enfants, depuis leur dernière année d’école maternelle jusqu’à leurs deux premières années d’apprentissage de la lecture. Des épreuves métaphonologiques et métasyntaxiques avaient été administrées ainsi que des tâches de lecture. Les résultats mettaient en évidence l’existence d’une articulation entre ces deux habiletés métalinguistiques. Cette étude suggère donc que la conscience phonologique et la conscience syntaxique contribuent en parallèle à l’apprentissage de la lecture.

Le vocabulaire aide aussi au développement des habiletés de décodage en établissant des liens entre les représentations orthographiques, phonologiques et sémantiques dans le lexique de l’enfant (Muter et al, 2004). En outre, la taille du bagage lexical est une variable cognitive fortement corrélée avec la compréhension de l’écrit.

Ainsi, le lecteur ayant un bagage lexical pauvre rencontre fréquemment des mots « inconnus », pour lesquels il ne dispose d’aucune signification en mémoire. Ces mots inconnus empêcheraient le lecteur de construire une représentation cohérente du contenu du texte (Schillings & Poncelet, 2004).

Cependant d’après ces auteurs une simple récupération en mémoire du sens d’un mot ne suffirait pas à extraire le sens du texte. En effet des études menées au niveau de l’enseignement primaire, montrent que l’enseignement du vocabulaire contenu dans un passage écrit ne permet pas d’augmenter le score de compréhension des élèves pour ce même passage. Le lecteur doit être capable d’intégrer les différents concepts contenus dans le texte. Dans ce sens (Daneman, 1996, in Schillings &

Poncelet, 2004) rappelle « que parmi les recherches ciblées sur l’accroissement du bagage lexical des élèves, celles qui conduisent à une amélioration des performances de compréhension à l’écrit se caractérisent

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par le fait qu’on enseigne au lecteur comment inférer le sens de mots

‘inconnus’ rencontrés dans des contextes variés ».

Des études attestent également que les enfants deviennent davantage sensibles aux variables sémantiques et syntaxiques au niveau de la lecture au cours de la scolarité primaire (Willows & Ryan 1986, cité dans Muter et al, 2004). Autrement dit, les habiletés en grammaire et en vocabulaire seraient les facteurs les plus prédictifs de la lecture à partir du milieu de la scolarité élémentaire. Plus précisément, une étude récente (Muter et al, 2004) chez des enfants en début de scolarité a constaté une différence entre les deux composantes de la lecture. En début d’apprentissage, le décodage du mot est fortement dépendant de la connaissance des lettres et de l’habileté à manipuler les phonèmes, mais peu influencé par les performances en grammaire et en vocabulaire. Au contraire, la compréhension en lecture est essentiellement influencée par les compétences linguistiques, telles que le vocabulaire et la grammaire, mais les habiletés phonologiques interviennent très peu.

Selon Gough et al (1996, in Muter et al, 2004), la corrélation entre la compréhension en lecture et le décodage de mot diminue au cours de la scolarité. A l’inverse, la corrélation entre compréhension écrite et orale augmente. Ces résultats suggèrent que lorsque le décodage devient automatique, la compréhension en lecture chez l’enfant plus âgé devient de plus en plus dépendante des compétences syntaxiques et sémantiques.

2.8. Mémoire de travail

La mémoire de travail joue un rôle essentiel dans la lecture. En effet, le matériel verbal qu’il soit présenté à l’oral ou par écrit, est

« recodé sous forme phonologique » et conservé dans la mémoire de travail. Des études longitudinales ont montré que le niveau de mémoire de travail avant l’apprentissage de la lecture est corrélé avec le développement du vocabulaire (Gathercole & Baddeley, 1992).

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En outre, d’autres auteurs (Leybaert et al, 1994) attestent que la mémoire de travail influence les progrès ultérieurs en lecture et en orthographe. En effet, les enfants faibles en lecture ont également des difficultés à encoder du matériel verbal dans la mémoire à court terme (Liberman & Shankweiler, 1989). Ces auteurs ont constaté que les problèmes mnésiques des mauvais lecteurs sont présents uniquement dans les tests de mémoire utilisant un matériel verbal Ce déficit en mémoire à court terme peut avoir des conséquences sur la compréhension du langage puisqu’elle joue un rôle important dans le traitement continu du discours et du texte.

Selon Liberman et Shankweile, (1989) « on peut donc s’attendre à ce que les enfants faibles en lecture comprennent parfois mal les phrases en raison de leur difficulté à organiser et à retenir les structures phonologiques ». En outre, la difficulté des faibles lecteurs à relier les informations contenues dans le texte peut s’expliquer par un déficit d’intégration, qui fait intervenir la mémoire de travail dont le rôle est de maintenir actives les informations déjà lues.

En résumé, si cette revue des facteurs liés à la compréhension en lecture tend à confirmer l’influence de la reconnaissance de mots, elle met en évidence le rôle joué par les processus cognitifs supérieurs qui permettent l’intégration des informations écrites et des connaissances de la langue, acquises par le lecteur. Au cours des différentes phases d’apprentissage de la lecture, il existe une interrelation entre les compétences langagières et la maîtrise de la lecture. Il apparaît aussi que les facteurs cognitifs responsables de l’apprentissage de la lecture sont indissociables du facteur socio-économique et des méthodes d’apprentissage de la lecture.

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3. L’apprentissage de l’écriture

3.1. Développement des mécanismes d’écriture

La lecture et l’écriture ne sont pas des compétences indépendantes.

Au contraire, elles interagissent dans la constitution de représentations orthographiques précises. L’activité de lecture confronte l’apprenant aux formes orthographiques des mots. A son tour, l’exercice de l’écriture engage l’apprenant à fixer et à consolider ces formes orthographiques (Morais & Robillart, 1998).

L’activité d’écriture des mots fait intervenir les mêmes mécanismes que la lecture : la médiation phonologique et la reconnaissance orthographique. Les études réalisées dans ce domaine montrent que la médiation phonologique dans l’écriture est dominante pour la majeure partie de la première année et que l’écriture faisant appel à un lexique orthographique apparaît plutôt à la fin de la première année primaire.

L’apprentissage orthographique des mots demande plus de ressources cognitives que leur identification. La langue française connaît une situation asymétrique lorsqu’on compare l’écriture et la lecture. En effet, le système orthographique du français peut être décrit comme « opaque » puisqu’il comporte beaucoup de graphies qui ne peuvent pas être déduites de la phonologie, alors que la lecture, est presque toujours prévisible, sauf les cas particuliers tels que les mots irréguliers et les mots en contexte comme « couvent ».

3.2. Rôle de la lecture dans l’acquisition de l’orthographe

3.2.1. La lecture comme entraînement pour l’orthographe Selon Share (1995), le développement du lexique orthographique dépend du nombre de rencontres avec les mots procurées par la lecture. Il prévoit donc une corrélation entre le niveau de lecture et le niveau d’orthographe lexicale. De nombreux chercheurs indiquent que ces deux

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compétences sont fortement corrélées chez les lecteurs normaux (Content

& Peereman, 1999).

Dans le même ordre d’idées, Frith (1985) a proposé une conception du développement linguistique selon laquelle la lecture et l’écriture se construisent par interaction mutuelle. Selon ce modèle, le développement de la conscience phonologique s’appuie sur l’orthographe, et réciproquement l’orthographe agit comme entraînement à l’adoption d’une stratégie alphabétique en lecture. A son tour, la lecture encourage l’analyse de séquences de lettres dans les mots, laquelle permet au lecteur de développer des représentations orthographiques suffisamment précises pour être transférées à l’orthographe. Dans ce modèle, la lecture constitue donc un entraînement pour le développement de l’orthographe (Ellis, 1997).

Diverses critiques ont été émises à ces propos. En l’occurrence, Alegria, Leybaert & Mousty (1994) remettent en question cette notion d’étape qui implique la disparition de l’étape précédente pour passer à la suivante. En effet, les observations ont montré que les procédures alphabétiques et orthographiques coexistent et fonctionnent en parallèle.

Néanmoins, les critiques n’ont pas remis en question le lien existant entre lecture et orthographe.

Selon Ehri (1997), les apprentissages de la lecture et de l’orthographe sont similaires. L’auteur fait référence à l’une de ses précédentes études réalisée en 1980, où elle a mis en évidence le transfert de la lecture à l’orthographe chez des enfants de 2ème année primaire. Les sujets lisaient l’un ou l’autre pseudo-mot phonologiquement équivalent jusqu’à les lire parfaitement (par exemple : "wheople" vs

"weeple", "bistion" vs "bischun", "ghirp" vs "gurp", chaque groupe de deux pseudomots étant prononcé de façon identique). Après un délai de quatre minutes, les élèves écrivaient de mémoire l’orthographe des mots lus. Une majorité de ces mots (69%) était rappelée parfaitement, indiquant par là qu’un transfert substantiel de la lecture à l’orthographe se produisait malgré les différences orthographiques de ces mots. Ces résultats

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attestent que les connaissances spécifiques des mots qui résultent d’expériences de lecture influencent l’orthographe des élèves.

En fait, les modèles actuels de l’acquisition de la lecture et de l’orthographe proposent un mécanisme qui prévoit des interactions entre le développement des deux procédures de base, la procédure lexicale et la procédure phonologique. La plupart des auteurs en accord avec Frith (1985) et Ehri (1986) (citées dans Ehri 1997) considèrent qu’une pratique intense de la lecture grâce à la procédure d’assemblage phonologique encourage l’analyse de séquences de lettres dans les mots. Par conséquent, les représentations orthographiques seraient acquises au cours de la lecture. Lorsque celles-ci deviennent suffisamment précises, elles seraient transférées à la production écrite. Ainsi, l’orthographe et la lecture sont des activités interdépendantes. La phonologie les médiatise toutes les deux.

Toutefois, selon Bosman & Van Orden (1997), lire n’est pas la façon la plus efficace pour apprendre à orthographier. En effet, les relations entre phonèmes et lettres en orthographe sont plus irrégulières que les relations entre lettres et phonèmes en lecture. Orthographier correctement semble donc nécessiter des stratégies spécifiques.

L’exemple le plus parlant est celui des homophones où la même prononciation correspond à deux orthographes différentes. De la même façon, dès qu’un mot nouveau peut s’écrire de deux façons différentes, le scripteur peut faire appel aux mots qui lui ressemblent et qui sont stockés dans son lexique orthographique. C’est ce que l’on appelle l’orthographe par analogie.

3.2.2. L’orthographe par analogie

Les deux manières principales d’orthographier un mot correspondent d’une part, à sa reconstruction sur la base des correspondances sons- lettres et d’autre part, au rappel de sa forme orthographique stockée dans un lexique. Il existe cependant une alternative qui combine les deux, il s’agit de l’orthographe par analogie. Par exemple si le sujet ne connaît pas

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l’orthographe correcte du mot « gomme », il peut néanmoins l’écrire correctement en mobilisant soit des connaissances lexicales relatives aux mots « pomme », « comme », « somme », etc., soit ses connaissances sub-lexicales indiquant que la rime « omme » est souvent transcrite par OMME en français.

L’existence de cette capacité chez l’enfant ne semble pas faire de doute. En effet, diverses recherches ont montré que les enfants pouvaient utiliser leurs connaissances lexicales ou sub-lexicales, ou encore tirer profit d’un mot qui leur est présenté à la fois oralement et par écrit, pour orthographier de nouveaux mots (ou pseudomots). Il est à noter que les interprétations de l’effet d’analogie lexicale divergent entre les auteurs.

Certains considèrent que c’est la représentation lexicale du mot amorce qui est activée et qui permet à l’enfant d’orthographier le nouveau mot.

D’autres pensent au contraire qu’il s’agit d’un effet lié à l’activation simultanée et automatique des correspondances phonèmes-graphèmes qui constituent le mot amorce.

Les deux interprétations ne sont pas nécessairement mutuellement exclusives (Content & Zesiger, 1999). Selon Goswami (1986, citée par Gombert, Bryant & Warrick, 1997), les enfants s’appuient sur les connaissances acquises en lecture pour décider si une analogie est pertinente pour l’écriture. Cela implique que les processus analogiques surviennent d’abord en lecture, puis en écriture.

Bosman & De Groot (1991, cités par Bosman & Van Orden, 1997) avaient déjà mis en évidence qu’il existe un certain délai pour que le lien entre ces deux habiletés s’établisse. Dans leur étude, ils ont observé que ce n’est qu’avec dix mois d’enseignement formel de la lecture et de l’orthographe, et pour des mots présentés au moins neuf fois, que la performance orthographique s’améliore avec la lecture. Ce délai n’est pas surprenant. En effet, en termes de mémoire, il existe une très grande différence entre les tâches de lecture et d’écriture. Lire un mot suppose la reconnaissance d’une configuration écrite. Orthographier un mot suppose le rappel d’une séquence orthographique.

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