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Pépite | La réalité virtuelle dans la prise en charge des distorsions corporelles chez les patientes anorexiques

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Academic year: 2021

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(1)

1 UNIVERSITÉ DE LILLE

FACULTÉ DE MÉDECINE HENRI WAREMBOURG

Année : 2020

T H È S E P O U R L E D I P L Ô M E D ' É T A T D E D O C T E U R E N M É D E C I N E

LA REALITE VIRTUELLE DANS LA PRISE EN CHARGE DES

DISTORSIONS CORPORELLES CHEZ LES PATIENTES

ANOREXIQUES

Présentée et soutenue publiquement le 21/10/2020 à 16h

Au Pôle Formation

Par Rim MEKKI

_______________

JURY

Président :

Monsieur le Professeur Olivier COTTENCIN

Assesseurs :

Monsieur le Professeur Guillaume VAIVA

Monsieur le Docteur Ali AMAD

Directeur de thèse :

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3

Avertissement

La faculté n’entend donner aucune approbation aux opinions émises

dans les thèses : celles-ci sont propres à leurs auteurs.

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5

Liste des abréviations

APA : American Psychiatric Association AM : Anorexie Mentale

BSE : Body Size Estimation

CDRS : Contour Drawing Rating Scale

CIM : Classification Internationale des Maladies

DSM : Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders IMC : Indice de Masse Corporelle

IRMf : Imagerie par Résonnance Magnétique Fonctionnelle RV : Réalité Virtuelle

TCA : Troubles du Comportement Alimentaire TOC : Trouble Obsessionnel Compulsif

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6

Table des matières

INTRODUCTION : ...10

I) Perturbation de la représentation corporelle dans l'anorexie mentale féminine ...15

A) Généralités ... 15

1) Histoire de l'anorexie ... 15

2) Étiopathogénie de l'anorexie mentale ... 18

3) Evolution et pronostic ... 26

B) Schéma corporel, image corporelle et troubles associés : définitions des concepts ... 30

1) Le schéma corporel et l’image du corps ... 30

2) Représentation sensori-motrice, structurelle et conceptuelle du corps ... 33

3) Atteinte de la représentation corporelle dans l’anorexie ... 36

4) Conséquences des perturbations de la représentation corporelle dans l’anorexie ... 39

C) Distorsion corporelle, altérations perceptives multimodales et émotionnelles ... 40

1) Le déficit d’intégration sensorielle ... 41

2) Altération de la conscience intéroceptive et émotionnelle ... 46

3) Théorie du verrou allocentrique et corps objectivé ... 54

II) Insatisfaction corporelle : quelle influence socioculturelle ? ...63

A) Corps et société ... 63

1) Le corps : un symbole culturel ... 63

2) D'une image corporelle négative allocentrique à la honte corporelle ... 65

B) Pression socio-culturelle : un facteur de risque des troubles de l’image corporelle ... 68

1) Intériorisation de l’idéal de minceur ... 68

2) Norme de beauté ... 69

C) Rôle des médias ... 69

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7

2) Internet ... 73

3) Magazines ... 76

4) La mode ... 77

5) Irréalité de l’image, un idéal inatteignable ... 79

D) Une exposition précoce ... 81

1) Le phénomène Barbie ... 82

2) Un véhicule d’inquiétude ... 83

E) La comparaison sociale ... 84

III) Réalité virtuelle : historique et apport dans l’anorexie mentale ...89

A) Un média récemment mis au service de la prise en charge des pathologies psychiatriques ... 89

1) Définition... 90

2) Historique ... 90

3) Thérapie par exposition en réalité virtuelle et TCC ... 91

4) TERV en pratique ... 92

B) Réalité virtuelle et TCA ... 94

1) Histoire ... 95

2) Résultats dans les TCA ... 95

3) Intérêt dans la prise en charge des distorsions corporelles de l’anorexique : ... 99

IV) Etude sur l’intérêt de la réalité virtuelle dans la prise en charge des distorsions corporelles dans l’AM ... 105

A) Justificatif et hypothèse ... 105

B) Méthode ... 108

1) Participantes ... 108

2) Objectif et critères de jugement ... 108

3) Procédure ... 109

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8 C) Résultats ... 115 D) Discussion ... 116 CONCLUSION : ... 118 BIBLIOGRAPHIE : ... 121 ANNEXES ... 141

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9 « Expression d’un nouveau « malaise dans la civilisation », l’anorexie place notre société face à ses contradictions : celles d’un système qui pousse à la fois à une approche déréglée des jouissances de la consommation, tout en portant au pinacle les valeurs de la performance et de la maîtrise de soi. Aujourd’hui, ces valeurs trouvent leur incarnation, si l’on peut dire, dans la représentation de corps filiformes, diaphanes, transparents, exerçant sur les murs de nos villes, dans les pages de nos magazines, sur les écrans de nos ordinateurs, leur pouvoir de fascination délétère sur toute notre société. Derrière le triomphe ambigu que ces images mettent en scène, derrière la victoire apparente remportée par l’être humain sur sa corporéité, se cache, en réalité, la défaite d’une culture plus que jamais obsédée par son corps, et plus que jamais soucieuse de le faire disparaître. Tout se passe désormais comme si notre société confondait deux homonymes : éthique avec un h, et étique, sans h, l’adjectif qui désigne la maigreur mortifère des saintes et des anachorètes. De fait, nous savons bien que les adolescents et les adolescentes en proie à cette maladie qu’est l’anorexie connaissent les mêmes transports, le même délire de toute-puissance dont les écrits des grands mystiques du passé nous ont laissé le témoignage. Le paradoxe de l’anorexie réside précisément dans le rôle qu’elle fait jouer à la volonté. L’anorexie se donne les apparences d’une volonté pure, où la raison triomphe sur le corps, dans une indifférence parfaite aux contraintes que nous imposent les soins à lui donner, mais aussi au plaisir qu’ils nous procurent. La pulsion de vie est entièrement absorbée par la pulsion de mort. »

Extrait de la charte sur la lutte contre l’anorexie : Déclaration de Mme Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative, sur la lutte contre l'anorexie, à Paris le 9 avril 2008 .

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INTRODUCTION :

Dans le référentiel de psychiatrie et d’addictologie, les troubles du comportement alimentaires (TCA) sont définis par l’existence de perturbations significatives et durables de la prise alimentaire. La notion de seuil significatif pour parler de comportements pathologiques, est établie en tenant compte du contexte culturel, de l’intensité des perturbations, de la souffrance psychique, de leurs conséquences sur le plan médical général, et des conséquences sociales.

Il s’agit de pathologies chroniques, multifactorielles, complexes qui sont sous tendues par une vulnérabilité biologique, psychologique, génétique, et par des facteurs d’environnement, familiaux mais également socioculturels, qui constituent des facteurs prédisposants, précipitants et pérennisants, relevant de prises en charge pluridisciplinaires coordonnées, requérant l’intervention de plusieurs catégories de professionnels et de diverses approches, tant familiales qu’individuelles, dans le cadre de dispositifs spécialisés. (1)

La classification DSM-5 de l’American Psychiatric Association retient l’existence de 3 grands TCA (2):

- l’anorexie mentale (ou anorexia nervosa) ; - la boulimie (ou bulimia nervosa) ;

- l’accès hyperphagique ou hyperphagie boulimique (Binge-Eating Disorder).

Nous ciblerons essentiellement notre propos sur l’anorexie mentale (AM), largement connue du grand public, surtout du fait de sa composante visuelle et par sa médiatisation. (1)

Malgré que la population masculine puisse représenter jusqu’à 25 % des sujets atteints de TCA selon le NICE (National Institute for Health and Care Excellence) en 2017, nous nous focaliserons sur la pathologie féminine et userons majoritairement du féminin dans la suite de ce travail. (3)

(11)

11 En termes de prévalence vie entière en population générale, l’anorexie mentale est évaluée entre 0,1 et 3,6%, avec une incidence variant selon l’âge, atteignant 270 cas pour 100 000 personnes-années (p-a) chez les jeunes filles de 15 à 19 ans alors qu’en population générale elle est évaluée de 6 à 20 pour 100 000 p-a.

L’incidence semble stable sauf pour les jeunes adolescentes. On constate entre 2010 et 2016 une augmentation de 8,6 % pour les 10-14 ans.

Cette pathologie touche préférentiellement les femmes, avec un sex ratio de dix femmes pour un homme. (4)

Selon un rapport de l’INSERM, l’âge de début de l’anorexie mentale est en moyenne de 17 ans avec deux pics de fréquence observés vers 14 et 18 ans bien qu’il existe des formes rares tardives apparaissant aux alentours de 40 ans et des formes pré-pubères. (5)

L’anorexie mentale serait ainsi plus fréquente chez les adolescentes, se révélant souvent pendant la puberté, période clé de l’autonomisation sociale et de la sexualisation durant laquelle les individus sont focalisés sur l’image du corps et de soi.

L’AM devient un réel enjeu de santé publique par sa fréquence, mais également du fait de sa mortalité. Il s’agit en effet d’une maladie grave, à la mortalité élevée. Si l’on compare à une population de même âge, le risque de décès toutes causes confondues est multiplié par 5. Par ailleurs, le taux standardisé de décès par suicide s’évalue entre 18,1 et 31, constituant alors la cause de décès la plus fréquemment rapportée (3). Il s’agit de plus du trouble psychiatrique avec le taux de mortalité le plus élevé, devant la schizophrénie et le trouble bipolaire.

Il existe aujourd’hui un consensus pour identifier l’anorexie mentale selon des critères diagnostiques précis. On utilise pour la recherche et la pratique clinique 2 classifications: le DSM nord-américain et la CIM 10, présentant dans leur approche des points communs et des divergences.

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12 conduisant à une maigreur secondaire à une restriction alimentaire, caractérisée par un poids inférieur à la norme pour le sexe la taille et l’âge, une peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, une perturbation de l'image du corps, une estime de soi excessivement influencée par sa silhouette et la non reconnaissance de la gravité du poids bas actuel et de la gravité des troubles (2).

Parmi ces manifestations cliniques, un symptôme majeur est la perturbation de l’image corporelle. Sa présence chez un sujet souffrant d'AM constitue un facteur pronostique essentiel par le biais de surestimation corporelle induit et qui est à l'origine de la mise en place de boucles renforçatrices des conduites anorectiques (6,7).

Selon un rapport de l’INSERM (2014), bien qu'environ la moitié des patientes atteintes d'anorexie mentale se rétablissent complètement, environ 30% n'obtiennent qu'une récupération partielle et 20% restent chroniquement malades (5).

Il n’est pas rare que l’obsession métrique pour certaines parties du corps persiste, malgré le mieux être psychique et somatique des patientes, et conduit ainsi à une rechute dans la maladie.

Les programmes de soins actuels, recommandés par la HAS, sont centrés sur l’aspect somatique, nutritionnel, psychologique individuel et familial (8). La question de la distorsion corporelle dans les protocoles de soins est peu prise en compte.

Il semble donc opportun d’ajouter aux thérapeutiques déjà mises en place, d’autres outils, notamment ceux issus de la réalité virtuelle qui contribue depuis plusieurs années aux prises en charge des pathologies psychiatriques. L’apport de cette technologie dans l’anorexie mentale et plus précisément sur l’altération de la perception corporelle est de plus en plus étudié et pourrait constituer un levier thérapeutique intéressant. Cette technologie offre de nouvelles ressources pour étudier, évaluer et traiter ces perturbations, contribuant ainsi à accroître les connaissances et la gestion clinique des perturbations de l'image corporelle.

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13 conscience des qualités métriques de son corps par feedback visuel (9) mais également de donner un aperçu rassurant à la patiente de son évolution pondérale (10). Ces projections virtuelles vont agir comme un arrière fond sur lequel pourra progressivement s’inscrire de nouvelles expériences de représentation de soi.

Ce nouvel outil technologique pourrait s’avérer précieux pour le traitement de la distorsion corporelle (11-15) notamment en amenant des ouvertures que les programmes en réalité quotidienne ne permettent pas.

Après avoir tenté, en appui de la littérature, d’éclairer la question de la représentation corporelle et de ses atteintes chez les patientes anorexiques, c’est au rôle de l’influence socio-culturelle sur l'insatisfaction vis à vis du corps, que nous nous intéresserons. A la lumière d’études nous pointerons ensuite l’intérêt que peut avoir la réalité virtuelle dans la prise en charge de patientes souffrant d’anorexie mentale et plus précisément sur les distorsions corporelles que présentent fréquemment ces patientes, et enfin nous présenterons au travers d'une étude menée auprès d’un échantillon de huit patientes souffrant d’AM, un protocole de soins immersif novateur utilisant cette technologie.

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PARTIE 1 :

Perturbation de la représentation

corporelle dans l’anorexie mentale

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I) Perturbation de la représentation corporelle dans

l'anorexie mentale féminine

A) Généralités

1) Histoire de l'anorexie

Depuis l’antiquité « Anorexia » signifiant en grec « perte d’appétit », est connue. Elle revêtait alors une origine divine. Dès le Vème siècle, des descriptions anciennes de cas s’apparentant à l’anorexie sont retrouvées. (16)

Au Moyen-âge, les jeûneuses étaient vues soit comme possédées et condamnées au bûcher soit comme des saintes. En effet à cette époque, des cas d'anorexies mystiques ont été décrites, avec notamment au XVème siècle, celui de Catherine de Sienne “patronne des anorexiques”, par Jacques Maître (17). Elle prononça des vœux de chasteté, refusa son mariage, se coupa les cheveux, puis présenta une anorexie restrictive avant de décéder en 1380 de dénutrition (18). Elle était dans une négation de son corps et de ses souffrances, donnant des explications religieuses à son comportement. Elle fut canonisée en 1461.

C'est à la Renaissance que l’anorexie a commencé à être considérée comme une maladie, même si le motif surnaturel restait la principale explication (19).

A la fin du XVIIème siècle, différentes appellations et conceptions ont alors été soumises pour la définir. Richard Morton en 1689, la caractérise de «phtisie ou consomption nerveuse» et la distingue de la «phtisie tuberculeuse». (20)

Au XIXème siècle le concept d’anorexie mentale apparaît et on lui confère une origine psychiatrique. Marcé en 1860 a fait une description clinique et

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16 psychopathologique de patientes atteintes selon lui de délire hypocondriaque, de la « conviction délirante qu’elles ne doivent pas, ne peuvent pas manger » (21).

Lasègue, en France, caractérise le trouble par la triade «anorexie, aménorrhée, amaigrissement», et par le terme «d’anorexie hystérique» à cause de la perversion mentale qui s’y rapporte, selon lui, et de l’indifférence des patientes vis à vis de leur anorexie. (20,22)

Gull W. en 1873 (Angleterre), appuie sur l’origine psychique de la pathologie en la renommant «anorexia nervosa» c’est-à-dire «perte d’appétit d’origine mentale». (20,23)

A la fin du XIXème siècle, des théories psychanalytiques posent des hypothèses quant à l’origine le trouble. Bon nombre d’auteurs dont Charcot (1885) et Freud (1893), font le rapprochement avec d’autres affections psychiatriques comme la mélancolie ou encore l’hystérie. L’anorexie mentale n’est alors pas reconnue comme une pathologie à part entière. (20)

De manière contemporaine, les avancées endocriniennes prêtent à l’AM une autre origine. Avec la découverte, par Simmons De Hamtony (1914), de la cachexie hypophysaire, on la classera dans les troubles endocriniens. Il faudra attendre 1938, avec les travaux de Sheeman pour que l’AM soit différenciée des amaigrissements secondaires aux cachexies d’origines endocriniennes. (20,24)

Russell décrit un changement de l’appréhension de l’anorexie entre 1930 et 1980. Il note une augmentation de l’incidence, ainsi qu'une modification de la psychopathologie avec plus de préoccupations sur le poids et la peur d’être gros (25). On constatera une augmentation importante du nombre de publications sur les troubles du comportement alimentaire à partir des années 1960 (26).

Le premier DSM ayant fait paraitre l’existence des TCA est le DSM III, publié en 1980. De nos jours le DSM dans sa 5ème version définit l'anorexie mentale selon 3 critères (2):

(17)

17 Critère A : restriction de l’apport énergétique menant à un faible poids dans un contexte d’âge, et de sexe, à mettre en relation avec la trajectoire de développement et de la santé physique. Un poids significativement bas est défini par un poids qui est moindre que le poids attendu, correspondant à un IMC inférieur au dixième percentile chez l’adolescent ou à un IMC < 17,5kg/m2 chez l’adulte. L’absence de prise de poids en période de croissance constitue un équivalent

Critère B : peur intense de prendre du poids ou de devenir gros, ou conduite persistante qui interfère avec la prise de poids alors que le poids est significativement bas.

Critère C : altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi ou manque persistant de la reconnaissance de la gravité du poids bas actuel.

Deux sous types d’anorexie sont mentionnés : le type restrictif caractérisé par l’absence d’épisodes récurrents de compulsions alimentaires ou de conduites purgatives (comme la prise de laxatifs, de lavement, de diurétique, ou des vomissements provoqués) et le type mixte, avec présence de compulsions alimentaires et/ou de conduites purgatives.

Cette dernière version du DSM, efface la notion de comportements impliquant un comportement intentionnel. Ainsi dans le critère A, la « restriction de l’alimentation » impliquant une conduite, remplace le « refus de maintenir un poids corporel normal » qui dans le DSM-IV impliquait la notion de volonté, et le terme «non-reconnaissance» remplace celui précédemment utilisé de « déni du degré de sévérité ». (3)

Par ailleurs le critère d’aménorrhée, qui ne peut être applicable à l’anorexie masculine, aux femmes pré pubères et aux femmes sous contraception orale ou ménopausées, a également été révisé.

(18)

18

2) Étiopathogénie de l'anorexie mentale

Malgré la forte médiatisation, l’anorexie mentale est une pathologie dont l’éthiopathogénie reste mal connue. Les explications quant à l’origine et au maintien de l’anorexie sont variables et sont souvent dépendantes d’un modèle théorique particulier. Au cours de ces dernières années, bon nombre de ces modèles ont pu être testés ce qui a permis d’identifier un ensemble de facteurs qui participerait à l’émergence de la pathologie. On s’éloigne ainsi de la recherche d’un facteur isolé, pour proposer des modèles multifactoriels afin d’identifier des facteurs biologiques, familiaux, psychologiques et sociaux. (27)

Dans les premières approches psychanalytiques, le symptôme alimentaire était envisagé initialement comme une conversion hystérique exprimant au niveau du corps et de l’oralité un conflit intrapsychique. Avec les travaux de Mélanie Klein et par la suite de Fenichel, les cliniciens ont mis l’accent d’une part sur « l’évitement de la sexualité génitale ainsi que sur des fantasmes de pénétration anale ou de fécondation orale et d’un autre côté sur des perturbations de la relation d’objet avec un surinvestissement de la maitrise et des relations d’emprise ». (27)

La question identitaire apparaitra ensuite au cœur des réflexions sur l’étiologie des troubles alimentaires, avec les travaux de Jeammet (1998) et Brusset (1998). (28,29) L’idée centrale est de penser qu’avec la réactualisation à l’adolescence des problématiques de dépendance aux figures parentales, le développement des processus de séparation et d’individuation sera rendu difficile par des remaniements des liens aux parents et le recours à l’agir et à la maitrise du corps. Avec la mise en place des TCA et les changements relationnels qui en découlent, ce nouveau comportement vient assurer une fonction défensive contre les affects supposés insupportables comme des facteurs dépressifs, un sentiment d’impuissance face à des évènements extérieurs ou de changements internes.

Ainsi les transformations corporelles ou les rencontres avec l’autre sont perçues comme menaçantes et devront être évitées ou contrôlées.

(19)

19 Dans le cadre de ces approches différentes hypothèses ont vu le jour, notamment celle d’une altération de l’image du corps et d’un trouble de reconnaissance des signaux corporels et intéroceptifs (30).

En parallèle, et initialement dans les pays anglo-saxons, dans le cadre des approches cognitives, d’autres modèles se sont développés. L’hypothèse de base a consisté à penser l’anorexie comme une phobie du poids (31). Le sujet serait pris dans une peur de grossir qui le conduirait à mettre en place des comportements de restriction alimentaire ou d’hyperactivité physique pour lutter contre cette peur.

A la suite de cette approche, le modèle élaboré par Faiburn (1996) place au centre de la pathologie l’existence de pensées et de sentiments d’impuissance ou d’inefficacité et une recherche de perfectionnisme associé à une faible estime de soi. L’individu chercherait à reprendre le contrôle de soi et des évènements à travers un contrôle pondéral. (27)

Nous présenterons de manière simplifiée en se basant sur le travail de mémoire concernant le bilan psychomoteur chez l’adolescente anorexique de Provost B. (2012), plusieurs théories relatives à l'émergence de l’anorexie mentale. (20)

Psychosomatique : Le corps est considéré comme un lieu de décharges pulsionnelles désorganisées. Il constituerait la protection « ultime » contre l’effondrement psychique. (32)

Systémique : Le système familial serait dysfonctionnel, et participerait à l’installation et au maintien du trouble. La pathologie jouerait un rôle dans l’homéostasie familiale, en maintenant cet équilibre familial précaire. Le trouble serait une façon de fixer l’attention du groupe familial sur la maladie plutôt que sur le problème fondamental qui génère les tensions. (16)

Psychanalytique : Le trouble serait en lien avec les processus d’autonomisation et d’affirmation identitaire (qui intègre la dimension sexuée) survenant à l’adolescence.

(20)

20 Ces deux processus seraient perturbés dans l’AM. L’adolescente, mettrait en place des mécanismes de défense pour fuir « le corps sexué ». (33,34)

Développementale : L’anorexie mentale serait due à une « perturbation des perceptions intéroceptives conséquente à un manque d’apprentissage durant les interactions précoces mère/enfant où les besoins de chacun se sont confondus au sein de cette dyade » (20). Des études ont classiquement soutenu l’idée du rôle de difficultés parentales, d’évènements de vie stressants précoces, d’antécédents de troubles mentaux dans l’histoire familiales, dans le développement de l’anorexie (35,36). Ces données confortaient la conception de l’anorexie comme un trouble développemental. (27)

Cognitivo- comportementale : Le trouble serait en lien avec l’apprentissage et le maintien d’une conduite. En cause, des « renforcements » du milieu environnant comme des félicitations, des marques d’admiration ou d’attention de la part de l’entourage. (37,38)

Addiction : Le trouble s’apparenterait à une addiction comportementale (sans produit) en raison de caractéristiques communes (biologiques, comportementales, pré morbides). Le comportement dans le TCA apparait compulsif et cela malgré l’impact négatif sur le fonctionnement global du sujet et pouvant entrainer l’abandon progressif d’autres activités sources de plaisir; une augmentation des conduites pour avoir le même effet renforçateur; et le besoin irrépressible de réaliser le comportement. Cette dépendance à la sensation (prise compulsive d'aliments, restriction allant jusqu’au jeune, hyperactivité physique) remplace la dépendance à l’autre, perçue comme menaçante.

Au niveau biologique, le système dopaminergique « de récompense » serait activé par l’hyperactivité et la restriction alimentaire, ce qui auto-entretiendrait le comportement.

Des caractéristiques pré-morbides peuvent être rapportées, telles que : des symptômes dépressifs, anxieux, un déficit dans la reconnaissance de stimuli extérieurs ainsi que leur interprétation, une sensibilité aux punitions et aux

(21)

21 récompenses, la recherche de sensation, ainsi qu’une mésestime de soi. (3,20,39,40)

Socio-culturelle : Selon Corcos, « l’affaiblissement des interdits, et la valorisation par la société occidentale de la maîtrise de soi, de l’autonomie, et de l’apparence affecteraient l’économie psychique et favoriseraient l’expression de modes de fonctionnement spécifiques telle l’anorexie » (16).

Si ces modèles fournissent des hypothèses explicatives et des voies d’interventions intéressantes, la compréhension des causes de l’anorexie s’est enrichie de différentes données expérimentales et cliniques qui conduisent à des modèles multidimensionnelles. (27)

Cette pathologie, apparaissant fréquemment lors des questionnements identitaires de l’adolescence, émergerait de la combinaison de facteurs prédisposant (tels que la personnalité, l’environnement culturel et familial), qui seraient activés par des facteurs précipitants (comme les régimes, les difficultés sociales, un deuil, la puberté) et qui une fois mis en place seraient maintenus par des facteurs pérennisant ou renforçant (dénutrition, type de relations sociales, estime de soi) instaurant alors un cercle vicieux. (3,41,42)

Différents facteurs de vulnérabilité modélisant les TCA peuvent ainsi être cités :

a) Les facteurs individuels

Neurobiologique et génétique :

Les sujets anorexiques présenteraient une altération du système sérotoninergique. Celui-ci est impliqué dans le contrôle des impulsions et dans la régulation de l’appétit, de l’humeur et de la sexualité (20,43). Le déficit en sérotonine contribuerait à la genèse des troubles alimentaires par la dérégulation des circuits de la récompense en jeu dans la dimension hédonique de l’alimentation, et par la

(22)

22 dérégulation des schémas émotionnels. Ce dérèglement pourrait être la résultante de particularités génétiques.

Les altérations du système sérotoninergique peuvent persister même après la rémission du trouble. Elles pourraient également lui préexister, et seraient impliquées dans certains des traits pré morbides tels que l’anxiété, les manifestations obsessionnelles et l’inhibition.

Le rôle des facteurs génétiques a été mis en évidence par les études sur les jumeaux monozygotes. On retrouvait dans plus de 50% des cas, que lorsqu’un des jumeaux est atteint, l’autre l’était aussi (44). De plus, les antécédents familiaux d’AM chez les patientes atteintes sont fréquents (phénomène d’agrégation familiale) : la fréquence de l’AM serait onze fois supérieur chez les apparentés au 1er degré de femmes anorexiques que chez des sujets témoins (45). Le modèle actuel suppose une participation de facteurs familiaux pour lesquels deux mécanismes sont envisagés : transmission génétique et facteurs environnementaux communs.

L’attachement :

Pour Bowlby, psychiatre et psychanalyste, l’instinct qui conduit un bébé à rechercher sa mère est un instinct de protection satisfaisant un besoin de sécurité à travers la relation à autrui.

Le bébé possèderait de manière innée une propension à établir des liens forts avec son entourage proche. Si une réponse adaptée aux besoins du nourrisson est fournie par cet entourage, il tendra à développer une base de sécurité stable, solide et une image positive de lui-même. Ainsi, il pourra développer de nouvelles compétences telles que la capacité d'attendre une réponse en différant ses désirs immédiats, à se « séparer » de sa figure d’attachement (en général sa mère) pour aller explorer son environnement. Ces comportements relèvent de ce que l'on nomme « l'attachement sécure ».

En revanche, s’il n’est pas fourni de réponses adéquates aux besoins, l’enfant ne sera pas en mesure de se reposer sur une base de sécurité suffisamment solide et

(23)

23 stable, générant des difficultés à avoir confiance en lui, et un risque de développer un « attachement insécure » de type ambivalent, évitant ou désorganisé.

Les patientes anorexiques présenteraient le plus souvent un attachement insécure «évitant » ou « détaché », qui serait un type d’attachement propice à l’apparition des TCA (20,46).

Les traumatismes :

Le rôle des évènements traumatisants pendant l’enfance a été évoqué comme étant un facteur de risque important de TCA. Les mécanismes seraient une perturbation du sentiment d’identité, une dérégulation thymique et comportementale (47).

Le surpoids:

Il apparait que le surpoids dans l’enfance serait un facteur de risque de développement de troubles du comportement alimentaire par le biais de l’insatisfaction corporelle induit. (48)

La puberté :

L’adolescence est caractérisée par la transition entre l’enfance et l’âge adulte. Cette période marque la séparation avec la figure parentale et l’achèvement des processus d’identification et cela dans le but d’accéder à l’autonomie. La perte de repères induite par les transformations physiques et psychiques conduirait à une vulnérabilité. Sur le plan psychique les TCA pourraient être considérés comme une « solution aux difficultés liées au remaniement pulsionnel » de cette période de la vie (20). L’adolescente serait également déstabilisée d’être à la fois « dans une relation de dépendance (à la figure parentale) et dans une volonté de séparation-individuation » (Provost 2012 (20)). Chez ces patientes atteintes de TCA, la conflictualité entre dépendance et autonomie se trouve exacerbée.

Strober (1997) avance que les modifications corporelles surviendraient sans que le psychisme n’y soit préparé, provoquant ainsi une « crise majeure » chez certaines jeunes filles. Le conflit chez les patientes anorexiques, situé au niveau corporel,

(24)

24 soulignerait l’impossibilité d’assumer le rôle génital et les transformations corporelles pubertaires. (49)

Les troubles apparaissent alors telle une défense jouant le rôle de substitut identitaire par le surinvestissement de l’image du corps et d'organisateurs de la vie psychique. Ils s’inscriraient de plus comme une tentative de maintenir l’équilibre de la vie relationnelle, dont les remaniements semblent représenter une menace.

La personnalité:

D’un point de vue neurocognitif, un profil particulier aux patientes souffrant de TCA apparait, possiblement intriqué avec les déterminants neurobiologiques. On constate la présence de traits perfectionnistes, obsessionnels (20), des déficits des fonctions exécutives et de la flexibilité cognitive (50) et des difficultés de changement dans les modalités de raisonnement (51).

La préoccupation pathologique sur son apparence physique ainsi que le besoin qu’elle soit validée par autrui, serait également très présente chez les anorexiques et s’accompagnerait d’une faible estime de soi.

b) Les facteurs socioculturels

Place de la femme dans la société :

Il existe une pression sociale importante, véhiculée par les médias, notamment autour de l’idéal/culte de la minceur (devenant un élément de l’identité féminine) et de la perfection corporelle. L'anorexie mentale prédomine dans les pays occidentalisés, et serait également en « émergence croissante dans les pays non occidentaux et dans les familles adoptants une culture occidentale » (20).

Nous développerons de manière plus approfondie l’influence socio-culturelle sur l’émergence de l’AM dans la deuxième partie de ce travail.

Société d’abondance :

Nous évoluons dans une société où nous accédons facilement et librement à une alimentation diversifiée et abondante, provoquant paradoxalement une certaine

(25)

25 insécurité chez le sujet qui pourra se sentir perdu et livré à lui-même, et sera en difficulté pour distinguer ce qui relève de ses besoins et de ses désirs. (20, 52)

c) Les facteurs familiaux

Certains traits caractéristiques « des familles à risque » peuvent être dégagés (53) : - valorisation de la réussite professionnelle, du perfectionnisme, de la compétition et des performances sportives

- parents plus vigilants sur la santé, consacrant plus de temps aux activités de leurs enfants que la moyenne, et qui seraient dans une grande proximité avec leurs enfants.

- aliments allégés et régimes, importance donnée à l’apparence dans la famille - évitement des conflits au sein de la cellule familiale, non-dits concernant les

souffrances familiales. (20,54)

d) Les facteurs précipitant et d’entretien

La survenue d’un évènement de vie négatif comme une séparation (déménagement, perte d'une figure d'attachement), ou un début de régime alimentaire, des critique sur le poids, les changements corporelles lors de la puberté, ou atteinte à la pudeur donnant une image péjorative de la sexualité, peuvent précipiter l’entrée dans le trouble. (20)

Des facteurs d’entretien peuvent également être cités tels que les déséquilibres

biologiques induits par le trouble avec notamment les conséquences

somatopsychiques de la dénutrition (41), les « bénéfices » relationnels sur l’environnement ainsi que des « bénéfices » psychologiques (1).

(26)

26 Figure 1 : le modèle cognitif et interpersonnel selon Treasure et Schmidt 2013, tiré

de « L’anorexie Mentale » de Jean Louis Nandrino et al.

3) Evolution et pronostic

L’anorexie a un pronostic sévère, avec le taux de mortalité le plus élevé parmi les pathologies psychiatriques. Elle se caractérise par la gravité potentielle de son pronostic (8) :

- risque de décès

- risque de complications somatiques et psychiques

(27)

27 a) Complications

Les complications somatiques de l’anorexie sont liées à la dénutrition ou aux comportements associés (comme les vomissements). Cette pathologie expose à des complications parfois sévères qui peuvent mettre en jeu le pronostic vital.

On citera :

- les troubles hydro-électrolytiques (notamment l’hypokaliémie compliquant fréquemment les vomissements répétés), pouvant causer des troubles du rythme cardiaque voire le décès ;

- les hypoglycémies - les dysthyroïdies

- l’ostéopénie avec un risque de fracture multiplié par trois - les atteintes dentaires

- les atteintes dermatologiques (sécheresse, perte de cheveux, cyanose des extrémités, lanugo)

- les manifestations hématologiques (anémie, leucopénie et thrombopénie), - les perturbations neurologiques

- les problèmes rénaux

- les troubles métaboliques du cholestérol

- les complications gastro-intestinales (comme la gastroparésie à l’origine d’une sensation de satiété précoce, de ballonnements et de nausées)

- le retentissement statural si la restriction survient en période de croissance, la renutrition ne permettant pas toujours la récupération totale de la croissance staturale

- les troubles du sommeil

Ces altérations sont le plus souvent réversibles lors de la reprise de poids.

On estime le risque létal à 0,5 % par année d’évolution. Des critères de gravité sont décrits et doivent orienter la prise en charge vers une hospitalisation en urgence en milieu somatique.

(28)

28 Parmi eux, pour l’adulte :

- l’aphagie totale

- l’amaigrissement rapide (> 2 kg/semaine) - la bradycardie sinusale

- l’hypotension systolique ou orthostatique - l’hypothermie (température centrale <35,5°C) - les perturbations biologiques graves

- les troubles du rythme cardiaque

Ces critères diffèrent chez l’enfant et l’adolescent (cf annexe).

Sur le plan psychique, l’anorexie entraine une rigidité des attitudes, des ritualisations et un appauvrissement de la vie relationnelle, affective et sexuelle, avec à terme un retentissement sur la vie sociale, scolaire ou professionnelle.

Des complications psychiatriques, tel que des épisodes dépressifs, troubles phobiques, obsessions, troubles de la personnalité, baisse de l’estime et de la confiance en soi, conduites addictives et des passages à l’acte auto ou hétéro-agressif sont également à souligner.

b) Pronostic

Suite à sa méta-analyse en 2002 portant sur 119 études, Steinhausen conclut à une guérison de l’anorexie pour 47% des sujets, une amélioration pour 33% et une chronicité (c’est à dire persistance des symptômes, au-delà de 5 ans d’évolution) pour 20%. (55)

L’évolution est généralement marquée par la succession d’épisodes anorexiques, avec ou sans épisodes boulimiques et le passage d’une forme à l’autre. Les rechutes sont fréquentes et 30 à 50 % des rechutes se font dans l’année qui suit une hospitalisation.

(29)

29 La mortalité s’élève à 5 à 10 % dans les 10 ans suivant le diagnostic du premier épisode. Le décès est le plus souvent dû à un arrêt cardiaque par trouble de la conduction, un déséquilibre métabolique, des complications infectieuses, ou à un suicide dans 27 % des cas.

Le repérage et la prise en charge précoces du trouble semblent favoriser le pronostic, avec un risque diminué de chronicité et de complications somatiques, psychiatriques ou psychosociales. Dans ce but, la HAS établit en 2010, des recommandations de bonnes pratiques pour le repérage précoce et ciblé des TCA.

Si l'on a longtemps identifié les problèmes alimentaires comme le noyau clinique des troubles de l'alimentation, l'importance des symptômes de surévaluation de la forme et du poids dans ces troubles souligne le rôle majeur de l'expérience du corps dans leur étiologie et ne doit pas être négligé (56). Cet aspect de la maladie est important et si antérieur aux autres signes, que Stice et ses collaborateurs (1998), ont proposé que l’insatisfaction corporelle évaluée durant l’enfance était un prédicteur puissant de la survenue d’un TCA à l’adolescence. (57)

Sur le plan clinique, la perturbation semble toucher toutes les particularités dimensionnelles de la personne : taille, longueur et épaisseur des membres, masse du corps et des différentes parties corporelles, circonférences des membres, du cou, de la taille, tonicité des différentes parties du corps, élasticité de la peau (27). Le discours des patientes relève d’un biais anthropométrique général intense et hermétique.

Nous tenterons à présent de définir les différents concepts que sont le schéma corporel et l'image corporelle puis nous verrons dans quelle mesure ils peuvent être atteints dans l'anorexie mentale.

(30)

30

B) Schéma corporel, image corporelle et troubles

associés : définitions des concepts

Selon Riva, nos représentations corporelles ne sont pas seulement un « moyen de cartographier un espace extérieur, mais le principal outil que nous utilisons pour organiser notre expérience et façonner notre identité sociale ».

Le corps est en premier lieu « un outil d’action sur le monde ». Il nous est permis d’interagir avec notre environnement par le biais de celui-ci.

Nous savons qui nous sommes de manière fine, nous connaissons les limites de notre corps, sa composition, où nous nous situons dans l’espace et nous nous faisons par ailleurs une idée sur la manière dont il apparait à l’autre. (58)

Des niveaux de conscience variables sont impliqués dans cette connaissance que nous avons de nous-mêmes. Malgré que nous soyons en constante évolution à travers le temps, lorsque nous pensons à nous-mêmes, nous percevons notre corps comme une seule et même entité stable dans le temps. Le cerveau possède l’aptitude de s’actualiser en continu et avec lui l’ensemble des représentations qu’il se fait du monde environnant.

L’existence conjointe de plusieurs types de représentations du corps est admise, cependant il n’y a pas de « consensus quant à leur nombre ou bien leur définition ». (58)

1) Le schéma corporel et l’image du corps

La notion de schéma du corps a été introduite pour la première fois, en 1902 par Bonnier.

(31)

31 Dans sa thèse sur la représentation du corps dans l’anorexie mentale, Guardia (2012) décrit la notion de ≪ schématie ≫, c’est-à-dire une « représentation spatiale, topographique, du corps, qui serait propre à chaque individu et lui permettrait d’interagir dans l’espace qui l’entoure ».

L’≪ aschématie ≫ serait la disparition des représentations que nous nous faisons de certaines parties de notre corps, en opposition à l’≪ hyperschématie ≫ qui se caractériserait par la focalisation sur certaines de ses parties. Guardia souligne alors que cela rappelle « la focalisation sur le poids et les dimensions du corps » pouvant être présente dans l’AM. (58)

Pick introduit en 1915 la notion d’image spatiale du corps. Les termes de schéma superficiel, postural ou corporel seront ensuite développés par d’autres auteurs. En

intégrant de nombreuses informations sensorielles (visuelles, tactiles,

proprioceptives, vestibulaires), nécessaire à la prise en considération du corps et de l’espace environnant, le sujet ferait appel de manière inconsciente et automatique à une représentation spatiale de son corps (59-61).

En 1935 Schilder, introduit la notion d’image du corps. Pour lui, ≪ l’image du corps humain c’est l’image de notre propre corps que nous formons dans notre esprit, autrement dit la façon dont notre corps nous apparaît à nous-mêmes. ≫ (62) cité dans (58). Il met ainsi en avant un deuxième niveau d’élaboration plus cognitif, et renvoyant à des représentations sémantiques et symboliques conscientes du corps.

Cette vision distinguant schéma et image du corps va être longtemps partagée : d’une part le schéma corporel qui consisterait en des « représentations sensori-motrices du corps impliquées dans le guidage de l’action » et d’autre part l’image du corps « rassemblant toutes les autres représentations du corps qui ne sont pas impliquées dans l’action, qu'elles soient perceptives, conceptuelles ou émotionnelles » (58,63).

(32)

32 Cette distinction a été réinterprétée en 2010 par Longo, qui la situait entre perception et connaissance du corps, et non plus entre le schéma et l’image du corps. (64) Le corps se trouve être soit :

- véhicule de la perception corporelle (expériences sensorielles vécues par le corps propre) : premier niveau de représentation,

- l'objet de la perception (connaissance du corps) : deuxième niveau.

« Dans les deux cas, l’élaboration d’un percept implique la coexistence d’une représentation actualisée de l’état du corps et des entrées sensorielles. » Guardia 2012 (58).

Le corps peut ainsi être considéré dans ce deuxième niveau de représentation comme un objet physique, dont il est possible de tirer un certain nombre de connaissances. « Nous pouvons en avoir une connaissance tant biologique que spirituelle. Un tel niveau de représentation ou de méta représentation implique des capacités d’abstraction, de catégorisation, l’accès à des croyances et des attitudes liées au corps. » Guardia 2012 (58).

Longo (2010) propose par ailleurs de rattacher à la notion de perception corporelle, les notions de schéma superficiel, postural, de représentation métrique du corps et d’image du corps consciente (64).

Il distingue :

- les perceptions du corps, en tant que représentations motrices du corps et émotions ressentie par le corps (1er niveau de représentation)

- la représentation du corps, en tant que connaissance du corps et émotion suscitée par le corps (alimentant des croyances ou des attitudes envers le corps) (2eme niveau de représentation)

Selon Guardia (2012), « l’emploi des termes perception et représentation peut induire en erreur dans la mesure où les notions de schéma postural, de schéma corporel font déjà appel à un certain niveau de représentation ». (58)

(33)

33 Les interactions entre les différents niveaux de représentation du corps d’une part et le type d’émotion considérée sont multiples, et il existe de multiples dialogues au sein de chaque niveau et entre chaque niveau de représentation. En témoigne une étude publiée par Morgado en 2011 dans laquelle l’influence de facteurs émotionnels et psychosociaux affectait la perception et l’action. (65)

2) Représentation sensori-motrice, structurelle et conceptuelle du

corps

La notion d’image du corps reste floue et hétérogène, incitant certains auteurs à la rejeter. Une alternative à travers un modèle, fruit d’études anatomo-fonctionnelle, composé de trois représentations est de ce fait proposée. Il se compose d’une représentation (66,67):

- sensori-motrice qui se base sur des informations afférentes et efférentes - structurelle du corps (visuo-spatiale) basée sur la vision et la perception

somatique, elle permet de décrire des limites, la proximité des différents segments et leur position les uns par rapport aux autres

- sémantique, conceptuelle et linguistique du corps

Afin de distinguer les différents types de représentation du corps trois critères ont été utilisés:

- le niveau d’accès à la conscience (représentation consciente ou inconsciente), - le caractère dynamique (représentations à court ou long terme)

- le rôle fonctionnel (perception ou action).

Le premier critère, de la conscience rattachée à la représentation que l’individu se fait de son corps, est une interrogation ancienne, des zones d’ombres persistent cependant. Des auteurs opposaient déjà en 1911, un schéma corporel inconscient à une image du corps consciente. (68)

(34)

34 Guardia (2012) rapporte en citant Gallagher (2005), que le « schéma corporel est utilisé de manière automatique et ne peut émerger à la conscience en tant que tel. Prendre conscience du moindre de nos mouvements serait trop couteux ». (58,63) De même que le débat sur les représentations du corps, celui de la conscience du corps s’est peu à peu éloigné de cette distinction « conscient-inconscient ».

Au regard de ces différentes théories sur le corps, un dialogue semble se dessiner entre perception et représentation, chacune s’influençant l’une l’autre.

« La dichotomie faite initialement entre une représentation sensori-motrice et inconsciente du corps engagée dans l’action et une représentation structurelle, conceptuelle et donc consciente du corps ne semble plus avoir de raison d’être. » Guardia (2012)

Dans ce travail nous utiliserons la définition de Gallagher (2005) du schéma corporel comme étant un « construit suscité par l'action, qu'elle soit anticipé, imaginée ou exécutée, automatique ou délibérée. Il est une représentation dynamique, sensori-motrice du corps, qui initie et guide les actions ». Ce schéma évolue en fonction de nombreux paramètres perceptifs : visuels mais aussi kinesthésiques, tactiles. (63) L’image corporelle est une notion plus complexe. « Elle est influencée par de multiples informations perceptives mais également par des systèmes de représentation plus ou moins socialement partagés relevant de l’esthétique et de la sémantique ». (58)

Nous la définirons comme étant « un construit multidimensionnel reflétant une représentation mentale de l’aspect physique du corps et comprenant les aspects perceptuels, cognitifs et affectifs » (69,70).

Elle est également une représentation dynamique que la personne construit au fil du temps à partir d'expériences quotidiennes et dans un certain contexte socioculturel (71). L’image corporelle et les processus de régulation émotionnelle sont largement intriqués. (27)

(35)

35 - une composante perceptuelle : c’est la précision avec laquelle la taille du corps et de ses différentes parties est perçue (c'est-à-dire la capacité ou non à estimer avec précision la taille du corps). Son altération conduit à surestimer ou sous-estimer par rapport à la réalité, les dimensions du corps (distorsions corporelles).

- une composante subjective (cognitive et affective) : en lien avec les sentiments, cognitions, et aux attitudes provoqués par le corps en particulier le poids, la silhouette, l’apparence physique (c'est-à-dire une insatisfaction subjective du corps combinée à des attitudes négatives – préoccupation, anxiété- vis-à-vis du poids et de la forme du corps) (73).

- une composante comportementale : les comportements (par exemple conduites d’exhibitions, d’évitement des situations exposant le corps aux regards) provoqués par la perception corporelle et les sentiments en lien avec le corps.

« Deux niveaux de représentation du corps impliquant des réseaux cérébraux distincts peuvent ainsi être définis : un premier niveau de représentation motrice et non consciente du corps, le schéma corporel, permettant un ajustement automatique de nos mouvements à notre environnement spatial et une anticipation de l’action à mener ; et, un deuxième niveau de représentation, plus riche et plus complexe, l’image du corps, donnant lieu à des attitudes et à des croyances envers le corps. Chacun de ces réseaux restera connecté l’un à l’autre, mais également à des structures plus antérieures et impliquées dans la prédiction et dans la planification d’action (cortex frontal, thalamus) ou dans la référence à soi (cortex préfrontal médian). L’expérience émotionnelle, qu’il s’agisse de la peur ou du dégoût, agira comme modulateur, faisant intervenir des structures telles que l’amygdale. » (Guardia, Luyat, Cottencin 2011)

Le schéma corporel et l’image corporelle interagissent en permanence, s’influencent, participent à la construction de la représentation corporelle et peuvent difficilement être considérés indépendamment l’un de l’autre.

(36)

36

3) Atteinte de la représentation corporelle dans l’anorexie

Définir si le biais anthropométrique (ou de surestimation corporelle) implique le schéma corporel ou l’image corporelle reviendrait à « trancher entre l’influence d’un système cognitivo-émotionnel produisant des croyances erronées et celle de processus neuronaux perceptifs responsables d’un soi corporel altéré ». (27)

Durant les années 90 de nombreuses recherches ont tenté de mettre en compétition ces deux pistes. En 1997 Cash et Deagle proposent une méta analyse de ces travaux. Les résultats indiquent tout à la fois une distorsion (hypothèse perceptive) et une insatisfaction (hypothèse cognitivo émotionnelle) plus fortes chez les patientes anorexique qu’en population générale. (74)

La composante perceptuelle de l’image corporelle a été examinée par plusieurs études, qui soulignent le fait que les femmes atteintes d’anorexie ont tendance à surestimer leur taille corporelle actuelle par rapport aux femmes en bonne santé (75,76). Cela se traduit par le fait de sentir, malgré un poids et une silhouette normale, son corps plus gros dans sa globalité, ou certaines de ses parties, en particulier les hanches, les cuisses, le ventre (27).

À son tour, cette surestimation a eu un impact sur l'aspect subjectif (composante cognitvo-affective), avec une plus grande insatisfaction corporelle chez les femmes atteintes d’anorexie que chez les femmes ne présentant pas de TCA. Les patientes présenteront des préoccupations importantes ciblant certaines parties de leur corps qu'elles estimeront trop grosses et pourront croire que leur corps est « désagréable » à regarder ; que seules les imperfections qu'il présente ne seront visibles par autrui et que les personnes en surpoids sont « faibles », manque de volonté, et ne peuvent être aimées. Aussi, leur amour et valeur propre ne seront vus qu’au travers de ce prisme : la valeur d’une personne se résumant à un poids corporel ou à une silhouette. Une telle insatisfaction contribuerait au désir d’une taille corporelle ultra-mince « idéale ». (2,78)

(37)

37 On retrouvera alors l’aspect « comportemental » avec l’apparition de nombreux comportements d’évitement actifs ou passifs, d’endroits ou de situations anxiogènes, de dissimulations de parties du corps, de rituels compulsifs comme celui de se peser plusieurs fois par jour.

a) Insatisfaction et distorsion corporelle

La distorsion de l'image corporelle et l'insatisfaction corporelle ont été définis par Thompson (1990) comme suit (72) :

- La déformation ou distorsion de l’image corporelle implique l’incapacité de percevoir avec précision la taille du corps. Elle est généralement mesurée à l’aide de tâches d’estimation visuelle de la taille.

- La satisfaction/ insatisfaction corporelle désigne la mesure dans laquelle une personne aime ou non la taille et la forme de son corps, accepte son corps et le valorise. Cette insatisfaction peut se définir également par la différence entre la taille perçue et la taille idéale.

Selon plusieurs auteurs, « l’insatisfaction corporelle dépend essentiellement de l'écart que ressent le sujet par rapport à ses idéaux physiques intériorisés ». (79,80). Ainsi, dans les études portant sur les troubles de l’image du corps, l’insatisfaction corporelle est très fréquemment évaluée comme étant l’écart entre l’image du corps « réel » et l’image du corps « idéalisé ». (69)

Une plus grande insatisfaction corporelle chez les anorexiques s’expliquerait par un écart plus important entre le corps actuel et le corps idéalisé/désiré (81). Il apparaît en effet, qu’en plus de se percevoir plus grosse qu’elles ne le sont réellement en surestimant leur silhouette actuelle, ces patientes aspirent à une silhouette idéale significativement plus mince que les femmes sans TCA. (69)

Selon Leahey (2011), l’insatisfaction corporelle des femmes atteintes d’anorexie mentale pourrait s’expliquer selon trois faits majeurs qui sont (82) :

(38)

38 - une surévaluation de sa corpulence générale ou de parties de son corps (distorsions corporelles)

- un idéal de minceur inaccessible

- l’intérêt porté sur le corps, et plus particulièrement sur un corps extrêmement mince promulgué par leur environnement social (impact socio-culturel)

Le biais de surestimation corporelle s’accompagne donc d’une insatisfaction corporelle intense et d’une volonté farouche de perdre du poids, qui constituent des facteurs de développement et de maintien de l’anorexie mentale (27). Beaucoup de sujets anorexiques apprécient les corps maigres et toniques et ont des aversions pour les corps opulents tout comme la population générale (10). L'insatisfaction pourrait se traduire par une recherche perfectionniste de la minceur pour atteindre et dépasser un idéal, apparemment dirigé par la société mais irréaliste (83).

En dépit du rôle que semble jouer ce biais, les processus qui lui sont sous-jacents restent méconnus (27). Des processus qui vont de la perception visuelle jusqu’à la représentation mentale du corps peuvent être altérés, ainsi que les processus émotionnels associés. Nous les développerons dans la suite de ce travail.

b) Un critère diagnostique de l’anorexie mentale

Les descriptions des processus psychopathologiques font apparaitre

progressivement la notion de représentation du corps. « Différentes modifications critériologiques ont eu lieu à partir des années 1980. Les critères diagnostiques du DSM-III (APA, 1980) évoquaient l’existence d’un trouble de la conscience et de l’image du corps (84), puis en 1992, la CIM-10, décrivait l’existence d’une altération dysmorphophobique de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, une hantise de grossir ou l’influence excessive du poids ou de la morphologie

(39)

39 corporelle sur l’estime de soi, associée à un déni de la maigreur, de sa gravité ou de ses conséquences ». (73b, 85)

Depuis 2000, le DSM-IV R et ensuite le DSM 5, décrivait dans le critère C « une altération de la perception du poids ou de la forme de son propre corps, influence excessive du poids ou de la forme corporelle sur l’estime de soi ou manque persistant de la reconnaissance de la gravité du poids bas actuel ». (2,86)

On peut affirmer aujourd’hui l’existence d’un trouble de la représentation du corps dans l’AM et il est nécessaire de lui porter une attention particulière, « tant sur le plan diagnostique que sur les plans pronostique et thérapeutique » (73b).

On sait à présent que la distorsion et l’insatisfaction corporelle dans l'AM sont le fruit d'une atteinte diffuse des processus de représentations du corps. Des atteintes à la fois du niveau sensori-moteur (schéma corporel) de la représentation du corps, ainsi que des altérations perceptives, affectives et cognitives (image corporelle) sont mises en jeu dans un échange permanent au sein d'une boucle renforçatrice (58,87). Le trouble de la représentation du corps chez les patientes anorexiques toucherait ainsi à la fois le schéma corporel et l’image corporelle (88).

4) Conséquences des perturbations de la représentation corporelle

dans l’anorexie

Les perturbations de la représentation corporelle, selon Gardner (2002), ont été fréquemment et fortement associées au développement et au maintien du trouble anorexique (89). En effet, plusieurs auteurs définissent ces perturbations comme un élément clé de cette pathologie (75,90) et ont montré que la gravité des perturbations de la représentation corporelle serait un puissant facteur de prévision du développement de l’anorexie mentale chez les adolescentes (91) et les femmes adultes (92), ainsi que pour un pronostic globalement défavorable au cours de l’AM, et pour le risque de rechute chez les patientes guéries (93,94).

(40)

40 De plus ce trouble de la représentation corporelle participerait à l'échec des soins, notamment en contre-balançant les bénéfices des soins par le biais d’une majoration de la volonté obsessionnelle de perdre du poids et, par conséquent, de maintenir des comportements de restriction alimentaire (95). Il constituerait de plus selon Stice et Shaw (2002) un facteur de risque de décompensation du trouble alimentaire, et également un facteur de risque de complication psychiatrique à type de dépression, d'idéations suicidaires et de suicide (78,96).

C) Distorsion corporelle, altérations perceptives

multimodales et émotionnelles

Une distorsion dans la représentation de soi peut ainsi être retrouvée chez les patientes souffrant d’AM. Un biais de surestimation du poids et de la silhouette est largement retrouvé chez celles-ci (74,93). Ce biais de surestimation peut être évalué grâce à des échelles d’autoévaluation (97). Par exemple l’échelle des silhouette qui présente plusieurs silhouettes correspondant chacune à des indices de masse corporelle différents (Figure 2). Le sujet pourra choisir la silhouette lui correspondant le mieux selon lui. On comparera l’IMC de la silhouette estimée à l’IMC réel, définissant ainsi le niveau d’estimation corporelle. « La patiente anorexique choisira

Résumé :

L'expérience du corps évolue au fil du temps en intégrant plusieurs représentations corporelles qui interagissent entres elles.

Parmi elles, le schéma corporel et l'image corporelle, qui sont altérés dans l’AM. Les distorsions corporelles et l'insatisfaction corporelle sont dues à une atteinte diffuse des processus de représentations corporelles et sont fréquemment associées au développement et au maintien de l’anorexie mentale.

(41)

41 fréquemment une silhouette avec un IMC largement supérieur au sien comme si elle se représentait comme étant plus grosse qu’elle ne l’est réellement » Guardia (2012) (58)

Figure 2 : Echelle de silhouettes en fonction de l’indice de masse corporelle employée lors des taches d’estimation corporelle, tirée de Guardia (2012)

Différentes atteintes que nous développerons dans la suite de ce travail, ont été décrites chez les patientes anorexique afin de rendre compte de ces distorsions :

- celle d’un trouble de l’intégration sensorielle

- celle d’une altération de la conscience du corps (intéroceptive et émotionnelle)

1) Le déficit d’intégration sensorielle

Plusieurs régions du cerveau seraient impliquées dans la représentation du corps. Le cerveau rééquilibrerait les différentes afférences sensorielles afin d'assurer une congruence entre le monde extérieur et les actions menées (98).

La représentation corporelle dans le cerveau serait déterminée par l'intégration multi sensorielle, celle-ci reposerait sur divers mécanismes (pondération, d’addition, d’intégration, de différenciation) qui permettraient la production d’une seule perception reflétant la réalité (58,99).

(42)

42 a) Matrice corporelle

Selon Moseley et al (2012) le « vrai moi» qui émerge du corps - la «conscience de soi corporelle» - est l'une des expériences les plus complexes produites par l'esprit humain (56,100). En fait, il serait le résultat de l'intégration multisensorielle de nombreuses sources d'informations différentes (101). Le résultat final de ce processus, résultant des connexions entre le cortex pariétal postérieur et le cortex insulaire, est une représentation multisensorielle supra modale grossière du corps et de l'espace qui l'entoure, la « matrice corporelle » (100).

L'objectif de la matrice corporelle serait premièrement de prédire les événements sensoriels à venir à l'intérieur et à l'extérieur du corps; et secondairement de savoir comment utiliser le corps pour y faire face (102). Plus précisément, son objectif évolutif est d'assurer des ressources pour promouvoir la survie et la reproduction (allostase) en protégeant et en étendant ses limites aux niveaux homéostatique et psychologique (103-104).

Pour produire la matrice corporelle, les données provenant de multiples modalités sensorielles en temps réel (extéroception; c.-à-d., toucher et vision) sont d'abord intégrées aux informations internes (intéroception et proprioception). Le résultat de ce processus est ensuite recalibré en fonction des prédictions faites en utilisant les informations stockées sur le corps à partir de la mémoire conceptuelle (la signification attribuée au corps), perceptuelle (la taille et la forme du corps) et épisodique (les événements autobiographiques clés liés à l'expérience du corps). (56)

De nombreuses causes et effets différents sont à l’origine de chaque sensation corporelle. Notre cerveau utilise un processus complexe d'intégration multisensorielle prédictive pour les reconnaitre et y faire face à l’avance (101). De ce point de vue, l'expérience du corps est le résultat d'un processus probabiliste et, à ce titre, peut ne pas refléter les caractéristiques du corps physique (105-106).

(43)

43 Cette vision suggère que les processus multisensoriels n'influencent pas uniquement l'expérience du corps, mais peuvent également affecter la régulation des émotions (101). Les émotions ne sont alors plus des « séquences de réponses stimulantes itératives », mais des « simulations corporelles » qui, selon l'expérience passée de l'individu, sont étiquetées comme des émotions.

Comme l'explique Barrett (2017): «le cerveau construit du sens en anticipant (prédisant et ajustant) correctement les sensations entrantes. Les sensations sont classées de manière à ce qu'elles soient actionnables de manière située; et donc significatives, basées sur l'expérience passée. Lorsque les expériences passées d'émotion (par exemple « le bonheur ») sont utilisées pour catégoriser la gamme sensorielle prédite et guider l'action, alors on ressent ou perçoit cette émotion (bonheur)». (102)

Si l'expérience du corps et les émotions, sont le fruit d'un processus complexe d'intégration sensorielle prédictive, leur contenu sera altéré par un déficit du processus.

L'intégration multisensorielle du corps est ainsi un processus cognitif et perceptuel, permettant à l'individu de protéger et d'étendre ses limites aux niveaux homéostatique et psychologique (56). Dans ce but, le cerveau intègrera des données provenant de multiples modalités sensorielles en temps réel et des informations corporelles internes avec des prédictions faites sur la base d’informations stockées sur le corps à partir de la mémoire conceptuelle, perceptuelle et épisodique.

b) Altérations sensorielles dans l'anorexie mentale

Tout d'abord, c'est l’hypothèse d’un trouble perceptif visuel à l’origine de la surestimation du corps qui fut initialement proposée (73b). Afin de tester cette hypothèse, Smeets (1999) a étudié la perception de la taille du corps, et quelles que soient les conditions, ses résultats ne mirent en évidence aucune différence entre les sujets souffrant d’AM et les sujets contrôles, qu’ils soient maigres ou non. Il est même suggéré par Urgesi et al (2012) que les patientes AM pourraient être capables

Figure

Figure 2 : Echelle de silhouettes en fonction de l’indice de masse corporelle  employée lors des taches d’estimation corporelle, tirée de Guardia (2012)

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