Master
Reference
Compréhension et attitudes des jeunes élèves face à la déficience intellectuelle. Analyse d'une intervention basée sur des séances de
lecture
SOLOVYEVA, Olga
Abstract
Ce mémoire s'intéresse à la compréhension et aux attitudes des jeunes enfants face à la déficience intellectuelle, ainsi qu'à l'impact que peut avoir une intervention basée sur des séances de lecture et des discussions sur cette même compréhension et ces attitudes. 39 élèves de 4-5 ans ont été interrogés à ce sujet à l'aide d'une vignette vidéo avant et après l'intervention. Les résultats montrent qu'avant l'intervention, la moitié des enfants ont conscience des difficultés langagières ou du comportement inadéquat d'un enfant ayant une déficience intellectuelle. Les attitudes de la majorité d'entre eux sont plutôt négatives.
L'intervention proposée a permis de sensiblement améliorer chez les élèves la compréhension de la déficience intellectuelle, mais elle fut plus efficace quant au développement des attitudes positives de ces derniers. Nous parlerons enfin des implications de ces résultats pour la pratique de l'enseignement dans une classe inclusive.
SOLOVYEVA, Olga. Compréhension et attitudes des jeunes élèves face à la déficience intellectuelle. Analyse d'une intervention basée sur des séances de lecture. Master : Univ. Genève, 2013
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:30689
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MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA
MAITRISE EN SCIENCES DE L'EDUCATION - EDUCATION SPÉCIALE
PAR Olga Solovyeva
DIRECTRICE DU MEMOIRE Myriam Gremion
JURY
Marco Hessels Carolina Villiot
Genève, septembre 2013
UNIVERSITE DE GENEVE
FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION
Compréhension et attitudes des jeunes élèves face à la déficience intellectuelle
Analyse d’une intervention basée sur des séances de lecture
RESUME
Ce mémoire s’intéresse à la compréhension et aux attitudes des jeunes enfants face à la déficience intellectuelle, ainsi qu’à l’impact que peut avoir une intervention basée sur des séances de lecture et des discussions sur cette même compréhension et ces attitudes. 39 élèves de 4-5 ans ont été interrogés à ce sujet à l’aide d’une vignette vidéo avant et après l’intervention. Les résultats montrent qu’avant l’intervention, la moitié des enfants ont conscience des difficultés langagières ou du comportement inadéquat d’un enfant ayant une déficience intellectuelle. Les attitudes de la majorité d’entre eux sont plutôt négatives. L’intervention proposée a permis de sensiblement améliorer chez les élèves la compréhension de la déficience intellectuelle, mais elle fut plus efficace quant au développement des attitudes positives de ces derniers. Nous parlerons enfin des implications de ces résultats pour la pratique de l’enseignement dans une classe inclusive.
Remerciements
Je remercie de tout mon cœur toutes les personnes qui rendu l’existence de ce mémoire possible, et qui ont contribué à la réalisation de ce dernier, en particulier…
… Mme Myriam Gremion, qui a accepté de diriger mon travail de mémoire. Merci pour votre soutien et vos encouragements si précieux tout au long de ce parcours qui a connu des étapes difficiles. Merci pour votre suivi, vos conseils qui ont éclaircis mon chemin dans cette recherche ainsi que pour votre disponibilité et vos corrections.
… les enseignantes des deux classes participantes à cette recherche. Merci pour votre accueil, votre gentillesse, vos conseils et votre engagement inestimable dans ce projet.
… les élèves des deux classes participantes pour tout un monde qu’ils m’ont fait découvrir.
… M. Marco Hessels et Mme Carolina Villiot, qui ont accepté de faire partie de mon jury.
… Lisa McGillivray pour son écoute, ses conseils, son sens de l’humour, son encouragement et touts les échanges à l’occasion de la réalisation de nos mémoires respectifs.
… Marie-‐Laure Canosa et Sarah Pagin pour leur grand travail de correction.
… mon ami, Charles, pour m’avoir supporté durant tout le temps de rédaction de ce travail, pour son soutien et ses encouragements.
Table des matières
1. Introduction ... 7
2. Problématique ... 9
3. Partie théorique ... 11
3.1 Le jeune enfant en relation avec ses pairs ... 12
3.1.1 Les compétences sociales et sociocognitives du jeune enfant et sa relation avec ses pairs . 12 a) Découverte de la perspective d’autrui par le jeune enfant (théorie de l’esprit) ... 12
b) Compréhension des émotions propres et de celles d’autrui (méta-‐émotion) ... 16
c) Développement de l’empathie chez les jeunes enfants ... 19
d) Développement des interactions et des relations entre un jeune enfant et ses pairs ... 20
3.1.2 Les relations entre les jeunes enfants avec et sans déficience en contexte scolaire. ... 25
a) L’acceptation des enfants en situation de handicap par leurs camarades de classe ... 26
b) L’acceptation des enfants avec une déficience intellectuelle par leurs pairs ... 29
c) Facteurs qui influencent les relations entre les pairs avec et sans déficience ... 31
3.2 Compréhension de la notion de handicap et de la déficience intellectuelle chez les jeunes enfants ... 32
3.2.1 Compréhension du terme « handicap » par les jeunes enfants ... 32
3.2.2 Compréhension du concept de handicap et de déficience intellectuelle ... 33
a) Perception des caractéristiques d’autrui à 4-‐5 ans: visuelle, situationnelle, transitoire ... 34
b) Perception des capacités physiques et intellectuelles ... 35
c) Inné – acquis : causes et conséquences de la déficience pour les jeunes enfants ... 36
3.2.3 L’impact de l’environnement sur la compréhension du handicap et de la déficience intellectuelle par les jeunes enfants ... 38
a) Milieu inclusif ... 38
b) Le milieu familial ... 40
c) Explications des parents et des enseignants ... 40
3.3 Formation des attitudes face au handicap en général et face à la déficience intellectuelle en particulier chez les jeunes enfants ... 42
3.3.1 Comment se forment les attitudes chez les jeunes enfants ... 42
a) Développement des attitudes des jeunes enfants ... 42
b) Développement des attitudes face au handicap ... 44
3.3.2 Quelles sont les attitudes de jeunes enfants face au handicap et à la déficience intellectuelle en particulier ... 47
a) Attitudes face au handicap ... 47
b) Attitudes face à la déficience intellectuelle ... 48
3.4 Sensibilisation des jeunes enfants à la déficience intellectuelle et stratégies de promotion d’attitudes positives face à la déficience ... 49
3.4.1 Promotion des attitudes positives face à la déficience: pourquoi et comment ... 50
3.4.2. Typologies des programmes d’intervention ... 51
a) Interventions ciblées sur l’ensemble de la classe (implicites) ... 51
b) Interventions ciblées sur les pairs (explicites et mixtes) ... 52
3.4.3 Les stratégies des enseignant(e)s ... 54
4. Questions de recherche ... 57
5. Méthodologie ... 59
5.1 Présentation du contexte de la recherche ... 59
5.1.1 Le changement du plan de recherche initial ... 59
5.1.2 L’établissement scolaire et les caractéristiques des deux classes étudiées ... 60
5.2 Population ... 61
5.3 Procédure d’enquête ... 62
5.4 Programme d’intervention ... 63
5.4.1 Objectifs du programme de l’intervention ... 63
5.4.2 Choix des livres ... 64
5.4.3 Construction des séquences ... 65
5.5 Méthodes des récoltes de données ... 65
5.5.1 Les entretiens ... 66
a) Pourquoi des entretiens ... 66
b) Quel type d’entretien ... 66
c) Construction de l’entretien ... 66
d) Condition de passation des entretiens ... 68
e) Procédure d’analyse ... 68
5.5.2 L’analyse des séquences d’intervention ... 69
a) Pourquoi analyser les séquences ... 69
b) Procédure d’analyse ... 70
5.5.3 Journal de travail explicatif ... 70
5.5.4 L’analyse des parcours individuels ... 70
a) Pourquoi analyser les parcours individuels ... 70
b) Procédure d’analyse ... 71
6. Résultats et analyses ... 72
6.1. Compréhension et attitudes des jeunes enfants en début d’année scolaire: analyse du pré-‐test ... 72
6.1.1 Compréhension de la déficience intellectuelle ... 72
6.1.1.1 Description des résultats ... 72
6.1.1.2 Analyse des résultats ... 76
6.1.2 Attitudes face à la déficience intellectuelle ... 78
6.1.2.1 Description des résultats ... 78
6.1.2.2 Analyse des résultats ... 83
6.1.3 Conclusion de l’analyse du pré-‐test ... 87
6.2 Analyse des séances d’intervention ... 88
6.2.1 L’enfant comme psychologue et biologiste naïf ... 88
a) Compréhension du développement ... 88
b) Compréhension de l’intentionnalité du comportement ... 89
c) Causes des difficultés ... 90
d) Compréhension des émotions ... 91
6.2.2 Compréhension des thématiques d’intervention par les enfants ... 92
a) Ce que les enfants comprennent bien ... 92
b) Ce que les enfants comprennent difficilement ... 94
c) Ce que les enfants ne comprennent pas ... 97
6.2.3 L’analyse de la pertinence des livres pendant les séances de lecture ... 99
6.3 Analyse du post-‐test. ... 101
6.3.1. Compréhension de la déficience intellectuelle ... 101
a) Perception de la différence ... 101
b) Connaissances sur la déficience intellectuelle ... 103
c) Notion de contagion. ... 105
6.3.2 Attitudes face à la déficience intellectuelle ... 107
a) Appréciation des personnes ayant une déficience intellectuelle ... 107
b) Sentiments spontanés en cas de rencontre ... 108
c) Appréciation de la rencontre ... 109
d) Envie de jouer avec un enfant comme Benoît ... 110
e) La peur ... 111
6.3.3 Analyse du changement entre le pré-‐test et le post-‐test et conclusion du post-‐test ... 112
6.4 Analyse interindividuelle ... 114
7. Discussion ... 121
7.1 Implication pour la pratique ... 123
7.2 Limites de la recherche ... 124
8. Conclusion ... 126
Bibliographie ... 129
ANNEXES ... 138
1. Introduction
« Il a quoi, lui ?! ». Si les plus petits enfants posent cette question à haute voix, les plus grands la prononcent quant à eux plus doucement. Il est à noter toutefois que tant les petits que les grands restent stupéfaits devant ce garçon assez grand, restant assis dans sa poussette, faisant des mouvements bizarres avec ses mains en les accompagnant par des sons qui ne ressemblent pas à des mots. Ils s’arrêtent brusquement, même s’ils viennent de courir à toute vitesse, regardent longtemps ce garçon et posent cette question aux parents, qui préfèrent souvent s’éloigner pour leur répondre, ne nous permettant pas d’entendre leurs explications.
Les enfants se retournent alors, pensifs. L’auteure du présent mémoire a pu observer cette situation très souvent (toujours sur le même scenario) en travaillant avec un garçon ayant des déficiences multiples. Les questions suivantes se posaient alors: que voient les enfants en regardant ce garçon, qu’en pensent-‐ils et que leur expliquent leurs parents ? Dans un autre contexte, lors du cours sur l’inclusion et l’intervention précoce, nous devions observer pendant une heure la situation d’intégration d’un enfant de 4 ans ayant une trisomie 21 dans une des crèches genevoises. Il était très frappant de constater à quel point cet enfant était seul pendant la période des jeux libres : aucun de ses camarades ne s’approchait de lui. Lors de cette observation nous n’avons entendu ni les questions des enfants ni les réponses des éducatrices. En revanche, le comportement des premiers était très parlant. Lors d’un séminaire intitulé « Enfants en situation de handicap et intégration », nous avons vu une présentation du « Centre d’appui à l’intégration » attaché à l’« Office Médico-‐Pédagogique » du canton de Genève. La directrice de ce centre a nommé comme une des sphères de leur activité le travail explicatif avec les pairs tout-‐venants de l’enfant intégré, sans rentrer plus spécifiquement dans les détails de ce travail. Tous ces éléments nous ont amené à travailler sur la compréhension et les attitudes des jeunes élèves tout-‐venants vis-‐à-‐vis de l’enfant présentant une déficience intellectuelle, ainsi que sur l’effet d’une intervention ayant pour but l’amélioration de la compréhension et la promotion des attitudes positives face à la déficience intellectuelle sur cette compréhension et ces attitudes.
A cette fin, nous étudierons tout d’abord la littérature scientifique qui traite des compétences sociales et sociocognitives des jeunes enfants en lien avec la situation d’intégration/inclusion.
Nous examinerons ensuite les recherches déjà menées sur le sujet de la compréhension et les attitudes des jeunes enfants face au handicap en général et face à la déficience intellectuelle en particulier, ainsi que les recherches proposant les divers programmes d’intervention pour la promotion des attitudes positives face au handicap en général et à la déficience intellectuelle en particulier.
A l’issue de ce parcours théorique, nous établirons un programme d’intervention basée sur la lecture et la discussion et nous définirons nos questions de recherche. Ainsi, nous nous poserons les deux questions générales suivantes : Quelles sont les relations entre la conscience de la différence, la compréhension et les attitudes des jeunes enfants face à la déficience intellectuelle ? Quel est l’impact possible d’une intervention sur la base de lectures et de discussions sur la compréhension et les attitudes des jeunes enfants face à la déficience intellectuelle ?
Notre travail est une étude contenant des éléments tant de la recherche exploratoire que de la recherche–action. Dans la partie méthodologique, nous décrirons le contexte dans lequel la recherche a été effectuée. Nous décrirons également toutes les étapes qui nous ont amené à la construction de ce programme d’intervention. En vue de connaître la compréhension et les attitudes des jeunes enfants en lien avec l’intervention proposée, nous nous appuierons à la fois sur les entretiens, sur l’analyse des séances d’intervention et sur les données du « Journal de travail explicatif ». Nous décrirons chacun de ces outils, ainsi que les procédures utilisées afin d’analyser les données reçues avec ces mêmes outils.
Par la suite, nous explorerons les données détenues. Nous présenterons d’abord les résultats du pré-‐test en regroupant les données selon les thématiques du guide de l’entretien, en évoquant les catégories qui apparaissent dans les réponses des enfants sur chaque thème, ainsi que le pourcentage de ces réponses. Nous analyserons ensuite les séances d’intervention quant à leur adéquation au niveau de la compréhension des jeunes enfants. Pour finir, nous regarderons les résultats du post-‐test en les comparant avec ceux du pré-‐test. Nous analyserons également le parcours individuel de chaque élève dans la compréhension et les attitudes face à la déficience intellectuelle du pré-‐test au post-‐test, en incluant dans cette analyse les données des séances d’intervention ainsi que les données du « Journal de travail explicatif ». Nous discuterons des résultats obtenus en lien avec nos éléments théoriques.
Nous répondrons ainsi à nos questions de recherche.
Enfin, nous réfléchirons aux résultats reçus dans le cadre de la présente recherche qui nous paraissent les plus pertinents en lien avec la pratique du travail de l’enseignant dans une classe incluant un enfant avec une déficience intellectuelle. Nous réfléchirons également aux limites de notre travail et à ses conséquences sur les résultats obtenus. En guise de conclusion, nous survolerons les éléments de la recherche qui nous paraissent les plus importants et nous proposerons quelques pistes permettant de continuer l’investigation dans le domaine étudié.
2. Problématique
La maîtresse dit aux enfants que demain ils verront leur nouvelle camarade Jessika, qui « vit avec une trisomie ».
Le lendemain, deux filles demandent à la maîtresse : -‐ Jessika, elle vit déjà avec qui ?
-‐ Avec ses parents, bien sûr
-‐ Mais non ! Tu as dis hier qu’elle vit avec une tri…
(L’histoire vraie racontée par la maîtresse d’une des classes de 1ère primaire à l’école ordinaire accueillant un élève avec une trisomie 21.)
L’intégration des élèves aux besoins éducatifs particuliers devient progressivement une priorité dans la politique éducative en Suisse. La Loi fédérale sur l’élimination des inégalités frappant les personnes handicapées (LHand, 2002) prévoit une « intégration des enfants et adolescents handicapés dans l’école régulière par des formes de scolarisation adéquates pour autant que cela soit possible et serve le bien de l’enfant ou de l’adolescent handicapé » (ibid.
Art. 20)
Au niveau cantonal, la Loi genevoise sur l'intégration des enfants et des jeunes à besoins éducatifs particuliers ou handicapés (LIJBEP, 2008) du 14 novembre 2008 (entré en vigueur le 1 janvier 2010), encourage les solutions intégratives plutôt que séparatives.
En ce que qui concerne la pratique éducative de l’intégration des enfants aux besoins particuliers dans les écoles publiques genevoises, elle se déroule pour la plupart des cas sous forme d’intégration à temps partiel. L’enfant fréquente l’école spécialisée et passe quelques heures dans une classe ordinaire (Chatelanat, 2011). C’est notamment le cas pour les enfants ayants une déficience intellectuelle (ibid.).
Bien que pour le moment nous ne puissions pas encore parler d’école inclusive à Genève et qu’il y ait très peu d’enfants en situation de handicap intégrés, même à temps partiel, dans les écoles publiques genevoises, la volonté politique est là. Les ressources mises en place pour soutenir l’intégration sont toutefois encore souvent inappropriées et largement insuffisantes (Chatelanat, 2011; Metral, 2011). Progressivement, les processus d’intégration/inclusion vont entrer dans le quotidien scolaire, et l’intégration des enfants avec une déficience intellectuelle va devenir petit à petit une pratique de plus en plus courante.
La réussite d’une intégration/inclusion dépend en grande partie de l’acceptation des élèves intégrés par leurs pairs (Vienneau, 2004; Zaffran, 2007). Les premières années de l’école sont une période charnière afin de promouvoir les attitudes positives des élèves, car ces dernières se forment vers l’âge de quatre/cinq ans (Diamond & Innes, 2001). Les recherches montrent qu’avant cet âge, les enfants ont une compréhension très limitée des déficiences et de leurs conséquences (Diamond, Furgy, & Blass, 1993). Entre quatre et six ans, ces derniers ne sont conscients de la présence d’une déficience que si elle est visible et/ou expérimentable, mais leur développement cognitif ne leur permet pas d’identifier ou de reconnaître la déficience intellectuelle (Conant & Budoff 1983; Diamond & Hestens 1996). Celle-‐ci entrave de manière plus ou moins forte les compétences sociales de la personne concernée et c’est la raison pour laquelle c’est une des déficiences le moins accepté par les enfants de cet âge-‐là (Odom, et al.,
2006). De plus, ils ont souvent tendance à interpréter les problèmes de compétences sociales comme des défauts forcément intentionnels (Smith & Williams, 2001).
Les études indiquent que les attitudes s’apprennent. Plusieurs auteurs mettent en évidence que les attitudes des élèves peuvent fortement évoluer face aux paroles, explications, et comportement de leur enseignant (Diamond & Innes, 2001; Han, Ostrosky, & Diamond, 2006;
Lieber, et al., 1998). Le rôle de ce dernier est donc primordial dans l’acceptation des enfants intégrés au sein d’une classe ordinaire.
Un des éléments clé de cette promotion des attitudes positives est l’explication. Le degré d'intégration sociale d'un enfant avec une déficience dans une classe ordinaire varie en fonction des idées et des attentes de ses pairs par rapport à lui (Diamond & Innes, 2001).
Comment procéder? Comment expliquer aux enfants pourquoi leur camarade est plus lent, pourquoi il ne comprend pas toutes les règles de jeux, etc… Que peuvent faire les enseignants face à ce défi, et comment leurs efforts changent-‐ils la compréhension et les attitudes des élèves face aux enfants ayants une déficience intellectuelle? Est-‐il possible de développer un programme efficace de sensibilisation à la déficience intellectuelle lors des premières années de l’école primaire?
Cette recherche a pour objet la compréhension et les attitudes des jeunes enfants face à la déficience intellectuelle, en lien avec le travail explicatif des enseignants. Nous chercherons donc d’une part à observer la compréhension et les attitudes des jeunes élèves vis-‐à-‐vis d’un enfant présentant une déficience intellectuelle ; nous essaierons d’autre part de comprendre dans quelle mesure la promotion des attitudes positives face à la déficience intellectuelle par les enseignants peut être efficace malgré les difficultés qu’ont les enfants à comprendre ce type de déficience.
3. Partie théorique
Ce chapitre présente une revue de la littérature sur les sujets qui nous intéressent en lien avec le thème de ce travail. Pour aborder la problématique de la compréhension et les attitudes des jeunes enfants face à la déficience intellectuelle, il nous semble nécessaire de commencer par la revue de la littérature sur les questions de compétences sociales et sociocognitives des jeunes enfants en lien avec la situation d’intégration/inclusion. Nous verrons alors ce que les recherches mettent en évidence par rapport aux compétences cognitives et sociales du jeune enfant (qui sont à l’origine de ses interactions), ainsi que par rapport aux relations du jeune enfant avec ses pairs y compris ceux ayant une déficience intellectuelle. Nous examinerons par la suite la littérature scientifique traitant la compréhension de la déficience intellectuelle par les jeunes enfants. Nous nous intéresserons plus particulièrement aux compétences cognitives des jeunes enfants leur permettant d’intégrer les concepts de « handicap » et de déficience intellectuelle, ainsi qu’au rôle de l’environnement dans ce processus. Enfin nous verrons ce que les recherches mettent en évidence quant à la formation des attitudes chez les jeunes enfants face à la déficience y compris la déficience intellectuelle ainsi qu’au sujet des interventions possibles pour la promotion des attitudes positives et une meilleure compréhension de la déficience intellectuelle chez les jeunes enfants.
Avant d’entrer dans le vif du cadre théorique, il est important de clarifier ce qui est entendu par « déficience intellectuelle ». Notre recherche porte sur la compréhension et les attitudes de jeunes enfants vis à vis de la déficience intellectuelle. Nous prenons comme définition de la déficience intellectuelle celle adoptée par l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilites (AAIDD). La dernière version de la définition de AAIDD (11ème édition) date de l’année 2010 (Schalock, et al., 2010). Elle porte sur trois éléments diagnostiques : a) des limitations significatives du fonctionnement intellectuel qui sont associées à b) des limitations significatives du comportement adaptatif qui se manifeste dans les habiletés conceptuelles, sociales et pratiques, c) ces dernières doivent apparaître durant la période de développement (avant 18 ans). Le fonctionnement intellectuel inclut les capacités à raisonner, planifier, résoudre les problèmes, penser de manière abstraite, comprendre les idées complexes, apprendre rapidement et apprendre d’une expérience. Le comportement adaptatif se réfère au fonctionnement de la personne dans la vie quotidienne. Les limitations importantes dans ce comportement s’exprimant dans les habilités conceptuelles (i.e. langage expressif et réceptif, lecture et écriture, concept d’argent, autorégulation, etc.), sociales (i.e.
habilités interpersonnelles, estime de soi, crédulité dans le sens de vulnérabilité face aux manipulations, sens de la responsabilité, naïveté, respect de règles, etc.) et pratiques (i.e.
autonomie dans les gestes de la vie quotidienne comme manger, se laver etc.; habilités domestiques ; gestion d’argent, etc.) envahissent les capacités de la personne et l’empêchent de répondre à une situation donnée de manière adéquate à son environnement (ibid.)
Dans ce domaine, les chercheurs utilisent des terminologies variées, ce qui pose certains problèmes dans la généralisation de leurs résultats. En effet, on note dans les articles les termes de : « Learning disabilities», « Intellectual disabilities », «Mental retardation »,
«Development delay », « mild development delay » etc. Nous préciserons donc à chaque fois
quelle est la terminologie utilisée dans la recherche et nous définirons également de quelle population il est question précisément.
3.1 Le jeune enfant en relation avec ses pairs
3.1.1 Les compétences sociales et sociocognitives du jeune enfant et sa relation avec ses pairs
Le développement des relations entre pairs est étayé par plusieurs modèles explicatifs : la théorie de l’esprit, la théorie de l’attachement, l’approche psychosociologique, l’approche systémique, etc. Dans notre analyse, nous partons de l’idée que ces approches sont complémentaires si l’on prend comme postulat de base l’idée que l’enfant ne se développe pas tout seul, mais que dès la naissance, il est inclus dans des systèmes de niveaux différents (Bronfenbrenner & Morris, 2007).
Dans ce sous-‐chapitre, l’objectif est de savoir comment un enfant de 4-‐5 ans perçoit et comprend un autre enfant et comment il adapte son comportement vis-‐à-‐vis de ce dernier en fonction de cette perception et de cette compréhension. Nous nous focaliserons sur les compétences employées par les enfants lors de leur entrée en relation avec leurs pairs et lors de leurs interactions avec ces derniers.
a) Découverte de la perspective d’autrui par le jeune enfant (théorie de l’esprit)
Les études sur la cognition sociale commencent par les travaux de Piaget sur l’égocentrisme et les processus de décentration. Pour Piaget, l’égocentrisme est un aspect central de la pensée enfantine pendant le stade préopératoire (entre 2 et 7 ans). L’enfant voit le monde physique et social de sa propre perspective et éprouve de la difficulté à adopter le point de vue d’autrui (Piaget, 1945). Progressivement l’enfant passe de l’égocentrisme vers la considération du point de vue de l’autre ce qui se traduit par un processus de décentration.
Plusieurs recherches montrent que ce processus de décentration est très graduel, et les performances des enfants dépendent de l’âge et du niveau de complication des tâches. En ce qui concerne la considération du point de vue d’autrui au sens propre, Flavell (1992) a fait une expérience avec des enfants de 18 à 30 mois. Les enfants devaient soit montrer l’image à l’expérimentateur, soit la regarder sans la montrer. A 18 mois, les enfants tiennent l’image de telle sorte qu’ils la voient eux-‐mêmes, mais déjà à 24 mois ils arrivent à montrer l’image de telle manière que l’expérimentateur la voit. A 30 mois, les enfants parviennent à regarder l’image en la cachant du regard de l’expérimentateur (Flavell, 1992). Malgré cette preuve de réussite précoce, les enfants ne sont capables de résoudre la plupart des tâches sur la considération du « point de vue » d’autrui que vers l’âge de 4-‐5 ans (Astington, 1999). Pour certaines autres tâches, la réussite est encore plus tardive (par exemple celle des 3 montagnes de Piaget (Piaget & Inhelder, 1947)). En ce qui concerne le processus de décentration globale, Selman (1981) propose 5 stades de décentration allant du jeune enfant à l’adolescent : 1-‐
période égocentrique au sens de Piaget (3-‐7 ans), 2 -‐ période subjective quand l’enfant comprend que les autres pensent différemment, mais aussi difficulté à se repérer dans ses représentations de l’autre (4-‐9 ans), 3 – représentation effective du point de vue de l’autre (6-‐
12 ans), 4 -‐ capacité à se décentrer par rapport à une interaction duelle (9-‐15 ans) et, 5-‐
conscience des niveaux d’intimités et du réseau social (12 ans -‐ adulte). Comme nous le
voyons, il y a selon Selman une très grande différence interindividuelle entre les âges si on suit ces stades de décentration.
La problématique de la cognition sociale est aujourd’hui plutôt discutée en des termes de développement de « théorie de l’esprit » et de la compréhension des « états mentaux » que dans un continuum allant de l’égocentrisme à la décentration. Le concept de « théorie de l’esprit » est relativement récent. Dans les années 1970, les découvertes en étiologie relancent la question du développement de la compréhension des états mentaux chez les êtres humains.
La première définition de la « théorie de l’esprit » était donné par les primatologues qui ont découvert une théorie de l’esprit chez les chimpanzés : « Un individu dispose d’une théorie de l’esprit s’il impute à lui-‐même et impute à autrui des états mentaux. Un système de déduction de ce genre peut à bon droit être considéré comme une théorie parce que ses états ne sont pas directement observables et que ce système peut être utilisé pour prédire les comportements d’autrui » (Premack & Woodruff, 1978). Dans les années 1980, l’étude de la théorie de l’esprit chez les êtres humains se développe en psychologie (Wimmer & Perner, 1983) ; la définition de Premack et Woodruff (1978) a été revue et discutée par plusieurs auteurs (Nader-‐
Grosbois, 2011). Nader-‐Grosbois (2011) propose une définition de la théorie de l’esprit plus large, c’est à dire comme étant une compréhension des états mentaux propres ainsi que ceux d’autrui en ce qui concerne les émotions et les croyances. Dans la présente recherche, nous allons nous appuyer sur cette dernière définition car elle englobe les précédentes.
L’étiologie de la théorie de l’esprit est l’objet de grands débats entre les innéistes, les constructivistes et les culturalistes. Ces débats dépassent le cadre de ce travail. Disons simplement que les recherches contemporaines justifient les trois perspectives. Les êtres humains naissent avec une prédisposition à la théorie de l’esprit, celle-‐ci se développe au cours de la maturation de l’enfant ainsi que dans les interactions avec son entourage, elles s’inscrivent dans un contexte culturel (Astington, 1999; Nader-‐Grosbois, 2011)
L’acquisition de la théorie de l’esprit est un long processus de « découverte de la pensée » (Astington, 1999). Dès la naissance, le bébé préfère le visage humain à tous les autres stimuli visuels. Au cours de sa première année de vie, il comprend la différence entre les êtres humains et les objets, il commencent à distinguer les être humains les uns des autres, à différencier les proches des étrangers. A la fin de sa première année, l’enfant commence à développer l’attention conjointe (Astington, 1999). Entre 12 et 24 mois, l’enfant passe de la représentation du monde étroitement liée à la réalité d’ici et maintenant aux représentations qui lui permettent de penser aux choses ou évènements absents ou hypothétiques. Vers 18 mois, l’enfant entre dans la simulation et les jeux de « faire semblant », et ces jeux deviennent de plus en plus complexes avec l’âge (Astington, 1999; Piaget, 1945). Dans les jeux de « faire semblant », les enfants font la distinction entre les pensées et les choses : ils comprennent par exemple que quand l’adulte utilise un bout de bois comme une banane, le bout de bois n’est pas la banane en réalité, mais elle l’est dans la pensée de l’adulte (Harris, Kavanaugh, Wellman, & Hickling, 1993).
A 2 ans, l’enfant parvient à distinguer ses propres désirs de ceux des autres (Astington, 1999). L’expérience de Repacholi et Gopnik démontre qu’à 18 mois déjà, l’enfant commence à
comprendre que si un adulte aime le brocoli, il faut lui donner du brocoli et non des biscuits, même si l’enfant préfère les biscuits (Repacholi & Gopnik, 1997). En même temps, il commence à parler de ce que les gens voient, veulent et sentent (perceptions, désirs et sensations propres et ceux d’autrui). Une étude longitudinale sur les attributions données à leurs poupées par des enfants de 1 à 7 ans montre l’ordre chronologique de l’utilisation des termes. D’abord, il s’agit de paroles et d’actions, puis de perceptions et de sensations, ensuite d’émotions et d’obligations et finalement de cognitions. Ce répertoire et adopté par tous les enfants vers l’âge de 4 ans (Wolf, Rygh, & Altshuler, 1984). Le premier mot qu’ils emploient sur les désirs et les croyances est « vouloir », et les enfants commencent à parler des désirs bien avant des croyances (Bartsch & Wellman, 1995).
Lors de sa deuxième année, l’enfant commence également à saisir les intentions d’autrui.
L’intention est une notion qui réfère à un état mental qui guide et qui contrôle le comportement (Astington, 1999). Cette notion peut être utilisée de deux manières : une action intentionnelle (ce que l’autre va faire) et un comportement intentionnel par opposition à un comportement accidentel (« exprès » ou « pas exprès »). La compréhension de l’intention, selon le premier sens donné, apparaît très précocement, soit vers 18 mois (Meltzoff, 1995).
Pour que les enfants accèdent au deuxième sens de l’intention, il faut attendre qu’ils aient 4-‐5 ans (Astington & Lee, 1991).
Au cours de la 3ème année, la compréhension des désirs se développe (Wellman, 1990), et vers 3 ans, la majorité des enfants est capable de comprendre la différence entre leurs propres désirs et ceux des autres (Wellman & Liu, 2004). La compréhension de l’activité mentale se construit ainsi progressivement. Vers 3 ans, les enfants commencent à utiliser des verbes mentaux tels que « penser » et « savoir » (Bartsch & Wellman, 1995) et cette utilisation s’accroit au cours de la 4ème année. En revanche, avant l’âge de 4 ans, les enfants n’utilisent pas ces mots de manière méta-‐représentationnelle (pour comprendre ce qui est su et pensé) (Perner, 1991).
Perner explique que l’on utilise le mot « savoir » pour exprimer trois aspects différents : 1) savoir faire quelque chose – performance dans certains domaines 2) la vérité – ce que nous savons correspond à la réalité 3) l’information pertinente -‐ on dit qu’on sait parce qu’on l’a vu se produire. Les enfants utilisent le verbe « savoir » pour dire qu’ils peuvent réussir une action ou pour faire la correspondance entre les faits, mais avant l’âge de 4 ans ils ne demandent pas « comment tu sais ? » et n’expliquent pas « je sais parce que j’ai vu ». Ainsi, l’enfant ne comprend pas encore comment le savoir se produit, comment on sait ce que l’on sait. Il sait par exemple que dans le jeu de cache-‐cache il faut se cacher et il se cache sous les yeux de celui qui le cherche. (ibid.)
A 4-‐5 ans, l’âge de la scolarité, les enfants commencent à avoir accès à la réflexion sur les états mentaux des autres. Bouchand et Caron (1999) ont étudié l’emploi de verbes mentaux chez les enfants de 3 à 6 ans, et ils remarquent un net changement entre 4 et 5 ans. Ce changement se situe dans le passage du constat comportemental à l’inférence à la croyance de la personne (Bouchand & Caron, 1999). A cet âge, les enfants sont capables d’utiliser ce qu’ils savent sur les perceptions, désirs et croyances d’une personne pour comprendre ce qu’elle va faire (Astington, 1999). Ils sont alors conscients de l’esprit de l’autre et comprennent dans
une certaine mesure comment l’autre analyse et interprète la situation (ibid). Les enfants commencent à expliquer et prédire les actions des autres en fonction de ce qu’ils veulent et pensent ; ils sont capables alors de réussir les tâches de « fausses croyances » (Astington &
Gopnik, 1991; Gopnik & Astington, 1988; Wimmer & Perner, 1983). Les tâches de « fausses croyances » permettent de voir si l’enfant comprend qu’un autre peut avoir une croyance différente de la sienne. Une des tâches « classiques » de fausses croyances est la tâche de
« Maxi et chocolat » (Wimmer & Perner, 1983). Dans cette tâche, le protagoniste de l’histoire (Maxi) met une plaque de chocolat dans un tiroir « x ». En l’absence de Maxi sa maman déplace le chocolat dans un tiroir « y ». On demande à l’enfant interrogé sur cette situation d’indiquer dans lequel des tiroirs Maxi ira chercher le chocolat. L’enfant réussi la tâche s’il arrive à distinguer son propre savoir de la croyance de Maxi et indique le tiroir« x » comme étant celui où Maxi va chercher son chocolat (ibid.)
Jusqu’à 4-‐5 ans l’enfant n’arrive pas à comprendre les fausses croyances ; il n’arrive pas à les attribuer, ni à l’autre ni à lui-‐même. L’enfant ne comprend pas comment on peut croire à une autre chose que ce qu’on sait juste (Astington, 1999). A 4-‐5 ans, les enfants y parviennent parfaitement et cela même dans les cultures très différentes des cultures occidentales (Avis &
Harris, 1991). Ces performances en fausses croyances sont corrélées à la compréhension des mots « penser » et « savoir » (Moore, Bryant, & Furrow, 1989).
Vers les 5 ans les enfants comprennent également l’intention au sens opposé du comportement accidentel. Astington et Lee racontent aux enfants de 3 à 5 ans l’histoire de deux petites filles : une des filles jette des miettes aux oiseaux, tandis que l’autre mange le pain dans la rue et les oiseaux viennent ramasser les miettes qu’elle fait tomber. Les chercheuses ont demandé aux enfants laquelle des deux filles jetait intentionnellement les miettes aux oiseaux afin qu’ils les mangent. Contrairement aux enfants âgés de 5 ans, les enfants de 3 ans furent incapables de répondre correctement à cette question (Astington &
Lee, 1991).
La compréhension de l’esprit actif qui analyse et interprète la situation permet aux enfants de 4-‐5 ans d’accéder aux mensonges et de délibérément tromper l’autre (Astington, 1999). Les jeunes enfants avant 4-‐5 ans peuvent « mentir » pour accéder à ce qu’ils veulent en utilisant les schémas qui fonctionnent habituellement (par exemple dire « je suis fatigué » pour éviter une tâche, même si la tâche est « aller au lit »). A 4-‐5 les enfants accèdent au mensonge complexe quand il s’agit de modifier ce que l’autre croit pour obtenir ce qu’on veut (ibid).
Piaget pense que jusqu’à l’âge de 7 ans les enfants ne comprennent pas l’intention derrière le mensonge. Dans une des ses expériences, il raconte aux enfants l’histoire de deux garçons : un garçon qui a très peur des chiens voit un grand chien et raconte à sa maman qu’il a vu un chien grand comme une vache. Un autre garçon dit à sa maman qu’il a eu de très bonnes notes à l’école et maman le récompense alors qu’en réalité il n’a reçu aucune note. Piaget demande aux enfants lequel des deux enfants est le plus « vilain » ? Les enfants jusqu’à 7 ans répondent que c’est celui qui parle de la vache, parce que la déformation de la réalité dans ce cas est plus grande (Piaget, 1932). Wimmer et ses collaborateurs (Wimmer, Gruber, & Perner, 1984) démontrent qu’effectivement, pour les enfants jusqu’à 6-‐7 ans, le mot « mensonge » signifie toute information inexacte, mais qu’en même temps déjà à 4 ans les enfants comprennent les bonnes ou mauvaises intentions d’un point de vue moral. Les chercheurs racontent aux
enfants de 4 à 12 ans deux histoires tirées du test de fausses croyances : « Maxi et chocolat ».
Dans une des ces histoires la petite sœur veut manger du chocolat et le frère lui montre la place où il pense qu’il y a du chocolat, mais en réalité la maman a remis le chocolat dans le frigo, sans que Maxi le sache. Par conséquent la petite sœur ne trouve pas le chocolat. Dans l’autre histoire le frère ne veut pas que sa sœur prenne le chocolat et lui indique le frigo en pensant que le chocolat est dans le placard, c’est alors que la petite sœur y trouve effectivement le chocolat. Les enfants jusqu’à 6-‐7 ans disent que c’est le premier garçon qui a menti, mais déjà à 4 ans les enfants blâment celui qui a eu une mauvaise intention, et pas l’autre (ibid.).
Les recherches dans la théorie de l’esprit nous montrent qu’à l’âge de 4-‐5 ans les enfants
« découvrent la pensée » (Astington, 1999), deviennent capables de prendre en compte les états mentaux des autres, et deviennent capables de prédire le comportement d’autrui en fonction de ses désirs et ses croyances. En même temps, la compréhension de l’autre est acquise par les enfants en âge de scolarité seulement dans une certaine mesure ; ils sont encore au début du processus de décentration et ils continuent à se servir de la vision du monde égocentrique. Comme le souligne Davies (2011), les situations des expériences « en laboratoire » sont différentes de celles de la vie quotidienne avec le stress des situations réelles et il est très probable qu’un enfant qui réussît tous les tests de fausses croyances va se comporter dans certaines situations de la vie quotidienne de manière tout à fait égocentrique (ibid.). Pour notre recherche, il nous semble pertinent de tenir compte de l’égocentrisme de l’enfant de 4-‐5 ans et de ses capacités à prendre en compte les états mentaux des autres.
La prise en compte du point de vue d’autrui passe selon certains auteurs par l’expérience propre de l’enfant : les enfants ne déduisent pas la prédiction du comportement d’autrui des
« lois » sur les croyances et désirs, mais ils imaginent ce qu’ils feraient si dans une situation donnée ils voulaient ceci et pensaient cela (Harris, 2000; Johnson, 1988). Si l’on adapte cette perspective de fonctionnement de la théorie de l’esprit chez les enfants de 4-‐5 ans, on comprend les difficultés que peuvent avoir ces derniers dans la compréhension d’un de leur camarade ayant une déficience intellectuelle.
b) Compréhension des émotions propres et de celles d’autrui (méta-‐émotion)
La compréhension de ses propres émotions ainsi que celles d’autrui fait partie de la « théorie de l’esprit » (Astington, 1999). Les émotions sont mutuellement liées aux croyances et désirs, elles influencent l’intention, l’action et le résultat de notre action. Pour comprendre et prédire le comportement d’autrui, il est nécessaire alors de comprendre ses émotions (ibid.) Le développement de la compréhension des émotions est un long processus qui commence dès la naissance (Tavenot, 2012) et arrive à maturité autour de l’adolescence (Pons, Harris, & de Rosnay, 2004). Les enfants qui commencent leur scolarité sont alors au milieu de ce chemin.
Nous allons parcourir brièvement les étapes du développement de la compréhension des émotions que l’enfant de 4-‐5 ans a derrière lui. Ceci afin de comprendre ce qu’il sait déjà des émotions et ce qu’il a encore à découvrir.
A la naissance, un bébé est capable de distinguer et imiter les expressions faciales des émotions primaires (joie, tristesse, surprise, dégoût, peur, colère, etc.), vers 5 mois il est capable de distinguer les émotions positives des émotions négatives (Tavenot, 2012), vers 7