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L'enseignement de la lecture au Japon – Politique et éducation

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éducation

Christian Galan

To cite this version:

Christian Galan.

L’enseignement de la lecture au Japon – Politique et éducation.

2001,

�10.4000/books.pumi.5222�. �hal-02567832�

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Christian Galan

DOI : 10.4000/books.pumi.5222 Éditeur : Presses universitaires du Midi Année d'édition : 2001

Date de mise en ligne : 27 février 2020 Collection : Questions d’éducation ISBN électronique : 9782810708321 http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782858165452 Nombre de pages : 336 Référence électronique

GALAN, Christian. L’enseignement de la lecture au Japon : Politique et éducation. Nouvelle édition [en ligne]. Toulouse : Presses universitaires du Midi, 2001 (généré le 02 mars 2020). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/pumi/5222>. ISBN : 9782810708321. DOI : 10.4000/ books.pumi.5222.

Ce document a été généré automatiquement le 2 mars 2020. Il est issu d'une numérisation par reconnaissance optique de caractères.

© Presses universitaires du Midi, 2001 Conditions d’utilisation :

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Qu’on ne s’y trompe pas, ce livre sur le Japon est aussi un livre sur nous.

Un des partis pris de cet ouvrage est de rompre avec une vision globalisante et souvent mythique de l’« éducation japonaise », voire de l’« éducation à la japonaise », pour cerner au plus près la réalité et l’évolution d’un enseignement bien précis : celui de la lecture à l’école élémentaire. Pour chaque période considérée (de 1872 à nos jours), sont analysés les directives officielles, les manuels et les méthodes de même que les grandes lignes de la réflexion pédagogique, elle même replacée dans le contexte politique, culturel et idéologique du moment.

Ce livre, qui oblige à revenir sur des idées fausses largement répandues, ouvre aussi sur l’avenir car il conduit à s’interroger sur le rapport entre des prescriptions multiples et changeantes concernant la pédagogie et le contexte politique qui les commande. Une question bien impertinente pour les pouvoirs en place, mais les questions politiquement incorrectes pourraient bien se révéler être des questions scientifiquement pertinentes. Toutes choses qui ne sont pas sans enseignement pour notre pays.

CHRISTIAN GALAN

Maître de conférences à l’Université de Toulouse II ; spécialiste de l’éducation ou Japon, il enseigne la langue et la civilisation japonaises.

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SOMMAIRE

Remerciements Préface Jacques Fijalkow Remarques liminaires Introduction 1. Lire le japonais

2. L’enseignement actuel de la lecture 3. La mise en place de l’enseignement actuel

Chapitre I. 1872-1885 – Ruptures, innovations, tâtonnements, doutes : liberté 1. Naissance du système éducatif moderne

2. L’enseignement de la lecture dans les premiers textes officiels 3. Les nouveaux matériaux pédagogiques de lecture du début de Meiji 4. Naissance d’une méthode synthétique d’enseignement de la lecture

5. 1872-1885 : première étape de la mise en place d’une méthode synthétique d’enseignement de la lecture

Chapitre II. 1886-1900 – Mise en place d’une méthode « traditionnelle » d’enseignement de la lecture

1. 1886 : une nouvelle donne politique et éducative

2. L’enseignement de la lecture dans les directives officielles de 1886 et 1891

3. Les manuels de lecture de 1886 et 1891 : matériaux d’enseignement pour une méthode synthétique

4. L’influence du herbartisme sur l’enseignement de la lecture

5. Naissance d’une méthode « traditionnelle » d’enseignement de la lecture

Chapitre III. 1900-1912 – consolidation de la méthode traditionnelle d’enseignement de la lecture

1. Naissance de l’école élémentaire moderne

2. Création de la matière kokugo et naissance de l’enseignement actuel de la lecture 3. Les manuels de lecture des années 1900-1912

4. Les méthodes d’enseignement entre 1900 et 1912 : nouvelles directions... anciennes pratiques Chapitre IV. 1912-1933 – Adoption de la sentence method et naissance d’une nouvelle réflexion sur l’enseignement de la lecture

1. Pérennité de l’école élémentaire établie en 1900-1907 et rénovation pédagogique 2. La troisième génération des manuels de langue officiels (1918)

3. La rénovation de l’enseignement de la lecture : tentatives, réussites et limites Chapitre V. 1933-1945 – L’enseignement de la lecture en temps de guerre 1. Les nouvelles écoles élémentaires de 1941 et la « pédagogie de guerre » 2. Les textes officiels et les manuels de lecture

3. L’influence de l’herméneutique et la mise au point de la « méthode des trois lectures » Chapitre VI. 1945-1958 – La parenthèse libérale de l’après-guerre : rénovation avortée de l’enseignement de la lecture

1. Nouvelle école élémentaire et simplification de la langue écrite 2. La réforme de l’enseignement de la lecture dans les textes officiels 3. Les manuels scolaires de l’après-guerre

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Chapitre VII. 1958-1992 – L’enseignement actuel de la lecture : méthode unique et pédagogie contrainte

1. L’évolution des directives entre 1958 et 1992 2. L’« enseignement officiel » de la lecture depuis 1958 3. Les manuels de langue autorisés de 1958 à 1992 4. L’enseignement de la lecture depuis 1958 Conclusion

Bibliographie

Index des termes, des noms propres, des intitulés des textes de lois et des ouvrages japonais avec leur transcription

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NOTE DE L’ÉDITEUR

Ce livre a été publié grâce à l’aide financière de la Fondation pour l’Étude de la Langue et de la Civilisation Japonaises sous l’égide de la Fondation de France.

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Remerciements

1 Je remercie en tout premier lieu Monsieur Jean-Jacques Origas, mon directeur de thèse, pour ses précieux conseils, ses remarques stimulantes et l’aide qu’il m’a apportée à toutes les étapes de mon travail. Ma gratitude va également à Jacques Fijalkow, professeur à l’Université de Toulouse-le Mirail, qui m’a accueilli au sein de son groupe de recherche sur la lecture, conseillé, guidé... et qui m’ouvre aujourd’hui les portes de la collection qu’il dirige aux PUM.

2 Ce travail n’aurait jamais pu être réalisé sans le soutien jamais démenti et les encouragements continus d’Yves-Marie Allioux. Pour le fastidieux travail de relecture qu’il a accompli, les remarques formulées, les conseils déguisés et l’amitié qu’il a bien voulu glisser entre les pages, qu’il soit ici de tout cœur remercié.

3 Que soient aussi remerciés tous les chercheurs, les professeurs, les instituteurs et les documentalistes, japonais ou français, qui ont, à un moment ou à un autre, facilité mon travail ou éclairé celui-ci de leurs connaissances et de leur compétences et qu’il m’est malheureusement impossible de citer tous ici.

4 Un grand merci enfin à Françoise Duprat pour l’aide constante qu’elle m’a manifestée au cours du travail de réécriture de ma thèse de doctorat en vue de la publication du présent ouvrage, ses précieuses corrections et toutes les améliorations qu’elle lui a apportées. Il va sans dire que les défauts subsistants sont de ma seule responsabilité.

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Préface

Jacques Fijalkow

D’une question à l’autre...

1 Comment un enfant apprend à lire et à écrire demeure un épais mystère. En dépit des milliers de publications qui tentent de répondre à cette question, nul ne sait vraiment comment un enfant s’y prend pour donner ou coder du sens au moyen des formes graphiques conventionnelles que la société dans laquelle il vit a retenues pour communiquer quelque chose à un destinataire le plus souvent absent. Quand la recherche piétine ainsi, ce n’est pas nécessairement, comme un esprit malicieux pourrait le supposer, parce que les chercheurs ne sont pas à la hauteur de leurs ambitions, mais parce que la question qu’ils se posent est mal posée. Le postulat fondamental sous-jacent à la quasi-totalité de ces recherches est en effet de type naturaliste. Inspirés par une tradition puisant aux sources d’une biologie posée comme modèle indépassable de la construction de tout savoir sur l’homme, les chercheurs considèrent en général que l’enfant grandit dans l’écrit comme la plante qui est sur le rebord de leur fenêtre se développe. Sans doute n’est-ce pas totalement faux, mais ce point de vue limité a pour conséquence de limiter la recherche à quelques aspects seulement de l’objet qu’elle étudie. Elle en oublie en particulier que l’enfant, comme la plante au demeurant, mais différemment d’elle assurément, a besoin d’un certain milieu pour grandir et que ce milieu va conditionner la forme de son apprentissage et pas seulement sa durée, voire en empêcher l’émergence et sans doute orienter l’usage qui en sera fait par la suite.

2 Le milieu, pour ce qui concerne l’entrée dans l’écrit, c’est principalement l’enseignement. Or les recherches actuelles sur l’entrée dans l’écrit s’intéressent médiocrement au rôle que peuvent jouer les conditions scolaires dans lesquelles se fait l’entrée dans l’écrit. Si ce rôle n’est pas nié en théorie, il l’est en pratique tant sont rares les travaux consacrés à l’enseignement de la lecture-écriture. C’est pourquoi le livre que consacre Christian Galan à cette question est le bienvenu car il répond à une nécessité épistémique. Il trouvera sa place, sur les étagères de quiconque s’intéresse à l’enseignement de la lecture-écriture lors de l’entrée dans l’écrit, à côté d’ouvrages que

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d’autres chercheurs, à peu près au même moment, ont consacrés à cette question, Eliane Fijalkow et Jacquy Albert (à paraître) pour la France et Marie-Claire Nyssen pour l’Europe (à paraître dans cette même collection).

3 Pour tenter d’expliquer un phénomène comme celui de l’entrée dans l’écrit, il faut disposer de données plus ou moins proches. Il faut des données proximales, celles qui se rapportent aux enseignants des écoles françaises. Il faut aussi des données médianes, ce sont celles qui montrent comment les choses se passent en Europe, à notre porte en somme. Mais il faut aussi des données distales, des données qui nous disent comment on s’y prend pour aider les enfants à entrer dans l’écrit dans un pays industrialisé comme le nôtre, mais avec une langue dont les principes de base ne sont pas les mêmes, et dans un contexte pédagogique qui, tout en étant comparable au nôtre, est cependant différent. C’est à ce titre que l’ouvrage de Christian Galan apporte une contribution originale. C’est dans la conjugaison qu’il présente du même et de l’autre qu’il nous offre la possibilité de nous décentrer, mais sans nous perdre pour autant. Pour mieux voir, il faut savoir parfois prendre du recul. C’est ce recul sur l’enseignement de la lecture que nous permet le Japon. Ainsi, qu’on ne s’y trompe pas, ce livre sur le Japon, c’est aussi un livre sur nous. Notre guide, pour nous permettre de mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui dans ce point lointain de l’espace, a choisi de nous conduire dans le temps, pas à pas, étape après étape, nous offrant ce faisant un moyen de bénéficier de l’éclairage qu’apporte l’histoire à l’explication du présent. A la perspective naturaliste étroite, la perspective historique adoptée ajoutera donc un éclairage, trop rare dans ce domaine, provenant des sciences sociales.

4 Pour mener à bien un tel travail, il fallait avoir diverses compétences. L’une d’elles est la connaissance du terrain de l’enseignement. L’auteur, qui fut instituteur, en a une connaissance pratique qui assure la fiabilité de son propos. Elle garantit qu’il n’étudiera pas les enseignants comme on étudie des insectes. Une autre est la connaissance du japonais. De nombreux travaux portant sur des contextes lointains, travaux d’ethnographes par exemple, sont effectués par des observateurs pressés qui, ne connaissant pas la langue, s’appuient sur des informateurs locaux. L’auteur, maître de conférences de japonais, pratique la langue dont il étudie l’enseignement. Son ouvrage, combinant la précision du détail avec la volonté de faire le tour de la question, est donc un travail érudit, au meilleur sens du terme. Il devrait devenir un livre de référence. 5 Se pose alors la question de savoir à qui un tel ouvrage peut être utile. En tout premier

lieu sans doute aux spécialistes du japonais et des langues orientales à qui il offrira un exemple de ce qu’il peut être intéressant d’étudier et de présenter au public, hors la langue ou la littérature. Au-delà de ce premier cercle, il intéressera aussi les linguistes dont l’intérêt pour les langues orientales semble se développer au fur et à mesure que ce qui était hier lointain apparaît maintenant à portée de la main. Il intéressera encore l’historien de l’éducation, dont la méconnaissance des langues brime la curiosité. Enfin et surtout, il intéressera les chercheurs en lecture, psycholinguistes, pédagogues et didacticiens, tous ceux qui ont accueilli avec enthousiasme les premiers articles que l’auteur avait publiés à ce sujet. Il leur évitera, utile garde-fou, de se fabriquer la langue japonaise dont ils ont besoin pour leurs démonstrations, théoriques et même empiriques. En effet, le japonais, et ce n’est pas un des moindres bénéfices qu’il y a à lire ce livre (voir en particulier son introduction), n’est pas ce que l’on croit : il n’a pas la simplicité que lui prêtent ceux qui n’en connaissent que ceux que d’autres en disent,

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qui eux-mêmes le savent d’autres qui, etc. Utile retour aux sources, fidèle à une rigueur universitaire bien comprise.

6 Un livre qui oblige donc à revenir sur des idées fausses largement répandues, mais un livre aussi qui ouvre sur l’avenir car, à réfléchir sur plus d’un siècle de programmes et de manuels, avec le détachement que permet la distance dans le temps et dans l’espace, on se prend à se demander quel est le rapport entre ces prescriptions multiples et changeantes concernant la lecture et le contexte politique qui les commande. Une question bien impertinente pour les pouvoirs en place, mais les questions politiquement incorrectes pourraient bien se révéler être des questions scientifiques particulièrement pertinentes. D’une question mal posée, disions-nous au départ, on en vient donc à une nouvelle question, fil d’Ariane possible pour ce voyage en lecture, qui, s’intéressant à la politique de la lecture se fait lecture de la politique.

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Remarques liminaires

1 * La transcription des noms de personne respecte l’usage japonais qui est de citer d’abord le nom de famille, puis le nom personnel.

2 * Les termes japonais sont transcrits selon le système Hepburn modifié : • e se prononce é

• ch se prononce tch • s est toujours sourd

• w et y sont des semi-voyelles • u est proche du ou

• h est toujours aspiré • r se prononce entre r et l

• g est toujours occlusif, gi = gui, ge = gué

• j est toujours prononcé comme dans le prénom anglais John

• chaque voyelle se prononce distinctement de la précédente : ai = aï, etc. • l’accent circonflexe marque une voyelle longue : ô = oo ; û = uu, etc.

3 * Toutes les citations extraites d’ouvrages en japonais ou en anglais sont, sauf mention contraire, des traductions de l’auteur.

4 * La « lecture » des pages d’illustration où nous avons reproduit le contenu de manuels scolaires se fait de droite à gauche et de haut en bas comme indiqué sur le schéma ci-contre.

5 * Une dénomination rigoureuse des différents textes officiels amènerait à distinguer notamment les ordonnances impériales, chokurei, des arrêtés du ministère de l’éducation, monbushôrei, et des textes de statut différent. Pour ne pas alourdir notre

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propos, cependant, on les a traduits ici indifféremment par le terme « décret ». Pour l’intitulé exact de ces textes, voir notre thèse de doctorat (Galan, 1997).

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Introduction

1. Lire le japonais

1 Que sait-on de l’acte de lire en japonais ? Qu’en ignore-t-on ? Sans entrer dans des développements qui nous entraîneraient trop loin, essayons de poser quelques repères et de voir en quels termes se posent ces questions et quels enjeux elles recouvrent1.

2 Le problème de la lecture s’est posé, au Japon, de façon différente au cours des diverses époques. Lire n’a pas signifié la même chose, suivant que l’on vivait au XIVe ou auXIXe

siècle. Ou, à chaque époque, suivant que l’on était homme ou femme, guerrier ou aristocrate, moine, marchand ou paysan. Quelques traits communs peuvent toutefois être dégagés de ces pratiques différentes de la lecture, notamment en ce qui concerne leur apprentissage et ce que la langue écrite imposait – et continue d’imposer – à chaque apprenti-lecteur. Tous durent en particulier, quelle que fut l’époque où ils vécurent, faire face à la terrible question de l’apprentissage des kanji, les caractères chinois dans leur usage japonais.

3 La « faute originelle » des Japonais fut d’avoir choisi pour transcrire leur langue le système d’écriture d’une autre langue qui en était sur tous les plans – morphologique, syntaxique, phonétique – radicalement différente. Ils ne respectèrent pas, par ailleurs, le principe de la lecture unique et monosyllabique des caractères chinois et « accumulèrent » pour chaque signe des lectures différentes. Et cela alors que leur système phonologique, encore plus pauvre que celui du chinois, ne leur permettait pas de recourir aux différents tons qu’utilise cette langue, ce qui multiplia les homophones ne pouvant être identifiés sans risque d’erreur qu’écrits en kanji. A la difficulté propre de l’écrit chinois qui implique la maîtrise de milliers de signes au graphisme souvent complexe s’est ainsi greffée en japonais celle liée à l’existence pour chaque caractère de lectures multiples que seul le contexte permet de trancher : des lectures on (on yomi), ou lectures « sino-japonaises », que les Japonais empruntèrent conjointement aux caractères et au vocabulaire chinois, et des lectures kun (kun yomi), prononciations de mots indigènes qu’ils associèrent aux caractères de sens équivalent. Tout kanji peut en posséder plusieurs de chaque – en général une ou deux, mais parfois beaucoup plus2.

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champ sémantique originel qui a conduit les Japonais à leur attribuer plusieurs prononciations de mots de la langue indigène pouvant s’y rattacher3.

4 Les caractères chinois sont composés de traits associés pour constituer des éléments de base qui sont à leur tour combinés pour former les caractères, comme dans l’exemple suivant : 女 (3 traits) la mère + 子 (3 traits) l’enfant = 好 (6 traits) aimer. Ces éléments de base sont en nombre limité, mais leur combinaison est totalement arbitraire et regarder un caractère, même attentivement, ne suffit pas pour accéder à son sens. Encore moins à sa lecture – du moins avec certitude.

5 On distingue quatre grandes catégories de caractères chinois. Les pictogrammes : 山 (montagne), 川 (rivière) ; les idéogrammes : — (un), 上 (dessus) ; les caractères composites, combinaisons d’éléments des deux catégories précédentes : 明 (lumière, clarté = soleil + lune), 信 (croire = homme + parole) ; et les caractères phonétiques, caractères formés d’un élément phonétique et d’un élément donnant une indication, souvent très vague (homme, métal, animal, etc.), du champ sémantique auquel il appartient : 裡(魚 poisson + 理 ri = le poisson dont le nom se prononce ri, la carpe) ; 梅 (木 arbre + 毎 bai = l’arbre dont le nom se prononce bai, le prunier). Les caractères phonétiques sont, de loin, les plus nombreux et représentent environ 90 % de l’ensemble des caractères chinois, rendant impropre l’utilisation du terme « idéogramme » pour désigner l’ensemble des caractères chinois et des kanji. Certains spécialistes anglo-saxons parlent de word-writing ou de logographic-writing, d’autres chercheurs parlent d’« écriture idéophonographique », Benveniste utilise le terme « écriture morphématique » (Alleton, 1984 : 7-8), etc. Plus récemment, Lee S.-Y. et al. (1986), sur les travaux desquels nous reviendrons, proposent pour désigner le système d’écriture chinois le terme logographic System, système dans lequel « les caractères représentent les unités minimales de sens de la langue ». D’autres encore parlent aujourd’hui, en ce qui concerne les caractères chinois, de « syllabogrammes (signes correspondant à une syllabe orale) doublés de morphogrammes (signes en relation avec des unités pourvues de sens de la langue) » et décrivent les kanji comme relevant « du principe sémiographique de l’écriture et [pouvant] faire bénéficier le lecteur d’un fonctionnement sémiovisuel » (Ducard et al., 1995 : 37-39).

6 En japonais, le problème des caractères chinois réside autant, sinon plus, dans la façon complexe dont ils sont utilisés que dans leur nombre. La tâche du lecteur voulant oraliser un texte consiste à (re)trouver, pour chaque signe, sa bonne lecture. Or, si ce lecteur n’a pas rencontré auparavant ces signes dans le même contexte, à la fois de sens et de position (signe(s) précédent(s), signe(s) suivant(s)), il ne peut avoir aucune certitude quant à la justesse du choix qu’il va accomplir. Quiconque lit un texte japonais est confronté à ce problème : un lecteur confirmé aussi bien qu’un débutant, même si, bien sûr, une longue pratique de la langue permet de réduire considérablement (mais jamais complètement) le degré d’incertitude. Cette incertitude affecte toutefois moins le sens des mots que l’on rencontre pour la première fois que leur prononciation. On peut en effet très bien comprendre des phrases dans lesquelles on n’arrive pas à oraliser tous les kanji : il est tout à fait possible de retrouver le sens d’un kanji en analysant les éléments qui le composent et l’on peut même éventuellement deviner le sens d’un mot composé de plusieurs kanji que l’on n’a jamais rencontré auparavant si on connaît le sens général de chacun de ces derniers.

7 La difficulté majeure de la lecture en japonais réside dans la « traduction du symbole écrit en mot prononcé » (Stevenson et al., 1986) et cela du fait de la trop grande

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incertitude qui existe dans le choix de la prononciation appropriée. La tâche de l’enseignant qui, comme en Chine, est de « faire que les enfants prononcent correctement les caractères et en extraient le sens » (Lee et al., 1986) se trouve ainsi, au Japon, singulièrement compliquée par les proportions prises par ces deux phénomènes : homophonie et multiplicité des lectures possibles, qui rendent particulièrement ardu le passage du signe au son et réciproquement.

8 Des points de vue très divergents existent en fait, aujourd’hui, sur ce que représente l’acte de lire un texte écrit en japonais, sur la façon dont il s’accomplit, sur ce qu’il implique sur le plan du fonctionnement cérébral, enfin – et surtout – sur la façon dont le lecteur s’approprie le sens qu’il contient.

9 L’idée, admise jusqu’à récemment, selon laquelle les caractères chinois rendraient possible la compréhension instantanée du sens dont ils sont porteurs sans avoir à passer, à la différence des signes alphabétiques ou syllabiques, par un décodage préalable4, n’apparaît plus correspondre à la réalité. Il en va de même du point de vue

qui tendait à considérer que le lien étroit entre le son et le signe rendait la lecture des

kanji plus facile au débutant, celui-ci n’ayant pas à maîtriser une relation

phonie-graphie aussi complexe que, par exemple, celle du français ou de l’anglais. Le corollaire de ce point de vue, qui voulait que le lecteur débutant soit, avec les caractères chinois, moins dépendant du décodage phonétique que le lecteur débutant en français ou en anglais est également très controversé. Autre affirmation aujourd’hui contestée, celle qui prétendait qu’apprendre les caractères chinois dépendait principalement de la mémoire, tandis qu’apprendre à lire le français ou l’anglais reposait avant tout sur la compréhension et la maîtrise de la relation phonie-graphie. Tous ces points de vue ont été remis en cause depuis une vingtaine d’années par différents travaux de chercheurs pour lesquels l’essentiel du malentendu provient d’une conception erronée, ou pour le moins bien trop simpliste, de ce que sont vraiment les caractères chinois.

10 Quatre erreurs sont ainsi généralement commises à l’encontre de l’écriture chinoise – et par voie de conséquence à l’égard de la japonaise également (Lee et al, 1986). La première, on l’a vu, consiste à la qualifier d’écriture idéographique alors que les vrais idéogrammes, composés d’idéogrammes et pictogrammes ne représentent guère que 10 % de l’ensemble des caractères. La deuxième, à croire qu’un mot est représenté par un seul caractère, alors que la connaissance de 3 000 ou 4 000 caractères permet d’apprendre plusieurs dizaines de milliers de mots, chacun résultant de la combinaison de deux ou de plusieurs caractères. La troisième, à considérer que tout caractère peut être décomposé en deux parties, l’une donnant le sens et l’autre la prononciation, ce qui permettrait une compréhension et une lecture immédiates et correctes : la clé (ou partie sémantique du caractère) ne donne au mieux qu’une indication très générale et très vague du sens ; quant à la partie phonétique, l’élément qui la compose peut, suivant le caractère où il apparaît, se prononcer de différentes façons. La quatrième enfin, à penser que le lecteur chinois ou japonais crée du sens directement à partir de la perception visuelle du caractère sans jamais avoir recours au décodage phonétique. Des travaux récents (Tzeng et al., 1977 ; Perfetti et al., 1991 ; Horodeck, 1987 ; Defrancis, 1984 ; Matsunaga, 1995 ; etc.) montrent que le processus visuel de lecture des caractères chinois implique, en partie au moins, un décodage ou un détour phonétique. Certains chercheurs pensent même aujourd’hui que les éléments phonétiques pourraient jouer, dans l’identification et la compréhension des caractères chinois, un rôle facilitateur plus important que les éléments sémantiques.

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11 Un autre sujet de controverse a trait au rôle du système d’écriture lui-même dans l’acte de lire. Après avoir pendant longtemps exagéré les difficultés rencontrées par les lecteurs débutants japonais (ou chinois), on a eu en effet tendance, plus récemment, à bien trop les minimiser. Certains (Gleitman et Rozen, 1977) en sont même venus à juger « idéal » le système d’écriture japonais qui, mêlant des signes représentant un sens, les

kanji, et des signes représentant un son, les kana, permettrait une plus rapide

reconstruction du sens contenu dans un texte. D’autres (Martin, 1973) ont tenté d’expliquer les différences entre les difficultés rencontrées dans l’apprentissage de la lecture par les enfants américains et japonais (différences supposées au bénéfice de ces derniers) par la nature du système d’écriture japonais et sa plus grande correspondance au système phonétique de la langue – grâce notamment au rôle central qu’y joue la syllabe. Pour d’autres enfin (Makita, 1968), c’était la nature même du système d’écriture qui expliquait l’apparente absence de troubles de la lecture chez les enfants japonais. Toutes ces affirmations, et notamment la dernière, sont cependant, elles aussi, aujourd’hui, largement remises en cause.

12 Un grand nombre de chercheurs se sont attachés à comparer les processus de lecture des kanji et des kana, et leurs « mérites » respectifs, mais sur ce point également leurs conclusions divergent considérablement. Pour certains (Hatano et al., 1981), les kanji permettraient, à la différence des kana ou de l’alphabet, une meilleure compréhension des mots peu familiers ainsi qu’un accès plus rapide au sens des mots rencontrés pour la première fois. D’autres (Saito, 1981) suggèrent que les kana sont « supérieurs » en ce qui concerne l’accès au son, mais qu’ils ne permettent pas pour autant un accès plus rapide au sens. Les kanji, à l’inverse, prendraient – toujours selon ces chercheurs – plus de temps pour être décodés/oralisés, mais rendraient l’accès au sens plus rapide. Ils auraient donc bien la capacité de suggérer le sens sans qu’il soit véritablement nécessaire de passer par leur oralisation. Ce qui contredit – au moins en partie – les points de vue dont nous avons fait état précédemment5. Dans le même ordre d’idées,

enfin, certains (Steinberg et Yamada, 1978) ont suggéré que les enfants de 3 à 4 ans associaient plus facilement une prononciation à des mots transcrits en kanji plutôt qu’en kana... La littérature sur toutes ces questions est aujourd’hui extrêmement volumineuse et les points de vue présentés ci-dessus n’ont aucun caractère d’exhaustivité.

13 Une approche nous apparaît toutefois négligée, celle qui consisterait, dans le cas de la langue japonaise, à aborder les processus de lecture des kanji et des kana, non pas distinctement (on pourrait presque dire non pas kanji contre kana, comme c’est le cas le plus souvent) mais conjointement, tels qu’ils sont effectivement utilisés dans la réalité. A la lecture de certains travaux, on a en effet souvent l’impression que les Japonais peuvent choisir entre les deux. Ce qui est faux : la langue écrite, depuis le XIIIe siècle

environ, mêle les deux systèmes de transcription, et les kana ne sont pas, comme le

pin.yin en chinois, un système phonétique intermédiaire destiné à faciliter

l’apprentissage des kanji avant d’être abandonné une fois celui-ci bien engagé. Ils ne représentent pas davantage une alternative au système actuel – le débat sur l’abandon des kanji est clos depuis longtemps –, mais constituent une des composantes à part entière du système d’écriture.

14 Or, il semble difficile de penser que l’usage conjoint des kanji et des kana ne provoque aucune interaction sur le plan de leur traitement respectif, décodage ou accès au sens. On peut du moins faire l’hypothèse de cette interaction. Sans elle, en tout cas, il

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resterait à expliquer comment le lecteur, apprenti ou non, passe, instantanément et de façon incessante, d’un système de transcription à l’autre. Systèmes de nature si différente que l’on sait, depuis les travaux de Sasanuma (1974, 1975), qu’ils sont traités par des parties différentes du cerveau. Mais cette approche ne semble pas avoir été privilégiée. Il est vrai qu’avancer sur tous ces sujets des points de vue qui soient autre chose que des hypothèses ou des convictions, même solidement argumentées, relève encore de la gageure. Les différentes études menées jusqu’à présent se heurtent en fait toutes, à un moment ou à un autre, au fonctionnement du cerveau dont on est loin de connaître avec précision la façon dont il traite le langage et, plus particulièrement, la lecture.

15 Récapitulé en onze points, voici toutefois ce qu’il nous semble le moins contestable d’affirmer au sujet du système d’écriture du japonais de l’ère Meiji (1668-1912) à nos jours – et ce que l’on gardera à l’esprit pour la suite :

16 1 - La syllabe, bien que pouvant être analysée en phonèmes comme dans toutes les langues, occupe une place fondamentale dans la langue japonaise et peut en être, sur le plan phonologique, considérée comme son unité principale. L’existence des syllabaires peut être considérée comme la conséquence de ce phénomène et leur usage comme un amplificateur de celui-ci.

17 2 - A partir des XIIe et XIIIe siècles, le système d’écriture de la langue japonaise mêle les

signes phonographiques des deux syllabaires (systèmes phonétiques et combinatoires) avec des signes sémiographiques, les kanji. Cette mixité sera dorénavant sa grande caractéristique et ce qui le distinguera radicalement de tous les autres systèmes d’écriture.

18 3 - Les kana, qui ne signifient rien en eux-mêmes mais peuvent produire du sens en fonction de leur nombre et de l’ordre dans lequel ils se présentent, couvrent la totalité des possibilités phonologiques de la langue japonaise et permettent, à eux seuls, de transcrire celle-ci, sans avoir recours aux kanji. Tout texte peut être écrit uniquement à l’aide des hiragana ou des katakana. Mais ce n’est pas pour autant l’usage normal ou, mieux, adulte : la lecture devient dans ce cas plus incertaine, le lecteur n’ayant plus le tracé des kanji pour différencier les très nombreux homophones existant dans la langue japonaise ; d’autre part, moins il y a de kanji dans un texte, plus sa lecture est lente, l’œil n’accrochant plus sur les « taches » plus sombres des mots clés écrits en kanji. Ce sont là deux des raisons qui ont fait que les Japonais n’ont jamais abandonné les kanji pour les remplacer par les seuls kana ou par l’alphabet latin.

a. この人はフランス語を話します。 b. このひとはふらんすごをはなします。 c. コノヒトハフランスゴヲハナシマス。

19 Les phrases (a), (b) et (c) ont ainsi toutes les trois le même sens (« cette personne parle français »). La phrase (a) est cependant la plus « normale » sous la plume d’un adulte qui n’écrira jamais la phrase (b) telle quelle, sauf s’il la destine à un enfant. Quant à la phrase (c), bien que déchiffrable par n’importe quel Japonais, elle apparaîtrait pour le moins incongrue dans un énoncé courant, les katakana ayant en japonais moderne un nombre bien précis d’utilisations : mots et noms propres d’origines étrangères autres que chinoise, mise en valeur (italique), onomatopées, télégrammes, etc.

20 4 - Chaque kana étant associé à un son et à un seul, les règles liant écrit et oral sont en ce qui les concerne extrêmement fiables. C’est là une différence fondamentale avec les

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langues à écriture alphabétique. Vraie au moment de leur création (IXe-Xe siècle), cette

caractéristique fondamentale des kana ne l’est plus, cependant, à partir du moment où la langue écrite cesse de refléter l’évolution de la langue orale et où l’usage privilégie l’orthographe historique (notamment durant toute l’ère Meiji et jusqu’en 1946-1947). Chaque kana, en fonction de son évolution propre, en est venu par ailleurs à posséder plusieurs graphies possibles appelées hentaigana. Les kana ne retrouveront leur caractéristique initiale qu’après la Seconde Guerre mondiale, quand les Américains imposeront définitivement l’orthographe phonétique et la correspondance parfaite 1 signe = 1 son, et réciproquement. On se retrouvera dès lors dans la situation que l’on connaît aujourd’hui dans laquelle, une fois qu’il connaît les 46 hiragana (plus quelques règles très simples concernant la transcription des sons complexes : allongements, diphtongues, sons voisés, etc. ; voir tableau p. 18), un enfant japonais peut écrire tous les mots qu’il entend, même s’il ne les a jamais vus écrits auparavant : il lui suffit de retrouver les signes correspondant aux syllabes entendues et il n’y en a qu’un seul pour chacune d’entre elles.

21 5 - Dans le système d’écriture actuel, certains mots sont écrits entièrement en kanji (mots conceptuels et patronymes), d’autres entièrement en kana (mots de coordination, verbe s auxiliaires, démonstratifs, particules grammaticales, etc.), d’autres enfin grâce à une combinaison des deux. Dans ce dernier cas, qui concerne essentiellement les mots variables (verbaux ou de qualité), la racine du mot porteuse de sens est écrite en kanji et les hiragana placés à sa suite servent à noter les différents suffixes.

22 6 - A la différence des kana, les kanji représentent un (ou plusieurs) sens et possèdent, le plus souvent, plusieurs lectures. Le sens des caractères chinois ayant été associé à ces derniers de façon arbitraire, la mise en place d’un apprentissage est nécessaire, le sens contenu n’ayant a priori rien d’évident.

23 7 - Empruntons la formulation de la septième caractéristique à Viviane Alleton (1984 : 24) : « Chaque caractère ne constitue pas une organisation de traits originale, entièrement différente de toutes les autres ; s’il en était ainsi, l’apprentissage de l’écriture chinoise [et japonaise] demanderait un effort de mémoire surhumain – ce qui n’est nullement le cas. La plupart des caractères se décomposent en sous-ensembles (autres caractères ou éléments autonomes), que nous [appelons] éléments de caractères. Ces éléments sont en nombre limité (quelques centaines). »

24 8 - Il n’en demeure pas moins que la mémorisation de ces « quelques centaines » d’éléments et surtout, parmi le nombre pratiquement illimité de leurs combinaisons possibles, de celles qui constituent les caractères (plusieurs milliers, dont pas un des traits qui les composent ne peut être retiré ou ajouté), implique – à la différence de celle des kana dont la durée est de l’ordre de quelques semaines – un étalement de leur apprentissage dans le temps et, de la part de l’apprenant, des efforts importants de mémorisation, d’où ne peut, a priori, être exclue une certaine répétitivité.

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Tableau récapitulatif des signes de l’écrit japonais

25 9 - La multiplicité des lectures possibles pour un même kanji (ajoutée au fait que nombre d’entre eux partagent la (ou les) même(s) lecture(s)) constitue la plus grande difficulté de la langue japonaise, celle, en tout cas, qui rend la lecture déchiffrage dans cette langue si incertaine. L’apprentissage de la lecture apparaît ainsi, au vu de la nature des kanji et de leur nombre, comme jamais terminé, n’importe quel lecteur pouvant, à tout moment, tomber sur un signe qu’il n’a jamais rencontré. Le nombre des

kanji officiels6 et celui de leurs lectures ont certes été respectivement limités à 1 945 et

à 4 0847, un Japonais se doit toutefois de connaître au minimum 3 à 4 000 kanji pour

pouvoir prétendre accéder librement à l’écrit... les dictionnaires de kanji ordinaires comportant environ 10 000 entrées (50 000 pour les plus exhaustifs) !

26 10 - La lecture d’un kanji dépend du contexte dans lequel il apparaît, de la compréhension de celui-ci et de son environnement graphique, kanji et / ou kana précédents et suivants. Même si une grande partie de l’apprentissage de la lecture consistera donc à faire rencontrer à l’apprenant un même kanji dans le plus grand nombre d’environnements différents possibles, il ne s’agit toutefois pas d’une simple question de mémoire : le décodage phonétique correct des kanji implique une bonne compréhension du sens contenu dans la séquence dans laquelle ils apparaissent. 27 11 - Le tracé des kanji s’effectue selon un ensemble de règles strictes et précises. De leur

respect dépendent non seulement la beauté et l’équilibre graphiques des caractères, mais aussi, et surtout, vu le nombre élevé des traits entrant dans la composition de certains d’entre eux, leur lisibilité et leur compréhension. Chaque caractère possède son ordre des traits qui doit être mémorisé en même temps que le caractère lui-même. La « mémoire de la main » se pose en précieux auxiliaire de l’esprit et l’aide à enregistrer et à conserver des graphies d’une aussi grande complexité. L’apprentissage de l’écriture est ainsi profondément lié à l’apprentissage de la lecture.

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28 La grande question reste cependant celle de l’accès au sens, avec pour corollaire celle de savoir ce que l’évolution des connaissances actuelles dans les différents domaines concernés implique au regard de la pratique pédagogique de la lecture au Japon.

29 En effet, de la démonstration scientifique que la relation entre les composantes graphique, phonétique et sémantique des kanji implique une part de décodage phonétique (A) ou non (B), dépendent, ni plus ni moins, la validation ou l’invalidation, partielles ou totales, de plusieurs siècles de pratiques pédagogiques japonaises en matière d’enseignement de la lecture – y compris celles qui composent la méthode actuelle à laquelle nous allons maintenant nous intéresser.

2. L’enseignement actuel de la lecture

30 Comment l’école japonaise parvient-elle à gérer la complexité de l’accès à l’écrit et comment apprend-elle à lire à ses élèves ?

31 Les matières à enseigner, le nombre d’heures qui doit leur être consacré ainsi que le contenu des programmes sont fixés, pour chacune des six années scolaires de l’école élémentaire, par les « Directives d’enseignement pour l’école élémentaire », Shôgakkô

gakushû shidô yôryô, rédigées et publiées par le ministère de l’Education nationale

japonais.

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33 En ce qui concerne les signes de l’écrit, la 1re année est consacrée à l’apprentissage des

kana (notamment celui des hiragana qui sont supposés entièrement et parfaitement

maîtrisés – lecture et écriture – à la fin de celle-ci) et des premiers kanji. Le nombre des

kanji devant être connus à la fin des six années de la scolarité élémentaire est de 10068.

34 La stratégie d’apprentissage des kanji retenue peut se résumer en trois mots : « mémorisation », « accumulation » et « substitution » ; mémorisation et accumulation d’un millier de kanji (lecture(s) et écriture) étalées sur six ans et substitution progressive des kanji étudiés aux kana, dans les phrases écrites ou rencontrées par les enfants. C’est la simplicité de la relation phonie-graphie des hiragana qui, en rendant possible l’étalement de l’apprentissage des kanji dans le temps sans que cet étalement soit un obstacle aux activités de lecture, permet de venir à bout de la difficulté inhérente aux kanji. L’exemple de la page suivante illustre cette stratégie.

35 Les directives d’enseignement du ministère de l’Education imposent une programmation systématique de l’apprentissage de la lecture. Tous les points inclus dans les programmes doivent être traités sans exception et chacun d’entre eux prédéfinit, pour un domaine (caractères, transcription, structure des phrases et des textes, vocabulaire, etc.) ou un savoir-faire donnés, une étape, un palier à franchir dans la maîtrise de ce savoir-faire ou de l’une des compétences qui se rattache au domaine en question.

36 L’enseignement des différentes compétences de lecture s’intéresse successivement aux signes de l’écrit, aux mots, aux phrases, aux paragraphes et, pour finir, aux textes dans leur ensemble. Le point de départ est l’apprentissage de la relation phonie-graphie des deux syllabaires, objectif principal de la 1re année. L’acquisition des mécanismes de base

(oralisation) est alors privilégiée aux dépens de la recherche du sens. La directive relative à la lecture à haute voix demande de faire « prononcer clairement sans se préoccuper du sens ». Viennent ensuite les premiers kanji et la ponctuation de base. On commence également à « s’intéresser » au vocabulaire et à la relation sujet / prédicat. La compréhension visée est celle des « grandes lignes du texte », considérée comme la première étape du processus d’apprentissage de la lecture.

37 En 2e, 3e et 4e année, l’accent est plus particulièrement mis sur l’acquisition du vocabulaire de base, des règles d’écriture des kana (kanazukai), des variations des mots verbaux et de la ponctuation. Sur le plan syntaxique, l’organisation de la phrase autour des relations sujet/prédicat et déterminant / déterminé ainsi que l’enchaînement des phrases entre elles sont l’objet d’une étude de plus en plus poussée. La compréhension visée au cours de ces trois années se centre successivement sur l’ordre et la chronologie des faits décrits à partir de ce que les enfants en perçoivent et en retiennent, sur les points essentiels du texte et enfin sur les impressions que les enfants retirent de leur lecture.

38 A la fin de la 4e année, ainsi qu’en 5e et 6e année, tout en continuant d’augmenter l’étendue et la diversité du vocabulaire, on passe de la structure des phrases et de leur enchaînement au sein des paragraphes, à l’enchaînement des paragraphes entre eux et à la structure des textes. Il est recommandé de s’intéresser également au projet et à la technique d’écriture de l’auteur, cette technique étant particulièrement observée dans le but d’être réinvestie par les enfants dans leurs propres écrits. Ceux-ci doivent enfin parvenir à une compréhension « en profondeur » qui prenne en compte la personnalité et la façon de penser de l’auteur, ainsi que leurs propres préoccupations de lecteurs et les particularités du support.

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Suivant l’année scolaire, une phrase donnée (0) apparaîtra, dans un manuel ou « sous le crayon » d’un élève, transcrite de la façon suivante :

(0) : Okâsan wa kodomo ni tomotachi to asobu koto o yurusu. (La mère autorise son enfant à jouer avec ses amis.)

(1) début de 1re année : おかあさんはこどもにともだちとあそぶことをゆるす。 (2) fin de la 1er année : おかあさんは子どもにともだちとあそぶことをゆるす。 (3) fin de la 2e année : お母さんは子どもに友だちとあそぶことをゆるす。 (4) fin de la 3e année : お母さんは子どもに友だちと遊ぶことをゆるす。 (5) fin de la 4e année : お母さんは子どもに友達と遊ぶことをゆるす。 (6) fin de la 5e année : お母さんは子どもに友達と遊ぶことを許す。 (7) fin de la 6e année : お母さんは子供に友達と遊ぶことを許す。

Le kanji 子 étant vu en 1re année, 母 et 友 en 2e année, 遊 en 3e année, 達 en 4e

année, 許 en 5e année et 供 en 6e année (directives de 1977).

L’ensemble du processus d’apprentissage des signes de l’écrit peut, lui, se résumer de la façon suivante :

39 Bien que les directives d’enseignement du ministère de l’Education ne parlent nulle part de manuels scolaires, kyôkasho, et fassent simplement référence au terme plus vague de kyôzai, matériel pédagogique, tous les instituteurs sont tenus d’utiliser un manuel pour chacune des matières qu’ils enseignent. N’importe quel auteur ou n’importe quelle maison d’édition ne peut pour autant publier librement ses propres manuels et seuls peuvent l’être ceux qui ont reçu l’imprimatur du ministère de l’Education ou ceux édités par le ministère lui-même (Seizelet, 1991). Tous les manuels sont distribués gratuitement aux enfants pendant toute la durée de la scolarité obligatoire, mais leur choix, déjà limité aux séries des seules maisons d’édition autorisées9, ne relève ni de l’instituteur, ni de l’école, mais d’une décision de l’autorité

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éducative locale, départementale ou municipale. Chaque département est divisé en zones géographiques à l’intérieur desquelles les mêmes séries de manuels (une par matière) sont choisies, conjointement, pour toutes les écoles qui en font partie.

40 Si les directives du ministère ne traitent ni de la pédagogie à appliquer, ni des apprentissages à mettre en place pour parvenir à la réalisation des objectifs qu’elles visent, les instituteurs ne sont pas pour autant libres de conduire leur classe comme ils l’entendent. L’obligation qui leur est faite d’utiliser les seuls manuels autorisés revient en effet à leur imposer à tous une méthode unique : celle des manuels. Un simple coup d’œil à la programmation des leçons proposées par ces ouvrages permet de comprendre combien ces manuels (et les instructions qui les accompagnent) renforcent le caractère synthétique de l’enseignement de la lecture mis en place par les directives : au nombre d’heures de cours de langue prévu par les programmes, correspond, pour chaque année, un nombre équivalent de leçons dont le contenu est fixé de façon à ce que, à la fin de l’année, tous les points apparaissant dans les directives aient bien été étudiés et toutes les pages du manuels... utilisées.

41 La démarche d’apprentissage retenue par le ministère de l’Education japonais est rigoureusement synthétique, « traditionnelle », et ne tient guère compte des acquis les plus récents de la recherche en matière de lecture. Les directives officielles établissent une séparation très nette entre « lire » et « apprendre à lire », principalement dans les petites classes où l’acquisition des mécanismes prime sur les activités de lecture. Aucune référence à des exercices de lecture en situation vraie n’apparaît dans ces directives, pourtant par ailleurs extrêmement détaillées : avant de lire, il faut apprendre à lire et apprendre à lire consiste à maîtriser progressivement différents mécanismes dont l’étude a été soigneusement étalée dans le temps, des plus simples aux plus complexes, avec le souci de bien procéder par paliers et de rendre ainsi l’apprentissage plus « facile ».

42 L’accès au sens se fait par déchiffrage de l’écrit et la possibilité de construire du sens directement à partir de la perception visuelle d’un texte n’est apparemment jamais envisagée (même en ce qui concerne les kanji, ce qui est pour le moins surprenant). Il n’apparaît nulle part que « lire, c’est comprendre », l’acte de lire n’étant d’ailleurs jamais clairement défini. Pour les responsables de l’éducation japonais, seule la maîtrise successive des différentes compétences de lecture permet d’améliorer progressivement la capacité de lire et de comprendre des enfants. Aucune référence n’est faite, par exemple, à ce que F. Smith appelle « la théorie du monde que l’on a dans sa tête » (Smith, 1986) et à la nécessité qui en résulte de s’appuyer sur le vécu des enfants et d’élargir le champ de leurs expériences : en 1re année, ce ne sont pas des

supports de lecture proches de leur vécu qu’il est demandé d’utiliser, mais des « textes faciles à lire »10.

43 Par ailleurs, si, dans les pays occidentaux, les tenants des différentes méthodes de lecture sont aujourd’hui au moins d’accord pour dire que toutes les méthodes peuvent certes fonctionner, mais qu’aucune cependant ne fonctionne pour tous les enfants en même temps et que c’est en dernier ressort à l’enseignant de trancher en fonction des réalités de sa classe, au Japon en revanche (où ce genre de querelle n’a pas cours), ce point de vue relève de l’hérésie et de la provocation. C’est en effet un souci totalement opposé qui anime les responsables de l’éducation de ce pays et qui fonde leur pédagogie, puisque leur volonté affichée est de parvenir à ce que tous les enfants d’une même classe et toutes les classes d’un même niveau, d’une même école, d’une même

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zone géographique et, dans l’absolu, du pays tout entier, progressent d’un même pas et reçoivent un enseignement le-plus identique possible. La latitude laissée aux enseignants, sinon de choisir leur méthode, du moins d’adapter celle qui leur est imposée à la réalité de leur classe y est des plus réduite.

44 Au sein d’une école, tous les instituteurs chargés des classes d’un même niveau sont tenus de se concerter afin de coordonner leurs différentes activités, ainsi que leur progression vis-à-vis des programmes. C’est également dans ces réunions de synthèse quotidiennes que se décident le contenu des leçons et leur déroulement. Le poids de l’expérience (l’âge) et plus encore celui de l’ancienneté dans l’école (et non dans l’enseignement en général) jouent un rôle très important au moment des prises de décisions. Une fois la marche à suivre définie, les enseignants dont l’avis diverge n’ont pas d’autre choix que de se plier à la décision commune, souvent sur des points aussi sensibles que le choix d’une démarche, d’un contenu ou d’un rythme, et de l’appliquer dans leur classe. C’est là la conséquence du principe qui veut que tous les enfants d’une même année scolaire reçoivent, quelle que soit la classe à laquelle ils appartiennent, un enseignement identique sur le fond et sur la forme. Ainsi n’est-il pas rare, lorsque l’on se promène dans les couloirs d’une école japonaise, de voir, quelle que soit la matière enseignée, la même leçon, faite au même moment, avec le même matériel pédagogique, dans toutes les classes d’un même niveau.

45 Programmes très chargés qu’il faut absolument boucler dans l’année, manuels imposés, organisation très hiérarchisée du fonctionnement interne de l’école, obligation de se plier à des choix que l’on n’approuve pas forcément, obligation d’en référer aux autres enseignants du même niveau pour la mise en place de toute activité spéciale non programmée en commun (avec le risque de s’entendre dire que l’on ralentit ou que l’on perturbe le programme !), nécessité d’amener tous les élèves au même niveau à la fin de l’année (ce qui implique, à la fois, d’en pousser / traîner certains, mais aussi, par la force des choses, d’en freiner d’autres), étroite surveillance des parents quant à l’accomplissement des programmes, découpage assez rigide de l’emploi du temps qui oblige à prévoir des activités dont la durée ne peut excéder (ni être par trop inférieure à) 40 ou 45 minutes, nombre très élevé d’enfants par classe (35 à 40), etc., les contraintes qui pèsent sur les instituteurs japonais sont très lourdes. Elles conditionnent complètement leur enseignement et enferment leur pratique pédagogique dans des limites très strictes dont ils ne peuvent que très difficilement s’extraire.

46 Toutes ces contraintes sont bien sûr plus ou moins fortes suivant les écoles et plus ou moins subies suivant la personnalité des enseignants. Elles jouent cependant un rôle très important dans l’apprentissage de la lecture et ne peuvent être ignorées, car elles touchent à ce qui apparaît tout de même aujourd’hui comme le plus essentiel : la possibilité d’adapter l’apprentissage aux capacités réelles des enfants et à leurs besoins. De fait, l’immense majorité des instituteurs japonais suit scrupuleusement la progression et le contenu des directives du ministère.

47 Le 1er trimestre de la 1re année est consacré à l’apprentissage des hiragana, que 90 % des enfants connaissent pourtant déjà avant même leur entrée à l’école élémentaire11 et qui

leur sont (re)présentés un par un (ou deux par deux) au cours de leçons se déroulant toutes sur un même modèle qui n’est pas sans présenter certaines analogies avec la méthode de Cuissart en vigueur en France à la fin du XIXe siècle : une leçon = un son + le

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de la lecture associée à l’écriture, exercices d’imitation ou de répétition, fréquentes leçons de récapitulation, etc. (voir séquence no 1). A la veille des vacances d’été, soit

après trois mois de ce régime (la rentrée a lieu au Japon en avril), la grande majorité des enfants des classes de 1re année (âgés donc de 6 ans) est capable de s’exprimer par

écrit à l’aide de phrases ou de petits textes rédigés dans un japonais « correct » et compréhensible par tous, ainsi que de lire / déchiffrer n’importe quel texte écrit en

hiragana.

48 Si le 1er trimestre de la 1re année s’articule essentiellement autour de l’apprentissage des hiragana et du développement de l’envie de lire chez les enfants (sans cependant qu’aucun texte leur soit donné à lire : quand un texte se présente, c’est en général l’enseignant qui le lit), les deux trimestres restants sont consacrés à l’apprentissage du second syllabaire et des premiers kanji, ainsi qu’aux activités de lecture dont les textes servent de support à l’étude de ces derniers. Les séquences sont, là aussi, bâties sur le même modèle et présentent toutes les points communs suivants (voir séquence no 2) :

le support est une histoire du manuel, les enfants ont préparé la leçon / le texte à la maison et beaucoup d’entre eux le connaissent par cœur, la leçon débute et se termine par la lecture à haute voix par toute la classe de la partie du texte étudiée – voire du texte dans son entier –, la lecture à haute voix collective ou individuelle du mot ou de l’expression étudiés est une pratique très fréquente tout au long de la séquence, le tableau est toujours utilisé de la même façon, etc. Ce qui est écrit au tableau durant les leçons de lecture (et plus généralement de langue) est toujours présenté de la même façon, qui est celle que l’on retrouve, identique, dans toutes les classes de la 1re à la 6e

année et qui est aussi celle des tests, des carnets d’exercices, ainsi que celle des cahiers des enfants, qui prennent très rapidement l’habitude, dès cette 1re année, de recopier

tel quel ce que le maître écrit au tableau.

49 La 1er année voit ainsi se mettre en place ce que l’on pourrait appeler une « méthode » de travail concernant l’étude des signes et les leçons de lecture. L’objectif est de faire acquérir aux enfants un certain nombre d’habitudes et de réflexes dans leur façon d’étudier en classe ou à la maison (notamment pour ce qui est des kana puis des kanji) et de fixer (de figer ?) les leçons de lecture dans un cadre général (structure, déroulement des leçons et habitudes de travail) qui ne variera guère au cours des cinq années suivantes.

50 Pour les Japonais, un enfant « sait lire » dès qu’il maîtrise parfaitement les kana et qu’il a commencé à apprendre les premiers kanji. Ce n’est qu’à partir du moment où s’est enclenché le double processus de mémorisation / accumulation et de substitution des

kanji qu’il est mis en présence d’écrit : avant, ce n’est pas la peine puisqu’« il ne sait pas

lire ». Une différence très nette est ainsi faite entre « savoir lire » et « connaître les

kanji ». Si l’étude de ces derniers s’étale sur toute une vie, « savoir lire » en revanche

apparaît aux parents et aux enseignants japonais comme quelque chose qui peut – et doit – être rapidement et définitivement achevé.

Séquence no 1

L’institutrice dit en scandant bien les mots : « à partir de maintenant commence la 2e heure de cours ». Les élèves répondent tous « Ouiiiiiiii ! ! ! ». L’institutrice :

« Pendant cette 2e heure de cours nous allons étudier le signe i い. »

1. Elle montre une feuille avec い tracé dessusa. A côté, elle trace très lentement, à

la craie, le signe dans un cadre « découpé » en quatre carrés égaux. Elle insiste bien sur la forme du signe, le refait à côté en disant après avoir amorcé le premier trait :

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« Vers où ? »

Les enfants crient : « Vers le bas ! »

Elle ajoute en traçant le premier trait : « On le fait un peu arrondi, puis on relève le crayon en remontant vers le haut pour terminer le trait ». Elle trace ensuite des signes incorrects au tableau :

Les élèves crient, à chaque fois : « Ça ne va pas ! » « Tu te trompes ! »

2. L’institutrice : « Sortez vos crayons ». Elle insiste longuement sur la façon de tenir le crayon. Les élèves, bras tendus, montrent comment ils fontb. L’institutrice

dit : « On trace le dessin du い sur une grande feuille imaginaire devant soi », et elle montre l’exemple.

Les élèves, bras tendu devant eux, tracent à leur tour, 2 ou 3 fois, le signe dans l’espace avec des gestes de grande amplitudec.

3. L’institutrice distribue des feuilles polycopiéesd qu’elle a elle-même préparées et

que les élèves commencent à remplir en traçant dans chaque casee, avec beaucoup

d’application, le signe い. L’institutrice passe dans les rangs et vérifie la qualité du tracé, n’hésitant pas à tout effacer et à faire recommencer quand ça ne va pas. Elle corrige également la posture corporelle des enfants. Une fois leur page remplie, ceux-ci sortent leurs crayons de couleur et colorient les petits dessins, d’objets ou d’animaux, qui illustrent le son い. L’institutrice insiste une dernière fois sur l’arrondi du premier trait et la façon de le terminer, puis crie « stop ». Les élèves interrompent leur coloriage et rangent leurs boîtes de crayons immédiatement (ou presque).

4. L’institutrice : « Dites-moi des mots où l’on entend le son if, réfléchissez-bien ».

Elle porte ses mains autour de son front pour bien insister sur la réflexion – geste que les enfants reproduisent aussitôt.

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L’institutrice : « Vous avez réfléchi ? » Les élèves :

« Ouiiiiii ! ! » Interrogésg à tour de rôle, ils proposent des mots que l’institutrice

écrit au tableau :

Dans tous les mots proposés (sauf un) le son i apparaît en début de mot.

A la proposition inko (いんこ) d’un de ses camarades, un enfant dit : « On n’entend pas i mais in. » [in comme dans parking], mais l’institutrice ne le relève pas. La proposition yûrei (ゆ う れい) avec le son i en finale et qui est prononcé plutôt comme un é allongé n’est pas évidenteh pour un enfant de cet âge et l’institutrice

félicite celui qui l’a faite.

Un enfant propose ni (deux) dans lequel le son i apparaît bien mais dans la syllabe n + i qui se transcrit à l’aide d’un kana différent : κ. L’institutrice lui demande : « C’est ça que tu veux dire ? », et elle écrit « 2 » au tableau. L’enfant dit : « Oui ». Elle dit alors : « Ah oui, je comprends... », mais elle n’écrit pas le mot au tableau et, sans expliquer pourquoi, passe au suivant. Quand tous les enfants ont répondu, elle montre les mots écrits verticalement au tableau et les enfants, tous ensemble, les lisenti (les crient), un par un, à haute voix, tandis qu’elle entoure dans les mots

le signe chaque fois qu’il est prononcé.

5. L’institutrice accroche au tableau noir un autre tableau, quadrillé celui-làj, et

demande aux enfants de prendre leur cahier. Elle : « Tout le monde a bien huit lignes ? » Les enfants : « Ouiiiii ! » Elle : « On prend le crayon... » ; et elle écrit le premier mot dans les cases du tableau. Tous les enfants font de même dans leur cahierk. Les enfants : « Ça y est, c’est écrit ! »

Elle : « Quel autre mot peut-on écrire ? »

Les enfants : « hei... » ; et l’institutrice l’écrit dans les cases suivantes. Les enfants doivent en fait, afin de remplir les cases de la page, sélectionner de préférence les mots s’écrivant avec les signes déjà utilisés (へ,し,く,つ,こ).

L’institutrice utilise une virgule pour séparer les mots et un gros pointl pour

remplacer les signes non encore étudiés, quand le mot choisi par les enfants en contientm. Les enfants recopient les mots dans leur cahier au fur et à mesure que

l’institutrice les écrit dans le tableau. Elle passe dans les rangs, corrige la posture du corps de ceux qui se tiennent mal, gomme et fait recommencer quand ça ne va pas, puis fait ramasser les cahiers par les enfants afin de les corriger.

6. Elle demande : « Qui a bien travaillé ? » Certains enfants lèvent la main. Elle demande : « Qui est fatigué ? » D’autres enfants la lèvent.

Elle ajoute enfin : « Qui n’est pas fatigué ? » et dit à ceux qui lèvent la main : « Oh ! bravo ! Qu’est-ce que vous êtes forts ! »

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Elle leur fait faire une petite séance d’étirements pour se détendre le corps après les efforts produits pendant la leçon puis dit : « Aujourd’hui on a étudié beaucoup de signes, on a fait beaucoup d’exercices, on a beaucoup écrit ! »

7. Elle ajoute : « Maintenant on va lire un livre. » Elle montre différents ouvrages et demande : « Quel livre va-t-on lire ? » Les enfants discutent [...] puis se mettent d’accord sur l’un d’eux. L’institutrice les fait venir au tableau s’asseoir autour d’elle. Certains enfants restent à leur place, indifférents à ce qui se passe, mais elle n’intervient pas pour les faire venir. Elle : « Tout le monde voit ? » Elle présente la couverture, explique en les montrant du doigt les mots écrits (titre et nom de l’auteur). Elle fait de même pour la première page puis commence à liren.

[La sonnerie retentit : la leçon dure depuis 45 minutes. L’institutrice va cependant jusqu’au bout de sa lecture, puis remercie les élèves de l’avoir écoutée.]

Classe de 1re année (33 élèves), région du Kansai, 22 avril (15 jours après la

rentrée), 2e période (9h30-10hl5).

a Il y a, depuis le début de la matinée, en haut à droite du tableau le signe い écrit

sur une grande feuille blanche :

Sont également affichés, dans la « maison des hiragana », à côté du tableau, les signes déjà étudiés :

b L’institutrice reprendra, en passant dans les rangs pendant l’exercice, tous les

enfants qui ne tiennent pas leur crayon correctement.

Une grande affiche illustre la façon correcte de tenir le crayon et de s’asseoir quand on écrit.

c Tout au long de la séquence, les enfants participent tous avec une grande vitalité

et répondent avec beaucoup d’entrain aux consignes.

d La partie droite de la feuille est consacrée au signe ko こ étudié la veille, et a déjà

été corrigée par l’institutrice.

e Les premières cases sont divisées en quatre par des lignes en pointillé et

comportent le signe い, également pré-tracé en pointillé.

f Voir page 16, la façon dont les syllabes sont perçues par les Japonais.

g Quand un enfant interrogé ne propose pas de mot, l’institutrice insiste pour qu’il

dise : « Je suis encore en train de réfléchir. »

(30)

i Alors que la plupart des autres lettres sont censées n’avoir pas encore été

étudiées.

j Ce tableau reproduit une page quadrillée du cahier des enfants.

k Les cahiers sont apparemment utilisés pour l’une des toutes premières fois et les

préparatifs d’écriture sont entourés de tout un cérémonial soulignant l’importance de l’objet (le cahier) et de l’acte (écrire).

l

m Ce qui implique que si un enfant veut relire la page chez lui, ou à tout autre

moment, il devra non pas la « lire », mais essayer de se souvenir ou de retrouver les signes que remplacent ces points.

n L’attention a fortement chuté depuis la fin des exercices de copie. Peu se sont

déplacés au tableau et il règne dans la classe un grand brouhaha. Séquence no 2

L’institutrice demande aux enfants ce qu’ils pensent du dernier passage étudié de l’histoire intitulée « Le parapluie du vieux monsieura ». Les doigts se lèvent, les

« oui ! oui ! moi ! moi ! » fusent.

Trois enfants prennent successivement la parole et racontent, non pas ce qu’ils pensent du passage en question, mais ce qui s’est passé depuis le début de l’histoire. L’institutrice s’accommode cependant de leur réponse et leur demande ensuite de relire le texte tous ensemble et à haute voix. Un « brouhaha musical » s’élève. La plupart des enfants ne suivent ni le texte écrit au tableau, ni le livre ouvert devant eux, mais récitent le passage qu’ils savent apparemment par cœur. L’institutrice fait ensuite relire individuellement le texte par deux élèves. Après chaque lecture, elle demande au reste de la classe ce qu’ils en pensent. Pour la première : « ça va... », mais pour la seconde, en revanche, un enfant dit : « Je pense qu’elle aurait dû lire plus fort. » L’institutrice acquiesce et répète la remarque à l’élève qui vient de lire.

Elle accroche ensuite deux affichesb au tableau. Chacune reproduit une phrase du

textec. Elle demande aux enfants : « Qu’est-ce que cela signifie ? » Un enfant dit :

« Il pleut beaucoup. » ; un autre : « C’est pas ça, c’est que la pluie est contente ! » ; d’autres crient : « Oui, elle [la pluie] est bien ! », « Contente... ! », « Heureuse... »

Figure

Tableau récapitulatif des signes de l’écrit japonais
Illustration n o  1 – Scène de classe dans une terakoya par Watanabe Kazan (début  XIX e  siècle).
Illustration n o  2 – Le Shôgaku nyûmon – kôgô (1874), p. 53-56, 73-76, 99-102, 121-124.
Illustration n o  3 – Le Shôgaku tokuhon de Wakabayashi (1884), tome 1, leçons 1 à 24
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