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Texte intégral

(1)

Proceedings of the 11th symposium of the Tunisian Mathematical Society held in Tu- nis, Tunisia – March 15-18, 2004.

Hosted by the African Diaspora Journal of Mathematics http://www.african-j-math.org/

TRANSCENDANCE DE P ´ ERIODES:

ETAT DES CONNAISSANCES ´

MICHEL WALDSCHMIDT

Key words. P´eriodes, nombres transcendants, irrationalit´e, int´egrales, s´eries, approx- imation diophantienne, mesures d’irrationalit´e, mesures de transcendance, mesures d’ind´e- pendance lin´eaire, fonctions Gamma, Bˆeta, zˆeta, valeurs zˆeta multiples (MZV).

AMS subject classifications. 11J81 11J86 11J89

Abstract. Les nombres r´eels ou complexes forment un ensemble ayant la puissance du continu. Parmi eux, ceux qui sonthhint´eressantsii, qui apparaissent hhnaturellementii, qui m´eritent notre attention, forment un ensemble d´enombrable. Dans cet ´etat d’esprit nous nous int´eressons aux p´eriodes au sens de Kontsevich et Zagier. Nous faisons le point sur l’´etat de nos connaissances concernant la nature arithm´etique de ces nombres: d´ecider si une p´eriode est un nombre rationnel, alg´ebrique irrationnel ou au contraire transcendant est l’objet de quelques th´eor`emes et de beaucoup de conjectures. Nous pr´ecisons aussi ce qui est connu sur l’approximation diophantienne de tels nombres, par des nombres rationnels ou alg´ebriques.

1. Introduction. Dans leur article [37] intitul´ e

hh

Periods

ii

, M. Kontsevich et D. Zagier introduisent la notion de p´ eriodes en en donnant deux d´ efinitions dont ils disent qu’elles sont ´ equivalentes; il proposent une conjecture, deux principes et cinq probl` emes. Le premier principe est le suivant:

hh

chaque fois que vous rencontrez un nouveau nombre et que vous voulez savoir s’il est tran- scendant, commencez par essayer de savoir si c’est une p´ eriode

ii

.

Institut de Math´ematiques de Jussieu – UMR 7586 du CNRS, Universit´e P. et M. Curie (Paris VI), 175 rue du Chevaleret, F-75013 Paris miw@math.jussieu.fr http://www.math.jussieu.fr/∼miw

1

(2)

Si la r´ eponse est n´ egative, alors le nombre est transcendant; en effet les p´ eriodes forment une sous alg` ebre de C sur le corps Q des nombres alg´ ebriques, donc tout nombre alg´ ebrique est une p´ eriode.

Le but de cet expos´ e est d’examiner ce qui se passe si la r´ eponse est positive:

que sait-on sur la transcendance de p´ eriodes?

Nous consid´ erons aussi l’aspect quantitatif de cette question, en liaison avec la question suivante de [37], § 1.2 qui pr´ ec` ede leur conjecture 1: quand on veut v´ erifier une ´ egalit´ e entre deux nombres alg´ ebriques, il suffit de calculer ces deux nombres avec une pr´ ecision suffisante, puis d’utiliser l’in´ egalit´ e de Liouville qui

´ etablit que deux nombres alg´ ebriques distincts de degr´ e et hauteur born´ ee ne peuvent ˆ etre trop proches l’un de l’autre. Dans l’exemple qu’ils donnent, dˆ u ` a D. Shanks [52]:

q

11 + 2 √ 29 +

r

16 − 2 √ 29 + 2

q

55 − 10 √ 29 = √

5 + q

22 + 2 √ 5, (1.1)

la diff´ erence γ entre les deux membres de (1.1) est un nombre alg´ ebrique de degr´ e ≤ 16 sur Q( √

5, √

29), donc de degr´ e ≤ 64 sur Q. Pour chacun des 64

´ el´ ements = (

1

, . . . ,

6

) ∈ {0, 1}

6

, posons

γ

=

3

q

11 + 2

2

√ 29 +

4

r

16 − 2

2

29 + 2

5

q

55 − 10

2

√ 29 +

1

√ 5 +

6

q

22 + 2

1

√ 5.

Le nombre

N = Y

γ

est un entier rationnel. Il suffit de le calculer avec une pr´ ecision d’un chiffre

apr` es la virgule pour v´ erifier qu’il satisfait −1 < N < 1, donc qu’il est nul

(c’est le cas le plus simple de l’in´ egalit´ e de Liouville [57] § 3.5). Il s’ensuit

qu’un (au moins) des 64 facteurs γ du produit est nul, et l’´ egalit´ e (1.1) s’en

d´ eduit ais´ ement.

(3)

La question pos´ ee par Kontsevich et Zagier dans [37] § 1.2 consiste ` a savoir si on peut faire de mˆ eme avec les p´ eriodes. Il s’agirait de d´ efinir une no- tion de complexit´ e d’une p´ eriode analogue ` a celle de hauteur pour un nombre alg´ ebrique, puis de minorer cette complexit´ e pour une p´ eriode non nulle afin de remplacer l’in´ egalit´ e de Liouville. Une des suggestions qu’ils font est de compter le nombre de touches n´ ecessaires pour taper en TEX une int´egrale dont la valeur est la p´ eriode en question.

Dans cet ´ etat d’esprit il serait int´ eressant de savoir s’il existe des nombres qui sont ` a la fois une p´ eriode et un nombre de Liouville. Une r´ eponse n´ egative signifierait que pour toute p´ eriode r´ eelle θ, il existe une constante c(θ) > 0 telle que, pour tout nombre rationnel p/q distinct de θ avec q ≥ 2, on ait

θ − p q

> 1 q

c(θ)

·

Plus ambitieusement on peut demander si les p´ eriodes (complexes) se com- portent, pour l’approximation par des nombres alg´ ebriques, comme presque tous les nombres (complexes) [16, 57]: ´ etant donn´ ee une p´ eriode transcendante θ ∈ C, existe-t-il une constante κ(θ) telle que, pour tout polynˆ ome non nul P ∈ Z[X ], on ait

|P (θ)| ≥ H

−κ(θ)d

,

o` u H ≥ 2 est un majorant de la hauteur (usuelle) de P (maximum des valeurs absolues des coefficients) et d son degr´ e?

2. Int´ egrales ab´ eliennes. La nature arithm´ etique de la valeur de l’int´ e- grale d’une fonction alg´ ebrique d’une variable entre des bornes alg´ ebriques (ou infinies) est maintenant bien connue, aussi bien sous l’aspect qualitatif que quantitatif.

2.1. Genre 0: logarithmes de nombres alg´ ebriques. L’outil princi-

pal est le th´ eor` eme de Baker sur l’ind´ ependance lin´ eaire, sur le corps Q des

nombres alg´ ebriques, de logarithmes de nombres alg´ ebriques. Nous n’utilisons

ici que le cas particulier suivant:

(4)

Th´ eor` eme 2.1. Soient α

1

, . . . , α

n

des nombres alg´ ebriques non nuls, β

1

, . . . , β

n

des nombres alg´ ebriques, et, pour 1 ≤ i ≤ n, log α

i

un logarithme complexe de α

i

. Alors le nombre

β

1

log α

1

+ · · · + β

n

log α

n

est soit nul, soit transcendant.

On en d´ eduit:

Corollaire 2.2. Soient P et Q des polynˆ omes ` a coefficients alg´ ebriques v´ erifiant deg P < deg Q et soit γ un chemin ferm´ e, ou bien un chemin dont les extr´ emit´ es sont alg´ ebriques ou infinies. Si l’int´ egrale

Z

γ

P(z) Q(z) dz (2.3)

existe, alors elle est soit nulle, soit transcendante.

Un exemple c´ el` ebre [53] p. 97 est Z

1

0

dt 1 + t

3

= 1

3

log 2 + π

√ 3

·

Le corollaire 2.2 se d´ eduit du th´ eor` eme 2.1 en d´ ecomposant la fraction rationnelle P (z)/Q(z) en ´ el´ ements simples (voir par exemple [46]). En fait le corollaire 2.2 est ´ equivalent au th´ eor` eme 2.1: il suffit d’´ ecrire le logarithme d’un nombre alg´ ebrique comme une p´ eriode; pour la d´ etermination principale, quand α n’est pas r´ eel n´ egatif, on a par exemple

log α = Z

0

(α − 1)dt (t + 1)(αt + 1) tandis que

iπ = 2i Z

0

dt 1 + t

2

·

Les mesures d’ind´ ependance lin´ eaire de logarithmes de nombres alg´ ebriques

(minorations de combinaisons lin´ eaires, ` a coefficients alg´ ebriques, de logari-

thmes de nombres alg´ ebriques - voir par exemple [57]) contiennent le fait qu’une

(5)

int´ egrale non nulle de la forme (2.3) a une valeur absolue minor´ ee explicitement en termes des hauteurs de P et Q et de leurs degr´ es, ainsi que des hauteurs et degr´ es des nombres alg´ ebriques extr´ emit´ es de γ.

2.2. Genre 1: int´ egrales elliptiques. La nature arithm´ etique des va- leurs d’int´ egrales elliptiques de premi` ere ou deuxi` eme esp` ece a ´ et´ e ´ etudi´ ee d` es 1934 [48] puis 1937 [49] par Th. Schneider. Voici le th´ eor` eme 15 version III de [51].

Th´ eor` eme 2.4. Toute int´ egrale elliptique de premi` ere ou deuxi` eme esp` ece

`

a coefficients alg´ ebriques et calcul´ ee entre des bornes alg´ ebriques distinctes a pour valeur un nombre nul ou transcendant.

En particulier toute p´ eriode non nulle d’une int´ egrale elliptique de premi` ere ou deuxi` eme esp` ece ` a coefficients alg´ ebriques est transcendante.

Le th´ eor` eme 16 de [51] concerne la transcendance du quotient de deux int´ egrales elliptiques de premi` ere esp` ece.

Une cons´ equence que cite Schneider de son th´ eor` eme 17 dans [51] s’´ enonce:

la valeur prise par une int´ egrale elliptique de premi` ere ou de deuxi` eme esp` ece ` a coefficients alg´ ebriques entre des bornes alg´ ebriques est quotient d’une p´ eriode par un facteur rationnel ou transcendant.

Du th´ eor` eme 2.4 on d´ eduit le r´ esultat cit´ e dans [37] § 1.1: si a et b sont deux nombres alg´ ebriques r´ eels positifs, l’ellipse dont les longueurs d’axes sont a et b a un p´ erim` etre

2 Z

b

−b

r

1 + a

2

x

2

b

4

− b

2

x

2

dx (2.5)

qui est un nombre transcendant. Plus g´ en´ eralement la longueur de tout arc dont les extr´ emit´ es sont des points de coordonn´ ees alg´ ebriques est un nombre transcendant ou nul.

Il en est de mˆ eme pour une lemniscate

(x

2

+ y

2

)

2

= 2a

2

(x

2

− y

2

)

quand a est alg´ ebrique.

(6)

Ces ´ enonc´ es sont d´ emontr´ es par Schneider comme cons´ equences de r´ esultats sur les fonctions elliptiques. Voici par exemple la version I du th´ eor` eme 15 de [51]. Soit ℘ une fonction elliptique de Weierstrass d’invariants g

2

et g

3

alg´ ebriques:

02

= 4℘

3

− g

2

℘ − g

3

.

Soient ζ la fonction zˆ eta de Weierstrass associ´ ee ` a ℘, a et b deux nombres alg´ ebriques non tous deux nuls et u un nombre complexe non pˆ ole de ℘. Alors l’un au moins des deux nombres ℘(u), au + bζ(u) est transcendant.

Ainsi en consid´ erant les deux courbes elliptiques y

2

= x

3

− x et y

2

= x

3

− x on en d´ eduit que chacun des deux nombres

Z

1 0

√ dx

x − x

3

= 1

2 B(1/4, 1/2) = Γ(1/4)

2

2

3/2

π

1/2

(2.6)

et

Z

1 0

√ dx

1 − x

3

= 1

3 B(1/3, 1/2) = Γ(1/3)

3

2

4/3

3

1/2

π (2.7)

est transcendant.

Ces deux formules (comparer avec [40] p.21) sont des cas particuliers de la formule de Chowla-Selberg (cf [33] et [37] § 2.3) qui exprime les p´ eriodes de courbes elliptiques de type CM comme des produits de valeurs de la fonction Gamma d’Euler dont une des d´ efinitions est:

Γ(z) = e

−γz

z

−1

Y

n=1

1 + z

n

−1

e

z/n

. (2.8)

L’extension par G. Shimura aux vari´ et´ es ab´ eliennes de type CM de la formule

de Chowla-Selberg donne lieu aux relations de Deligne-Koblitz-Ogus sur la

fonction Gamma (voir [14]).

(7)

2.3. Genre ≥ 1: int´ egrales ab´ eliennes. Dans [50], Th. Schneider ´ etend ses r´ esultats aux int´ egrales ab´ eliennes. La d´ emonstration est une extension en plusieurs variables de ses r´ esultats ant´ erieurs; dans la partie analytique de la d´ emonstration de transcendance, l’outil essentiel, un lemme de Schwarz, est ´ etendu en plusieurs variables grˆ ace ` a une formule d’interpolation pour les produits cart´ esiens. Cela permet ` a Schneider d’obtenir des ´ enonc´ es sur les fonctions ab´ eliennes. L’exemple le plus important des r´ esultats qu’il obtient est le suivant:

Th´ eor` eme 2.9. Soient a et b des nombres rationnels non entiers tels que a + b ne soit pas non plus un entier. Alors le nombre

B(a, b) = Γ(a)Γ(b) Γ(a + b) =

Z

1 0

x

a−1

(1 − x)

b−1

dx (2.10)

est transcendant.

Les travaux sur la nature arithm´ etique des valeurs d’int´ egrales ab´ eliennes sont nombreux: ceux de Th. Schneider en 1940 ont ´ et´ e poursuivis par S. Lang dans les ann´ ees 1960, puis notamment par D.W. Masser grˆ ace ` a la m´ ethode de Baker dans les ann´ ees 1980, pour arriver ` a une solution essentiellement compl` ete de la question en 1989 par G. W¨ ustholz [63] qui a obtenu une exten- sion satisfaisante du th´ eor` eme 2.1 de Baker aux groupes alg´ ebriques commutat- ifs. On connaˆıt donc essentiellement ce que l’on souhaite sur la transcendance et l’ind´ ependance lin´ eaire (sur le corps des nombres alg´ ebriques) d’int´ egrales ab´ eliennes de premi` ere, seconde ou troisi` eme esp` ece. Par exemple J. Wolfart et G. W¨ ustholz [62] ont montr´ e que les seules relations lin´ eaires ` a coefficients alg´ ebriques entre les valeurs B(a, b) de la fonction Bˆ eta en des points (a, b) ∈ Q

2

sont celles qui r´ esultent des relations de Deligne-Koblitz-Ogus.

De plus on dispose ´ egalement maintenant de r´ esultats quantitatifs qui per- mettent de minorer la valeur d’une int´ egrale ab´ elienne quand elle est non nulle – les estimations les plus r´ ecentes et les plus pr´ ecises sur ce sujet, dans le cadre g´ en´ eral des groupes alg´ ebriques, sont dues ` a ´ E. Gaudron [27, 28].

Si les relations lin´ eaires ` a coefficients alg´ ebriques entre les valeurs d’int´ e-

grales ab´ eliennes sont maintenant bien connues, il n’en est pas de mˆ eme des

(8)

relations alg´ ebriques. Dans une note de bas de page [34], A. Grothendieck propose un ´ enonc´ e conjectural sur la transcendance de p´ eriodes de vari´ et´ es ab´ eliennes d´ efinies sur le corps des nombres alg´ ebriques. La premi` ere for- mulation pr´ ecise de cette conjecture est donn´ ee par S. Lang dans son livre [38], o` u l’on trouve aussi la premi` ere formulation de la conjecture de Schanuel sur l’ind´ ependance alg´ ebrique des valeurs de la fonction exponentielle (voir aussi [23]). Ces ´ enonc´ es ont ´ et´ e d´ evelopp´ es par Y. Andr´ e (voir notamment [7]) qui propose une g´ en´ eralisation commune des conjectures de Grothendieck et Schanuel. Pour des 1-motifs attach´ es aux produits de courbes elliptiques, C. Bertolin [9] a explicit´ e la situation conjecturale en formulant sa conjecture elliptico-torique qui fait intervenir la fonction exponentielle, les fonctions ℘ et ζ de Weierstrass, les int´ egrales elliptiques et l’invariant modulaire j (voir aussi [59] et [58]).

3. Valeurs de la fonction Gamma d’Euler. La d´ efinition (2.10) de la fonction Bˆ eta sous forme d’une int´ egrale montre que ses valeurs aux points de Q

2

o` u elle est d´ efinie sont des p´ eriodes. De la relation (2.10) entre les fonctions Gamma et Bˆ eta on d´ eduit

Γ(a

1

) · · · Γ(a

n

) = Γ(a + · · · + a

n

)

n−1

Y

i=1

B(a

1

+ · · · + a

i−1

, a

i

).

Il en r´ esulte que pour tout p/q ∈ Q avec p > 0 et q > 0, le nombre Γ(p/q)

q

est une p´ eriode. Par exemple

π = Γ(1/2)

2

= Z

1

0

x

−1/2

(1 − x)

−1/2

dx.

De (2.6) et (2.7) on d´ eduit aussi des expressions de Γ(1/3)

3

et Γ(1/4)

4

comme p´ eriodes.

On connaˆıt bien mieux la nature arithm´ etique des valeurs de la fonction Bˆ eta d’Euler (grˆ ace au th´ eor` eme 2.9 de Schneider) que celles de la fonction Gamma. On sait que le nombre Γ(1/2) = √

π est transcendant, grˆ ace ` a Linde-

mann. La transcendance de Γ(1/4) et Γ(1/3) a ´ et´ e ´ etablie par G.V. ˇ Cudnovs

0

ki˘ı

[21].

(9)

Th´ eor` eme 3.1. Les deux nombres

Γ(1/4) et π

sont alg´ ebriquement ind´ ependants, et il en est de mˆ eme des deux nombres

Γ(1/3) et π.

Comme l’a remarqu´ e D.W. Masser on peut aussi ´ enoncer ces r´ esultats en disant que les deux nombres Γ(1/4) et Γ(1/2) sont alg´ ebriquement ind´ ependants et qu’il en est de mˆ eme des deux nombres Γ(1/3) et Γ(2/3).

Les seules autres valeurs de la fonction Γ en des points rationnels dont on sache d´ emontrer la transcendance sont celles que l’on d´ eduit de la transcen- dance en 1/2, 1/3 et 1/4 en utilisant les relations standard satisfaites par la fonction Gamma (voir ci-dessous). Par exemple Γ(1/6) est aussi un nombre transcendant.

La d´ emonstration par G.V. ˇ Cudnovs

0

ki˘ı de son th´ eor` eme 3.1 repose sur le r´ esultat suivant [21] concernant les p´ eriodes et quasi p´ eriodes de fonctions de Weierstrass, que l’on applique aux courbes elliptiques y

2

= x

3

−x et y

2

= x

3

−1 grˆ ace ` a (2.6) et (2.7)

Soit ℘ une fonction elliptique de Weierstrass d’invariants g

2

et g

3

. Soit ω une p´ eriode non nulle de ℘ et soit η la quasi-p´ eriode associ´ ee de la fonction zˆ eta de Weierstrass ζ:

02

= 4℘

3

− g

2

℘ − g

3

, ζ

0

= −℘, ζ(z + ω) = ζ(z) + η.

Alors deux au moins des nombres

g

2

, g

3

, ω/π, η/π sont alg´ ebriquement ind´ ependants.

De cet ´ enonc´ e on d´ eduit aussi le fait que le nombre (2.5) est non seulement transcendant, mais mˆ eme alg´ ebriquement ind´ ependant de π (cf. [37] § 1.1).

Pour l’instant on ne sait pas obtenir la transcendance (sur Q) de Γ(1/4) ni

de Γ(1/3) sans ´ etablir le r´ esultat plus fort qui est la transcendance de chacun

(10)

de ces nombres sur le corps Q(π). D’un point de vue quantitatif de bonnes mesures de transcendance de ces nombres ont ´ et´ e ´ etablies par P. Philippon puis S. Bruiltet [15]:

Th´ eor` eme 3.2. Pour un polynˆ ome non constant P ∈ Z[X, Y ] de degr´ e d et de hauteur H , on a

log |P (π, Γ(1/4)| > −10

326

(log H + d log(d + 1)

d

2

log(d + 1)

2

et

log |P (π, Γ(1/3)| > −10

330

(log H + d log(d + 1)

d

2

log(d + 1)

2

. Ainsi Γ(1/4) et Γ(1/3) ne sont pas des nombres de Liouville.

La prochaine ´ etape pourrait ˆ etre la transcendance du nombre Γ(1/5) (cf.

[40], p. 2 et p. 35). Du th´ eor` eme 2.9 de Schneider sur la transcendance du nombres B(1/5, 1/5) on d´ eduit que l’un au moins des deux nombres Γ(1/5), Γ(2/5) est transcendant. Un r´ esultat plus pr´ ecis se d´ eduit des travaux de P. Grinspan [32] (voir aussi [56]):

Th´ eor` eme 3.3. Un au moins des deux nombres Γ(1/5), Γ(2/5) est tran- scendant sur le corps Q(π).

Autrement dit, deux au moins des trois nombres Γ(1/5), Γ(2/5) et π sont alg´ ebriquement ind´ ependants. La d´ emonstration de [32] fournit de plus un r´ esultat quantitatif.

Comme la courbe de Fermat x

5

+y

5

= z

5

d’exposant 5 est de genre 2, sa ja- cobienne est une surface ab´ elienne; il faut donc remplacer dans la d´ emonstration de ˇ Cudnovs

0

ki˘ı les fonctions elliptiques par des fonctions ab´ eliennes, et c’est pourquoi il est difficile de s´ eparer les deux nombres Γ(1/5) et Γ(2/5) quand on veut obtenir la transcendance de chacun d’eux.

Avant de poursuivre avec le d´ enominateur 5, revenons aux d´ enominateurs 3 et 4. Le th´ eor` eme 3.1 a ´ et´ e ´ etendu par Yu.V. Nesterenko [41, 42], qui obtient l’ind´ ependance alg´ ebrique de trois nombres:

Th´ eor` eme 3.4. Les trois nombres

Γ(1/4), π et e

π

(11)

sont alg´ ebriquement ind´ ependants, et il en est de mˆ eme de

Γ(1/3), π et e

π

√ 3

.

La d´ emonstration par Yu.V. Nesterenko de son th´ eor` eme 3.4 utilise les s´ eries d’Eisenstein E

2

, E

4

et E

6

(nous utilisons les notations P, Q, R de Ra- manujan):

 

 

 

 

 

 

 

 

P(q) = E

2

(q) = 1 − 24

X

n=1

nq

n

1 − q

n

, Q(q) = E

4

(q) = 1 + 240

X

n=1

n

3

q

n

1 − q

n

, R(q) = E

6

(q) = 1 − 504

X

n=1

n

5

q

n

1 − q

n

· (3.5)

Les premiers r´ esultats de transcendance sur les valeurs de ces fonctions sont dus ` a D. Bertrand dans les ann´ ees 70. Une avanc´ ee remarquable a ´ et´ e faite en 1996 par K. Barr´ e-Sirieix, G. Diaz, F. Gramain et G. Philibert [8], qui ont r´ esolu le probl` eme suivant de Manin (et de Mahler dans le cas p-adique) concernant la fonction modulaire J = Q

3

/∆, o` u ∆ = 12

−3

(Q

3

− R

2

): pour tout q ∈ C avec 0 < |q| < 1, l’un au moins des deux nombres q, J (q) est transcendant.

C’est cette perc´ ee qui a permis ` a Yu.V. Nesterenko [41] de d´ emontrer le r´ esultat suivant, cit´ e dans le § 2.4 de [37]:

Soit q ∈ C un nombre complexe satisfaisant 0 < |q| < 1. Alors trois au moins des quatre nombres

q, P (q), Q(q), R(q) sont alg´ ebriquement ind´ ependants.

Le th´ eor` eme 3.4 en r´ esulte en sp´ ecialisant q = e

−2π

et q = −e

−π

√3

car J(e

−2π

) = 1728,

P(e

−2π

) = 3

π , Q(e

−2π

) = 3 ω π

4

, R(e

−2π

) = 0

(12)

avec (cf. (2.6))

ω = Γ(1/4)

2

√ 8π = 2.6220575542 . . . tandis que J (−e

−π3

) = 0,

P (−e

−π

3

) = 2 √ 3

π , Q(−e

−π

3

) = 0, R(−e

−π

√ 3

) = 27

2 ω

0

π

6

avec (cf. (2.7))

ω

0

= Γ(1/3)

3

2

4/3

π = 2.428650648 . . .

On trouve dans [37] § 2.3 des commentaires sur les liens entre les p´ eriodes et les s´ eries d’Eisenstein (et aussi les fonctions thˆ eta, qui interviennent ´ egalement dans le travail [41] de Nesterenko — voir [42]).

Le th´ eor` eme 3.4 de Nesterenko et celui 3.3 de Grinspan sugg` erent le pro- bl` eme ouvert suivant:

Conjecture 3.6. Trois au moins des quatre nombres

Γ(1/5), Γ(2/5), π et e

π

√5

sont alg´ ebriquement ind´ ependants.

Ce probl` eme fait l’objet de travaux r´ ecents de F. Pellarin (voir en particulier [45]).

Plus ambitieusement on peut demander quelles sont toutes les relations alg´ ebriques liant les valeurs de la fonction Gamma en des points rationnels.

La question des relations multiplicatives a ´ et´ e consid´ er´ ee par D. Rohrlich. On rappelle d´ ej` a ce que sont les relations standard: pour a ∈ C (en dehors des pˆ oles de Γ(x), Γ(x+ 1), Γ(1 − x) ou Γ(nx) pour que les formules aient un sens), on a

(Translation) Γ(a + 1) = aΓ(a),

(Reflexion) Γ(a)Γ(1 − a) = π

sin(πa)

(13)

et, pour tout n entier positif, (Multiplication)

n−1

Y

k=0

Γ

a + k n

= (2π)

(n−1)/2

n

−na+(1/2)

Γ(na).

Voici la conjecture de Rohrlich:

Conjecture 3.7. Toute relation multiplicative de la forme

π

b/2

Y

a∈Q

Γ(a)

ma

∈ Q avec b et m

a

dans Z se d´ eduit des relations standard.

Une formalisation de cette conjecture utilisant la notion de

hh

distribution universelle

ii

est donn´ ee par S. Lang dans [39].

Une conjecture plus ambitieuse que 3.7 est celle de Rohrlich-Lang qui con- cerne non seulement les relations monomiales, mais plus g´ en´ eralement les re- lations polynomiales: elle pr´ etend que l’id´ eal sur Q de toutes les relations alg´ ebriques entre les valeurs de (1/ √

2π)Γ(a) pour a ∈ Q est engendr´ e par les relations de distributions, l’´ equation fonctionnelle et l’imparit´ e.

4. S´ eries de fractions rationnelles. Soient P et Q deux fractions ra- tionnelles ` a coefficients rationnels avec deg Q ≥ deg P + 2. Quelle est la nature arithm´ etique de la somme de la s´ erie

X

n≥0 Q(n)6=0

P (n) Q(n) ? (4.1)

Cette question a ´ et´ e ´ etudi´ ee notamment dans [3].

La somme de la s´ erie (4.1) peut ˆ etre rationnelle: c’est le cas des s´ eries t´ el´ escopiques dont voici des exemples.

Lemme 4.2. Soient a et b deux ´ el´ ements de C

×

tels que b/a 6∈ Z

≤0

et soit k un entier ≥ 2. Alors

X

n=0 k−1

Y

j=0

1

(an + b + ja) = 1 (k − 1)a

k−2

Y

i=0

1

ia + b ·

(4.3)

(14)

En particulier, sous les hypoth` eses du lemme 4.2, si a et b sont des nombres rationnels alors la s´ erie a pour valeur un nombre rationnel. Ainsi

X

n=2

X

m=2

1 n

m

=

X

n=2

1

n(n − 1) = 1.

Un autre exemple est la somme de la s´ erie (4.1) avec P (X) = 1 et Q(X) = (X + 1) · · · (X + k) pour k ≥ 2, ` a savoir

X

n=0

n!

(n + k)! = 1

k − 1 · 1 (k − 1)! ·

D´ emonstration du lemme 4.2. On utilise la d´ ecomposition en ´ el´ ements simples de la fraction rationnelle

h

Y

j=0

1

X + ja = 1 a

h

h

X

i=0

(−1)

i

i!(h − i)! · 1 X + ia (4.4)

d’abord avec h = k − 1: la somme S =

X

n=0 k−1

Y

j=0

1 (an + b + ja) de la s´ erie du membre de gauche de (4.3) s’´ ecrit

S =

X

n=0 k−1

X

i=0

c

i

an + b + ia avec

c

i

= (−1)

i

a

k−1

i!(k − 1 − i)! (0 ≤ i ≤ k − 1).

Comme

k−1

X

i=0

c

i

= 0,

(15)

on en d´ eduit

S = 1 a

k−1

k−2

X

m=0

d

m

am + b avec

d

m

=

m

X

i=0

(−1)

i

i!(k − 1 − i)! · On v´ erifie par r´ ecurrence sur m, pour 0 ≤ m ≤ k − 2,

d

m

= 1

k − 1 · (−1)

m

m!(k − 2 − m)! ·

Il ne reste plus qu’` a appliquer de nouveau (4.4), mais cette fois-ci avec h = k−2.

La somme d’une s´ erie (4.1) peut aussi ˆ etre transcendante: des exemples [3]

sont

X

n=0

1

(2n + 1)(2n + 2) = log 2,

X

n=0

1

(n + 1)(2n + 1)(4n + 1) = π 3 , et

X

n=0

1

(3n + 1)(3n + 2)(3n + 3) = π √ 3 12 − 1

4 log 3.

De fa¸ con g´ en´ erale, quand la fraction rationnelle Q au d´ enominateur a unique- ment des pˆ oles simples et rationnels, la somme de la s´ erie est une combinaison lin´ eaire de logarithmes de nombres alg´ ebriques. En effet, d’apr` es [3] lemme 5, si k

j

et r

j

sont des entiers positifs avec r

j

≤ k

j

et si c

j

sont des nombres complexes, si la s´ erie

S =

X

n=0 m

X

j=1

c

j

k

j

n + r

j

(16)

converge, alors sa somme est S =

m

X

j=1

c

j

k

j kj−1

X

t=1

(1 − ζ

j−rjt

) log(1 − ζ

jt

),

ζ

j

d´ esignant une racine primitive k

j

-i` eme de l’unit´ e. Ainsi quand les nombres c

j

sont alg´ ebriques et que ce nombre S est non nul, alors non seulement il est transcendant (d’apr` es le th´ eor` eme 2.1), mais en plus on en connaˆıt de bonnes mesures de transcendance (voir par exemple [57] et [3]). En particulier il n’est pas un nombre de Liouville.

D’autres exemples de s´ eries de la forme (4.1) prenant une valeur transcen- dante sont

X

n=1

1 n

2

= π

2

6 et [17]

X

n=0

1 n

2

+ 1 = 1

2 + π

2 · e

π

+ e

−π

e

π

− e

−π

· (4.5)

La transcendance de ce dernier nombre provient du th´ eor` eme 3.4 de Nesterenko.

Ces exemples soul` event plusieurs questions. Voici la premi` ere Question 4.6. Quelles sont les p´ eriodes parmi les nombres (4.1)?

Il y a beaucoup de p´ eriodes parmi ces nombres (4.1) (voir par exemple le lemme 5.1 ci-dessous), mais on s’attend plutˆ ot ` a ce qu’un nombre tel que (4.5) n’en soit pas une.

Sur la nature arithm´ etique des s´ eries (4.1), on peut esp´ erer l’´ enonc´ e suivant:

Conjecture 4.7. Un nombre de la forme

X

n≥0 Q(n)6=0

P (n) Q(n)

est soit rationnel, soit transcendant. Ce n’est jamais un nombre de Liouville.

De plus, s’il est rationnel, alors la s´ erie est

hh

t´ elescopique

ii

.

(17)

Par

hh

s´ erie t´ elescopique

ii

nous entendons une s´ erie dont la somme est ra- tionnelle, la d´ emonstration de ce fait reposant sur l’argument du lemme 4.2.

Le cas particulier des fractions rationnelles de la forme P (X)/Q(X ) = X

−s

m´ erite une section sp´ eciale.

5. Valeurs de la fonction zˆ eta de Riemann. Commen¸ cons par un r´ esultat ´ el´ ementaire concernant les valeurs de la fonction zˆ eta de Riemann aux entiers positifs.

Lemme 5.1. Pour s ≥ 2

ζ(s) = X

n≥1

1 n

s

est une p´ eriode.

D´ emonstration: on v´ erifie facilement l’´ egalit´ e ζ(s) =

Z

1>t1>···>ts>0

dt

1

t

1

· · · dt

s−1

t

s−1

· dt

s

1 − t

s

· (5.2)

Il sera commode d’utiliser la notation des int´ egrales it´ er´ ees de Chen ([18]

§ 2.6) et d’´ ecrire la relation (5.2) sous la forme ζ(s) =

Z

1 0

ω

s−10

ω

1

avec ω

0

= dt

t et ω

1

= dt 1 − t · (5.3)

La nature arithm´ etique des valeurs de la fonction zˆ eta de Riemann en des entiers positifs pairs est connue depuis Euler:

π

−2k

ζ(2k) ∈ Q pour k ≥ 1.

Ces nombres rationnels s’expriment en termes des nombres de Bernoulli [18],

formule (38). ´ Etablir un r´ esultat de rationalit´ e (ou d’alg´ ebricit´ e) de certains

nombres est en g´ en´ eral plus f´ econd que d’´ etablir des ´ enonc´ es d’irrationalit´ e ou

de transcendance – cependant notre propos est de faire le point sur les r´ esultats

(18)

de transcendance: ce sont eux qui assurent que toute la richesse potentielle que rec` elent des relations alg´ ebriques entre les nombres consid´ er´ es a bien ´ et´ e exploit´ ee.

La principale question diophantienne que posent les nombres d’Euler est de savoir quelles relations alg´ ebriques existent entre les nombres

ζ(2), ζ(3), ζ(5), ζ(7) . . . ?

On conjecture qu’il n’y en a pas ([18] et [26] Conjecture 0.1). Autrement dit

Conjecture 5.4. Les nombres

ζ(2), ζ(3), ζ(5), ζ(7) . . . sont alg´ ebriquement ind´ ependants.

On sait tr` es peu de choses dans cette direction: le th´ eor` eme de Lindemann:

affirme que le nombre π est transcendant, donc aussi ζ(2k) pour tout entier k ≥ 1. En 1978 R. Ap´ ery a d´ emontr´ e que le nombre ζ(3) est irrationnel. La d´ emonstration d’Ap´ ery permet de montrer que le nombre ζ(3) n’est pas un nombre de Liouville, la meilleure mesure d’irrationalit´ e ´ etant celle de Rhin et Viola [47]:

ζ(3) − p q

> q

−µ

pour q suffisamment grand, avec µ = 5, 513 . . .

Les travaux r´ ecents de T. Rivoal, puis de K. Ball et W. Zudilin notamment, apportent les premi` eres informations sur la nature arithm´ etique des valeurs de la fonction zˆ eta aux entiers impairs: par exemple l’espace vectoriel sur le corps des nombres rationnels engendr´ e par les nombres ζ(2k + 1), k ≥ 1 a une dimension infinie (cf. [26]).

Une ´ etape pr´ eliminaire en vue d’une d´ emonstration de la conjecture 5.4

consiste ` a lin´ eariser le probl` eme: les m´ ethodes diophantiennes sont en effet

plus performantes pour ´ etablir des ´ enonc´ es d’ind´ ependance lin´ eaire (comme

(19)

le th´ eor` eme 2.1 de Baker, ou mˆ eme le th´ eor` eme de Lindemann-Weiserstrass, qui peut s’´ enoncer de mani` ere ´ equivalente comme un r´ esultat d’ind´ ependance alg´ ebrique ([25] Th. 2.3’) ou lin´ eaire ([25] Th. 2.3) que pour ´ etablir des r´ esultats d’ind´ ependance alg´ ebrique.

Euler avait d´ ej` a remarqu´ e que le produit de deux valeurs de la fonction zˆ eta (de Riemann comme on l’appelle maintenant!) ´ etait encore la somme d’une s´ erie. En effet, de la relation

X

n1≥1

n

−s1 1

X

n2≥1

n

2−s2

= X

n1>n2≥1

n

−s1 1

n

2−s2

+ X

n2>n1≥1

n

−s2 2

n

1−s1

+ X

n≥1

n

−s1−s2

on d´ eduit, pour s

1

≥ 2 et s

2

≥ 2,

ζ(s

1

)ζ(s

2

) = ζ(s

1

, s

2

) + ζ(s

2

, s

1

) + ζ(s

1

+ s

2

) avec

ζ(s

1

, s

2

) = X

n1>n2≥1

n

−s1 1

n

2−s2

.

Pour k, s

1

, . . . , s

k

entiers positifs avec s

1

≥ 2, on pose s = (s

1

, . . . , s

k

) et

ζ(s) = X

n1>n2>···>nk≥1

1 n

s11

· · · n

skk

· (5.5)

Ces nombres sont appel´ es

hh

valeurs zˆ eta multiples

ii

, ou encore

hh

MZV

ii

(Multiple Zeta Values). Pour k = 1 on retrouve bien entendu les nombres d’Euler ζ(s).

Remarque 5.6. Chacun des nombres ζ(s) est une p´ eriode: en effet, avec la notation (5.3) des int´ egrales it´ er´ ees de Chen, on a (cf. [18] § 2.6):

ζ(s) = Z

1

0

ω

0s1−1

ω

1

· · · ω

0sk−1

ω

1

. (5.7)

Le produit de s´ eries (5.5) est une combinaison lin´ eaire de telles s´ eries. Par

cons´ equent l’espace vectoriel (sur Q ou sur Q) engendr´ e par les ζ(s) est aussi

une alg` ebre sur ce corps. De plus le produit de deux int´ egrales (5.7) est aussi

(20)

une combinaison lin´ eaire de telles int´ egrales. Par diff´ erence on obtient des relations lin´ eaires non triviales ` a coefficients rationnels entre les MZV. On en obtient de nouvelles — comme celle d’Euler ζ(2, 1) = ζ(3) — en y ajoutant les relations que l’on obtient en r´ egularisant les s´ eries et les int´ egrales divergentes [18].

Une description exhaustive des relations lin´ eaires entre les MZV devrait th´ eoriquement permettre de d´ ecrire du mˆ eme coup toutes les relations alg´ e- briques entre ces nombres, et en particulier de r´ esoudre le probl` eme 5.4 de l’ind´ ependance alg´ ebrique sur le corps Q(π) des valeurs de la fonction zˆ eta aux entiers impairs. Le but est donc de d´ ecrire toutes les relations lin´ eaires ` a coefficients rationnels entre les MZV. Soit Z

p

le Q-sous-espace vectoriel de R engendr´ e par les nombres ζ(s) pour s de

hh

poids

ii

s

1

+ · · · + s

k

= p, avec Z

0

= Q et Z

1

= {0}.

Voici la conjecture de Zagier (conjecture (108) de [18]) sur la dimension d

p

de Z

p

.

Conjecture 5.8. Pour p ≥ 3 on a d

p

= d

p−2

+ d

p−3

: (d

0

, d

1

, d

2

, . . .) = (1, 0, 1, 1, 1, 2, 2, . . .).

Cette conjecture s’´ ecrit aussi X

p≥0

d

p

X

p

= 1 1 − X

2

− X

3

·

Un candidat pour ˆ etre une base de l’espace Z

p

est propos´ e par M. Hoffman ([35], Conjecture C):

Conjecture 5.9. Une base de Z

p

sur Q est donn´ ee par les nombres ζ(s

1

, . . . , s

k

), s

1

+ · · · + s

k

= p, o` u chacun des s

i

est soit 2, soit 3.

Cette conjecture est compatible avec ce qui est connu pour p ≤ 16 (travaux de Hoang Ngoc Minh notamment). Par exemple, en notant {a}

b

la suite form´ ee de b occurences de a, les 7 valeurs suivantes devraient ˆ etre une base de l’espace vectoriel Z

10

:

ζ {2}

5

, ζ {2}

2

, {3}

2

, ζ {2, 3}

2

, ζ (2, {3}

2

, 2

,

(21)

ζ 3, {2}

2

, 3

, ζ {3, 2}

2

, ζ {3}

2

, {2}

2

. Exemple 5.10. Voici les petites valeurs de d

p

:

• d

0

= 1 car par convention ζ(s

1

, . . . , s

k

) = 1 pour k = 0.

• d

1

= 0 car {(s

1

, . . . , s

k

) ; s

1

+ · · · + s

k

= 1, s

1

≥ 2} = ∅.

• d

2

= 1 car ζ(2) 6= 0

• d

3

= 1 car ζ(2, 1) = ζ(3) 6= 0

• d

4

= 1 car ζ(4) 6= 0 et ζ(3, 1) = 1

4 ζ(4), ζ(2, 2) = 3

4 ζ(4), ζ(2, 1, 1) = ζ(4) = 2 5 ζ(2)

2

. La premi` ere valeur de d

p

qui ne soit pas connue est d

5

. La conjecture 5.8 donne d

5

= 2, et on sait d

5

∈ {1, 2} car

ζ(2, 1, 1, 1) = ζ(5),

ζ(3, 1, 1) = ζ(4, 1) = 2ζ(5) − ζ(2)ζ(3), ζ(2, 1, 2) = ζ(2, 3) = 9

2 ζ(5) − 2ζ(2)ζ(3), ζ(2, 2, 1) = ζ(3, 2) = 3ζ(2)ζ(3) − 11

2 ζ(5).

Donc d

5

= 2 si et seulement si le nombre ζ(2)ζ(3)/ζ(5) est irrationnel.

La conjecture 5.8 pr´ edit une valeur exacte pour la dimension d

p

de Z

p

. La question diophantienne est d’´ etablir la minoration. La majoration a ´ et´ e ´ etablie r´ ecemment grˆ ace aux travaux de A.B. Goncharov [29] et T. Terasoma [55] (voir aussi le th´ eor` eme 6.4 de [35]):

Les entiers δ

p

d´ efinis par la relation de r´ ecurrence de la conjecture de Zagier δ

p

= δ

p−2

+ δ

p−3

avec les conditions initiales δ

0

= 1, δ

1

= 0 fournissent une majoration pour la

dimension d

p

de Z

p

.

(22)

6. Fonctions hyperg´ eom´ etriques. Pour a, b, c et z nombres complexes avec c 6∈ Z

≤0

et |z| < 1, on d´ efinit la fonction hyperg´ eom´ etrique de Gauss (voir par exemple [25], Chap. 1 § 3.6, Chap. 2 § 3.2)

2

F

1

a, b ; c z

=

X

n=0

(a)

n

(b)

n

(c)

n

· z

n

n!

o` u

(a)

n

= a(a + 1) · · · (a + n − 1).

Exemple 6.1. Si on note K(z) l’int´ egrale elliptique de Jacobi de premi` ere esp` ece

K(z) = Z

1

0

dx

p (1 − x

2

)(1 − z

2

x

2

) ,

P

n

le n-i` eme polynˆ ome de Legendre et T

n

le n-i` eme polynˆ ome de Chebyshev:

P

n

(z) = 1 n!

d dz

n

(1 − z

2

)

n

, T

n

(cos z) = cos(nz) on a

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2

F

1

a, 1 ; 1 z

= 1

(1 − z)

a

,

2

F

1

1, 1 ; 2 z

= 1

z log(1 + z) ,

2

F

1

1/2, 1 ; 3/2 z

2

= 1

2z log 1 + z 1 − z ,

2

F

1

1/2, 1/2 ; 3/2 z

2

= 1

z arcsin z,

2

F

1

1/2, 1/2 ; 1 z

2

= 2

π K(z),

2

F

1

−n, n + 1 ; 1

(1 + z)/2

= 2

−n

P

n

(z),

2

F

1

−n, n ; 1/2

(1 + z)/2

= (−1)

n

T

n

(z).

(6.2)

(23)

Pour c > b > 0 nombres rationnels, on a (Euler, 1748)

2

F

1

a, b ; c z

= Γ(c)

Γ(b)Γ(c − b) Z

1

0

t

b−1

(1 − t)

c−b−1

(1 − tz)

−a

dt;

de la formule de r´ eflexion de la fonction Gamma, jointe ` a la relation (2.10) liant les fonctions Bˆ eta et Gamma, on d´ eduit

Γ(c)

Γ(b)Γ(c − b) ∈ 1 π P.

Il en r´ esulte [37] § 2.2 que pour a, b, c rationnels avec c 6∈ Z

≤0

et z ∈ Q avec

|z| < 1,

2

F

1

a, b ; c z

∈ 1 π P.

(6.3)

Rappelons que P ⊂ (1/π)P. Il est sugg´ er´ e dans [37] § 2.2 que sous les mˆ emes conditions,

2

F

1

a, b ; c

z

n’appartient pas ` a P .

Remarque 6.4. Pour a, b, c r´ eels avec c > a +b et c 6∈ Z

≤0

, on a (Gauss)

2

F

1

a, b ; c 1

= Γ(c − a)Γ(c − b) Γ(c)Γ(c − a − b) ·

Remarque 6.5. Une relation remarquable faisant intervenir l’invariant modulaire j(z) = J (e

2iπz

) et la s´ erie d’Eisenstein E

4

= Q (cf (3.5)) est la suivante [37] § 2.3, due ` a Fricke et Klein:

2

F

1

1 12 , 5

12 ; 1

1728 j(z)

= Q(z)

1/4

. La transcendance des valeurs

2

F

1

a, b; c

z

des fonctions hyperg´ eom´ etri- ques quand a, b, c et z sont rationnels a ´ et´ e ´ etudi´ ee d` es 1929 par C.L. Siegel [53]. On doit ` a A.B. Shidlovskii et ` a son ´ ecole de nombreux r´ esultats sur la question (voir [25]).

En 1988, J. Wolfart [60] a ´ etudi´ e l’ensemble E des nombres alg´ ebriques ξ

tels que

2

F

1

(ξ) soit aussi alg´ ebrique. Quand

2

F

1

est une fonction alg´ ebrique,

(24)

E = Q est l’ensemble de tous les nombres alg´ ebriques. Supposons maintenant que

2

F

1

est une fonction transcendante. Wolfart [60] montre que l’ensemble E est en bijection avec un ensemble de vari´ et´ es ab´ eliennes de type CM – il s’agit donc d’une extension en dimension sup´ erieure du th´ eor` eme de Th. Schneider sur la transcendance de l’invariant modulaire j ([49], [51] Th. 17).

La d´ emonstration de Wolfart utilise le fait que les nombres

2

F

1

(a, b, c; z) sont reli´ es aux p´ eriodes de formes diff´ erentielles sur la courbe

y

N

= x

A

(1 − x)

B

(1 − zx)

C

avec A = (1 − b)N, B = (b + 1 − c)N , C = aN, tandis que N est le plus petit d´ enominateur commun de a, b, c (voir ` a ce sujet [36]). L’outil transcendant est le th´ eor` eme du sous-groupe analytique de W¨ ustholz [63]. ` A l’occasion de ces recherches, F. Beukers et J. Wolfart [10] ont ´ etabli de nouvelles relations qui n’avaient pas ´ et´ e observ´ ees avant, comme

2

F

1

1

12 , 5

12 ; 1 2

1323 1331

= 3 4

4

11 et

2

F

1

1 12 , 7

12 ; 2 3

64000 64009

= 2 3

6

253.

Quand le groupe de monodromie de l’´ equation diff´ erentielle hyperg´ eom´ e-

trique satisfaite par

2

F

1

est un groupe triangulaire arithm´ etique, l’ensemble E

est infini. Wolfart [60] conjectura que r´ eciproquement, l’ensemble E est fini si

le groupe de monodromie n’est pas arithm´ etique. Les travaux de P. Cohen et

J. Wolfart [19], puis de P. Cohen et J. W¨ ustholz [20] ont ´ etabli un lien entre

cette question et la conjecture d’Andr´ e-Oort [6, 44], selon laquelle les sous-

vari´ et´ es sp´ eciales de vari´ et´ es de Shimura sont pr´ ecis´ ement les sous-vari´ et´ es qui

contiennent un sous-ensemble Zariski dense de points sp´ eciaux. P. Cohen a

remarqu´ e qu’un cas particulier de la conjecture d’Andr´ e-Oort en dimension 1

suffit; le r´ esultat crucial a ´ et´ e ´ etabli par B. Edixhoven et A. Yafaev [24]: dans

une vari´ et´ e de Shimura, une courbe contient une infinit´ e de points appartenant

(25)

`

a la mˆ eme orbite de Hecke d’un point sp´ ecial si et seulement si elle est de type Hodge. Cela permet de r´ epondre ` a la question initiale de C.L. Siegel;

de mani` ere pr´ ecise, en regroupant les r´ esultats de [19, 20, 24, 60], on d´ eduit:

l’ensemble exceptionnel E est en bijection avec un ensemble de points dans la mˆ eme orbite de Hecke d’un point sp´ ecial (CM) sur une courbe dans une vari´ et´ e de Shimura d´ efinie sur Q. L’ensemble E est infini si le groupe de monodromie est arithm´ etique, il est fini si le groupe de monodromie n’est pas arithm´ etique.

A la fonction hyperg´ ` eom´ etrique de Gauss on associe la fraction continue de Gauss

G(z) = G(a, b, c; z) =

2

F

1

a, b + 1 ; c + 1 z

/

2

F

1

a, b ; c z

= 1/

1 − g

1

z/ 1 − g

2

z/(· · ·)

`

a coefficients

g

2n−1

= (a + n − 1)(c − b + n − 1)/ (c + 2n − 2)(c + 2n − 1) , g

2n

= (b + n)(c − a + n)/ (c + 2n − 1)(c + 2n)

.

J. Wolfart [61] a montr´ e que si les param` etres a, b, c sont rationnels, c 6= 0,

−1, −2, · · ·, et si G(z) n’est pas une fonction alg´ ebrique, alors pour presque toutes les valeurs alg´ ebriques de l’argument z la valeur de G(z) est transcen- dante. Il utilise le th´ eor` eme de G. W¨ ustholz [63] ainsi que des r´ esultats de G.

Shimura et Y. Taniyama sur les vari´ et´ es ab´ eliennes.

Pour les nombres dont nous venons de parler, li´ es aux fonctions hyperg´ eo- m´ etriques, dont on sait ´ etablir la transcendance, on connaˆıt ´ egalement des mesures d’approximation par des nombres alg´ ebriques (voir [25] et [27, 28]

notamment).

Les fonctions hyperg´ eom´ etriques de Gauss sont des cas particuliers d’une famille plus vaste, form´ ee des fonctions hyperg´ eom´ etriques g´ en´ eralis´ ees (voir par exemple [25] Chap. 2, § 6).

Pour p entier ≥ 2 et a

1

, . . . , a

p

, b

1

, . . . , b

p−1

et z nombres complexes avec

(26)

b

i

6∈ Z

≤0

et |z| < 1, on d´ efinit

p

F

p−1

a

1

, . . . , a

p

b

1

, . . . , b

p−1

z

=

X

n=0

(a

1

)

n

· · · (a

p

)

n

(b

1

)

n

· · · (b

p−1

)

n

· z

n

n! · Exemple 6.6. Les fonctions

1

F

0

1/n z

n

= √

n

1 − z

n

et

3

F

2

1/4, 1/2, 3/4 1/3, 2/3

2

8

z 3

3

=

X

k=0

4k k

z

k

sont alg´ ebriques. La fonction de Bessel

J

0

(z) =

0

F

1

1

−z

2

4

= X

n≥0

(−1)

n

z

2n

2

2n

(n!)

2

est transcendante.

Par r´ ecurrence sur p ` a partir de (6.3) on d´ emontre:

Proposition 6.7. Pour a

1

, . . . , a

p

, b

1

, . . . , b

p−1

nombres rationnels avec p ≥ 2, b

i

6∈ Z

≤0

et pour z ∈ Q avec |z| < 1, on a

p

F

p−1

a

1

, . . . , a

p

b

1

, . . . , b

p−1

z

∈ 1 π

p−1

P .

On peut consulter [25] pour connaˆıtre l’´ etat de la question de la nature arithm´ etique des valeurs de fonctions hyperg´ eom´ etriques g´ en´ eralis´ ees, aussi bien sous l’aspect qualitatif (irrationalit´ e, transcendance, ind´ ependance alg´ e- brique) que quantitatif (mesures d’approximation, de transcendance ou d’ind´ e- pendance alg´ ebrique).

7. Mesure de Mahler de polynˆ omes en plusieurs variables. Soit

P ∈ C[z

1

, . . . , z

n

, z

−11

, . . . , z

n−1

] un polynˆ ome de Laurent non nul en n variables.

(27)

On d´ efinit la mesure de Mahler M(P ) et la mesure de Mahler logarithmique µ(P ) par

µ(P ) = log M(P ) = Z

1

0

· · · Z

1

0

log

P (e

2iπt1

, . . . , e

2iπtn

)

dt

1

· · · dt

n

. Dans le cas le plus simple n = 1 on ´ ecrit

P(z) =

d

X

i=0

a

d−i

z

i

= a

0 d

Y

i=1

(z − α

i

) et on a

M(P ) = |a

0

|

d

Y

i=1

max{1, |α

i

|}.

On en d´ eduit notamment µ(P ) ∈ P.

Plus g´ en´ eralement, pour P ∈ Q[z

1

, . . . , z

n

, z

1−1

, . . . , z

n−1

] on a µ(P ) ∈ 1

π

n

P .

D. Boyd et C.J. Smyth (voir les r´ ef´ erences dans [12]) ont calcul´ e un certain nombre d’exemples de valeurs de la fonction µ qu’ils ont exprim´ ees en termes de valeurs sp´ eciales de fonctions L attach´ ees ` a des caract` eres de Dirichlet.

D. Boyd et F. Rodriguez Villegas ont obtenu des r´ esultats du mˆ eme genre faisant intervenir des fonctions L attach´ ees ` a des courbes elliptiques. Ensuite D. Boyd, F. Rodriguez Villegas, V. Maillot et S. Vandervelde ont exprim´ e certaines mesures de Mahler logarithmiques ` a l’aide de combinaisons de valeurs de la fonction dilogarithme. Mis ` a part le c´ el` ebre exemple

µ(1 + z

1

+ z

2

+ z

3

) = 7 2π

2

ζ(3).

dˆ u ` a C.J. Smyth, les r´ esultats connus concernent principalement le cas de deux variables; cependant les travaux de C. Deninger donnent des espoirs pour le cas g´ en´ eral.

8. Exponentielles de p´ eriodes et p´ eriodes exponentielles.

(28)

8.1. Exponentielles de p´ eriodes. Parmi les suggestions de Kontsevich et Zagier dans [37], on rel` eve dans le § 1.2 celle qui pr´ edit que les nombres 1/π et e ne sont pas des p´ eriodes. Parmi les candidats ` a ne pas ˆ etre des p´ eriodes on peut ajouter e

π

et e

π2

.

On connaˆıt la transcendance de e

π

(A.O. Gel’fond, 1929 – c’est une cons´ e- quence du th´ eor` eme 2.1), mais pas celle de e

π2

.

Conjecture 8.1. Soient α

1

, α

2

, α

3

des nombres alg´ ebriques non nuls.

Pour j = 1, 2, 3 soit log α

j

∈ C \ {0} un logarithme non nul de α

j

, c’est-` a-dire un nombre complexe non nul tel que e

logαj

= α

j

. Alors

(log α

1

) log α

2

) 6= log α

3

.

Exemple 8.2. Avec log α

1

= log α

2

= iπ on d´ eduit la transcendance du nombre e

π2

. Un autre exemple est la transcendance du nombre 2

log 2

.

D’autres conjectures sont propos´ ees dans [58], ` a la fois pour la fonction exponentielle (conjectures des trois, quatre, cinq exponentielles) et pour les fonctions elliptiques. Des cas tr` es particuliers de ces conjectures sont ´ etablis.

L’appendice de [58] par H. Shiga ´ etablit un lien avec des p´ eriodes de surfaces de Kummer.

Les r´ esultats partiels que l’on connaˆıt sur la conjecture 8.1 et les questions

autour de la conjecture des quatre exponentielles [38, 57, 58] reposent sur la

m´ ethode de transcendance qui a permis ` a Th. Schneider de r´ esoudre le septi` eme

probl` eme de Hilbert en 1934. On peut noter que cette m´ ethode fait jouer un

rˆ ole essentiel au th´ eor` eme d’addition alg´ ebrique de la fonction exponentielle, ` a

savoir e

x+y

= e

x

e

y

, et n’utilise pas l’´ equation diff´ erentielle de cette fonction,

contrairement ` a ce qui est sugg´ er´ e ` a la fin du § 2.4 de [37]. Une autre m´ ethode

de transcendance qui ne fait pas intervenir de d´ erivations est celle de Mahler qui

fait l’objet du livre de K. Nishioka [43]. Notons ` a ce propos que la conjecture

5.4 de [59] sur la transcendance de nombres dont le d´ eveloppement dans une

base est donn´ e par une suite

hh

automatique

ii

, qui faisait l’objet de travaux de

J.H. Loxton et A.J. van der Poorten utilisant la m´ ethode de Mahler, vient

d’ˆ etre r´ esolue par B. Adamczewski, Y. Bugeaud et F. Lucas [2, 1], grˆ ace ` a une

(29)

m´ ethode enti` erement diff´ erente de celle de Mahler, bas´ ee sur le th´ eor` eme du sous-espace de W.M. Schmidt.

La conjecture 8.1 est un cas tr` es particulier de la conjecture selon laque- lle des logarithmes Q-lin´ eairement ind´ ependants de nombres alg´ ebriques sont alg´ ebriquement ind´ ependants. Un des exemples les plus importants de nombres qui s’expriment comme valeur d’un polynˆ ome en des logarithmes de nombres alg´ ebriques est celui de d´ eterminants de matrices dont les coefficients sont de tels logarithmes. Certains r´ egulateurs sont de cette forme, et d´ ecider s’ils sont nuls ou non peut ˆ etre consid´ er´ e comme un probl` eme de transcendance. Quand ils ne sont pas nuls on conjecture que ces d´ eterminants sont transcendants, et que ce ne sont pas de nombres de Liouville.

8.2. P´ eriodes exponentielles. La d´ efinition suivante est donn´ ee dans [37] § 4.3. Il est pr´ ecis´ e dans l’introduction de [37] que la derni` ere partie de ce texte est l’œuvre uniquement du premier auteur.

D´ efinition Une p´ eriode exponentielle est une int´ egrale absolument conver- gente du produit d’une fonction alg´ ebrique avec l’exponentielle d’une fonction alg´ ebrique, sur un ensemble semi-alg´ ebrique, o` u tous les polynˆ omes intervenant dans la d´ efinition ont des coefficients alg´ ebriques.

Exemple 8.3.

Dans l’alg` ebre des p´ eriodes exponentielles, on trouve ´ evidemment les p´ e- riodes, mais aussi les nombres

e

β

= Z

β

−∞

e

x

dx quand β alg´ ebrique, le nombre

√ π = Z

−∞

e

−x2

dx, les valeurs de la fonction Gamma aux points rationnels:

Γ(s) = Z

0

e

−t

t

s

· dt t

,

(30)

ainsi que les valeurs des fonctions de Bessel aux points alg´ ebriques

J

n

(z) = Z

|u|=1

exp z

2

u − 1 u

du u

n+1

·

Ces exemples sont interpr´ et´ es par S. Bloch et H. Esnault [11] comme des p´ eriodes issues d’une dualit´ e entre cycles homologiques et formes diff´ erentielles pour des connections ayant des points singuliers irr´ eguliers sur des surfaces de Riemann.

8.3. Constante d’Euler. On ne sait pas d´ emontrer que le nombre γ = lim

n→∞

1 + 1

2 + 1

3 + · · · + 1

n − log n

= 0.5772157 . . . est irrationnel [54], mais on attend mieux:

Conjecture 8.4. Le nombre γ est transcendant.

Un r´ esultat encore plus fort est sugg´ er´ e par Kontsevich et Zagier [37] § 1.1 et § 4.3:

Conjecture 8.5. Le nombre γ n’est pas une p´ eriode, ni mˆ eme une p´ eriode exponentielle.

8.4. Un analogue en dimension 2 de la constante d’Euler. Pour chaque k ≥ 2, d´ esignons par A

k

l’aire minimale d’un disque ferm´ e de R

2

contenant au moins k points de Z

2

. Pour n ≥ 2, posons [31]

δ

n

= − log n +

n

X

k=2

1

A

k

et δ = lim

n→∞

δ

n

. F. Gramain conjecture:

Conjecture 8.6.

δ = 1 + 4

π γL

0

(1) + L(1) , o` u γ est la constante d’Euler et

L(s) = X

n≥0

(−1)

n

(2n + 1)

−s

.

(31)

est la fonction L du corps quadratique Q(i) (fonction Bˆ eta de Dirichlet).

Comme L(1) = π/4 et L

0

(1) = X

n≥0

(−1)

n+1

· log(2n + 1) 2n + 1

= π

4 3 log π + 2 log 2 + γ − 4 log Γ(1/4) , la conjecture 8.6 s’´ ecrit aussi

δ = 1 + 3 log π + 2 log 2 + 2γ − 4 log Γ(1/4) = 1.82282524 . . . Le meilleur encadrement connu pour δ est [31]

1.811 . . . < δ < 1.897 . . .

Il semble vraisemblable que ce nombre δ n’est pas une p´ eriode (et par cons´ e- quent est transcendant), mais, ´ etant donn´ e le peu d’information que nous avons sur lui, ce n’est probablement pas le meilleur candidat pour r´ esoudre la question de [37] (§ 1.2 problem 3) qui consiste ` a exhiber un nombre qui n’est pas une p´ eriode!

9. Caract´ eristique finie. Les questions diophantiennes concernant les nombres complexes ont des analogues dans les corps de fonctions en caract´ eris- tique finie qui ont fait l’objet de nombreux travaux [30]. Les premiers outils d´ evelopp´ es par L. Carlitz (1935) ont ´ et´ e utilis´ es par I.I. Wade (1941) qui a obtenu les premiers ´ enonc´ es de transcendance. Apr` es divers travaux, notam- ment de J.M. Geijsel et P. Bundschuh en 1978, la th´ eorie a ´ et´ e d´ evelopp´ ee de mani` ere approfondie par Jing Yu ` a partir des ann´ ees 1980, d’abord dans le cadre des modules elliptiques qui avaient ´ et´ e introduits par V.G. Drinfel’d en 1974, ensuite dans le cadre des t-motifs de G. Anderson ` a partir de 1986.

Pendant longtemps les r´ esultats en caract´ eristique finie ´ etaient des analogues des r´ esultats classiques relatifs aux nombres complexes, jusqu’` a ce que Jing Yu obtiennent des ´ enonc´ es qui vont plus loin que leurs analogues complexes [64].

L’utilisation, introduite dans ce contexte par L. Denis en 1990, de la

d´ erivation par rapport ` a la variable du corps de fonctions, produit des ´ enonc´ es

(32)

qui n’ont pas d’´ equivalents dans le cas classique des nombres complexes. Une autre particularit´ e de la caract´ eristique finie est la possibilit´ e de consid´ erer des produits tensoriels, permettant parfois de ramener des questions d’ind´ epen- dance alg´ ebrique ` a des probl` emes d’ind´ ependance lin´ eaire (un bel exemple est donn´ e par S. David et L. Denis dans [22]).

Deux expos´ es de synth` ese sur ce th` eme sont donn´ es, l’un en 1992 par Jing Yu dans [64], l’autre en 1998 par W.D. Brownawell [13].

9.1. Un analogue en caract´ eristique finie de la constante d’Euler.

Un r´ esultat remarquable en caract´ eristique finie est la transcendance de l’ana- logue de la constante d’Euler. Le nombre complexe γ peut ˆ etre d´ efini par

γ = lim

s→1

ζ(s) − 1 s − 1

quand ζ d´ esigne la fonction zˆ eta de Riemann:

ζ(s) = Y

p

(1 − p

−s

)

−1

.

Dans ce produit p d´ ecrit l’ensemble de nombres premiers. En caract´ eristique finie le produit correspondant porte sur les polynˆ omes irr´ eductibles unitaires ` a coefficients dans un corps fini F

q

` a q ´ el´ ements. Dans ce cas le produit converge au point s = 1, et la valeur en ce point est donc un analogue de la constante d’Euler (dans un compl´ et´ e C d’une clˆ oture alg´ ebrique de F

q

((1/T ))). Cet

´ el´ ement de C est transcendant sur F

q

(T ): cela a ´ et´ e d´ emontr´ e par G.W. Ander- son et D. Thakur en 1990 [5], mais ils remarquent que les outils dont disposait I.I. Wade auraient suffit pour ´ etablir le r´ esultat d` es 1940.

9.2. La fonction Gamma de Thakur. Par analogie avec le produit infini (2.8) d´ efinissant la fonction Gamma d’Euler, D. Thakur d´ efinit (cf. [13])

Γ(z) = z

−1

Y

n∈A+

1 + z

n

−1

o` u A = F

q

[T ] d´ esigne l’anneau des polynˆ omes ` a coefficients dans F

q

et A

+

l’ensemble des polynˆ omes unitaires. Cette fonction Gamma est m´ eromorphe

(33)

sur C. Elle satisfait des relations analogues aux relations standard satisfaites par la fonction Gamma d’Euler. De mˆ eme, le pendant en caract´ eristique finie des relations de Deligne-Koblitz-Ogus a ´ et´ e ´ etabli par Deligne, Anderson et Thakur (voir [14]).

En 1992 G. Anderson a introduit une notion de fonction soliton, qui, selon [14], est un analogue en dimension sup´ erieure de la fonction shtuka pour les modules de Drinfeld de rang 1. Les fonctions m´ eromorphes que R. Coleman avait utilis´ ees pour ´ etudier les endomorphismes de Frobenius sur les courbes de Fermat et d’Artin-Schreier avaient ´ et´ e interpr´ et´ ees par Thakur en termes de sa fonction Gamma. C’est en d´ eveloppant le parall` ele avec certains ´ el´ ements de la th´ eorie des ´ equations aux d´ eriv´ ees partielles que G. Anderson a ´ et´ e amen´ e

`

a introduire ses solitons. Cette th´ eorie a ´ et´ e utilis´ ee en 1997 par S.K. Sinha, qui a construit des t-modules ayant des p´ eriodes dont les coordonn´ ees sont des multiples par un nombre alg´ ebrique de valeurs de la fonction Gamma de Thakur en des points rationnels a/f, avec a et f dans A

+

. Grˆ ace aux r´ esultats de transcendance de Jing Yu, S.K. Sinha a pu ainsi obtenir la transcendance de certaines valeurs de la fonction Gamma de Thakur en des points rationnels.

Ces travaux ont ´ et´ e poursuivis par W.D. Brownawell et M.A. Papanikolas qui montrent dans [14] que les relations lin´ eaires ` a coefficients alg´ ebriques entre les valeurs de la fonction Gamma de Thakur sont celles qui r´ esultent de Deligne- Anderson-Thakur. On peut consid´ erer qu’il s’agit de l’analogue pour les corps de fonctions sur un corps fini du th´ eor` eme de Wolfart et W¨ ustholz [62] sur l’ind´ ependance lin´ eaire des valeurs de la fonction Bˆ eta. Ce qui est sp´ ecialement remarquable est qu’il est possible d’aller plus loin: dans [4], G.W. Ander- son, W.D. Brownawell et M.A. Papanikolas montrent que toutes les relations de d´ ependance alg´ ebrique entre les valeurs de la fonction Gamma de Thakur r´ esultent des relations de Deligne-Anderson-Thakur.

Pour les valeurs de la fonction Gamma la situation en caract´ eristique finie est donc bien plus en avance que dans le cas classique o` u la conjecture de Rohrlich-Lang semble hors d’atteinte.

Tout r´ ecemment M. Papanikolas a ´ etabli l’analogue pour les modules de

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