R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
J. R INGLER
Sur un petit problème pratique d’estimation en fiabilité
Revue de statistique appliquée, tome 36, n
o4 (1988), p. 25-32
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SUR UN PETIT PROBLÈME PRATIQUE
D’ESTIMATION EN FIABILITÉ
J. RINGLER
Ingénieur-Conseil
Lestimation du taux de panne d’un
dispositif
nonréparable
pourlequel
des résultatsémanant d’un essai de fiabilité sont
disponibles
conduitparfois
lespraticiens
à faireappel
àdes méthodes contestables. Cet article a pour
objet
de comparer les méthodes lesplus
utiliséeset de mieux
préciser
leurs conditionsd’applicabilité
en fonction de la nature des donnéesdisponibles.
Des recommandations sont fournies au niveau de la conclusion.Mots clés : Fiabilité, Essais, Estimation.
I. Introduction
Le but de cet article est de
présenter
unpetit problème pratique auquel
setrouve
régulièrement
confrontés les fiabilistes : ils’agit
de l’estimation du taux de panne d’undispositif
àpartir
de résultats d’essais. Soumis à ceproblème d’estimation,
certains fiabilistes fontappel
à telle ou telle méthode d’estimation concourant à des résultatsdivergents,
cequi
constitue à leurs yeux une anomalieflagrante.
Mon propos,
qui
n’a aucuneprétention quant
à lacomplexité
del’approche statistique utilisée,
a pourobjet d’apporter quelques
éclaircissements sur les deux méthodes d’estimation lesplus usuelles,
de les commenter etd’expliquer
sans aucuncalcul la raison
profonde
des écarts constatés sur les résultats. Il sera sans doute moins utile pour le statisticienprofessionnel,
rompu à l’art de l’estimation ...II. Le
problème
et la contradictionapparente
Le
problème
est en fait trèssimple
dans sonprincipe.
Ondispose
de résul-tats d’essais dans
lesquels
un nombre no dedispositifs
donnés - disons électromé-caniques -
ont été soumis à descycles
de fonctionnementidentiques pendant
unemême durée que nous
désignerons
par t. Ces résultats sont les suivants : kdispositifs (sur
les no audépart)
sont trouvés défaillants à la fin de l’essai.Lobjet
del’analyse
étant d’estimer le taux de panne par unité detemps -
disons par heure - de cetype
dedispositif
dans des conditionsanalogues
à celles del’essai,
les deux
approches
suivantes sontfréquemment
suivies par les fiabilistes :26 J. RINGLER
Première
Approche
Il
paraît
intéressant d’utiliser la relation directe entre les bornes inférieures etsupérieures
du taux de panne sous lerisque
a de 1reespèce
et les fractilesadéquats
de la variable du chi-deux à
(2k)
et(2k
+2) degrés
de libertésrespectivement,
soit :Deuxième
approche
Partant d’un modèle
probabiliste
detype binômial,
on calculepréalablement
àl’aide de la tabulation de ce modèle les bornes inférieures et
supérieures ri
et r, aurisque
ce de l’intervalle de confiance bilatéral de laprobabilité
de bon fonctionnement dudispositif
enquestion
au bout d’une durée t dans les conditions de l’essai. Cela étantfait, partant
de la relation :r(t) = e-03BBt,
endésignant
parr(t)
laprobabilité
de bon fonctionnement - oufiabilité - du
dispositif
àl’instant t,
on écrit alors defaçon
naturelle :Comme on
peut s’y attendre,
la valeur obtenue à l’aide del’expression (1)
ne coïncidepas avec celle donnée par
l’expression (2).
Lespraticiens
sontparfois
étonnés dela mise en évidence de cette contradiction
qui,
comme nous allons levoir,
n’estqu’apparente
àplus
d’un titre.III. Commentaires sur la contradiction
apparente
Présenté de cette
façon-là,
la contradictionapparente appelle
au minimum lesquestions
et les commentaires suivants :2013 A-t-on des raisons de supposer que la loi de mortalité du
dispositif
considéréest de nature
exponentielle?
2013 A-t-on
quelque
connaissance sur les dates de manifestation des pannes consta- tées en fin d’essai sur lesdispositifs
défectueux?2013 Dans tous les cas de
figure, l’expression (1)
donnant l’intervalle de confiance du taux de panne est erronéecompte
tenu du mode de réalisation del’essai,
comme on le verra
ci-après.
La
question
de savoir si la loi de mortalité dudispositif
considéré est exponen- tielle est évidemment trèsimportante.
En effet si l’on nedispose
pas de raisons suffi- santes(ex. :
résultats antérieurs émanant dedispositifs similaires)
pourétayer
cettehypothèse,
la notion de taux de panne constant doit céder le pas à celle de "taux de panneéquivalent" Àeq (t)
sur la durée d’essai t et dont un estimateurponctuel
estobtenu en écrivant :
soit :
A ce
sujet
il n’estpeut-être
pas inutile derappeler
que leconcept
de "lambdaéquivalent" peut
conduire à desextrapolations dangereuses lorsqu’on
oublie que la valeur associée à un telparamètre
n’a unesignification
que pour la durée d’essai t considérée : utiliser cette valeur dans un modèle nonexponentiel
pourprédire
lafiabilité du
dispositif
au bout d’untemps
tdifférent,
n’a apriori
aucun sens.La
figure ci-après,
volontairementexagérée,
illustre cette remarque(la prédic-
tion
correspondant
aupoint M2
s’écartant sensiblement de la réalité obtenueenM1) :
--- Loi de mortalité réelle mais inconnue
-
Loi artificielle à taux de panne constant
Àeq (t)
Pour résumer ce
premier point,
de deux choses l’une :2013 ou
bien,
parl’acquis
de donnéesantérieures,
on admet que le taux de panne dudispositif
est constant, et dans ce casl’expression (2) apparaît viable,
- ou
bien,
dans le casinverse,
on manque de connaissance sur la loi de mortalitéréelle,
et il semble alorspréférable
d’abandonner leconcept
de "lambdaéquivalent"
auprofit
de lasimple probabilité
de bon fonctionnement à t, dont l’estimation(ri, rs)
par intervalle de confiance sur le modèle binomial est valable. Dans ce dernier cas, touteprédiction
de la fiabilité de cedispositif
à uninstant différent de t devient naturellement illusoire.
Supposons
dans unpremier temps
que l’on ne connaisse pas les datesd’apparition
des pannes desdispositifs
défectueux. Autrementdit,
lesdispositifs
enpanne au cours de l’essai ne sont révélés défectueux
qu’au
bout de celui-ci. Dansces
conditions,
cette"ignorance"
des instants de panne nepermet point
de conforter- ou d’infirmer - le caractère
exponentiel
de la loi de mortalité dudispositif (e.g. :
lesdispositifs
révélés défectueux en fin d’essai étaientpeut-être
tombés en panne dès le28 J. RINGLER
début,
en-raison parexemple
de défauts de fabricationprésentant
desconséquences opérationnelles immédiates);
ilapparaît
manifestement que la durée cumulée not n’aplus
designification physique
euégard
auxdispositifs défectueux;
on nepeut
pasappliquer
la formule(1) qui
n’est valable que pour desdispositifs remplacés
immédiatement
après
l’occurence d’une panne.Dans ces
conditions, peut-on dire,
la contradiction doitdisparaître
d’elle-mêmepuisque
seule la formule(2)
reste viable dans l’absence de connaissance sur les instants de pannes.Mais supposons à
présent
que les dates d’occurence des pannes aient pu être relevées.Soit 11 ,
12 , ... , tk ces dates ordonnées defaçon
croissante.Alors,
en
supposant
que cette distribution n’est pas en contradiction avec celle d’une loiexponentielle,
onpeut
calculer l’estimateurponctuel
du taux de panne dudispositif
à
partir
de la fonction de vraisemblance :d’où,
en faisant~V ~03BB =
0 :Par
ailleurs, l’expression
correcte des bornes de l’intervalle de confiance bilatéral du taux de panne s’écrit alors :Revoici donc une nouvelle contradiction : car cette
fois,
la formule(5)
estapplicable
et conduit à un résultat différent de
celui, toujours applicable,
fourni par la formule(2).
Il en est de même pour les estimationsponctuelles
du taux de panne, car engénéral
le résultat donné par le formule(4)
est différent de l’estimation issue de celle du modèle binomial :la convergence entre les deux estimateurs
ayant
lieu toutefoislorsque
k « no.Il serait donc tentant, à
présent,
de chercher une nouvelle erreur d’estimationquelque part.
Etpourtant,
il faut bien admettre que les différentesexpressions
conduisant tant aux estimations
ponctuelles qu’aux
estimations par intervalles de confiance du taux de panne sont exactes. Les écarts d’estimation résident toutsimplement
dans le fait que les donnéesprises
encompte
dans l’une et l’autreapproche
sont trèsinégalement
riches.En
effet,
l’estimation fournie parl’expression (2)
neprend
encompte
que le résultat final de l’essai : il suffit de serappeler
que les valeursde ri
et rs, tout commer, reposent
sur lasimple
connaissance du nombre d’unités testées et du nombre dedéfectueux en bout d’essai. A
l’inverse,
dans les estimations dutype (4)
ou(5),
onprend
encompte,
outre le résultatfinal,
le cumul des durées de vie individuelles desdispositifs
tombés en panne avant la fin de l’essai.Il est donc manifeste que, si l’on maintient
toujours l’hypothèse
d’une loide mortalité
exponentielle
pour ledispositif considéré,
l’estimationponctuelle
dutaux de panne obtenue par
l’expression (4)
est "meilleure" que celle obtenue parl’expression (3).
Eneffet,
elle est d’unepart plus
"informative" - carintégrant davantage
de données - et d’autrepart plus
robuste car moins sensible auxfluctuations
d’échantillonnage importantes pouvant
survenir en fin d’essai.Ce
qui
vient d’être dit estégalement
valable en cequi
concerne les estimations par intervalles deconfiance,
de sorte que l’estimation parl’expression (5)
doit êtrepréférée
à celle donnée parl’expression (2).
Celasignifie qu’à
niveau derisque analogue
a, l’intervalle de confiance bilatéral fourni parl’expression (5)
doit êtreplus
resserré(car intégrant plus d’information)
que celui fourni parl’expression (2).
De telles considérations ne sont naturellementchoquantes
que pour les non- statisticiens ! Je mepermettrai juste
derappeler
à ces derniers que l’intervalle de confiance n’est rien d’autrequ’une plage
aléatoire associée enparticulier
auxrésultats
expérimentaux
obtenus. Iln’y
a doncplus
lieu de s’étonner que les intervalles de confiance annoncés soient différents.Cela,
enparticulier,
ne remet pasen cause l’exactitude de l’affirmation inhérente à la
compréhension
de l’intervalle de confiance : "En encadrant par cet intervalle leparamètre
inconnuqu’on
cherche àestimer,
on a seulement a % de chance de setromper".
Afin d’illustrer tout ceci par un
exemple numérique, imaginons
unplan
d’essaide 160 heures
auquel
10dispositifs identiques
ont été soumis. Au cours de cetessai,
8
dispositifs
sont tombés en panne aux heures suivantes :8 h-21 h-32 h-40 h-55 h-86 h-110 h-154 h
Il est facile de vérifier que ces résultats sont
compatibles
avecl’hypothèse
d’uneloi de mortalité
exponentielle (ce qui
ne fait pasl’objet
del’article).
Calculons àprésent
les estimateurs du taux de panne desdispositifs
testés avec chacune des deuxapproches précédentes :
30 J. RINGLER
- avec
intégration complète
des données :a Estimateur
ponctuel :
Soit :
w Intervalle de confiance bilatéral au
risque
10 % :Soit :
Soit :
- avec utilisation
préalable
de la loi binomiale basée sur les résultats en fin de l’essai :a Estimateur
ponctuel :
* Intervalle de confiance bilatéral au
risque
10 %La table de la fonction cumulée de la loi binomiale donne pour n = 10 et k = 2 :
r,
(0, 95)
=0, 507, ri (0,05)
=0, 0307.
Soit :
Sur le bilan de cet
exemple fictif,
onpeut
constater que les deuxapproches
conduisent à des estimateurs
ponctuels
voisins(9,68 - 10-3/h
dans lepremier
cas,
10,06 ’ 10-3 /h
dans lesecond),
cequi
traduit le fait que les résultatsexpérimentaux
lissent bien le modèleexponentiel
de bout en bout. En cequi
concerne l’estimation par
intervalle,
on obtient avec lapremière approche
uneplage plus
serrée(4,82 ’ 10-3 jh - 17,5 . 10-3/h)
que celle obtenue parl’approche
binomiale
(4,24·10-3/h - 20,60. 10-3/h)
au même niveau derisque
de 10 %. Celaest bien conforme à ce que nous disions
précédemment.
Afin de montrer la
plus grande
sensibilité aux fluctuations de l’estimation obtenue parl’approche binômiale,
supposons enfin que toutes choseségales
parailleurs,
l’essai ait été ensuitepoussé jusqu’à
300 h etqu’aucune
défaillance nouvelle n’ait étéenregistrée
sur les deuxdispositifs
restant. En se limitant à l’estimationponctuelle,
on obtient àprésent :
- avec
intégration complète
des données :- avec utilisation
préalable
de la loi binomiale :On voit ainsi que la variation relative de l’estimateur
ponctuel
du taux de panne est d’environ 25 % si l’onintègre complètement
lesdonnées,
alorsqu’elle approche
les 50 % si l’on utilise le modèle binomial évalué en bout d’essai. Un tel écart est évidemment fâcheux si l’absence
d’apparition
de défautsaprès
la se manifestation de panneenregistrée
n’est duequ’à
une fluctuationd’échantillonnage.
IV. En
guise
de conclusion Enrésumé, je
donnerai les conclusions suivantes :-
Lorsque
l’on nedispose
que de données brutes constatées en find’essai,
sans connaissance des instants de pannes, les seules estimations du taux de panne,
ponctuelle
ou parintervalle,
nepeuvent
être obtenues que par inversion de la formule :r(t)
=e-03BBt
enécrivant : 03BB = -1 t Logr(t).
Il faut
cependant
faire attention : si l’on n’a pas de solides raisons de penser que la loi de mortalité dudispositif
est de natureexponentielle,
les estimations ainsi calculées ne sont rien d’autres que celles d’un taux de panne"équivalent" qui peut
n’avoir aucune réalitéphysique
etqui,
enparticulier,
nepermet
aucuneextrapolation
sur l’estimation de la fiabilité du
dispositif
sur untemps
de mission différent de celuide l’essai. Je
suggère
donc laplus grande prudence
sur l’utilisation des taux de panne ainsi estimés.-
Lorsque
les instants de panne survenant en cours d’essai sont connus, il est avant tout nécessaire de tester, ne serait-ce que par unesimple approche graphique,
32 J. RINGLER
l’hypothèse d’exponentialité
de la loi de mortalité.Lorsque
cettehypothèse
s’avèreconfirmée,
ilapparaît
bienpréférable
d’estimer le taux de panne dudispositif
à l’aidedes formules
classiques
telles que(4)
et(5).
On bénéficie en effet d’un estimateurponctuel plus informatif,
carintégrant
l’ensemble des donnéesdisponibles
et d’unintervalle de confiance
(Ai , Ay)
devant êtreplus resserré,
à niveau derisque identique,
que ce que l’on obtiendrait par inversion de la loi binômiale en se basantsur les données brutes au terme de l’essai.
Il m’est ainsi apparu intéressant
d’apporter
cesquelques
réflexions à cepetit problème
d’estimation de fiabilité dedispositifs
nonréparés
au cours d’un essai.Il est à peu
près
évidentqu’un
telproblème
seraitsusceptihle
de donner lieu à desprolongements analytiques plus
élaborés - etpartant plus précis
-, mais il mesemble que, d’un
point
de vuepratique,
la nature de ces réflexionspeut
constituerune