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L’empereur excommunié : Frédéric 2 de Hohenstaufen (1194-1250)

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L’empereur excommunié :

Frédéric 2 de Hohenstaufen (1194-1250)

IMPERATOR FREDERICUS SECUNDUS ROMANORUM CAESAR SEMPER AUGUSTUS

ITALICUS SICULUS HIEROSOLYMITANUS ARELATENSIS FELIX VICTOR AC TRIUMPHATOR

P

ourquoi Frédéric II, parmi tant de grands hommes ?

Parce qu’il a rencontré à Pise le mathématicien Fibonacci qui lui a dédié son Livre des nombres carrés ? Parce qu’il a fondé l’université de Naples, qui porte aujourd’hui son nom ? Parce qu’il a bâti d’étranges chateaux octogonaux et incarné, au XIIIème siècle, la première Renaissance, que la guerre de Cent Ans et la Grande peste ont stoppée au siècle suivant ? Parce que ce roi de Sicile devenu empereur d’Allemagne fut excommunié pour avoir reconquis Jérusalem sans faire couler le sang musulman, par la seule force de l’intelligence et de la diplomatie ? Parce qu’il se promenait en grand arroi, à travers l’Europe, avec ses chameaux et l’éléphant offerts par le sultan, ses faucons, ses pages et ses concubines ? Parce que ce despote éclairé égaré en plein Moyen-Age rêvait de royauté universelle et eut la triste fin d’un condottiere ? Parce que la haine de la papauté a poursuivi sa descendance jusqu’à l’odieuse exécution de son petit-fils sur la Grand’place de Naples ?

Pour tout cela à la fois. En un mot, parce qu’il fut un homme dérangeant.

J’aurais aimé cingler avec lui vers la Terre sainte, en juillet 1228. Son collègue en royauté, et exact opposé, Louis IX, devenu Saint-Louis, l’estimait fort et intercéda en sa faveur. J’aurais aimé assister à l’entrevue des deux souverains à Vaucouleurs, en 1241.

Hélas, ou tant mieux, micros et smartphones n’existaient pas. Tant mieux, finalement : on peut rêver…

Le XIIIème siècle occidental ne manque pas de souverains remarquables : Saint Louis, Jacques Ier d’Aragon, Alphonse X de Castille. Parmi eux, Frédéric II se distingue par son flamboyant échec. Il n’empêche : la Sixième croisade brille dans l’histoire comme un monument d’intelligence, en avance sur son temps… et sur le nôtre.

Pierre-Jean Hormière

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Les deux maisons : Hauteville, Hohenstaufen

Au douzième siècle, deux maisons se disputent le trône du Saint empire romain germanique : les descendants d’Henri le Lion, dont les partisans sont les guelfes, et les Hohenstaufen, dont les partisans sont les gibelins. Ces luttes se prolongeront jusqu’au XIVème siècle, tant en Allemagne que dans les cités d’Italie du Nord, opposant guelfes, partisans du pape, et gibelins, partisans du temporel. Au même moment, les descendants d’un petit seigneur normand de la région de Coutances, Tancrède de Hauteville, partis tenter leur chance en Méditerranée, conquièrent les Pouilles et la Calabre, reprennent la Sicile aux musulmans, et construisent à Naples et à Palerme un royaume puissant et moderne. La destinée de Frédéric II va se jouer au confluent exact de ces deux histoires.

1130. Le 27 septembre, par bulle pontificale, le comte Roger de Sicile et de Calabre devient Roger II, roi de Sicile, de Calabre et d’Apulie. A Noël, il est couronné dans la cathédrale de Palerme.

1138. Après la mort de Lothaire III, Conrad de Hohenstaufen est élu à l’Empire, de préférence au duc de Bavière Henri le Superbe, jugé trop puissant. A la mort de ce dernier, Conrad III démembre la Bavière.

1140. Aux assises d’Ariano Roger II jette les bases d’un royaume centralisé, investissant le roi et la bureaucratie d’une autorité absolue. La Sicile devient un des premiers états modernes de l’occident.

1143. La chapelle Palatine, commencée en 1130 au premier étage du palais des Normands, est consacrée ; elle possède de somptueuses mosaïques byzantines.

1152. 15 février, mort subite de Conrad III à Bamberg. Son neveu Frédéric Barberousse, né à Waiblingen vers 1122, duc de Souabe, est élu à la dignité de roi des Romains le 4 mars à Francfort-sur-le-Main, et couronné le 9 mars par l’archevêque de Cologne Arnold II von Wied dans la chapelle palatin d’Aix-le-Chapelle. Frédéric est neveu des Saliens par sa grand-mère, neveu d’Henri le Superbe par sa mère.

1154. 26 février, mort de Roger II de Sicile, à Palerme. Le quatrième fils de sa première épouse, Guillaume Ier, dit le Mauvais, lui succède. Peu après, nait une fille posthume de Roger II et de sa troisième épouse, Constance de Hauteville.

1155. Frédéric Barberousse descend en Italie en octobre 1154 pour se faire couronner empereur ; il aide le pape Adrien IV à réprimer la commune romaine d’Arnaud de Brescia.

Il est couronné le 18 juin 1155. Il épouse l’unique héritière du comté de Bourgogne.

1159. La Curie élit Alexandre III pape, mais l’empereur suscite un autre pape, Victor IV, auquel succède Pascal III ; le schisme prendra fin en 1177.

1160. Des troubles éclatent en Sicile.

1166. 7 mai, mort de Guillaume Ier de Sicile. Son plus jeune fils, Guillaume II, dit le Bon, lui succède.

1179. Henri le Lion est mis au ban de l’Empire.

Naissance d’Hermann von Salza à Langensalza.

1180.18 septembre, mort de Louis VII ; Philippe II Auguste lui succède.

1181 ou 82. Naissance de Giovanni di Pietro Bernardone, futur François d’Assise, à Assise.

1185. 16 mars, mort de Baudouin IV le Lépreux, roi de Jérusalem, à 24 ans. Anarchie

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La cathédrale de Palerme est érigée par l’archevêque normand Gautier Ophamil, ministre de Guillaume II, sur l’emplacement d’une basilique byzantine transformée en mosquée.

1186. Le 27 janvier, Henri, fils aîné de Frédéric Barberousse, épouse à Milan Constance de Hauteville, fille posthume de Roger II de Sicile (1130-1154) et tante de son successeur Guillaume II. Constance a onze ans de plus que son mari.

En août, mort du jeune Baudouin V de Jérusalem. Onfroi IV de Toron refuse la couronne qui échoit à l’incapable Guy de Lusignan.

1187. 4 juillet, désastre de Hattîn, près du lac de Tibériade. Saladin conquiert le royaume de Jérusalem ; Guy de Lusignan est fait prisonnier. Balian d’Ibelin réussit à s’enfuir, mais ne peut défendre Jérusalem, qui tombe le 2 octobre. Conrad de Montferrat organise la défense de Tyr, qui résiste aux assauts.

1189. Le 2 janvier, le siège de Tyr est levé. Guillaume II de Sicile envoie une flotte et 200 chevaliers.

Le 11 mai, Frédéric Barberousse part en croisade, par Ratisbonne, la vallée du Danube et la Hongrie, à la tête d’une armée de 100.000 hommes.

6 juillet, mort de Henri II Plantagenet ; Richard Cœur de Lion lui succède.

Le 18 novembre, Guillaume II le Bon, roi de Sicile meurt sans enfants. La succession est lourde d’incertitudes. Sa tante Constance de Hauteville hérite du royaume, mais le comte Tancrède de Lecce, fils illégitime de Roger, duc des Pouilles, frère de Guillaume Ier, et, à ce titre, cousin germain de Guillaume II, est élu roi le 8 décembre.

1190. Le 18 janvier, Tancrède de Lecce est couronné roi de Sicile par le pape, à la place de sa tante Constance de Hauteville.

Le 10 juin, lors de la 3ème croisade, Frédéric Barberousse se noie dans le Saleph (Cydnos), en Cilicie, à environ 70 ans. L’aîné de ses cinq fils, Henri VI le Cruel, couronné roi des Romains en 1169 et roi d’Italie en 1186, lui succède. Malgré les efforts de Frédéric de Souabe, la croisade allemande se disperse.

Le 4 juillet, Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion partent ensemble de Vézelay pour la croisade ; ils ne quitteront la Sicile qu’en mars-avril 1191.

1191. En avril, élection du pape Célestin III. Le 15 avril, il sacre l’empereur Henri VI.

Du 6 mai au 6 juin, Richard Cœur de Lion conquiert l’île de Chypre sur les Byzantins.

12 juillet, les croisés reprennent Saint-Jean d’Acre après un long siège.

Philippe Auguste quitte la croisade et est de retour à Paris le 27 décembre.

1192. Automne 1192 – février 1194. Léopold de Babenberg, puis Henri VI, séquestrent Richard Cœur de Lion de retour de croisade. Henri VI est excommunié. Il entreprend une vaste campagne contre Tancrède.

1194. Vaincu par Henri VI à Catane, et abandonné de ses soutiens, Tancrède meurt de maladie dans son palais de Palerme le 20 février. Il laisse comme héritier un jeune enfant, Guillaume III, sous la régence de sa mère, la reine Sibylle.

20 novembre, Henri VI entre à Palerme. Il se fait couronner roi de Sicile le jour de Noël, et se livre à une répression atroce contre les partisans de Tancrède. Le cadavre de celui-ci est décapité, son fils Guillaume, âgé de 8 ans, est châtré et a les yeux crevés.

L’enfant d’Apulie

1194. 26 décembre, naissance à Iesi (marche d’Ancône) de Constantin Frédéric Roger, futur Frédéric II, fils de l’empereur Henri VI et de la reine de Sicile Constance de Hauteville. Constance a 40 ans, la naissance a lieu en public, sous une tente dressée sur la

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place principale de Jesi. L’accouchement menaçant de tourner au drame, on fit appel à deux médecins arabes qui sauvèrent la mère et l’enfant.

1195. Frédéric-Roger est baptisé à Assise, dans la cathédrale de San Rufino. Le jeune François d’Assise, âgé de 13 ans, assiste à la fête.

Le dimanche de Pâques, Henri VI fait défiler devant les yeux de son épouse le cortège de 160 chevaux de bât qui traversent Palerme chargés du trésor des rois normands pour se rendre en Alllemagne. Sont du voyage le petit roi Guillaume, fils de Tancrède, châtré et aveuglé, et sa mère, la reine Sibylle….

1196. 25 avril mort du roi Alphonse II d’Aragon à Perpignan. Son fils Pierre II lui succède.

Le 25 décembre, Frédéric-Roger est élu roi par les princes allemands.

1197. Dans l’été, un contingent mené par plusieurs ducs allemands s’embarque pour Saint- Jean d’Acre. Une révolte éclate en Sicile. En juin, Jourdain du Pin est exécuté à Enna, en présence de la reine Constance, dans des conditions atroces.

Le 28 septembre, Henri VI le Cruel meurt de malaria ou dysenterie à Favara, près de Messine, au moment d’embarquer pour la croisade ; il a 32 ans. Sa veuve Constance

« impératrice des Romains toujours auguste et reine de Sicile » exerce la régence en Italie du Sud, au nom de Frédéric-Roger.

1198. 8 janvier, mort du pape Célestin III ; Innocent III lui succède à 37 ans. Constance lui fait allégeance.

Troubles pour la succession à l’empire : interrègne. Le 8 mars, le plus jeune frère d’Henri VI, Philippe de Souabe, âgé de 21 ans, est élu roi et couronné en septembre à la diète de Mayence ; il s’allie au roi de France Philippe-Auguste. Le 9 juin, Otton de Brunswick, dernier fils de Henri le Lion, âgé de 24 ans, est élu empereur à la diète d’Aix-la-Chapelle le 12 juillet. Innocent III et Rochard Cœur de Lion se rangent du côté d’Otton IV.

Le 17 mai, Constance fait couronner Frédéric roi de Sicile à Palerme.

Le 27 novembre, mort de Constance, à Palerme. Elle confie au pape Innocent III la régence et la tutelle de son fils. Le conseil de régence est confié au chancelier Gautier de Palearia.

1199. Par la bulle Venerabilem, Innocent III déclare le pouvoir spirituel des papes supérieur aux pouvoirs temporels.

6 avril, mort de Richard Cœur de Lion à Châlus (Limousin).

En octobre, Markward von Anweiler, ancien officier d’Henri VI, s’empare de Palerme.

1201. Le 1 novembre, Markward s’empare par la force de Frédéric. Il meurt en septembre 1202, mais un autre chevalier allemand, Guillaume Capparone, capture le roi.

1202. Le mathématicien Leonardo Fibonacci de Pise, publie Liber abaci (Livre du calcul ou de l’abaque). Il présente les chiffres arabes et le système d’écriture décimale positionelle qu’il a appris auprès de savants de Béjaïa (Bougie) où son père, Guglielmo Bonaccio, était marchand.

1202-1204. La 4ème croisade, lancée de Venise, se déroute vers Zara et Constantinople, qui est prise. L’empire latin de Constantinople ne sera repris par les Byzantins qu’en 1261.

En Allemagne, Philippe de Souabe prend le dessus sur Otton IV, fils d’Henri le Lion.

1205. En janvier, Philippe de Souabe se fait couronner à Aix-la-Chapelle

1206. En novembre, Gautier de Palearia reprend les rênes du pouvoir et retrouve la garde du jeune roi.

Le 27 juillet, les troupes de Philippe de Souabe battent celles d’Otton à Wassenberg.

1207. Philippe de Souabe prend Cologne et soumet la région du Rhin.

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1208. Le 21 juin, Philippe de Souabe est assassiné à Bamberg par le comte palatin de Bavière Otto VIII de Wittelsbach.

Le 11 novembre, Othon IV est réélu roi à la diète de Francfort.

En octobre, Frédéric épouse Constance d’Aragon, fille du roi Alphonse II d’Aragon, veuve du roi de Hongrie et Croatie Emmerich ou Imre (1196-1204), et sœur de Pierre d’Aragon ; elle a 25 ans, lui devient majeur à 14 ans le 26 décembre.

1209. Printemps, début de la croisade des Albigeois.

Hermann von Salza est le 4ème Grand maître de l’Ordre teutonique.

Le 4 octobre, Otton IV est couronné empereur à Rome.

1210. Frédéric remplace Gautier de Palearia par l’archevêque de Bari, Bérard de Castacca, qui obtiendra le siège de Palerme, où il restera en fonction jusqu’en 1252.

Jean de Brienne épouse Marie de Montferrat, héritière du royaume de Jérusalem, et est couronné roi à Tyr ; en 1212, naîtra leur fille Yolande de Brienne.

En novembre, Otton IV pénètre en Italie du Sud. Il est excommunié, mais Salerne, Capoue, Naples, Bari, Barletta se rallient à lui. Il occupe la partie continentale du royaume de Sicile.

1211. Naissance d’Henri, futur Henri VII, fils aîné de Frédéric.

En septembre, à la diète de Nuremberg, les princes allemands, menés par Ottokar de Bohême, déposent Otton IV et élisent à sa place Frédéric. Otton s’apprétait à traverser le détroit de Messine pour envahir la Sicile quand il apprend la nouvelle, à la mi-octobre. Il rebrousse chemin. Frédéric accepte la couronne.

Départ pour l’Allemagne

1212. En février, Frédéric fait couronner son fils âgé de un an roi de Sicile, et part en mars pour l’Allemagne en compagnie de Bérard de Bari et du logothète Andréa. Il est accueilli à Pavie en juillet, et parvient en Allemagne par l’Engadine.

Mai-juin, double croisade des Enfants : celle des français, du nord de la Loire à Marseille ; celle des allemands, conduite par le jeune berger Nicolas, de Cologne à Gênes et Brindisi.

19 novembre, Frédéric rencontre à Vaucouleurs le fils de Philippe Auguste, futur Louis VIII.

5 décembre, à Francfort, une assemblée de princes élit à nouveau Frédéric roi des Romains.

Il est couronné le 9 à Mayence, mais sans les insignes royaux.

1213. 12 juillet, par la bulle d’or d’Eger (Franconie), Frédéric II fait de substantielles concessions au pape et à l’Eglise.

Combats dans le centre et le nord de l’Allemagne contre les troupes d’Otton IV.

13 septembre, le roi d’Aragon Pierre II le Catholique, beau-frère de Frédéric II, meurt au cours de la bataille de Muret. Son fils Jacques Ier (1208-1276) lui succède.

1214. 27 juillet, bataille de Bouvines, victoire de Philippe Auguste sur Otton IV. Celui-ci se retire dans son domaine de Brunswick. Frédéric II rallie le nord-ouest du royaume : Brabant, Limbourg.

1215. Le 25 juillet, Frédéric II est à nouveau couronné roi des Romains à la Marienkirche d’Aix-la-Chapelle. Il utilise le manteau royal de Roger II de Sicile, qui devient le manteau de sacre des empereurs, l’un des insignes utilisé jusqu’au XVIIIe siècle par 47 empereurs.

Ce manteau est aujourd’hui conservé à la Schatzkammer (chambre du trésor) de Vienne avec les autres insignes et le trésor des rois de Sicile. Le jour du sacre, Frédéric II fait serment de partir à la croisade. Quatrième concile du Latran.

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1216. Le 1 juillet, Frédéric s’engage auprès du pape à renoncer à la Sicile au profit de son fils.

Le 16 juillet, mort du pape Innocent III à Pérouse ; Honorius III lui succède.

Frédéric II nomme son fils Henri roi de Sicile.

16 octobre, mort du roi d’Angleterre Jean sans Terre ; il a signé le 15 juin 1215 la Magna carta. Son fils Henri III, âgé de 9 ans, lui succède pour de longues années.

1217-1221. La 5ème croisade, conduite par Jean de Brienne, échoue à reprendre Jérusalem.

1218. 19 mai, Otton IV meurt abandonné de tous.

Le 24 août, un navire croisé réussit à prendre la tour de la chaîne, donnant à la flotte croisée l’accès au bras du Nil.

Le 31 août, le sultan al-Adel meurt, après avoir conseillé à ses fils de céder Jérusalem aux croisés en échange de leur départ d’Egypte. Al-Kamil lui succède en Egypte.

1219. En juin et en septembre, Al-Kamil offre aux croisés la rétrocession de Jérusalem contre leur départ. Jean de Brienne est prêt à accepter, mais le légat Pélage d’Albano s’y oppose. Les croisés prennent Damiette le 5 novembre.

Couronnement et retour en Sicile

1220. Assemblée des grands à Francfort. Le 23 avril, Frédéric proclame son fils, âgé de huit ans, roi des Romains, sous le nom d’Henri VII, et le laisse en Allemagne sous la tutelle des évêques et d’hommes de confiance. Assemblée des Grands à Capoue.

En août, Frédéric II quitte l’Allemagne et part pour Rome par petites étapes.

Le 22 novembre, il est couronné empereur en grande pompe par Honorius III. Il jure de partir en croisade en août 1221, et obtient du pape le droit pour les Chevaliers teutoniques de porter le même manteau blanc que les Templiers.

1221. De Capoue où il s’est arrêté, Frédéric II prend des mesures sévères contre la féodalité, afin de rétablir l’ordre en Sicile, il supprime les privilèges des Gênois qui occupent Syracuse, et entreprend de soumettre les Sarrasins.

En juillet, les croisés échouent à prendre Le Caire et doivent rendre Damiette.

Dans l’hiver 1221-1222, Frédéric se rend pour la première fois dans les Pouilles. L’année suivante, il commence la construction du château de Foggia.

1222. Rencontre probable, à Barri, de Frédéric II et de François d’Assise. Ce dernier revient d’un pèlerinage en Terre sainte, et avait réussi à obtenir une audience du sultan Al Kamil.

8 mars, Henri VII, élu roi de Germanie en avril 1220 à la diète de Francfort, est couronné à Aix-la-Chapelle.

En avril, entrevue de Veroli, entre le pape Honorius III et Frédéric II ; celui-ci obtient un nouveau délai pour sa croisade.

Il reprend Giato, forteresse des Sarrazins, et fait mettre à mort leurs chefs, l’émir Ibn Abs, le pirate Guillaume Porco, et le corsaire marseillais Hugues de Fer.

Le 23 juin, mort à Catane de Constance d’Aragon ; elle est inhumée dans la cathédrale de Palerme.

Fondation de l’école de médecine de Salerne.

1221-1223. Soumission complète des musulmans de Sicile. De 1222 à 1226, Frédéric transporte 16000 musulmans de Sicile dans les plaines entourant Lucéra (Pouilles). Il en incorpore une partie à sa propre armée, en une « légion étrangère » basée à Lucera.

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1223. 25 mars, deuxième entrevue entre le pape et l’empereur, à Ferentino, en présence de Jean de Brienne, du patriarche de Jérusalem Raoul de Mérencourt, de l’évêque de Bethléem, du grand maître des Hospitaliers, d’un représentant du maître des Templiers, et de Hermann von Salza, grand maître de l’ordre teutonique. Troisième engagement pour partir en croisade.

14 juillet, mort de Philippe Auguste, à Mantes. Louis VIII lui succède.

1224. En mars, dans une longue lettre au pape, Frédéric II met l’accent sur les difficultés rencontrées pour le recrutement, et de ses préparatifs : une centaine de galères, plus de 50 bâtiments de transport capables d’emmener 2000 chevaliers et 10000 hommes d’armes.

Fondation de l’université de Naples ; elle s’appelle aujourd’hui « Université de Naples- Frédéric II ».

Enzio, fils de Frédéric II et d’Adéläide d’Urslingen, naît à Palerme vers 1224.

1225. 25 juillet, traité de San Germano à Foggia entre le pape et l’empereur. Ce dernier s’engage à transporter et entretenir à ses frais en Terre sainte 1000 chevaliers pendant deux ans. Il jure de partir en août 1227.

En août, une flotte de 14 galères, commandée par Henri de Malte, se rend en Terre sainte.

A Acre, l’archevêque Jacques de Capoue passe l’anneau au doigt d’Isabelle. Celle-ci est amenée à Tyr et couronnée reine de Jérusalem, avant de s’embarquer pour Chypre puis pour l’Italie en compagnie de son cousin Balian de Sidon.

Le 9 novembre, mariage de Frédéric II avec Isabelle de Jérusalem, fille de Jean de Brienne, dans la cathédrale de Brindisi. Dès le lendemain, Frédéric lui aurait préféré une cousine qui avait fait le voyage avec elle.

Le 29 novembre, Henri VII épouse, sur ordre de son père, Marguerite d’Autriche, fille de Léopold VI de Babenberg, duc d’Autriche.

1226. Assemblée des Grands à Crémone. Renouvellement de la Ligue lombarde. L’Etat de l’Ordre teutonique.

Naissance de saint Thomas d’Aquin.

Frédéric II rencontre à Pise le mathématicien Fibonacci.

3 octobre, mort de François d’Assise à la Portioncule.

8 novembre, mort de Louis VIII à Montpensier.

A la fin de l’année, importante ambassade envoyée par le sultan d’Egypte Al Kamil, dirigée par l’émir Fachr ed-Dine. Celui-ci est adoubé chevalier par Frédéric II ; il portera le blason de l’empereur sur sa bannière.

L’étrange croisade de Frédéric II

1227. Parution de la deuxième édition du Liber abaci de Fibonacci ; elle est dédiée à Michael Scot, qui a traduit de l’arabe les commentaires d’Averroès sur les ouvrages d’Aristote. Michael Scot, conseiller de Frédéric II, mourut vers 1232.

18 mars, mort d’Honorius III ; élection d’Hugolin d’Ostie, Grégoire IX, octogénaire.

Préparatifs pour la 6ème croisade. Mi-août, un premier contingent quitte Brindisi sous les ordres du duc Henri IV de Limbourg. Un second contingent de 500 chevaliers part sous le commandement du maréchal Riccardo Filangieri.

Le 9 septembre, les chevaliers s’embarquent. L’empereur aussi, mais, malade, il fait demi- tour presque aussitôt, une terrible épidémie ayant éclaté dans l’armée, faisant des centaines de victimes. 20 galères sur les 50 que comportait la croisade partent sous la direction d’Hermann von Salza et du patriarche Giraud.

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Fin septembre, Grégoire IX excommunie Frédéric II lors d’un consistoire secret ; la sentence est longuement expliquée dans une encyclique du 10 octobre, envoyée d’Agnani, et rendue publique de 17 novembre. Frédéric II n’en poursuit pas moins ses préparatifs.

Aout, mort de Gengis Khan.

1228. En janvier, l’archevêque Bérard de Palerme rentre du Moyen-Orient avec une moisson d’informations. Nouvelle ambasssade du sultan Al-Kamil.

Lundi de Pâques, Grégoire IX est hué à Rome pour avoir renouvelé la sentence d’excom- munication ; il s’enfuit à Pérouse.

En avril, aux assises de Barletta, l’empereur règle l’administration de son royaume et fait son testament.

Le 25 avril, Isabelle de Brienne meurt à 16 ans à Andria (Pouilles) en mettant au monde le futur Conrad IV.

Le 28 juin, l’empereur excommunié s’embarque pour la croisade à Brindisi, avec une nombreuse suite, mais peu de troupes, sur 40 vaisseaux. Après 16 escales, il débarque le 21 juillet à Limassol (Chypre), où il est reçu par Jean d’Ibelin, sire de Beyrouth. Conflit entre Frédéric et la noblesse chypriote.

16 juillet, Grégoire IX canonise François d’Assise.

Le 3 septembre, Frédéric II s’embarque pour Saint-Jean d’Acre ; il débarque le 7 et s’installe pour deux mois à Ricordane.

Mi-novembre, il fait fortifier la ville de Jaffa. Il apprend que son beau-père Jean de Brienne a envahi les Pouilles avec les troupes pontificales.

1229. Le 18 février, traité de paix conclu pour dix ans, et renouvelable : le sultan al-Kâmil rétrocède sans combat Jérusalem, Bethléem, Nazareth, la seigneurie du Toron et le territoire de Sidon, avec libre accès des musulmans à la mosquée d’Al Aqsa.

Le 17 mars, Frédéric II entre à Jérusalem, accompagné par ses fidèles, et accueilli par les représentants du sultan. Il se couronne roi de Jérusalem et fait un long discours pour justifier son action. Il renonce à faire fortifier la ville.

« Que tous se réjouissent et triomphent dans le Seigneur… Dieu, pour faire connaître sa puissance, a fait réussir une expédition dont, depuis de longues années, beaucoup de princes et puissants de ce monde n’avaient pu venir à bout. Non seulement le corps de la ville nous a été rendu, mais encore tourte la contrée qui s’étend à partir de Jérusalem jusqu’à la côte de Jappé », écrit Frédéric II au roi d’Angleterre le 18 mars.

Mais l’archevêque de Césarée, sous les ordres du patriache Giraud (ou Gerold), arrive à Jérusalem et met sous interdit l’église du Saint-Sépulchre et tous les Lieux saints. Le succès de la croisade paraît scandaleux, le pape maintient son excommunication, ses partisans en Terre sainte boycottent Frédéric II.

De retour à Saint Jean d’Acre le 23 mars, Frédéric s’embarque le 1er mai pour Chypre, et débarque à Brindisi le 10 juin. Les troupes pontificales sont mises en déroute, Jean de Brienne prend la fuite. Le 20 octobre, le royaume est délivré. La ville de Sora est rasée.

Interdiction de lire la Bible en langue vulgaire. Organisation de l’Inquisition.

1230. Pourparlers de paix avec la Curie à San Germano. Le 28 juillet, le duc d’Autriche Léopold VI, meurt à San Germano au cours des négociations. Le 28 août, Grégoire IX lève solennellement l’excommunication dans la chapelle de Ceprano. Peu après, Frédéric II et Grégoire IX se rencontrent à Agnani en présence d’Hermann von Salza.

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Les grandes années

1231. A l’exemple des empereurs romains, Frédéric II rassemble toute la législation dans un recueil, le Liber augustalis, appelé aussi Constitutions de Melfi. Les Augustales.

Organisation de la monarchie sicilienne. Les années 1230 voient la construction de nombreux châteaux en Sicile et dans les Pouilles : Oria, Trani, Lucera, Gioia, Capoue, Syracuse, Catane, Enna, Castel del Monte, Castel Lagopesole. Ils sont achevés dans les années 1240.

1232. Visite à Venise. Assemblée des Grands dans le Frioul. Henri VII.

Naissance de Manfred, fils naturel de Frédéric et de Bianca Lancia.

1233. Un mouvement de délire religieux, connu sous le nom de « Grand Alleluia », parti de l’Italie du nord et du centre, gagne la Sicile. Frédéric réprime avec cruauté les révoltes de Messine, Catane, Syracuse, Nicosie et Centorbe.

1234. Au printemps, Frédéric II visite Capoue avec son fils Conrad. Il fortifie la ville et la dote d’une porte monumentale de style antique.

1235. 29 janvier, dans une encyclique, Frédéric II égrène les fautes de son fils Henri VII. Il passe les fêtes de Pâques dans son rendez-vous de chasse de Precina, près de Foggia, avant de partir pour l’Allemagne avec une suite réduite, et la ménagerie. Il est reçu à Ratisbonne par un grand nombre de princes. Henri VII échoue devant Worms, ses troupes sont battues le 21 juin. Le 2 juillet, sur les conseils d’Hermann von Salza, il implore le pardon de son père. Il est déposé, condamné à la réclusion perpétuelle et relégué à Heidelberg, sous la garde de son ennemi le duc de Bavière, avant d’être remis aux mains du marquis Lancia, à Rocca San Felice, près de Melfi, et enfin à Nicastro.

15 juillet, mariage de Frédéric II et Isabelle d’Angleterre, fille de Jean sans Terre et sœur du roi Henri III, à Worms. Les fiançailles avaient été conclues en février à Londres, par Pierre de la Vigne.

Assemblée des Grands à Mayence. Frédéric passe les fêtes de Noël à Haguenau.

1236. En mai, Frédéric se rend à Marbourg pour le transfert du corps de sainte Elisabeth de Hongrie. Première campagne contre les Lombards. Prise de Vicence. Campagne contre l’Autriche. Quartiers d’hiver à Vienne. Election de Conrad IV.

1237. Frédéric se rend à Vienne, et chasse le duc d’Autriche Frédéric de Babenberg.

Seconde campagne contre les Lombards. Victoire de Cortenuova contre Milan. Triomphe à Crémone et à Rome.

1238. 18 janvier, naissance de Carl-Otto, prénommé plus tard Henri, fils de Frédéric et d’Isabelle d’Angleterre.

8 mars, mort du sultan ayyoubide al-Kamil, à Damas.

Troisième campagne contre les Lombards. Echec du siège de Brescia. Enzio épouse Adelasia de Torres, héritière sarde des judicats de Torres et de Gallura ; il abandonne son épouse l’année suivante, le mariage sera dissous en 1246.

Deuxième excommunication…

1239. Le 20 mars, mort à Salerne de Hermann von Salza, grand maître de l’Ordre des chevaliers teutoniques, et diplomate de Frédéric II.

20 mars, deuxième excommunication de l’empereur. La curie et le pape lancent contre lui une série de pamphlets apocalytiques, le ravalant au rang de séide de Satan et d’annon- ciateur de l’Antéchrist :

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« Ce roi de pestilence a osé ouvertement affirmer, et nous nous servons de ses propres paroles, que le monde entier a été trompé par trois imposteurs : Jésus-Christ, Moïse et Muhammad, deux desquels sont morts dans la gloire, tandis que Jésus est mort sur une croix ; en outre, il a soutenu d’une façon mensongère que ceux qui croyaient qu’une vierge a pu mettre au monde le Dieu qui a créé l’univers étaient tous des fous ; il a confirmé cette hérésie en ajoutant que nul ne pouvait naître si sa conception n’a pas été précédée de l’union d’un homme et d’une femme et que l’homme ne doit rien croire qui ne puisse être prouvé par la force et la raison de la nature ».

Assemblée des Grands à Padoue. Quatrième campagne contre les Lombards. Réorga- nisation de la Sicile. Fondation de l’Etat italien. Entrée de Frédéric II dans le patrimoine de saint Pierre.

Grégoire IX lance une nouvelle croisade. Le 1 septembre, Thibaut IV de Champagne débarque à Saint-Jean d’Acre. Le 13 novembre, l’avant-garde croisée est massacrée près de Gaza.

1240. En janvier, le château de Castel del Monte est construit sur les plans de Frédéric II, au sommet d’une colline dominant la chaîne des Murges, à 540 m d’altitude et à 70 km à l’ouest de Bari. En 1246 y seront célébrées les noces de Violante de Souabe (1233-1264), fille naturelle de Frédéric et Bianca Lancia, avec le comte de Caserte Riccardo Gaetani.

Marche sur Rome. Retour en Sicile. Siège de Faenza.

1241. Frédéric II promulgue un édit autorisant la dissection de cadavres1, s’opposant à l’Eglise, qui, privilégiant l’intégrité du corps humain, annulera cet édit à sa mort.

De 1241 à 1246, il écrit en latin un manuel de fauconnerie, De arte venandi cum avibus (De l’art de chasser avec des oiseaux), pour son fils Manfred. Ce traité se compose de six livres : le premier est une ornithologie générale traitant des oiseaux de chasse et de leur gibier à plumes, les deux suivants décrivent l’affaitage des faucons, les trois derniers enseignent la chasse à l’aide des faucons gerfauts, sacres et pèlerins2.

Après avoir envahi la Rus’ de 1236 à 1240, Batu le splendide, petit-fils de Gengis Khan, envahit l’Europe centrale. Ses troupens franchissent la Vistule le 13 février, avant d’incendier Cracovie et de ravager la Silésie. Le 9 avril, victoire des troupes tatares sur Henri II le Pieux, à Liegnitz. Frédéric appelle tous les rois d’Occident à la croisade contre les Mongols, confie celle-ci à son fils Conrad, âgé de 13 ans, mais ne se déplace pas en Allemagne. A l’annonce de la mort d’Ogodaï (11 décembre 1241), Batu et ses troupes refluent vers l’orient, l’Europe est sauvée. Nouvelle campagne contre Rome.

Prise de Faenza. Grégoire IX propose la couronne de roi des Romains à Robert d’Artois, frère de Louis IX ; celui-ci décline l’offre, et refuse de se joindre à une coalition contre Frédéric II. Entrevue de Louis IX et Frédéric II à Vaucouleurs.

Le 3 mai, une flotte génoise qui amenait de nombreux prélats au concile convoqué par Grégoire IX est vaincue au large de Montecristo par une flotte pisane au service de l’empereur. De nombreux prélats sont capturés et incarcérés à Naples. Louis IX demande et obtient l’élargissement des prélats français.

1 Auparavant, dès le XIe siècle, à la célèbre école de Salerne par exemple, l’anatomie était enseignée d’après celle du porc, ou d’après les schémas établis par Galien au IIe siècle... En effet, depuis le IIIe siècle av. J.-C., époque où les médecins et anatomistes grecs Erasistrate et Hérophile avaient connu leur heure de gloire, aucun professeur de médecine en Occident n’avait disséqué de cadavre humain, la religion interdisant la mutilation des corps. La levée de cet interdit par l’édit permit à l’italien Mondino à Bologne de perfectionner certaines notions de l’anatomie humaine.

2 Le manuscrit le plus connu est conservé à la Bibliothèque du Vatican. Décoré d’enluminures, il

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22 août, mort de Grégoire IX. Vacance du Saint-Siège pendant deux ans.

1 décembre, mort d’Isabelle d’Angleterre.

1242. Le 10 février, lors de son transfert de Nicastro à Martirano, Henri VII, ignorant que son père s’apprêtait à le relaxer, se jette dans un ravin ; il est enterré dans la cathédrale de Cosenza. « La souffrance d’un père aimant a fait taire la voix sévère du juge. Peut-être de rudes pères s’étonneront-ils que le César invaincu par ses ennemis ait été vaincu par une douleur familiale. Mais l’esprit de tout prince, aussi inflexible soit-il, est soumis à la loi de la toute-puissante Nature », écrit Frédéric II au clergé sicilien.

Le 1er décembre, l’impératice Isabelle meurt en couches à Foggia.

1243. Le 25 juin, Innocent IV est élu pape. Négociations de paix. Défection de Viterbe.

1244. 16 mars, la capitulation du château de Montségur met fin à la croisade des Albigeois.

11 juillet, les Khwarizmiens mettent le siège devant Jérusalem, qui est prise le 23 août. Le 17 octobre, Louis IX fait le vœu de partir en croisade.

Traité de paix avec la Curie. Louis IX ne permettant pas au pape de se refugier en France, celui-ci s’enfuit à Lyon, en terre d’Empire, où il arrive le 2 décembre.

… et déposition.

1245. Du 26 juin au 17 juillet, premier concile de Lyon. Innocent IV dépose Frédéric II, qui est déchu de tous ses royaumes. Innocent IV reste à Lyon pendant six ans.

En novembre, le pape rencontre à Cluny Louis IX, qui refuse de le soutenir.

1246. Conrad IV épouse Elisabeth de Bavière (1227-1273), fille de Othon II de Bavière.

Nouvelle médiation de Louis IX auprès du pape en faveur de Frédéric II. Assemblée des Grands à Grosseto. Conspiration des familiers. Expédition dans le royaume de Sicile.

Le 22 mai, le landgrave de Thuringe Henri Raspe est élu roi des Romains par une minorité d’électeurs. Le 5 août, il vainc Conrad IV à la bataille de la Nidda, près de Francfort, mais meurt le 16 février 1247. Un nouvel anti-roi est nommé, Guillaume II de Hollande.

15 juin, la mort de Frédéric II d’Autriche, dit le Batailleur, lors d’une bataille contre le roi de Hongrie Béla IV, met fin à la maison de Babenberg.

Mort de Bianca Lancia, compagne et, semble-t-il, grand amour de Frédéric II. Celui-ci l’aurait épousée in articulo mortis. Ils avaient eu trois enfants : Constance (1230-1307), Manfred (1232-1266) et Violante (1233-1264).

1247. Réorganisation de l’Etat italien. Apprenant que Frédéric II rassemble une importante armée pour marcher sur Lyon, Louis IX envoie des troupes considérables pour défendre le pontife. Frédéric, qui s’est avancé jusqu’aux Alpes, se retire sur Parme. Défection de Parme et soulèvement des Guelfes d’Italie. Frédéric investit Parme, poursuit le siège malgré l’hiver, et construit autour de la ville le camp fortifié de Victoria.

1248. Le 18 février, alors que Frédéric II est parti à la chasse, les Parmesans affamés font une diversion et une sortie, et s’emparent du camp de Victoria et de toutes ses richesses.

Frédéric est obligé de lever de nouveaux impôts en Sicile.

25 août, Louis IX embarque d’Aigues-Mortes pour la Septième croisade, et débarque à Limassol le 17 septembre.

1249. Tentative de meurtre du médecin de l’empereur.

Arrestation de Pierre des Vignes, protonotaire et logothète impérial, pour malversation semble-t-il ; les yeux crevés, il se suicide en avril.

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Le 26 mai, Enzio, fils de Frédéric, roi de Sardaigne depuis 1242, est fait prisonnier par les Bolognais, à la bataille de Fossalta sul Panaro ; il restera en captivité à Bologne jusqu’à sa mort 23 ans plus tard.

23 septembre, mort du sultan Malik al-Salih Ayyoub, fils et successeur de al-Kamil. L’émir Fachr ed-Dine est tué par des Templiers durant un assaut donné par Robert d’Artois.

1250. 8 et 11 février, batailles de Mansourah. Le 6 avril, l’armée croisée en proie aux épidémies se rend, Louis IX est fait prisonnier ; libéré le 6 mai en échange de la ville de Damiette, il quitte l’Egypte pour Saint-Jean d’Acre.

Fin septembre, Frédéric part de Foggia pour se rendre à Lucera. En chemin, il chasse à courre lorsqu’une attaque de dysenterie l’oblige à se réfugier au Castel Fiorentino. Le 1er décembre, il est à l’article de la mort ; devant Manfred et les grands officiers de la couronne, il fait son testament, légitime les enfants qu’il a eus de Bianca Lancia, lègue les duchés d’Autriche et de Styrie à son petit-fils Frédéric, fils de Henri VII, l’Empire et le royaume de Jérusalem à son fils Conrad IV, la principauté de Tarente et le vicariat de l’Italie à Manfred. Il reçoit les sacrements de son ami Bérard de Castacca, archevêque de Palerme, et meurt le 13 décembre. Manfred annonce la nouvelle à son frère Conrad IV en ces termes : « Le soleil du monde s’est couché, qui brillait sur les peuples, le soleil du droit, l’asile de la paix », tandis qu’Innocent IV exulte : « Les cieux se réjouissent et la terre exulte ! ». Le corps du roi est convoyé à travers les Pouilles, et déposé dans la cathédrale de Palerme, près de ses parents et de sa première épouse, dans un sarcophage de porphyre rouge que Roger II avait fait installer dans la cathédrale de Cefalù. Sur son tombeau est inscrite cette épitaphe, rédigée sans doute par l’archevêque Bérard : « Si probitas, sensus, virtutum gratia, census, nobilitas ortus possent resistere morti, not foret exstinctus Fredericus qui jacet intus ».

Tombeau de Frédéric II, cathédrale de Palerme

Fin d’une dynastie

1251. Mort de Frédéric, fils de Henri VII, à 17 ans.

1252. En janvier, l’empereur Conrad IV arrive en Apulie ; Manfred, vicaire général du royaume, lui remet son pouvoir. Le 23 mars, naissance de Conradin, ou Conrad V, fils de Conrad IV et d’Elisabeth de Bavière. Il sera recueilli et caché par l’abbé de Saint-Gall.

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1253. Retour à Rome d’Innocent IV.

En décembre, mort à 15 ans de Carl-Otto, seul enfant survivant de Frédéric II et d’Isabelle d’Angleterre.

1254. Le 24 avril, Louis IX embarque à Saint-Jean d’Acre et rentre en France.

Conrad IV descend en Italie pour se faire reconnaître roi de Sicile. Il prend Naples, Capoue et Aquino, mais il meurt le 21 mai, de dysenterie, lors d’une inspection au camp militaire de Lavello ; il est inhumé dans la cathédrale de Messine. Son fils Conradin, agé de deux ans, vit auprès de sa mère en Bavière. Manfred le fait passer pour mort et se fait couronner roi de Sicile.

Le Grand interrègne durera en Allemagne jusqu’en 1273, date de l’élection de Rodolphe de Habsbourg.

7 décembre, mort d’Innocent IV. Lui succèdent Alexandre IV (1254-1261), Urbain IV (1261-1264) et Clément IV (1265-1268).

1262. Pierre d’Aragon, fils de Jacques Ier le Conquérant, épouse Constance de Sicile, fille du roi Manfred. Il succédera à son père en novembre 1276, en devenant Pierre III roi d’Aragon, comte de Barcelone et roi de Valence.

1263. En mai, Louis IX accepte la proposition papale de donner le royaume de Sicile à son frère Charles d’Anjou ; celui-ci accepte.

1265. Le 8 mai (env.), naissance de Dante Alghieri, à Florence.

Le 28 juin, le pape Clément IV donne à Charles, à Rome, la couronne de Sicile. Manfred refuse une dernière médiation de Louis IX.

1266. Le 26 février, Manfred est tué à la bataille de Ponte-Calore, près de Bénévent, à 34 ans. Charles d’Anjou devient roi. Hélène d’Epire, seconde épouse de Manfred, et leurs quatre enfants languissent pendant des années dans les prisons angevines.

1268. Les barons napolitains et siciliens, et les gibelins conduits par Galvano Lancia, oncle de Manfred, font appel au jeune fils de Conrad IV, Conradin, âgé de 16 ans, qui entreprend une expédition contre Charles. Après avoir rejoint Vérone puis Pise à la tête d’une armée de soldats germaniques et italiens, il arrive à Rome où il reçoit l’appui du sénateur Henri de Castille. Faisant fi de l’excommunication, il se dirige vers le Sud, passant par les Abruzzes où les armées de Charles le rejoignent. Les deux armées se font face le 23 août dans la plaine de Tagliacozzo, près de l’Aquila. À l’issue d’une bataille épique, où s’illustrent les chevaliers français Allard de Valéry et Guillaume de l’Etendard, les gibelins sont défaits et Conradin est contraint de prendre la fuite. Après avoir rejoint Asturi, sur le littoral romain, pensant pouvoir embarquer incognito, il est reconnu par un gentilhomme romain de la famille des Frangipani qui le ramène à Naples et le livre à Charles d’Anjou. Celui-ci fait voter sa condamnation à mort. Conradin est décapité le 29 octobre, sur la Piazza del Mercato, en compagnie de son ami Frédéric d’Autriche duc de Bade et de sept capitaines.

Leurs corps sont enterrés sur la plage. Ce supplice fait scandale.

1269. Conradin II, fils naturel de Conrad IV et d’une sarrasine de Lucera, est pendu avec sa mère sous les remparts fumants de Lucera.

1270. Le 25 août, mort de Louis IX à Tunis, de la dysenterie, lors de la 8ème croisade.

1272. Mort à Bologne du roi et poète Enzio ; il a droit à des obsèques solennelles et est inhumé dans la basilique San Domenico où se trouve toujours son tombeau.

16 novembre, mort de Henri III d’Angleterre. Son fils Edouard Ier lui succède.

1273. 1 septembre, Rodolphe de Habsbourg est élu roi des Romains. Fin du Grand inter- règne. Rodolphe renonce à se faire couronner, mais s’empare de l’Autriche en 1278.

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9 octobre, mort d’Elisabeth de Bavière, veuve de Conrad IV ; elle avait épousé en secondes noces Meinhard IV de Goritz (ca 1239-1295) comte de Tyrol et futur duc de Carinthie.

1274. 7 mars, mort du théologien et philosophe dominicain Thomas d’Aquin, à l’abbaye de Fossanova ; il sera canonisé en 1323.

1276. 27 juillet, mort de Jacques Ier d’Aragon, le Conquérant. Son fils Pierre III lui succède.

1282. 31 mars, à Palerme et Corleone, éclatent les Vêpres siciliennes, révolte contre la domination angevine. Les occupants français sont massacrés. Pierre III débarque à Trapani et entre à Palerme en septembre. La Sicile passe sous sa protection.

1285. 7 janvier, Charles d’Anjou meurt à Foggia ; il est enterré dans la cathédrale de Naples. La rue de Paris où il possédait un hôtel, dans l’actuel quartier du Marais, a été dès cette époque baptisée « rue du Roi-de-Sicile ».

Pierre III d’Aragon meurt à Vilafranca del Penedès (comté de Barcelone) ; il est inhumé dans la cathédrale de Palerme aux côtés de son beau-père Frédéric II.

1307. En avril, mort à Valence de Constance de Hohenstaufen, impératrice de Byzance, épouse de l’empereur de Byzance en exil Jean III Doukas Vatazès (ca 1192-1254). Née vers 1230, Constance était fille de Frédéric II et de Bianca Lancia ; de retour en Italie du Sud, elle avait pu échapper à Charles d’Anjou et se réfugier à Valence auprès de Pierre III.

Echos dans l’histoire

1756. Dans son Essai sur les mœurs et l’esprit des nations, Voltaire brosse un portrait élogieux de Frédéric II : « Pendant que la grande révolution des Tartares avait son cours, que les fils et les petits-fils de Gengis se partageaient la plus grande partie du monde, que les croisades continuaient, et que saint Louis préparait malheureusement la dernière, l’illustre maison impériale de Souabe finit d’une manière inouïe jusqu’alors : ce qui restait de son sang coula sur un échafaud. L’empereur Frédéric II avait été à la fois l’empereur des papes, leur vassal, et leur ennemi. (…) L’empereur Frédéric II laissa Naples et la Sicile dans l’état le plus florissant : de sages lois établies, des villes bâties, Naples embellie, les sciences et les arts en honneur, furent ses monuments. » (t. 2, chap. 61) 1781. Ouverture du sarcophage de porphyre. On y trouve trois corps, dans un bon état de conservation : la dépouille de l’empereur, un homme identifié comme Pierre III d’Aragon, et une femme inconnue.

1792. Première biographie de Frédéric II par l’officier saxon Karl-Wilhelm von Funck.

1927. Le médiéviste allemand Ernst Kantorowicz (Poznan, 1895 – Princeton, 1963), issu d’une riche famille juive, publie une biographie de Frédéric II d’inspiration nietzschéenne, qui sera appréciée des dirigeants nazis, à commencer par Hitler. Adepte du poète Stefan George, conservateur proche des nationalistes, EKa refuse de prêter serment aux nazis, mais n’émigre aux Etats-Unis qu’en décembre 38, après la Nuit de cristal. Sa mère et une cousine, traductrice de Bergson, sont déportées. Après guerre, EKa reste aux USA et prend ses distances avec sa biographie de Frédéric II.

1934-1936. René Grousset (1885-1952) publie sa monumentale et incontournable Histoire des croisades et du royaume franc de Jérusalem, en trois parties. Dans la 3ème partie, L’anarchie franque (1188-1291), il consacre un court chapitre intitulé « Frédéric II et la mainmise germanique », un tantinet chauvin. A la Sixième croisade, pacifique mais…

allemande, Grousset préfère les deux suivantes, catastrophiques mais… françaises !

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1957. Ernst Kantorowicz publie Les deux corps du roi.

1968. Pierre Boulle (1912-1994) publie son seul roman historique : L’étrange croisade de l’Empereur Frédéric II. Le sujet lui en avait été proposé par Marc Ferro.

1987. Traduction française du Frédéric II de Kantorowicz (nrf Gallimard).

1998. Le sarcophage de Frédéric II est à nouveau exploré mais non ouvert. Recherches coûteuses et vaines.

2015. Parution de Frédéric II, de Sylvain Gouguenheim (Perrin). A la fin de cette étude thématique, il conclut : « Même délivré des mythes et des légendes qui le rendent multiforme et intemporel, voire opaque, Frédéric II demeure un personnage étonnant, en aucun cas un souverain médiocre. » (p. 363)

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Le temps des cathédrales

I

l advint au début du XIIIème siècle, par le hasard d’une alliance, que le tout jeune roi de Sicile eut pour grand-père Frédéric Barberousse, et que le pape l’établit sur le trône de César. Frédéric II de Hohenstaufen n’était pas Allemand. En sa personne l’Empire Romain retournait à la Méditerranée. Face à Saint Louis, son contemporain, son cousin, son allié, il montre un tout autre visage, étrange autant que l’était son royaume. Nerveux, malingre − « esclave, on n’en eût pas donné deux cents sous » − le regard brillant d’intelligence : un homme inquiétant. Ennemi mortel du Saint-Siège, excommunié plusieurs fois − mais que signifiait en ce temps l’excommunication ? − n’était-il pas cependant parvenu, le seul de tous les rois chrétiens, à rouvrir aux pélerins la route de Nazareth et de Jérusalem ? Stupor mundi, étonnement du monde, mais aussi immutator admirabilis, le maître admirable qui maintenait l’univers dans l’ordre divin. De son vivant on racontait à son propos mille contes surprenants. Aux yeux des Guelfes, il apparaissait sous les traits de l’Antechrist, « la bête qui de la mer monte, la bouche pleine de blasphèmes, griffes d’ours, corps de léopard, rage de lion ». Tandis que les Gibelins voyaient au contraire en lui l’Empereur de la fin des temps : on sent la tristesse de Dante obligé malgré tout de le placer dans son Enfer. Sa figure se confondit bientôt avec celle de Frédéric Barberousse, dont les eaux avaient à tout jamais emporté le corps. Mort vaincu comme Siegfried, il devait devenir le vieillard du Kyffhäuser qui sortirait un jour de son sommeil, et dont le retour annoncerait le réveil de l’Empire. Les historiens eux-mêmes peinent à se délivrer de ces mythes. (...) Certes, Frédéric II aimait les femmes. Il en usait librement − mais tous les princes de son temps, hormis Saint Louis, agissaient de même. Certes, il fit crever les yeux de son chancelier : ce n’était pas cruauté cependant, mais simple application, coutumière sur ces terres, d’un supplice emprunté à Byzance. Une garde de guerriers maures tenait garnison dans sa forteresse de Lucera ; il appelait son ami le sultan d’Égypte, échangeait avec lui des présents et armait chevaliers les ambassadeurs infidèles. Peut-on pour cela parler d’incroyance, ou même de scepticisme ? Sa foi dans le Christ est incontestable. Il ne souriait pas lorsqu’il conduisait la croisade. Mais il avait l’esprit curieux et aimait qu’on lui expliquât qui était le Dieu des juifs et celui des musulmans. Comme il voulut un jour rencontrer François d’Assise. Il demeure qu’il pourchassa les hérétiques, soutint l’inquisition plus vigoureusement qu’aucun autre et qu’il revêtit pour mourir le froc des cisterciens. Contrastes, ouverture d’âme à toute la diversité du monde, mal compréhensible aux religieux du XIIIème siècle qui pensaient tout d’une pièce : il était Sicilien.

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Ce qui importe ici, c’est d’abord qu’il aimait la science. Une science différente de celle des théologiens de Paris. Elle venait d’Aristote, mais aussi d’autres livres, que l’on traduisait, aux frais de l’empereur, du grec et de l’arabe. Elle venait également de l’expérience. Frédéric écrivit lui-même un Traité de la chasse où il s’efforça de dire sur les animaux ce qu’il en avait vu. On colportait encore qu’il avait un jour fait mourir un homme dans une jarre hermétiquement close à seule fin de déterminer ce que pourrait devenir l’âme humaine après le trépas. En effet, l’Italie méridionale constituait une province très particulière de la culture scientifique. Elle était membre du monde catholique par ses prélats et ses inquisiteurs ; par ses juristes sortis des écoles de Bologne, elle recevait les méthodes du raisonnement scolastique. Toutefois Euclide, Averroès, tout le savoir de l’Islam et de la Grèce, ne formait pas chez elle un corps étranger, il jaillissait du fonds indigène. Le roi présidait à des débats que l’on menait, comme à Oxford ou à Paris, selon les règles strictes de l’argumentation dialectique, avec mise en question et sentence, mais on y discutait d’algèbre, de médecine, d’astrologie. Inquiet, préoccupé de son destin, Frédéric II, comme les sultans, interrogeait des mages, des alchimistes, des faiseurs d’horoscopes, des nécromants. Vers son anxiété montaient de la nuit orientale tous les secrets de l’occultisme. Comme les émirs, il se passionnait pour les propriétés des choses et des êtres. Pierre d’Eboli composait pour lui un poème sur les eaux de Pouzzoles et leurs vertus ; son maréchal rédigeait un traité d’hippiatrie ; son astrologue rapportait de Tolède l’Astronomie d’al-Bitruji et la Zoologie d’Aristote.

L’empereur et les savants de sa cour appliquaient à l’observation des phénomènes naturels la même volonté de lucidité que les maîtres parisiens. Toutefois, ils n’étaient pas autant que ceux-ci par le désir de parvenir à Dieu au terme de leur analyse du monde créé, et leur physique n’allait pas se fondre dans la théologie. Elle demeurait autonome et profane.(...) Ce fut en tout cas dans l’entourage de Frédéric II que se développa pour ma première fois dans le monde chrétien une science de la nature qui ne fût pas science du divin. Là prit vigueur le sens du concret que devait, un siècle et demi plus tard, refléter l’art des villes italiennes. Ce réalisme, tout différent du réalisme des cathédrales gothiques, ne procède pas, comme on l’a trop dit, de l’esprit bourgeois, mais des faveurs d’un prince dont on racontait dans les cours d’Europe qu’il avait vécu comme un sultan. (...)

Nul monarque en ce temps, hormis Saint Louis, ne commanda plus d’œuvres d’art. (...) Après 1233, il ne fit plus construire des églises, mais des châteaux, symboles de sa majesté.

Bâti en octogone comme la chapelle carolingienne d’Aix, Castel del Monte figure la couronne impériale, c’est-à-dire la Jérusalem céleste. Cependant, ses huit faces, image parfaite de l’éternité selon la mystique des nombres, ne sont pas disposées pour environner les chants psalmodiés d’un chapitre, ni des reliques. Elles montrent de toutes parts la force terrestre du César chrétien, vrai lieuteneant de Dieu en ce monde, et sur les murs de la forteresse, les élégances précises d’un décor champenois se sont partout substituées aux rêveries romanes. Enfin, au moment même où le roi Saint Louis s’apprêtait à édifier la Saint-Chapelle à la gloire du Christ des couronnements gothiques, Frédéric II fit ériger dans Capoue sa propre statue. Celle d’Auguste. Cette fois c’était la Rome antique que l’on voyait surgir, du fond des âges, victorieuse.

Georges Duby

Le temps des cathédrales, p.209

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La caravane impériale

De nombreux chroniqueurs médiévaux ont transcrit des récits de témoins oculaires de la caravane impériale en marche ; le spectacle était d’une magnificence et d’une couleur sans égales. Venait d’abord l’avant-garde des cavaliers ou des chevaux-légers sarrasins, dont les coursiers arabes et les costumes inhabituels jetaient une note exotique, ce climat « de singes et d’ivoire », cette magie de l’Orient à laquelle a été, au cours des âges, associé le nom de Frédéric. Au milieu d’eux s’avançaient d’un pas ouaté et silencieux les chameaux aux rapides foulées de la fameuse race méhari, don des amis de l’Empereur, les sultans de Babylone et d’Egypte, et, derrière les rideaux aux brillantes couleurs des litières placées sur leurs bosses, se prélassaient ces mystérieuses beautés voilées dont la présence, imaginaire ou non, ajoutait à la caravane cette aura magnétique que J. Addington Symonds, dans un autre contexte, a décrite comme « les traces de sabots d’un crime éclatant ». Les litières étaient gardées par des noirs gigantesques, à l’aspect hideux − les eunuques − à la castra- tion desquels l’Empereur lui-même avait procédé, croyait-on, du moins selon les partisans du Pape qui avaient, semble-t-il, un don pour les cancans salés que pourrait leur envier notre actuelle presse du dimanche.

Séparée par un intervalle pour laisser retomber la poussière, suivait la cour elle-même, et dans cette cavalcade de chevaliers et de courtisans richements attifés la foule des badauds cherchait anxieusement à identifier l’Empereur, le terrifiant personnage dont les titres lui donnaient le droit d’être nommé « sacré » et « divin ». Il ne devait guère y avoir de difficulté à distinguer les cheveux roux-châtain, la calme contenance et le regard perçant et presque magnétique qui a été invariablement qualifié de bleu ou de « vert, comme un serpent ». De belle prestance, vêtu très souvent en chasseur et monté sur son fameux destrier noir, Dragon, on le reconnaissait à la déférence avec laquelle les cavaliers qui trottaient devant lui ouvraient le passage.

Venait alors la troupe des pages et des serviteurs qui semblait devoir ne jamais finir ; ils étaient vêtus d’élégantes tuniques rayées et de hauts-de-chausses de couleur ocre, portant à leur poing, protégé par les gants de fauconnier ornés de glands, les précieux faucons qui comptaient parmi les biens les plus rares de l’Empereur. Bondissant sur la route auprès d’eux ou couplés deux par deux et menés par des valets aux colliers et aux laisses écarlates, suivaient les chiens de chasse de l’Empereur, maigres et nerveux, bâtis pour la course rapide, mais au poil luisant comme celui des bêtes bien soignées et bien nourries. Puis, spectacle plus étrange encore, les léopards de chasse, les onces rapides, aux yeux encapuchonnés comme ceux des faucons, placés sur des sièges recouverts de coussins spéciaux et fixés à la croupe des valets sarrasins chargés de leur dressage.

Si le voyage était long et exigeait le transport de toute la cour, la ménagerie impériale suivait au complet : l’éléphant avec une tour de bois sur le dos, et sur lequel étaient assis le cornac et des archers sarrasins ; la girafe dont on avait ignoré jusqu’à l’existence avant que l’Empereur eût importé le premier specimen qu’on ait jamais vu en Europre ; venaient alors les lynx, les lions, les oiseaux exotiques, et toute la troupe des muletiers qui juraient et des bêtes de somme en sueur, le dos chargé de sacs, de malles et de coffres contenant les trésors impériaux, les bagages, les livres, les registres et documents de la chancellerie, qui devaient suivre leur maître impérial partout où il allait. Les pauvres scribes et notaires, responsables de l’ordre qui devait sortir du chaos à la fin du voyage, chevauchant de-ci de- là dans la poussière pour veiller à ce que rien de se perdît des précieux fardeaux, ou bien, si une des bêtes s’estropiait, à ce qu’une autre fût là pour prendre sa place, afin que tout fût prêt pour satisfaire aux exigences de l’Empereur à la fin de la longue journée de marche.

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Georgina Masson, p. 189-191

L’étrange croisade de frédéric II

En 1968, l’ingénieur et romancier Pierre Boulle (1912-1994), auteur notamment du Pont de la rivière Kwaï (1952) et de La planète des singes (1963), publia chez Flammarion un petit livre intitulé L’étrange croisade de l’Empereur Frédéric II. Ce fut son seul récit historique. Le sujet lui en avait été proposé par Marc Ferro. Comme le note Jacques Goimard 3 : « A la fois provocant et civilisé, il [Frédéric II] est pour Pierre Boulle un prince de la Renaissance en avance sur son temps, qui, anticipant Bonaparte, alla vers l’Orient non seulement pour le conquérir, mais pour le comprendre et s’en inspirer. Par ailleurs, il fut un monomaniaque, un croisé de l’impossible, un chasseur d’illusions à la poursuite d’un rêve. Ce n’est probablement pas toute la vérité historique, mais c’est la vérité de Pierre Boulle et nous devons en tenir compte. »

Les légendes qui entourent la renommée des grands hommes sont presque aussi précieuses que les documents pour l’historien de fortune. Il est probable que l’empereur Frédéric II n’a jamais soutenu que le monde avait été berné par trois imposteurs : Moïse, Jésus et Mahomet, comme le pape Grégoire IX l’en a accusé. (…)

Un personnage hors du commun, tel était bien, je crois, Frédéric de Hohenstaufen, petit- fils de Barberousse, cet empereur mathématicien, poète, linguiste, grand chasseur devant l’éternel, paillard sans doute, rusé parfois jusqu’à la fourberie et cruel à ses heures, ce prince héritier d’un domaine en décomposition qui se passionna pour les philosophes grecs et la civilisation arabe et qui, ayant fait le serment de se croiser, mais excommunié et honni par l’Eglise, organisa tout de même à sa façon sa propre croisade et rendit Jérusalem àa la chrétienté sans faire couler une goutte de sang, tandis que le pape Grégoire IX, mis en fureur par cette outrecuidance, envahissait son royaume de Sicile et faisait prêcher dans le monde une croisade parallèle contre lui (croisade sanglante et dévastatrice celle-là).

C’est précisément cette croisade d’un excommunié en butte aux attaques spirituelles et matérielles de la papauté qui m’a séduit dès que Marc Ferro m’en a proposé le sujet et transformé pour un temps en historien de fortune. (…)

Il me faut ajouter que j’ai fait mon possible pour ne pas m’écarter de la ligne rigide tracée par les documents historiques, malgré les tentations qu’inflige sans cesse au romancier une personnalité aussi riche et colorée que celle de Frédéric II, tentations qui prenaient parfois la forme d’un supplice. (…)

Saint Louis et Frédéric II

Difficile d’imaginer deux monarques plus dissemblables que Louis IX (1214-1270) et Frédéric II (1194-1250). Cependant, ils se rencontrèrent à Vaucouleurs vers 1241, et entretinrent de bonnes relations. Louis IX respecta une stricte neutralité dans la querelle qui opposa la papauté et l’Empire, traitant dans ses lettres Frédéric de « très excellent et très cher ami, empereur toujours auguste, roi de Sicile et de Jérusalem ». Louis IX a laissé des chevaliers français combattre en Lombardie dans les troupes impériales, et a refusé pour son frère Robert d’Artois la couronne de roi des Romains que Grégoire IX lui offrait après la seconde excommunication. Ses envoyés déclarent à l’empereur :

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« Le Seigneur ne veut pas que nous souhaitions jamais attaquer un chrétien sans une bonne raison. L’ambition ne nous pousse pas. Nous croyons en effet que notre sire le roi de France, qu’une lignée de sang royal a promu à gouverner le royaume de France, est supérieur à tout empereur que seule une élection volontaire promeut. Il suffit au comte Robert d’être le frère d’un si grand roi. »

En 1244, alors qu’il se trouve au chapitre général cistercien, Louis IX reçoit des envoyés du nouveau pape, Innocent IV, porteurs d’une lettre demandant au roi de lui accorder un asile qui le mettrait à l’abri des attaques de Frédéric II. Louis répond avec beaucoup de déférence mais de fermeté que ses barons lui ont fermement déconseillé de permettre au pape de se réfugier en France. Innocent IV se réfugiera à Lyon, en terre d’Empire, le 2 décembre 1244. En 1246, alors que Frédéric a été déposé un an plus tôt, Louis IX tente sans succès une médiation auprès du pape en faveur de Frédéric, mais quand il apprend, en 1247, que Frédéric rassemble une importante armée pour marcher sur Lyon, il envoie des troupes considérables pour défendre le pontife. Frédéric II, qui s’est avancé jusqu’aux Alpes, se retire sur Parme.

Frédéric II et la science

« Nous avons suivi Aristote lorsque nous l’avons jugé à propos, mais dans de nombreux cas, particulièrement en ce qui concerne la nature de certains oiseaux, cet auteur semble s’être éloigné de la vérité. C’est là la raison pour laquelle nous n’avons pas toujours suivi le prince des philosophes, car rarement ou jamais il n’eut l’expérience de la chasse que nous avons toujours aimée et pratiquée. »

écrit Frédéric II dans le traité de fauconnerie De arte venandi cum avibus qu’il rédigea pendant ses années créatrices, et dédia à son fils Manfred. Frédéric II rendit visite en 1226 au mathématicien Leonardo de Pise, dit Fibonacci, qui lui dédia son Liber quadratorum.

Leurs entretiens durèrent huit jours, au cours desquels Frédéric interrogea Fibonacci sur les algorithmes et l'application de l'algèbre à la géométrie. Il devait dire plus tard :

Ces journées ont été les plus heureuses de ma vie, car j’ai pu exercer sans obstacle ma passion pour les mathématiques, cette activité princière s’il en fut.

Les bienfaits qu’apporte l’étude entraînent à leur suite noblesse et possessions matérielles et font fleurir l’affection et la grâce de l’amitié.

(Charte de fondation de l’université de Bologne) C’est pourquoi il est nécessaire et convenable que tu aimes la sagesse.

Lettre à son fils Conrad

Lorsque Frédéric envoya aux professeurs et aux escholiers de Bologne le manuscrit de plusieurs traités d'Aristote sur la logique et les mathématiques qui, avec d'autres manuscrits, emplissaient les coffres des chambres où il détenait ses trésors, et qu'il avait retrouvés au cours de ses études linguistiques et mathématiques, il accompagna ce don d'une lettre où il déclarait que les destina-taires de ces traités devaient les accepter avec reconnaissance, comme un présent de leur ami l'empereur (amici Caesaris). Ils sauraient en effet utiliser les textes et puiser une eau nouvelle dans les puits anciens.

Lorsque Frédéric, l’empereur de Rome toujours auguste, eut longuement réfléchi, selon l’ordre par lui-même établi, aux différences qui apparaissent sur toute la terre, à leur nature et à leur manifestation sur elle, au-dessus d’elle, en elle, et au-dessous d’elle, il me

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