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Yann Coridian. Illustrations d Anjuna Boutan. l école des loisirs 11, rue de Sèvres, Paris 6 e

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Le livre

Mon père dit qu’on va saluer Grand-Père Charles. Ça veut dire qu’on va au cimetière. Il est mort avant ma naissance, je ne l’ai jamais connu. Quand même, j’aime bien discuter avec lui, mentalement.

Sur sa tombe, il y a ce chat trop mignon, un peu bizarre aussi. À 8 ans, on ne croit plus aux fantômes. En tout cas moi, je n’y crois pas. Alors quand je découvre mon grand- père dans ma chambre, au milieu de la nuit, je n’ai pas peur, je suis surtout très curieuse…

L’auteur

Yann Coridian quitte l’école à seize ans pour s’engouffrer dans le cinéma par la petite porte. Après une multitude de métiers et autant d’expériences, il devient directeur de casting pour Noémie Lvovsky, Valeria Bruni-Tedeschi, Sylvie Verheyde et Sophie Fillières. Puis, il se lance  : il réalise son premier court-métrage en 2008, Le baiser, remarqué, salué et dûment récompensé. Il enchaîne avec l’écriture de Ouf, son premier long métrage sorti en 2013.

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Yann Coridian

Illustrations d’Anjuna Boutan

l’école des loisirs

11, rue de Sèvres, Paris 6e

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– Papa ? Tu sais que les femmes vivent plus longtemps que les hommes ?

– Oui. Et alors ? C’est formidable, non ? Comme tu es une fille…

– Papa ? Allô quoi ? – Ben quoi… ?

– Je te préfère à maman… Donc tu risques de mourir avant elle !

Mon père, qui est assis dans la cuisine, ne peut s’empêcher de sourire en coin. Je le vois bien, même s’il a instantanément cessé sa mimique pour me dire, l’air sérieux :

– Ma chérie ! Tu ne penses quand même pas ce que tu dis ? !

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– Ben si, papa, et c’est toi qui m’as appris à toujours dire ce que je pense.

Bien sûr que j’aime ma mère. Mais si je dois choisir… Alors, je préfère mon père.

– Et toi, papa ? Tu préférais qui ? Grand-père Charles ou grand-mère… ?

Mon père reste silencieux, les yeux perdus sur l’écran de son ordinateur portable. Je regarde son visage qui est un peu plus vieux qu’hier. Il a quelques poils blancs dans sa barbe mais ça lui va bien. Il a l’air pensif. Je me dis qu’il pense à son père qui est mort depuis dix ans maintenant.

Moi, vu que j’ai 8 ans, je ne l’ai jamais connu.

Subitement, je ne sais pas quelle mouche le pique, mais mon père se lève et me dit en défroissant son pantalon à pinces et en passant ses paumes sur ses cuisses de haut en bas :

– Ok, allez, viens, on va saluer grand-père ! – Ok, ok, on va au cimetière…

Pas de problème, je suis partante, mais je lui signale que je suis encore en pyjama.

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Faut que je me grouille pour ne pas lui lais- ser le temps de changer d’idée. En plus, il fait beau, je le vois par la fenêtre de la cuisine dans laquelle je termine de prendre mon petit déjeu- ner, et j’adore faire du scooter quand il ne pleut pas.

J’ingurgite d’une traite la fin de mon choco- lat chaud, et je m’essuie la bouche avec un tor- chon qui traîne sur le dossier d’une des chaises disposées autour de la table.

J’adore aller au cimetière voir mon grand- père, mais on n’y va presque jamais car mon père déteste. Ça le rend triste. Ça le déprime.

Alors clairement, aujourd’hui, c’est un grand jour !

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Chapitre 1 Balade entre les tombes

– … 111, 112, 113, 114, 115…

– C’est bon, non ? Tu ne peux pas compter dans ta tête ?

– Et alors ? J’ai pas vu de panneau d’interdiction de compter à haute voix.

– C’est un endroit de silence et de

recueillement, non ? Alors ça pourrait déranger les gens qui viennent se recueil- lir, justement… Tu comptes quoi, en fait ?

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– Le nombre de tombes entre l’entrée et celle de grand-père.

Je regarde en tournant sur moi-même et il n’y a vraiment personne ! Pas un chat ! Ah si, justement, il y a un chat trop mignon, blanc avec une tache rousse sur le bas de la gueule, on dirait qu’il a vomi son quatre-heures.

Il saute de pierre tombale en pierre tombale en se dirigeant vers nous. Il est maintenant à se câliner sur mes mollets. Je suis en jupe mais j’ai un collant, ça caille, on est en novembre et il fait beau mais froid. On est juste devant la tombe de mon grand-père Charles.

Mon père ne peut pas s’empêcher de regar- der le chat d’un air circonspect.

– Ils ont plein de maladies, les chats, à Paris, tu ne devrais pas le laisser se frotter à toi ; en plus, il a l’air d’avoir un truc sale au coin de la bouche…

– C’est une tache de poils d’une autre cou- leur, papa. Tu es venu sans lunettes ?

– Oui, enfin non, mais je ne les ai pas, je les ai oubliées.

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– Tu fais le coup chaque fois, papa…

– Oui bon, ben, c’est comme ça. On y va, non ?

– On vient à peine d’arriver.

– Je sais, mais ça me stresse, ici. Pas toi ? – Non, j’aime bien discuter avec grand- père…

– Ah, mais discuter, c’est-à-dire ?

– En fait, je lui dis des trucs par télépathie ; je lui parle de moi mais un peu comme un jour- nal intime, tu vois, quoi ? Et comme je n’ai pas envie que tu entendes, je le fais mentalement.

– Je vois… enfin, je comprends.

Mon père est planté devant la tombe de son père. Il ne dit rien. Il a les mains dans les poches de sa parka. Il devrait se raser. Il porte un bon- net, on dirait un pêcheur. Un de ceux qu’on trouve comme illustration sur les boîtes de thon à l’huile.

Il fait comme si ça ne le dérangeait pas d’être là, mais, au fond, je vois bien qu’il préférerait être ailleurs. Alors, je dis dans ma tête en regardant la

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tombe droit dans les yeux : « Bon, grand-père, on va filer, faut que je raccompagne ton fils, il est trop triste et trop stressé, mais, tu sais, c’est lui qui a eu l’idée de venir… La prochaine fois on res- tera plus longtemps, je te raconterai des trucs de l’école, de Brigitte, ma maîtresse, et de ma copine Salomé qui va porter des lunettes, allez, bisous. »

Puis je me tourne vers mon père alors que le chat blanc quitte mes jambes pour s’allon- ger avec grâce sur la tombe de Charles, comme pour ne pas le laisser seul après notre départ.

– T’as faim, ma poulette ? On va manger un hamburger ?

– Mais on vient de petit-déjeuner, il n’est même pas midi, c’est certain.

– On s’en fiche. Je connais un endroit qui en sert à toute heure.

– Mais maman va râler.

– On ne dira rien.

– Je ne sais pas mentir, papa.

– Contente-toi de te taire alors. J’en ferai mon affaire.

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Le chat pendant tout ce temps ne nous quitte pas des yeux. Il se lèche une patte, puis l’autre.

Je suis sûre qu’il nous suit du regard jusqu’à notre sortie par la petite porte verte de la rue Raymond-Losserand.

Mais comme je ne me retourne pas, je ne peux que le supposer.

Une moto passe en vrombissant. Le bruit d’enfer couvre à peine les gargouillis de mon ventre qui se prépare à engloutir un triple cheese bacon oignons…

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Chapitre 2 Pas dupe

On rentre après notre festin secret, et évidem- ment ma mère a préparé un bon déjeuner. Elle a même invité ma copine Salomé, Joséphine, sa sœur, et leur mère, Ève, pour me faire une surprise. Pas leur père, parce qu’il est au Japon en train de superviser la fabrication d’un avion monoplace pour particuliers, enfin un mini-avion qu’on peut tracter derrière sa voiture vu que les ailes se replient. Son père, c’est un designer.

Ma mère a cuit un poulet fermier avec des pommes de terre autour, préparé une soupe de potimarron en entrée et des cookies à la noisette et au chocolat en dessert.

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Ma mère, c’est une tueuse en cuisine. Même mon père qui n’est pas du genre à faire des com- pliments à qui que ce soit, et encore moins à elle, le reconnaît. Moi aussi, même si je préfère mon père à ma mère. Mais question cuisine, je m’incline, même si mon père se défend lui aussi.

Et nous, sans vergogne, on déboule repus, du ketchup au coin des lèvres.

La honte, quoi. La grosse honte.

Ma mère, qui ne veut pas perdre la face, fait l’innocente en nous demandant très gentiment :

– Comment c’était le cimetière, mes amours ?

Alors qu’elle sait très bien d’où nous venons : on pue la frite.

Mais elle nous fait passer à table directement, comme si de rien n’était.

Moi, je suis trop contente de voir mes copines, je saute de joie, on va parler de l’école, de Lenny, de la mort, des inventions de leur père et d’amour.

Mon père se force à manger, alors que, vu

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la taille du hamburger qu’il a avalé, de sa por- tion de frites et de sa glace, je ne sais même pas comment il est possible humainement de man- ger plus sans vomir.

Je repense au chat et à sa tache.

– Il aimait les chats, grand-père Charles ? Le silence se fait autour de la table. Je ne sais pas pourquoi, souvent, quand on parle des morts, tout le monde se tait et prend un air triste. Ma mère regarde mon père. Salomé regarde Joséphine.

Mon père se lève, un peu comme s’il allait faire un discours, puis se rassoit. Salomé rigole.

Moi aussi. Ça réchauffe l’ambiance.

– On ne va pas prendre un chat ! Moi vivant, c’est niet !

– Papa ! Il n’est pas question de prendre un chat, même si Salomé et moi on ne désespère pas que Oki, le sien, fasse un jour des petits, mais bon… Non, je voulais juste savoir si vous aviez un chat chez toi quand tu étais petit ?

– Oui, une chatte, Cléo.

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– … pâtre ?

– Non, Cléo, comme Cléo de 5 à 7…

– C’est qui, de Saint-Cassette ?

– Un film d’Agnès Varda, répond ma mère.

Avec Salomé, on ne l’a pas vu en tout cas.

Je vois bien que mes parents éludent la question épineuse d’avoir ou pas un animal de compa- gnie en me parlant cinéma. Mais tout vient à point à qui sait attendre, comme dirait Brigitte ma maîtresse quand on lui apporte son dessert à la cantine.

Mes parents discutent avec Ève, et nous, les enfants, on parle entre nous. Joséphine, qui est la plus âgée, nous explique un peu comment c’est le CM2, en nous décrivant surtout des garçons de sa classe. Salomé et moi, on n’est pas trop portées sur l’amour, enfin juste ce qu’il faut. C’est-à-dire, ok, on a un fiancé, mais c’est plus pour faire comme les autres. C’est un peu bébête d’ailleurs de faire comme les autres, mais bref…

Après le déjeuner, on joue toutes les trois

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au Lego dans ma chambre et on construit des poumons humains avec toutes les briques rouges que je possède. Normal, je veux être médecin.

Mon père a passé une tête, parce qu’on rigolait trop fort, et il a dit :

– Mais c’est quoi, ces deux crottes rouges en Lego ? Vous n’êtes pas bien, les filles…

C’est certain que lui ne va pas devenir méde- cin, vu qu’il n’est pas fichu de reconnaître un organe essentiel à notre survie ! Et puis, il est trop vieux pour changer de métier. Il n’a même pas son bac !

On a joué jusqu’à leur départ, vers 18 heures.

Le soir, au dîner, personne ne parlait trop.

J’ai repensé au chat sur la tombe, en l’imagi- nant dormant là, toute la nuit, veillant sur mon grand-père, et ça m’a plu. J’ai regardé mon père, je n’aime pas son air triste.

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Du même auteur à l’école des loisirs

Collection Neuf Mon chat sauvage Entre hommes Je veux rester fils unique Mon père, l’étoile et moi

Abel et la bête Mon royaume est un cheval

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© 2021, l’école des loisirs, Paris, pour la première édition

© 2021, l’école des loisirs, Paris, pour l’édition numérique Loi n° 49.956 du 16 juillet 1949 sur les publications

destinées à la jeunesse : août 2021 ISBN 978-2-211-XXXXX-X 978-2-211-31860-0

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