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INTRODUCTION Tous ceux qui se sont intéressés à la profession de journaliste

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Academic year: 2021

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INTRODUCTION

Tous ceux qui se sont intéressés à la profession de journaliste1

savent combien ses contours sont imprécis et sont conscients des nombreuses formes qu’elle peut adopter, selon les contextes dans lesquels elle est exercée. En Afrique comme ailleurs, les environnements, notamment politiques et économiques, l’ont façonnée au cours du temps.

Dès lors, la recherche questionne l’évolution du métier en Afrique francophone. Elle s’intéresse plus particulièrement à la presse écrite et aux cas de la République démocratique

du Congo (RDC)2

et de la Côte d’Ivoire. En 2010, la célébration des cinquante années d’indépendance, dans ces deux pays, a constitué une occasion symbolique de retracer les différentes formes empruntées par la profession, depuis son émergence dans le contexte colonial.

L’analyse s’attache à souligner les éléments qui fondent le métier de journaliste de presse écrite, en Afrique ou ailleurs. Elle veut éviter d’enfermer le journalisme congolais et ivoirien dans une sorte « d’exotisme », de le détacher des réalités propres à la profession, de manière générale. Mais elle s’emploie également à comprendre les attributs spécifiques aux sociétés qui ont fait émerger et évoluer une forme de journalisme propre à la presse écrite du Congo et de la Côte d’Ivoire. Elle entend démontrer que chaque environnement dans lequel s’exerce le métier est traversé par des dynamiques singulières qui lui donnent une forme particulière. De cette manière, la recherche analyse le journalisme de presse écrite congolais et ivoirien comme une déclinaison du journalisme tel qu’il est pratiqué ailleurs, tout en prenant particulièrement en compte les spécificités de son développement dans le contexte local. Le fait que la colonisation ait contribué à l’émergence de la profession, au Congo et en Côte d’Ivoire, détermine bien entendu une partie de son évolution. Mais l’histoire du journalisme africain n’est pas une simple émanation de la colonisation. Elle est le fruit d’interactions

1

Les termes « profession » et « journaliste » ne font pas l’objet de définitions détaillées a priori. La recherche a en effet précisément pour objectif de leur donner un contenu. Celui-ci diffère selon les contextes étudiés et leur évolution. La section consacrée à la méthodologie propose quelques éléments de réflexion sur la malléabilité de ces deux termes et des réalités diverses qu’ils désignent.

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complexes, entre des environnements sociaux et des individus qui s’organisent en son sein, que les pages qui suivent s’emploient à découvrir.

Objectif général de la recherche

Que veut dire être journaliste de presse écrite en République démocratique du Congo et en Côte d’Ivoire ? Partant de cette interrogation, la recherche entend participer à une meilleure compréhension de la profession telle qu’elle est vécue et pratiquée aujourd’hui par ses membres. Elle propose une étude du métier qui prend en compte les données historiques qui ont façonné son évolution, au Congo et en Côte d’Ivoire. Elle s’intéresse aux structures d’ensemble au sein desquelles s’est développée la profession, aux rapports qu’elle entretient avec la société, aux facteurs qui ont contribué à son évolution et à ses transformations. L’objectif consiste à dégager les éléments qui ont fondé, structuré et modelé le métier dans ces deux pays, pour mieux comprendre la forme qu’il emprunte aujourd’hui.

Eléments de méthode

Une approche multidisciplinaire

Plusieurs disciplines sont mobilisées pour atteindre cet objectif. Les sciences de l’information et de la communication éclairent le rôle des médias qui déborde, dans toute société, le domaine de l’information pour investir les sphères politiques et sociales. L’histoire est mobilisée pour la reconstitution des contextes étudiés, notamment à travers l’exploitation d’archives. Enfin, la sociologie – en particulier la sociologie des professions – permet de cerner les mécanismes constitutifs du métier de journaliste. Ces disciplines servent notamment à appréhender les termes « profession » et « journalisme » de manière dynamique, en nourrissant la réflexion relative à leur signification.

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- l’action de déclarer hautement ses opinions et croyances. Elle est alors quelque chose qui s’énonce publiquement, elle est liée à des croyances politico-religieuses ;

- l’occupation par laquelle on gagne sa vie. Dans ce cas, la profession est l’activité qui apporte la subsistance grâce à un revenu économique ;

- l’ensemble des personnes qui exercent un même métier. Dans ce cas : « le sens du terme profession est proche de celui de corporation ou de groupe professionnel désignant l’ensemble de ceux qui ont le même ‘nom de métier’ ou le même statut professionnel »3

.

Ce dernier « univers de signification » a été privilégié afin que le terme puisse être défini de façon souple et évolutive, selon le sens que lui confèrent les personnes qui ont présidé à l’apparition du « groupe professionnel » des journalistes, au Congo et en Côte d’Ivoire. Il permet de prendre en compte la façon dont les journalistes congolais et ivoiriens ont travaillé, dont ils se sont organisés et auto-représentés dans les différents contextes étudiés, pour donner une signification aux termes « profession » et « journalisme », au sein de la presse écrite de Kinshasa et d’Abidjan.

Le recours à l’histoire et l’exploitation d’archives révèlent que, selon les contextes étudiés, les individus qui se sont considérés comme journalistes, ou qui ont été considérés comme tels, ne disposaient pas des mêmes qualifications et n’envisageaient pas leur activité de la même manière. Les instances représentatives de la profession ont par ailleurs rempli des fonctions dissemblables et ont été organisées de façon plus ou moins structurée selon les lieux et périodes considérées. L’histoire permet donc de contextualiser la pratique du journalisme selon les enjeux sociaux, politiques et économiques propres à chaque époque et de faire ainsi apparaître les dynamiques sociétales qui ont contribué à façonner les formes successives adoptées par la profession.

Les sciences de l’information et de la communication fournissent également des outils permettant de prendre en compte l’ensemble des significations qui peuvent être attribuées aux termes « journalisme » et « journalistes », selon les acteurs et contextes étudiés. La perspective proposée par Denis Ruellan, dans son ouvrage consacré à l’analyse du journalisme en tant que profession4

, a été adoptée dans la présente recherche. Elle met en

3 Dubar Claude et Tripier Pierre, Sociologie des professions, Paris, A. Colin, 1998, p. 10.

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exergue le fait que le flou est constitutif et productif de la réalité des journalistes. Les pistes proposées par l’auteur aident à saisir la fluidité de l’identité professionnelle des journalistes congolais et ivoiriens et la porosité des frontières qu’ils partagent avec d’autres sphères, notamment politiques.

Une approche interactionniste

L’approche interactionniste5

est privilégiée, en ce sens que les actions des journalistes sont mises en perspective dans leur environnement structurel. Ce positionnement théorique permet de joindre le niveau des journalistes, pris individuellement ou en groupe, et le contexte structurel qui pèse sur les conditions de leur action. Il permet également d’apprécier les conflits et les différences d’intérêts au sein de la profession en faisant émerger les différentes tendances, les différents groupes qui coexistent en son sein.

Une perspective comparative et historique

La recherche adopte une perspective comparative qui comprend elle-même une dimension historique. Suivant la proposition interactionniste, le journalisme, en tant que profession, est considéré comme une construction socio-historique qu’il convient de déconstruire pour en saisir l’évolution jusqu’à sa forme actuelle. Le métier de journaliste est analysé comme « [un processus dynamique] ayant une histoire et présentant variations et diversités selon notamment (…) les conditions sociales d’émergence, les modes de construction, de légitimation et éventuellement d’institutionnalisation »6

. Au même titre que d’autres professions, il est vu comme un processus de sédimentation et comme une forme historique d’organisation sociale7

. La prise en compte d’une longue période, qui s’étend de la colonisation à nos jours, doit permettre d’étudier les facteurs qui le maintiennent ou qui le font évoluer8

.

5 Voir Strauss Anselm (textes réunis par Isabelle Baszanger), La trame de la négociation  : Sociologie qualitative et interactionnisme, Paris, L’Harmattan, 1992, pp. 11-12.

6 Lucas Yvette, « Introduction », in Dubar Claude et Lucas Yvette (éds), Genèse et dynamique des groupes professionnels, Lille, Presses universitaires de Lille, 1994, p. 20.

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Il s’agit de déceler les strates d’influences9

superposées qui ont abouti à la profession telle qu’elle est observable aujourd’hui. Afin de saisir la complexité du métier de journaliste, le point de vue de Thierry Perret est adopté, pour qui « c’est la synthèse de pratiques, effectuées au sein d’un ‘groupe’ se reconnaissant comme tel, qui a permis de circonscrire – plus ou moins – un métier de journaliste.10 » De l’adoption de cette vision du journalisme découle la mise en œuvre d’une comparaison entre l’évolution de la profession au Congo et en Côte d’Ivoire, qui tient compte de la trajectoire historique des deux pays11

.

La perspective historique se déploie à travers l’étude de trois séquences temporelles spécifiques :

- L’émergence du journalisme africain, qui correspond à la période qui va de la colonisation à l’indépendance. Ce laps de temps s’étend de la fin du XIXe

siècle à 1960, dans le cas du Congo et de la Côte d’Ivoire. La presse écrite qui circule dans les colonies est d’abord gérée et contrôlée par la métropole. Les Africains se l’approprient ensuite et en font progressivement un outil de communication.

- Le journalisme d’Etat, c’est-à-dire la période qui va approximativement de l’indépendance (1960) à la libéralisation politique (1990). Des partis uniques gouvernent le Congo et la Côte d’Ivoire. Il s’agit du Mouvement populaire de la révolution (MPR) de Mobutu dans l’ancienne colonie belge et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Houphouët-Boigny dans l’ancienne colonie française. Les deux dirigeants imposent leur vision du journalisme. Les médias sont des médias d’Etat et sont au service de leur politique.

- La (re)naissance du journalisme pluriel qui va de la libéralisation politique à nos jours. 1990 marque le retour au multipartisme. Dans les deux pays, celui-ci s’accompagne de ce que l’on a appelé le « printemps de la presse ». De nombreux organes de presse privés investissent le paysage médiatique monopolisé jusqu’alors par l’Etat. Ils sont fortement liés à des personnalités ou à des partis politiques. La presse écrite actuelle au Congo et en Côte d’Ivoire porte nettement les traces de cette évolution récente.

9 Maigret Eric, Sociologie de la communication et des médias, Paris, Armand Colin, 2007, p. 246. 10 Perret Thierry, « Court-traité de journalisme », Africultures 2 (71), novembre 2007, p. 82.

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La perspective comparative, quant à elle, met en évidence les lignes de force similaires et spécifiques qui ont traversé l’évolution de la profession dans les deux pays12

. Elle dégage les éléments qui rendent les trajectoires historiques de la profession singulières, au Congo et en Côte d’Ivoire, et qui permettent de comprendre les transformations qui ont abouti au journalisme contemporain. Comparer permet en effet de souligner la présence ou l’absence de certains facteurs historiques13

qui l’ont façonné et donc de mieux comprendre les liens de causalité14

qui ont abouti au métier tel qu’il est exercé aujourd’hui. Le comparatisme est

également considéré comme une manière pragmatique de penser15

. Il permet de dégager un fil d’Ariane nécessaire à la démonstration16

.

Une comparaison géographique et diachronique

D’une part, la comparaison est géographique. Il importe en effet de confronter le processus de formation de la profession dans deux pays différents pour cerner ce qui relève d’un contexte spécifique et ce qui peut être davantage généralisé.

D’autre part, la comparaison est diachronique. Si la profession est le fruit d’une synthèse de pratiques, il convient de comprendre les différentes étapes qui ont abouti à la façon dont elle se présente aujourd’hui. Dans ce cadre, l’indépendance nationale (le 30 juin 1960 pour le Congo et le 7 août 1960 pour la Côte d’Ivoire) constitue un point de repère temporel. Elle sert à définir objectivement la période retenue pour la délimitation du corpus de presse pris en compte dans l’analyse.

12 Voir notamment Brice Rambaud qui a mené une réflexion comparative sur le journalisme au Burkina Faso et au Kenya. « Réflexions sur les trajectoires africaines de deux modèles médiatiques occidentaux : Analyse comparative de la presse écrite du Burkina Faso et du Kenya »,

in Darbon Dominique (éd.), La politique des modèles en Afrique : Simulation, dépolitisation et appropriation, Karthala-MSHA, 2009,

pp. 171-186.

13 Mills Charles Wright, L’imagination sociologique, Paris, La Découverte, 1997 et 2006, pp. 153 et 161.

14 Vigour Cécile, La comparaison dans les sciences sociales : Pratiques et méthodes, Paris, La Découverte, 2005, p. 75. 15 Ibidem, p. 7.

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Cette recherche consiste en réalité davantage en une « méthode indirecte des ressemblances et des différences » 17

qu’en une comparaison au sens strict du terme. Cette méthode permet de mettre en évidence des relations de causalité en considérant le journalisme congolais et ivoirien comme un phénomène qui n’est pas le produit d’un antécédent unique, mais d’une combinaison d’antécédents, inséparables les uns des autres. Selon cette méthode, la formulation d’hypothèses résulte de l’absence ou de la présence d’un même effet ou d’une même cause.

Du choix du Congo et de la Côte d’Ivoire

Le choix des deux pays a été guidé par le fait que ceux-ci présentent certaines similitudes intéressantes pour une approche comparative. Ainsi, la Côte d’Ivoire et le Congo ont été des colonies centrales dans l’entreprise coloniale de leur métropole respective, puis des Etats incontournables dans leur région, l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. Dans les deux pays, l’indépendance, en 1960, a été suivie d'un long « règne » d’un président se présentant comme le « père de la nation ». Houphouët-Boigny est resté à la tête de la Côte d’Ivoire jusqu’à sa mort, en 1993. Au Congo, Mobutu a été président de 1965 à 1997. Ces périodes de partis uniques ont débouché sur un retour du pluralisme. Celui-ci a suscité des rivalités de pouvoir qui se sont terminées par une guerre. Tant au Congo qu’en Côte d’Ivoire, des dirigeants nationalistes ont accédé à la présidence au cours de cette période troublée : Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire et Laurent-Désiré Kabila au Congo. En 2010, dans les deux pays, le cinquantenaire de l’indépendance a ensuite été célébré dans un contexte « post-conflit » et pré-électoral. Des élections présidentielles se sont tenues en novembre 2010 en Côte d’Ivoire et en novembre 2011 en RDC.

Les deux pays présentent également des différences majeures qui rendent la comparaison constructive et permettent de mesurer l’importance de ne pas généraliser abusivement une situation bien souvent spécifique. La plus évidente réside dans le fait que le Congo est une ancienne colonie belge et la Côte d’Ivoire est une ancienne colonie française. La recherche s’emploie à découvrir d’autres singularités propres à chaque pays. L’approche comparative entend décloisonner, dans une certaine mesure, la connaissance des ces espaces coloniaux, belges et français.

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Des corpus de presse

L’analyse des corpus de presse et des entretiens sont les deux principales méthodes utilisées. Elles sont complétées par une recherche bibliographique et de sources documentaires, notamment historiques.

Les corpus de presse – récoltés au Congo, en Côte d’Ivoire, en France et en Belgique – illustrent les hypothèses avancées en même temps qu’ils servent de sources d’information. Afin d’atteindre l’objectif de recherche, seuls les titres émanant d’organes de presse ivoiriens ou congolais, produits par des Ivoiriens ou des Congolais, ont été retenus. Le choix s’est porté sur la presse écrite davantage que sur la radio et la télévision. Elle permet en effet de nourrir la réflexion historique dans la mesure où elle constitue le lieu d’émergence du journalisme en Afrique. De plus, actuellement, il n’existe pas de télévisions privées à Abidjan et les radios privées n’y traitent pas l’actualité politique. En outre, les radios ne disposent pas d’archives. Le support écrit offre par ailleurs des avantages évidents en termes d’exploitation, dans la mesure où il ne nécessite pas de retranscription avant d’être analysé.

Afin de dégager des points de comparaison, la production des journalistes ivoiriens et congolais analysée couvre trois périodes : celle de l’année de l’indépendance (1960), celle de la célébration des 25 ans de ces indépendances (1985) et celle du jubilé de ces indépendances (2010). Symboles de périodes transitoires, ces moments historiques permettent, dans une certaine mesure, de mieux comprendre l’évolution de la place et du rôle des journalistes africains dans une société en mutation. Ces moments-clés favorisent en effet la production d’articles particulièrement révélateurs de leur positionnement par rapport à l’autorité politique passée et présente. Leurs articles et discours peuvent alors être appréhendés comme une réévaluation, de la part des journalistes, de la profession. Ils permettent d’analyser, d’une certaine manière, la façon dont les journalistes perçoivent leur position et participent à sa redéfinition.

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multipartisme. Si cette temporalité a marqué de manière évidente l’évolution politique des deux pays, elle a en effet également marqué l’évolution de la presse écrite. A chaque bouleversement politique correspond un bouleversement médiatique. Ces repères temporels sont néanmoins de simples marqueurs et ne définissent pas a priori les moments importants qui scandent l’évolution de la profession. Le mouvement continu de la profession, incarné par les moments intermédiaires entre les différentes périodes politiques des pays, fait l’objet d’une attention particulière.

Les articles analysés sont issus des journaux parus un mois avant et un mois après l’indépendance ou sa commémoration. Tous les journaux du corpus parus à ces époques ont été systématiquement dépouillés. Cependant, tous les textes de ces publications n’ont pas fait l’objet d’une analyse. Le choix des articles pris en compte a été fonction de l’objectif de recherche et relève donc d’une part inévitable de subjectivité.

Pour chaque pays et pour chaque période, des titres spécifiques ont été privilégiés. Seuls les journaux des capitales – Léopoldville devenue Kinshasa pour le Congo et Abidjan18

pour la Côte d’Ivoire – ont été pris

en compte ; la presse écrite y étant plus présente qu’ailleurs dans le pays. La sélection du corpus a été pensée selon différents critères détaillés ci-dessous. Elle est également fonction de leur accessibilité et des difficultés de collecte rencontrées.

Ainsi, concernant les journaux congolais de 1960, il est difficile de rassembler tous les numéros d’un titre défini, pour une période précise. Les collections sont en effet éparses – la majeure partie des titres a été récoltée à Bruxelles, quelques-uns à Kinshasa19

– et la périodicité des publications est aléatoire. En tenant compte de leur disponibilité, les journaux les plus représentatifs des différentes tendances politiques de l’époque ont finalement été choisis. Il s’agit principalement de Présence Congolaise, d’Actualités Africaines, d’Emancipation, de Notre Kongo, de L’Indépendance, de La Voix du Peuple et de La Nation

Congolaise.

Concernant les corpus ivoiriens de 1960, le choix des journaux est plus restreint étant donné que seuls quatre titres paraissaient en 1960. Le journal Fraternité , l’hebdomadaire du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), était alors l’unique publication entièrement produite

18 Abidjan est la capitale économique de la Côte d’Ivoire. Yamoussoukro est la capitale politique et administrative.

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par des Ivoiriens. Il est donc le seul journal étudié pour cette période. Abidjan-Matin – dont le lectorat se composait à 70 % d’Africains – et le Journal des fonctionnaires, des employés et

de tous les amis du progrès de l’Afrique noire – qui exprime les positions de l’élite

africaine20

– sont également sporadiquement pris en considération, mais pas au même titre que

Fraternité. Ces journaux se trouvent à la Bibliothèque nationale de France. Il est par ailleurs

remarquable que trois numéros de l’hebdomadaire du PDCI n’y soient pas conservés ;

précisément ceux parus au moment de l’accession du pays à l’indépendance21

.

Pour les corpus de presse congolais de 1985, les journaux retenus sont Elima et Salongo, les seuls qui paraissaient alors à Kinshasa22

, en tant qu’organes de presse au service du parti unique, le Mouvement populaire de la révolution (MPR). Ils sont accessibles à la Bibliothèque africaine du Ministère des Affaires étrangères, à Bruxelles. Pour la Côte d’Ivoire, à la même période, Fraternité-Matin est le seul quotidien à paraître. Il est donc le seul retenu. Il est un outil au service du parti unique, le PDCI. Le quotidien a pu être consulté aux archives du groupe Fraternité-Matin, à Abidjan.

Pour l’année 2010, les corpus ivoiriens et congolais ont été récoltés à Kinshasa et à Abidjan, lors de recherches de terrain. Les journaux ont été choisis en fonction de leur positionnement par rapport au pouvoir en place. Pour le Congo, où il n’existe pas de quotidien public, il s’agit des publications suivantes : Le Phare, proche de l’opposition ; Le Potentiel, précédemment très proche de l’opposition, actuellement plus « modéré » et Uhuru, un journal pro-Kabila. Ce dernier titre a disparu en 2012. Pour la Côte d’Ivoire, il s’agit des quotidiens suivants :

Fraternité-Matin, le quotidien public, proche du gouvernement en place, dirigé en 2010 par

Laurent Gbagbo ; Le Patriote, proche du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara alors dans l’opposition ; de Notre Voie, proche du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo et du Nouveau Réveil, proche du PDCI d’Henri Konan Bédié et ancien parti unique.

Ces critères de sélection ne sont cependant pas exclusifs. Au cours du processus de collecte, d’autres parutions se sont révélées susceptibles de nourrir la réflexion. C’est ainsi que des publications non retenues initialement ont été intégrés à la recherche. Certains suppléments

20 de Benoist Joseph-Roger, « Situation de la presse dans l’Afrique occidentale de langue française », Afrique documents (51), mai 1960, pp. 123-128 et 163-184.

21 Corpus disponible : du 3 juin au 29 juillet 1960, et le 26 août 1960.

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spécifiquement adressés aux Congolais, qui commencent à paraître dans la deuxième moitié des années 1950, sont par exemple exploités. Gérés par des Congolais, ils permettent d’éclairer le processus de formation de la presse autochtone. Le contenu du journal Congo, paru pour la première fois en 1957, est également analysé en tant que révélateur des buts poursuivis par les initiateurs du « premier hebdomadaire congolais appartenant aux Africains »23. Des journaux belges sont encore utilisés comme sources d’information. Ils permettent notamment de fournir des données factuelles sur le changement d’attitude de Patrice Lumumba à l’égard de la presse lors de son accession au poste de premier ministre, en 1960. Ceux-ci sont consultables à la Bibliothèque africaine du Ministère belge des Affaires étrangères.

En outre, certains articles, au sein du corpus préalablement défini, font l’objet d’une attention particulière. Dans cette recherche, la présence plus prononcée de contributions de certains auteurs s’explique notamment par la façon dont sont triés les journaux dans les différents lieux d’archives visités. Ainsi, les archives de Fraternité-Matin disposent d’un classement propre qui reprend différentes thématiques relatives à l’évolution de la presse ivoirienne en général et du quotidien d’Etat, Fraternité-Matin, en particulier. C’est ce classement, et non un dépouillement systématique, qui a, par exemple, fait émerger le nom du journaliste Gaoussou Kamissoko. Nombre de ses articles font l’objet d’une analyse spécifique dans la section consacrée à l’identité professionnelle des journalistes, lorsque le PDCI gouvernait la Côte d’Ivoire en tant que parti unique. Aucune trace des journaux et tracts d’opposition parus durant la fin des années 1980 n’a cependant été trouvée au sein de ces archives. Cette absence explique le recours systématique à l’ouvrage de Diégou Bailly24

dans la section qui leur est consacrée. Ce dernier compile un nombre important d’informations sur ces titres.

Des entretiens

L’exploitation de nombreux entretiens complète l’étude de ces corpus. Ceux-ci ont été réalisés lors de séjours dans les deux pays. Quatre recherches de terrain ont été effectuées : deux au Congo (du 20 juin au 10 juillet 2010 et du 15 février au 30 mars 2012) et deux en Côte d’Ivoire (du 14 novembre au 7 décembre 2010 et du 9 juillet au 8 septembre 2012).

23 Sous-titre de la publication.

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L’analyse des articles de presse ne suffit en effet pas à elle seule à situer la place et le rôle occupés par les journalistes, durant les périodes retenues. Différents facteurs – parmi lesquels un contrôle social fort durant la colonisation, l’imposition d’une idéologie du temps du parti unique et des dépendances économiques et politiques en 2010 – sont à l’origine d’un décalage entre l’évolution des mentalités des journalistes et leur production, tant au Congo qu’en Côte d’Ivoire. Les entretiens permettent, en partie du moins, de combler cet écart. Ils sont considérés comme des outils pour comprendre le contexte de production des journaux sélectionnés et la façon dont les journalistes en tiennent compte. Ils sont par ailleurs destinés à recueillir certaines informations factuelles telles que l’historique des publications, leur tirage, etc., souvent difficilement accessibles par d’autres moyens.

Des interviews ont également été réalisées à Bruxelles. Par ailleurs, quelques entretiens exploités dans la présente recherche ont été réalisés en 2013, dans le cadre de la réalisation d’une étude sur les médias congolais, pour France expertise internationale25

.

Le choix des personnes interrogées est corrélé aux périodes historiques ainsi qu’aux titres de presse retenus dans l’analyse. Dans la mesure du possible, des entretiens ont été menés avec des individus actifs dans le secteur de la presse avant 1960, du temps des partis uniques et actuellement. Ces entretiens ont principalement visé les personnes occupant une fonction assimilée à celle de directeur ou de fondateur des titres de presse qui composent le corpus. Celles-ci ont été rencontrées à une ou plusieurs reprises. Selon l’importance de l’équipe rédactionnelle, d’autres journalistes travaillant pour ces titres ont également été interrogés.  

Deux grilles ont servi de base pour la conduite et l’exploitation des entretiens. Celles-ci ont été élaborées avant chaque séjour sur le terrain et ont été adaptées en fonction de l’évolution de la recherche.

La première grille, utilisée en 2010, comprenait des questions générales relatives au cinquantenaire de l’indépendance et au métier de journaliste. Ces questions étaient destinées tant à recueillir des données qu’à tester la validité de l’objectif de recherche, axé initialement davantage sur la représentation du pouvoir et de l’autonomie dans le récit des journaux congolais et ivoiriens sur l’accès à l’indépendance et sur sa commémoration, que sur le métier

25 Frère Marie-Soleil et Fierens Marie, Médias pour la démocratie et la transparence en République démocratique du Congo (Lot 1) : Etude

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de journaliste. Les entretiens menés en 2010 ont été l’occasion de rencontrer de nombreuses personnes, interrogées à nouveau lors des séjours dans les deux pays, en 2012. Ils ont également permis d’avoir un aperçu concret de la réalité étudiée. Ils ont donc constitué la base d’un travail exploratoire.

Ces premières prises de contact avec les acteurs de terrain ainsi que la lecture des corpus de presse, collectés principalement en 2010 et 2011, ont participé à la réorientation de l’objectif global de ce travail, finalement centré sur la profession de journaliste de presse écrite. Des questions spécifiques, reprises dans une deuxième grille d’entretien utilisée en 2012, ont en effet été élaborées en fonction d’une analyse préalable des interviews menées en 2010 et en fonction d’une première lecture des articles de presse. Cette analyse et cette lecture préliminaires ont participé à la formulation d’une première série d’hypothèses, soumises aux personnes interrogées lors des seconds séjours sur le terrain.

La grille d’entretien utilisée en 2012 comprenait plusieurs sections. La première avait pour objectif de comprendre le fonctionnement de l’organe de presse auquel appartenait la personne interrogée. La seconde entendait dresser une sorte de « portrait professionnel » de celle-ci et cerner sa trajectoire en tant que journaliste. La troisième l’interrogeait sur sa perception du paysage médiatique de son pays, de la liberté d’expression et des instances professionnelles censées représenter la profession. La quatrième visait à l’entendre sur la façon dont les journaux avaient couvert l’indépendance ou sa commémoration. Enfin, la cinquième partie, basée sur la lecture des corpus de presse relatifs à l’indépendance, l’interrogeait sur le contenu des journaux préalablement dépouillés.

Toutes les sections n’ont pas pu être exploitées entièrement dans ce travail. La prise en compte du contenu des entretiens a été fonction de la reformulation constante de l’objectif de recherche, elle-même dépendante des données de terrain et de l’exploitation des corpus de presse. L’ensemble des échanges avec les acteurs des médias a cependant permis de nourrir une réflexion globale qui, si elle n’apparaît pas directement dans les pages qui suivent, a contribué à structurer la recherche dans son ensemble.

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propre fonction en leur sein. La grille comprenait également des questions destinées aux professeurs de journalisme et à leurs étudiants. Elles avaient pour objectif de mettre au jour les motivations professionnelles des individus qui se destinent à exercer le journalisme.

Enfin, certaines « personnes-ressources », n’entrant pas dans les catégories précitées, ont également été interrogées. Il s’agit notamment d’historiens, de journalistes actifs dans le secteur audiovisuels ou encore de journalistes belges actifs dans le secteur de la presse du temps de la colonisation.

Les entretiens étant non directifs, les grilles veillaient à laisser les acteurs interrogés s’exprimer, parfois longuement, sur ce qu’eux-mêmes considéraient comme significatif dans leur parcours ou dans la pratique de leur métier. C’est de cette manière que les rencontres ont duré plus ou moins longtemps – de trente minutes à plus de deux heures – selon la façon dont la personne appréhendait les questions et selon la façon dont elle souhaitait y répondre, de façon personnelle.

En tout, une centaine d’entretiens ont été menés avec des acteurs médiatiques et politiques, ainsi qu’avec des historiens, à Kinshasa et à Abidjan. Dans la mesure du possible, les dires des acteurs interrogés ont été recoupés avec d’autres sources, telles les corpus de presse ou les ouvrages historiques. Cependant, la recherche a pris en compte le fait que ces acteurs offrent indéniablement leur point de vue personnel sur les questions abordées. Elle s’est employée à intégrer cette vision subjective de la profession dans la réflexion.

Un grand nombre d’interviews avaient en effet pour objet de retracer le parcours personnel et professionnel de journalistes congolais et ivoiriens. Le recours aux entretiens biographiques fait cependant émerger certaines difficultés méthodologiques, qui ont été prises en compte26

. La principale réside dans le fait qu’en enquêtant sur des personnalités, la recherche court nécessairement le risque de les transformer. « Etant donné que l’individualité a une existence pratique, elle tend à pouvoir être affectée par [l’] étude ». L’interaction qui se noue entre le chercheur et la personne interrogée peut en effet conduire cette dernière à adapter son comportement à la situation, « c’est-à-dire à produire, en présence de son interlocuteur, une

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certaine personnalité »27

. Il est par exemple frappant de constater la retenue dont font preuve les journalistes congolais qui ont exercé leur métier dans les années 1960, à l’égard d’informations connotées politiquement. Le témoignage que les individus livrent sur leur passé ou celui de leurs contemporains est indéniablement subjectif, puisque ces individus « sont les fruits (et les porteurs) de toutes les expériences (pas toujours compatibles, pas toujours cumulables, et parfois hautement contradictoires) qu’ils ont vécues dans de multiples contextes »28

.

Les journalistes offrent donc bien souvent une vision très subjective de leur parcours et de ceux de leurs contemporains, ponctuée d’omissions et parfois d’arrangements avec l’histoire. L’analyse inclut néanmoins leur témoignage en leur attribuant un statut spécifique. Elle part du constat selon lequel

« les entretiens ne nous livrent jamais des ‘faits’ mais des ‘mots’. Ces mots expriment ce que le sujet vit ou a vécu, son point de vue sur ‘le monde’ qui est ‘son monde’ et qu’il définit à sa manière, en même temps qu’il l’apprécie et qu’il tente de convaincre son interlocuteur de sa validité.29

»

Toutes les périodes étudiées ne sont pas illustrées par le même nombre d’entretiens. En effet, si les journalistes actuels se montrent très disponibles pour répondre aux questions, tant au Congo qu’en Côte d’Ivoire, il n’est pas toujours aisé de pouvoir discuter avec ceux qui ont exercé leur profession dans les années 1960. Beaucoup d’entre eux sont aujourd’hui décédés ou trop fatigués pour répondre aux nombreuses questions qu’implique un entretien. C’est dans cette optique que le point de vue exprimé en 2010 par certaines personnes rencontrées, à propos de faits historiques ou de personnages aujourd’hui décédés, est pris en compte. Son exploitation implique cependant certaines précautions. Les éléments retenus par les personnes interrogées sur des événements vieux de parfois plus de cinquante ans offrent en effet une perspective qui est fonction de la place qu’elles ont occupée et qu’elles occupent actuellement au sein de la société ; place qui change elle-même en fonction des relations entretenues avec

27 « Conclusion : Peut-on enquêter en sciences sociales sur des individualités? », in Lemieux Cyril (éd.), La subjectivité journalistique : Onze

leçons sur le rôle de l’individualité dans la production de l’information, Paris, EHESS, 2010, p. 285.

(16)

différents milieux. D’une même période, d’un même fait, les individus ne tirent donc pas le même parti et ne retiennent pas la même signification30

.

Finalement, quelques individus exerçant le métier de journaliste au Congo durant la période coloniale ont pu être rencontrés. Il a été beaucoup plus difficile de poser des questions à des journalistes ivoiriens exerçant leur profession à la même période. C’est entre autres le contexte propre à une époque et à un pays qui explique la rareté des témoignages exploités. Ainsi, Laurent Dona-Fologo est le premier journaliste ivoirien à avoir été en charge de la rédaction du quotidien national. Il n’assume cette fonction de rédacteur en chef qu’à partir de 1964. A l’inverse, à la même époque et depuis les années 1950, plusieurs Congolais participent à la rédaction de journaux. Le déséquilibre apparent entre certaines parties de ce travail est donc lié à la fois à l’accès aux témoins et acteurs privilégiés de chaque période et au degré de développement de l’activité médiatique, parfois insignifiant. Des journalistes exerçant leur métier du temps des partis uniques ont également été rencontrés à Kinshasa et à Abidjan, ainsi que des personnes travaillant actuellement dans le secteur de la presse écrite. Certains individus ont pratiqué le journalisme durant deux des trois périodes retenues. La liste des entretiens (voir p. Erreur ! Signet non défini.) détaille les fonctions des personnes interrogées ainsi que les périodes durant lesquelles elles ont joué un rôle dans le secteur médiatique.

Des parcours de personnages plus éloignés du milieu journalistique ont également été retenus. C’est singulièrement le cas d’Houphouët-Boigny (voir p. Erreur ! Signet non défini.). La courte biographie du leader du PDCI est destinée à croiser le parcours de celui qui deviendra le président de la Côte d’Ivoire, avec le contexte de la colonisation ; de la même manière que des éléments de la biographie de Mobutu nourrissent la partie consacrée aux journalistes congolais qui ont émergé durant la colonisation. Ces deux individualités ont été choisies en tant que représentantes d’une certaine élite, plus tard amenée à diriger le pays. Les relations différentes qu’elles entretiennent avec la presse, durant la colonisation, sont mises en évidence. L’analyse tente de tenir compte et d’illustrer la diversité des parcours biographiques propres à chaque époque et à chaque pays.

(17)

Les entretiens menés lors des seconds séjours en Afrique ont permis d’affiner les hypothèses de recherche et ont fondé une deuxième lecture des corpus de presse. Cette deuxième lecture, plus analytique que la première, visait à rencontrer les mêmes objectifs que ceux formulés à travers les différentes sections comprises dans la grille d’entretien utilisée en 2012, à savoir : récolter des éléments d’information relatifs au fonctionnement des titres de presse étudiés ; aux trajectoires professionnelles de certains journalistes ; au paysage médiatique, à la liberté d’expression et aux instances professionnelles ainsi qu’à la façon dont les journaux ont couvert l’indépendance ou sa commémoration.

Cependant, tout comme les grilles d’entretiens veillaient à laisser les acteurs des médias s’exprimer sur ce qu’eux-mêmes considéraient significatif dans leur parcours professionnel ou dans la pratique de leur métier, le contenu des corpus n’a pas été exploité de façon rigide. Il a servi à nourrir la recherche de manière continue et donc à étayer des hypothèses qui se sont dessinées au fur et à mesure de ce travail. C’est de cette manière que le contenu des journaux a également fourni de nombreuses données qui ont permis de recouper ou de compléter certaines informations recueillies à travers les entretiens ou les ouvrages consultés. Ces données concernent principalement le positionnement des journalistes à l’égard de l’autorité politique et la façon dont cette autorité politique définit le rôle des journalistes ; la façon dont les journalistes envisagent eux-mêmes leur rôle ; l’apparition et le mode de fonctionnement des instances professionnelles.

(18)

De la littérature existante

Actuellement, la littérature relative au journalisme au Congo ou en Côte d’Ivoire traite principalement de son histoire, de ses relations avec la sphère politique ou encore de sa pratique. Un regard rétrospectif sur l’évolution de ce champ d’étude montre que cette littérature s’est constamment enrichie depuis la colonisation. D’abord peu abondante et descriptive, elle s’est étoffée au fil du temps et de l’évolution politique de l’Afrique francophone.

Dès la période coloniale, quelques analyses se consacrent à l’étude du journalisme en Afrique francophone. Elles se présentent principalement sous la forme d’articles. Ainsi, à cette époque, le Centre de recherche et d’information socio-politiques (Crisp) fournit des éléments factuels relatifs aux journaux congolais et les situe dans le paysage politique d’alors. Congopresse, la section de l’Office de l’information et des relations publiques du Congo et du Ruanda-Urundi (InforCongo) active dans la capitale congolaise, offre également des comptes rendus relatifs à la situation des médias du pays. En 1959, Jean-Marie Van Bol dédie quant à lui un court ouvrage relatif à la presse quotidienne au Congo belge31

.

Concernant la Côte d’Ivoire, peu d’analyses relatives à la presse paraissent durant la colonisation. Le père Joseph-Roger de Benoist, lui-même journaliste, est un des seuls auteurs à offrir un aperçu de la situation de la presse de l’époque32

. François-Joseph Amon d’Aby consacre également un chapitre de son ouvrage, qui porte sur différents aspects de la Côte d’Ivoire, à la description des journaux ivoiriens33

.

Enfin, durant la période coloniale, des monographies à vocation plus généraliste s’attachent à décrire le paysage médiatique de l’ensemble du continent africain. C’est le cas de l’ouvrage d’Helen Kitchen34

, qui comporte une section spécifique dédiée à la presse au Congo belge et une autre consacrée à la presse en Afrique occidentale française.

31 Van Bol Jean Marie, La presse quotidienne au Congo belge, Bruxelles et Paris, Pensée catholique et Office général du livre, 1959 (Etudes sociales, 3. sér. 23-24).

32 de Benoist Joseph-Roger, « Situation de la presse dans l’Afrique occidentale de langue française », op. cit., pp. 153-173. 33 Amon D’Aby François-Joseph, La Côte d’Ivoire dans la cité africaine, Paris, Larose, 1951.

(19)

Après les indépendances de 1960, des ouvrages continuent de paraître35

. Ils ont pour ambition de comprendre les relations qui unissent les médias et les gouvernements des nouveaux Etats africains. Les monographies de William Hachten36

et de Denis Wilcox37

, parus dans les années 1970, illustrent cette tendance. Un article de Suzanne Laurent traite spécifiquement de la politique d’information mise en place par le gouvernement ivoirien38. Des chercheurs commencent également à consacrer leur mémoire ou leur thèse à la presse en Afrique occidentale française (AOF)39

, plus spécifiquement à la presse ivoirienne40

, ou encore à la presse du Congo41

.

A partir des années 1990, de plus en plus de monographies ou de recherches académiques se consacrent à l’étude de la presse en Afrique. Certaines retracent son évolution historique42

. C’est le cas de celles d’André-Jean Tudesq, auteur de nombreux livres sur les médias en Afrique subsaharienne43

. D’autres s’attachent essentiellement à replacer les médias africains dans leur nouvel environnement politique, caractérisé par le multipartisme depuis 1990. Renaud de la Brosse situe le rôle de la presse écrite dans cette transition démocratique44

; Joseph Campbell étudie l’émergence de la presse indépendante qui l’accompagne, au Bénin et en Côte d’Ivoire45

; Thierry Perret s’attache à comprendre ce qui définit la fonction de journaliste dans le nouveau contexte politique africain46

et Pierre Daubert analyse les facteurs qui entravent le développement de la presse écrite d’Afrique francophone depuis l’émergence du multipartisme47

. Depuis la fin des années 1990, Marie-Soleil Frère s’emploie quant à elle à

35 Voir notamment Ainslie Rosalynde, The Press in Africa: Communications Past and Present, London, Victor Gollancz, 1966. L’ouvrage porte principalement sur la presse en Afrique anglophone mais comporte une section relative au Congo et aux colonies françaises en Afrique. 36

Hachten William A., Muffled Drums: The News Media in Africa, Ames, Iowa State University Press, 1971. Il s’intéresse notamment à la presse en AOF, mais n’analyse pas celle du Congo.

37 Wilcox Dennis L., Mass Media in Black Africa: Philosophy and Control, New York, Praeger, 1975.

38 Laurent Suzanne, « Formation, information et développement en Côte d’Ivoire », Cahiers d’études africaines 10 (39), 1970, pp. 422-468. 39 Euvrard Gil-François, La presse en Afrique occidentale française : Des origines aux indépendances et conservée à la Bibliothèque

nationale, Mémoire de fin d’études, Villeurbanne, École supérieure des bibliothèques (ENSB), 1982.

40 Roux Geneviève, La presse ivoirienne : Miroir d’une société, Thèse de doctorat, Paris, Université René Descartes, 1975.

41 Voir notamment Mavungu-Vangu Ma-Tsakala, La monographie de l’hebdomadaire « Présence Congolaise » (Epanza), Mémoire de licence en Sciences et Techniques de l’Information, Kinshasa, Isti, 1976. Kabeya Philippe, Les débuts de la presse et les autochtones du

Congo belge à travers les quotidiens jusqu’en 1960, Thèse de doctorat, Paris, Université de Droit, d’Economie et de Sciences sociales de

Paris (Paris 2), 1977. Kanza Matondo ne Masangaza, La contribution du journal « Congo » au processus de l’indépendance du Congo-Zaïre, Mémoire de fin d’études, Paris, EHESS, 1983. Kasongo Mwema, « Politique de communication et mutation de la télévision au Zaïre », Mémoire de DEA, Bordeaux, Université de Bordeaux III, 1983. Planard A., « Les médias au Zaïre », Mémoire de licence en Sciences sociales et économiques, Bruxelles, Université libre de Bruxelles, 1983.

42

Voir notamment Yambu Kabembele Budim’Bani, L’entrée en scribalité du Congo-Zaïre (1885-1960) : Processus et enjeux, Thèse de doctorat, Liège, Université de Liège, 1996.

43 Voir notamment Tudesq André-Jean, Feuilles d’Afrique : Etude de la presse de l’Afrique subsaharienne, Talence, MSHA, 1995. Tudesq André-Jean, Journaux et radios en Afrique au XIXe et XXe siècles, Paris, Gret, 1998. Tudesq André-Jean, L’espoir et l’illusion : Actions

positives et effets pervers des médias en Afrique subsaharienne, Bordeaux, MSHA, 1998. Tudesq André-Jean, Les médias en Afrique, Paris,

Ellipses, 1999.

44 de la Brosse Renaud, Le rôle de la presse écrite dans la transition démocratique en Afrique, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 1999.

45 Campbell. W. W. Joseph, The Emergent Independent Press in Benin and Côte d’Ivoire: From Voice of the State to Advocate of

Democracy, Westport (Conn.), Praeger, 1998.

46 Perret Thierry, Le temps des journalistes : L’invention de la presse en Afrique francophone, Paris, Karthala, 2005.

(20)

étudier les médias d’Afrique subsaharienne en tant qu’indicateurs des évolutions politiques, sociales, économiques et culturelles de leur société48

. Elle s’intéresse notamment au rôle joué par ces médias lors des transitions politiques, lors des conflits et lors des élections.

Aujourd’hui encore, le journalisme au Congo fait l’objet de recherches particulières49. Il existe en revanche moins d’ouvrages spécifiques relatifs à la presse en Côte d’Ivoire. Celle-ci reste souvent analysée en tant que sous-ensemble de la presse d’Afrique francophone. Quelques thèses, articles ou parties d’ouvrages collectifs sont néanmoins spécialement consacrés au journalisme en Côte d’Ivoire50

. Il est également possible de trouver des chapitres relatifs au journalisme ivoirien dans des ouvrages plus généraux, qui retracent l’évolution politique du pays51

.

La présente recherche ne pourrait être envisagée sans la prise en compte des réflexions menées par ces auteurs, depuis les années 1950. Elle se nourrit de leurs apports afin de poursuivre une triple ambition. Premièrement, en adoptant une perspective historique de longue durée, l’analyse souhaite retracer la trajectoire de la profession dans les deux pays, depuis la colonisation jusqu’à nos jours, afin de faire émerger les processus qui l’ont fait évoluer de manière continue. De cette manière, elle souhaite faire la synthèse des différentes analyses historiques qui concernent spécifiquement le journalisme de presse écrite au Congo et en Côte d’Ivoire et offrir un aperçu global de l’évolution du métier. Deuxièmement, elle veut souligner les spécificités qui fondent les transformations de la profession. Concernant le journalisme congolais, certaines d’entre elles ont déjà été identifiées par différents auteurs, pour des périodes spécifiques. La présente recherche a notamment pour objectif d’étendre ce travail au laps de temps qui va de la colonisation à nos jours. Concernant l’ancienne colonie

48 Voir notamment Frère Marie-Soleil, Presse et démocratie en Afrique francophone : Les mots et les maux de la transition au Bénin et au

Niger, Paris, Karthala, 2000. Frère Marie-Soleil (éd.), Afrique centrale, médias et conflits : Vecteurs de guerre ou acteurs de paix, Bruxelles,

Editions Complexe, 2005. Frère Marie-Soleil, Elections et médias en Afrique Centrale : Voie des urnes, voix de la paix ?, Paris, Karthala, 2009. Marie-Soleil Frère est également l’auteur de nombreux articles et parties d’ouvrages collectifs relatifs aux médias en Afrique. 49 Voir notamment Tambwe Kitenge Bin Kitoko Eddie, Écrit et pouvoir au Congo-Zaïre, 1885-1990 …, op. cit. Bebe Beshelemu Emmanuel,

Presse écrite et expériences démocratiques au Congo-Zaïre, Paris, L’Harmattan, 2006. Quaghebeur Marc et Tshibola Kalengayi

Bibiane (éds), Aspects de la culture à l’époque coloniale en Afrique centrale, vol. 8, Paris, L’Harmattan, 2008. Lapess Munkeni Rigobert, Le

coupage : Une pratique d’allocation des ressources dans le contexte journalistique congolais, Paris, L’Harmattan, 2009. Elongo Lukulunga

Vicky, Pratiques journalistiques en situation de crise : Vers une éthique atypique dans la presse congolaise, Saarbrücken, Editions universitaires européennes, 2011. Jean-Chrétien Ekambo, Histoire du Congo RDC dans la presse, Paris, L’Harmattan, 2013. Wawa Mozanimu Georges-Jérémie, La presse congolaise (RDC) et l’appropriation des nouvelles technologies, Paris, L’Harmattan, 2013. 50 Voir notamment Diabi Yahaya, « L’information et le pouvoir politique en Côte d’Ivoire entre 1960 et 1990 », Hermès (28), 2000, pp. 245-255. Bahi Aghi Auguste, « De la salle de cours à la salle de rédaction : Les jeunes diplômés dans le champ journalistique ivoirien. Approche préliminaire. », Prisma.com (6), 2008, pp. 192-214. BléBléBlé Raoul Germain, « La guerre dans les médias, les médias dans la guerre en Côte d’Ivoire », Afrique et développement (2), 2009, pp. 177-201. Toppe Gilbert, La typologie des médias dans les pays en

développement : Le cas de la Côte d’Ivoire, Thèse de doctorat, Paris, Université Panthéon-Assas (Paris II), 2010. Zio Moussa est également

l’auteur de plusieurs études disponibles en ligne.

51 Voir notamment Théroux-Bénoni Lori-Anne et Bahi Aghi Auguste, « A propos du rôle des médias dans le conflit ivoirien », in Ouédraogo Jean-Bernard et Sall Ebrima (éds), Frontières de la citoyenneté et violence politique en Côte d’Ivoire, Dakar, Codesria, 2008. Bailly Diégou,

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française, il s’agira surtout d’isoler les caractéristiques propres au journalisme ivoirien au sein de l’Afrique francophone, bien souvent prise comme unité d’analyse par les auteurs. Enfin, ce travail souhaite intégrer les différentes thématiques étudiées jusqu’à aujourd’hui – l’histoire de la profession, ses liens avec la sphère politique et sa pratique – à une approche sociologique, capable de souligner les mécanismes sociétaux qui ont fondé et structuré le métier de journaliste de presse écrite au Congo et en Côte d’Ivoire, depuis la colonisation.

De la subjectivité

La recherche dans son ensemble, ses résultats et leur interprétation sont empreints d’une part inévitable de subjectivité. Les différentes options privilégiées par la chercheuse tout au long du travail (méthodologie, périodes retenues, journaux sélectionnés, personnes interviewées) conditionnent fortement le contenu de cette étude.

Ainsi, la prise en compte de trois périodes historiques, couvrant plus d’un demi-siècle, a impliqué des choix. Il n’était en effet pas envisageable de viser l’exhaustivité ; de retracer l’évolution du journalisme de presse écrite de manière détaillée tout au long de ces années. Par contre, la profondeur historique et la nécessité de retourner aux origines de l’activité s’imposaient afin de comprendre les modalités d’émergence et l’évolution du métier de journaliste. C’est pourquoi des dates repères ont servi de balises. De ce fait, des pistes ont été privilégiées, au détriment d’autres, qui auraient pu faire émerger des perspectives alternatives.

L’approche comparative a également conditionné le regard porté sur le sujet d’étude. Il ne s’agissait pas de rédiger deux monographies, l’une concernant la RDC, l’autre concernant la Côte d’Ivoire. Il s’agissait de mettre en exergue les similitudes et les dissemblances des processus d’évolution du journalisme de presse écrite dans les deux Etats. En ce sens, l’approche se voulait globale et non exhaustive. Les éléments finalement retenus pour la comparaison sont tributaires de ce choix méthodologique.

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rapport à ceux déjà mis en avant par les personnes interrogées précédemment. Concernant les corpus de presse, seuls les articles jugés susceptibles de rencontrer l’objectif de recherche, c’est-à-dire notamment ceux qui apportaient des élements de réponse aux questions reprises dans les grilles d’entretien, ont été retenus.

Enfin, l’utilisation de la notion de « configuration » empruntée à Norbert Elias et qui constitue la clé de notre démarche comparative a été privilégiée car elle permet une grande souplesse dans la présentation de la comparaison, qui fonde la quatrième partie de ce travail. C’est précisément parce qu’il n’enfermait pas la réflexion dans des balises rigides mais autorisait la fluidité que ce concept a été adopté. D’autres concepts similaires (paradigmes, systèmes, formes, par exemple) auraient sans doute pu être utilisés pour éclairer notre objet, mais celui de « configuration » nous a semblé détenir un potentiel heuristique plus important.

Enfin, inévitablement, le positionnement de la chercheuse « étrangère », travaillant sur un environnement culturel qui n’est pas le sien, et provenant d’un pays ayant entretenu, avec l’un des deux terrains étudiés, une relation particulière et douloureuse, ne peut avoir manqué d’influencer les données collectées, en particulier à travers les entretiens. Le fait de travailler sur des productions écrites en français, émanant d’une élite intellectuelle s’exprimant de manière privilégiée dans cette langue, l’a dispensée des difficultés potentiellement liées à la langue (et à l’apprentissage des langues locales) dans la démarche ethnographique. Les journalistes congolais et ivoiriens s’expriment et se racontent en français, depuis que le métier a émergé. Cependant, au delà de la langue commune, le fait que la chercheuse soit une jeune belge âgée d’une trentaine d’années, a sans nul doute influencé l’attitude des acteurs rencontrés, l’interprétation des données et les conclusions avancées.

La recherche se fonde donc sur des choix personnels pour proposer une signification, parmi d’autres possibles, des termes « profession » et « journalisme », lorsqu’ils renvoient à la presse écrite de Kinshasa et d’Abidjan.

(23)

Structure de la recherche

Quatre parties : trois séquences temporelles, une comparaison

La présentation de la recherche adopte la chronologie des périodes retenues. Les trois séquences temporelles forment les trois premières parties. Pour chacune d’entre elles, les contextes congolais et ivoiriens sont spécifiquement détaillés.

Première partie : l’émergence du journalisme africain

La première partie présente la façon dont les Congolais et les Ivoiriens s’intéressent progressivement au journalisme de presse écrite durant la période qui va de la colonisation à l’indépendance.

Deuxième partie : le journalisme d’Etat

La deuxième partie étudie le journalisme, au Congo et en Côte d’Ivoire, durant la période qui va de l’indépendance à la libéralisation politique du début des années 1990.

Troisième partie : la (re)naissance du journalisme pluriel

La troisième partie analyse la nouvelle forme que revêt la profession depuis la libéralisation politique.

Etude des séquences temporelles : trois axes, trois échelles d’analyse

L’étude de la profession de journaliste – et donc toute comparaison de l’évolution de celle-ci à travers le temps et en des lieux différents – se heurte à la difficulté de délimiter un objet aux multiples facettes52. Afin d’aborder ces différents aspects, trois axes, qui constituent trois niveaux d’analyse, structurent la présentation des contextes congolais et ivoiriens relatifs aux périodes historiques prises en compte. Ils constituent des points d’attention communs aux

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époques et aux pays étudiés et sont destinés à mettre en évidence les éléments utiles à la comparaison.

§ Journalisme et société

Postulat : Le premier axe part du postulat selon lequel les journalistes, en tant que groupe professionnel, font partie d’un système de relations propre à la société dans laquelle ils évoluent. Ils modulent la pratique de leur métier en fonction de la place qui leur est attribuée ou en fonction de la place qu’ils pensent occuper en son sein.

Objectif spécifique : L’objectif spécifique de cet axe consiste à saisir le système relationnel qui existe autour des journalistes congolais et ivoiriens de presse écrite afin d’identifier les facteurs sociétaux qui influencent leur pratique. La professionnalisation des journalistes congolais et ivoiriens est en effet considérée comme un processus contingent de discours politiques qui leur sont extérieurs et de mutations globales dont ils ne sont que des acteurs indirects53

. La profession est analysée comme une réalité nécessairement dynamique, qui ne peut pas ne pas se transformer54

, de manière similaire à la société qui l’environne. La capacité des journalistes à agir sur ce système est évaluée afin de mettre en évidence les espaces de liberté négociés en son sein.

Niveau d’analyse : L’échelle privilégiée est celle de la société dans son ensemble. Il s’agit de découvrir la place des journalistes dans leur environnement social, politique et économique ainsi que l’influence de cet environnement sur leur pratique professionnelle.

Objets et méthodes : ce premier axe entend identifier les contraintes imposées aux journalistes et la façon dont ils les gèrent à travers l’analyse des corpus de presse et des entretiens. Les ouvrages historiques alimentent cette réflexion.

53 Ruellan Denis, Le journalisme ou le professionnalisme du flou, Saint-Martin d’Hères, PUG, 2007, p.op. cit., p. 207, se référant à la thèse de doctorat de Lévêque Sandrine, La construction journalistique d’une catégorie du débat public : Spécialisation journalistique et mise en

forme du social, Paris, Université Paris 1, 1996. Ces ouvrages traitent du journalisme en général et non spécifiquement du journalisme

congolais ou ivoirien.

54 Datchary Caroline, « Introduction : Pourquoi un autre journalisme est toujours possible », in Lemieux Cyril (éd.), La subjectivité

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§ Journalisme et identité collective

Postulat : Le deuxième axe part du postulat selon lequel le propre d’une communauté sociale est de produire des discours pour justifier ses actes55

. Ce sont les acteurs du groupe qui en construisent et en diffusent une certaine représentation56. Les discours collectifs des journalistes relatifs à leur profession en montrent les contours. Ils sont des traces des contextes propres à chaque époque et à chaque pays57

.

Objectif spécifique : En s’insérant dans la réflexion proposée par Thierry Perret, cette partie veut répondre à la question suivante : les journalistes se considèrent-ils « comme un groupe à peu près homogène, capable d’édicter ses règles et de diffuser de façon concertée en son sein les attitudes qui signalent ce qu’on entend par journalisme »58

? Elle veut comprendre les éléments qui définissent le journalisme en tant que profession.

Niveau d’analyse : L’échelle privilégiée est celle de la profession en tant que groupe.

Objets et méthodes : Ce deuxième axe entend identifier les discours émanant des journalistes, qui participent à la définition de la profession. Ils sont étudiés à travers les différents outils utilisés par leurs auteurs (articles de presse, manifestes, codes de déontologie, entretiens). Cette partie aborde également les formations relatives au métier de journaliste, dans la mesure où un groupe professionnel peut restreindre son accès et en délimiter les contours en déterminant son espace de qualification59

. La littérature relative à la sociologie du journalisme et des professions soutient ce deuxième axe.

§ Journalisme et projet individuel

Postulat : le troisième axe part du postulat selon lequel chaque journaliste perçoit le métier de façon subjective et est mu par des motivations qui lui sont propres. Ce choix est conditionné par un système d’opportunités de carrière et par des processus de socialisation60

. Il existe de grandes différences quant à la façon d’appréhender le métier entre les individus d’une même génération mais également entre les individus de différentes générations. Cette partie postule

55 Charaudeau Patrick, Les médias et l’information : L’impossible transparence du discours, Bruxelles, De Boeck, 2005.

56 Doray Pierre, Collin Johanne et Aubin-Horth Shanoussa, « L’État et l’émergence des ‘Groupes professionnels’ », Cahiers canadiens de

sociologie (1), janvier 2004, p. 85.

57 Voir Ruellan Denis, Nous, journalistes  : Déontologie et identité, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 2011. 58 Perret Thierry, « Court-traité de journalisme », op. cit., p. 86.

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que les acteurs d’un même groupe professionnel peuvent se retrouver dans des situations similaires mais adopter des comportements divergents parce qu’ils adoptent une autre « définition de la situation » 61

.

Objectif spécifique : L’objectif spécifique de ce troisième axe consiste à comprendre pourquoi certains individus deviennent journalistes.

Niveau d’analyse : L’échelle privilégiée est celle du journaliste en tant qu’individu.

Objets et méthodes : Cet axe entend décomposer l’unité de façade étudiée dans le cadre du deuxième axe, à l’aide des identités plurielles que laissent apparaître les individus, parfois en contradiction avec les discours collectifs émanant de la profession en tant que groupe. Cette partie veut mettre au jour la diversité des points de vue qui existent à l'intérieur d'une même profession ; diversité qu'il est possible de rapprocher des différents parcours sociaux62

, en inscrivant les biographies dans leur contexte63

. Une attention particulière est portée au parcours des journalistes, à leur motivation lors de leur entrée dans la profession, et à la façon dont les individus pensent leur rôle en tant que journalistes.

Les trajectoires de quelques journalistes sont étudiées grâce à des entretiens, notamment biographiques. Ceux-ci constituent principalement des témoignages directs ; les personnes concernées s’exprimant sur leur propre parcours. Quelques interviews sont également exploitées de manière indirecte ; lorsqu’un interlocuteur apporte son point de vue sur une tierce personne. Ces entretiens sont complétés par des informations à caractère biographique issues d’articles scientifiques, de monographies ou de corpus de presse. Les ouvrages relatifs aux carrières et à la socialisation des individus permettent de les mettre en perspective.

Partant des spécificités liées à l’exploitation des entretiens biographiques (voir p. 14), ce troisième axe relatif aux projets individuels des journalistes tient compte du fait que ceux-ci ne racontent pas leur vie de manière factuelle, mais qu’ils mettent en scène le sens de leur

60 Demazière Didier et Dubar Claude, Analyser les entretiens biographiques …, op. cit. Dubar Claude et Tripier Pierre, Sociologie des

professions, op. cit., p. 103. Dubar Claude, « Formes identitaires et socialisation professionnelle », Revue française de sociologie 33 (4),

octobre 1992, pp. 505-529. Lemieux Cyril (éd.), La subjectivité journalistique : Onze leçons sur le rôle de l’individualité dans la production

de l’information, Paris, EHESS, 2010.

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