T.Klein – activité de recherche 2002-2005
I. Transition entre l’état normal et la phase supraconductrice
Outre sa structure cubique qui permet de s’affranchir des problèmes de bi- dimensionnalité présents dans les cuprates, le système (K,!Ba)BiO
3, est un composé particulièrement intéressant puisque les fluctuations thermiques y sont trop faibles pour faire fondre le solide de vortex (T
c~32K) mais néanmoins assez fortes pour modifier la transition entre la phase supraconductrice et l’état normal.. Comme le montre la Fig.1a, le saut de chaleur spécifique qui marque cette transition y est très bien défini. Il est néanmoins important de noter que l’amplitude de se saut n’est que ~ 0.5% du signal total très largement dominé par la contribution des phonons. Cette étude a donc nécessité la synthèse d’échantillons particulièrement homogènes et le développement d’une expérience de micro-calorimétrie de grande sensibilité (en collaboration avec C.Marcenat du SPSMS/DRFMC-CEA, Grenoble). Le saut,se décale progressivement sous champ magnétique et coïncide avec l’annulation de la résistance électrique (triangles pleins, Fig.2a, H=3T). Il est donc aisé de définir le champ critique supérieur H
c2(en prenant par exemple «!l’onset!» du saut de C
p) mais, comme le montre la figure 1b, la ligne H
c2(T) présente alors une courbure très singulière
1…
Fig.1a : dépendance en température de la chaleur spécifique d’un monocristal de (K,Ba)BiO
3pour
différentes valeurs de H.
Fig.1b : dépendance en température du champ critique supérieur dans un monocristal de (K,Ba)BiO
3.
De façon tout aussi étonnante, nous avons également montré
2que cette transition était sensible à la présence de défauts colonnaires (introduits par irradiation aux ions lourds en collaboration avec M.Konczykowski et C.J. van der Beck, Ecole Polytechnique, Palaiseau). En effet, comme le montre la Fig.2a, La ligne H
c2se décale vers des valeurs de température plus hautes en présence de ces défauts mais retourne à sa position initiale lorsque le champ magnétique est perpendiculaire à la direction des traces. Nous avons montré qu’il est possible de décrire l’évolution progressive du diagramme de phases H-T en fonction de la dose d’irradiation (Fig.2b, B
Fcorrespond au champ pour lequel le nombre de vortex est égal au nombre de traces amorphes) à l’aide d’un modèle de fluctuations dans lequel l’énergie de piégeage liée à la présence des traces s’ajoute à l’énergie de condensation de la phase supraconductrice pour stabiliser cette dernière aux dépens de la phase normale
3.
-1 0 1 2 3 4 5 6
20 25 30 35
!C p(T,H)/T (mJ.mol-1 .K-2 )
0T
1T
2T 3T
5T
T(K)
0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1
0 2 4 6 8 10 12 14
T/TC
µ 0H (T)
1
S.Blanchard, et al. Physical Review Letters 88, 177201 (2002).
2
C.Marcenat, et al. Physical Review Letters 90, 037004 (2003)
3
T.Klein, et al. Physical Review Letters 92, 037005 (2004).
0 0.4
20 22 24 26 28 30 32
1
R/R
NT (K)
! C
p/ ! C
p max0
0 1 2 3 4 5 6 7 8
18 20 22 24 26 28 30 32 34
B (T)
T (K)
Echantillon vierge
B!=1, 2, 6 (T)
Fig.2a : dépendance en température de la chaleur spécifique et de la résistance d’un monocristal de (K,Ba)BiO
3. (H=3T) : échantillon vierge : triangles plein, échantillon irradié H//traces : cercles pleins, échantillon
irradié H
!traces carrés vides.
Fig.2b : évolution du diagramme de phases H-T en fonction de la dose d’irradiation (symboles ouverts :
points expérimentaux, symboles pleins : valeurs calculées à partir du modèle de fluctuations).
Nous avons alors tout naturellement été amené à nous intéresser à l’effet de l’irradiation sur les mesures de chaleur spécifique dans les cuprates, ici YBa
2Cu
3O
7-d(en collaboration avec R.Brusetti du CRTBT/CNRS-Grenoble, M.Konczykowski et C.J.van der Beck de l’Ecole Polytechnique, Palaiseau). Nous avons ainsi clairement observé de l’irradiation aux ions lourds conduit la encore à un décalage du saut de chaleur spécifique. En couplant ces mesures à des mesures de couple magnétique, nous avons alors démontré que le postulat de départ qui consistait à traiter l’influence des défauts sous forme de perturbation n’était pas valide
4. En effet, contrairement à l’idée très généralement admise, les fluctuations d’amplitude du paramètre d’ordre jouent un rôle prédominant dans le processus de fusion du solide de vortex en présence de défauts colonnaires. Le mécanisme de fusion dans les cuprates irradiés est alors tout à fait analogue à celui qui conduit à la transition vers l’état normal dans (K,Ba)BiO
3.
II- MgB
2ou la découverte d’une supraconductivité à deux gaps.
La particularité la plus intéressante de MgB
2n’ést pas sa température critique
«anormalement» élevée (~39K) mais le fait que deux bandes distinctes peuvent donner lieu à la supraconductivité. Ces nappes sont issues des orbitales
"et
#du bore (voir surface de Fermi correspondante Fig.3b) et la forte valeur de T
cest alors liée au couplage électron particulièrement efficace dans la bande
"(correspondant aux liaisons covalents de type sp2 dans les plans de B) partiellement « vidée » par la présence de Mg
2+. Bénéficiant de la visite au laboratoire de P.Szabo nous avons été un des premiers groupes a montré que ces deux bandes donnaient naissance à deux gaps supraconducteurs distincts coexistant dans le matériau
5(Fig.3a).
4
C.J.van der Beek, et al. Physical Review B 72, 214504 (2005).
5
P.Szabo, et al. Physical Review Letters 87 137005 (2001).
0 0.004 0.008
10 15 20 25 30 35 40
! C
p(T)/T (a.u.)
T(K)
0T 1T 0.5T 3T 1T 1.5T5T 2T 7T
0 2 4 6 8 10 12 14 16
0 5 10 15 20 25 30 35 40
µ0H (T)
T (K)
Fig.3a : mesure de spectroscopie de pointe dans MgB
2mettant clairement en évidence la présence de 2 gaps. Les différentes courbes correspondent à des orientations cristallographiques, différentes, seul le « petit gap » est
visible le long de l’axe c
Fig.3b : surface de Fermi du système MgB
2faisant apparaître des nappes « cylindriques » (i.e. quasi-2D)
associées aux orbitales
sdu bore et des nappes tridimensionnelles (orbitales
pdu B)
Une grande partie de mon activité de recherche a alors été consacrée à l’étude de l’influence de l’existence de ces deux gaps sur l’état mixte de ce système. Nous avons tout d’abord déterminé le champ critique supérieur par chaleur spécifique (Fig.4a-4b) et mis en évidence une dépendance en température de son anisotropie
6(Fig.7b). Il est important de noter que les monocristaux de MgB
2actuellement disponibles ont des tailles de l’ordre de (100 mm)
3et leur étude requiert l’emploi de techniques expérimentales extrêmement précises. En collaboration avec le groupe de W.Kwok (Argonne, USA), nous avons également étudié la dépendance angulaire de H
c2et mis en évidence un écart à la théorie classique due à la présence des deux gaps
7.
Fig.4b : dépendance en température de la chaleur spécifique dans monocristal de MgB2 pour H//c (symboles ouverts) et H
!c (symboles pleins)
Fig.4b : diagramme de phases H-T de MgB
2pour H//c (symboles ouverts) et H
!c (symboles pleins). Les mesures de C
p(triangles) ont été complété par des mesures de susceptibilité (carrés) et de magnétotransport
sous champs intenses (cercles)
6
L.Lyard, et al. Physical Review B - Rapid communication 66, 180205(R) (2002).
7
A.Rydh, et al. Physical Review B 70, 135003, (2004).
0 0.02 0.04 0.06 0.08 0.1
-15 -10 -5 0 5 10 15
B (T)
x
0 0.02 0.04 0.06
0 0.2 0.4 0.6 0.8
µ 0H pc (T)
b/a
disk 0.11T strip 0.17T
0.14T 0.25T
2 3
4 5
6
7 8
0.20T
9
T=4.2K
1
Fig.5a : distribution de l’induction dans un monocristal de MgB
2pour H//c mettant en évidence l’existence de
barrières de surface
Fig.5b : évolution du champ de première pénétration en fonction du rapport épaisseur/largeur (b/a). La partie grisée correspond à l’évolution attendue en présence de
barrières géométriques pour H
c1=0.11T. Négliger la présence de ces barrières obligerait à utiliser des valeurs
de H
c1différentes pour chaque échantillon (traits pointillés). Dans le cas de l’échantillon 4, H
pa été déterminé par mesure magnétique et chaleur spécifique
Si les mesures de chaleur spécifique ont permis d’établir rapidement un consensus quant à la valeur de H
c2, celle de H
c1est restée plus longtemps débattue. La détermination du champ critique inférieur H
c1passe par celle du champ de première pénétration H
p(au delà duquel l’induction devient non nulle dans l’échantillon) mais requiert une prise en compte adéquat des effets démagnétisants. En mesurant la répartition spatiale de l’induction magnétique à l’aide d’un réseau de sondes de Hall, nous avons montré que la pénétration des vortex était contrôlée par la présence de barrières surface. Ces barrières conduisent en effet à une concentration de vortex plus importante au centre de l’échantillon caractérisée par un profil d’induction « en dôme » (voir Fig.5a). Afin de différencier l’effet des barrières de Bean-Livingston liées à la nucléation du vortex sur le bord de l’échantillon de celui des barrières géométriques (effet de « coins » liées à la forme non elliptique de l’échantillon) il était enfin indispensable d’étudier l’évolution de H
pavec le rapport épaisseur/largeur (b/a) de l’échantillon (voir Fig.5b). Cette étude nous a permis de monter sans ambiguïté que les barrières géométriques jouaient un rôle fondamental dans le mécanisme de pénétration de vortex. La non prise en compte de ces barrières conduit à une surestimation de H
c1de l’ordre de (a/b)
0.5à l’origine de la disparité importante des résultats jusqu’alors publiés. Nous avons ainsi clairement établi que, contrairement à H
c2, H
c1est isotrope à basse température (~0.11T) (voir Fig.7b) mettant ainsi fin à la controverse sur la valeur de ce champ
8.
La seule détermination des champs critiques permet « a priori » de remonter aux grandeurs fondamentales : la longueur de cohérence (
$) et la profondeur de pénétration (
%) mais la situation est bien plus compliquée dans MgB
2… En effet, les mesures de spectroscopie tunnel ont rapidement montré que le « petit gap » est très sensible à la présence d’un champ magnétique.
Cette « sensibilité » différentes des deux gaps au champ magnétique conduit alors à une évolution anormale de nombreuses grandeurs physiques telles le chaleur spécifique basse température (voir
8
L.Lyard, et al. Physical Review Letters 92, 057001 (2004) et. Physical Review B – Rapid communication (2004).
0 1 2 3 4 5 6
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1
!(T)
t=T/T
c
Fig.6a), l’aimantation (voir Fig.6b), le facteur de forme en diffraction de neutrons, le temps de relaxation des muons etc… nous avons montré qu’il est alors possible d’effectuer une description cohérente de tous ces effets en supposant que x et l dépendent de H
9.
Fig.6a : dépendance en champ du coefficient de sommerfeld dans un monocristal de MgB
2pour H//c mettant en évidence une courbure anormale pouvant être décrite par la dépendance en H de la longueur de cohérence
présentée en insert.
On peut noter l’irréversibilité de
&près de H
p.
Fig.6b : dépendance en champ magnétique de
« l’aimantation locale » (B-
m0H
a). La partie réversible a été obtenue en effectuant la moyenne entre les branche ascendante et descendante du cycle (traits pointillés).
Cette dépendance ne peut pas être décrite à partir d’une valeur unique de
let
x(traits pleins) mais peut être
parfaitement reproduite en prenant en compte les dépendance en H et
xet
lprésentées en insert des figures
6a et 6b (trait gras)
Fig.7a : champs critiques supérieur et inférieur pour différents taux de substitution dans (Al,Mg)B
2pour H//c
(symboles ouverts) et H
!c (symboles pleins)
Fig.7b : dépendance en température de l’anisotropie des champs critiques supérieur et inférieur pour différents taux de substitution dans (Al,Mg)B
2: carrés : échantillon
vierge, cercles : 10%-Al, triangles : 20%-Al
9
T.Klein et al. soumis à Physical Review B (2005).
0 0.2 0.4 0.6 0.8 1 1.2 1.4 1.6
0 0.5 1 1.5 2 2.5
H c2 (T)
T (K)
nB=19 1020 cm-3
nB=9 1020 cm-3
0 0.5 1 1.5 2 2.5 3 3.5 4
0 10 20 30 40 50 60
T c (K)
nB (1020 cm-3)
MIT
Ekimov et al.
Plus récemment nous avons entamé l’étude de l’influence d’un dopage chimique sur le diagramme de phases H-T
10. Si l’effet du dopage sur le site du Bore (par du carbone) était clairement établi, celui de la substitution de Mg par Al restait débattu. Les mesures de chaleur spécifique ont une fois de plus permis de mettre fin à la polémique sur la valeur de H
c2(ces mesures conduisent à un critère thermodynamique indiscutable). Nos mesures de magnétométrie ont également permis d’obtenir les premières mesures de H
c1dans des échantillons dopés (voir Fig.7a).
L’évolution de l’anisotropie des champs critiques avec le taux de dopage est présentée en Fig.7b.
Si l’évolution du diagramme de phases avec le dopage dans (Mg ,Al)B
2est largement dominée par les effets de remplissage électronique de la bande
"liée à la substitution non iso-électronique de Mg
2+par Al
3+, nos mesures du gap (par chaleur spécifique et spectroscopie tunnel) ont néanmoins montré une augmentation sensible du temps de diffusion inter-bandes. Néanmoins, il est également important d’envisager une « autre route » afin d’étudier l’influence du désordre et du couplage intra et/ou inter-bande sur les propriétés physique de ce système. C’est pourquoi nous nous avons débuté récemment une étude de l’l’influence de l’irradiation aux électrons (conduisant à la formation de « paires de Frenkel ») sur le diagramme H-T (en collaboration avec M.Konczykowski et C.J. van der Beck, Ecole Polytechnique, Palaiseau).
III- Diamant dope au bore : supraconductivité et transition metal-isolant
L’origine de la supraconductivité dans MgB
2est très liée au « dopage » des orbitales sp2 du bore (orbitales
"). C’est pourquoi on peut tirer un parallèle entre ce composé et la découverte très récente (avril 2004) de la supraconductivité dans le diamant pour lequel les orbitales sp3 peuvent à leur tour être partiellement vidées par dopage substitutionnel de C par B. Bénéficiant de l’expérience du laboratoire dans la synthèse de couches monocristallines de diamant nous avons rapidement confirmé l’existence d’une transition supraconductrice dans les échantillons fortement dopés (n
B>5.10
2 0cm
-3). La maîtrise des paramètres de synthèse nous a alors permis de déterminer avec précision l’évolution de la supraconductivité dans le diamant en fonction du taux de dopage
11(Fig.8a) et d’obtenir le diagramme de phases H-T de ce composé (Fig.8b).
Fig.8a : évolution de la température critique avec le nombre de Bore dans le diamant dopé. Le diamant est
isolant pour n
B< 5.10
20cm
-3Fig.8b : diagramme de phases H-T pour deux taux de dopage dans le diamant dopé au Bore
10
T.Klein,et al.soumis à Physical Review B (2005).
11
E.Bustarret, et al. Physical Review Letters 93, 237005 (2004).
La particularité du diamant est que la supraconductivité y apparaît au voisinage d’une transition métal-isolant (TMI). Pour n
B<510
2 0cm
-3, la résistivité diverge à basse température et peut être décrite pour une loi de type « saut à portée variable » alors que pour n
B>510
2 0cm
-3la dépendance en température de la résistivité suggère la présence d’interférence quantiques. L’étude de la corrélation entre ces deux « instabilités électroniques » (effet d’écrantage, dimensionnalité réduite,….) a fait l’objet de nombreux travaux dans les couches minces désordonnées (InO
x, etc…).
Une étude similaire est actuellement en cours et nos premières mesures (stage ERASMUS de F.Gustaffson) semblent ainsi indiquer une corrélation directe entre la température critique et la valeur de la conductivité extrapolée à T=0K.
Fig.9a : conductance tunnel en fonction de V pour l’échantillon C :B , T
c=1.9K comparée à la prédiction BCS
(ligne rouge). L’insert montre que le gap est homogène (balayage : 200 nm)
Fig.9b : transformé de Fourier de la conductance pour une tension correspondant à la valeur du pic de cohérence à 0.11T mettant en évidence la symétrie
hexagonale du réseau de vortex
Pour finir, notons que des mesures de spectroscopie tunnel effectuées en collaboration avec C.Chapelier du SPSMS/CEA-Grenoble ont permis de confirmer que le gap pouvait être parfaitement décrit à l’aide de la théorie BCS, du moins dans l’échantillon le plus dopé (Fig.9a).
Ces mesures ont également mis en évidence pour la première fois dans ce système, la répartition hexagonale (bien qu’imparfaite) des vortex au sein de l’état mixte (Fig.9b)
12.
12