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Le changement institutionnel peut-il être analysé comme évolutionnaire ? quelques limites de l'approche économique standard et quelques voies ouvertes à l'approche évolutionnaire

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Le changement institutionnel peut-il être analysé comme évolutionnaire ? quelques limites de l’approche économique standard et quelques voies ouvertes à l’approche évolutionnaire.

Maurice BASLÉ, professeur à la Faculté des sciences économiques, CREREG-CNRS, Université de Rennes 1 Résumé : La question des droits de propriété et celle de la répartition des richesses qui en découle a souvent été renvoyée à l'extérieur de la sphère économique ; cependant, certains économistes encore considérés comme

"standards" ont essayé d'élargir leurs analyses à des questions institutionnelles. Il s'agit par exemple des approches de la nouvelle économie du bien-être ou de l'approche plus politique et juridique "des groupes d'intérêt", ou encore celle du "rent-seeking" et de la capture du régulateur. En faisant cela, ces économistes ont cherché à être institutionnalistes à leur manière. Mais, comme beaucoup d'institutionnalistes, après avoir intégré la dimension juridique et institutionnelle, ils ont buté ensuite sur le traitement de la question du changement institutionnel et, à un niveau plus profond, du changement organisationnel. Comment expliquer ce changement ? Ce changement est-il automatique, programmé, son utilité est-elle calculable ex-ante ? Est-ce, au contraire, une pure affaire de risque et de volonté politique ? Est-ce au contraire une évolution plus profonde ? On montre ici qu'une approche évolutionnaire ouvre de vraies voies de recherche aux économistes voulant prendre du recul par rapport à l'analyse standard en proposant de s'intéresser, à propos de ces questions de changement de droits, d'institutions, d'organisations, à la dépendance du passé, des institutions et des grands principes de la morale et du droit, au hasard, à l'émergence non intentionnelle mais aussi aux stratégies de groupes d'intérêt monopoleurs ou plus ou moins concurrentiels et à la création humaine individuelle ou collective. Même si on montre aussi que cette approche évolutionnaire est encore balbutiante chez les économistes et a probablement des limites propres analogues aux limites des théories du droit naturel.

Summary : the interrogation of the paper is a simple one : the process of regulation change has mainly been analyzed by theoreticians of law not by pure economists. Nevertheless, some american economists have proposed economic analysis of law : in this case, the analysis appeared to be too complex to be modelized . Here, we draw up an inventory of the contributions of those different schools in economics : the public-interest approach in public economics, the politico-economical approach of group of interest and the capture of the regulator (Chicago’s school) ; a generalization of the later approach wellknown as the « rent-seeking » approach. Questions are : what about the potentalities of these economic approaches? And is there still some place for a specific institutionnalist approach? Could we find an interest in a more evolutionnist economic approach of regulation change, as specialists of genesis of laws do?

MOTS-CLES : changement institutionnel, evolution, analyse économique des réglementations.

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INTRODUCTION

Les économistes utilisent généralement une analyse centrée sur deux outils complémentaires d'échanges sur les marchés : la réglementation générale du marché et la forme du contrat.

a) dialectique de la règle et du contrat de transferts de droits

Le marché est souvent présenté comme le lieu où, ex-post, la mécanique déterministe de "la main invisible" au sein d'un pur cosmos hayekien" composé d'échanges contractuels purs (réalisés dans un monde sans droits) expliquerait la coordination d'actions individuelles décidées en toute indépendance ou en toute autonomie. Mais cette présentation est une simplification [HAYEK, F. 1973] ; les contrats passés sur les marchés supposent des appropriations légales préalables, et donc un droit des contrats. Celui-ci et la jurisprudence correspondant à son application et à son contentieux résultent d'institutions et de mentalités antérieures.

L'institution, le droit, l'organisation, comme la réglementation ou la convention sociale, loin d'être exclusifs du pur contrat d'échange, sont les compléments du contrat dans les économies de marchés et, en fait, sauf peut-être au moment initial de l'histoire sociale, les actions économiques s'appuient sur l'existence préalable des règles du jeu des propriétés [WALDRON, J. 1996] et des échanges.

Il en résulte que le concept ultra d "émergence" d'un équilibre de marché comme résultat non intentionnel d'une action humaine totalement libre de toute institution et d'une action à but individuel ne suffit pas pour traiter du résultat du fonctionnement contemporain des marchés. Il faut, au contraire, pour rendre compte et analyser les marchés et leur fonctionnement, une vision emboîtée et dialectique du marché et du hors marché, du contrat et de l'organisation, de la liberté et de la règle de droit. Le marché n'est pas un deus ex machina. Les philosophes du droit connaissent bien cette approche : certains travaillent ainsi dans la lignée de Hegel : pour eux, le droit est un phénomène de la vie consciente de l'homme, un phénomène de la volonté d'une personnalité juridique créatrice de droit, la loi du contrat étant la volonté des parties. D'autres suivent Max Weber et montrent comment le droit positif rationnellement élaboré a remplacé d'autres croyances dans la légitimation des rapports sociaux. "Dans une société caractérisée par le pluralisme des valeurs et des orientations normatives et par la possibilité de les remettre en question, le lien entre droit et morale ne se situe plus au niveau des contenus normatifs inscrits dans la loi mais au niveau des procédures rationnelles d'édiction et d'application des normes juridiques". [POURTOIS, M. 1992] Douglas NORTH a rejoint cette vision : pour lui, dans les économies de marchés, les institutions sont

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des "humanly devised constraints that structure political, economic and social interaction, ... informal constraints (sanctions, taboos, customs, traditions and codes of conducts) and formal rules (constitutions, laws, property rights)" et, pour lui, les contraintes ne tombent pas du ciel ; elles ont été inventées par l'homme ; ce sont des contraintes informelles et des règles plus formelles qui "create order and reduce incertainty in exchange"

[NORTH, D.C., 1991, p. 97]. L'ordre (qui n'est ordre qu'en apparence) n'est donc pas purement le résultat d'actions libres et spontanées. Le "taxis" complète et contribue donc au "cosmos". On va souligner ici qu'en dehors de l'état stationnaire, ce contexte institutionnel est, en outre, sans cesse à reconstruire. Les règles évoluent.

b) Règles non immuables mais évolutives.

Pour les économistes qui, pour raisonner, procèdent à une modélisation statique de l'équilibre des marchés

"libres" en concurrence, l'hypothèse est que les règles du jeu de l'échange ( depuis les premières règles, celles qui concernent les droits de propriété sur les allocations initiales, jusqu'aux règles procédurales de n'importe quel échange dans le temps et dans l'histoire) sont des données qu'il est pertinent de considérer comme exogènes, immuables auxquelles les individus, eux-mêmes immuables au plan de leurs préférences, doivent faire face. Les règles sont donc ici des données, "historiquement" légitimées et "justes une fois pour toutes". Il est possible de calculer leur efficience. Il n'y a donc pas de problème de changement institutionnel.

Pour ceux qui, au contraire, veulent traiter de l'endogénéité du changement du droit, des institutions ou des organisations, il faut donc déborder le cadre de la modélisation de l'équilibre général micro-économique standard. Il faut considérer la société comme une société ouverte caractérisée par l'existence du droit et l'existence du marché, à la manière de Hayek ou de Popper. Diverses voies ont été utilisées par les économistes, voies plus ou moins coutumières chez les philosophes du droit. Nous nous intéressons ici uniquement à ceux qui ont proposé l'extension du domaine des choix économiques au domaine de la réglementation : la loi, le règlement, l'institution, l'organisation sont bien, dans ces extensions, le résultat de l'action réalisée par certains soit au nom du bien-être social soit au nom ou de groupes cherchant à s'approprier des revenus de rente ("rent- seeking behaviour") [TOLLISON, R.D. et CONGLETON, R.D., 1995].Avec ces économistes, on a pu avoir une meilleure intégration des contraintes politiques [LAFFONT, J.J., 1994, p. 535]. La dimension du changement institutionnel et organisationnel peut donc commencer à être mieux appréhendée. La question ouverte dans cet article porte sur la réelle nature de cette extension.

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c) Question ouverte.

L'extension des économistes est réelle mais elle a aussi ses limites. En particulier, elle s'est souvent faite sur la base du maintien du même postulat de rationalité économique : généralement, on a seulement supposé qu'il devait toujours y avoir, pour justifier la réglementation, un intérêt utilitariste et calculable au changement, et que le gain d'efficience procuré par une réglementation pouvait être connu à l'avance. On a aussi énoncé que des actions individuelles (toujours purement et simplement utilitaristes) peuvent promouvoir ce changement en dépit des observations et raisonnements contraires qui montrent que l'opportunisme ou le manque de confiance et de coopération peuvent au contraire conduire à des situations sous-optimales (équilibres de Nash).

La question résiduelle est alors celle-ci. L'extension peut-elle aussi se faire en adoptant une vision a priori moins utilitariste et individualiste du changement ? Comment tenir compte des problèmes d'information sur les effets des réglementations ? Peut-on alors apporter quelque chose de plus à l'analyse ? On montrera que la réponse est partiellement positive. Le changement institutionnel, au sens des économistes, peut en effet rejoindre le sens des philosophes du droit : il peut par exemple être posé comme résultat de choix collectifs pour l'intérêt public et non comme résultat de simples choix individuels ; il peut aussi être posé comme endogène dans une approche que certains rapprocheront de la théorie du droit naturel évolutionnaire [BIX, B. 1996]. [MEDEMA, S.G., 1991], ou comme dépendant de trajectoires passées, de rapports de force et du hasard , ce qui le rend non seulement quelque peu non intentionnel ou imprévisible mais aussi ouvert à la création humaine et au résultat du fonctionnement politique des démocraties [WITT, U. 1993, p. XIV] et donc à un besoin de légitimation collective [TOOL, M.R., 1990]. L'évolution du droit pourrait par exemple être perçue comme le produit non intentionnel "de procédures argumentatives dans lesquelles sont avancés des arguments en vue de justifier la validité ou l'adéquation d'une norme qui peut être imposée aux individus par les moyens de contrainte dont dispose l'Etat" [POURTOIS, M. 1992]. On pourra ainsi tendre vers un pragmatisme légal à l'intérieur duquel les experts et les juges se contentent de localiser les arguments contraires dans une ou plusieurs "niches" d'une analyse cherchant la norme la plus satisfaisante [WARNER, R., 1996].

On conclura cependant de l'examen de ces premières ouvertures qu'elles ne sont que balbutiantes et qu'une véritable intégration des institutions à l'analyse économique est encore très nécessaire et qu'elle devra être complétée par une approche plus dynamique que statique et surtout plus évolutionnaire pour rendre compte, au moins ex post du changement institutionnel.

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I - L'EXTENSION DE L'ECONOMIQUE STANDARD AU DOMAINE DE LA REGLEMENTATION

Sans chercher l'exhaustivité, on a sélectionné ici quelques extensions de l'Economique au domaine juridico- politique dans les approches économiques suivantes : approche par le bien-être social ; approche en termes de groupes d'intérêt ; approche en terme de capture de la réglementation ; généralisation de l'approche précédente en termes de comportement de recherche de rentes ("rent-seeking").

a) L'approche par la nouvelle économie du bien-être (ainsi dénommée dans les années soixante-dix) ou "new welfare economics" a été une intégration de l'intervention publique dans le modèle d'équilibre général pour les cas d'échecs du marché. Cette intégration se fait dans un cadre néo-utilitariste ordinaliste et paretien (1) d'équilibre général micro-économique [VARIAN, H.R., 1992]. Dans ce cadre, l'équilibre général peut ne pas être un optimum si le critère paretien n'est pas satisfait : il est alors encore possible d'améliorer le bien d'une seule personne sans détériorer la situation de quiconque ; lorsque le critère est satisfait, l'efficience est maximale et l'économie est à l'optimum. L'intervention publique peut donc ici être nécessaire. Elle est seulement jugée au vu de cette "pareto-optimalité". L'intervention publique doit être "pareto-améliorante".

La difficulté résiduelle (malgré l'extension) est dans l'application empirique de l'approche (a fortiori d'une approche plus raffinée en termes de compensations des variations de bien être consécutives à telle ou telle action publique) : comment calculer les variations de bien-être social ? Pourtant, c'est ce seul critère de la qualité d'une action juridique (réglementation) ou économique (aide, politique) d'une autorité officielle , critère qui reste ici à fondements utilitaristes individuels qui sera appliqué pour juger du changement : il s'agit de savoir si un individu est ou même se perçoit dans une situation supérieure, les autres individus restant au moins aussi bien qu'avant. Il n'apparaît donc aucunement de décision collective : le "politique", en fait, n'est guère intégré [ATKINSON, A.B., STIGLITZ, J.E., 1980 ; VARIAN, H.R., 1992]. On essaie de tout intégrer dans des fonction d'utilité individuelle.

Au mieux, celles ci seront élargies pour intégrer un argument supplémentaire, le bien-être des autres, et on dit, ce faisant, que l'on tient compte des interdépendances alors qu'on ne dit en réalité rien de la construction et de la nature précise de ces interdépendances.

b) L'approche autrichienne, celle de l'Ecole de Chicago (Stigler, Peltzman, Becker...) et l'approche de l'Ecole de Virginie (Buchanan, Tollison et Tullock) se sont gardés d'abandonner l'individualisme méthodologique. Elles occupent cependant, d'une certaine manière, le terrain de l'individualisme institutionnel. Même après la démonstration magistrale d'Arrow sur l'impossibilité de dériver le choix social des

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valeurs individuelles [ARROW, K.J., 1951], la tentative qui a continué de prévaloir est en effet celle du test des modèles de choix collectifs assis sur les hypothèses où les individus se comportent "comme si" ils étaient individualistes. On met l'accent sur "ce qui, au niveau du comportement individuel, est à la base de toute force de changement" [LOASBY, 1983]. Dans une approche de type Downs, par exemple, si élus ou partis il y a , et si on cherche à se représenter les procédures politiques du choix social, ces élus et partis sont animés par l'intérêt individuel bien compris et c'est ce dernier, aiguillonné par la rivalité, qui reste donc une des raisons du changement institutionnel [DOWNS, A. 1957]. "The political parties in our model are not interested per se in making society's allocation efficient ; each seeks only to get re-elected by maximizing the number of votes it receives. Therefore, even if the government has the ability to move society to a Paretian optimum, it will do it only if forced by competition from other parties... Thus, the crucial issues is whether interparty competition always forces the government to a Paretian optimum" [DOWNS,A. 1957]. Une fois élus, ils produiront la réglementation voulue par l'électeur médian, leur seule contrainte étant de subir le poids bureaucratique de l'administration ou de pratiquer la collusion avec celle-ci. Ainsi, dans l'approche de George STIGLER, trouve-t- on "une vraie théorie du process de régulation extensible à toutes les formes législatives et pas seulement à la réglementation dite économique (droit de la concurrence) ou autres (lois sur la protection de l'environnement) "

[ANDERSON, G.M., 1994, p. 294].. STIGLER modèle en effet le changement institutionnel en transformant celui-ci en une entreprise orientée par le profit dans laquelle des groupes auto-organisés autour d'intérêts individuels et des individus essaient de gagner grâce à l'utilisation de la force et de l'obligation [ANDERSON, G.M., 1994, p. 294].

A la limite enfin de l'extension proposée ici par les économistes, on trouve ceux qui ont introduit des groupes, ces groupes pouvant être la réunion d'intérêts particuliers autour d'un intérêt mis en commun dans un club [BECKER, G. 1983] : les clubs ont alors en général une fonction de fermeture, d'exclusion et en même temps une fonction d'influence, de lobbying. On s'éloigne certes ici de la nouvelle Economie du bien-être : "la réglementation n'est pas une tentative idéalisée de maximisation d'une fonction de welfare social". Mais on garde le modèle individualiste de la détermination des règles sans analyse plus fondamentale des interactions, des interdépendances ou des émergences et sans analyse des choix collectifs ou de la création : la réglementation n'est donc que le résultat d'avantages compétitifs obtenus au travers de l'intervention gouvernementale [ANDERSON, G.M. idem, p. 294 ; KRISTOV,L. et alii, 1992]. Et ceci débouche, si on généralise, sur une approche en termes de "rent-seeking".

1 Le cadre utilitariste d'origine ou cadre benthamien proposait la doctrine plus cardinaliste "du plus grand

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C) L'analyse économique du "rent-seeking" part en effet de l'idée suivante. Depuis le début de l'histoire, les allocations initiales de droits (et, en particulier, de droits de propriété) sont à la fois des institutions organisant la répartition de la richesse et de la culture, des institutions stabilisant le contexte pour l'action individuelle et collective et en particulier les transferts de droit de propriété, et des institutions engendrant des opportunités de rentes. Dans ce cadre, il est normal, c'est à dire rationnel économiquement, que des comportements directement improductifs, d'opportunisme et de capture des avantages et des protections que peut donner la réglementation soient observés. Le modèle utilisé reste basé sur des comportements habituels et la rationalité économique standard. Cependant, les économistes du domaine du "rent-seeking" ont apporté quelque chose de plus approfondi avec les premiers essais de modélisation économique de la demande d'une législation particulière [PELZMAN, S. 1976]. Il s'agit des modèles dits de "capture du régulateur". Le coeur de ces modèles est le suivant : si les réglementations sont l'ensemble des limites socialement imposées au domaine des choix individuels et si la réglementation est le moyen que possèdent des autorités officielles de collecter de l'information stratégique utile et d'empêcher l'opportunisme, alors on débouche sur une tendance de certains acteurs individuels à vouloir utiliser des ressources pourtant rares (donc aux coûts d'opportunité positifs) pour contrôler et tirer quelque bénéfice de la réglementation, même si c'est au prix de transformer celle-ci en une machine à organiser de simples transferts artificiels et ne venant en aucun cas augmenter le bien être social (i.e.

"pareto irrelevant") [TOLLISON, R.D., 1982].

Le mécanisme qui est à l'œuvre et qui conduit à des situations qui peuvent être sous-optimales, mérite d'être rappelé : il est composé de trois types d'agents ou joueurs. 1°) Le groupe d'intérêt chercheur de rente avec son pouvoir économique et financier et ses degrés de liberté ou marges de manoeuvre sur son environnement ; avec aussi sa propre information privée sur ses coûts, sur son degré d'effort actuel. 2°) L'agence de réglementation dont la tâche est de collecter de l'information sur le groupe d'intérêt précédent (et sur tous les groupes d'intérêts) et de fournir cette information au législateur (avec la possibilité de jouer son propre jeu et d'être soumise à la corruption pour cacher le résultat de sa collecte d'information). 3°) Le législateur qui est dans une situation qui peut être doublement embarrassante : il est en situation potentiellement asymétrique vis-à-vis de l'agence et vis- à-vis du groupe d'intérêt [ROWLEY C.K., TOLLISON R., TULLOCK G. Edrs (1988)]. La stratégie du groupe d'intérêt chercheur de rente peut être la corruption de l'agence et l'influence sur le législateur. Ce dernier, cependant, a des moyens d'investigation propre et de coercition. Il peut, en outre, inciter l'agence à mieux le servir en menaçant de critiquer, par exemple, la réputation de celle-ci. Ainsi, dans cette ligne de pensée, en

bonheur pour le plus grand nombre".

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France, Laffont et Tirole ont énoncé que l'Etat avait deux moyens d'éviter ce type de collusion : soit fournir des incitations directes à l’agence en s'arrangeant pour qu'elles soient supérieures aux offres du groupe d'intérêt ; soit supprimer ou affaiblir les raisons de la collusion agence-groupe d'intérêt en révisant à la baisse le montant de la rente que pourrait recueillir une firme inefficiente [LAFFONT J.J., TIROLE J. (1991)].

Dans toutes ces théories économiques du changement institutionnel, un arbitrage est fait à propos de la pertinence de chaque réforme institutionnelle. Les critères utilisés par le centre d'arbitrage sont ou l'utilité sociale perçue à partir des utilités individuelles ou l'utilité d'un groupe d'intérêt transformée par la capture du régulateur en utilité de la société entière. L'arbitrage apparaît rationnel économiquement et le changement d'une réglementation est donc toujours explicable comme le résultat attendu d'un comportement de calcul économique rationnel et individuel. Mais, il semble raisonnable de postuler, au vu des travaux des juristes, des spécialistes de la genèse de la règle juridique et de l'évolution de la jurisprudence que le droit ne dérive pas que de considérations rationnelles et utilitaristes calculables. Il a une existence propre, il est soumis à des représentations, des mises en question qui impriment leur marque aux trajectoires qu'il emprunte. Le droit, comme les idées, peut donc évoluer de manière difficile à expliquer par les chaînes simples de causalité décrites précédemment [GIDDENS A., (1984)]. D'où l'existence d'un vaste domaine, celui de la philosophie du droit, et de la théorie des lois encore peu exploré par les économistes. [PATTERSON, D., 1996].

II. CHOIX COLLECTIFS, EMERGENCES HISTORIQUES, DEPENDANCES DU PASSE, CONSTRUCTION DU CHANGEMENT INSTITUTIONNEL.

A) L'approche par l'intérêt public des économistes semble, à première vue, avoir réalisé une meilleure extension apparente de l'Economique standard au domaine des choix politiques, juridiques et de l'évolution institutionnelle et avoir intégré davantage de jugements de valeur. L'approche est d'abord construite autour de travaux de professeurs de Science Politique [DAHL, R.A., LINDBLOM, C.E., 1953, 1976] pour qui

"still, social institutions do change. That is indeniable. And many of them are deliberately changed, at least very slowly" et qui croient que "the pace of controlled change can be accelerated... by speeding the sequences of incremental change" [DAHL, R.A., LINDBLOM, C.E., 1953, 1976, op. cit., p. XIII]. L'approche a pu se développer par des réflexions plus économiques que politiques sur le changement institutionnel [WILDAVSKY, A., 1964]. Celles-ci ont été basées sur l'hypothèse que des organisations cristallisent les intérêt individuels et

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construisent un "intérêt public" qu'elles cherchent ensuite à servir. Les organisations ont alors un intérêt qu'elles fusionnent dans l'intérêt général après une réalisation d'un consensus ou d'un contrat social.

Le problème résiduel de l'approche est que cette réalisation est peu expliquée fondamentalement. Non seulement les décisions prises par la collectivité ne sont pas en effet reliées de manière précise aux préférences individuelles mais l'émergence et l'évolution institutionnelles sont peu qualifiées et il n'y a pas assez de renvoi au mécanisme politique de construction des choix. La question reste donc simplement posée de savoir qui peut-être à l'origine du changement institutionnel ou organisationnel et pour quels motifs. Comme l'indique Elinor ORSTROM, on peut encore se demander par exemple : "How many participants were involved ? What was their internal group structure ? Who initiaded action ? Who paid the costs of entrepreneurial activities ? What kind of information did participants have about their situation ? What were the risks and exposures of various participants ? What broader institutions did participants use in establishing new rules ?" [ORSTROM, E., 1990]. Toutes questions, selon Elinor ORSTROM, qui n'ont donc pas fait, ici, l'objet d'attention suffisante dans la littérature économique ou que les économistes ont toujours orientées vers la mesure finale de la variation de bien-être social.

Un premier exemple peut être rappelé ici en droit de la concurrence. L'Ecole de Harvard a condamné la jurisprudence antitrust antérieure en indiquant qu'il suffisait de vérifier que la contestabilité du marché restait réelle pour induire que les pratiques d'un petit nombre n'étaient pas nécessairement condamnables. La jurisprudence a cherché, depuis, à faire des bilans du "pour et du contre" de telle situation de marché en termes de bien-être social. Le problème est que ce calcul reste évidemment souvent partiel et que la manière de procéder au calcul peut être différente selon les industries [KAHN, A.E., 1988].

Un deuxième exemple peut être trouvé dans les présentations en termes de marché politique. Les questions sont nombreuses. Sur ce "marché politique" les votants peuvent-ils savoir où est le bien-être social ou l'intérêt public ? Par quels moyens civiques ou par quelle éducation ou information ? Les électeurs votent-ils pour ceux qui brandissent l'intérêt général ? etc... [KLING, R.W., 1988].

En résumé, dans une vision qui se voudrait véritablement opérationnelle, une réglementation et un changement de réglementation peuvent continuer d'être évalués économiquement (en fonction de la fin suprême qu'est

"l'hypothétiquement calculable" changement additionnel du bien-être social) mais ce qui serait véritablement nouveau consiste à s'intéresser au processus d'évaluation et de choix collectifs des règles constitutionnelles, aux règles de sélection du choix collectif ou des règles de mise en place de la politique et des règles opérationnelles et de contrôle : il est donc nécessaire de cerner autrement le changement institutionnel.

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b) Nécessité d'une approche plus institutionnaliste.

Une approche pragmatique et politico-économique, si les économistes s'en souciaient véritablement, pourrait partir de l'idée que le gouvernement, les juges et les autorités officielles sont des agents seulement adaptatifs et partiellement autonomes dans la conduite du changement institutionnel. Il y aurait d'abord l'inertie des précédents ou de la "chose jugée". [ALEXANDER, L. 1996]. Mais le problème serait aussi un problème de coûts d'information préalable au changement pour les experts. Ils feraient remonter le maximum d'information pertinente pour se former un jugement sur la nécessité des réformes des règles mais on postulerait que leur information est incomplète et que la rationalité qui en découle est forcément limitée. L'idée est alors que les autorités ont la possibilité de décider et de faire appliquer ces réformes mais avec des variations dans les processus : ou bien ceci relève de l’autorité pure et simple de la loi [Wellmann V. A. 1996] ; ou bien ceci relève de la démocratie avec ses diverses formes ; ou bien encore ceci relève d'un savant mélange des deux attitudes ou situations précédentes et le résultat est proprement imprévisible. Il importerait, dans l'approche politico- économique ou institutionnaliste, de mieux connaître les raisons de tel "arbitrage" ou de telle "volonté de conduite" malgré tout par le gouvernement et les autorités officielles. La réponse serait à chercher dans le rôle du décideur "en dernier ressort" des autorités officielles. Il leur revient en effet in extremis de pacifier les rapports interindividuels : en l'état de nature, le conflit, le rapport de force sont des situations trop habituelles et néfastes pour presque tous. Si l'on veut donc éviter la perpétuation de la violence, le monopole de la violence doit être confié à une autorité ; à charge pour celle-ci de se rendre et de rester légitime et de trouver des solutions de justice et de paix sociale. La tradition remonte à LOCKE qui indique qu'on ne peut admettre que quelqu'un s'approprie individuellement une ressource apparemment sans propriétaire dès le moment où cette ressource est rare ce qui fait que, par conséquent l'appropriation devient nuisible au bien-être d'un autre individu (d'où la nécessité de la provision de Locke).

L'approche partirait plus généralement du constat que l'histoire des échanges économiques est celle des transferts des droits de propriété. Rien n'indique, historiquement, que l'allocation initiale des droits de propriété sur les ressources ait respecté la condition de justice sociale de Locke ("Locke's proviso"). Rien n'indique non plus qu'ensuite les échanges contractuels se soient toujours déroulés en utilisant des contrats non léonins. En conséquence, il y a une légitimité à légiférer (même pour redistribuer) lorsqu'on est légitimement en charge de la pacification sociale, pour tenter de redistribuer les allocations initiales ou même pour améliorer l'égalité des

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opportunités et tendre vers une plus grande justice sociale [ROEMER J.E., 1996]. Il y a aussi lieu de faire évoluer les lois et les règlements pour tenir compte des échecs des réglementations passées. C'est alors simple affaire d'adaptation rationnelle

Toutes ces affirmations servant d'appui à une nouvelle approche contrastent avec "the air of pessimism concerning any beneficial role regulation might play" comme l'a indiqué Kling [KLING R.W., 1988, p. 198]. Les réglementations et institutions sont présentées ici comme nécessaires tant à l'efficience globale aussi mal calculée soit-elle qu'à la justice et à la paix sociale. Elles sont à la base des contrats et des marchés, elles permettent des transferts utiles de richesse et offrent des garanties en même temps contre l'excès de pouvoir des possédants et contre le risque social de classes potentiellement dangereuses d'exclus.

Ainsi perçues, les réglementations et les institutions méritent d'être expliquées d'abord par le passé : elles sont enracinées nationalement, géographiquement, psychologiquement. Certains les considèrent de ce fait comme trop inertes. Et effectivement elles le sont, quelquefois même à bon escient. Ainsi, elles peuvent ne pas évoluer lorsque l'innovation et la déviance sont considérées comme des menaces pour la survie [POSNER R.A., 1986] . Le maintien des règles peut au contraire assurer la survie "automatique", obtenue par exemple, par "le rapport de forces entre deux forces économiques fondamentales : les économies d'échelle associées à un volume croissant de commerce ; les améliorations des mécanismes permettant de faire respecter les contrats avec un moindre coût unitaire" [NORTH D.C., 1991, p. 107]. En réalité, le droit des contrats évolue nécessairement même si c'est de manière relativement imprévisible avec, par exemple, la taille des marchés et l'innovation dans la sûreté des contrats. Plus généralement, dépendance du passé ne signifie pas que le processus est prévisible : Douglas NORTH a montré, par exemple, les sentiers institutionnels divergents suivis par l'Angleterre et l'Espagne dans le Nouveau Monde en dépit des idéologies partiellement communes [NORTH D.C., 1991, p.

111].

c) Une approche donc plus évolutionnaire du changement institutionnel

c.1. Changement institutionnel évolutionnaire et progrès

Peut-être qu'ici, la référence obligatoire est celle de VEBLEN. Selon VEBLEN, les grands traits du changement social étaient un processus d'ajustement et de changement des institutions et des modes de vie correspondants. Le changement social dépendait des "habits of minds", de la culture, des connaissances, de l'information acquise, des apprentissages, des expériences du passé et cette culture était à la fois cumulative et

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émergente à partir des interdépendances et des interactions entre individus tout en n'étant pas prévisible, en n'obéissant pas à une quelconque loi naturelle ou historique. La société était en fait, selon Veblen, en manque permanent d'ajustement institutionnel, compte tenu, en premier lieu, de certaines propensions humaines au changement (dans son vocabulaire, de certains "instincts") : instinct du travail mieux fait, lien de parenté et protection intergénérationnelle, curiosité toujours en éveil, instinct prédateur, rivalité dans la consommation [VEBLEN T. 1914 ; 1915...]... ces propensions que Marc TOOL définit comme constitutives des comportements : "native proclivities which consciousness and intellect channel into culturally acknowledged modes of behavior" [TOOL M.R., 1986].

L'ajustement institutionnel est aussi nécessaire pour d'autres raisons : l'évolution culturelle est telle qu'on assiste à la perpétuelle obsolescence des anciennes règles. Attention, selon North, l'ajustement institutionnel ne signifie pas nécessairement de "meilleures institutions" ou des institutions plus efficientes [NORTH D.C., 1981]. Selon lui, des institutions inefficientes peuvent subsister, en particulier en termes de droits de propriété, et on doit seulement demander alors pourquoi de nouvelles pressions concurrentielles ne conduisent pas à leur élimination ; ou pourquoi des différences internationales perdurent avec les conséquences que cela peut avoir au plan des différences de performances nationales par exemple ?

Sur ce dernier point, Hayek avait déjà perçu que le changement institutionnel n'était pas nécessairement signe d'un progrès même si son opinion était plus généralement optimiste concernant la génération spontanée des meilleures règles du jeu ; ainsi lorsqu'il affirmait son credo antigouvernemental de la manière suivante :"if by social process, we mean the gradual evolution which produces better solutions than deliberate design, the imposition of the will of the majority can hardly by regarded as such. The latter differs radically from that free growth from which custom and institutions emerge, because its coercive, monopolistic, and exclusive character destroys the self-correcting forces which bring it about in a free society that mistaken efforts will be abandoned and the successful ones prevail" [HAYEK F., 1960, p. 110]. On sait aujourd'hui, avec la théorie des jeux répétés, illustrer des possibilités d'apprentissage et d'évolution de la règle elle-même. Mais cette théorie nous apprend aussi que des institutions obsolètes peuvent subsister : ce sont des solutions d'équilibre inefficaces. Inversement, on peut observer que des règles suprêmes, des constitutions peuvent être remplacées par d'autres alors qu'elles semblaient, un temps, les meilleures. Dans l'attitude évolutionnaire, c'est donc toujours avec une grande prudence que l'on pourra, après analyse, se prononcer sur les vices et les vertus définitives de tel ou tel arrangement institutionnel [NELSON R.R., WINTER S.G., 1982].

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c.2. ancien et nouvel institutionnalisme face au changement institutionnel

Des oppositions importantes perdurent entre deux visions institutionnalistes chez les économistes [RUTHERFORD M., 1994] et celles-ci freinent probablement les recherches. Les anciens institutionnalistes se préoccupent plus du changement social de long terme et de ses tendances que de l'efficience statique des sociétés. Ils se placent donc davantage au plan de valeurs sociales historiques qu'au plan des valeurs individuelles ; les notions de progrès technologiques ou de progrès social ont un sens pour eux [AYRES G.E., 1961 ; 1962] même si le critère du progrès n'est guère précisé : il reste un critère général d'ouverture au changement, de survie et de qualité générale de la vie. A la limite, il se rapproche d'un consensus minimum sur les valeurs fondamentales des sociétés humaines. Par contraste, les nouveaux institutionnalistes sont plus économistes, s'intéressent à l'efficience dynamique de structure de marchés ou d'arrangements institutionnels ou encore à celle des réglementations incitatrices à l'effort, à l'innovation ou au progrès, aux contrats sociaux ou à la justice sociale. En ce sens, ils ne sont pas très éloignés des économistes constitutionnalistes comme BUCHANAN qui ont cherché les meilleures procédures de vote ou d'élaboration d'un consensus [ROMER T., 1988], [BUCHANAN et TULLOCK, 1965], sauf que ces derniers les cherchent directement sur le marché politique et que, par ailleurs, on peut penser qu'ils raisonnent davantage en termes d'ajustement discrétionnaire et discontinu qu'en termes d'évolution institutionnelle permanente [GORDON H.S., 1976]. Il faudrait donc que la recherche puisse aujourd'hui aller au delà et intégrer par exemple davantage les travaux de Ronald Dworkin [DWORKIN, R. 1978]. Pour Dworkin, en effet les lois sont composées entièrement d'appuis sur des règles et les juges ont un degré de liberté seulement quand le conflit d'intérêt est nouveau. Il faudrait, penser la loi en termes de ressources juridiques, de principes et d'arguments plus généraux (y compris de propositions morales déjà utilisés comme bases dans le passé) et on pourrait ainsi mieux comprendre certaines contradictions dans l'application de règles : en remontant aux grand principes, la contradiction ne serait qu'apparente [BRIAN, B.

1996].

c.3. Imprévisibilité et volonté de réglementation progressistes

Certains économistes savent comment analyser, sur le marché politique, l'imprévisibilité qui existe en matière de mode de gouvernance et de révolte sociale. On peut décrire un mélange d'aléas et de volontés collectives, et aussi l'irruption des leçons tirées des expériences précédentes qui inspirent des changements [OGUS, 1994]. Mais le processus qui devrait être mieux explicité devrait être une évaluation permanente

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participative et aussi constructive des politiques et des réglementations en vigueur ou potentielles au regard de valeurs plus fondamentales.

L'évaluation permanente par les gouvernants et par les gouvernés serait alors un processus de construction de la "vérité" ou de l'évidence [JACKSON, J. Et DORAN, S. 1996] sur les effets des arrangements institutionnels existants. Ce processus serait ici interactif, participatif, ouvert et pragmatique : les autorités officielles, les experts et juges, les bénéficiaires et les victimes, toutes les parties prenantes ("stakeholders") apporteraient leur pierre à ce qu'on pourrait appeler un processus continu d’enquête et de vérification de l'utilité publique des droits et législations en vigueur. Le critère d'amélioration pareto-optimale, le critère des coûts et avantages, ou le critère d'efficience dans un cadre d'équilibre général statique, micro-économique et calculable, ne seraient considérés que (comme) des visions mythiques, abstraites et non opérationnelles [TOOL M.R., 1986 ; SCHMID A.A., 1987 ; SAMUELS, W.J., 1978]. L'analyse économique de la nécessité d'infléchir les trajectoires institutionnelles serait plus générale et plus évolutionnaire.

D'ores et déjà, on peut deviner les difficultés d'une telle entreprise. Une des difficultés de ce processus permanent d'évaluation est que, plus profondément, l'enquête reste peu ou prou prisonnière du cadre des arrangements institutionnels en vigueur et que, faute de possibilités de procéder à de vraies expériences, on manquera, en sciences humaines, toujours des solutions de référence qui permettraient des comparaisons d'effets au plan des valeurs fondamentales [TOOL M. R., 1990], ce qui laissera en contrepartie le débat sur le changement institutionnel complètement ouvert. En sciences humaines, les quasi-expérimentations sont en effet possibles mais guère les véritables expérimentations, surtout à grande échelle.

On peut cependant en attendre quelque chose de plus que ce que l'on obtient habituellement. En effet, un bilan, pourtant orienté favorablement, de la déréglementation américaine des années 1980 laisse, sur ce point, aussi transparaître la frustration de ceux qui ont fait le bilan des politiques avec seulement des analyses en termes de coûts et d'avantages : "Economist were generally successful in predicting the direction ans size of the effects of regulatory reforms on prices and profits. They were less successful where deregulation led to substantial changes in firms operation and technology. And their prediction did not adequatly incorporante the effets of regulatory reform on service or foresee the extent of price discrimination in certain industries. In addition, they did not always anticipante the importance of supplementary governement policies in ensuring deregulations success, and were unable to foresee major changes in internal economic factors that dramatically affected some industries, performances and clouded asessments... [WINSTON C., 1993].

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Un exemple d'une possibilité d'énoncé moins réductionniste d'un économiste institutionnaliste évolutionnaire peut-être proposé ici à titre de simple illustration. Il concerne la possibilité offerte par Bush de distinguer entre deux formes de changement : institutionnel progressif : celui qui, pour un fonds culturel donné, en prescrivant et en interdisant certains comportements ou activités (droits et devoirs) remplace les conventions cérémonielles de comportement (qui n'assurent que la répétition) par des modes d'action instrumentaux c'est-à- dire mis au service de la valeur sociale [BUSH P.D., 1988] ; et le changement institutionnel régressif engendré par le remplacement de conventions instrumentales de comportements par des conventions purement cérémonielles (renforçant les privilèges existants). La distinction entre les deux repose sur une théorie purement instrumentale de la valeur sociale qui surprendra les économistes standards par son degré de généralité : dans cette théorie, a de la valeur sociale en effet ce qui permet la continuité de la vie humaine et la recréation "non- individious" (c'est-à-dire conforme aux droits fondamentaux de l'homme et du citoyen) de la communauté au travers de l’utilisation instrumentale de la connaissance. Avec cette définition large (que certains considéreront peut-être comme une résurgence d'un appel au droit naturel) et le principe démocratique que les individus touchés par une réglementation ou une politique devraient être nécessairement parties prenantes de celles-ci, on peut cependant postuler que les individus éclairés par l'économie évolutionnaire pourraient utiliser le processus démocratique pour provoquer des changements institutionnels progressifs, c'est-à-dire permettant la continuité de la vie humaine et le renouvellement des générations sur la base des droits humains fondamentaux : continuité physique par les règles de santé ou d'hygiène par exemple ; continuité économique par les réglementations incitatives en matière économique ou sociale (en France, le revenu minimum d'insertion par exemple) ; continuité politique grâce aux contrôles des intérêts purement égoïstes, des avantages acquis sans retombées sociales et à la réduction des discriminations (la limite étant que le "rent-seeking" peut remplacer la règle progressive en règle régressive), par des programmes "d'actions affirmatives" c'est-à-dire des programmes ciblés à destination des plus défavorisés (dans une optique rawlsienne de la justice sociale et au principe rawlsien de différence près) ; et renouvellement des générations sur la base des droits humains fondamentaux que le changement institutionnel ne saurait remettre en cause pour quelque raison que ce soit.

Ainsi perçu, le changement institutionnel serait peut effectivement analysé comme un processus évolutionnaire et démocratique. On note qu'il ne serait pas nécessairement planifiable, prévisible ou contrôlable par quiconque, ou encore que "those who receive the incidence of policy must have and retain ultimate discretion over the policy, that is, that restraints and contraints are, in effect, self imposed through responsive and responsible political institutions and may be revised as the evolving consensus dictates" [TOOL M. R., 1990, p. 539].

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Comme le précisait par exemple Glen ATKINSON à propos du changement de la régulation de l'espace aérien américain, ceci signifierait que dans l'évaluation des politiques publiques, il serait possible de trouver un meilleur cahier des charges : "we must evaluate the adjustement with regard to its impact on the affected parties, but the parties share some interests and differ on others. Some parties will win more than others and some parties will lose more than others. With intelligence, we can create rules that are instrumental in achieving reasonable performance of the system : reasonable performance is not global welfare maximization. It is what the parties can agree on given the situation" [ATKINSON G., 1990, p. 479]. Le changement est alors relativement diffcile à prévoir Notons qu'une des raisons de l'imprévisibilité du changement est que les intérêts des "installés" ("vested interests") peuvent , en surgissant de manière inopinée, freiner ou bloquer celui-ci ; une autre raison est que les autres peuvent vouloir expérimenter de nouveaux arrangements ou créer des situations nouvelles... avec les risques afférents.

Ainsi perçue, l'analyse économique du changement institutionnel serait peut être plus précisément étayée par les économistes, qui disposent des méthodes pour faire des évaluations juridiques ou politiques. Tout le monde sait que grâce à ces derniers, l'évaluation se développe surtout dans certains domaines de politique publique.. On commence ainsi dans ces domaines à fabriquer des normes d'évaluation de programme d'éducation qui renvoient à des "supra-normes" de justice sociale [SANDERS J.R., 1994]. La réflexion sur l'approche évolutionnaire conduit alors à la question suivante. N'est - il pas temps de soumettre les règles de droit et les programmes politiques à des évaluations analogues et d'essayer de mieux comprendre (et éventuellement pour mieux infléchir) des évolutions de règles difficiles à qualifier au plan de la variation de l'efficience calculable et qui semblent ou incompréhensibles, ou inéluctables ou chaotiques ? Si oui, le besoin de recours aux mythes utilitaristes ou welfaristes pourrait être affaibli et on pourrait disposer une meilleure analyse évolutionnaire et ouverte du changement institutionnel [HODGSON G.M., SAMUELS W.J. and TOOL M.R., 1994]. Mais on aurait aussi probablement à s'intéresser, comme dans les théories du droit naturel, sur les forces ou les automatismes qui gouvernent l'évolution [VROMEN, J.J. 1995].

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