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Pratiques orientées vers le rétablissement : a-t-on pris la mesure des transformations requises ?

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Academic year: 2022

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L’Information psychiatrique 2019 ; 95 (7) : 520-8

Pratiques orientées vers le rétablissement : a-t-on pris la mesure des transformations requises ?

Bernard Pachoud

1,a

Claire Le Roy-Hatala

2

Catherine des Moutis

3

Jean-Philippe Cavroy

4

1Psychiatre, professeur de psychologie, Université de Paris, CRMPS, programme

«La personne en médecine», 75013 Paris, France

2Docteur en sociologie,ClubhouseParis

3Coordinatrice du Groupe d’Entraide MutuelleConnexions plus, Paris

4Directeur duClubhouseParis

aÉtude réalisée dans le cadre

du programmeLa personne en médecine financé par ANR-18-IDEX-0001.

Résumé.Si la notion de rétablissement est désormais passée dans l’usage dans notre pays, en tant que perspective d’un devenir favorable pour les personnes atteintes de pathologie mentale chronique, il faut rappeler qu’elle désigne surtout un processus qui requiert d’être valorisé et soutenu, en premier lieu par les pro- fessionnels du soin et de l’accompagnement en santé mentale. Une abondante littérature, principalement anglo-saxonne, s’attache depuis une quinzaine d’années à caractériser la transformation des pratiques et des services pour optimiser le sou- tien à ce processus. Nous présentons ici quelques-uns des principes qui guident ces transformations : (a) toutes les études commencent par rappeler que les pratiques doivent être réorientées en fonction des valeurs du rétablissement, mais qu’il faut être aussi attentif aux valeurs singulières de la personne, sous-jacentes à son pro- jet de vie ; (b) pour être réellement efficace, la transformation des pratiques doit être envisagée à tous leurs niveaux d’organisation : individuel (dans la posture des professionnels), institutionnel, et politique ; (c) une série de pratiques innovantes, utiles au processus de rétablissement, méritent d’être connues et mises en œuvre.

Nous insistons pour terminer sur la notion de«pratique fondée sur des valeurs», et évoquons à titre d’illustration l’expérience duClubhousede Paris.

Mots clés :rétablissement, pratique du soin, réhabilitation psychosociale, par- cours de soin, valeur

Abstract.Practices aimed at recovery: Have we fully grasped the changes required ?.The concept of recovery—offering the prospect of a positive future for those with chronic mental illnesses—is now used widely in France. We emphasize that this refers above all to a process that must be valued and supported by mental health professionals first and foremost. An abundant, primarily Anglophone lite- rature has developed over the past fifteen years, describing changes in practices and services to optimize support for this process. In this article, we present some of the principles that guide these changes: (a) All these studies begin by emphasizing that practices must be guided by the values of recovery, but that we must also be attentive to the individual values of the person, which underlie their life project; (b) to be truly effective, changes in practice must be considered at all levels of orga- nization: individual (in the behavior and attitude of professionals), institutional (in the organization of services), and political; (c) a series of innovative practices that can aid the recovery process should be taught and implemented. Finally, we insist on the notion of “a values-based practice,” illustrating this with the experience of the Paris Clubhouse.

Key words: recovery, care practice, psychosocial rehabilitation, care pathway, value

Resumen.Prácticas orientadas hacia el restablecimiento: ¿ Se han eva- luado exactamente las transformaciones requeridas ?. Si la noción de restablecimiento se ha vuelto ya usual en nuestro país como perspectiva de un futuro favorable para las personas con patología mental crónica, hay que recor- dar que la misma designa sobre todo un proceso que requiere de ser valorizado y apoyado, en primer lugar por los profesionales del cuidado y del acompa ˜namiento en salud mental. Una abundante literatura, principalmente anglosajona, pone su empe ˜no desde hace unos 15 a ˜nos en caracterizar la transformación de las prácticas y servicios para optimizar el apoyo a este proceso. Presentamos aquí algunos de los principios que guían estas transformaciones: a) Todos los estudios empiezan recordando que las prácticas deben orientarse en función de los valores del resta- blecimiento, pero que también hay que estar atento a los valores singulares de la persona, subyacentes en su proyecto de vida. b) Para ser realmente eficaz, la trans- formación de las prácticas debe considerarse en todos los niveles de organización:

individual (en la postura de los profesionales), institucional, y político. c) Una serie de prácticas innovadoras, útiles para el proceso de restablecimiento, merecen ser conocidas y puestas en marcha. Insistimos para terminar en la noción de«práctica fundada en unos valores», y evocamos a título de ilustración la experiencia del Clubhousede París.

Palabras claves:restablecimiento, práctica del cuidado, rehabilitación psicosocial, recorrido de cuidado de la atención, valor

doi:10.1684/ipe.2019.1991

Correspondance :B. Pachoud

<bernard.pachoud@gmail.com>

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Introduction : le rétablissement, un processus personnel dépendant de nombreux facteurs

La notion de rétablissement est désormais passée dans l’usage dans notre pays, du moins en tant que perspective d’un devenir favorable pour les personnes vivant avec des troubles psychiques chroniques ou récur- rents. Elle contribue à un progressif changement des représentations sur le pronostic de ces maladies. L’idée même d’un rétablissement possible, d’une sortie du sta- tut de «malade mental»– avec le poids du stigmate social associé à cette notion – grâce notamment au réen- gagement dans une vie active et sociale, contribue à un changement de regard des personnes malades sur leur situation : la restauration d’un espoir, la réouverture de possibles, l’encouragement à s’investir dans leurs projets singuliers. Ce changement de regard constitue souvent le point de départ du processus de rétablisse- ment. Il faut admettre cette forme de circularité dans laquelle les croyances sociales (ou partagées) sur la maladie et son impact sur l’avenir jouent un rôle : croire au rétablissement possible permet l’amorc¸age du pro- cessus, et en constitue donc une condition, sans doute non suffisante, mais importante.

Il est aussi assez largement compris que le rétablisse- ment est plus à comprendre comme un processus que comme un résultat [1, 2], ce dernier étant d’ailleurs diffi- cile à caractériser, puisqu’il appartient à chacun de définir ses objectifs et la forme de vie qu’il souhaite privilé- gier – décider des critères d’un rétablissement accompli reviendrait à adopter une vision normative. Il s’agit donc d’un processus, ce qui renvoie naturellement aux fac- teurs susceptibles de le soutenir et de l’encourager, ou au contraire de le freiner et d’y faire obstacle. Un tel processus implique des exigences, d’abord pour la personne elle-même, si elle veut progresser dans sa démarche, mais aussi pour son entourage, afin de ne pas entraver la démarche, et autant que possible la soutenir [3] ; enfin naturellement aussi pour les professionnels du soin et de l’accompagnement. Pour ces derniers, la visée du rétablissement constitue un nouveau but à leur activité. Il ne s’agit plus seulement d’obtenir la réduc- tion des troubles ou la stabilisation de la maladie – ce ne sont là que des moyens et non la finalité –, il s’agit désormais, en se décentrant de la maladie au profit d’un souci pour le devenir de la personne, de chercher à sou- tenir son réengagement dans une vie active et sociale, dans un processus de réalisation de soi, qui est aussi une démarche de restauration d’un contrôle sur sa vie.

Il apparaît clairement que soutenir cette démarche de rétablissement, en commenc¸ant par s’attacher à en faire apercevoir la possibilité, implique un changement de posture de la part des soignants : au minimum croire en la possibilité d’un tel rétablissement, mais aussi avoir identifié les principaux ressorts de ce processus qu’il s’agit désormais d’accompagner et de soutenir. Mais un

tel changement de posture est-il suffisant ? Il est finale- ment bien incertain qu’on ait pleinement pris la mesure de l’ampleur et de la diversité des changements à opé- rer. Si la visée du rétablissement personnel et social doit devenir le but principal, cela n’implique-t-il pas une nouvelle hiérarchie des priorités et sur cette base une transformation « assez radicale » de l’approche ? On entrevoit ce niveau d’exigence si l’on prend connais- sance de la littérature, déjà abondante, qui s’attache précisément à définir ce qu’impliquent des pratiques

« orientées vers le rétablissement » (recovery orien- ted) [4-8]. Cette littérature reste largement méconnue en France ; il n’y a pas encore, à notre connaissance, de revue systématique de ces travaux en franc¸ais, en dehors des contributions de B. Martin et ses collègues sur cette thématique [9, 10]. Les documents de synthèse du centre de Sainsbury (Londres) sur ce sujet, conc¸us pour une large diffusion et dont certains sont traduits par nos collègues québécois, restent méconnus et très rarement cités [4, 11]. Le plus récent va jusqu’à proposer 100 manières de contribuer au rétablissement [12].

À défaut de pouvoir proposer une véritable recen- sion de cette vaste littérature dans l’espace imparti à cet article, nous tenterons d’en dégager les grandes orien- tations, et les principes directeurs qui orientent cette transformation des pratiques.

Caractérisation des pratiques axées sur le rétablissement.

Les principes et valeurs qui orientent les pratiques vers le rétablissement

Les auteurs s’accordent à reconnaître que la spécifi- cation des pratiques axées sur le rétablissement dépend d’une compréhension approfondie du processus de réta- blissement, de ses principaux ressorts, des facteurs qui le favorisent ou au contraire le freinent. Ces facteurs sont nombreux, ce qui implique qu’il convient d’intervenir à une pluralité de niveaux [13-15]. Cependant, avant de décliner la variété des interventions utiles, il importe d’en comprendre l’orientation générale, d’appréhender

«l’esprit»ou«la philosophie»de cette approche, en identifiant ce qui, le plus fondamentalement, compte pour promouvoir le processus de rétablissement. C’est d’ailleurs ainsi que procèdent la majorité des travaux et documents de synthèse s’attachant à définir les pratiques orientées rétablissement : presque tous com- mencent par invoquer les valeurs – ou éventuellement les principes qui en sont dérivés – qui doivent orienter ces pratiques [13, 16, 17].

Dans le fasciculeFaire du rétablissement une réalité [4], une référence dans ce domaine au Royaume-Uni, Shepherd et ses collègues du centre de Sainsbury affirment dès les premières lignes :«Au cœur du réta- blissement se trouve un ensemble de valeurs portant

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sur le droit de se bâtir une vie riche de sens, avec ou sans la présence de symptômes résiduels de la maladie mentale. Le rétablissement est fondé sur les idées d’autodétermination et d’autogestion. Il renvoie à l’importance de l’espoir pour maintenir la motivation et soutenir les attentes d’une vie pleinement enrichis- sante.»(p. 1).

Dans leur article«Mettre en œuvre des programmes orientés rétablissement et fondés sur des preuves : iden- tifier les dimensions essentielles », M. Farkas et ses collègues à Boston [13, 18] définissent ces programmes comme « une pratique orientée par des valeurs », et après avoir évoqué la pluralité des valeurs liées au rétablissement, ils identifient quatre valeurs clés pour soutenir le processus de rétablissement :

–« l’orientation sur la personne », c’est-à-dire une pratique attentive à la singularité de la personne, de ses attentes, de son projet, de ses ressources et de ses talents, mais aussi de ses limites ; bref une approche individualisée,«sur mesure», personnalisée ;

–«l’engagement de la personne»: c’est la personne qui doit être actrice, jouer un rôle moteur, faire les choix, d’où une position de partenariat (et non d’assistance) dans l’accompagnement et dans tous les aspects de la démarche de rétablissement ;

–« la valorisation des choix et de l’autodé- termination » Il s’agit de restaurer ces personnes dans leur droit de décider et de faire des choix, non seulement quant à leurs projets, mais dans la fac¸on de les atteindre et de faire usage des services de soutien ;

–«la valorisation du potentiel de développement de la personne», considéré comme une capacité inhérente à tout individu pour se rétablir.

Mike Slade (Londres), dans son fascicule 100 manières de soutenir le rétablissement[12], aborde la section« Les fondements des services de santé men- tale orientés rétablissement»uniquement sous l’angle des valeurs. Il affirme d’emblée que «travailler d’une manière axée sur le rétablissement commence par une prise en considération des valeurs. . .», précisant aussi- tôt que cela implique : (1) que ces valeurs soient rendues explicites ; (2) qu’elles soient intégrées dans la pratique quotidienne et orientent toute prise de décision ; et enfin (3) que les pratiques soient ajustées en fonction de l’évaluation de leur efficacité (p. 10).

L’intérêt de rendre explicites les valeurs est notam- ment de rendre attentif non seulement aux valeurs générales du rétablissement, mais également aux valeurs singulières de la personne accompagnée. Les professionnels sont d’ailleurs invités à accorder une attention prioritaire aux objectifs propres de la personne (qui dépendent de ses valeurs), en commenc¸ant par la soutenir dans la détermination de ses objectifs propres puis dans son parcours pour les atteindre.

Enfin, dans le souci de synthétiser les valeurs guidant les pratiques orientées rétablissement, Slade suggère qu’elles peuvent être, finalement, ramenées à une seule

valeur qu’on peut formuler ainsi : «Considérer la per- sonne»1 [19]. La notion de personne se prête en effet à intégrer les facteurs importants du rétablissement, en tant qu’elle renvoie intrinsèquement à une plura- lité de dimensions, toutes importantes à prendre en compte : l’absolue singularité de la personne, sa liberté, à commencer par la liberté de s’autodéfinir, de définir son identité ou de la reconstruire, mais aussi sa dimen- sion sociale (avec notamment l’importance des rôles sociaux et des enjeux de reconnaissance), sa dimension politique ou citoyenne (avec ses droits, notamment à la participation sociale, et à ce que soit prise en compte

«sa voix »). Ce principe d’une “centration” sur la per- sonne – dans sa singularité et sa pluridimensionnalité – indique également d’emblée en quoi toute pratique prio- risant le rétablissement est nécessairement différente, et à certains égards en rupture, avec l’approche médicale centrée, elle, sur la maladie. Car la maladie relève d’un savoir empirique, valant pour tous, que s’attache à éta- blir la recherche scientifique, alors que la personne, par sa singularité même, ne peut relever d’un tel savoir géné- ralisable, et peut être mieux approchée par le repérage de ses valeurs propres.

On peut aussi constater le pouvoir intégrateur de la notion de personne, lié à sa pluridimensionnalité, en remarquant que les nombreux facteurs identifiés comme importants dans le processus de rétablisse- ment par les études qualitatives peuvent pour la plupart être subsumés sous la notion de personne. Le Boutil- lier et al. [20] duKing’s collegede Londres, dans une métasynthèse portant sur 30 études qualitatives consa- crées aux pratiques orientées rétablissement, dégagent 16 thèmes dominants caractérisant ces pratiques. Onze de ces thèmes renvoient aux différentes dimensions de la notion de personne :

(1)voir au-delà de l’utilisateur des services de santé mentale ;

(2)promouvoir les droits des usagers ; (3)favoriser l’inclusion sociale ;

(4)avoir des occupations dotées de sens ; (5)individualiser le soutien ;

(6)promouvoir les choix éclairés ; (7)favoriser le soutien par les pairs ;

(8)se focaliser sur les forces et les ressources ; (9)promouvoir une approche holistique (prenant en compte les différents types de besoins de la personne) ; (10)favoriser le partenariat (plutôt que l’assistance ou une relation asymétrique de soin) ;

(11)«inspirer l’espoir»;

Quant aux 5 autres facteurs, ils concernent directement l’organisation des services :

1Cette idée d’une valeur englobante, M. Slade l’attribue à Anthony qui la formule de la fac¸on suivante :«les gens atteints d’une maladie mentale sévère sont des personnes»(2004).

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(12)concevoir une organisation des services fondée sur une vision du rétablissement ;

(13)produire des directives politiques incitant les éta- blissements à développer des pratiques axées sur le rétablissement ;

(14)avoir le souci d’améliorer la qualité des services, dont l’élaboration et l’évaluation sont réalisées avec les usagers ;

(15)faciliter l’accès aux services de soin et de soutien ; (16)former et soutenir les professionnels pour accroître leurs compétences à promouvoir le rétablisse- ment.

Il convient donc de promouvoir une approche holis- tique, soucieuse de prendre en compte la personne dans sa pluridimensionnalité, ce qui est convergent avec l’observation d’Alain Topor, en Suède [10, 21], que les personnes rétablies ont constitué des « modèles complexes »de leur trouble, par quoi il faut entendre une représentation du trouble qui conjugue différentes explications (psychologiques, médicales, familiales, spirituelles. . .).

Soutenir le sujet dans les tâches qu’il doit accomplir pour progresser dans son parcours de rétablissement

Une fac¸on proche, mais qui peut paraître plus concrète, de caractériser le soutien au processus de rétablissement, est de rappeler que ce processus est d’abord une démarche personnelle (dans la décision de s’y engager, puis dans le choix des objectifs, ainsi que des moyens et des étapes pour les atteindre). Il importe donc que les professionnels respectent ce caractère per- sonnel du parcours de rétablissement, et ce qui en est la visée : l’autonomie, l’accomplissement de soi.Dès lors, ce qui peut être attendu d’eux est un soutien d’abord au projet singulier de la personne, et de fac¸on plus générale aux tâches ambitieuses que celle-ci doit accomplir pour progresser dans sa démarche de rétablissement, et en particulier aux quatre suivantes [12] :

1.la reconstruction d’une identité positive ;

2.l’acquisition d’une aptitude à« gérer»soi-même ses troubles psychiques ;

3.l’engagement dans des rôles sociaux valorisés selon son désir ;

4.la (re)contextualisation de l’expérience de la mala- die mentale pour parvenir à lui donner un sens.

Une transformation des pratiques à envisager à tous leurs niveaux d’organisation : individuel, institutionnel et politique

On retrouve dans toutes les études approfondies des pratiques axées sur le rétablissement l’idée, formulée dès 2005 par Marianne Farkas et ses collègues [12], que les changements, pour aboutir à une réelle transforma- tion des pratiques et des conceptions en santé mentale,

doivent être envisagés à plusieurs niveaux [12, 14, 22].

Certes, un changement de posture des professionnels est important (et par conséquent de leur formation, des critères de recrutement et d’évaluation, en spécifiant les qualités et compétences dorénavant à privilégier) [23- 25], mais ces changements ne peuvent être pleinement efficients que si est également envisagée une transfor- mation de l’organisation des services, de leur mission, de leurs pratiques et de leur mode de gouvernance [14, 26]. Enfin ces changements institutionnels doivent être soutenus, et ces pratiques innovantes financées, par les tutelles, dans le cadre d’une politique de santé men- tale non seulement favorable au rétablissement, mais qui gagnerait à être, elle aussi, explicitement axée sur le rétablissement, comme c’est le cas dans la plupart des pays anglosaxons [15, 27].

À défaut de pouvoir proposer ici un état des lieux précis des pratiques franc¸aises axées sur le rétablis- sement, on peut relever, à titre indicatif, les niveaux d’organisation auxquels sont principalement et le plus couramment revendiquées des transformations :

–c’est principalement au niveau des professionnels et de leur posture d’accompagnement que sont envisagés et revendiqués les changements, c’est-à-dire au niveau individuel. De nombreux établissements ont commencé à proposer des formations sur le rétablissement à leurs salariés ;

–au niveau institutionnel, en revanche, on évoque rarement des changements organisationnels autres qu’un élargissement de l’offre de services, avec le développement de dispositifs innovants tels que, par exemple, le recrutement de médiateurs de santé pairs [28, 29] ou, dans les services de soin, la mise en place de pratiques de psychoéducation. Ne sont pratiquement jamais évoquées des réflexions sur la transformation des modes de gouvernance, alors que la notion d’empowerment des personnes accompa- gnées, qui suppose l’empowermentde ceux qui assurent l’accompagnement, invite à une conception renouve- lée de la gouvernance, sur un mode partenarial ou coopératif. Au Québec, l’accent est mis sur l’importance d’intégrer des personnes rétablies (ou des médiateurs de santé pairs) dans les instances dirigeantes des ins- titutions (au CA, voire à la direction générale). Cette idée pour l’instant ne rencontre guère d’écho dans notre pays ;

–au niveau politique enfin, qu’il s’agisse des poli- tiques sociales ou de santé mentale, le bilan peut être considéré comme mitigé [30]. Si le terme de rétablis- sement apparaît dans certains textes des tutelles, cela est loin d’être systématique, même à propos de pra- tiques qui pourtant contribuent à ce processus (comme c’est le cas de l’emploi accompagné par exemple). Quant à la politique de santé mentale, elle n’est pas expli- citement référée à la perspective du rétablissement. Il est vrai que certaines orientations récentes, favorisant l’accès au logement autonome (le programme « Un

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chez soi d’abord »), ou l’accès à l’emploi (la pratique de l’emploi accompagné), vont dans le bon sens, mais c’est au titre d’une politique d’inclusion sociale plutôt qu’en référence à l’objectif de rétablissement. On pour- rait être nettement plus ambitieux dans la volonté de promouvoir la possibilité du rétablissement, et souli- gner alors les insuffisances de la politique menée, qui ne se donne pas les moyens d’être à la hauteur de cette ambition. C’est le diagnostic sévère que vient de formu- ler madame Devandas-Aguilar, la rapporteuse spéciale des Nations unies sur des droits des personnes handi- capées, dans son rapport sur sa visite en France [31].

Ce rapport donne aussi l’occasion de remarquer que si les valeurs et principes qui orientent les pratiques axées sur le rétablissement sont pris au sérieux au point que certains deviennent des droits, alors force est de constater que des réformes importantes sont requises, certaines radicales, et qu’elles relèvent de la décision politique. Il devient, d’autre part, de plus en plus dif- ficile de qualifier ces recommandations d’idéalistes ou d’irréalistes quand ces transformations politiques sont mises en œuvre dans d’autres pays, où elles font preuve de leur pertinence.

Une série de pratiques et services

de réhabilitation psychosociale bien définis, dédiés à promouvoir le rétablissement

Si, comme nous l’avons jusque-là souligné, le soutien au processus de rétablissement dépend prioritaire- ment de la qualité de l’étayage relationnel, de la part de l’entourage mais aussi des professionnel de l’accompagnement, et donc d’une posture de ces der- niers guidée par les valeurs du rétablissement, une série de pratiques innovantes concrètes et relativement for- malisées, constituent aussi des contributions précieuses au processus de rétablissement, et peuvent être consi- dérées comme des indicateurs de proximité au modèle des pratiques orientées rétablissement.

Nous ne ferons que les lister, sans pouvoir les détailler par manque de place [32] :

–des pratiques d’éducation thérapeutique et d’infor- mation sur la maladie et le rétablissement, autant que possible co-organisées avec des personnes rétablies ou des médiateurs de santé pairs ;

–des pratiques de psychoéducation destinées aux familles des personnes concernées par la maladie ;

–l’élaboration de directives anticipées ou d’un plan de crise ;

–l’élaboration et le suivi d’un plan personnel de réta- blissement [33] ;

–la décision médicale partagée ;

–l’intervention de médiateurs de santé pairs ; –les pratiques de remédiation cognitive, concernant notamment la cognition sociale ;

–les pratiques favorisant l’accès et le maintien dans un logement autonome ;

–les pratiques favorisant l’accès et le maintien en emploi (essentiellement des pratiques d’emploi accom- pagné, en milieu ordinaire).

Si, comme nous l’avons jusque-là souligné, le soutien au processus de rétablissement dépend prioritaire- ment de la qualité de l’étayage relationnel, de la part de l’entourage mais aussi des professionnels de l’accompagnement, et donc d’une posture de ces der- niers guidée par les valeurs du rétablissement, une série de pratiques innovantes concrètes et relativement for- malisées, constituent aussi des contributions précieuses au processus de rétablissement, et peuvent être consi- dérées comme des indicateurs de proximité au modèle des pratiques orientées rétablissement.

Des pratiques fondées sur des valeurs, plutôt que des pratiques fondées sur des savoirs

L’accent mis sur les valeurs peut surprendre car il n’est guère d’usage dans notre culture – contrairement au contexte anglosaxon – d’invoquer les valeurs, du moins à ce point, dans les pratiques sociales ou de soin.

Cela ne signifie pas qu’elles soient absentes, mais elles restent le plus souvent implicites, peu discutées, sans doute parce qu’on les considère comme consensuelles.

Nous allons voir que c’est bien à tort.

Notons que nous avons l’habitude en revanche d’entendre les valeurs explicitement invoquées dans la sphère politique, voire politicienne, où précisément on admet différentes hiérarchies de valeurs, lesquelles sont invoquées pour fonder ou justifier les grandes orienta- tions d’un programme politique. Cela n’est pas moins nécessaire pour orienter une politique de santé men- tale – et comme nous l’avons dit (voir plus haut,§«Une transformation des pratiques à envisager à tous leurs niveaux d’organisation : individuel, institutionnel et poli- tique »), il ne suffit pas d’infléchir les pratiques, leur développement à large échelle dépend de décisions poli- tiques.

D’autre part, il suffit de commencer à rendre explicites ces valeurs pour s’apercevoir de leur diversité, de leurs fréquentes divergences et par conséquent des tensions qui existent entre elles, tensions qu’il faut bien arbitrer pour agir. Ces valeurs traduisent ce qui nous importe, ce à quoi nous tenons, et à ce titre elles constituent très souvent, y compris lorsqu’elles restent implicites, le principal déterminant de l’action. D’où la nécessité de les hiérarchiser, ce qui implique des choix, des priorisations qu’il importe de justifier et d’assumer. Les pratiques visant au rétablissement, en tant qu’elles ne sont plus centrées sur la maladie et son traitement, mais sur le projet et le parcours singulier du rétablissement de la personne, doivent s’ajuster à la singularité de la per- sonne, à ses attentes, à son projet, à ses priorités, donc à ses valeurs. Il est nécessaire en conséquence de rendre

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explicite ces valeurs, qui définissent ce qu’il importe à la personne de pouvoir faire ou être [1, 12].

Ce passage au premier plan de la dimension des valeurs reflète un changement de registre : le passage d’un objectif médical (la rémission des troubles) à un objectif social (la réinsertion) et existentiel (le réengage- ment dans un projet de vie). Ce changement d’objectifs justifie le recours à des stratégies faisant appel à des ressources et des principes différents. Dans le cadre médical, des exigences d’ordre épistémique : connaître la nature des troubles, leur étiologie éventuelle, leurs mécanismes générateurs, en vue d’optimiser l’efficacité du traitement. Dans la perspective du rétablissement, l’objectif de favoriser la restauration d’un contrôle des personnes sur leur vie requiert une priorisation de la prise en compte des valeurs – celles de la personne accompagnée en particulier – sur le savoir. Cette irré- ductible différence est soulignée par certains auteurs [12, 13, 32] qui opposent la stratégie de soins, laquelle doit être fondée scientifiquement sur des données pro- bantes (Evidence-Based Medicine), et la stratégie visant à optimiser le devenir de la personne : ce sont des valeurs qui guident ces pratiques, plutôt qu’un savoir scientifique.

La notion de « pratique fondée sur des valeurs » se comprend principalement par opposition, ou plus précisément par écart différentiel, avec les pratiques fondées sur le savoir. Cette distinction entre valeurs et savoirs trouve une pertinence particulière dans le domaine médical, où il est communément admis que toute décision médicale, et plus largement toute pra- tique soignante, repose sur deux fondements : des connaissances, requises pour optimiser la pertinence et l’efficacité des soins, mais aussi des valeurs, requises, elles, pour orienter les choix parmi les options thérapeu- tiques [34]. Ces deux fondements renvoient eux-mêmes à la distinction philosophique entre les faits (qui relèvent de la connaissance empirique, donc de la science) et les valeurs (que la science n’a pas de légitimité à définir ou hiérarchiser). Il faut ajouter que le développement d’une médecine de plus en plus scientifique et technicienne a conduit à se focaliser sur l’exigence d’optimisation du savoir, illustrée par le mouvement de«la médecine fon- dée sur les preuves», en tendant à négliger le rôle des valeurs, qui restent présentes mais implicites (et donc à l’arrière-plan), tenues (en partie à tort) pour évidentes et partagées. En réalité, l’écart fréquent entre les valeurs et priorités des soignants et celles des patients est un des facteurs de défiance et de déficit d’adhésion aux soins [34]. D’où le développement des pratiques de soin dites

«fondées sur les valeurs», qui s’attachent à tenir compte de la pluralité des valeurs du patient en premier lieu, mais aussi de son entourage et des professionnels, en vue de parvenir à une décision équilibrée, en fonction de ces valeurs.

Cela conduit à l’idée d’un équilibre à modifier entre l’influence des savoirs et celle des valeurs sur les pra-

tiques, dans le soin comme dans l’accompagnement social. Cette idée a des implications concrètes, en particulier sur la composition et le nombre de profes- sionnels dans les équipes. Les pratiques médicosociales traditionnelles, fortement influencées par la tradition médicale, tendent à se fonder prioritairement sur le savoir : les équipes y sont pluridisciplinaires (pour réunir des expertises complémentaires, en psychiatrie, psycho- logie clinique, neuropsychologie, soins infirmiers, appui social. . .). À l’inverse, les pratiques fondées prioritai- rement sur les valeurs tendent à privilégier un petit nombre d’intervenants, puisque ce qui importe désor- mais est moins l’expertise que de favoriser une alliance de travail, la continuité, la souplesse et la réactivité d’un accompagnement de proximité, ajusté à la singularité de la personne, permettant également la coordination du réseau de soutien. Il apparaît ainsi que les valeurs, au moins autant que les savoirs, contribuent à orien- ter tant l’organisation des services, que la posture des professionnels.

Certaines structures ainsi dédiées, dès leur concep- tion, à la promotion du rétablissement des personnes qu’elles accompagnent, illustrent cette fac¸on de tra- vailler, orientée par le souci constant de respecter et promouvoir ces valeurs plutôt que par un savoir sur les troubles des personnes accompagnées. Leur posi- tion est d’ailleurs pleinement assumée, et conduit à privilégier dans le recrutement de leurs salariés des pro- fessionnels qui ne sont pas des professionnels de santé.

Nous présentons ici, à titre d’illustration de cette approche, leClubhousede Paris.

Le Clubhouse Paris : des principes

de fonctionnement garants de l’orientation vers le rétablissement

Le Clubhouse Paris, qui compte actuellement 315 membres, accueille quotidiennement 35 personnes vivant avec des troubles psychiques sévères qui, pour beaucoup, sont isolées. Ouvert du lundi au vendredi, de 9 h 30 à 18 h, il fonctionne comme une petitestart up où chaque membre travaille à son rétablissement en contribuant au bon fonctionnement de la structure (préparation des repas, entretiens, ménage, jardinage, accueil, standard. . .) et en s’impliquant dans l’entraide, le soutien aux autres membres, la sensibilisation des entreprises, mais aussi en explorant son projet profes- sionnel. Pour les salariés du Clubhouse, reconnaître la légitimité des principes du rétablissement en santé mentale implique un questionnement quotidien sur leur mise en œuvre effective, en particulier dans les postures d’accompagnement et du prendre-soin.

Le fonctionnement de chaque Clubhouse dans le monde repose sur 37 standards internationaux, qui vont de la participation des personnes concernées en tant que

«membre»du Clubhouse (et non en tant que patient ou bénéficiaire), au soutien entre pairs, ou encore au

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fonctionnement en binôme (qu’on préfère appeler en France«cogestion»: cela signifie qu’aucune tâche n’est menée par une personne seule, tout est fait à deux sur un principe d’entraide et de transmission de connais- sances). Du côté des membres, la liberté d’aller et venir au Clubhouse est un principe de fonctionnement impé- ratif ; le soutien au projet professionnel est également une dimension forte de l’accompagnement proposé. Ces standards internationaux entrent en résonnance avec les principes du rétablissement : en particulier la recon- naissance inconditionnelle et explicite du potentiel de chacun par un tiers, la possibilité de prendre des déci- sions pour soi et pour le fonctionnement de la structure, la reconnaissance du savoir expérientiel et le soutien entre pairs.

Ces pratiques ont fait leurs preuves en termes d’amélioration de la qualité de vie des personnes [35]

mais aussi d’accès à l’emploi. Le taux d’accès à une acti- vité (bénévole ou salariée, représentant un engagement pour la personne) se situe autour de 35 % des membres à l’issue d’une année [36, 37].

Cette conception nouvelle de l’accompagnement ne va pas sans un questionnement permanent, et parfois confrontant, car l’équilibre requis pour une juste pos- ture exige cette vigilance au quotidien. Être salarié d’un clubhouse, c’est avoir un intérêt pour la relation avec des personnes concernées par une maladie psychique, mais aussi le souci de ne pas décider à leur place ni se positionner en«sachant». Il s’agit d’offrir une forme de leadership qui puisse entraîner, donner envie, mobiliser les membres au quotidien, sans pour autant devenir un leader, qui instaure un rapport de pouvoir. Il s’agit de reconnaître la personne dans ses besoins, sans la réduire à sa maladie ou à ses fragilités ni corrélativement se positionner de manière protectrice, voire infantilisante.

À titre d’exemple, nous évoquerons deux aspects du parcours au Clubhouse qui illustrent ce questionnement exigeant sur la posture d’accompagnement.

L’accueil au Clubhouse et la manière dont on devient membre

Le Clubhouse accueille toute personne désireuse d’en devenir membre, à la condition qu’elle soit suivie par un médecin qui accepte d’être appelé ou sollicité si elle va moins bien et ne peut faire seule la démarche de le contacter. C’est un lieu gratuit, ouvert à tous. À qui fait la demande de devenir membre, sont proposées une réunion de présentation de la structure ou la par- ticipation à une demi-journée de portes ouvertes, puis une journée de«découverte», et enfin une période dite d’accueil, d’un à deux mois, à l’issue de laquelle la can- didature de la personne pourra être validée.

Ce processus long soulève des questions. En premier lieu, une exigence, la personne doit accepter la durée de ce processus d’intégration, sans se décourager. En second lieu, dès le début il lui est demandé d’exprimer

une envie, un désir, une volonté de devenir membre, alors que l’on sait à quel point l’expérience des troubles et des hospitalisations inhibe la motivation.

C’est qu’il s’agit de s’assurer que la personne a suffisamment d’informations sur le fonctionnement du Clubhouse, sur ce qu’elle va pouvoir y trouver, sur ses principes et la philosophie du lieu. Si se confirme son souhait d’en devenir membre, elle est alors appelée à devenir contributrice de la réussite du lieu, qui repose véritablement sur ses membres, tout autant qu’actrice de son propre rétablissement. Il importe pour cela de créer en amont un espace de rencontre, qui mobilise un temps important pour les salariés, en comparaison des structures dites«classiques»dans lesquelles, fina- lement, la personne est orientée, et où ne se posent ni cette question de la cooptation, ni celle d’une forme de réciprocité.

Le respect des choix de la personne et la reconnaissance de ses potentiels

L’accompagnement individuel des membres du Club- house par les salariés consiste prioritairement à travailler sur leurs projets et leurs souhaits. Cet accom- pagnement part du principe que la personne a des capacités, un potentiel, et que la réussite repose sur la mise en œuvre de choix authentiquement person- nels. Cela suppose de favoriser l’expression de ces choix et de les soutenir. Il arrive que soient exprimés des souhaits d’orientation professionnelle qui paraissent inatteignables (par exemple, une personne sans emploi depuis 10 ans formulant le souhait de devenir ingé- nieur ou pilote). L’enjeu pour le salarié n’est alors pas de « raisonner » cette personne pour l’orienter vers un choix professionnel plus accessible, mais bien de la confronter à son projet, en l’encourageant à préci- ser les démarches nécessaires pour progresser vers son objectif, à échanger sur ce que cela implique en termes de travail personnel, d’investissement... Inversement, il arrive que des membres du Clubhouse diplômés, dont l’attitude au Clubhouse laisse envisager des possibilités d’insertion en milieu ordinaire de travail, fassent néan- moins le choix d’une réinsertion en milieu protégé ou de renoncer au travail salarié, à l’issue d’un véritable choix.

Il est difficile pour un salarié, dont le métier est d’accompagner vers l’emploi et de soutenir la réinsertion sociale, de ne pas projeter des envies ou des scénarios de carrière qui pourraient sembler évidents pour qui n’a pas le vécu des troubles psychiques. Mais il s’agit de ne pas perdre de vue le plus important : l’expression du choix et l’espace de décision comme facteurs déter- minants du rétablissement en tant qu’il est l’équilibre de vie considéré comme satisfaisant pour la personne au regard de son parcours. Nombre de fois, nous nous sommes laissé surprendre par l’écart avec nos pré- dictions en matière de réinsertion professionnelle de nouveaux membres au Clubhouse. Alors que la tâche

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nous paraissait simple pour certains, diplômés, avec des expériences professionnelles antérieures et un compor- tement socialement très adapté, nous nous confrontions à des freins, des résistances difficiles à lever. Inver- sement, certains membres dont les troubles ont des conséquences importantes au quotidien vont trouver un emploi plus rapidement. C’est pourquoi le travail sur les préjugés et les visions stéréotypées est nécessaire pour limiter ces biais de jugement. C’est aussi pourquoi les notions d’espoir et de reconnaissance incondition- nelle des potentiels de chacun sont structurantes dans l’accompagnement et constituent un socle puissant dans le temps.

Ces deux aspects illustrent la posture d’accom- pagnement que nous nous attachons à promouvoir, et dont les effets dans le temps justifient la pertinence.

On peut enfin interroger ce qui a rendu possible ce changement de posture, assez radical dans son ambi- tion, dans les clubhouses et en particulier au Clubhouse de Paris ?

Sans doute avons-nous eu la chance – et nous en avions conscience – de partir d’une feuille blanche.

En 2011, tout était à inventer, tout en bénéficiant de l’expérience des clubhouses dans le monde. Nous étions pour ainsi dire vierges de l’influence des traditions propres au milieu médical et médicosocial, disposant d’une grande liberté d’action et de mouvement, mais aussi des appuis méthodologiques de l’associationClub- house International.

En second lieu, nous prêtons depuis le départ une attention particulière au profil des salariés recrutés au Clubhouse. Nous privilégions des personnes qui ont un intérêt pour la relation d’aide aux personnes vivant des troubles psychiques, mais ne recherchons pas les profils de travailleur social ou de soignant. L’activité principale est l’animation d’une activité de travail collectif, ce qui requiert une aptitude à une forme demanagementd’un collectif, d’organisation du travail en équipe. Comme nous l’avons dit, le focus porte sur la capacité à trouver la bonne posture, laquelle consiste à n’être ni au-dessus, ni en dessous, mais au service du développement des potentiels de la personne ; à soutenir ses capacités, tout en l’invitant à la prise de décision. Délicat équilibre.

Conclusion

Il se dégage de cette abondance littérature sur les pra- tiques orientées rétablissement qu’en plus d’une série des pratiques innovantes dans le soin et le soutien social, propices au rétablissement (voir le§«Une série de pra- tiques et services de réhabilitation psycho-sociale bien définis, dédiés à promouvoir le rétablissement»), dont le développement dépend de la politique de santé mentale et de l’organisation des services, le principe de trans- formation plus générale des pratiques réside en priorité dans la prise en compte les valeurs du rétablissement, ce

qui implique également de prêter attention aux valeurs singulières de la personne, d’où la notion de « pra- tique orientée par des valeurs», dont nous avons donné une illustration avec les principes de fonctionnement du Clubhouse de Paris.

C’est à peine forcer le trait que de considérer qu’on aboutit à une situation contrastée dans laquelle on observe, actuellement, en santé mentale, d’une part des pratiques médicales ou inspirées de la tradition médicale, fondées sur le savoir (d’ordre psychiatrique et psychopathologique) et laissant dans l’implicite la dimension des valeurs, et d’autre part des pratiques qui au contraire sont prioritairement fondées sur des valeurs, au point de veiller à laisser au second plan le savoir psychopathologique.

Il ne s’agit cependant pas de rejeter toute idée de soin.

Mais on peut considérer que si la visée du rétablisse- ment doit réellement orienter les pratiques de soin et de soutien social, cela doit se traduire par une atten- tion accrue aux valeurs et principes éthiques propres au rétablissement, et par conséquent par la reconsidéra- tion de l’équilibre à maintenir entre les deux fondements de ces pratiques : le savoir clinique ou médical d’une part, et les valeurs, valeurs propres au rétablissement, mais aussi les valeurs singulières, propres à la personne accompagnée. Le courant de la«médecine fondée sur les valeurs»[34] peut s’avérer ici particulièrement inspi- rant, par les modalités qu’il propose d’une pratique qui fasse pleinement droit à ces deux fondements des pra- tiques de soin, et en particulier à la pluralité des valeurs en jeu.

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