• Aucun résultat trouvé

Quelle est la représentativité du syndicalisme français ?

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Quelle est la représentativité du syndicalisme français ?"

Copied!
13
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: halshs-03049892

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-03049892

Submitted on 10 Dec 2020

HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Quelle est la représentativité du syndicalisme français ?

Dominique Andolfatto, Dominique Labbé

To cite this version:

Dominique Andolfatto, Dominique Labbé. Quelle est la représentativité du syndicalisme français ?. L’OURS. Hors-série Recherche socialiste, Office universitaire de recherche socialiste, 2020, pp.25-36. �halshs-03049892�

(2)

Dominique Andolfatto, professeur de science politique, Université de Bourgogne Franche-Comté

Dominique.Andolfatto@u-bourgogne.fr

Dominique Labbé, chercheur associé au Pacte-CNRS, Université de Grenoble-Alpes

dominique.labbe@umrpacte.fr

Quelle est la représentativité du syndicalisme français ?

Article paru dans L’Ours. Revue de l’Office universitaire de

recherches socialiste. 90-91, juin 2020, p 25-36.

Résumé

En France, la loi détermine les critères de la représentativité syndicale. Il y a deux critères principaux : l'audience électorale et le nombre des adhérents. Depuis plus de 20 ans, les élections dans le secteur privé comme dans les trois fonctions publiques indiquent une montée rapide de l'abstention et une baisse continue des audiences syndicales mesurées en nombre de suffrages absolus. Ces deux caractéristiques s'expliquent par le recul de la présence syndicale sur les lieux de travail et par la désyndicalisation. Le nombre des adhérents a été établi par confédérations et par grands secteurs professionnels. La désyndicalisation a été rapide jusqu'aux années 1990. On observe, sur les quinze dernières années une quasi-stabilisation à un niveau très bas : environ 7% des salariés sont aujourd'hui adhérents à un syndicat taux le plus bas de tous les pays industriels comparables à la France.

(3)

Les règles qui s’appliquent en matière de représentativité syndicale sont « le fruit de l’histoire sociale, politique et juridique »1. Dans la plupart des pays, à l’exemple de

l’Allemagne ou du Royaume-Uni, l’essentiel repose sur une reconnaissance mutuelle entre syndicats et employeurs. A l’inverse, en France, la notion de la représentativité syndicale est d’abord de nature juridique. La loi française fixe les critères qui permettent aux syndicats de parler et d’agir au nom des salariés. Cela les impose comme interlocuteurs des employeurs – et des pouvoirs publics – dans la négociation collective et, plus largement, comme acteurs d’une démocratie sociale « à la française »2.

En France, une réglementation minutieuse a été redéfinie par la loi du 20 août 2008 « portant rénovation de la démocratie sociale ». Depuis lors, la représentativité syndicale est assise sur sept critères cumulatifs3 et, au premier chef, les résultats des

élections professionnelles organisées, sauf exception, tous les quatre ans dans les entreprises du secteur marchand, soit actuellement 19,5 millions de salariés.

Dans ce secteur, depuis la mise en œuvre de cette réforme, en 2009, deux cycles complets d’élections (2009-2012 et 2013-2016) sont intervenus. C’est sur la base de leurs résultats qu’est appréciée – et, bien souvent, discutée – l’audience des syndicats français, par entreprise, par branche d’activité ou au niveau national interprofessionnel (on parle officiellement de la « mesure d’audience »). Les résultats d’un troisième cycle interviendront à l’issue de la période 2017-2020.

Dans les trois fonctions publiques (hôpitaux, collectivités locales, Etat), soit près de 6 millions de salariés, l’audience est également appréciée lors d’élections spécifiques depuis une réforme de 20104, qui s’inspire de celle de 2008 pour le secteur privé. Ces

élections ont lieu tous les quatre ans lors d’un scrutin unique qui concerne tous les fonctionnaires. Deux consultations ont eu lieu en 2014 et 2018.

1 Antoine Bevort, « La réforme des règles de représentativité syndicale (2008-2010) », Idées

économiques et sociales, n° 163, 2011, p. 8-16.

2 Voir Dominique Andolfatto, dir., La démocratie sociale en tension, Lille, Presses universitaires du

septentrion, 2018.

3 Outre l’audience électorale, six autres critères entrent en jeu et peuvent être éventuellement

appréciés par le juge : le respect des valeurs républicaines, l’indépendance, la transparence financière, l’ancienneté de deux ans dans le champ professionnel, l’influence (soit l’activité et l’expérience), les effectifs et les cotisations.

4 Loi du 5 juillet 2010 « relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions

(4)

Pourquoi ces mesures d’audience sont-elles discutées ? D’abord, dans le secteur marchand, les élections ne couvrent pas toutes les entreprises ; ensuite, bien des salariés, pour différentes raisons, ne participent pas au vote ; enfin, une part non négligeable d’entre eux vote pour des listes non-syndicales. Dès lors, la « représentativité » syndicale est avant tout un construit juridique et ne traduit qu’imparfaitement les audiences et la sociologie du syndicalisme.

Si l’attention s’est concentrée sur ces élections, un second critère légal est censé être aussi important : le nombre des adhérents. Le taux de syndicalisation, soit la proportion de salariés qui adhèrent à un syndicat, constitue en effet une autre approche des forces syndicales. Dans le cas français, elle présente également un aspect juridique puisque, le juge peut être conduit à prendre en compte les effectifs syndicaux lors de contentieux. Le taux de syndicalisation constitue indéniablement un reflet des implantations du syndicalisme dans le monde du travail. C’est d’ailleurs sur ce dernier que s’appuient toutes les comparaisons internationales5. Cependant, en

France, faute de transparence concernant le nombre d’adhérents déclarés par les organisations syndicales et, souvent, en l’absence de toute déclaration, la mesure de la syndicalisation fait débats, au contraire des données existant pour d’autres pays.

Notre analyse de la « représentativité » des syndicats français, s’appuiera à la fois sur l’audience (résultats des élections professionnelles) et sur la syndicalisation. L’accent sera mis sur des aspects inédits ou souvent ignorés de la situation française. I. Environ un salarié sur quatre exprime un vote en faveur d’un syndicat

Les élections professionnelles sont un sujet relativement aride. Dans la dernière période, elles n’ont guère été étudiées6. C’est surtout le fait que la CFDT ait doublé la

CGT, à l’issue du dernier cycle électoral dans les entreprises, en 2013-16, qui a fait l’objet de commentaires : « événement considérable » ou « séisme syndical »7. Cette

5 Voir, par exemple, concernant l’OCDE : « Syndicats : Taux de syndicalisation », Statistiques de l'OCDE

sur l'emploi et le marché du travail (base de données), 2020. En ligne : https://doi.org/10.1787/data-00371-fr

6 Parmi les études récentes, voir Tristan Haute, « Evolution du paysage syndical et du salariat : analyse

des élections aux comités d’entreprise (2009-2018) », Revue de l’Ires, n° 94-95, 2018, p. 57-90.

7 Michel Noblecourt, « Les nouvelles règles du jeu syndical », Le Monde, 10 avril 2017 et Les clés du

social, 1er avril 2017 (en ligne :

(5)

perspective, outre qu’elle doit être sérieusement nuancé, a largement sous-estimé combien la représentativité syndicale est en fait problématique tandis que se développe un a-syndicalisme.

Il paraît important de revenir aux résultats pour mesurer l’audience des syndicats et comprendre comment la mesure officielle est construite. Le tableau 1 juxtapose puis agrège les résultats des dernières élections professionnelles : cycle électoral 2013-16 dans le secteur privé (colonnes A à D) ; élections dans la fonction publique de 2018 (E) ; addition des deux (F et G) pour une approche globale des différentes audiences.

Plus précisément, la colonne A reprend les résultats officiels définitifs de la « mesure d’audience » : après une première publication (mars 2017), ceux-ci ont été légèrement corrigés (juin 2017). Cette « mesure d’audience » agrège les résultats de trois scrutins différents : le premier tour des élections des comités d’entreprise (ou, à défaut des délégués du personnel ou des délégations uniques du personnel), les élections des TPE (très petites entreprises – moins de 10 salariés – dépourvues d’institutions représentatives du personnel), le collège salarié des élections aux chambres d’agriculture. Dans ces deux derniers cas, il s’agit de scrutins nationaux, sur sigles syndicaux. Par contre, les premières sont organisées dans chaque entreprise (hors TPE) selon une chronologie – et avec une offre électorale – très variable. Elles représentent 63 % des électeurs concernés par la « mesure d’audience » et 92 % des suffrages exprimés. Autant dire, que les premiers tours des élections des CE, DP et DUP constituent la colonne vertébrale de la « mesure d’audience » officielle.

Jusqu’en 2019, le détail des résultats des élections CE, DP, DUP n’était pas publié. Le gouvernement a décidé alors de mettre en ligne les données électorales transmises à l’administration par les entreprises. Leur exploitation statistique permet d’analyser précisément les audiences et les implantations syndicales . Cela conduit à une présentation différente de ces résultats, dans la lignée des enquêtes longtemps publiées par la Revue française des affaires sociales puis par Travail et emploi. La « mesure d’audience » ne recense en effet que les résultats du premier tour des élections professionnelles. Elle ignore les seconds tours. Les résultats publiés ne sont donc qu’une photographie d’un scrutin qui est, dans bien des cas, inachevé.

(6)

Tableau 1 : L’audience électorale du syndicalisme au niveau national (2013-2018) A B C D E F G Mesure officielle (définitive) CE, DP,

DUP DUP (tour CE, DP, décisif)

Mesure (intégrant

C)

Fonction

publique officielle + Mesure FP Mesure (intégrant C) + FP Inscrits 13 244 736 8 426 111 9 053 262 13 871 887 5 150 092 18 394 828 19 021 979 Votants 5 664 031 5 282 158 5 797 077 6 178 950 2 565 372 8 229 403 8 744 322 Blancs 420 903 411 129 422 030 431 804 145 743 566 646 577 547 Voix 5 243 128 4 871 029 5 234 414 5 606 513 2 419 629 7 662 757 8 026 142 CGT 1 303 750 1 207 712 1 054 097 1 149 161 528 337 1 832 087 1 677 498 CFDT 1 384 355 1 321 307 1 147 808 1 209 148 459 116 1 843 471 1 668 264 FO 818 393 770 691 686 419 733 298 438 488 1 256 881 1 171 786 CFTC 497 368 466 945 412 008 442 424 70 641 568 009 513 065 CGC 560 618 541 455 472 768 490 618 81 248 641 866 571 866 UNSA 280 555 238 957 205 593 247 191 270 338 550 893 517 529 USS 181 405 169 980 159 041 170 466 154 529 335 934 324 995 Autres 209 227 144 700 107 308 171 835 207 654 416 881 379 489 dont FSU 209 278 209 278 209 278 NS 989 372 989 372 989 372 % des inscrits Votants 42,8 62,7 64,0 44,5 49,8 44,7 46,0 Blancs 3,2 4,9 4,7 3,1 2,8 3,1 3,0 CGT 9,8 14,3 11,6 8,3 10,3 10,0 8,8 CFDT 10,5 15,7 12,7 8,7 8,9 10,0 8,8 FO 6,2 9,1 7,6 5,3 8,5 6,8 6,2 CFTC 3,8 5,5 4,6 3,2 1,4 3,1 2,7 CGC 4,2 6,4 5,2 3,5 1,6 3,5 3,0 UNSA 2,1 2,8 2,3 1,8 5,2 3,0 2,7 USS 1,4 2,0 1,8 1,2 3,0 1,8 1,7 Autres 1,6 1,7 1,2 1,2 4,0 2,3 2,0 dont FSU 4,1 1,1 1,1 NS 10,9 7,1 5,2 % des voix CGT 24,9 24,8 20,1 20,5 21,8 23,9 20,9 CFDT 26,4 27,2 21,9 21,6 19,0 24,1 20,8 FO 15,6 15,9 13,1 13,1 18,1 16,4 14,6 CFTC 9,5 9,6 7,9 7,9 2,9 7,4 6,4 CGC 10,7 11,1 9,0 8,8 3,4 8,4 7,1 UNSA 5,4 4,9 3,9 4,4 11,2 7,2 6,5 USS 3,5 3,5 3,0 3,0 6,4 4,4 4,1 Autres 4,0 3,0 2,1 3,1 8,6 5,4 4,7 dont FSU 8,6 2,7 2,6 NS 18,9 17,7 12,3

Sources : Ministères du Travail, de l’Action et des comptes publics, et nos calculs.

NB : CE : comités d’entreprise ; DP : délégués du personnel ; DUP : délégations uniques du personnel ; FP : fonction publique ; NS : non syndiqués.

(7)

C’est un peu comme si, lors de l’élection présidentielle ou des élections municipales, on ne retenait que le premier tour. Or, l’élection n’est achevée que lorsque les sièges sont attribués, au premier ou au second tour. L’analyse électorale parle du « tour décisif ». La colonne C présente les résultats de ces tours décisifs pour les élections des CE, DP et DUP. Puis, la colonne D agrège ces résultats à ceux des TPE et des chambres d’agriculture. Enfin, la dernière colonne du tableau (G) ajoute à la colonne D les résultats électoraux des trois fonctions publiques. On obtient ainsi le total des voix obtenues par chaque centrale syndicale à l’échelle de l’ensemble du salariat.

Le tableau permet donc de comparer la « représentativité » officielle des organisations syndicales telle qu’elle est construite par le droit et l’administration avec leur audience effective mesurée dans un processus électoral reflétant assez précisément les rapports de force.

Que retenir de ces données et de leur comparaison ?

Il faut rappeler d’abord que la dernière « mesure d’audience » (2013-16) n’a mobilisé que 42,8 % de votants, résultat quasi-identique à la précédente mesure (2009-12) En tenant compte des bulletins blancs, c’est même moins de 40 % des électeurs qui ont exprimé un choix (et seulement 34 % l’a fait en faveur d’une organisation syndicale). En outre, tous ces chiffres doivent être revus à la baisse si l’on base les calculs sur le nombre total des salariés du secteur privé (plus de 19 millions). Seuls 13,9 millions ont été concernés par une élection. Quatre salariés sur dix employés dans des établissements du secteur marchand de plus de dix salariés n’ont aucun syndicat et aucune institution représentative sur leur lieu de travail.

Au final, les organisations syndicales toutes ensembles ne reçoivent que la voix d’un peu plus d’un salarié sur quatre. Cela traduit la faiblesse des implantations syndicales dans le monde du travail, plus que jamais terres de mission pour les syndicats, loin de l’image des « bastions » syndicaux qui existaient autrefois.

Si l’analyse cible les seules élections en entreprise (CE, DP et DUP), la participation demeure plus importante : 64 %. Mais le vote blanc est relativement important et seuls 59 % des électeurs expriment un choix (et 47 % un choix syndical).

En revanche, dans la fonction publique cette participation ne concerne plus que moins d’un fonctionnaire sur deux, en 2018. La proportion des votants est la plus

(8)

faible dans la fonction publique hospitalière, avec une participation de 44 % et même beaucoup moins dans certains établissements hospitaliers – tels l’APHP ou les HCL –, autre aspect de la « crise » sociale à l’hôpital.

L’étude de la distribution des votes et, au niveau des entreprises, leur ventilation par secteur économique, montrent que la CGT demeure le principal syndicat dans l’industrie ainsi que les transports. Elle conserve également le leadership dans la fonction publique mais recule assez fortement en 2018.

La CFDT occupe la première place chez les salariés de l’agriculture (et dans l’industrie agro-alimentaire), la construction, le commerce, et les activités tertiaires comme la banque et l’assurance, les services aux entreprises ou la santé et l’action sociale. Elle occupe la deuxième place dans la fonction publique.

Force ouvrière a pour principales zones de force l’industrie automobile et aéronautique, les banques et assurances, les services aux entreprises, l’hôtellerie, la santé et l’action sociale. Elle est également première dans la fonction publique d’Etat.

La CFTC apparaît surtout comme une organisation des employés et techniciens du tertiaire (commerce, services aux entreprises, banque, presse et audio-visuel). Elle est quasi-inexistante dans la fonction publique, sauf dans les écoles privées sous contrat.

La CGC est principalement implantée dans les industries employant beaucoup de techniciens supérieurs et d’ingénieurs (automobile et construction aéronautique, chimie) et dans le tertiaire commercial avec de gros établissements et un personnel diplômé, comme les établissements financiers. A travers le syndicat Alliance, elle est influente au sein de la police nationale.

L’UNSA et SUD sont surtout présentes dans les grandes entreprises nationales, spécialement la Poste et la SNCF. L’UNSA est également la troisième organisation de la fonction publique d’Etat, derrière la FSU, l’une comme l’autre étant surtout implantée à l’Education nationale.

Enfin, dans le secteur privé, les non-syndiqués – que la statistique officielle a rendus invisibles – sont pourtant loin d’avoir disparu. Avec 17,7 % des voix, ils constituent la troisième audience électorale, derrière la CFDT et la CGT. Ils sont présents dans les secteurs où prédominent les petits établissements, en premier lieu, le commerce ou l’hôtellerie, la construction mécanique, l’industrie agro-alimentaire.

Pour apprécier la représentativité de ces organisations, il faut compléter la mesure d’audience par l’examen de la syndicalisation.

(9)

II. Un peu plus de sept salariés sur cent adhèrent à un syndicat

De 1900 à 1940, la syndicalisation en France est connue précisément8. Le nombre

de syndiqués dans la population salariée tourne autour de 10 à 15 % avec deux vagues : 1920 (taux de syndicalisation proche de 25 %) et 1936-38 (taux supérieur à 50 %).

Pour la période 1945-2000, le taux de syndicalisation est connu grâce à deux enquêtes financées par le ministère du Travail9. Les archives syndicales disponibles

ont été dépouillées et ces renseignements ont été complétés à l’aide des élections professionnelles.

Trois périodes peuvent être distinguées.

Après une courte vague (1945-1947) où près de la moitié des salariés ont adhéré à un syndicat, le taux se stabilise autour de 25 % pendant trente ans (1949-1977) avec une légère augmentation entre 1968 et 1973 (à 30 %). Des millions de salariés français ont adhéré à des syndicats et leur sont restés fidèles pendant de longues durées. Ces enquêtes ont montré que ces nombreuses adhésions s’expliquent non par des raisons idéologiques mais principalement du fait de la présence d’un réseau syndical sur le lieu du travail qui apportait une aide efficace en face des difficultés quotidiennes des salariés. En effet, jusqu’aux années 1970, l’essentiel du temps des syndicalistes d’entreprise était consacré à résoudre les problèmes individuels et collectifs de leurs adhérents. A l’époque, le syndicat reposait sur les cotisations des membres. Il n’était pas question de refuser ces interventions. Cela produisait dans les entreprises de solides liens sociaux et une identité au travail.

Entre 1978 et 1988, un effondrement de la syndicalisation se produit. Le taux a été divisé par deux (soit un recul moyen d’environ 7 % par an). Puis, entre 1988 et 2009, il est encore divisé par deux (soit un recul moyen d’environ 3,5 % par an). Au cours des années 1980-90, il s’est donc produit un véritable divorce entre les syndicats et les salariés français. Les principales raisons en sont le cumul systématique des mandats qui a entraîné la disparition des élus et mandatés des lieux du travail et leur

8 Dominique Andolfatto, Dominique Labbé, Histoire des syndicats (1906-2010), Paris, Seuil, 2010. 9 Dominique Labbé, Syndicats et syndiqués en France depuis 1945, Paris, L’Harmattan, 1996 et, avec

(10)

incapacité à apporter une aide individuelle efficace aux salariés en difficulté. Bien souvent, il reste des syndicalistes mais ils ne viennent plus voir les syndiqués, ne collectent plus les cotisations, n’organisent plus de réunions pour les syndiqués non-élus et ils sont rarement disponibles – ou avouent leur impuissance – quand des salariés en difficulté font appel à eux.

Enfin, pour les dix dernières années, les données disponibles indiquent au mieux une stabilisation à un niveau bas.

La dernière enquête exhaustive sur la syndicalisation en France date des années 2002-2004. Mais une actualisation de ces données concernant chaque confédération a pu être réalisée à l’aide des élections professionnelles en supposant stable la relation entre le nombre d’électeurs et d’adhérents. Par exemple, en 2003-2004, la FSU a obtenu 263 162 voix aux élections de la fonction publique d’Etat. Elle avait à l’époque 120 000 adhérents. En 2018, à ces mêmes élections, elle a recueilli 209 278 suffrages, soit un recul de 21 %. En acceptant l’hypothèse d’une stabilité de la relation entre la proportion des adhérents et le nombre des électeurs, la FSU compte en 2018 : 95 000 adhérents (120 000*0,79).

Autre exemple : la CGT. En 2003-2004, elle obtient 1,023 millions de voix (cumul des suffrages obtenus aux élections des CE et dans la fonction publique d’Etat) et elle avait 540 000 adhérents ; en 2006-2008, elle recueille 892 000 suffrages soit un recul de 13 %, ce qui ramène le nombre de ses adhérents à 470 000.

Le même calcul est appliqué à l’ensemble des organisations syndicales au niveau national mais aussi par branches. Les résultats globaux sont récapitulés dans le tableau 2.

Tableau 2 : La syndicalisation en France en 2016

CFDT 480 000 adhérents CGT 470 000 FO 300 000 UNSA 130 000 CFTC 120 000 CGC 110 000 FSU 95 000 USS 80 000

NB : Les données incluent les retraités. Les effectifs de petites organisations syndicales propres à quelques corps de fonctionnaires, telle la FGAF (Fédération générale autonome des fonctionnaires) ou à certaines professions, tel le SNPL (Syndicat national des pilotes de ligne) ne sont pas pris en compte.

(11)

Ce calcul appelle deux remarques.

En premier lieu, les résultats sont nettement inférieurs à ceux revendiqués par les organisations syndicales (quand elles publient des informations à ce sujet). Outre la propension à l’embellissement qui n’épargne aucune d’elles, une partie des aides financières versées par l’Etat ou les employeurs sont comptabilisées en cotisations. Au début des années 2000, ce « recyclage » permettait d’augmenter les effectifs d’au moins un cinquième10.

En second lieu, l’hypothèse de la stabilité de la proportion des adhérents dans l’électorat est évidemment optimiste, surtout à une époque où l’on passe d’un syndicalisme d’adhérents à un syndicalisme d’électeurs, passage encouragé par la réforme des règles de représentativité en 2008-10. Par conséquent, plus les années de base de ce calcul (2002-2004) s’éloignent, plus l’incertitude qui pèse sur les estimations est importante. La quasi-stabilisation de la syndicalisation durant les dix dernières années n’est peut-être qu’une illusion provoquée par la méthode d’estimation des effectifs syndiqués.

Ces réserves admises, en comptant divers syndicats non confédérés, il y avait au total, en 2016-18, 1,9 million de syndiqués en France. Ce total rapporté à la population active salariée (25,2 millions) donne un taux global de syndicalisation de 7,5 %. C’est-à-dire que l’implantation des syndicats dans le salariat a été ramenée à son plus bas niveau depuis la fin du XIXe siècle.

De plus, ces syndiqués sont dispersés entre sept confédérations et un nombre considérable de fédérations et de syndicats non confédérés alors qu’en 1945, pour une syndicalisation relative six fois plus élevée, il y avait deux confédérations (CFTC et CGT) et un embryon de troisième (CGC).

Etrangement, depuis 2016, le ministère du Travail ne reprend plus ce taux de 7 à 8 %11, mais il l’a redressé à 11 %. Le même a réduit d’au moins un quart la

syndicalisation entre 1947 et 1995, ce qui permet d’affirmer que celle-ci aurait toujours été faible en France et que le recul ne serait pas aussi fort que la recherche l’a montrée.

Il n’est pas inintéressant de voir comment ces « redressements » ont été opérés.

10 Ce système a été reconnu au moins une fois publiquement (lors d’une enquête judiciaire concernant

la fédération agro-alimentaire CGT) : Alain Guédé, « Quand les saisonniers récoltent de l’oseille pour la CGT », Le Canard enchaîné, 11 juillet 2018.

(12)

D’une part, pour la période 1947-1995, les données reposaient sur le constat qu’à cette époque, les cotisations étant collectées manuellement, un adhérent payait en moyenne 8 timbres mensuels par an. Le ministère du Travail a réduit cette série de 12 % en prétendant que la « bonne » convention serait de 9 timbres par an (sans s’expliquer d’avantage). En second lieu, considérant qu’au dénominateur du taux de syndicalisation, il n’y a que des actifs, il a décidé de retirer les retraités du numérateur. Pourquoi pas ? Cependant, deux erreurs ont été commises. En premier lieu, il a été considéré que la proportion des retraités dans les syndiqués a été la même de 1949 à 1995 alors que cette proportion était très réduite jusqu’aux années 1980 et a atteint un maximum de 13 % des effectifs à la fin du XXe siècle. On ne comprend donc pas pourquoi toute la série - déjà rabotée de 12 % - a été encore abaissée de 14 %. Seconde erreur : les retraités ne paient qu’une cotisation par trimestre, c’est donc tout au plus un tiers de 13% (soit environ 4 %) qui auraient dû être décomptés des effectifs et seulement pour les années 1990.

Ces amputations erronées réduisent en moyenne d’un quart le taux de syndicalisation sur toute la période 1949-95. Cela permet de prétendre que les syndicats français ont toujours été faibles. Or, comme déjà indiqué, pour la période allant de la Libération à la fin des années 1970 (soit plus de 30 ans), cette affirmation est inexacte. Elle est également fort discutable pour la période d’avant-guerre.

Enfin, pour la période récente, le ministère du Travail s’appuie sur deux enquêtes par sondage sur les conditions de travail et de vie des salariés qui donnent deux taux, 7 ou 11 %, selon la manière dont la question est posée.

Cela étant, même « redressé », le taux de syndicalisation français actuel est très faible et le noyau central du syndicalisme français contemporain est toujours fourni par les salariés à statut des grandes entreprises nationales (SNCF, EDF, RATP, Aéroports de Paris…) auxquels s'ajoutent les postiers et les employés de France Télécom, les policiers, les fonctionnaires des ministères de l'Education nationale, des Finances, de l'Ecologie), ceux des hôpitaux publics et les salariés des organismes de la Sécurité sociale. Avec les agents de la fonction publique territoriale et les employés des sociétés d'économie mixte – notamment de transport public dans les principales villes de province –, ces 7 millions de salariés, protégés par de solides garanties légales ou contractuelles, constituent pratiquement les deux tiers des syndiqués et fournissent l'essentiel des permanents et des dirigeants syndicaux. Tout

(13)

naturellement, leurs préoccupations et leur vision du monde imprègnent l’ensemble du mouvement syndical.

A l'opposé, on trouve l’essentiel des salariés du « secteur privé ». Dans quelques grandes banques et assurances, les entreprises de l'aéronautique, du pétrole, de la chimie, du livre et de la communication, les services aux collectivités, on trouve une situation proche de celles des entreprises nationales. Cela concerne environ 2,5 millions de salariés. Une quantité équivalente de salariés de la métallurgie, l'électronique, l'agro-alimentaire, le bâtiment et les travaux publics, la grande distribution ont des syndicats dans leur entreprise mais pas forcément dans leur établissement. Le syndicat s'y réduit souvent à des élus peu visibles en dehors des périodes électorales. Enfin, les deux tiers des 19 millions de salariés du secteur marchand n’ont aucune chance de rencontrer un syndicaliste sur leur lieu de travail.

En conclusion, les statistiques officielles concernant les audiences et la syndicalisation traduisent très imparfaitement la réalité du syndicalisme français et, au-delà, celle du monde du travail.

Au cours des trente dernières années, la France a adopté un nouveau modèle syndical « sans adhérent » (à tout le moins de faibles effectifs) comme on dit d’une certaine agriculture qu’elle fonctionne « hors sol ». A tous les étages de l’édifice syndical, les ressources institutionnelles ont pris le pas sur les cotisations. Malgré une comptabilité complexe, interdisant une transparence réelle des effectifs et des ressources, aucune organisation ne peut dissimuler que les cotisations ne représentent plus qu’une faible proportion de ces ressources, surtout si l’on prend en compte les aides en nature, notamment les mises à disposition de personnels qui continuent à être payés par leurs entreprises ou leurs administrations.

En fin de compte, le syndicalisme français repose sur un « modèle » fragile, avec des implantations, tant militantes qu’électorales, sensiblement affaiblies. L’habillage juridique intervenu dans les années 2000, à travers la réforme des règles de « représentativité », tend à masquer cette situation et n’a pas réussi à l’inverser au contraire de ses justifications. Cette situation explique, dans une large mesure, les dysfonctionnements de la démocratie sociale et l’émergence de nouveaux modes de revendications et de contestation sociale.

Figure

Tableau 1 : L’audience électorale du syndicalisme au niveau national (2013-2018)  A  B  C  D  E  F  G  Mesure  officielle  (définitive)  CE, DP,  DUP  CE, DP,   DUP (tour  décisif)  Mesure  (intégrant C)  Fonction publique  Mesure  officielle + FP  Mesure

Références

Documents relatifs

[r]

[r]

La lumière mettrait 10 7 7 (10 millions) années lumière pour traverser (10 millions) années lumière pour traverser cette image... La lumière

Colorie en bleu les lettres muettes et en jaune les lettres difficiles.. Colorie en bleu les lettres muettes et en jaune les lettres

91 quatre-vingt-onze quatre-vingt- onze. 92 quatre-vingt-douze

Bien que cela demeure hypothétique , la littérature suggère que des adaptations dans le métabolisme des cellules musculaires (respiration cellulaire accrue dans la

1.6) Dans le tableau ci-dessous, compléter la colonne manquante.. Comparer avec le salaire médian

Dans le cadre du débat qui doit s’ouvrir sur le travail, son organisation, ses effets sur la santé, le syndicalisme a un rôle important : celui de créer un cadre collectif