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Mise en récit de l'Empire romain dans l'épisode lucanien de la Nativité : une évaluation critique de la position de Richard Horsley

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Mise en récit de l’Empire romain

dans l’épisode lucanien de la Nativité

:

une évaluation critique de la position de Richard Horsley

Mémoire

Sylvain Tousignant

Maîtrise en théologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Mise en récit de l’Empire romain

dans l’épisode lucanien de la Nativité :

une évaluation critique de la position de Richard Horsley

Mémoire

Sylvain Tousignant

Sous la direction de :

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iii

Résumé

Pendant longtemps, les exégètes du Nouveau Testament ont examiné les textes évangéliques en considérant leurs racines judaïques comme principal contexte d’interprétation. Cette approche exégétique a permis de mieux comprendre les symboles, les valeurs ainsi que les préoccupations des premiers chrétiens en lien avec la tradition juive.

Plus récemment, des exégètes ont utilisé la méthode d’analyse sociohistorique afin d’attirer notre attention sur l’Empire romain comme contexte primordial pour la compréhension des textes du Nouveau Testament. De ces auteurs, mentionnons Richard Horsley, professeur de religion à l’Université du Massachusetts aux États-Unis, qui a été un des premiers à présenter cette compréhension différente de l’influence de l’Empire sur le message évangélique.

Horsley prétend que les écrits du Nouveau Testament sont des textes anti-impériaux à l’exemple des mouvements de révolte présents dans la Palestine du premier siècle. Pour arriver à cette conclusion, Horsley perçoit dans les textes fondateurs du Christianisme une multitude de références à César et aux valeurs impériales auxquels les auteurs s’opposent parfois de façon claire, parfois de façon subtile dans leurs textes. En contrepartie, des exégètes bibliques et des théologiens réfutent cette allégation de Horsley. Parmi eux, mentionnons Seyoon Kim, professeur du Nouveau Testament au Fuller Theological Seminary en Californie, Scot McKnight, professeur du Nouveau Testament au Northern Seminary en Illinois, et Joseph B. Modica, professeur associé en études bibliques à l’Eastern University en Pennsylvanie.

Ils soulèvent différents problèmes dans la méthode interprétative de Horsley. Par exemple, pour Kim, les auteurs du Nouveau Testament ne cherchent nullement à renverser le pouvoir terrestre en place. En empruntant le vocabulaire de la propagande impériale, les auteurs du Nouveau Testament veulent faire comprendre le message que Jésus est le Seigneur des seigneurs, que le Royaume de Dieu n’est pas de ce monde, mais du domaine spirituel, et que la libération promise par Jésus n’est pas contre César, mais contre Satan et le pouvoir du péché.

Afin de vérifier ces différentes positions herméneutiques, nous ferons l’analyse narratologique et lexicographique du récit lucanien de la Nativité. Nous ferons également un exercice comparatif de cet épisode néotestamentaire avec des textes de la propagande impériale afin de déterminer si oui ou non l’auteur évangélique utilise réellement un vocabulaire impérial, et, le cas échéant, d’observer quel usage il en fait.

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Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... iv

Remerciements ... vii

Introduction ... 1

Un nouvel angle d’approche ... 1

Réponses à la théorie de Horsley ... 2

Question de recherche... 3

Objet d’étude ... 3

Méthodologie ... 3

Chapitre 1 Nouvelle approche d’interprétation ... 6

1. 1 Lacunes des approches traditionnelles ... 7

1. 2 Un peu d’histoire ... 7

1. 3 Proposition de Horsley ... 9

1. 4 Arguments en faveur de sa proposition ... 11

1. 4. 1 Conditions culturelles ... 11

1. 4. 2 Le culte de l’empereur ... 12

1. 4. 3 Propagande impériale ... 12

1. 5 Résumé ... 14

Chapitre 2 : Réponses à la théorie de Horsley ... 16

2. 1 Christopher Bryan ... 16

2. 2 Seyoon Kim ... 18

2. 2. 1 La « parallélomanie » ... 18

2. 2. 2 La déduction provenant de suppositions ... 19

2. 2. 3 La preuve textuelle ... 19

2. 2. 4 Un code secret ... 19

2. 3 Le collectif de Scot McKnight et Joseph B. Modica ... 21

2. 4 Résumé ... 22

Chapitre 3 : Auteur et texte choisis ... 24

3. 1 Objet d’étude ... 25

3. 2 Attitude de Luc face à l’Empire ... 25

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3. 4 Les lecteurs de Luc ... 27

3. 5 Méthodes d’analyse ... 28

Chapitre 4 : Analyse narratologique et intertextuelle ... 30

4. 1 Divisions de l’épisode de la Nativité ... 31

4. 2 Premier tableau Luc 1, 5-25 ... 32

4. 3 Deuxième tableau : Luc 1, 26-38 ... 38

4. 4 Troisième tableau : Luc 1, 39-56 ... 42

4. 5 Quatrième tableau : Luc 1, 57-80 ... 45

4. 6 Cinquième tableau : Luc 2, 1-21 ... 47

4. 7 Sixième tableau : Luc 2, 22-40 ... 52

4. 8 Septième tableau : Luc 2, 41-52 ... 54

4.9 Conclusion ... 56

Chapitre 5 : Analyse lexicologique ... 57

5. 1 Dans les jours d’Hérode, un décret de César Auguste ... 58

5. 2 Annoncer cette bonne nouvelle ... 59

5. 3 Grand... 62

5. 4 Fils du Très-Haut; Fils de Dieu ... 63

5. 5 Trône, règne, régner ... 65

5. 6 Seigneur ... 66

5. 7 Ceux qui ont des pensées orgueilleuses dans leurs cœurs, Souverains de leurs trônes. Les riches 67 5. 8 Nos ennemis et la main de tous ceux qui nous haïssent ... 68

5. 9 Le soleil levant ... 69

5. 10 Un sauveur; ton salut ... 71

Conclusion ... 72

Chapitre 6 : Application et lecture ... 74

6. 1 Accord et limite ... 74

6. 2 Proposition herméneutique du texte de la Nativité ... 77

6. 3 Un temps immédiat ... 79 6. 4 Un temps eschatologique ... 82 6. 5 Un temps intermédiaire ... 88 Conclusion ... 93 Proposition de Horsley ... 93 Opinions dissidentes ... 94

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Analyse méthodologique de l’épisode de la Nativité ... 94

Synthèse ... 96

Application moderne de l’épisode de la Nativité ... 98

Bibliographie ... 100

Méthodologie ... 100

Contribution de Horsley ... 100

Réponse aux travaux de Horsley ... 101

Évangile de Luc ... 101

Empire romain ... 102

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Remerciements

Je veux d’abord dire un grand merci à mon épouse Ginette pour son soutien et ses encouragements tout au long du processus de recherche et de rédaction. Je t’aime!

Je remercie également le leadership du Carrefour Chrétien de la Capitale (Québec) et de l’Église Nouvelle Vie (Longueuil) pour leur appui financier et leurs prières qui m’ont encouragé à continuer ce travail.

Un merci tout spécial à M. Robert Hurley pour m’avoir suggéré ce sujet si intéressant et stimulant. Vos mots d’encouragement m’ont permis de me lancer dans cette entreprise des plus enrichissantes.

Finalement, je tiens à remercier M. Alain Faucher pour avoir accepté de diriger mes travaux malgré l’ampleur des tâches qui lui incombent en tant que directeur général du 1er cycle à l’Université Laval. Je vous suis très

reconnaissant.

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1

Introduction

Dans le domaine des études littéraires, nous pouvons constater que non seulement les auteurs en tant qu’individus sont formés par leur vécu et leur environnement, mais que leurs écrits sont également le résultat de leurs préoccupations, de leurs intérêts et des situations contextuelles dans lesquelles ils les écrivent. Ces éléments d’influence peuvent être perçus dans leurs écrits de façon évidente, ou encore de façon plus voilée, comme en filigrane, par un lectorat averti et initié. Le vocabulaire utilisé, les images présentées, les figures de style et les formes littéraires employées sont autant de moyens et de stratégies que l’auteur utilisera pour atteindre son lectorat par un discours qui est profondément enraciné dans son temps et son espace. Nous croyons donc qu’une meilleure compréhension des contextes sociopolitique et historique dans lesquels un auteur écrit nous permettra de mieux accéder au sens des images, des métaphores et des symboles utilisés, et ainsi d’arriver à une meilleure compréhension des objectifs de l’auteur du texte. Par exemple, l’œuvre de Victor Hugo, « Les Misérables », devient encore plus accessible lorsqu’on connaît et comprend la France du XIXe siècle avec son immense pauvreté et ses injustices sociales.

Nous pensons qu’il en va de même des textes du Nouveau Testament, incluant les récits des Évangiles dans lesquels les auteurs font parler et agir Jésus. Pendant longtemps, les exégètes du Nouveau Testament ont examiné les textes évangéliques en considérant leur racine judaïque comme principal contexte d’interprétation. Cette approche exégétique a sans conteste permis de mieux comprendre les symboles, les valeurs ainsi que les préoccupations des premiers chrétiens, et ont apporté une clé interprétative dont nous profitons encore aujourd’hui.

Un nouvel angle d’approche

Cependant, et plus récemment, certains critiques ont travaillé les textes néotestamentaires sous un angle nouveau. Les approches sociohistoriques ont été utilisées afin d’attirer notre attention sur l’Empire romain comme contexte primordial pour la compréhension du mouvement de Jésus et de l’Église chrétienne naissante. De ces auteurs, nous pouvons mentionner Peter Astbury Brunt, Dieter Georgi, Neil Elliott, et Richard Horsley1, pour ne nommer que ceux-ci. Ils proposent une compréhension toute différente de

l’influence de l’Empire romain sur le message évangélique des auteurs du Nouveau Testament.

Richard A. Horsley est professeur de religion à l’Université du Massachusetts aux États-Unis et est considéré par plusieurs comme la tête de ce mouvement appelé « empire criticism »2. L’« empire criticism » prétend que

1 Éditeur et collaborateurs dans Horsley, Richard A., Éditeur. Paul and Empire. Religion and Power in Roman

Imperial Society, Harrisburg (Penn.), Trinity Press International, 1997.

2McKnight, Scot et Joseph B. Modica (Coll), Jesus is Lord, Caesar is not, Evaluating Empire in New Testament Studies, Downers Grove (Illinois), Intervarsity Press Academic, 2013, p. 16.

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les auteurs du Nouveau Testament, le vocabulaire qu’ils ont utilisé, les images qu’ils ont présentées, les allusions subtiles en filigrane dans leurs textes auraient ainsi contribué à créer un mouvement contestataire et révolutionnaire dirigé par Jésus, le nouveau et réel sauveur du peuple d’Israël, contre l’autorité abusive de César. Horsley avance que les théologiens modernes ont « dépolitisé » Jésus, et ont ainsi fait de lui un personnage qui fait seulement dire des paroles à appliquer à tous et à toutes les époques.3 Horsley affirme

que

Christianity was a product of empire [sic]. In one of the great ironies of history, what became the established religion of empire started as an anti-imperial movement. Although some would still view Jesus as an innocuous religious teacher, it is becoming increasingly evident to many that he catalyzed a movement of the renewal of Israel – a movement over against [sic] Roman rule as well as the Jerusalem priestly aristocracy.4

Selon cette approche interprétative plus moderne, des mots et expressions comme Sauveur, Seigneur, paix, bonne nouvelle, utilisés par les auteurs néotestamentaires, font directement référence à des concepts impériaux déjà présents dans la propagande impériale à propos de César. Selon Horsley, ces auteurs défiaient ainsi César en annonçant la bonne nouvelle que Jésus est le Seigneur et le Sauveur qui apporte la vraie paix sur la terre. Alors, non seulement le message chrétien évangélique était-il spirituel, mais également subversif envers l’Empire romain afin d’amener la toute nouvelle société, l’Église, à adorer et servir Jésus au lieu de César.5

Réponses à la théorie de Horsley

La théorie de Horsley à propos de l’interprétation anti-impériale des textes du Nouveau Testament a attiré l’attention de différents exégètes et théologiens bibliques. De ce nombre, nous retrouvons Scot McKnight, Joseph Modica, Seyoon Kim, Christopher Bryan, et Kazuhiko Yamazaki-Ransom. Dans leurs ouvrages, ces théologiens ont directement répondu à Horsley sur sa théorie anti-impériale des textes néotestamentaires. Bien que d’autres auteurs aient également présenté leur recherche sur le sujet, ces auteurs résument bien l’ensemble de l’argumentation qui répond à la théorie de Horsley. C’est pourquoi nous nous limiterons à eux pour ce qui concerne cette partie du mémoire.

Même si ces auteurs affirment leur accord avec Horsley sur le fait vérifiable et indéniable que les écrivains du Nouveau Testament aient utilisé un vocabulaire directement relié à la propagande impériale, ils s’en dissocient catégoriquement sur l’utilisation prétendue que ces écrivains en feraient selon lui. Contrairement à Horsley, McKnight et Modica ne voient aucune intention chez les auteurs néotestamentaires de créer un mouvement

3 Bryan, Christopher, Render to Caesar: Jesus, the Early Church, and the Roman Superpower, Oxford, Oxford

University Press, 2005, p. 6.

4 Horsley, Richard A., Paul and Empire, p. 1. 5 McKnight et Modica, op. cit., p. 17.

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sous le leadership de Jésus qui viserait à renverser et supplanter le pouvoir impérial de César. Ils font même observer plusieurs erreurs dans la méthodologie de Horsley par rapport à son herméneutique biblique qui causent un certain dérapage dans les conclusions qu’il émet. Nous verrons plus en détail leur position et leurs arguments à ce sujet au chapitre deux.

Question de recherche

La question centrale à laquelle nous consacrerons nos efforts est la suivante : Est-ce que la « critique de l’Empire » (empire criticism) donne raison à Horsley de considérer les textes du Nouveau Testament comme anti-impériaux? Est-ce que cette méthode d’approche autorise une interprétation politique anti-impériale des textes bibliques chrétiens? Est-ce que Jésus est réellement présenté par les auteurs du Nouveau Testament en confrontation ouverte contre l’autorité de César, tel que le prétend Horsley?

Objet d’étude

Nous tenterons de répondre à ces questions en analysant une des œuvres les plus riches sur le sujet de l’Empire romain, l’Évangile selon Luc, et en particulier l’épisode de la Nativité. Nous avons choisi cet épisode parce que c’est un texte dans lequel nous retrouvons à multiples reprises, comme nous le verrons, un vocabulaire directement relié à celui de la propagande impériale. C’est aussi le seul auteur du Nouveau Testament à mentionner dès le début de son œuvre des empereurs par leurs noms.6 Comme Luc a aussi écrit

son œuvre quelques décennies après que Paul eut écrit ses lettres, les relations chrétiennes avec l’Empire étaient d’autant plus présentes, peut-être même préoccupantes, pour l’Église de la deuxième ou troisième génération, ce qui devrait, selon nous, transparaître dans son texte. Nous pensons qu’une analyse méticuleuse de cet épisode qui relate les événements entourant la naissance de Jésus, et donc du christianisme, nous permettra d’observer si oui ou non l’auteur a voulu dépeindre le sauveur envoyé par Dieu comme un réel rival du sauveur siégeant à Rome, César Auguste.

Méthodologie

Nous aborderons l’épisode de la Nativité lucanienne sous trois méthodes d’analyse complémentaires. Premièrement, la narratologie nous conduira dans l’identification des différents tableaux de l’épisode visée et nous permettra de considérer les différents personnages et leur fonction référentielle pour le lecteur. La narratologie cherche le sens du récit à travers l’organisation et la structure du texte.7 La priorité sera donc

mise sur le texte et ses effets sur le lecteur, puisque, selon Marguerat, le texte est « un processus de

6 Luc 1, 5; 2, 1; 3, 1

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4

communication entre auteur et lecteur ».8 Les personnages présentés et l’espace dans lequel l’intrigue se

déroule seront des éléments-clés pour observer et analyser les effets que le récit produit chez le lecteur. Deuxièmement, l’intertextualité sera utilisée comme méthode pour comparer le texte de la Nativité lucanienne avec différents autres textes déjà présents au temps où l’auteur écrit. Comme le dit Jean-Noël Aletti, « L’approche narrative compare aussi un récit à ceux de son temps. »9 C’est pourquoi nous ne resterons pas

en vase clos tout au long de notre analyse de l’épisode visé. Nous serons constamment en mouvement entre ces deux angles d’approche. L’auteur de l’épisode de la Nativité mentionne clairement qu’il avait accès à une multitude de textes et de récits qui sont devenus pour lui des sources et des modèles pour construire son propre récit.10 Entre autres, les œuvres de Suétone, de Virgile, la propagande impériale, les récits de la

Septante, et les « nombreux récits des événements qui se sont déroulés parmi nous »11 ont pu donner à

l’auteur de l’Évangile de nombreuses informations et références qui l’ont certainement aidé à construire son propre récit. Nous comparerons donc plusieurs de ces textes contemporains de l’auteur avec son œuvre afin d’établir des points de repères auxquels le premier lecteur aurait pu facilement faire référence pour en tirer le sens.

Troisièmement, nous porterons notre attention sur le vocabulaire et les expressions qui ont un lien direct avec l’Empire romain à l’intérieur même de l’épisode lucanien visé. L’étude lexicologique nous aidera à augmenter notre compétence de lecteur moderne. Le vocabulaire, les métaphores et les images utilisés seront examinés dans le détail afin de considérer et d’établir leur point d’ancrage intertextuel.

Au premier chapitre, nous présenterons la proposition de Horsley sur sa lecture anti-impériale des textes du Nouveau Testament à partir des principaux ouvrages qu’il a écrits et édités sur le sujet. Au chapitre deuxième, nous prendrons connaissance des arguments dissidents qui répondent à cette proposition. Nous privilégierons les ouvrages de McKnight et Modica, de Seyoon Kim, de Christopher Bryan, et de Kazuhiko Yamazaki-Ransom qui présentent adéquatement l’ensemble des arguments en réponse à sa proposition.

Après ce survol de la position des uns et des autres, nous entrerons nous-mêmes dans le texte de l’épisode de la Nativité que nous retrouvons dans l’Évangile de Luc. Nous avons jugé bon de travailler à partir du texte grec tel qu’édité par Aland, Black, Martini, Metzger, et Wikgren12. Nous avons élaboré notre propre version en

analysant chacun des mots du texte grec dans le dictionnaire « Le Grand Bailly »13, et en tenant compte du

8 Idem, p. 13.

9 Aletti, Jean-Noël, L’art de raconter Jésus-Christ : l’écriture narrative de l’Évangile de Luc, Paris, Éditions du

Seuil, 1989, p. 7.

10 Luc 1, 1 11 Ibid.

12 Aland, Kurt, et al (Ed.), The Greek New Testament, United Bible Societies, 1975. 13 Bailly, Anatole, Le Grand Bailly. Dictionnaire Grec-Français, Paris, Hachette, 2000.

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travail de Reiling et Swellengrebel dans « A translator’s Handbook on The Gospel of Luke »14, et des versions

déjà existantes. Cet exercice nous a permis de mieux entrer dans le monde du texte avec ses nuances et subtilités d’origine tel qu’utilisées par l’auteur grec. Nous avons divisé l’épisode de la Nativité en sept tableaux que nous avons identifiés selon les changements de personnages, d’espace et de temps qui peuvent être repérés en chacun d’eux.

En explorant différents textes poétiques contemporains de l’auteur, ainsi que des discours et inscriptions reliés à la propagande impériale, nous ferons des liens intertextuels entre ceux-ci et le vocabulaire utilisé par Luc dans son épisode de la Nativité. Nous ferons la démonstration que l’auteur de l’Évangile utilise de manière évidente un vocabulaire déjà connu et répandu à travers le territoire impérial.

Au dernier chapitre, nous verrons justement quelle utilisation l’auteur fait de ce vocabulaire aux teintes impériales et quels effets ce vocabulaire fait sur le lecteur averti et compétent représenté par le « Théophile » du prologue de l’évangile. Ces exercices nous permettront alors de répondre à notre questionnement et de voir si l’auteur du récit de la Nativité a réellement fait de son texte un texte anti-impérial comme le prétend Richard A. Horsley. Si ces exercices devaient nous éloigner de la proposition de Horsley, nous devrons alors prendre note de nos conclusions et présenter une contre-proposition qui donnerait alors un sens différent à l’épisode lucanien de la Nativité.

14 Reiling, J. et J.L. Swellengrebel, A Translator’s Handbook on The Gospel of Luke, London, United Bible

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Chapitre 1 Nouvelle approche d’interprétation

Depuis plusieurs décennies, les exégètes et théologiens ont approché et interprété les textes évangéliques en considérant leurs racines judaïques comme clé d’interprétation, présentant l’Empire romain comme simple « background » politique1 dans lequel l’histoire de Jésus s’est déroulée. On présentait alors les liens avec

l’Ancien Testament et le monde juif pour démontrer l’accomplissement des prophéties et les rapprochements avec le style littéraire de la Septante. Cette méthode d’approche du texte a assurément contribué à notre compréhension des valeurs et symboles juifs dans lesquels l’histoire racontée se déroulait.

Depuis les années 1990, une nouvelle approche s’est imposée dans l’interprétation des textes du Nouveau Testament. Elle s’appuie sur la critique socio-historique qui cherche à « lire le texte biblique en recourant à des méthodes et modèles empruntés aux sciences sociales. »2 C’est ainsi qu’en utilisant l’anthropologie

religieuse, en particulier le culte de l’empereur, Richard A. Horsley, considéré comme le pionnier et leader des approches sociologiques des textes bibliques3, cherche à présenter l’Empire romain comme contexte

immédiat et clé d’interprétation des textes fondateurs de l’Église chrétienne. Détenteur d’un PhD de Harvard, Horsley est professeur à la retraite en Étude des religions de l’Université du Massachusetts à Boston.

Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur Jésus et son mouvement révolutionnaire en Palestine. En 1987, il publie Jesus and the Spiral of Violence : Popular Jewish Resistance in Roman Palestine4 dans lequel il présente et décrit la montée de la violence en Palestine commençant par l’invasion violente des armées de Rome qui saccageaient, tuaient et humiliaient les populations partout sur leur chemin. S’en suit une multitude de mouvements de résistance plus ou moins organisés, comme les Zélotes des Évangiles. En 1997, Horsley a publié un collectif sous le titre Paul and Empire : Religion and Power in Roman Imperial Society5. Parmi les collaborateurs, on retrouve P.A. Brunt, Dieter Georgi et Neil Elliott qui privilégient également cette approche politique des textes du Nouveau Testament. Dès l’introduction, Horsley énonce sa prémisse : “Christianity was a product of empire. In one of the great ironies of history, what became the established religion of empire started as an anti-imperial movement.”6 Il considère que Jésus s’est inséré dans l’histoire d’Israël parmi les

différents mouvements révolutionnaires qui s’élevaient à différents moments et dans différentes régions du

1 Horsley, Richard A., Paul and Empire, p. 2.

2 Duhaime, Jean et Odette Mainville (Éditeurs), Entendre la voix du Dieu vivant. Interprétations et pratiques

actuelles de la Bible, Montréal, Médiaspaul, 1994, p. 201.

3Kim, Seyoon, Christ and Caesar: The Gospel and the Roman Empire in the Writings of Paul and Luke, Grand

Rapids, William B. Eerdmans Publishing Company, 2008, p. xiv.

4 Horsley, Richard A., Jesus and the Spiral of Violence: Popular Jewish Resistance in Roman Palestine.

Minneapolis, First Fortress Press, 1987.

5 Horsley, Richard A., op. cit.

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7

pays, et qui cherchaient à déstabiliser et à renverser le régime tyrannique de l’Empire romain sur le peuple juif. Ces auteurs présentent leurs arguments en faveur d’une interprétation anti-impériale des textes du Nouveau Testament, appelée « empire criticism ».

1. 1 Lacunes des approches traditionnelles

Selon Horsley, les études et approches traditionnelles ont coupé les textes chrétiens de leur contexte politique et culturel en considérant, par exemple, les évangiles comme des entités littéraires religieuses indépendantes du milieu dans lequel ils ont été produits. Ce faisant, les évangiles présenteraient seulement un déplacement

de la religion traditionnelle du Judaïsme vers une nouvelle approche théologique, le Christianisme.

Jésus est alors traité séparément de son contexte politique et historique, ce qui est contraire au traitement qui est accordé à la plupart des autres personnages historiques, comme Socrate, Jules César ou Napoléon. Il s’en suit que plusieurs des paroles de Jésus sont interprétées de manière isolée sans peu de lien avec la situation réelle des premiers auditeurs de ces paroles. Les Évangiles deviennent donc de simples contenants d’une suite de paroles du fondateur du Christianisme, comme si elles étaient des reliques d’un temps passé sans aucun réel lien avec celui-ci. Selon les dires mêmes de Horsley, “the isolation of Jesus’ saying from their literary contexts blocks access to Jesus’ historical impact and the historical significance of his speech and action.”7 Un tel Jésus, ainsi coupé de son contexte historique, devient alors un personnage « politically innocuous ». 8

Mais alors, il faut se demander comment ce Jésus sans lien avec sa société aurait eu autant d’impact pour atteindre de si grandes foules. Horsley propose donc que « no one would have remembered those sayings or continued the table-fellowship, had he not carried out some public confrontation of the rulers and ruling institutions in Jerusalem – and been executed as an insurrectionary by the Romans.9 Selon sa vision, il faut replonger et retrouver le contexte socio-politique du premier siècle afin de bien comprendre Jésus et saisir le sens des textes du Nouveau Testament comme textes anti-impériaux. Le lecteur doit donc, selon McKnight, développer une plus grande sensibilité à détecter la présence de la Rome impériale « in the lines et between the lines of New Testament writings. »10

1. 2 Un peu d’histoire

Horsley rappelle que l’époque et le contexte politique dans lesquels Jésus vivait étaient très mouvementés et instables. Depuis les années 60 avant notre ère, les armées romaines avaient envahi la région « burning

7 Horsley, Richard A., Hidden Transcript and the Arts of Resistance: Applying the Work of James C. Scott to

Jesus and Paul, Atlanta, Society of Biblical Literature, 2004, p. 61.

8 Idem, p. 73. 9 Ibid.

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villages, enslaving the able-bodies, and killing the infirm. »11 Ce sont les Romains qui déterminaient par leur violence militaire les conditions de vie matérielles et politiques des habitants de la Judée, de la Samarie et de la Galilée à l’époque de Jésus. Cette prise de contrôle de la Palestine a signifié pour la population un changement de vie radical. Le pouvoir de Rome s’exerçait et se maintenait par la violence et la terreur. Les exécutions sommaires, les villages incendiés, les expatriations d’esclaves, les crucifixions étaient maintenant monnaie courante dans le quotidien de la population. Cette population, surtout paysanne et rurale, vivait sous la puissance violente des soldats romains. Tacite, historien et sénateur romain du premier siècle, écrit: [The Romans] rob, butcher, plunder, and call it empire; and where they make a desolation, they call it « peace ».12 Comme le mentionne Elliott, « the peace that Rome secured through terror was maintained through terror, through slavery, fed by conquest and scrupulously maintained through constant intimidation, abuse, and violence… »13

La très grande majorité des habitants de la Judée, de la Samarie et de la Galilée était composée de paysans vivant dans les villages et campagnes conquis par César et contrôlés par les représentants-clients de Rome, les officiers et soldats romains, et les prêtres juifs à la solde de l’Empire. Leur situation économique se désagrégeait de plus en plus, obligés qu’ils étaient à payer le tribut à César, les impôts aux représentants de Rome, et les dîmes au Temple. Cette triple imposition pourrissait de plus en plus les conditions de vie de la population toujours plus affamée et dans le besoin. Cet amenuisement des ressources provoquait régulièrement des soulèvements et des mouvements de révolte parmi la masse insatisfaite et frustrée des paysans et habitants en Israël, dont la très vaste majorité de la population (environ 90%) était composée de fermiers et d’ouvriers vulnérables aux abus de pouvoir des riches seigneurs du pays.14

Différents mouvements messianiques ont alors vu le jour avant, pendant et après l’époque de Jésus, et qui avaient comme intention de libérer le peuple de l’oppression romaine, et de restaurer un ordre social plus équitable pour la population. Ces mouvements de révolte étaient dirigés par des « rois » ou des « messies » d’origine humble selon le modèle du roi légendaire David, comme s’ils agissaient à titre de « nouveau David ». Comme exemple, Horsley rappelle les soulèvements plus connus à l’époque de l’arrivée au pouvoir d’Hérode, lors de sa mort, et aussi sous les leaderships de Simon bar Giora (66-70) et de Simon bar Kokhba (IIe s.), sans oublier ceux de Theudas (44-46) et de Jésus ben Hananiah (90).15 Tous ces mouvements organisés de

soulèvement étaient comme la partie visible d’un iceberg d’une immense insatisfaction populaire et d’une

11Horsley, Richard A., Jesus and Empire: The Kingdom of God and the New World Disorder, Minneapolis,

Fortress Press, 2003, p. 15.

12Idem, p. 10.

13 Elliott, Neil, In Horsley, Paul and Empire, p. 170.

14 Horsley, Richard A, Christian Origins: A People’s History of Christianity, Minneapolis, Fortress Press, 2005,

p. 9.

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9

résistance occulte à la présence de l’autorité romaine de l’empereur. Selon Horsley, il faut absolument considérer ces mouvements de révolte en Judée et dans les environs de Nazareth pour comprendre la réception phénoménale du message de Jésus parmi le peuple de la Palestine.16 Les populations de la

Palestine en général refusaient de se soumettre volontairement au « nouvel ordre mondial » imposé par Rome. C’est pourquoi, les Galiléens et les Judéens ont souffert l’oppression et la répression de la part de Rome et de ses « clients ». Toujours selon Horsley, Jésus s’est opposé ouvertement à l’ordre impérial romain par ses enseignements et ses actions. « In prophetic proclamations and demonstrations directly against the imperial order, Jesus announced that both the Roman imperial order rulers and their exploitative Herodian and high-priestly clients in Jerusalem stood under God’s judgment.”17

C’est dans ce contexte de soulèvement et de résistance entre le peuple paysan juif et les dirigeants à la solde de Rome qu’il nous faut comprendre les origines et la réception du « mouvement de Jésus ». Horsley rappelle que les gens ne suivent pas un leader à moins que celui-ci ne réponde à un besoin ressenti face à une problématique présente dans la population.18 Si les foules suivent Jésus, c’est que son message et ses

actions rencontrent un besoin et une mouvance présente dans le cœur des familles habitant en Israël. Les paroles et les gestes de Jésus relatés dans les Évangiles doivent donc être, selon Horsley, interprétés à la lumière de la situation politico-économique de la Palestine. Ce n’est donc pas anodin ni insignifiant que les paroles de Jésus et ses gestes miraculeux s’adressent à un peuple pauvre, affamé et lourdement endetté qui représentait la très vaste majorité de la population paysanne de la Palestine à son époque.

1. 3 Proposition de Horsley

Horsley a ainsi développé un œil attentif à la présence de l’Empire dans les écrits du Nouveau Testament à travers les tensions et les conflits présents dans les textes bibliques. Selon lui, l’écrivain évangélique Luc utilise un vocabulaire directement influencé par la rhétorique impériale avec l’intention de critiquer et opposer l’Empire. À titre d’exemple, nous pouvons mentionner Luc 2 dans lequel l’auteur présente Jésus, à travers l’annonce de l’ange aux bergers, comme le Sauveur et le Seigneur qui apporte la bonne nouvelle de la paix.

Ne craignez point; car je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera pour tout le peuple le sujet d’une grande joie : c’est qu’aujourd’hui, dans la ville de David, il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. …une multitude de l’armée céleste, louant Dieu et disant : Gloire à Dieu dans les lieux très hauts, et paix sur la terre parmi les hommes qu’il agrée!19 (Soulignement de l’auteur)

16 Horsley, Christian Origins, p. 30. 17 Horsley, Jesus and Empire, p. 126. 18 Horsley, Christian Origins, p. 31. 19 Luc 2, 10-14

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Horsley rappelle que les mots « bonne nouvelle » (εὐαγγελίον), « sauveur » (σωτήρ), « seigneur » (κύριος), « paix » (είρήνη), bien intégrés dans la communauté chrétienne d’aujourd’hui comme faisant référence à Jésus, étaient déjà utilisés pour décrire César Auguste à Rome. Auguste était alors proclamé parmi le peuple comme le « sauveur du monde » et le « seigneur de l’Empire »20. Auguste lui-même se considérait comme le

sauveur de la République. Des poètes, comme Virgile, parlaient de l’époque augustinienne comme l’Âge d’or du monde habité, le salut de la république, « l’impossible qui est arrivé », le miracle accompli.21 Il faut aussi

mentionner cette célèbre inscription de Priène qui date de 9 avant Jésus-Christ, et qui fait l’éloge de César Auguste :

Il a plu aux Grecs d’Asie, sur proposition du grand-prêtre Apollonios fis de Ménophilos d’Azanion : « Attendu que la Providence qui a divinement ordonné notre vie et qui, avec largesse et perfection, a donné à notre vie le plus bel ornement qui soit en nous donnant Auguste, qu’elle a comblé de toutes les vertus pour le plus grand bien de l’humanité, et pour notre plus grande joie et celle de nos descendants, lui qui a fait cesser la guerre et rétabli l’ordre et la paix, et que César, par sa simple apparition, a redonné espoir à tous ceux qui ont entendu son message de paix, non seulement en surpassant les bienfaiteurs qui l’ont précédé, mais encore en ne laissant à ceux qui lui succéderont aucun espoir de le surpasser, et que pour tout l’univers, le jour de naissance du dieu Auguste signifie le début de la bonne nouvelle qu’il promet,...pour honorer Auguste, à savoir que le jour de sa naissance signifie le début de toute vie.22

Il faut porter une attention particulière aux mots de cette inscription qui rappellent sans contredit l’Évangile de Jésus, tel que présenté dans le Nouveau Testament : donné, pour le plus grand bien de l’humanité, cesser la guerre, son apparition, le bienfaiteur, le dieu Auguste, le commencement de la bonne nouvelle (évangile) qu’il promet. L’époque d’Auguste est ici présentée comme une bonne nouvelle (évangile) pour le monde. Cet évangile était célébré dans les villes par des célébrations religieuses et des festivités empreintes de joie à chaque année, le jour anniversaire de la naissance d’Auguste. Le sauveur ainsi proclamé est un don de la divinité pour le bien de l’humanité. Ce sauveur est acclamé et présenté en termes divins. Virgile le reconnaissait comme « fils du divin ».23

Ce sauveur impérial avait réussi à apporter la paix mondiale et le salut pour tous les peuples. Auguste était le bienfaiteur du monde entier. Le salut impérial romain se définissait par des mots comme « solidarité, grâce, joie, paix, vie, espoir, honneur, gloire », des mots décrivant des vertus capitales pour les citoyens de l’Empire. Pour Rome, cette proclamation et les multiples conquêtes faites par ses armées étaient une « bonne nouvelle », un évangile de paix. Cette bonne nouvelle de la pax romana était basée et établie par suite des conquêtes et des guerres menées et soutenues par César. Auguste était proclamé et honoré comme le prince

20 Horsley, Jesus and Empire, p. 12. 21 Virgile, Énéïde, VI, 789-795.

22http://chaerephon.e-monsite.com/medias/files/priene.html (consulté le 16 mars 2015). 23 Virgile, Énéide VI, 790-795.

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de la paix, mais dans le sens de conquérant militaire puissant ayant conclu des pactes avec les peuples conquis.

C’est pourquoi Georgi affirme que l’Évangile prêché par les auteurs du Nouveau Testament doit être compris comme étant une bonne nouvelle qui rivalisait avec l’évangile de César. « The sōtēria represented by Caesar and his empire is challenged by the sōtēria brought about by Jesus.”24 Pour lui, l’utilisation volontaire de ce vocabulaire vise à l’associer à la « Roman political theology. »25 Horsley avance que l’utilisation de ces termes par les auteurs du Nouveau Testament visait à monter un mouvement anti-impérial ayant à sa tête Jésus, le fils de Dieu, le vrai Sauveur et Seigneur du monde26. Jésus est ainsi présenté comme l’instigateur d’un

mouvement pour la restauration d’Israël contre l’Empire et ses représentants à Jérusalem, tel qu’Hérode et les prêtres du Temple. Affirmer que Jésus est le Sauveur et le Seigneur véritable dans les textes du Nouveau Testament, c’est aussi affirmer que César n’est pas le sauveur et le seigneur du tout, selon ces chercheurs, et que, donc, l’Église primitive critiquait ainsi l’idéologie impériale de Rome.27

1. 4 Arguments en faveur de sa proposition

1. 4. 1 Conditions culturelles

Les représentants de l’Empire en Judée nommés par César jouaient un rôle crucial dans la mise en application de la Pax romana dans les territoires conquis. Ces représentants devaient s’assurer que la gouvernance de César était maintenue et que les peuples demeuraient soumis aux règles de conduite impériale. Par exemple, Jules César et Marc Antoine avaient eux-mêmes choisi Hérode afin de faire régner l’ordre en Palestine parmi le peuple juif conquis. En 37 avant Jésus-Christ, il est nommé « roi de Judée » (roi des Juifs) afin de lui donner davantage de pouvoir dans la gestion de la Judée. Lorsqu’Octave devient César Auguste en 31 avant Jésus-Christ, il fait d’Hérode son roi-client préféré.28 C’est ce dernier qui, voulant

symboliser la soumission du peuple juif au pouvoir de Rome, a fait érigé un « aigle d’or géant », symbole impérial, au-dessus de la porte du Temple, donnant ainsi « a constant visible reminder to the people of their subjection. »29

Hérode, appuyé par les cohortes romaines fournies par César, agissait avec violence contre les rebelles afin de mater et étouffer tout mouvement protestataire. Les crucifixions, les massacres, les complots, et la torture ont servi de moyens disciplinaires pour terroriser la population et la garder soumise. C’est ainsi que le « roi

24 Georgi, Dieter, In Paul and Empire, p. 152. 25 Idem, p. 148.

26 Horsley, Paul and Empire, p. 1.

27Diehl, Judith A., in McKnight, op. cit., p. 39.

28 Horsley, Jesus and Empire, p. 32. 29 Idem, p. 40.

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des Juifs » dirigeait et soumettait le peuple conquis de la Judée. C’est par ces roi-clients et ces gouverneurs à sa solde qu’Auguste établissait sa pax romana sur les territoires conquis par la guerre et les conquêtes. C’est également dans ces conditions culturelles, politiques et matérielles établies par les Romains que le mouvement chrétien a vu le jour et que les auteurs du Nouveau Testament ont écrit leurs textes et récits.

1. 4. 2 Le culte de l’empereur

Une autre dimension impériale importante qui attire l’attention d’Horsley est le culte de l’empereur. César était appelé « dieu » (theos) par le Sénat, et ce culte servait à cultiver la dévotion et la piété envers lui.30 On se

référait à lui en parlant de « la grandeur de notre dieu César ». Avec ce titre divin viennent le pouvoir, la fidélité, la dévotion, l’attachement et l’ordre, choses que les peuples désiraient également. Auguste se voyait et se considérait lui-même comme le « sauveur » de la république qui avait établi « la paix et la prospérité » à travers tout le territoire connu de l’époque, accomplissant ainsi les espoirs de l’humanité.31

Pour appuyer et répandre cette glorification de l’empereur venait aussi toute une propagande principalement répandue à travers l’art de poètes comme Horace. Ils chantaient et écrivaient des textes qui soulignaient le miraculeux et l’extraordinaire dans la vie de César. Selon Horace, les paroles du poète ont une portée et un pouvoir prophétique reconnus : His word is powerful, not only among humans but also among the gods. It has a relationship to prayer, magically invoking the gods, imploring and interceding for the purpose of winning the good and averting the bad. 32 Le poète est une figure reliée à la divinité, et joue un grand rôle dans la

propagande impériale sur le peuple. Woodman et West font remarquer, à propos de l’époque d’Auguste, There can have been few ages in which poets were so intimately and affectionately connected with the holders of political power, few regimes with a richer iconography, few poets so profoundly moved by a political ideal and so equipped to sing its praises with subtlety, humor, learning, and rapture.33

1. 4. 3 Propagande impériale

Les paroles des poètes qui célèbrent Auguste et son règne sont plus que de la simple poésie. Elles sont perçues et reçues « as the immediate fulfillment of a heavenly order and as the execution of divine inspiration. »34 Les poètes ont joué une grande part dans la déification d’Auguste. Un contemporain

d’Auguste, Nicolas de Damas, a écrit sur lui : « The whole of humanity turns to the Sebastos (i.e., Augustus) filled with reverence. Cities and provincial councils honor him with temples and sacrifices, for this is his due. In

30 Horsley, Paul and Empire, p. 20-21. 31 Georgi, Dieter, in Paul and Empire, p. 37. 32 Idem, p. 39.

33 Woodman T. et D. West, Poetry and Politics in the Age of Augustus In Paul and Empire, p. 13. 34 Georgi, Dieter, In Paul and Empire, p. 39.

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this way do they give thanks to him everywhere for his benevolence.”35 Avec une telle propagande, il n’est pas

étonnant de constater rapidement une diffusion du culte de l’empereur à travers les villes et régions du territoire conquis.

César est devenu, pour les citoyens romains, le sauveur divin et le seigneur de l’Empire qui avait apporté la paix et le salut à l’humanité. Dans la plupart des différentes régions du monde d’alors, il était adoré et célébré par des fêtes et des hymnes en son honneur par tous ceux qui « avaient foi » en lui. Il est devenu un pilier important du « nouvel ordre » impérial. Partout dans l’Empire on le reconnaît comme le sauveur. Afin d’augmenter son pouvoir et son autorité déjà perçus comme divins, Auguste est aussi devenu membre du sacerdoce, et fut proclamé pontifex maximus, c’est-à-dire le directeur des pontifes, le plus haut responsable de la religion romaine.36 César est alors devenu membre suprême du sacerdoce et de la prêtrise de l’Empire,

le grand-prêtre spirituel de toute religion romaine. Les populations lui devaient maintenant la pietas et la fides en plus de la soumission et de l’obéissance.

Octave (Auguste) faisait tout en son pouvoir pour « apparaître protégé des dieux » et ainsi « sacraliser sa personne »37 à travers une propagande littéraire et artistique remarquablement efficace. Virgile et Horace le

chantent, le proclament et le représentent de manière majestueuse alors qu’il revenait de sa victoire d’Actium contre Antoine :

Auguste, qu’accompagnent…les dieux de Rome et les dieux de l’Olympe. Il rayonne, debout sur sa poupe élevée : son casque est ceint d’une brillante auréole, et l’astre paternel resplendit sur sa tête. … Enfin César, trois fois porté dans Rome sur un char triomphal, payait aux dieux de l’Italie le tribut de sa gloire, et leur dressait dans la ville éternelle trois cents temples majestueux.38

De cette propagande poétique va ressortir l’idée de la victoire qui sera au cœur même du culte impérial, et qui sera donnée par les dieux et par la nature tout entière. Auguste est devenu le vainqueur du monde, et celui qui a établi la paix sur terre comme sur mer. Auguste incarnait « l’espoir d’un ordre nouveau qui assurerait la paix, qui romprait avec le cycle des violences et des guerres civiles, un espoir que tous partageaient. »39

La société romaine était prête à recevoir et accepter un homme qui apporterait la paix sur le territoire connu, et Octave a bien compris et saisi cette opportunité en utilisant la propagande des poètes. « Il apparaît à la fois comme l’homme de la victoire et comme l’homme de la paix. …Octave est salué du titre de « sauveur de

35 Zanker, Paul, In Paul and Empire, p. 72.

36 Le Glay, Marcel, Yann Le Bohec et Jean-Louis Voisin, Histoire romaine, Paris, Éditions Quadrige PUF, 1991,

p. 44.

37 Idem, p. 153.

38Nisard, M. Virgile. Œuvres complètes. Paris, Traduction de 1850. Énéide VIII.

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l’État ».40 En 28 avant Jésus-Christ, Octave reçoit les honneurs qui feront de lui l’imperator. D’abord, on lui

décerne le titre d’Auguste, terme emprunté au vocabulaire religieux que Tite-Live oppose à humanus.41 On le considère comme « le porteur de l’autorité suprême », déjà plus qu’un humain. L’année suivante, Octave délaisse son nom de naissance pour celui de Imperator Caesar Divi filius Augustus. Il recevra également les lauriers et la couronne qui vont l’asseoir dans son rôle de sauveur de la république. Auguste a maintenant atteint le statut de dieu-homme sur l’Empire. Les arts, la poésie, l’architecture, la sculpture, le chant seront mis au service de la propagande afin de relever et nourrir cette image divine du sauveur dans la personne d’Auguste. Les victoires et les triomphes militaires sont désormais sa propriété, et tous les combats remportés le sont en son nom. Comme le souligne Horsley, « Augustus was thus manifest as both god and man, corresponding precisely to his special status in the imperial cult. »42

1. 5 Résumé

Tout ce vocabulaire et langage impérial utilisés également par les auteurs du Nouveau Testament, pour parler de Jésus, ont amené Horsley et ses collègues à proposer que ces textes fondateurs du Christianisme proclamaient un Évangile anti-impérial. « Insofar as Paul deliberately used language closely associated with the imperial religion, he was presenting his gospel as a direct competitor of the gospel of Caesar. »43 Selon lui,

l’emprunt du vocabulaire impérial par Paul et les auteurs du Nouveau Testament révèle à quel point leur Évangile était contre l’Empire romain et ses valeurs. Le salut apporté par Jésus vient en directe opposition au salut apporté par César. La paix et la sécurité comme catégories de la propagande impériale sont remplacées par la paix et la sécurité apportées par Jésus Christ. Le Lion de Juda remplacera l’aigle de Rome par l’instauration d’une nouvelle assemblée gouvernementale, l’Église. Selon Horsley, les discours de Jésus annonçaient l’arrivée du jugement de Dieu sur les dirigeants de ce monde, depuis l’empereur à Rome jusqu’à ses représentants à Jérusalem. Rome et ses valeurs sont déjà sous le jugement de Dieu qui va renverser et vaincre leur pouvoir. C’est pourquoi Horsley considère l’ensemble des paroles et des miracles de Jésus tels que rapportés dans les Évangiles comme des textes et des récits à lire et à comprendre avec l’Empire romain en filigrane.

In both his actions and teaching, Jesus opposed the Roman imperial order and its effects on subjects peoples. In prophetic proclamations and demonstrations directly against the imperial order, Jesus announced that both the Roman imperial rulers and their exploitative Herodian and high-priestly clients in Jerusalem stood under God’s judgment. His mission in Galilean and other villages focused on healing the debilitating effects of imperial violence and on renewing the

40 Idem, p. 187. 41 Idem, p. 188.

42 Horsley, Paul and Empire, p. 74. 43 Idem, p. 140.

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esprit de corps and cooperative spirit in communities disintegrating under the impact of the imperial order. This mission presents a stark contrast with the Roman imperial order.44

Cette présentation de la position dirigée par Horsley nous amène à nous poser certaines questions légitimes. A-t-il raison? Est-ce qu’effectivement les auteurs du Nouveau Testament ont délibérément écrit contre l’Empire romain? Est-ce que leurs textes doivent être reçus comme des textes anti-impériaux? Comment comprendre alors la déclaration de Pilate innocentant Jésus lors de sa comparution demandée par les autorités juives qui l’accusaient de provoquer un soulèvement contre César? Pourquoi les autorités romaines n’ont-elles pas persécuté les chrétiens dès l’origine du mouvement de Jésus au lieu des autorités juives, et ont même semblé plutôt les protéger contre elles? Est-ce que l’utilisation d’un vocabulaire commun oblige le lecteur à comprendre le texte de l’un comme une opposition à l’autre? Se pourrait-il que les auteurs du Nouveau Testament aient voulu simplement utiliser un vocabulaire connu afin de faire comprendre à leurs lecteurs leur message qui concerne un autre domaine, un peu comme une parabole? Jusqu’à quel point pouvons-nous suivre la méthodologie de Horsley dans l’interprétation des textes du Nouveau Testament?

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Chapitre 2 : Réponses à la théorie de Horsley

Depuis la parution des ouvrages de Horsley sur une lecture sociohistorique des textes du Nouveau Testament, différents auteurs ont voulu répondre après avoir bien examiné sa proposition d’approche herméneutique appelée « empire criticism ». C’est ainsi qu’en 2005, Christopher Bryan publie Render to Caesar. Jesus, the Early Church, and the Roman Superpower. Bryan est professeur du Nouveau Testament au School of Theology de l’University of the South au Tennessee.

En 2008, Seyoon Kim publie une réponse à Horsley sous le titre Christ and Caesar. The Gospel and Roman Empire in the Writings of Paul and Luke. Kim est doyen académique du « Korean Doctor of Ministry program » au Fuller Theological Seminary en Californie où il enseigne le Nouveau Testament.

Plus tard, en 2013, a paru un collectif dirigé par Scot McKnight et Joseph B. Modica sous le titre Jesus is Lord, Caesar is not. Evaluating Empire in New Testament Studies. Le docteur McKnight enseigne le Nouveau Testament au Northern Seminary en Illinois, en plus d’être l’auteur de plusieurs ouvrages sur l’Évangile de Jésus Christ. Le docteur Modica est aumônier universitaire en plus d’être professeur-associé aux études bibliques au Eastern University en Pennsylvanie. Parmi les collaborateurs de ce collectif, nous retrouvons David P. Nystrom, Judith A. Diehl, Dean Pinter et Drew J. Strait. Ils sont tous des spécialistes du Nouveau Testament et de l’histoire de l’Empire romain. Nous utiliserons donc ces ouvrages afin de présenter les grandes lignes de leur réponse à la proposition de Horsley.

2. 1 Christopher Bryan

Dans un premier temps, Bryan reconnaît être en accord avec Horsley sur le fait observable que Jésus et les auteurs du Nouveau Testament ont critiqué l’Empire et ses représentants selon la tradition des prophètes d’Israël qui affirmaient que l’Éternel est le seul Dieu et Juge de son peuple. Dans ce sens, les écrits bibliques ont effectivement mis au défi les gouvernements et les chefs d’État sur leur sens de responsabilité, et, dans ce même sens, the words and works of Jesus and his followers are both political and revolutionary.1

Cependant, Bryan croit, contrairement à Horsley, que même si la tradition biblique questionne et défie les gouvernements humains, elle ne cherche aucunement à les remplacer par d’autres structures gouvernementales, mais plutôt à les confronter sur leur éthique de l’exercice du pouvoir. Les écrivains bibliques reconnaissent l’origine divine de l’autorité gouvernementale des dirigeants du monde, et ne nient pas

1Bryan, Christopher, Render to Caesar: Jesus, the Early Church, and the Roman Superpower, Oxford, Oxford

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leur légitimité à diriger les nations sur lesquelles ils ont pouvoir. Leur autorité vient de Dieu.2 Cependant, en

tant que prophètes et porte-paroles de Dieu, ils vont dénoncer et réprimander tout abus de ces mêmes dirigeants dans l’objectif qu’ils puissent réformer leurs voies et leurs façons d’exercer leur autorité et leur pouvoir accordés par Dieu.

La montée en popularité de Jésus en Palestine a été reçue, par la population qui le suivait, dans la lignée prophétique des prédicateurs de l’histoire d’Israël. Les Évangiles soulignent cette réalité en relevant la réponse des disciples à la question de Jésus qui leur demandait : Au dire des foules, qui suis-je? La réponse est : Pour les uns, Jean le Baptiseur; pour d’autres, Élie; pour d’autres encore, un des anciens prophètes qui s’est relevé.3 En tant que « prophète », Jésus a fait ce que les prophètes de l’Ancien Testament faisaient, c’est-à-dire annoncer le Royaume de Dieu et appeler le peuple à la repentance devant l’imminence du jugement de Dieu contre le péché. Cette proclamation prophétique de Jésus impliquait, bien entendu, une confrontation contre le pouvoir politique reliée aux réalités sociales de son époque, tout comme l’auraient fait les autres prophètes avant lui.4 Mais il faut se demander de quel genre de confrontation il s’agissait. Était-ce

une confrontation violente comme celle des Zélotes, ou plutôt idéologique comme celle des prophètes? Horsley avance que la prédication de Jésus impliquait un rejet direct ou indirect de l’autorité de Rome sur Israël. Bryan croit que Horsley est dans l’erreur sur cette question. Il souligne et fait remarquer que Jésus n’a jamais rejeté, ou incité au rejet, l’autorité légitime du gouvernement romain. Pour lui, Jésus se tient définitivement dans la lignée théologique des prophètes de l’Ancien Testament, comme Daniel et Jérémie, qui affirmaient que l’autorité du pouvoir du gouvernement vient de Dieu, mais que chaque gouvernement sera redevable à Dieu pour sa façon d’exercer ce pouvoir.5 Bryan ne voit donc rien dans les récits évangéliques qui

indiquerait un intérêt pour Jésus de changer le gouvernement en place par une autre structure gouvernementale humaine, qu’elle soit chrétienne ou païenne, contrairement à Horsley qui affirme que la proclamation du Royaume de Dieu exigeait le rejet direct de l’autorité de César. Jésus n’a jamais remis en question la légitimité de César, d’Hérode ou des grands-prêtres à exercer leur autorité sur le peuple d’Israël. Il a plutôt défié leur éthique du pouvoir et de l’autorité pour lesquels il les rendait redevables devant Dieu. Le message de Jésus vis-à-vis du gouvernement impérial romain pourrait se résumer en ces quelques lignes : « however much the inhabitants of Judaea dislike it, they cannot escape the authority of Caesar and the obligations that entails. »6

2 Romains 13, 1 3 Luc 9, 18-19

4 Bryan, op. cit., p. 41. 5 Idem, p. 42.

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2. 2 Seyoon Kim

De son côté, Seyoon Kim perçoit un défaut à la cuirasse de l’argumentaire de Horsley en mentionnant au moins quatre problèmes avec la méthodologie de son approche socio-politique des textes du Nouveau Testament.

2. 2. 1 La « parallélomanie »

Les tenants de l’approche socio-historique font un rapprochement important entre le vocabulaire de l’idéologie impériale et celui du Nouveau Testament. Ce rapprochement les amène à conclure à une interprétation anti-impériale des textes néotestamentaires, ce qui est considéré par Kim comme une exégèse erronée dirigée par ce qu’il appelle la « parallelomania »7. Reconnaissant que les mêmes termes sont utilisés par l’Empire et par

les auteurs néotestamentaires, il faut se demander par contre si la proclamation de Jésus comme Sauveur et Seigneur est vraiment un reniement et une opposition à César par les chrétiens, dévoilant alors leur trahison. Cité par Kim, Christopher Bryan, de l’université d’Oxford, répond à cette question : « No, it does not. Certainly Christians were using some of the same words about Jesus as pagans used about Caesar, but they were hardly using them in the same context, or meaning anything like the same thing by them.”8 Même si l’expression “fils de dieu” est utilisée pour parler de César et de Jésus, elle ne provient pas de la même tradition et n’a pas le même sens. L’une est païenne et l’autre est juive, et n’ont donc pas la même connotation et la même référence de base. La première s’inspire de la tradition des rois hellénistiques; tandis que la deuxième tire son origine dans la tradition des écrits vétérotestamentaires de la Bible. Citant à nouveau Bryan, Kim rappelle aussi que la persécution romaine contre les chrétiens n’a jamais été causée par une compréhension politique de cette expression, mais plutôt par un refus des chrétiens d’honorer les dieux romains.

Dans son « Apologétique », même Tertullien suggéra aux chrétiens qu’ils pouvaient appeler l’empereur « seigneur » dans son sens purement séculier, et non dans son sens divin.9 Les chrétiens pouvaient aussi,

selon ce Père de l’Église, se joindre aux festivités célébrant l’anniversaire ou l’accession au pouvoir d’un empereur sans pour autant compromettre leur foi en Christ.10 Les tenants de la thèse de Horsley n’ont pas,

selon Kim, fait la démonstration sans équivoque que l’emploi d’un vocabulaire impérial dans le Nouveau Testament fait de ce dernier un recueil de textes anti-impériaux.

7 Kim, op. cit., p. 28. 8 Bryan, op. cit., p. 91-92. 9 Tertullien. Apologétique 34, 1. 10 Idem, 35, 1-4.

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2. 2. 2 La déduction provenant de suppositions

Toujours selon Kim, la deuxième erreur méthodologique de Horsley est ce qu’il appelle Deduction from Assumptions (Déduction provenant de suppositions)11. Par exemple, Horsley déduit que, comme César était

adoré et servi comme sauveur et seigneur du monde à travers l’Empire, il s’en suit que la proclamation de Jésus comme Sauveur et Seigneur du monde par les chrétiens est nécessairement un geste subversif qui vise à renverser l’empereur. Un autre exemple de déduction par supposition nous vient du récit de la crucifixion. Comme Jésus a été crucifié par les soldats romains, la prédication de Jésus crucifié comme étant le Seigneur et le Fils de Dieu avait alors un caractère anti-impérial.12 Il se trouve selon Kim que ces suppositions ne

constituent pas des preuves sans doute raisonnable que les auteurs du Nouveau Testament écrivaient pour s’opposer directement au pouvoir de l’empereur.

2. 2. 3 La preuve textuelle

La troisième erreur de la méthode utilisée par Horsley et mentionnée par Kim est appelée la « Proof-Texting »13. Elle concerne l’emploi d’un vocabulaire impérial comme kyrios, parousia, epiphaneia, euangelion,

ekklēsia, pistis, eirēnē par les auteurs du Nouveau Testament pour les appliquer au Royaume de Dieu proclamé par Jésus. En connectant ces mots avec les suppositions anti-impériales faites précédemment, le lecteur tire alors la conclusion que les textes néotestamentaires dans lesquels se retrouvent ces mots sont nécessairement subversifs à l’Empire, peu importe leur contexte. Pour Kim, il s’agit là d’une application inappropriée d’une méthode exégétique déjà controversée appelée « the proof-text method ».14 Cette méthode

consiste à prendre des textes bibliques de manière isolée pour développer ou prouver une position théologique sans tenir compte du contexte d’écriture.

2. 2. 4 Un code secret

Une quatrième et dernière erreur méthodologique de Horsley, selon Kim, consiste dans le repérage supposé d’un code secrètement inséré dans le texte du Nouveau Testament. On prétend alors que, comme ils devaient faire preuve de prudence en dénonçant l’Empire par crainte des représailles, les auteurs ont alors utilisé un code secret dont le sens était caché pour les représentants de César, mais accessible pour les initiés de l’Église. Les auteurs utilisent alors l’ironie, les paraboles, les sous-entendus subtils, des codes énigmatiques pour passer leur message anti-impérial. Kim pose alors la question :

…why the original recipients of the epistles and their successors in the early church were not able to decode Paul’s counter-imperial messages even in the light of their actual life experience

11 Kim, op. cit., p. 30.

12Idem, p. 31.

13 Ibid. 14 Idem, p. 32.

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of imperial oppression, something that the modern interpreters find so easy to do even with the distance of almost two thousand years (?)15

Pour Kim, nous sommes en présence de plusieurs démonstrations de faiblesses dans la méthode utilisée par Horsley et ses collègues pour interpréter les textes du Nouveau Testament.

Soulignons quelques facteurs qui viennent appuyer la réponse de Kim face à la thèse de Horsley. D’abord, il fait remarquer que nous ne retrouvons aucune critique ouverte et directe par les auteurs du Nouveau Testament vis-à-vis de l’Empire romain. Même si ces auteurs parlent de la venue du Royaume de Dieu et du retour de Jésus qui va abolir tout royaume humain terrestre, il n’y a aucun texte qui critique ouvertement l’établissement d’un gouvernement humain sur terre, et qui dénonce même la violence militaire, l’esclavagisme, l’exploitation monétaire, la cruauté de César, ou encore l’idolâtrie du culte de l’empereur. Au contraire, il y a plusieurs textes néotestamentaires qui prônent la soumission à l’autorité, comme celui de Romains 13, 1-5.

Que chacun soit soumis aux autorités établies; car il n’y a pas d’autorité qui ne vienne de Dieu, et celles qui existent ont été instituées par Dieu. C’est pourquoi celui qui résiste à l’autorité s’oppose à l’ordre de Dieu; ceux qui s’opposent attireront un jugement sur eux-mêmes. Les chefs, en effet, ne sont pas à craindre quand on fait le bien, mais quand on fait le mal. Veux-tu ne pas craindre l’autorité? Fais le bien, et tu auras son approbation, car elle est au service de Dieu pour ton bien. Mais si tu fais le mal, crains, car ce n’est pas pour rien qu’elle porte l’épée : elle est en effet au service de Dieu pour faire justice, pour la colère, contre celui qui pratique le mal. C’est pourquoi il est nécessaire d’être soumis – non seulement à cause de la colère, mais encore par motif de conscience.16

Kim appelle ce texte le « talon d’Achille » pour les tenants de l’approche anti-impériale de Horsley17. Dans ce

texte, Paul exhorte les chrétiens en leur écrivant : Que toute personne soit soumise aux autorités (ἐξουσίαις) supérieures; car il n’y a point d’autorité qui ne vienne de Dieu, et les autorités qui existent ont été instituées de Dieu (v. 1). Il parle même des magistrats (ἄρχοντες) comme étant « serviteurs de Dieu pour ton bien » (v. 4). Dans son épitre aux Philippiens, Paul écrit aux chrétiens de la ville de Philippe, une colonie romaine de grande importance, alors qu’il est en prison, probablement à Rome. Bien qu’il ait été emprisonné à cause de sa foi en Christ, il est confiant qu’en exposant librement sa cause devant les autorités, et grâce aux prières des chrétiens, il sera finalement libéré parce qu’on aura reconnu son innocence des accusations portées contre lui.18 Les Juifs l’accusaient de prêcher « un autre roi » que César, et cherchaient à le faire condamner par les

15 Idem, p. 32-33.

16 À part les versets provenant de Luc 1 et 2, les textes bibliques proviennent de la version La Nouvelle Bible

Segond.

17 Kim, op. cit., p. 36. 18 Philippiens 1, 25-26

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autorités romaines. Bien sûr que Paul utilisait des mots similaires à ceux utilisés dans l’Empire : justice, paix, salut, seigneur, sauveur, évangile, foi. Mais, comme le dit Kim,

He would explain that the terms employed for his gospel, despite their superficial similarities, meant something quite different from those in the imperial ideology, as his terms were drawn mostly from the Jewish Scriptures. Thus, his expectation for his acquittal clearly suggests that in his mind his gospel was not anti-imperial.19

Luc rapporte dans son deuxième tome, les Actes, que Paul, en tant que citoyen romain qui comparaissait devant un officier romain pour des accusations portées par les Juifs, a exigé de comparaître devant César à Rome.20 Et pourquoi Paul a-t-il fait cette demande? Parce qu’il était persuadé de pouvoir convaincre

l’empereur qu’il n’avait rien fait contre la loi des Juifs, contre le temple à Jérusalem ou contre César. Selon Kim, “Paul hoped to obtain an official recognition from the highest authority in the Roman Empire that the gospel of Jesus Christ was the fulfillment of Judaism and that the Christian faith posed no offence to the empire.”21

2. 3 Le collectif de Scot McKnight et Joseph B. Modica

Reconnaissant la méthode de la « critique de l’empire » (empire criticism) utilisée par Horsley pour approcher les textes du Nouveau Testament, McKnight se demande cependant si une telle méthode donne justice aux textes étudiés. « Are we reading Rome and Caesar into the New Testament or are we reading what is actually there?”22 Il est bien vrai que lorsque nous focalisons notre attention sur un thème, quel qu’il soit, ce thème

semble surgir à chaque page, thème que nous n’observions pas avant cette focalisation. Même si nous devons reconnaître la présence évidente d’un vocabulaire impérial dans les textes du Nouveau Testament, comme dans l’œuvre de Luc, McKnight considère que ces mentions n’impliquent nullement une position antagoniste de l’Église face à l’Empire.

En réponse à la proposition de Horsley à propos de l’utilisation d’un code anti-impérial secret dans le texte, Dean Pinter, collaborateur du collectif, fait observer en premier lieu que l’Empire n’agissait pas comme une police secrète à l’affût constant pour intercepter les communications et les correspondances entre sociétés et associations publiques. Cette proposition nécessiterait que les textes évangéliques aient été des textes publics contenant des textes cachés et encodés. Dans les faits, la plupart des textes du Nouveau Testament sont des textes privés ou destinés à des communautés restreintes de disciples de Jésus-Christ, ce qui enlève

19 Kim, op. cit., p. 44. 20 Actes 25, 10-12. 21 Kim, op. cit., p. 49.

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