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L’écran argenté : étude sur l’utilisation du miroir au cinéma

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Academic year: 2021

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L’écran argenté.

Étude sur l’utilisation du miroir au cinéma, suivie de

l’analyse de Black Swan de Darren Aronofsky

Mémoire

Mélina Malo

Maîtrise en littérature, arts de la scène et de l’écran

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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RÉSUMÉ

Dans ce mémoire, nous cherchons à poser un regard nouveau sur le miroir, cet objet apparemment anodin, dont la présence au cinéma dissimule souvent un sens caché, ainsi qu’à démontrer, à travers l’élaboration d’une typologie des différentes fonctions du miroir, que la surface spéculaire se révèle souvent une clé d’interprétation importante pour saisir le sens d’un film à l’échelle du plan, de la scène ou de l’ensemble de l’œuvre. Nous tenterons, dans un premier temps, de définir et distinguer les modes de réflexivité du miroir au cinéma Ŕ concret, métaphorique, métacinématographique Ŕ pour ensuite les associer aux différents rôles que le miroir peut prendre dans les films. Enfin, nous proposerons une analyse filmique de Black Swan de Darren Aronofsky (2010), laquelle prendra appui sur l’étude des miroirs employés dans l’œuvre.

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TABLEDESMATIERES

RÉSUMÉ ... III TABLE DES MATIERES ... V REMERCIEMENTS ... VII

INTRODUCTION ... 1

PREMIÈRE PARTIE : MÉTHODOLOGIE ... 5

CHAPITRE PREMIER :APPROCHE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE ... 7

1. La notion de figure au cinéma ... 7

2. La figure du miroir au cinéma ... 9

3. Transparence et autres stratégies énonciatives ... 13

4. La réflexivité au cinéma ... 17 4.1 La réflexivité cinématographique ... 18 4.2 La réflexivité filmique... 18 4.2.1 La réflexivité hétérofilmique ... 19 4.2.2 La réflexivité homofilmique ... 19 4.3 Effets de lecture ... 19

5. Miroir et mise en abyme ... 20

6. Miroir et réflexivité ... 21

7. Quelques précisions terminologiques ... 22

DEUXIÈME PARTIE : TYPOLOGIE DES FONCTIONS DU MIROIR AU CINÉMA ... 25

CHAPITRE DEUXIÈME :FONCTION DIÉGÉTIQUE ... 27

Les fonctions du miroir au cinéma ... 27

1. Fonction narrative ... 27

2. Fonction comique ... 33

3. Fonction dramatique ... 34

CHAPITRE TROISIÈME :FONCTION SYMBOLIQUE ... 37

4. Fonction symbolique ... 37 4.1 Identité ... 37 4.1.1 Narcissisme ... 40 4.1.2 Dédoublement ... 44 4.1.3 Fracture identitaire ... 49 4.1.4 Démultiplication ... 56

4.1.5 Miroir noir, reflet obscur ... 58

4.2 Mensonge ... 62

4.2.1 Masques, jeux de rôles et mise en scène ... 64

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CHAPITRE QUATRIÈME :FONCTION RÉFLEXIVE MÉTACINÉMATOGRAPHIQUE ... 79

5. Fonction réflexive métacinématographique ... 79

5.1 Réflexivité cinématographique ... 79

5.1.1 Afficher le dispositif ... 79

5.1.2 Relation film-spectateur ... 86

5.1.2.1 Voyeurisme ... 86

5.1.2.2 La femme et le miroir écranique... 88

5.1.3 Miroirs « réfléchissants » ... 90

5.1.3.1 Dénoncer l’illusion cinématographique ... 92

5.1.3.2 Vérité-mensonge ... 99

5.2 Réflexivité filmique ... 100

5.2.1 Réflexivité hétérofilmique ... 101

5.2.2 Réflexivité homofilmique ... 101

5.2.2.1 Le miroir comme reflet de la structure du récit ... 101

5.2.2.2 Rendre sensible la forme filmique ... 110

5.2.2.3 Miroir et mise en abyme ... 114

TROISIÈME PARTIE : ÉTUDE DE CAS ... 117

CHAPITRE CINQUIÈME :ANALYSE FILMIQUE DE BLACK SWAN DE DARREN ARONOFSKY ... 119

1. Miroir et subjectivité ... 119

2. Black Mirror ... 122

3. De l’autre côté du miroir ... 125

4. Décalages ... 127

5. Miroir et mise en abyme ... 128

6. Entre le même et l’autre ... 131

7. Au-delà du miroir ... 133

8. L’Autre dans le miroir : emprunts intertextuels ... 136

9. Miroir et auto-allusions ... 154 10. Réfraction ... 158 CONCLUSION ... 161 BIBLIOGRAPHIE ... 167 FILMOGRAPHIE ... 175 ANNEXE 1 ... 179 ANNEXE 2 ... 181 ANNEXE 3 ... 183 ANNEXE 4 ... 185

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REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier sincèrement plusieurs personnes sans qui ce mémoire n’aurait pu voir le jour.

J’aimerais tout d’abord exprimer ma gratitude à mon directeur Jean-Pierre

Sirois-Trahan, que j’ai eu la chance de rencontrer pendant le baccalauréat, et qui n’a pas cessé,

depuis, de partager avec moi ses connaissances et sa passion pour le cinéma. Je le remercie grandement de m’avoir guidée durant ce projet et de m’avoir fourni de nombreuses pistes de réflexion et d’analyse lors de nos rencontres.

Je souhaite également remercier chaleureusement Richard St-Gelais, mon codirecteur, pour ses lectures attentives et ses conseils judicieux. Notre commun intérêt pour les procédés métafictionnels et la mise en abyme a donné lieu à des échanges enrichissants.

Je suis grandement reconnaissante à Jean-Marc Limoges, qui m’a incitée à entreprendre des études de deuxième cycle, et qui a généreusement accepté de lire et commenter ce mémoire.

Merci encore à Émilie Martz-Kuhn qui m’a transmis, à travers ses enseignements, son goût pour la recherche.

Je tiens à adresser un merci bien spécial à Nina Maryeski, dont j’ai fait la connaissance pendant le séminaire d’introduction à la maîtrise, une étudiante en théâtre qui m’a aimablement recommandé de visionner Black Swan après avoir appris que je m’intéressais à l’utilisation du miroir au cinéma.

Merci au Département des Lettres de l’Université Laval pour l’aide financière qui m’a été octroyée pendant mes études de deuxième cycle.

Un merci tout chargé de considérations à Élise Brouard, Julie Côté et Carolann

Claveau, avec qui j’ai développé de précieuses amitiés pendant mon parcours universitaire.

Merci bien sûr à mes amies de longue date, Émilie Careau, Anne-Sophie Larochelle et

Camille Lapointe qui sont pour moi des modèles de réussite et d’accomplissement.

Merci enfin à ma sœur Sarah et mon frère Renaud qui m’ont accompagnée tout au long de mes études.

Cette thèse est dédiée à mes parents Andrée et Gaëtan, ainsi qu’à mon compagnon

Dominic, qui m’ont soutenue et encouragée durant les périodes de doutes, comme dans les

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Quoi de plus paradoxal que cet objet par ailleurs fascinant qu’est le miroir […] Drôle d’objet en effet, qui a tôt fait de faire du sujet qui l’observe l’objet même d’observation.

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INTRODUCTION

Depuis Bazin, on a souvent parlé du cinéma comme d’une « fenêtre ouverte sur le monde ». Nous sommes plutôt d’avis que le « septième art » oscille entre deux pôles, qui pourraient être illustrés par la transparence de la fenêtre et la spécularité du miroir. Entre la transparence pure et la réflexion spéculaire absolue, le spectre des possibles est très large. Aussi chercherons-nous à démontrer qu’il existe différentes façons de comprendre le miroir dans les films. Par ailleurs, nous nous questionnerons sur la polysémie des mots « miroir » et « réflexivité », car celle-ci entraîne une confusion terminologique qui demande certaines précisions. Puisque le miroir n’est pas toujours « réflexif » au sens métacinématographique, nous nous demanderons de quelle « réflexivité » il est question lorsqu’il y a miroir au cinéma. La plupart des textes que nous avons répertoriés sur le sujet s’intéressent surtout à la signification du miroir dans tel ou tel film. À la lecture de ces articles, nous avons remarqué que certaines dimensions du miroir étaient évoquées fréquemment, alors que d’autres étaient complètement ignorées. Notre travail se démarquera des études précédentes par sa volonté de vouloir recenser les différentes fonctions du miroir au cinéma1.

Notre étude consistera en une analyse systématique des diverses occurrences du miroir au cinéma. Nous tenterons dans un premier temps de dégager les différentes fonctions du miroir dans les films en formulant une typologie qui sera ensuite mise à l'épreuve dans un chapitre consacré à l'analyse de Black Swan de Darren Aronofsky (2010). Nous chercherons à démontrer, par notre analyse, que la figure du miroir se révèle une clé d’interprétation importante pour comprendre le sens de l’œuvre. La raison pour laquelle nous n'avons pas choisi ce film comme seul objet d'étude est simple : bien que le film d'Aronofsky soit très riche en images spéculaires, les occurrences du miroir que l'on y trouve ne sont pas suffisantes pour illustrer la vaste étendue des possibilités qu'offre l'utilisation du miroir au cinéma. Comme le miroir n'apparaît généralement que dans un seul plan ou une seule séquence d’un film, nous devrons puiser nos exemples dans un corpus assez large. Il faut également préciser que notre typologie en est une de fonctions et que par conséquent il est tout à fait possible qu’un même exemple remplisse plusieurs rôles à la fois. Notre démonstration s’appuiera majoritairement sur des exemples tirés du cinéma contemporain, mais nous nous pencherons également sur

1 Bien sûr, il est possible que certaines avenues demeurent inexplorées. Notre intention est de présenter un

large éventail des possibilités qu’offre le miroir au cinéma, mais nous ne pouvons prétendre à l’exhaustivité. Ainsi, certaines dimensions du miroir seront traitées plus brièvement.

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plusieurs classiques. Mis à part Black Swan, les films choisis ne seront pas analysés dans leur ensemble ; nous étudierons plus particulièrement les scènes ou les séquences contenant des miroirs. Notons cependant que certaines œuvres seront citées plus souvent en raison des nombreuses surfaces spéculaires qu’on y trouve. Les miroirs auxquels nous nous intéresserons pourront prendre différentes formes : vitre, éclat de verre, étendue d’eau et autres surfaces réfléchissantes. Par ailleurs, nous nous pencherons, à l’occasion, sur les constructions en miroir à l’intérieur d’un film lorsque celles-ci seront matérialisées par la présence du reflet.

Le miroir a été largement étudié en peinture. On le retrouve dans les tableaux de Van Eyck, de Dalí et de Magritte, entre autres, mais c’est probablement Les Ménines de Velasquez qui a soulevé le plus de débats. Au cinéma, le miroir a fait l’objet de plusieurs articles, et une revue française (Cinergon, 2010) lui a récemment consacré un numéro, mais aucune étude n’a jusqu’à présent développé le sujet en profondeur. Plusieurs chercheurs s’intéressent au miroir dans sa dimension symbolique. Nombre d’entre eux remettent en question le pouvoir d’illusion de l’image spéculaire (AUMONT, 2001 ; NUEL, 2005 ; PLASSERAUD, 20072). D’autres analysent le miroir en tant que figure du double (LAVIN, 2010 ; ASTRUC 2010 ; AUMONT, 2001 ; NUEL, 2005). Jean-Marc Limoges, dont la thèse de doctorat porte sur la mise en abyme et la réflexivité au cinéma, s’intéresse quant à lui aux miroirs qui réfléchissent la caméra et aux configurations spéculaires infinies (2008). On retrouve également des textes plus techniques sur l’utilisation du miroir dans les films, par exemple « Le corps, le regard et le miroir » de Jean Châteauvert et André Gaudreault, article qui expose les principaux trucages utilisés lorsqu’on tourne une scène avec des miroirs. En outre, nous n’avons pas trouvé, au terme de nos recherches, de mémoire de maîtrise ou de thèse de doctorat qui s'intéressait exclusivement à la question du miroir au cinéma.

Pour établir notre typologie, nous parcourrons les différentes études citées précédemment et nous analyserons de nombreux films dans le but de relever les principales fonctions du miroir au cinéma. Dès le départ, nous tenterons de déterminer ce qu’est la figure du miroir. Pour ce faire, nous nous reporterons à deux ouvrages théoriques qui définissent la notion de figure : Figures, lectures. Logiques de l’imaginaire de Bertrand Gervais (2007), et

2 Les références bibliographiques des citations seront indiquées dans un renvoi entre parenthèses intégré au

corps du texte. Le renvoi sera composé du nom de l’auteur en majuscules, ainsi que de l’année de parution et du numéro de page, comme dans l’exemple suivant : (Metz,1991 : 87). Sauf indication contraire, tous les passages soulignés le sont par les auteurs cités.

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Psycho, de la figure au musée imaginaire. Théorie et pratique de l’acte de spectature de Martin Lefebvre (1997). En suivant la pensée de ces deux auteurs, nous établirons que le miroir peut être considéré comme une figure lorsqu’il remplit une autre fonction que celle que nous lui attribuons dans le quotidien. Nous verrons que le miroir est une figure complexe qui acquiert son sens dans la répétition, mais aussi dans la différence. Nous porterons donc notre attention sur la récurrence de la figure, mais aussi sur l’innovation qui ressort de son utilisation dans les différents films à l’étude. Pour situer les emplois du miroir que nous aurons recensés par rapport aux pôles de la transparence, de l’opacité et de la réflexivité, nous ferons appel aux théories de l’énonciation. Ainsi, nous mobiliserons les thèses de L’énonciation impersonnelle ou le site du film de Christian Metz (1991). Nous nous reporterons également à des ouvrages fondateurs de la critique, notamment à Qu'est-ce que le cinéma ? d’André Bazin (1975), afin de définir la notion de transparence. De même, nous nous réfèrerons à différents dictionnaires consacrés au septième art, comme Le vocabulaire du cinéma de Marie-Thérèse Journot (2008), dans le but d’établir une distinction entre les concepts de transparence et d’opacité. Comme une partie de notre mémoire portera sur la fonction « réflexive », nous nous devrons également de consulter les différents articles et ouvrages traitant de la réflexivité au cinéma. Nous nous réfèrerons entre autres au texte de Jacques Gerstenkorn qui s’intitule « À travers le miroir (notes introductives) » (1987), à l’ouvrage de Sébastien Févry qui a pour titre La mise en abyme filmique. Essai de typologie (2000), ainsi qu’à la thèse de doctorat de Jean-Marc Limoges ayant pour titre Entre la croyance et le trouble. Essai sur la mise en abyme et la réflexivité depuis la littérature jusqu au cinéma (2008). Notre argumentation s’appuiera également sur l’important ouvrage de Robert Stam, Reflexivity in Film and Literature : From Don Quixote to Jean-Luc Godard (1985), dans lequel le chercheur explore les différentes facettes de la réflexivité au cinéma.

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CHAPITRE PREMIER

APPROCHE THÉORIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE

1. La notion de figure au cinéma

Avant de détailler l’approche théorique et méthodologique sur laquelle prendra appui ce mémoire, nous nous devons de préciser notre objet d’étude. Aussi tenterons-nous de spécifier, dans un premier temps, ce que nous entendons par « figure du miroir au cinéma ». Pour bien comprendre la figure du miroir et ses enjeux, il nous faut d’abord définir ce qu’est une figure. Deux ouvrages nous ont permis d’explorer cette notion : Figures, lectures. Logiques de l’imaginaire de Bertrand Gervais (2007) et Psycho, de la figure au musée imaginaire. Théorie et pratique de l’acte de spectature de Martin Lefebvre (1997). Bertrand Gervais explique dans son livre que la figure est une structure signifiante résultant d’un processus d’appropriation : « Il ne peut y avoir figure […] que si un sujet identifie dans le monde un objet qu’il croit être chargé de signification. La figure ne se manifeste que dans cette révélation d’un sens à venir. […] [Elle] est le résultat d’une production sémiotique, d’une production imaginaire » (2007 : 19). L’auteur explique que la figure peut se manifester sous différentes formes : un objet, un texte, une image, ou toute autre trace perceptible. On peut la reconnaître, entre autres, à la particularité qu’elle a de pouvoir « "être appréhendée comme renvoyant à autre chose qu’elle-même" ». (J. Hillis Miller cité dans GERVAIS, 2007 : 31, nous soul.). Aussi retiendrons-nous de ce premier survol que la figure est un signe en attente d’interprétation puisqu’elle sollicite les facultés interprétatives du récepteur sans livrer immédiatement sa signification.

Mais par quel processus herméneutique la figure acquiert-elle sa signification ? Selon Gervais, la figure trouve son sens à travers les différentes étapes grâce auxquelles le récepteur lui attribue une valeur signifiante : « Quand nous nous approprions une figure, nous la mettons en relation avec d’autres formes symboliques, nous l’intégrons à notre imaginaire, nous l’interprétons en fonction de nos connaissances […], de nos expériences personnelles et de notre représentation du monde » (2007 : 32). La figure est déterminée par notre connaissance du monde, mais également par les différentes sphères de savoir avec lesquelles nous sommes en contact : culturelle, politique, artistique, etc. Martin Lefebvre, qui se questionne plus spécifiquement sur le pouvoir de la figure au cinéma, est d’avis que la figure « est un objet mental, une représentation intérieure, qui appartient au spectateur et dont l’émergence repose

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sur la façon dont ce dernier se laisse impressionner par un film, se l’approprie et l’intègre à sa vie imaginaire et à l’ensemble des systèmes de signes grâce auxquels il interagit avec le monde » (1997 : 11). Cette conception de la figure comme un élément filmique qui s’impose à l’esprit du spectateur s’apparente à la description du punctum de Barthes en photographie3.

Lefebvre établit d’ailleurs un parallèle avec les écrits de Barthes dans la conclusion de son ouvrage. L’auteur estime que tout comme le punctum, la figure ne se manifeste pas toujours : « ce ne sont pas […] tous les actes de spectature (et donc, tous les films) qui produisent une figure. Il y a des films qui ne me touchent pas, ne m’impressionnent pas » (1997 : 241). Ainsi donc, de manière semblable au punctum en photographie, la figure se définit comme un élément de représentation marquant qui a une résonnance dans l’esprit d’un spectateur.

Bien souvent, la figure s’insinue inconsciemment dans l’esprit de l’observateur, se frayant un chemin dans l’imaginaire, occupant de plus en plus d’espace, jusqu’à ce qu’elle devienne une véritable obsession. En effet, la figure est un symbole obsédant. Bertrand Gervais soutient que « [si la figure] s’impose à l’esprit […] elle ne peut que venir hanter le sujet qui la contemple [puisque c’est] le propre de la figure de fasciner, et cela, jusqu’à l’obsession » (2007 : 11-12). À ce sujet, Martin Lefebvre donne comme exemple la très célèbre scène du meurtre dans la douche de Psycho d’Alfred Hitchcock (1960) et il explique comment cette figure a marqué des générations de cinéphiles, en plus de traumatiser à jamais l’actrice principale du film (1997 : 19)4. Lefebvre nous dit que l’émergence de la figure dépend de la

relation qui unit l’œuvre et le spectateur : « le propre de la figure, c’est de faire rêver le spectateur, d’arrimer sa mémoire et son imagination à des images, à des sons, à un argument, de façon à les reconfigurer dans une nouvelle constellation sémiotique » (1997 : 117). Il ajoute que la « figure n’a rien d’immanentiste ; elle n’est pas une propriété filmique » (id.) et elle « ne peut être réduite, subordonnée à l’universel, […] on ne saurait la former en suivant une règle, ni

3 Roland Barthes, La chambre claire. Note sur la photographie, Paris, Gallimard : Seuil, 1980, 192 p.

4 Cela est d’autant plus étonnant que Janet Leigh a été remplacée par une doublure pour le tournage des plans

qui ne requéraient pas que l’on montre son visage, notamment les plans où le couteau semble pénétrer la peau de Marion Crane. Nous pouvons donc présumer qu’en tant que spectatrice Ŕ une spectatrice particulièrement disposée à subir les effets d’identification avec le personnage Ŕ Janet Leigh a elle aussi été marquée par la figure du meurtre sous la douche. Cette hypothèse semble confirmée par les propos de l’actrice : « It’s true

that I don’t take showers. If there’s no other way to bathe, then I make sure all of the doors and windows in the house are locked, and I leave the bathroom door open and the shower curtain or stall door open so I have a perfect, clear view. I face the door no matter where the showerhead is. […] Prior to Psycho I was a relatively normal bather, but after it was a different story. It wasn’t the shooting of the scene that caused the damage, it was seeing the film in its entirety later » (Janet Leigh et Christopher Nickens, Psycho. Behind the Scenes of the Classic Thriller, New York, Harmony Books, 1995, p. 131, cité par LEFEBVRE, 1997 : 19).

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prédire à l’avance son émergence. Elle est le produit d’une imagination singulière qui s’approprie la forme » (2007 : 104). Si la figure n’a rien d’immanent, pourquoi alors la scène de la douche de Psycho a-t-elle marqué l’ensemble des spectateurs, en plus de trouver une résonnance dans de nombreux films ? Il faut comprendre que le fait de filmer un personnage sous la douche n’a absolument rien d’effrayant en soi. Ce qui frappe et crée une empreinte dans l’imaginaire du spectateur, c’est la manière dont Hitchcock a choisi de représenter cette scène : le cadrage, le rythme du montage, le bruit du couteau, l’effet de martèlement, etc. Ainsi, la signification qui émerge de l’imaginaire du spectateur est résolument subjective, bien qu’elle soit guidée par un ensemble de savoirs établis par la culture. On aurait toutefois tort de croire que l’appropriation de la figure par le spectateur est sans intérêt. Au contraire, Martin Lefebvre croit fermement que les connaissances du spectateur permettent d’accroître le niveau de signification de l’œuvre : « Les différents savoirs que possède [le spectateur], savoirs théoriques (marxisme, psychanalyse, narratologie, histoire du cinéma et des genres filmiques, etc.) ou pratiques, sont utilisés non plus pour contraindre et restreindre la portée du texte filmique, mais participent à son enrichissement, à sa complexification » (1997 : 38). À ce sujet, Bertrand Gervais ajoute qu’une figure n’existe « qu’à partir du moment où un lecteur s’en empare pour [la] constituer en signe autonome et s’en servir comme base de ses propres projections et lectures, comme point de départ d’un processus symbolique » (2007 : 34).

2. La figure du miroir au cinéma

C’est exactement ce que nous entendons faire au cours de cette étude. Nous souhaitons saisir la portée significative de la figure du miroir au cinéma et surtout comprendre en quoi elle nous offre un angle d’analyse nous permettant d’enrichir l’interprétation de certaines œuvres cinématographiques. Dans un court article qui s’intitule « Le miroir au cinéma : de la figure au schème » (2005), Martine Nuel ouvre la réflexion sur la figure du miroir dans les films, et elle résume de manière très juste le mode de fonctionnement de celle-ci : « [La figure du miroir au cinéma] n’a pas un sens prédéfini, elle produit [sa signification] […][,] ce qui la distingue du symbole. […]. [Elle] court de film en film […] mais elle prend une dimension singulière et forte dans chaque œuvre » (2005 : 192). Notre tâche principale dans cet essai sera de comparer les différentes occurrences de la figure du miroir au cinéma dans le but de dégager les aspects formels qui les rassemblent, mais aussi ceux qui les distinguent, puisque, comme l’explique Philippe Dubois, la figure « renvoie à un régime de représentation qui recherche la modulation

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dans la structure, la différence dans la répétition, l’invention dans la récurrence » (DUBOIS dans AUMONT, 1998 : 269). La figure du miroir nous invite également à réfléchir sur l’art cinématographique. À ce propos, Philippe Dubois, qui s’intéresse à la figure de la tempête chez Epstein, soutient que la figure « engage la représentation dans une réflexion (au double sens du terme) sur ses propres fondements » (id.). Nous pensons que cette affirmation est particulièrement juste lorsqu’il est question de la figure du miroir, puisque celui-ci a le pouvoir de proposer une réflexion sur le cinéma en révélant le pouvoir d’illusion des images.

Cette faculté qu’a le miroir de retourner l’image sur elle-même et d’induire ainsi une réflexion sur le cinéma est l’une des raisons pour lesquelles nous avons développé un intérêt particulier pour cette figure. À cet effet, l’un des films qui nous a profondément marquée, et qui a probablement été l’élément déclencheur de notre fascination pour le miroir, est le film biographique non traditionnel I’m Not There (2007) de Todd Haynes. Sans pouvoir expliquer, à l’époque, pourquoi les nombreuses séquences exposant des miroirs avaient retenu notre attention, nous avions remarqué que les reflets s’y présentaient sous des formes variées (paroi murale, miroir triptyque, etc.) et qu’ils prenaient un sens singulier d’une séquence à l’autre. Nous avions été particulièrement impressionnée par un passage au cours duquel un miroir à volets renvoyait, l’un après l’autre, trois reflets pouvant être comparés à des vignettes de bande dessinée ou à des photogrammes défilant sur une pellicule cinématographique. C’est à ce moment précis que nous avons décidé d’entreprendre des recherches plus approfondies à propos du miroir et des nombreux rôles que celui-ci pouvait revêtir au cinéma.

Dans L’énonciation impersonnelle ou le site du film, Christian Metz consacre un chapitre entier à l’objet de notre fascination. Dans son texte, Metz avance l’idée selon laquelle les miroirs figurant dans les films peuvent être perçus comme des « variantes de l’écran second5, puisqu’ils isolent une "vue" à l’intérieur de la vue » (1991 : 79). Il précise également

que le mode d’action des miroirs « ne consiste pas à intercepter ou à laisser passer le regard, comme le font une porte ou un store, mais à le renvoyer à l’expéditeur, à le relancer » (1991 : 79). Ainsi, l’une des premières caractéristiques du miroir au cinéma est sa propension à renvoyer le reflet au spectateur, à retourner l’image sur elle-même, et ainsi troubler l’acte de

5 Metz définit l’écran second comme « une délimitation spatiale, une restriction visuelle, un marquage de

champ, une figure de l’image » (METZ, 1991 : 73). Il s’agira par exemple d’un cadre de porte, d’une fenêtre, d’un encadrement ou plus rarement, d’un écran au sens littéral. Ces écrans seconds auront pour effet « de mettre en évidence le [cadre] premier » (METZ, 1991 : 72).

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spectature. Metz dit qu’il s’agit alors de « réflexivité (pour le coup au sens littéral) comme ressort de l’énonciation » (1991 : 79). Non seulement le miroir renverse-t-il l’image, mais il délimite également un cadre second :

Tout miroir est un cadre, et délimite une portion d’espace. Tout miroir est comme une caméra (ou un projecteur), puisqu’il « lance » l’image une seconde fois, puisqu’il lui offre un second tirage, puisqu’il a un pouvoir d’émission. C’est bien parce que le cinéma lui-même est si riche en images spéculaires que l’imagerie des films est si prodigue en miroirs, et que ceux-ci y canalisent si souvent le parcours de l’énonciation. (METZ, 1991 : 82-83).

Excepté lorsqu’il est laissé dans le hors-champ, le cadre du miroir, plus particulièrement lorsqu’il est de forme rectangulaire, vient redoubler le cadre de l’écran en délimitant une seconde image dans l’image.

Dans son texte « Spéculations », Jacques Aumont attire notre attention sur le fait que le miroir qui apparaît sur l’écran de cinéma résulte toujours d’un geste délibéré (2001 : 6). En effet, la présence de miroirs implique bien souvent l’utilisation de divers trucages6 dans le but

d’éviter de filmer le reflet de la caméra. Aussi, la disposition du miroir dans le décor et l’angle de prise de vues doivent être pensés soigneusement. Puisque son usage demande autant de précautions, et que rien ne semble laissé au hasard, nous avons l’intuition que le miroir peut se révéler une clé d’interprétation majeure pour saisir certains aspects importants d’une œuvre. Dans son texte intitulé « Spéculations », Jacques Aumont nous rappelle que nous ne verrons « jamais l’envers des figures au miroir » puisque celui-ci « n’offre qu’un [seul] point de vue possible » (2001 : 5). Cette observation nous permet de rapprocher le miroir et l’image filmique, qui elle aussi dépend du point de vue de l’observateur.

L’image spéculaire a beaucoup à voir avec l’image filmique : celles-ci naissent toutes deux d’un regard et elles témoignent toujours d’une subjectivité, celle du sujet regardant7. En

outre, le pouvoir du miroir s’apparente beaucoup à celui de la caméra puisqu’il fragmente et divise son sujet. À ce propos, Philippe Choulet atteste que « se voir dans un miroir, c’est se voir en partie […], selon un certain angle et un certain point de vue » (CHOULET dans C.R.I.S.M., 1989 : 13). Selon lui, le miroir ne nous renvoie jamais autre chose qu’une vision de nous

6 Nous reviendrons, dans le troisième chapitre, sur ces différents trucages qui ajoutent une valeur symbolique

à la dimension illusoire du miroir, laquelle est souvent exploitée dans les films pour illustrer le mensonge des personnages.

7 Caroline Renard précise, à ce propos, que le miroir est un « espace délimité (cadré) et orienté (une seule

face) [qui] possède un point de vue et un contrechamp. Il suppose donc un regard, ou en tout cas un champ et un trajet visuels » (Caroline Renard dans Jean-Philippe TRIAS [dir.] Cinergon, 2010 : 265).

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incomplète et mutilée (id.). Par ailleurs, tout comme l’écran de cinéma, le miroir « ne restitue pas l’apparence de la réalité mais celle de son empreinte » (Daniel WEYL dans BLOCH et SCHNYDER, 2003 : 59), à la différence que le reflet spéculaire ne s’inscrit dans aucun support (à moins, bien sûr, qu’il se retrouve dans la trajectoire d’une caméra). On peut en conclure que le miroir entretient un lien très fort avec l’image filmique, bien qu’on ne puisse considérer ceux-ci comme équivalents (notamment en ce qui a trait à l’aspect sonore du cinéma8).

Le miroir possède la propriété d’élargir l’espace filmique en « ouvr[ant] sur un ailleurs, sur un infini » (Martine NUEL, 2005 : 203). On remarque cependant que cette tendance ne se limite pas seulement à l’emploi de la figure au cinéma, puisque dans le domaine de la peinture, la présence du miroir a généralement pour effet de troubler la dimension spatiale de l’espace représenté sur la toile. En effet, le miroir permet de capturer une portion d’espace supplémentaire, de l’autre côté du tableau, notamment à l’endroit où se trouve le peintre9. On

remarque toutefois que les deux formes d’art ne traitent pas les surfaces réfléchissantes de la même manière. L’utilisation du miroir au cinéma se distingue de son emploi en littérature ou en peinture par sa relation au temps et au mouvement, deux dimensions spécifiquement cinématographiques. À ce propos, Jacques Aumont soutient qu’au cinéma, les miroirs se révèlent souvent des trompe-l’œil10 qui reposent sur les « qualités de l’image en mouvement »,

soit « son cadrage » et « sa mise en scène » (2001 : 11). Le mouvement de la caméra est d’ailleurs ce qui permet au spectateur de détecter le leurre, par exemple, lorsque la caméra recule et révèle un miroir au spectateur trompé par le reflet.

Dans un texte intitulé « En quels sens les reflets du miroir existent-ils ? », Jean-Jacques Wunenburger note l’aspect éphémère du reflet qui « redoute la durée qui fait se mouvoir les formes, les entraîne loin les unes des autres, abolissant ainsi d’un seul coup l’image en miroir, sauf dans la représentation picturale dont le redoublement au carré permet, artificiellement, d’immobiliser le reflet » (WUNENBURGER dans C.R.I.S.M., 1989 : 168). Les propos de l’auteur attirent notre attention sur l’aspect paradoxal de la captation du reflet au cinéma : si le

8 On note également qu’à la différence du cinéma, qui repose sur le montage et la discontinuité, le miroir émet

en continu. Le miroir triptyque pourra toutefois imiter l’opération de montage lorsqu’un sens nouveau émergera de la juxtaposition des reflets projetés sur ses multiples facettes (sens que l’on ne saurait dégager des images prises individuellement).

9 On observe, à ce propos, que les reflets de peintres sont (curieusement) beaucoup plus fréquents que les

reflets de caméramans ou d’équipes techniques. Peut-être cette tendance s’explique-t-elle par le fait que la peinture n’autorise pas de contrechamp, au contraire du cinéma, sauf par le miroir.

10 L’auteur fait probablement référence aux plans au cours desquels le cadrage d’un miroir est dissimulé avant

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mouvement de la caméra menace de faire disparaître l’image réfléchie à tout moment, celle-ci permet également de fixer le reflet dans le temps. Au cinéma, le reflet est assujetti au mouvement, mais aussi au cadrage, à la profondeur de champ, à la lumière, au positionnement de la caméra, et aux déplacements des acteurs.

Nous utiliserons le concept de figure du miroir au cinéma pour désigner tout miroir physique (objet matériel) qui ne renverra pas uniquement à la matérialité du sujet reflété, ou, pour utiliser la formule employée par Martine Nuel dans un article consacré au miroir dans les films, tout miroir qui est « détourné de sa fonction utilitaire» (se mirer dans la glace), ou du moins, qui ne se « réduit [pas] à ce rôle » (2005 : 192). Il s’agit, comme nous l’avons mentionné un peu plus tôt, d’appréhender le miroir comme une figure dont le sens n’est pas arrêté et dont l’interprétation va au-delà de la signification littérale ou conventionnelle. Nous nous intéresserons également aux métaphores spéculaires, c’est-à-dire aux constructions qui évoqueront métaphoriquement l’inversion du miroir, à condition que celles-ci soient matérialisées d’une quelconque façon par la présence d’un reflet à l’écran. Puisque la figure est un signe ou une image qui acquiert sa signification à travers l’interprétation du spectateur, nous examinerons les diverses occurrences du miroir en tenant compte de plusieurs approches. Nous consulterons, entre autres, des ouvrages s’intéressant plus particulièrement à la dimension symbolique du reflet. Notre tâche sera donc de dégager les différentes occurrences du miroir dans les films et de les comparer afin d’identifier certaines fonctions qui permettront au spectateur de mieux comprendre l’étendue significative du miroir au cinéma.

3. Transparence et autres stratégies énonciatives

Historiquement, les artistes ont souvent privilégié l’esthétique de la transparence. On pense par exemple à Leon Battista Alberti qui décrivait le tableau comme « une fenêtre ouverte par laquelle on [peut] regarder l’histoire » (1992 : 115), à Stendhal qui comparait le roman à « un miroir qui se promène sur une grande route » (1964 : 361), ou encore à Bazin, pour qui le cinéma se présentait comme une « fenêtre sur le monde » (1975 : 166). Mais, qu’est-ce que la transparence exactement ? Les auteurs de L’esthétique du film définissent la notion de transparence comme une « esthétique particulière […] selon laquelle le film a pour fonction essentielle de donner à voir les événements représentés et non de se donner à voir lui-même en tant que film » (AUMONT et al., 1983 : 52). Marie-Thérèse Journot abonde dans le même sens dans Le vocabulaire du cinéma : « Dans une perspective réaliste, la notion de transparence

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définit un cinéma où le travail signifiant, au niveau du cadrage, du montage, du jeu de l’acteur, se fait oublier au profit de l’illusion de réalité » (2008 : 118). Si le concept de transparence désigne un cinéma qui cherche à masquer ses marques de production dans le but d’offrir une œuvre qui imite le réel, qu’en est-il de cet autre type de cinéma qui ne cherchera pas à camoufler les traces de sa production ?

Comme le souligne Jean-Marc Limoges dans sa thèse de doctorat, il existe deux options pour s’opposer à l’esthétique de la transparence, soit celles d’avoir recours à des configurations réflexives ou opaques (2008 : 93). Les concepts de réflexivité et d’opacité renvoient à des stratégies distinctes qui s’opposent à la transparence différemment. Pour aller à l’encontre de la transparence, le film pourra effectuer un retour sur lui-même ou sur le cinéma (réflexivité), ou encore empêcher la compréhension du sens en brisant la continuité du discours (opacité). Limoges résume cette opposition dans un tableau visant à départager le cinéma illusionniste du cinéma anti-illusionniste. Nous reproduisons ci-dessous la partie de ce tableau qui concerne plus spécifiquement la notion de discours :

Tableau 1

CINEMA « ILLUSIONNISTE »

(repose sur la continuité)

CINEMA « ANTI-ILLUSIONNISTE »

(repose sur la discontinuité)

DISCOURS Transparent

Détourne notre attention du discours en effaçant les traces de l'« énonciation » (de 1' « activité manipulatrice » et du « dispositif énonciatif »).

Réflexif

Attire notre attention sur le discours en affichant les traces du « dispositif énonciatif ».

Opaque

Attire notre attention sur le discours en affichant les traces de l'« activité manipulatrice ».

(2008 : 96).

Puisque la distinction entre la réflexivité et l’opacité proposée par Limoges repose sur la nuance qu’il établit entre « dispositif énonciatif » et « activité manipulatrice », il nous faut définir plus en profondeur ces deux formules afin que l’opposition entre les concepts apparaisse clairement. Le chercheur entend par « traces du "dispositif énonciatif" » tout ce qui nous permet de voir ou de sentir la présence des « machines » ou des « instruments » qui ont servi à produire le film (2008 : 92). L’« activité manipulatrice » désigne, quant à elle, les différents effets d’écriture qui brisent la linéarité du discours (faux raccords, alternance de plans en couleurs et d’images en noir et blanc ou toutes autres ruptures révélant la matérialité du discours) (2008 : 85-86).

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Nous emprunterons les catégories proposées par Limoges en tentant de démontrer que certaines configurations peuvent à la fois être considérées comme opaques et réflexives. Nous pensons, par exemple, au travelling arrière d’une caméra qui dévoile le contour d’un miroir. Ce type de prise de vue peut être considéré comme opaque puisque le mouvement de la caméra entraîne un bouleversement spatial qui brise la continuité du discours, mais il peut également être dit réflexif au sens où la révélation du trompe-l’œil rend sensible le mouvement et l’emplacement de la caméra dans l’espace. Autrement dit, même si l’opacité et la réflexivité sont deux stratégies qui s’opposent à la transparence de manière distincte, cela n’empêche pas qu’un dispositif « opaque » puisse également être considéré comme « réflexif ». Aussi choisirons-nous de représenter la tripartition entre la transparence, l’opacité et la réflexivité à l’aide d’un triangle (fig. 1).

Fig. 1

Dans « Spéculations », Jacques Aumont avance l’idée selon laquelle l’écran de cinéma pourrait être à la fois « opaque et réfléchissant », d’une part, et « transparent au monde », d’autre part, en étant « tantôt miroir, tantôt fenêtre ouverte » (2001 : 14). Aumont reprend ainsi la métaphore bazinienne du cinéma comme « fenêtre sur le monde » et l’oppose au miroir, qui lui, renvoie l’image, plutôt que de laisser passer le regard. La transparence de la fenêtre est ainsi associée à la transparence du discours, alors que le miroir devient la métaphore de la réflexivité. S’il est vrai que le miroir pourra, à certaines occasions, tendre vers le versant réflexif du cinéma Ŕ versant auquel il est souvent associé de manière métaphorique Ŕ, nous verrons qu’il pourra aussi tendre vers la transparence (traditionnellement associée à la fenêtre) ou l’opacité (dont la métaphore serait plutôt le verre dépoli). Par ailleurs, nous verrons que la surface d’une vitre n’est jamais totalement transparente, opaque ou réflexive et que selon l’éclairage, il sera possible de transformer une fenêtre en miroir. Précisons également que ces catégories correspondent à des pôles et que dans la pratique les déclinaisons sont infinies. En

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effet, au fil de notre démonstration, nous verrons que le miroir pourra être plus ou moins transparent, opaque ou réflexif d’une occurrence à l’autre, et même pour certaines occurrences, d’une interprétation à l’autre. Aussi, conviendrait-il mieux de représenter les axes reliant ces pôles à l’aide de flèches (fig. 2), de manière à remplacer la binarité de ces oppositions par un continuum.

Fig. 2

Selon les cas, l’usage du miroir correspondra, à divers degrés, à l’un ou plusieurs de ces pôles. Autrement dit, un même emploi donné du miroir dans une œuvre pourra combiner plusieurs de ces principes, selon la façon dont il sera appréhendé. Par exemple, la présence d’une surface réfléchissante à l’intérieur de l’espace filmique pourra rompre l’illusion de continuité à laquelle le spectateur est habitué, notamment en brisant la continuité du montage ou de l’espace (ex. : faux raccords, transgression de la règle des 180 degrés11), ce qui aura pour

effet de nuire ponctuellement à la compréhension de l’histoire. Puisqu’il deviendra un obstacle à l’intelligibilité du récit, ce type de miroir pourra être dit opaque. Un tel miroir pourra également être considéré comme réflexif s’il attire l’attention sur le dispositif énonciatif ou sur le discours cinématographique. Ce serait le cas, par exemple, d’un miroir que l’on emploierait pour briser la continuité du mouvement et ainsi induire une réflexion sur le cinéma.

Nous verrons, à d’autres occasions, que le miroir pourra également être utilisé, non pas pour empêcher la compréhension de l’histoire, ni pour amener le film à effectuer un retour sur le cinéma ou sur lui-même, mais plutôt pour favoriser la progression du récit, entre autres lorsqu’il sera employé de manière à fournir des informations essentielles aux spectateurs, ou encore lorsque sa dimension symbolique permettra d’illustrer un aspect de la psychologie des personnages. Ainsi, le miroir sera parfois employé dans un but narratif, comique ou dramatique, mais il pourra également jouer un rôle symbolique (représentation du double, du mensonge, de la fragmentation, du narcissisme, etc.). En bref, une même occurrence de la figure pourra être

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associée à une ou plusieurs fonctions et ainsi nous amener à des interprétations multiples et variées.

4. La réflexivité au cinéma

Dans Reflexivity in Film and Literature : From Don Quixote to Jean-Luc Godard, Robert Stam étudie le phénomène de la réflexivité au cinéma et en littérature. Selon l’auteur, « la réflexivité se manifeste dans les œuvres qui s’opposent à l’idée de l’art comme enchantement, et qui attirent l’attention sur leur facticité en tant que constructions textuelles » (1985 : XV, nous trad.). L’auteur estime que les œuvres réflexives « renversent l’hypothèse selon laquelle l’art est un moyen de communication transparent, une fenêtre ouverte sur le monde, un miroir que l’on promènerait le long d’une route »12 (1985 : XI, nous trad.). Avant de poursuivre notre

réflexion sur le rapport entre miroir et réflexivité, tentons de définir plus en détail ce qu’est la réflexivité exactement. Pour accomplir cette tâche, nous prendrons appui sur les travaux de plusieurs chercheurs, dont ceux de Jacques Gerstenkorn, Sébastien Févry et Jean-Marc Limoges.

Dans un texte fondateur sur la réflexivité au cinéma, intitulé « À travers le miroir » (1987) Ŕ texte qui sera repris et commenté par la suite dans les écrits plus récents des chercheurs cités précédemment Ŕ, Jacques Gerstenkorn s’emploie à définir le champ de la réflexivité au cinéma. Dès le départ, l’auteur émet une mise en garde :

Il faut d’emblée résister à la tentation des extrêmes : la tentation minimaliste, qui tend à réduire la réflexivité aux seuls films qui parlent explicitement de cinéma ; la tentation maximaliste pour laquelle aucun film (considéré globalement) ne saurait échapper à la réflexivité (mais à trop élargir cette notion, le risque est grand de la vider de toute pertinence) (1987 : 7).

Comme le souligne Gerstenkorn, le champ de la réflexivité peut apparaître très vaste et ses limites peuvent nous sembler confuses. Il importe donc de baliser son étendue. Selon le chercheur, la réflexivité se définit comme « un phénomène protéiforme dont le plus petit dénominateur commun consiste en un retour du cinéma sur lui-même » (id.). Autrement dit, la réflexivité désigne les différents « jeux de miroirs » qu’une œuvre cinématographique est en mesure d’entretenir avec elle-même. Gerstenkorn propose une typologie de la réflexivité au cinéma qui se divise en deux modes : la « réflexivité cinématographique » et la « réflexivité

12 Stam s’inspire ici d’une célèbre citation de Stendhal qui compare le roman à « un miroir qu’on promène le

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filmique » (id.). Ces deux catégories nous permettront de situer différentes occurrences du miroir.

4.1 La réflexivité cinématographique

La réflexivité cinématographique « consiste à afficher le dispositif [en inscrivant] dans le film des références au fait cinématographique » (id.). Gerstenkorn rassemble sous ce premier type de réflexivité cinématographique tous les films qui mettent en scène le cinéma, du point de vue de « sa production » ou de « sa genèse », mais aussi de sa réception. Il se réfère entre autres aux œuvres qui racontent l’histoire d’un tournage ainsi qu’aux films qui ont pour sujet le parcours d’un acteur ou d’une actrice. De même, l’auteur considère que les œuvres cinématographiques qui exposent la relation entre film et spectateur relèvent de cette catégorie13. Parmi les exemples énumérés par Gerstenkorn se retrouvent The Producers, 8½, Le

mépris, La nuit américaine, Sunset Boulevard, Sherlock Jr. et The Purple Rose of Cairo (1987 : 7-8). Nous nous intéresserons, pour notre part, à tous les miroirs grâce auxquels le dispositif cinématographique apparaîtra à l’écran, ainsi qu’aux surfaces spéculaires qui seront utilisées de manière à réfléchir la relation entre le spectateur et l’écran de cinéma.

Selon Gerstenkorn, la réflexivité cinématographique se remarque aussi dans les films qui, par différents procédés, attirent l’attention sur le discours filmique. L’auteur fait ici référence à « tous les effets d’écriture qui rendent sensible le filmage ou qui affichent, fût-ce insidieusement, leur appartenance au langage cinématographique » (1987 : 8). Nous verserons au compte de cette catégorie les miroirs trompeurs qui seront filmés de manière à souligner le mouvement de la caméra, ainsi que les surfaces réfléchissantes dont la présence aura pour effet de perturber la continuité du montage en bouleversant les orientations spatiales.

4.2 La réflexivité filmique

La réflexivité filmique renvoie quant à elle à tous les liens qui peuvent se tisser entre une œuvre et d’autres œuvres, mais elle désigne également les modalités autoréflexives des œuvres qui se reflètent elles-mêmes. Gerstenkorn propose de nommer réflexivité hétérofilmique le premier cas de figure et réflexivité homofilmique le second.

13 Gerstenkorn admet également dans cette catégorie les œuvres qui traitent du rapport entre le cinéma et le

spectateur de manière métaphorique, comme c’est le cas par exemple de Rear Window (1954). Il soutient cependant que si certaines « métaphores réflexives » se présentent de manière claire et délibérée, il existe également des cas plus ambigus (1987 : 10).

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4.2.1 La réflexivité hétérofilmique

La réflexivité hétérofilmique concerne tous les liens transtextuels qui peuvent se tisser d’un film à l’autre : intertextualité (remake, hommage, allusion, citation, parodie) et hypertextualité (dérivation, imitation, transformation). Gerstenkorn ne mentionne pas s’il inclut dans cette catégorie le domaine des suites Ŕ communément appelées sequels ou prequels Ŕ que Genette, dans Palimpsestes (1982 : 229-233), range au sein de l’hypertextualité. Jean-Marc Limoges se penche sur ce phénomène dans sa thèse de doctorat lorsqu’il aborde la question des films en série, en s’intéressant plus particulièrement aux œuvres qui incluent en leur centre des références aux opus précédents, ou encore aux éventuels films à venir, configurations réflexives auxquelles le chercheur donne le nom de « mises en abyme transcendantales » (2008 : 192-194). Limoges fournit entre autres comme exemple la mise en abyme de Baisers volés (F. Truffaut, 1968) dans Domicile conjugal (F. Truffaut, 1970) (2008 : 192).

4.2.2 La réflexivité homofilmique

Quant à la réflexivité homofilmique, elle se manifeste dans les films qui proposent un « reflet » d’eux-mêmes. Gerstenkorn soutient que le commentaire est un bon exemple de ce type de réflexivité, mais le théoricien semble accorder davantage d’importance à la mise en abyme. Cette deuxième catégorie de réflexivité filmique nous permettra de nous interroger plus précisément sur les surfaces spéculaires qui attirent l’attention sur la forme ou sur la structure de l’œuvre, ainsi que sur les miroirs qui soulignent la présence de constructions en abyme.

4.3 Effets de lecture

Si certains procédés réflexifs sont clairement affichés dans la représentation, d’autres configurations résultent plutôt d’effets de lecture et relèvent, comme l’explique Gerstenkorn, « de la responsabilité et du talent de l’analyste » (1987 : 10). Ceci est particulièrement vrai dans le cas des configurations réflexives hétérofilmiques, puisque le spectateur devra posséder une culture cinéphilique pertinente pour être en mesure de repérer les emprunts et les échanges qui s’effectueront d’un film à l’autre. Gerstenkorn estime que la réflexivité « n’est pas une propriété du texte filmique ». Notre discours se veut un peu plus nuancé. Nous pensons, qu’à l’instar de la figure, la réflexivité est une propriété du texte ouverte à l’interprétation du lecteur. Si ce n’était pas le cas, il s’agirait de surinterprétation. Notons toutefois, comme le souligne

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Gerstenkorn, que les configurations réflexives ne parcourent pas toujours l’ensemble de l’œuvre à l’étude et qu’elles peuvent se manifester à travers « des effets d’écriture plus fins, à l’échelle du plan ou de la séquence » (1987 : 10). Par ailleurs, le chercheur spécifie qu’un même effet filmique peut être associé à différents modes ou types de réflexivité. Aussi tenterons-nous de démontrer dans les prochains chapitres qu’une même occurrence du miroir dans un film donné peut participer à la fois de plusieurs formes de réflexivité.

5. Miroir et mise en abyme

Théoriciens et chercheurs ont associé le miroir au procédé réflexif de la mise en abyme à maintes reprises depuis l’apparition de celle-ci : André Gide, qui a été le premier à évoquer le concept, en l’inscrivant dans la tradition de l’art héraldique, exprimait dans son Journal son intérêt pour les œuvres d’art à l’intérieur desquelles le sujet était transposé à « l’échelle des personnages » (1932 : 511). Il donnait entre autres comme exemple l’emploi de petits miroirs convexes dans les œuvres picturales (id.). Depuis cette première définition sommaire de la mise en abyme donnée par Gide, différents écrits ont contribué à associer l’image du miroir à cette configuration autoréflexive : « le miroir coïncide avec une structure de récit, […] aussi bien dans la peinture que dans la littérature, mais revivifiée par le cinéma : c’est la mise en abyme » (SCHEINFEIGEL, 2010 : 9-10) ; « d’entre tous les objets, le miroir [a] une propension à mettre en scène un récit second, une autre histoire » (Edward Branigan cité dans GAUDREAULT et CHÂTEAUVERT, 1996 : 102, les aut. trad.) ; « si la mise en abyme peut se définir comme un narcissisme, la micro-histoire qu’elle produit […] est un miroir » (RICARDOU, 1967 : 182) ; « Le cinéma, qui s’inscrit dans la tradition picturale de la mise en abyme, utilise souvent le miroir pour induire une réflexion sur l’image » (NUEL, 2005 : 191). Lucien Dällenbach, qui établit une typologie des différentes configurations possibles de la mise en abyme dans Le récit spéculaire, s’inspire, pour sa part, de la spécularité du miroir pour proposer la définition suivante : « est mise en abyme tout miroir interne réfléchissant l’ensemble du récit par réduplication simple, répétée ou spécieuse » (1977 : 52). Selon le théoricien, les deux termes peuvent aisément être considérés comme équivalents : « L’usage de la plupart des critiques témoigne suffisamment du caractère interchangeable de la mise en abyme et du miroir pour qu’il soit permis de les confondre et de baptiser récit spéculaire tout texte recourant à notre procédé » (1977 : 51). Pour éviter la confusion terminologique, nous retiendrons, pour notre part, une version moins imagée de cette définition, qui provient également des écrits de

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Dällenbach. Nous qualifierons donc de mise en abyme toute œuvre « entretenant un lien de similitude avec l’œuvre qui la contient » (1977 : 18). Précisons que ce rapport d’inclusion ne concernera pas exclusivement le film dans le film14, comme le suggérait la définition de la mise

en abyme formulée par Metz dans L’énonciation impersonnelle (1991) : « Présence d’un film second, et qui est le même » (1991 : 94-95). Cette définition est, à notre sens, beaucoup trop restrictive, car elle ne prend pas en compte les multiples configurations possibles de la mise en abyme. À l’instar de Dällenbach, mais aussi de Sébastien Févry, Marc Limoges et Jean-Pierre Sirois-Trahan, nous croyons plutôt au « métissage » et estimons que « [l]e support sur lequel repose l'œuvre réfléchissante [peut] […] être différent de celui sur lequel repose l'œuvre réfléchie » (LIMOGES, 2008 : 257). Les œuvres emboîtées auxquelles nous nous intéresserons pourront donc se présenter sous la forme d’un film, d’un tableau, d’un livre, ou de toute autre forme artistique. Notons également que seuls les films dans lesquels le miroir servira à souligner les liens de similitude entre l’œuvre emboîtée et l’œuvre emboîtante retiendront notre attention dans cette partie de notre analyse.

6. Miroir et réflexivité

Comme le souligne brièvement Sébastien Févry dans La mise en abyme filmique, « si la mise en abyme et le miroir sont souvent associés à la thématique du reflet, ils ne réfléchissent cependant pas le film de la même manière » (2000 : 27). Puisque les différents miroirs apparaissant à l’écran ne permettent pas toujours au film d’effectuer un retour sur lui-même ou, plus largement, un retour sur le septième art, nous nous sommes demandé de quelle réflexivité il est question lorsqu’on traite du miroir au cinéma. Nous avons remarqué que le miroir est souvent employé dans son acception métaphorique pour désigner d’autres phénomènes ou concepts reliés à l’énonciation et, plus particulièrement, à la réflexivité au cinéma. Dans L’énonciation impersonnelle ou le site du film (1991), Metz compare le miroir et l’écran. Nous venons aussi de voir que Gerstenkorn, définit la réflexivité en termes de « jeux de miroirs », idée que l’on retrouve également dans la thèse de doctorat de Jean-Marc Limoges. Bien que cette ambiguïté terminologique puisse entraîner une certaine confusion, elle témoigne de la richesse du mot « miroir », et ouvre la porte à une analyse de cette figure aux significations multiples et variées.

14 Dispositif auquel s’intéresse plus particulièrement la chercheure Dominique Blüher dans sa thèse de

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7. Quelques précisions terminologiques

L’ambiguïté du terme « miroir » découle en grande partie de la complexité sémantique du mot « réflexion », à la fois employé dans les domaines de l’optique et de la pensée. Selon le Dictionnaire historique de la langue française Ŕ Le Robert, le mot « réflexion » est d’abord un terme optique, issu du XIVe siècle, employé pour désigner « le phénomène par lequel la lumière est renvoyée par un obstacle » (par exemple, le miroir). Il possède également un sens cognitif, plus métaphorique, qui caractérise le « retour de la pensée sur elle-même en vue d’examiner et d’approfondir une donnée de la conscience spontanée (1637, Descartes) » (id.). La définition de la réflexivité au cinéma (la réflexivité au sens métacinématographique dirons-nous) prend appui sur cette idée du retour sur soi de la pensée. Il faut donc distinguer dans un premier temps le sens physique de la réflexion (acception que nous qualifierons de « sens concret ») et le sens figuré, qui a été repris par les théoriciens de la littérature et du cinéma pour désigner la réflexivité (au sens métalinguistique).

De même, on remarque une ambiguïté sémantique en ce qui concerne la notion de reflet. Le terme est d’abord utilisé pour parler d’un « phénomène de réflexion produisant une image quelque peu affaiblie de la lumière, de la couleur renvoyée par un corps ou une surface réfléchissante » (Grand dictionnaire des lettres Ŕ Larousse). Le mot s’emploie également au sens figuré. Il désigne alors une « image plus ou moins affaiblie d’une chose considérée dans ses traits les plus marquants » (id.). Si le mot « reflet » apparaît dans un premier temps comme le résultat de la réflexion au sens optique, et rejoint ainsi la notion de réflexivité au sens concret, son utilisation au sens figuré renvoie plutôt à une définition de la réflexivité au sens métaphorique. Cette seconde définition de la réflexivité procède sur le mode de l’analogie.

Il importe également de souligner que même s’il est vrai que le miroir sera toujours réfléchissant au sens donné par la physique (objet « qui a la propriété de réfléchir la lumière, l’image », Grand dictionnaire des lettres Ŕ Larousse), il arrivera à de plus rares occasions qu’il devienne réfléchissant au sens figuré (« qui a la faculté de réfléchir, qui fait preuve de réflexion ») lorsqu’il sera employé dans le film de manière à proposer une réflexion (au sens métacinématographique) sur le cinéma et ses procédés (ex : détournement de la règle de 180 degrés, discontinuité du mouvement).

Ces distinctions sémantiques nous auront permis de dégager les trois types de réflexivité associés au miroir :

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1) Réflexivité concrète (sens littéral) : le miroir réfléchit physiquement quelque chose qui appartient au champ ou au hors-champ (et non au hors-cadre). Nous traiterons de ce type de réflexivité lorsque nous aborderons les fonctions narrative, dramatique, et comique.

2) Réflexivité métaphorique : le miroir réfléchit un aspect de l’œuvre au sens figuré. Nous nous réfèrerons à cette forme de réflexivité lorsqu’un des enjeux du film sera associé, de manière symbolique, à une caractéristique ou une propriété de la surface spéculaire (inversion, duplication, fragmentation, etc.). La réflexivité métaphorique se manifestera principalement à travers la fonction symbolique du miroir.

3) Réflexivité métacinématographique : le miroir permet au cinéma d’effectuer un « retour sur lui-même ». Ce troisième type de réflexivité associé au miroir pourra se manifester selon les deux modes de réflexivité définis par Gerstenkorn : réflexivité cinématographique (le miroir réfléchit ce qui est hors-cadre Ŕ la caméra, la perche, etc. Ŕ ou rend sensible le filmage) et réflexivité filmique (intertextualité Ŕ utilisation semblable du miroir d’un film à l’autre Ŕ ou mise en abyme Ŕ miroir qui attire l’attention sur la structure en emboîtement de l’œuvre).

Le miroir sera donc toujours réflexif, dans un premier temps, au sens physique. Dans un deuxième temps, il pourra également, selon le contexte dans lequel il sera employé, être réflexif au sens métaphorique, ainsi qu’au sens métacinématographique.

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D

EUXIÈME PARTIE

:

T

YPOLOGIE

DES FONCTIONS DU MIROIR AU CINÉMA

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CHAPITRE DEUXIÈME

FONCTION DIÉGÉTIQUE

Les fonctions du miroir au cinéma

Lorsqu’on parcourt les différents textes et études portant sur la figure du miroir dans le cinéma et les autres arts, on prend vite conscience de la vaste étendue des thématiques qui s’y rattachent : identité, narcissisme, dédoublement, fragmentation, mensonge, etc. Le but de ce chapitre est de répertorier les diverses fonctions du miroir dans les films, en prenant appui sur ce qui a été dit sur le sujet, afin de dégager les possibilités de cette figure. Pour chacune des fonctions, nous chercherons dans un premier temps à définir le rôle du miroir, pour ensuite étudier son fonctionnement en analysant différents extraits de films.

1. Fonction narrative

Nous avons établi au chapitre précédent que la réflexivité du miroir se déclinait de trois manières : concrète, métaphorique, métacinématographique. La première fonction dont il sera question dans cette typologie repose sur les propriétés réflexives du miroir au sens concret, c'est-à-dire au sens physique. Il s’agit de la fonction narrative. Différents cas de figure sont reliés à cette fonction et ils nous amènent à nous questionner sur le rôle que peut jouer le miroir en ce qui concerne la progression du récit et le point de vue emprunté par la caméra.

On remarque tout d’abord que le miroir est souvent utilisé au cinéma pour dévoiler de l’information et faire progresser le récit, de telle sorte qu’une nouvelle action sera entreprise par les personnages. Nous pensons par exemple à une scène tirée du film Mr. Nobody, (2009) de Jaco Van Dormael, dans laquelle le miroir permet au personnage principal de lire une mention écrite inversée. Dans la séquence en question, Nemo Nobody15 (Jared Leto) tente de s’orienter dans une ville étrange à l’intérieur de laquelle différents indices lui sont acheminés pour lui permettre de poursuivre sa route. Parmi ces indices se retrouve un message numérique défilant au haut d’un immeuble. D’abord incapable de lire ce qui est écrit sur le panneau lumineux parce que les lettres défilent à l’envers (fig. 1), Nemo réussit à déchiffrer le message en

15 Le choix du nom et du prénom du personnage n’est pas anodin puisque « nemo », en latin, signifie

« personne », entendu au sens de l’expression anglaise « nobody ». Cette précision linguistique nous permet de constater que le nom et le prénom du personnage se reflètent en miroir.

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observant le texte indirectement grâce à un miroir transporté par deux hommes dans la rue (fig. 2). L’inversion spéculaire ayant rétabli l’ordre et la forme des lettres, Nemo parvient à saisir la signification du message déroulant qui lui dicte de lire le journal (« Nemo, read the Newport News16 ») (fig. 3). Nemo se servira de la même astuce pour lire le message d’un

biscuit chinois inscrit à l’envers (fig. 4-6). En retournant l’image sur elle-même, la surface réfléchissante permet au personnage, ainsi qu’au spectateur, d’accéder à un savoir supplémentaire qui relancera le récit en déclenchant de nouveaux événements qui feront avancer l’intrigue.

Fig. 1 Fig. 2 Fig. 3

Fig. 4 Fig. 5 Fig. 6

L’un des principaux avantages de l’utilisation du miroir au cinéma tient au fait que celui-ci offre la possibilité d’ouvrir l’espace filmique sur le hors-champ. L’objet spéculaire s’acquitte alors, selon Christian Metz, de la fonction que nous lui attribuons dans la vie de tous les jours : celle d’élargir le champ sur un espace autre, « à la fois proche et séparé » (1991 : 80). Certains films misent sur ce pouvoir d’ouverture du miroir sur le hors-champ afin d’attirer l’attention sur une action ou un geste qui aura un impact majeur dans le déroulement de l’histoire. C’est ce qui ce produit dans The Ice Storm du réalisateur Ang Lee (1997) lorsqu’Elena Hood (Joan Allen), une mère de famille qui semble ne rien avoir à se reprocher, se fait prendre en train de voler un article au dépanneur. C’est par le biais d’un miroir circulaire convexe que le propriétaire du commerce s’aperçoit du méfait (fig. 7). On remarque tout d’abord que l’utilisation du miroir est motivée par la diégèse : sans la présence du miroir dans cette scène, le propriétaire qui se trouvait derrière le comptoir-caisse n’aurait pas été en mesure d’apercevoir le délit d’Elena.

16 Le personnage et le journal portent des noms dont les initiales sont chaque fois « N. N. ». Il semblerait que

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