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View of Jean-Max Colard, Une littérature d’après. « Cinéma » de Tanguy Viel

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IMAGE [&] NARRATIVE Vol. 17, No.3 (2016) 113

Jean-Max Colard, Une littérature d’après. « Cinéma » de Tanguy

Viel

Jan Baetens

Tout le monde reconnaît la grande nouveauté de Cinéma (1999), le roman de Tanguy Viel qui a brisé une fois pour toutes le carcan des « novellisations », pour introduire une forme d’écriture littérature « d’après », dans plus d’un sens du terme. Aujourd’hui, il ne serait que justice de reconnaître aussi l’intérêt capital de cette étude de Jean-Max Colard, qui expose d’une façon aussi lisible que parfaitement informée les enjeux de

Cinéma, aussi bien du roman de Tanguy Viel que du type d’écriture que ce texte contribue à défricher.

Dans Une littérature d’après, Colard se donne un triple objectif. L’analyse commence par élargir le

cadre de Cinéma en s’interrogeant sur les manières dont s’articulent, hier et aujourd’hui, les deux médias de la littérature et du cinéma. De façon plus précise, il met au jour le changement de leurs rapports de force, qui conduisent l’écriture à se penser de plus en plus en fonction du modèle cinématographique. Au début, la littérature a pu s’inspirer du langage du film pour introduire de nouvelles façons de raconter, de composer des créations poétiques ou encore d’explorer des mises en pages et des procédés typographiques inconnus. De plus en plus, toutefois, les hiérarchies se sont inversées et on voit la production littéraire s’inscrire au sein d’un dispositif culturel filmique qui l’intègre et, par cela même, la dépasse à plusieurs égards. La grande leçon de

Cinéma et de quelques autres textes qui apparaissent dans les mêmes années (Colard mentionne en premier

lieu les livres de Pierre Alferi et d’Olivier Cadiot) sera de montrer qu’il existe des possibilités d’aller plus loin, de trouver de nouvelles voies à l’écriture littéraire qui, sans revenir en arrière, c’est-à-dire à une époque où les modèles et le prestige de la littérature dominaient encore l’industrie cinématographique, arrivent à donner forme à des œuvres prenant le cinéma comme tremplin pour questionner la littérature elle-même.

En second lieu, Colard procède à une la lecture du texte même de Tanguy Viel, dont il déploie avec grande finesse les différents niveaux (roman, novellisation, réflexion sur le roman et la novellisation à l’ère du cinéma comme pratique culturelle dominante) tout en scrutant de façon non moins juste et sensible la trajectoire du lecteur ou, plus exactement des types de lecteurs à travers le roman bref et dense de Viel. Une attention particulière est donnée à la position du narrateur de Cinéma, dont Colard nous offre une lecture à la fois narratologique (comment raconte-t-il l’histoire, et quelle histoire ?), psychologique (quels sont les effets de la monomanie du narrateur ?) et médiologique (qu’est-ce qu’un narrateur cinéphile et quels sont les outils techniques dont il se sert, tant pour regarder son film fétiche que pour produire le texte qui parle de son obsession ?). Cette lecture de Cinéma est exemplaire de justesse et de concision. Sans jamais s’appesantir sur le texte même, Colard arrive à rehausser, mine de rien, les apports décisifs de l’expérience de Viel, dont il

Une littérature d’après. « Cinéma » de Tanguy Viel

Jean-Max Colard

Dijon : Les Presses du réel, 2015, 118 p, 15 euros ISBN : 978-2-84066-716-2

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donne une paraphrase originale qui prolonge habilement la paraphrase au cœur même de Cinéma (l’écriture de Viel relève d’une manière de paraphrase réfléchie et réflexive, et celle de Colard donne à cette démarche un tour d’écrou supplémentaire). L’analyse du roman de Viel déploie très bien la tension entre les deux sens de l’expression « d’après » qu’on découvre dès le titre du livre de Colard : voici donc une écriture « inspirée de », et partant secondaire (le roman de Viel s’appuie sur le film de Mankiewicz, il lui est inféodé, de tous points de vue), mais voici aussi une écriture « venant après » et qui donc s’émancipe de l’œuvre de référence (Cinéma n’est pas une simple novellisation, c’est un livre qui met à profit le travail du cinéma pour inventer une façon d’écrire inédite –et symboliquement sans image : le roman de Viel n’est pas illustré).

Enfin, Colard procède examine Cinéma à la lumière des mutations fondamentales qui affectent l’objet livre comme les nouvelles formes d’identité que construit la nouvelle médiasphère. La diffusion des formes de communication visuelle et numérique n’est pas en effet une transformation culturelle qui substitue à l’ancien modèle de l’écrit un nouveau modèle de l’image ou du tout-visuel. Elle conduit surtout à une métamorphose radicale de l’écriture, qui se fait intermédiale (le texte est désormais inséparable d’autres systèmes de signes et de médias, qui tous forment réseau), pour relever aussi d’une stratégie de post-production (la création, aujourd’hui, se pense et se pratique en termes de transformation d’autres œuvres, non pas de manière abstraite ou implicite, mais littéralement). Le glissement historique de la notion de « bibliothèque » à celle de « médiathèque » en est à la fois le symptôme et l’instrument, car il a sûrement contribué à l’accélération de ce bouleversement. Corollairement, c’est aussi notre rapport au texte et à l’œuvre, puis notre rapport à nous-mêmes qui subit de profonds changements. La culture contemporaine est moins une culture de consommation, comme il est dit encore trop souvent, qu’une culture basée sur le double mécanisme de la participation et de l’appropriation, dont Cinéma est un exemple privilégié mais nullement unique. Et les sujets qui pratiquent ces gestes déclinent toujours davantage leur biographie imaginaire non plus comme un récit (le sujet se construisant à l’aide du récit qui donne sens à sa vie) comme une « filmographie » (la liste hors récit d’une série de rencontres et d’identifications cinématographiques et autres).

En moins de 120 pages (mais Cinéma même n’en comptait que 128 aussi et on sent chez Colard le plaisir de coller à l’objet dont il parle), Une littérature d’après réussit le tour de force de faire comprendre les trois temps de la rencontre entre cinéma et écriture dans le roman de Tanguy Viel. L’avant : Colard dresse le tableau historique de l’impact du cinéma sur la littérature. Le pendant : il montre à l’œuvre la lutte d’un narrateur avec un objet filmique exceptionnel (ou rendu tel par l’écriture). L’après : son étude commence à esquisser le tableau de la littérature de demain qui se libère de la rivalité entre film et roman au moment d’entrer dans l’ère des remédiatisations en tous sens.

Jan Baetens est rédacteur en chef de Image (&) Narrative.

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