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La faute concomitante de la victime

CHAPPUIS, Christine

CHAPPUIS, Christine. La faute concomitante de la victime. In: Werro, Franz. La fixation de l'indemnité : colloque du droit de la responsabilité civile 2003, Université de Fribourg . Berne : Stämpfli, 2004. p. 29-87

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:11795

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La faute concomitante de la victime

Christine Chappuis

Professeure à "Université de Genève

J. Remarques préliminaires A. Le cadre général

B. De l'interruption du lien de causalité à la diminution de l'indemnité

C. Le parallélisme entre la faute de l'auteur et celle de la victime

Il. La portée de la faute concomitante A. En cas de responsabilité pour faute

1. TF. 4CJ86/200J, 5 novembre 2001 (rampe d'accès au Palais des Nations)

2. ATF 123 III 307 (plongeoir de Colombier) B. En cas de responsabilité objective simple

1. ATF 123 1l/307 (plollgeoirde Colombier) 2. TF, SJ 2002 1253 (trithérapie)

C. En cas de responsabilité pour risque

J. TF, 5C276/2002. 8 avril 2003 ( passage à niveau nO/1

gardé)

2. ATF 115 Il 283 (accident de la circulation: passage pour piétons)

III. Quelques questions particulières A. La faute concomitante des enfants B. La faute concomitante et le tort moral

Conclusion

29

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La faute concomitante de la victime est l'un des paramètres intervenant dans la fixation de l'indemnité confonnément à l'art. 44 al. 1 CO. Cette règle, qui autorise le juge à réduire les dommages-intérêts ou à n'en point allouer, est d'application générale en droit de la responsabilité civile, soit que les lois spéciales réglementent elles-mêmes la question', soit qu'elles renvoient aux dispositions du Code des obligations'. Reflétant la même idée, la loi sur le contrat d'assurance pennet à l'assureur de refuser ou de réduire sa prestation lorsque le preneur d'assurance (resp. l'ayant droit) a causé le sinistre de manière intentionnelle ou par faute grave (art. 14 al. 1 et 2 LCA).

Après quelques remarques préliminaires (1.), j'examinerai la portée de la faute concomitante en fonction du type de responsabilité engagée (respon- sabilité pour faute, responsabilité objective simple et responsabilité pour risque) (II.) et m'attarderai sur deux questions particulières (IIL).

1. Remarques préliminaires

Il convient d'abord de rappeler le cadre général de la question (A.) et les deux conséquences possibles de la faute concomitante sur la responsabi- lité de l'auteur (B.). On évoquera ensuite brièvement la notion de faute, commune à l'auteur et à la victime (C).

A. Le cadre général

L'art. 44 al. 1 CO autorise le juge à réduire l'indemnité ou à n'en point allouer lorsque des faits dont la victime est responsable ont contribué à créer le dommage ou à l'augmenter. Ces « faits» ne sont pertinents que si la victime en est responsable, en particulier s'ils lui sont imputables à faute, raison pour laquelle on parle, de manière abrégée mais trompeuse,'

2

30

Par ex., l'art. 59 al. 1 et 2 LCR et l'art. 4 LRespC. Les art. 33 al. 2 LITC, 27 al. 2 LExpl, 5 al. 2 LRCN, 15 al. 1 let. a LVF et 135 al. 2 LAAM ne prévoient que la libé- ration de toute responsabilité. L'art. 13 al. 2 LAVI prévoit uniquement la possibililé de réduire le mamanL de l'indemnité. A noter que le Tribunal fédéral vienl d'admeure que l'indemnité pouvait non seulement être supprimée en application de ,'art. 15 al. 1 let. a L VF, mais également réduite selon la règle générale de l'art. 44 al. 1 CO (A TF 130 III

182 c. 5.5, SJ 2004 1 ... ).

Par ex., les art. 59a al. 4 LPE, art. 15 al. 2 LChP, art. Il LRFP et art. 38 al. 2 LB.

(4)

de « faute» concomitante'. En effet, la victime est responsable non seule- ment de son propre comportement fautif, mais aussi de celui de ses auxi- liaires (art. 55 CO), tout comme du risque lié, par exemple, à l'emploi d'un véhicule automobile dont elle est délentrice (art. 58 LCR). ,

Le fait imputable à la victime est « concomitant" en ce sens qu'il concourt avec le comportement illicite et fautif de l'auteur (ou avec un autre chef de responsabilité) à la réalisation du dommage·. La faute concomitante qualifie le comportement d'une victime qui ne fait pas preuve de la diligence raisonnablement requise dans la protection de ses propres intérêtsl. Elle « s'insère dans la série causale aboutissant au pré- judice, de sorte que le comportement reproché au lésé est en rapport de causalité naturelle et adéquate avec la survenance du dommage ,,6.

Dans de telles circonstances, il serait inéquitable d'obliger l'auteur du dommage à la réparation intégrale, sans retrancher la partie imputable au comportement du lésé lui-même. L'importance de la faute concomitante et son effet sur le montant de l'indemnité sont des questions laissées à l'appréciation du juge' (art. 44 al. 1 el41 al. 1 CO).

Il se peut qu'un dommage se produise sans que les conditions de la responsabilité d'un tiers ne soient réalisées, le dommage étant alors le fruit du hasard ou du comportement de la victime elle-même. Dans un tel cas, il n'y pas lieu de s'interroger sur une quelconque « faute concomitante"

de celui qui subit le dommage. Ainsi, dans une affaire mettant en cause une entreprise de remontées mécaniques, une fillette avait pris place devant son père, la victime, sur un téléski équipé de sièges mono-places8 La fillette, tombée du siège, se mit à glisser sur le dos le long de la pente.

Le père, ne parvenant pas à l'attraper, quitta son siège, la rejoignit sur ses skis et la repoussa sur le côté pour interrompre sa chute. Ce faisant, il heurta un pylône et se blessa. La responsabilité de l'entreprise de remon- tées mécaniques, qu'elle fût fondée sur l'acte illicite (art. 41 CO), la vio- lation d'un contrat (art. 97 CO) ou le défaut de l'ouvrage (art. 58 CO),

6

Il est fondamCnlalemenl pennis de se causer un dommage à soi-même:

OFrlNGERlSTARK, § 5 n. 140; BK-BREHM, art. 44 n. 18.

OFrlNGERlSTARK, § 5 n. 139.

ROBERTO, § 33 n. 875. Voir aussi, VON BAR, n. 518, 546.

CR CO I-WERRO, art. 44 n. 13; ATF 126 ml92 c. 2d.

, Cf. SCHWENZER, n. 16.19; BK-BREHM, n. 294. TF, 4C.19312001, 14 mai 2002, c. 2.5.

ATF 126 [[[ 113.

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supposait que l'état du pylône n'ait pas été conforme aux devoirs géné- raux de la prudence, soit que l'entreprise ait violé une obligation de matelasser le pylône. Du fait que, d'une part, la pente n'atteignait pas 50 à 60% au lieu de l'accident et que, d'autre part, le téléski n'était pas proche d'une piste, il n'existait aucune obligation de matelasser le pylône à charge de l'entreprise. Les conditions de la responsabilité de l'entreprise de remontées mécaniques n'étaient par conséquent pas réunies.

C'est donc à titre superfétatoire que la décision relève l' « usage insolite et contraire à sa destination »9, consistant à abandonner le siège pour porter secours à un skieur en danger, que la victime a fait de l'installation. La faute concomitante n'entrait ici pas en ligne de compte, parce que les conditions de la responsabilité n'étaient pas réalisées. C'est pourquoi, les considérations relatives au devoir du «skieur en mouvement d'être attentif à ce qui se trouve devant lui et de maîtriser ses lattes de manière à pouvoir éviter un obstacle immobile sur sa trajectoire» JO étaient également hors de propos. Cependant, ces réflexions donnent le ton, car elles mOnlrent la sévérité avec laquelle le Tribunal fédéral apprécie de manière générale le comportement de la victime d'un dommage.

B. De l'interruption du lien de causalité à la diminution de l'indemnité

La faute concomitante peut jouer un rôle double. Lorsqu'elle est suffi- samment grave, elle est susceptible d'interrompre le lien de causalité, ce qui a pour effet de libérer la personne recherchée de toute responsabilité, raison pour laquelle elle est alors qualifiée d'exclusive. Si, au contraire, elle n'est pas suffisamment grave pour exclure toute responsabilité, elle peut intervenir comme un facteur de réduction de l'indemnité (comp. art.

44 al. 1 CO, art. 59 al. 1 et 2 LCR).

Il est tentant pour la personne recherchée de plaider la libération de toute responsabilité en raison de la faute concomitante de la victime. Toutefois, ce motif n'est retenu que si la faute de la victime est à ce point prépondé- rante par rapport aux autres facteurs que ceux-<::i sont relégués à l'arrière-

ATF 126 III 113, 118.

10 rbid.

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plan. Autrement dit, la faute de la victime doit être si lourde et si dérai- sonnable que l'on ne puisse pas compter avec sa survenance".

Le Tribunal fédéral" a ainsi donné raison au détenteur d'un véhicule auto- mobile qui avait heurté une mère de famille sur un passage pour piétons.

La faute de la victime consistait à s'être élancée sur la chaussée sans por- ter son attention à gauche, du fait qu'elle regardait à droite en direction de ses enfants qui jouaient. Les juges ont vu dans ce comportement la viola- tion de règles élémentaires de prudence. Etant donné celle faute qualifiée de grave, le détenteur, qui avait apporté la double preuve de l'art. 59 al. 1 LCR, a été libéré de toute responsabilité envers la victime restée invalide à 80%.

Une autre affairell oppose aux CFF une jeune fille de quatorze ans qui.

pour ne pas arriver en retard au collège, saute dans un train déjà en mar·

che. Les deux jambes de la victime sont sectionnées en dessous des genoux. Contrairement à une jurisprudence antérieure encore plus sévère, le Tribunal fédéral n'admet pas la libération de toute responsabilité invo- quée par les CFF. mais retient une réduction de l'indemnité à raison de 75% pour avoir sauté dans un train en marche. Cette faute, atténuée par le jeune âge de la victime, ne permet pas de considérer que le risque d'exploitation du chemin de fer n'apparaisse plus comme une cause adé- quate de l'accident.

La frontière qui sépare la faute concomitante grave de la faute concomi- tante exclusive de responsabilité, on le voit par ces exemples, est aisément franchie.

C. Le parallélisme entre la raute de l'auteur et celle de la victime La notion de faute est identique, qu'il s'agisse de celle de l'auteur ou de celle de la victime. Ainsi, la faute de la victime, comme celle de l'auteur, peut être commise de manière intentionnelle (suicide) ou par négligence (inattention au moment de traverser une route). La victime fait preuve d'une faute concomitante par négligence lorsqu'elle n'agit pas de manière

Il TF, 4C.18612oo1, 5 novembre 2001, c. 5a (Annexe 3); ATF 11611519 c. 4b, JdT 1991 1634; BSKOR [·SCHNYDER, art. 41 n. 16

J2 ATF 115 Ir 283. Pour d'aUlres exemples en matière de circulation routière, voir BREHM. n. 297 SS, n. 306 SS.

13 ATF 102 Il 363. JdT t 977 1306.

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conforme à ce qu'on était raisonnablement en droit d'attendre d'elle dans la protection de ses intérêts propres. On retrouve aussi la même gradation de la faute que celle admise pour l'auteur, dont la faute peut être qualifiée de grave, moyenne ou légère".

Pour la victime, il est certes avantageux que l'on apprécie avec sévérité la faute de l'auteur du dommage. Toutefois, une appréciation sévère de la faute de l'auteur devrait conduire à la même sévérité envers la victime dont le comportement a contribué à la réalisation du dommage si l'on veut respecter le parallélisme entre la faute de l'auteur et celle de la victime.

A lire la jurisprudence du Tribunal fédéral, la définition de la faute concomitante n'est cependant pas entièrement identique à celle de la faute de l'auteur: « Pour décider de la gravité de la faute [concomitante], le juge prend en considération non seulement les circonstances objectives de l'acte, mais également les conditions subjectives propres à son auteur, notamment quant à son discernement» 15. Or, la faute par négligence de l'auteur est appréciée selon un standard objectivé'6, ce qui écarte dans une large mesure la prise en comple de circonstances subjectives". On peUl dès lors se demander si le standard de la faute concomitante est, davantage que celui de la faute de l'auteur, teinté de subjectivisme.

Il convient cependant de relever que la définition de la faute concomitante par les circonstances objectives aussi bien que subjectives débouche le plus souvent sur un examen de la faute d'un enfant'S, que le Tribunal fédéral est, de manière générale, enclin à apprécier de manière plus indul- gente que celle des adultes".

t4 BREmf. n. 294; BK·BREHM, art. 41 n. 196 ss; REY, n. 855 ss; HONSELL, § 6 n. 24 S5.

La catégorie de la faute 'moyenne' a été introduite par l'A TF 100 Il 332 C. 33. Pour une iIIu"ration, voir TF, 5C.276, 8 avril 2003, c. 4 (Annexe 1), TF, 4C.18612001, 5 novembre 2001, c. 5b.dd (Annexe 3). Voir aussi, ROBERTO. § 33 n. 882. Contre une division Lripanüe des degrés de faule: OrnNGERlSTARK, § 5 n. 105.

" TF. S1 20011 110 (ilaliques ajou'ées); ATF 115 li 283 c. 2a; ATF 11111 89 c. la.

16 Pamti d'autres. REY, n. 843 S5.

,:1 11 REY, n. 846 ss; RDS-CHAPPUIS, 301 s. e,les décisions citées n. 265 à 270.

" 18 Parex.,TF,S12001 1 llO(14ans);ATFllI1l89c. la (9 ans).

"

;1 19 Cf. RDS-CHAPPU1S, 302 5S et réf. cit. L'enfant se voit condamné à une indemnité ré-

!i; duite s'il est auteur d'un dommage (art. 43 al. 1 CO); sa faute concomitante conduit à une réduction moindre de l'indemnité à laquelle il peul prétendre s'il est la victime (art. 44 al. 1 CO).

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L'ouverture vers un examen plus subjectif est malgré tout indiquée par la prise en considération du degré d'intelligence du jeune lésé et de sa prati- que de l'activité considérée'o. Cette prise en compte de facteurs subjectifs est confirmée dans une affaire déjà évoquée" où n'était pas en cause le jeune âge, étant donné que la victime blessée dans un accident de la circulation était adulte. A propos de la circonstance invoquée par la per- sonne lésée à sa décharge, soit le fait qu'elle était en train de surveiller ses enfants qui jouaient à proximité du lieu de l'accident au moment de traverser la route, l'arrêt relève que « la demanderesse, qui venait d'envoyer sa fille aînée auprès d'eux [les enfants), était en réalité pressée de gagner le centre commercial tout proche pour y acheter un journal avant l'heure de fermeture

,,22.

Il s'agit là d'une circonstance éminemment subjective sur laquelle le Tribunal fédéral s'appuie pour confirmer la gravité de la faute concomitante, conformément à ce qu'avait retenu l'instance cantonale, et la libération de toute responsabilité du détenteur sur la base de l'art. 59 al. 1 LCR.

L'absence de parallélisme entre la faute de l'auteur et la faute concomi- tante de la victime constatée ci-dessus constitue-t-elle une exception? La question peut rester posée, étant entendu que, si rupture il Y a, celle-ci devrait jouer en faveur de la victime, non contre elle". S'il est vrai qu'une définition identique vaut pour la faute de l'auteur el pour la faute conco- mitante, le standard de comparaison devra tenir compte du fait que c'est de la victime d'un dommage qu'il s'agit et que le comportement de celle- ci doit être mesuré à l'aune du comportement d'une victime raisonnable placée dans les mêmes circonstances. C'est pourquoi, l'on prendra en considération le fait que les réactions de la victime confrontée à un brus-

20 Par ex .• ATF 102 Il 363 c. 7, JdT 1977 1 306. où le Tribunal fédéral relie nI, en défa- veur de la victime, son degré d'intelligence ainsi que son habitude du trafic ferroviaire.

Dans une décision plus récente, les circonstances suivames: « [le] degré d'intelligence (normal) [du lésé], la peine qu'il avait à contrôler son comportement et à se plier à la discipline scolaire, l'incertitude quant à l'instruction qu'il avait reçue au sujet des dan- gers de la circulation. ainsi qu'une 'certaine pratique de la bicyclette' ~) sont relenues en faveur de la viclime (TF, SJ 2001 1 110, 112).

21 Cf. arrêt cité st.pra, n. 12.

2l ATF 115 11283, 288.

23 Favorable à ce que la faute concomitante, plus encore que celle de l'auteur, soit appré- ciée subjectivement: PETITPIERRE, 286.

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que danger ne sont pas nécessairement les plus adéquates dans l'établissement du standard de comparaison",

II. Portée de la faute concomitante

La faute concomitante est opposable à toute forme de responsabilité.

Toutefois, elle devrait peser moins lourdement face à une responsabilité pour risque. Le caractère plus sévère de ce type de responsabilité s'y oppose2SPour apprécier la portée de la faute concomitante sur le montant de l'indemnité, il s'agit en effet de mettre en balance la faute de la victime avec la faute de l'auteur (responsabilité pour faute, art. 41 CO) ou avec le motif justifiant la responsabilité causale simple (par ex., le défaut d'un ouvrage, art. 58 CO) ou encore avec l'importance du risque (par ex., l'emploi d'un véhicule automobile, art. 58 LCRf6 Partant du constat que plus la responsabilité en jeu est stricte moins la faute concomitante pèsera lourdement, certains auteurs présentent la casuistique relative à la faute concomitante en fonction du type de responsabilité en cause21

La gravité de la faute de l'auteur - faute additionnelle s'il s'agit d'une responsabilité causale - est de nature à relativiser la portée de la faute propre de la victirne28. Il s'agit bien sûr d'une question d'appréciation lais-

24 Dans l'A TF 102 II 232 c. 4, concernant le dommage subi par un homme qui se blesse en grimpant aux échelons d'un silo pour échapper à un chien, le Tribunal fédéral relève que «Ne commet dès lors pas une telle faute la personne qui, pour échapper à un danger auquel elle est subitement exposée, sans qu'il lui soit imputilble, effectue sous la pression de l'événement, dans le laps de temps très coun dont elle dispose, une manoeuvre qui se révèle après coup inopportune, inadaptée à la situation ou mala- droite» (240).

15 Dans ce sens, CR CO I-WERRO. art. 44 n. 19; REY, n. 404; SCHWENZER, n. 16.19;

GUHL-KOll.ER, § 10 n. 30; BK-BOEHM, an. 44 n. 32; PETrrPtERRE. 286. Coll/ra:

ROBERTO, § 33 n. 887, qui considère que, le risque élanl déjà pris en comple dans l'énoncé des conditions de la responsabilité, il ne doit pas intervenir une seconde fois lors du calcul de l'indemnité.

26 Voir ÛFTINGERISTARK. § 7 n. 23 ss.

27 Par ex., BK-BREHM, art. 44 n. 20 ss, n. 27 S5, n. 30 5S ; OFTINGERISTARK, § 7 n. 32. Cf.

aussi. CR CO l-WERRO. art. 44 n. 16 S5.

28 La question de savoir si la faute du responsable objectif est susceptible de neutraliser complèlement la faute concomitante est controversée; le Tribunal fédéral ne l'a pas tranchée de manière univoque: CR CO I-WERRO. art. 44 n. 21 ; BK-BREHM, art. 44 n.

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sée au juge qui doit mettre en balance les faits imputables à l'auteur du dommage et ceux imputables au lésé (art. 43 et 44 al. 1 CO)29

Quelques exemples de réduction de l'indemnité sont examinés ci-après selon le type de responsabilité à laquelle la faute concomitante est oppo- sée, afin de vérifier si le poids de celle-ci est effectivement inversement proportionnel au caractère strict de la responsabilité.

A. En cas de responsabilité pour raute

Deux exemples illustreront la portée de la faute concomitante du lésé face à une responsabilité pour acte illicite fautif de l'auteur (art. 41 CO).

1. TF, 4C./86/2oo1, 5 Ilovembre 2001 (rampe d'accès au Palais des Nations)

Des travaux de réfection du trottoir sont effectués par une entreprise devant le bâtiment du Palais des Nations à Genève, à la hauteur d'une rampe d'accès marquée du signe « Handicapés »30. Une tranchée de 10 cm de profondeur et d'un mètre de largeur est creusée devant la rampe. Deux planches en bois, simplement posées en travers de la tranchée sont censées permettre de franchir celle-ci. Une personne handicapée fréquentant le bâtiment pour assister à une session cherche à passer l'obstacle sans aide.

Elle tourne sa chaise roulante pour descendre les planches de fortune à l'envers. Au moment où, parvenue au bas des planches, elle tente de remettre sa chaise dans le sens de la marche, une roue se bloque dans la tranchée. La chaise se renverse, son occupante tombe et se blesse à la tête.

La Cour cantonale rejette toute responsabilité de l'entreprise pour avoir omis de prendre les mesures nécessitées par la création d'un état de chose dangereux du fait des travaux, en raison de la faute concomitante jugée exclusive de la victime. Le Tribunal fédéral, plus clément, admet la responsabilité sous réserve d'une réduction de l'indemnité de 33 %.

L'imprudence de la personne handicapée s'oppose ici à l'acte illicite fautif de l'entrepreneur qui a créé une situation dangereuse pour l'intégrité cor-

35, REY, n. 400, 808,1331. OFflNGER/STARK, § 9 n. 1255, préconisent un système de répartition sectorielle et s'opposent à la compensation (ou neutralisation) des fautes.

29 Cf. supra, n. 7.

30 Confom1ément à l'art. 65 al. 5 OSR. L'arrêt est reproduit en Annex.e 3.

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porelle d'autrui sans prendre les mesures de protection nécessaires. Il s'agit d'une faute par négligence de l'entrepreneur à laquelle s'oppose une faute de la victime, qualifiée de moyennel]. Et le Tribunal fédéral de préciser: « Il n'aurait pas été dangereux de faire pivoter l'engin [la chaise roulante

1

après avoir quitté la pente de la rampe. Pour avoir choisi de retourner sa chaise sur la rampe d'accès, à proximité immédiate d'un ren- foncement important qui, de par sa longueur de 45 cm, était bien visible, la demanderesse a sans conteste fait preuve de négligence »32.

La recourante avait relevé que « c'est faire preuve d'un aveuglement ter- rible que de reprocher à une invalide en chaise roulante d'avoir franchi un passage destiné aux handicapés sans l'aide d'un tiers »33. Indépendam- ment de l'émotion suscitée par cette affaire, on ne peut se départir d'un certain malaise. Le pronostic rétrospectif auquel procède le Tribunal fédé- rai paraît bien sévère. Il semble clair que la comparaison doit se faire avec une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances, soit une personne handicapée utilisant une chaise roulantel4. Ayant constaté que l'espace disponible ne pennettait pas de recourir à l'aide d'un tiers, le Tri- bunal fédéral émet des considérations sur la meilleure manière de franchir l'obstacle constitué par la tranchée, qui paraissent malvenues lorsqu'elles s'adressent à une personne physiquement diminuée et qui se trouve dans une situation dangereuse créée par un tiers".

2. ATF 123 III 307 (plongeoir de Colombier)

En raison de travaux de construction le long du lac de Neuchâtel, la plage sur laquelle est érigé un plongeoir s'ensable. Alors que la profondeur autour du plongeoir n'est plus suffisante, un jeune homme de 17Y2 ans, bon nageur et plongeur, s'élance toute l'après-midi du haut du plongeoir malgré le fait qu'il ait touché le fond à plusieurs reprises. Il finit par heurter le fond du lac et se fracture la colonne vertébrale, avec pour conséquence une tétraplégie incomplète définitive.

" TF, 4C.186/200I, S novembre 2001, c. Sb (Annexe 3), se référant à l'ATF 100 Il 332 c. 3a (cf. supra, ll. 14).

32 TF, 4C.186/2ooJ, S novembre 2001, c. Sb (Annexe 3).

33 Ibid., c. 5 (in limine).

34 Pour une appréciation différente, cf. RDS-WERRO, 27 s.

" Camp. ATF 102 Il 332 c. 4 (cité n. 24).

38

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La Société d'Embellissement et d'Organisation des Plages du Lac SA qui était chargée de l'entretien du plongeoir est recherchée en responsabilité pour avoir laissé subsister un état de choses dangereux ayant entraîné une atteinte à l'intégrité corporelle de la victime (art. 41 CO)36. La rupture du lien de causalité est plaidée par la Société d'Embellissement, mais non retenue par le Tribunal fédéral. Lors même que le lésé savait que la pro- fondeur de l'eau n'était pas suffisante et malgré le fait qu'il était monté sur la barrière de protection du plongeoir pour en augmenter la hauteur, sa faute - compte tenu de son jeune âge - n'était pas suffisamment grave pour interrompre le lien de causalité. La réduction est admise à hauteur de 20%. En comparaison avec d'autres affaires3?, les juges montrent une cer- taine indulgence à l'égard du jeune blessé.

B. En cas de responsabilité objective simple

La faute concomitante est ici examinée dans ses rapports avec la respon- sabilité du propriétaire d'ouvrage et celle de l'état pour ses agents.

1. ATF 123 1/1 307 (plongeoir de Colombier)

L'affaire du plongeoir de Colombier peut également servir à illustrer la confrontation entre la faute de la victime et un chef de responsabilité objective, en l'occurrence la responsabilité pour défaut de l'ouvrage (art.

58 CO). En effet, outre la responsabilité pour acte illicite fautif de la Société d'Embellissement (art. 41 CO), celle de l'Etat de Neuchâtel en tant que propriétaire de l'ouvrage que constitue le plongeoir est aussi engagée du fait de la profondeur insuffisante de l'eau, qualifiée de défaut du plongeoir (art. 58 CO)3"

La responsabilité du propriétaire d'ouvrage est classée parmi les respon- sabilités objectives simplesJ9Elle est engagée dès lors que l'ouvrage pré- sente un défaut, que ce défaut soit imputable à une faute du propriétaire ou

~ ATF 123 III 307 c. 4. La responsabilité de j'Etat de Neuchâtel en lant que propriétaire d'ouvrage (an. 58 CO) est également retenue; elle sera examinée ci-dessous.

37 Par ex., ATF 102 n 363, JdT 1977 1 306 (viclime âgée de 14 ans, réduclion de 75%), cf. supra, n. 13.

" ATF 123 1lI 307 c. 3b.

39 CRCOI-WERRO.an.58n.l ;REY,n.1022s!'l.

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non. Ce dernier ne bénéficiant d'aucune preuve libératoire'", la respon- sabilité découlant du défaut d'un ouvrage est plus sévère que celle repo- sant sur un acte illicite fautif de l'auteur (ici, la Société d'Embellissement). Il s'ensuit que la faute concomitante du lésé ne devrait pas avoir une portée identique face à l'un ou à l'autre de ces deux types de responsabilité si l'on suit l'opinion exposée en inlroduction4'.

Pourtant, le Tribunal fédéral consacre un considérant unique42 à la faute concomitante sans faire la moindre différence entre les responsabilités engagées, celle de la Société d'Embellissement pour acte illicite fautif et celle de l'Etat de Neuchâtel pour défaut de l'ouvrage. Face aux deux responsables, le lésé voit son indemnité réduite dans la même proportion, soit de 20%.

On constate qu'un traitement similaire est réservé aux deux types de responsabilité, sans que le caractère objectif de celle du propriétaire d'ouvrage ne soit pris en compte. Les responsabilités objectives simples forment un groupe non homogène", comprenant à la fois des situations de simple renversement du fardeau de la preuve (par ex., art. 55 et 56 CO, art. 333 CC) et des cas de responsabilité indépendante de toute faute (par ex., art. 54 et 58 CO)". A dire vrai, le caractère plus strict de la respon- sabilité n'existe que dans ce dernier cas, puisque la faute n'en est pas une condition. Il n'est en effet pas contesté que le propriétaire d'ouvrage répond du défaut d'entretien ou du vice de conception lors même que ceux-ci ne lui sont pas imputables à faute·5

Si l'on admet que la faute concomitante de la victime devrait peser moins lourdement face à une telle responsabilité objective que face à une respon- sabilité pour faute"", une appréciation différenciée aurait dû intervenir entre l'indemnité due par la Société d'Embellissement sur la base de l'art.

.JO CR CO I-WERRO, art. 58 n. 2.

41 Cf. supra, n. 26 et 27.

42 ATF 123 III 306 c, 5.

H REY, n. 880 .

.w Voir SCHWENZER. n. 49.09; HONSELL, § 1 n. 23. D'un aUlre avis, OFllNGERlSTARK, § 1 n. 109 (n. (58).

" BSK OR I-SCHNYDER, art. 58 n. 3; REY, n. 66, n. 1023; ENGEL, 545. Nuancé, CR CO 1- WERRO. art. 58 n. 1 et 2, qui considère que J'art. 58 CO institue une responsabiliré pour violation d'un devoir de diligence.

: 1 4<':i Cf. sflpra, n. 25.

"

'l' 40

(14)

41 CO et celle due par l'Etat de Neuchâtel en vertu de l'art. 58 CO. Or, le Tribunal fédéral ne fait aucune différence à cet égard. Cela est contes- table, mais correspond à la manière dont il conçoit la responsabilité pour le défaut de l'ouvrage par rapport à la responsabilité aquilienne.

S'agissant des entreprises de remontées mécaniques, il a en effet jugé que le fondement juridique de l'action en dommages-intérêts (art. 41,97 ou 58 CO) ne modifiait pas l'examen de la question décisive, soit celle de savoir si la pylône auquel s'est heurté le lésé était dans un état conforme aux devoirs de prudence incombant à l'entreprise de remontées mécaniques".

2. TF, SJ 2002/253 (trithérapie)

Cette décision du Tribunal fédéral, relative à une patiente sous trithérapie, fournit un autre exemple de responsabilité objective, puisqu'il s'agit de la responsabilité de l'Etat de Vaud pour un médecin engagé dans un hôpital public. Conformément à la Loi vaudoise du 16 mai 1961 sur la respon- sabilité de l'Etat, des communes et de leurs agents (LREC), l'Etat répond du dommage que ses agents causent à des tiers d'une manière illicite, indépendamment de toute faute des agents48. Une malade porteuse du virus SIDA suit une trithérapie conseillée par son médecin. Supportant mal le traitement prescrit, elle prend une autre substance en automédica- tion. S'ensuivent des complications liées à l'interaction médicamenteuse.

La victime est amputée du pied droit, puis des orteils gauches. Le médecin avait omis d'informer la patiente du risque d'interactions médicamenteu- ses, ce qui constitue un acte illicite dont l'Etat de Vaud est appelé à répondre49

Dans une première phase, seul le principe de la responsabilité était soumis au Tribunal fédéral, notamment la question de savoir si la prise de ladite substance en automédication était de nature à interrompre le lien de cau- salité entre le défaut d'information et les lésions subies par la victime.

Celle-ci ne pouvait, selon le Tribunal fédéral, ignorer les effets lourds d'une trithérapie et devait penser qu'il serait dangereux d'y associer encore un autre médicament qui ne s'obtient que sur ordonnance. « Un tel

47 ATF 126111 113 c. 2a.aa-cc et 2b (mentionné plus haut: n. 8). Voir le commentaire de Franz WERRO. De 2001 16 SS.

48 TF, SJ 2002 1 253 c. 2b.

49 Ibid., C. 3.

41

(15)

l'

,:'

comportement témoigne certes d'une grande légèreté ,,"', mais ne relègue pas le manquement imputable au médecin à l'arrière-plan, partant ne suffit pas à exclure le lien de causalité entre le dommage et le comportement du médecin. La diminution de l'indemnité à laquelle peut prétendre la vic- time est fixée à 50%.

La sévérité de la décision est frappante'l Il s'agit de comparer le manque- ment (purement objectif) du médecin imputable à l'Etat avec la faute de la victime, consistant à conjuguer une médication lourde, associant trois substances médicamenteuses différentes, avec un médicament supplé- mentaire sans avis médical. N'est-il pas exagéré de parler en l'espèce de

« grande légèreté" lorsque l'on sait la patiente amoindrie par la maladie autant que par le traitement? Les circonstances particulières que sont la maladie et la diminution des facultés de résistance de la victime n'auraient-elles pas dû conduire les juges à relativiser la faute de la vic- time qui n'était pas opposée à une faute du médecin, mais à la responsabi- lité objective de l'Etat pour les actes illicites de ses agents?

Ces arrêts confirment le sentiment que le comportement de la personne lésée est jugé avec une grande rigueur. Par ailleurs, ils montrent que la portée de la faute concomitante n'est pas dépendante du fondement de la responsabilité (objective ou pour faute).

50 Ibid., c. 5.

51 Dans une aulre affaire (ATF 116 Il 519, ldT 1991

r

634) metlanl en cause la respon- sabilité d'un pédiaLfe pour le comportement de son assistante qui avait refusé que le médecin examine une coram atleinle de forte diarrhée et de vomissements, Je Tribunal fédéra] fail preuve d'une sévérité similaire à l'égard des parents: «Le bon sens aurait lOutefois dû inciler les parents, aussitôt que "état de santé de l'enrant a présenté une nmable détérioration, à se rendre immédiatement auprès d'un médecin ou au service d'urgence d'un hôpital. Il est incompréhensible qu'ils aient pu amener celte enfant inconsciente et souffrant d'un début de crampes à 7h L5 au cabinet du pédialre, dont ils pouvaient bien imaginer qu'il n'était pas encore ouvert à ce moment-là, el qu'ils y aient auendu pendant trois quarts d'heure l'arrivée du médecin) (ATF 11611519 c.

4a, JdT 1991 J 634, 639). Contrairement au jugement cantonal. la rupture du lien de causalité n'est pas admise. Le montant de la réducrion de l'indemnité n'élant pas examiné, l'affaire est renvoyée à l'autorité cantonale. La sévérité du propos laisse présager une réduction importante, ce qui ne paraît pas justifié. II s'agissait en effet de comparer un comportement gravement fautif imputable à un médecin avec une erreur de jugement de parents dont le tort était d'avoir obéi aux injonctions de J'assistante médicale.

42

(16)

C. En cas de resJMlnsabilité JMIur risque

Il s'agit à présent de vérifier comment est appréciée la faute concomitante face à deux cas de responsabilité pour risque, celle des chemins de fer et celle du détenteur d'un véhicule automobile,

1. TF, 5C.27612oo2, 8 avril 2003 (passage à niveau nOl/ gardé) Cette affaire récente non publiée met en cause la responsabilité des CFF à laquelle s'oppose la faute concomitante de la victime dans les circonstan- ces suivantes. Une route de campagne coupe la voie ferrée; le passage n'est pas gardé, mais signalé par une croix de Saint-André. Sous de fortes rafales de vent et des trombes de pluie, une automobiliste roule lentement, fenêtres fermées, en direction du croisement. Le chauffeur de la locomo- tive la voit, actionne deux fois le simet, puis le système de freinage du train, mais ne peut éviter l'automobiliste qui décède des suites de l'accident. Les proches réclament une indemnité, notamment pour tort moral. Les CFF nient toute responsabilité se prévalant du comportement fautif de la victime.

La loi fédérale du 28 mars 1905 sur la responsabilité civile des entreprises de chemins de fer et de bateaux à vapeur et de La Poste Suisse (LRespC)s2 prévoit une responsabilité sans faute du fait de l'exploitation du chemin de fer'J.

Le Tribunal fédéral commence par admettre que le risque normalement inhérent à l'exploitation d'un chemin de fer peut être aggravé tant par des faits imputables à J'entreprise de chemin de fers4 que par des circonstances sur lesquelles J'entreprise n'a aucune prise", mais qui augmentent le risque lié à l'exploitation du chemin de fer. Il suit, à juste titre, l'opinion

52 RS 221.112.742. L 'arrèt est reproduit en Annexe 1.

53 Art. 1 al. 1 LRespC : Toute entreprise de chemin de fer répond du dommage résultant du fait qu'une personne a été tuée ou blessée au cours de la construction, de t'exploita- tion ou des travaux accessoires impliqu3mles dangers inhérents à celle-ci, à moins que l'entreprise ne prouve que l'accident est dû à la force majeure. à la faute de tiers ou à celle de la victime. Art. 5 LRespC: Si l'accident est dû en partie à une faute de la vic- time, le juge peut, en tenant compte de loutes les circonstances. réduire proportionnel- lement l'indemnÎté, Sur ce chef de responsabilité, voir KEllER 1.245 ss ; GAUCH, 196 ; TERCIER, 1 ss ; DESCHENAUxffERCIER, § 16 n. 9 s.

54 Comme les défauts de sécurité de l'installation (signalisation insuffisante).

~~ Telles les conditions météorologiques.

43

(17)

;!

soutenue par P. TERCIER56 et donne tort aux CFF qui estimaient n'avoir pas à répondre des conditions météorologiques. Par conséquent, celles-ci, loin de libérer les CFF, aggravent le risque inhérent au chemin de fer.

Quant à la victime, elle avait, selon les juges, commis une faute « en soi très importante" 51 consistant à ne pas s'arrêter et à ne pas baisser les vitres de sa voiture avant de franchir le passage, pour s'assurer qu'aucun train ne s'approchait'". Alors que la Cour cantonale avait retenu une réduction de 25%, les CFF sollicitent une réduction de 75%. Le Tribunal fédéral considère que l'autorité cantonale a excédé les limites de son pou- voir d'appréciation en admettant une réduction d'un quart seulement, qui correspondrait à une faute légère de la personne lésée. Considérant notamment l'atténuation de la faute grave du fait des mauvaises condi- tions météorologiques, le Tribunal fédéral arrête la réduction à 50%'9.

Il est indéniable que le comportement de la victime n'était pas exempt de toUl reproche. Les juges ont atténué la faute considérée comme grave du fait des conditions météorologiques, mais n'ont pas semblé accorder au risquéO normalement inhérent à l'exploitation d'un chemin de fer l'importance qu'aurait dû avoir ce facteur. Ce risque est une conséquence de la masse et de la vitesse du chemin de fer, qui rendent impossible un arrêt rapide. Les mauvaises conditions météorologiques n'ont fait qu'augmenter ce risque. Si la victime avait croisé la route d'une bicyclet- te, l'issue de l'accident aurait, à l'évidence, été tout autre. En admettant une réduction à hauteur de la moitié, les juges ont, à mon avis, sous- estimé l'importance du risque lié à un chemin de fer croisant une voie ouverte à la circulation, risque encore augmenté par les mauvaises condi- tions météorologiques. L'on est, à nouveau, frappé par la sévérité de la décision6'.

56 TERCIF.R. 32 s.

" TF, 5C.27612ool, 8 avril 2003, c. 4 (Annexe 1 J.

511 Cf. art. 28 LeR.

" TF, 5C.27612ool, 8 avril 2003, c. 4 (Annexe 1).

60 Sur ce risque, cr. TERCIER, 31 S5; le même, RJN, 153-155; WERRO, in Journées du droit de la circulation routière 2004, 1 ss (24 s).

61 Sévérité comparable dans d'autres arrêts: TF, 5C.7/200I, 20 juillet 2001 (Annexe 2), traitant également d'un accident survenu entre un véhicule automobile et un chemin de fer sur un passage non gardé (réduction de 70%); ATF 102 Il 363, JdT 1977 [ 306:

réduction de 75% pour avoir sauté dans un train en marche, malgré le jeune âge de la victime (cf. sttpm, n. 13).

44

(18)

2. ATF J J5 11 283 (accidellt de la circulatioll: passage pOlir piétolls) La faute concomitante de la victime d'un accident de la circulation reçoit un traitement pareillement sévère, trop sévère à mon avis.

Conformément à l'art. 58 al. 1 CO, le détenteur assume une responsabilité stricte liée à l'emploi d'un véhicule automobile. Celte disposition ne pose aucune exigence de faute quelconque: le détenteur répond même s'il ne conduisait pas le véhicule (art. 58 al. 4 LCR)62. Les véhicules automobiles sont dangereux en raison de leur masse et de leur vitesse, ce qui justifie que la loi institue une responsabilité pour risque. Celle-ci est rendue sup- portable par l'institution d'une assurance obligatoire (art. 63 LCR). Le détenteur peut se libérer de toute responsabilité s'il prouve que l'accident a été causé par la faute grave du lésé sans faute de sa part ou défectuosité du véhicule (art. 59 al. 1 CO). La faute du lésé doit être si lourde qu'elle apparaisse comme la seule cause adéquate de l'accident"J. De moindre im- portance, elle peut conduire à une réduction de l'indemnité en fonction des circonstances (art. 59 al. 2 LCR).

Le Tribunal fédéral a admis la libération complète du détenteur dans l'affaire, déjà mentionnée64, d'une mère de famille qui traverse la chaus- sée sur un passage pour piétons, sans avoir regardé sur sa gauche. L'arrêt vérifie d'abord longuement l'absence de faute du détenteur (également conducteur)"5, de telle sorte qu'un lecteur non averti ne se douterait pas qu'il s'agit là de l'application de dispositions instituant une responsabilité déclenchée par la simple détention d'un véhicule automobile.

Qu'en l'espèce la victime ait agi imprudemment en traversant la route de manière inopinée, cela n'est pas contestable. On ne saurait toutefois admettre que la faute de la victime consistant à s'élancer sur un passage pour piétons sans regarder soit si lourde et si déraisonnable qu'un conducteur ne pouvait pas compter avec sa survenance. Cette imprudence ne pouvait pas être considérée comme la cause exclusive du dommage au

62 L'art. 58 al. 4 LeR mentionne à LOrt la « faute du conducteUr» dont le détenteur répond. ~(En réalité, Je détenteur répond aussi du simple 'fail' non fautif du conducteur ou de l'auxiliaire» : BREHM. n. 93 el réf. cil.

63 REY. n.1324. 552 et réf. cit. Cf. en OULle supra. n. 1 J.

64 Cf. supra, n. 12.

M ATF 115 11283 c. la et b: il est vrai que l'art. 59 al. 1 CO dom l'application est véri~

fiée impose l'examen de la faute du détenteur ou des personnes dont il est responsable.

45

(19)

sens indiqué plus haut66Elle n'était pas de nature à neutraliser complète- ment le risque dont répond le conducteur sur la base de l'art. 58 al. 1 LCR.

La masse et la vitesse du véhicule expliquent l'étendue des lésions subies par la victime, que n'aurait pas pu causer une bicyclette. Admettre, dans une telle situation, la libération de toute responsabilité revient à nier que le détenteur soit responsable en raison du risque lié à l'emploi du véhicule, responsable donc alors même qu'aucun reproche ne peut lui être adressé.

Malgré la faute concomitante, il ne paraît pas justifié d'admettre que le risque spécifique dont répond le détenteur n'a joué aucun rôle dans l'accident et que ce dernier serait dû exclusivement à la faute concomi- tante de la victime.

Il est intéressant de noter qu'en droit français, la faute des victimes d'accidents de la circulation routière ne joue plus qu'un rôle très limité depuis la réforme du 5 juillet 1985 : seule la faute inexcusable ou inten- tionnelle est de nature à priver la victime de son droit à indemnisation67 Le droit suisse, quant à lui, est plus sévère, mais il convient - pour ne pas Ôter toute portée à la responsabilité du détenteur de véhicule automobile- de ne pas admettre trop facilement la libération de toute responsabilité pour risque en cas de faute concomitante de la victime.

Deux constations peuvent être tirées de ce bref survol de jurisprudence en rapport avec la portée de la faute concomitante de la victime. Première- ment, la sévérité du Tribunal fédéral à l'égard des victimes est grande. En second lieu et contrairement à la doctrine dominante, il ne semble pas que la nature de la responsabilité joue le moindre rôle dans la manière dont la faute concomitante est répercutée sur le montant de l'indemnité.

III. Quelques questions particulières

Pour terminer, deux questions seront examinées, qui posent des problèmes particuliers du point de vue de la faute concomitante.

66 Cf. Sj~pra. n. Il et n. 63.

67 STARCKIROlANO/BOYER, n. 782 5S; l'optique étant « résolument indemnisatrice », sont pardonnables « {OU(CS les inadvertances, imprudences, négligences. qui restent dans la marge statistiquement pratiquée des violations du Code de la route» (n. 792); les décisions mentionnées n. 793 contïrment que la faute de la victime est facilement excusée (par exemple, celle du piéton qui traverse la chaussée en courant et sans égard à l'intensité de la circulation). Voir aussi, RDS-WERRO, 347 ct réf. cit. n. 441.

46

(20)

A. La faute concomitante des enfants

Seule la victime capable de discernement est susceptible de commettre une faute concomitante". S'agissant d'un enfant, le Tribunal fédéral mon- tre moins de sévérité dans l'appréciation de la faute concomitante69«En effet, plus un enfant est jeune, moins on peut lui adresser de reproches selon les critères applicables aux adultes, dont il n'a ni l'expérience, ni la maturité; son âge l'expose à un jugement moins objectif et à des déci- sions moins réfléchies ,,'0. C'est la raison pour laquelle une faute en soi grave, lorsqu'elle est commise par un enfant, n'emporte pas nécessaire- ment une réduction importante de l'indemnité.

C'est ainsi que le Tribunal fédéral a confirmé une décision cantonale qui avait réduit de 40% l'indemnité due à un cycliste de 14 ans qui se laissait tirer par un cyclomoteur", de 20% l'indemnité à verser à un cycliste de 9 ans ayant traversé une route principale sans regarder", de 75% celle due à une jeune fille de 14 ans ayant sauté dans un train en marche'3 Alors que les deux premières décisions sont effectivement clémentes, la troisième - ainsi qu'on \' a déjà montré - paraît trop sévère.

Dans une dernière affaire", au contraire, le Tribunal fédéral refuse, à juste de titre, de retenir une faute concomitante à la charge de deux enfants morts par noyade. Suite à des travaux, des déchets sont jetés dans une petite rivière et finissent par former une sorte de digue. Les eaux ne s'écoulant plus, l'étang qui se trouvait au fond du vallon augmente de taille et passe d'une profondeur de 25-30 cm à env. 4 m. Au cours de l'hiver suivant, deux enfants de 7 et Il ans jouent près de l'étang qui

.. CR COI-WEMO, an. 44 n. 15: BK-BREHM, an. 44 n. 23: OrnNGERISTARK, § 5 n. 163 .S.

fb Cf. supra, n. 18 et 19.

70 TF, 4C.278/1999. SJ 200 1 1 110 : ATF 111 Il 89, 91 : faute concomitante commise par un enfant de 9 ans qui s'engage sans s'arrêter sur une route principale et est renversé par une voiture Jaguar roulant à une vitesse de 130 à 140 km!h, à une époque où la limitation générale de vitesse n'existait pas encore; la décision retient - et cela mérite d'êlre souligné - Je risque inhérent considérable lié à la vitesse élevée de la voiture.

d'où une réducLÎon de 20% seulement (ATF. 93).

7J TF, 4C.27811999, SI 2001 1 110.

n ATF 111 [[89.

B ATF 102 [[ 363, JdT 1977 1 306.

7' A TF 93 Il 89, JdT 1968 1 323.

47

(21)

semble gelé. L'un d'eux essaye d'attraper une balle qui a roulé sur la sur- face gelée. La glace rompt et l'enfant tombe à l'eau. Son frère tente de le sauver, mais les deux garçons se noient.

L'entrepreneur à l'origine de la formation de l'étang tente d'invoquer la faute concomitante grave des enfants pour se libérer de sa responsabilité fondée sur l'art. 41 CO (création d'un état de fait dangereux ayant abouti à la mort des deux enfants). La Cour cantonale avait admis une réduction.

Alors qu'un adulte se serait méfié de la modification des lieux et de la solidité de la glace, on ne pouvait en attendre autant de deux enfants, âgés de 7 et de Il ans. Le Tribunal fédéral considère donc qu'il faut faire abstraction de l'art. 44 CO dans ce cas. Un bon exemple de l'incidence du jeune âge sur l'appréciation d'un comportement qui, pour un adulte, aurait été constitutif d'une faute concomitante.

B. La faute concomitante et le tort moral

Il convient ici de signaler une modification bienvenue de la jurisprudence, intervenue voici quelques années, en ce qui concerne l'indemnisation du tort moral en cas de faute concomitante et une règle désuète sur l'indemnité pour le tort moral subi par une victime d'un accident mettant en cause un chemin de fer.

t.

Pendant des décennies, la jurisprudence a hésité sur le sort qu'il conve- nait de réserver au tort moral subi par le lésé dont la faute concomitante est équivalente à celle du responsable et refusé l'indemnisation du tort moral, lorsque la faute concomitante était plus grave que celle du respon- sable7'. Un arrêt de 199076 a modifié cette jurisprudence critiquée qui fai- sait une distinction injustifiée entre le préjudice patrimonial et le préjudice moral en cas de faute concomitante. Il est anjourd'hui admis que « rien ne s'oppose à l'allocation d'une indemnité pour tort moral même en cas de faute prépondérante du lésé »77. Le point paraît évident, mais la jurispru- dence a mis bien des années à l'admettre.

75 BK-BREHM, art. 47 n. 79, n. 81, pour une critique de cette position, voir n. 83 et réf.

cit.

76 ATF 116 Il 733. Confirmé in ATF 117 II 50 c. 4a.bb; ATF 124 III 182 c. 4d. CR CO [.

WERRO, art. 47 n. 24.

77 Ibid., p. 735.

48

(22)

2. Toujours dans le domaine du tort moral, le Tribunal fédéral a récem- ment encore fait application de l'art. 8 LRespC qui est considéré comme une nonne désuète par la doctrine78Cette disposition'· soumet au dol ou à la faute grave de l'entreprise responsable l'indemnisation du tort moral lorsqu'une personne a été tuée ou blessée au cours de l'exploitation d'un chemin de fer, notamment. Elle s'explique par la conception aujourd'hui dépassée qui voyait dans l'idée d'expiation la justification de l'indemnité pour tort moralso. C'est ainsi que dans une affaire jugée en 200 181, le demandeur a fait valoir que la loi presque centenaire sur la responsabilité des entreprises de chemin de fer devait être interprétée à la lumière du droit actuel des obligations, en particulier des art. 47 et 49 CO.

L'argument n'a pas été entendu.

Dans sa décision ultérieure déjà examinée, à propos de la même question, le Tribunal fédéral constate que « Quoique la règle générale de l'art. 47 CO ne fasse depuis longtemps plus dépendre la réparation du tort moral d'une faute de la personne recherchée (cf. aussi l'art. 49 CO), l'art. 8 LRespC demeure en vigueur en tant que norme spéciale dérogeant à cette nonne générale

»".

L'avertissement est clair: bien que critiquée par la doctrine et considérée comme une anomalie", cette règle de droit positif fédéral doit être appliquée aussi longtemps qu'elle n'est pas abrogée par le législateur.

La conception renouvelée du tort moral qui a entraîné la modification de jurisprudence signalée plus haut n'aura pas donc permis de contourner la

règle désuète de l'art. 8 LRespC.

7ft TERClER, 21; GAUCH. 205 s. Les auleurs de l'Avant-projet de révision proposem d'abroger la LRespC dans son intégralité el d'intégrer la nomle de responsabilité civile dans la loi sur les chemins de fer, le tort moral étant couvert par le renvoi général aux art. 41 à 58 CO (art. 40b al. 3 LCdF, nouveau): WIDMERlWESSNER, 322, 323, 365 SS.

79 Art. 8 LRespC : « S'il y a eu faUle de l'entreprise ou des personnes mentionnées à l'arti- cle 1er, 2e alinéa, le juge peut, en tenant compte des circonstances particulières, notamment quand il y a eu dol ou faule grave, allouer à la partie lésée QU, en cas de mort. à la famille de la victime une somme équitable, indépendamment de la réparation du dommage constaté )),

80 OFflNGER 1 STARK, § 8 n. 7 55.

" TF, 5C.712001, 20 juillet 2001, c. 3e (Annexe 2).

" TF, 5C.276/2002. 8 avrU2003, e. 3.2 (Annexe 1).

8~ Cf. supra, n. 53; voir la vigoureuse critique de TERCIER, RJN, 155-161.

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